Mme Anne Ventalon. L'intelligence artificielle n'est plus une promesse d'avenir, elle est déjà une réalité. Il se trouve que la santé est un domaine privilégié de déploiement de cette technologie. L'Académie nationale de médecine a récemment rendu un rapport sur l'IA générative, estimant que son déploiement pourrait aider les médecins dans leurs pratiques quotidiennes et avoir ainsi un impact très positif.

Dans le domaine de la santé, l'IA est considérée comme un outil supplémentaire capable d'apporter beaucoup de solutions à plusieurs égards : amélioration de la qualité des soins et du suivi des patients, gain de temps médical, optimisation des diagnostics, réorganisation de notre système de santé. Bref, les avantages sont multiples, pour les soignants comme pour les patients.

L'IA pourrait-elle être utilisée pour lutter contre les déserts médicaux ? Des solutions numériques peuvent apporter une réponse partielle à ce problème ; installées depuis quelques années, les cabines de télémédecine en sont une parfaite illustration. L'IA peut améliorer les performances en téléconsultation en interprétant en direct les données captées dans les cabines ou en guidant l'entretien avec le patient.

Elle est potentiellement un outil de meilleure organisation du processus de soins et de réduction des inégalités territoriales de santé. Néanmoins, l'IA ne résout pas à elle seule la question de l'accès aux soins. Elle ne remplace ni la main du médecin ni la parole rassurante du soignant. Toutefois, elle permet de soulager les professionnels dans leurs tâches répétitives et administratives.

Dans le secteur de la santé, l'IA est encore en phase d'apprentissage, avec un foisonnement d'initiatives accompagné d'équipes médicales motivées et d'entreprises innovantes. Comment entendez-vous accompagner leurs actions, afin que notre système de santé ne rate pas le virage de l'IA et en tire le maximum de bénéfices ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Je vous remercie de cette question, madame la sénatrice. En effet, la santé est le domaine où les bénéfices de l'IA sont les plus clairs et les plus compréhensibles, tant les avancées sont fulgurantes. Cela doit nous permettre de répondre à un certain nombre de défis de manière générale.

Dans cette perspective, le Health Data Hub conduit plusieurs projets, notamment le projet Partage, qui vise à mettre à disposition l'IA générative pour l'analyse des données de santé. Il doit ainsi permettre d'accélérer la recherche sur des cas précis. C'est un projet que le ministre de la santé veut continuer à soutenir, pour développer nos propres bases de données et grands modèles de langage (LLM), au profit de la santé de nos concitoyens.

J'en viens à la télémédecine. Aujourd'hui, chaque hôpital, en fonction de ses spécialités et d'un plan qui lui est propre, travaille à nouer des partenariats pour assurer la disponibilité des soignants partout sur le territoire, en faveur des personnes qui nécessitent d'être soignées. En digitalisant l'expérience de soins, l'IA devrait répondre à une partie de la problématique soulevée. L'Institut Gustave-Roussy a déployé ces solutions il y a quelque temps et force est de constater qu'elles portent leurs fruits.

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour la réplique.

Mme Anne Ventalon. Je vous remercie, madame la ministre. Le fonctionnement de l'IA doit être compris, non seulement pour mieux appréhender cette technologie et en tirer profit, mais aussi pour en mesurer ses limites. Voilà pourquoi la formation initiale et continue des soignants est essentielle.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme le président de la délégation sénatoriale à la prospective. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme Christine Lavarde, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cela a été dit, l'intelligence artificielle cristallise tous les défis du XXIe siècle. Je n'en dresserai pas de nouveau le catalogue ; plutôt, je présenterai cinq grandes idées que nous pouvons tirer de ce débat et des travaux qui ont animé l'Opecst et la délégation à la prospective pendant presque dix-huit mois.

Premièrement, nous constatons une évolution extrêmement rapide de l'intelligence artificielle. En dix-huit mois, nous avons vu combien les technologies, les innovations et les solutions proposées par l'IA étaient différentes. Chaque mois qui passe promet des solutions toujours plus complètes.

Ces évolutions très rapides obligent la France, en tant que puissance forte, à poursuivre ses travaux de recherche et à investir, pour ne pas être dévalorisée par rapport à d'autres puissances fortes, telles que les États-Unis, les Gafam et la Chine, dont les entreprises sont très importantes dans le domaine de l'intelligence artificielle.

Ces évolutions nous imposent également de faire preuve d'agilité. Vous l'avez dit, madame la ministre, et c'est le constat auquel nous sommes nous-mêmes parvenus : les conclusions doivent toujours être fondées sur l'expérimentation, sur des épreuves tirées de l'expérience.

La direction générale des finances publiques (DGFiP), qui a mis au point les premiers outils d'IA au sein de l'administration, peut servir de modèle pour développer d'autres outils, par exemple dans le domaine de la lutte contre la fraude.

Deuxièmement, les données sont au cœur de l'intelligence artificielle. De très nombreux orateurs l'ont rappelé : les données ne doivent pas, demain, être captées par les Gafam ou d'autres pays. C'est la raison pour laquelle nous devons développer des solutions souveraines et agir collectivement pour disposer d'un cloud européen. En effet, nos données de santé ne sauraient être hébergées par des acteurs non européens.

Par ailleurs, les données doivent être structurées pour qu'elles puissent avoir un rôle moteur, en particulier dans les domaines de la santé et de l'environnement. Malheureusement, à l'issue de nos travaux, nous constatons encore aujourd'hui un très fort cloisonnement ou manque d'interconnexion des systèmes d'information ; nous avons évoqué ce problème pour les données en langue créole. Si le système d'intelligence artificielle marche, il doit pouvoir se nourrir de données.

Aujourd'hui, l'intelligence artificielle répond à nos sollicitations en franglais parce qu'elle a lu majoritairement soit du mauvais français, soit du français traduit de l'anglais. Certains pays ne parviennent pas à jouer un rôle moteur dans le développement de l'IA. Je pense au Japon, dont la langue n'est pas suffisamment parlée à travers le monde.

La question des données est extrêmement importante, d'autant que la politique des données ouvertes vient remettre en cause un certain nombre de principes économiques. Des acteurs économiques nationaux et des opérateurs de l'État ont vu leur modèle économique complètement bouleversé : ils ne peuvent plus vendre, ce qui les empêche de tirer des recettes et fragilise ainsi la mise en œuvre des politiques publiques.

Cet après-midi, nous avons très largement évoqué la question du droit d'auteur et des droits voisins. Ce sont des sujets que nous devons traiter si nous voulons continuer à développer un processus de création qui s'auto-alimente. Certaines entreprises privées qui disposent de données d'intérêt national devraient sans doute les mettre à disposition de la puissance publique, dans l'idée de développer le bien commun.

Troisième point : le développement des compétences. Vous l'avez dit, l'intelligence artificielle procède d'une redistribution profonde des pouvoirs. Je suis complètement d'accord, si l'État veut pouvoir continuer à jouer son rôle d'État stratège, il faut qu'il ait les capacités de recruter des profils spécialisés et de faire monter en compétence les agents publics – je pense aux agents de l'État, bien sûr, mais aussi aux agents des collectivités. Il faut aussi pouvoir repenser le travail, comme nous l'avons constaté au cours de nos déplacements et de nos auditions.

Christian Bruyen l'a très bien dit, au-delà des compétences des agents publics, il y a aussi la question de la sensibilisation du grand public. Comment embarquer avec nous les citoyens dans l'appropriation des outils d'intelligence artificielle ? Il est très important de renforcer l'acculturation, de démystifier et, en même temps, d'informer sur les dangers et les avantages de cette technologie.

Le premier pas doit être fait au sein de l'éducation nationale, où les enseignants sont dans une situation de faiblesse par rapport à leurs élèves. En effet, certains d'entre eux sont nés avec les outils d'intelligence artificielle.

Cette acculturation est essentielle, car, pour pouvoir se développer, l'intelligence artificielle doit être utilisée dans un climat de confiance. Nous avons d'ailleurs évoqué la question du cadre éthique au cours de notre débat.

Je vois que j'ai dépassé le temps qui m'était imparti et je ne voudrais pas abuser de la bienveillance du président de séance. Je ne pourrai donc pas aborder l'ensemble des points que je souhaitais évoquer. En conclusion, j'ajouterai que l'intelligence artificielle, pour pouvoir se développer, doit être proportionnée. C'est pourquoi la question de la frugalité, en dépit du principe de liberté, est extrêmement importante, comme l'ont rappelé nos collègues Ghislaine Senée et Ludovic Haye.

Par ailleurs, il est nécessaire d'informer le public sur le coût de l'intelligence artificielle. Sur cette question, je vous renvoie à un livre très intéressant, intitulé L'Enfer numérique. Aujourd'hui, tout le monde envoie des émoticônes, mais on oublie le coût numérique que cela représente.

Surtout, l'intelligence artificielle, pour être utile, doit démontrer sa pertinence, donc sa valeur ajoutée. Aujourd'hui, il est moins coûteux d'ouvrir un dictionnaire que de recourir à l'intelligence artificielle pour se renseigner sur une définition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l'intelligence artificielle.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-neuf, est reprise à dix-sept heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

7

Comment relancer le fret ferroviaire ?

Débat organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, sur le thème : « Comment relancer le fret ferroviaire ? »

Je vous rappelle que le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur, pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Alexandre Basquin, pour le groupe auteur de la demande.

M. Alexandre Basquin, pour le groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste – Kanaky. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe CRCE-K a jugé opportun d'organiser un débat sur la question fondamentale de l'avenir du fret ferroviaire. En effet, les enjeux sont forts en matière d'aménagement du territoire, d'environnement, de sécurité et de développement économique. Or, aujourd'hui, la part modale du rail dans le transport de marchandises n'est que de 10 %. L'enjeu est donc de taille !

Rappelons que c'est en 1823 que la première concession de chemin de fer pour le transport de marchandises a été accordée en France. La part du fret ferroviaire a ensuite augmenté, pas à pas, grâce à l'extension du rail sur l'ensemble du territoire. Il a ainsi atteint 73 % de la part modale en 1948. Un vrai maillage territorial, optimisé et efficace existait alors.

Il y a eu ensuite, notamment depuis les années 1970, une conjonction d'éléments et de choix politiques qui, malheureusement, ont amenuisé fortement la capacité du rail au profit du « tout-routier ». Les logiques de rentabilité court-termiste ont ainsi fini par l'emporter, hélas.

Le trafic routier ne cesse de progresser quand, dans le même temps, le réseau ferré n'est plus aussi bien entretenu : les investissements ne sont plus au rendez-vous, les lignes se délabrent et les installations embranchées sont fermées. Nous en payons encore le prix aujourd'hui.

Le tonnage transporté décline de 75 milliards de tonnes-kilomètre en 1974 à 55 milliards en 1998, et à 40 milliards en 2005. En 2021, ce chiffre chute à 35 milliards.

Je l'ai dit, la part modale du fret ferroviaire est de 10 % en France, contre 18 % en Allemagne, 32 % en Autriche et 35 % en Suisse, pour ne citer que quelques exemples. Le transport routier, quant à lui, représente 87 % du transport de marchandises.

Ces dernières décennies, le service public de transport de marchandises a été régulièrement attaqué : plans d'économies massifs, démantèlement du groupe SNCF, ouverture à la concurrence, fermetures de gares de triage et de lignes de fret, abandon des raccordements d'entreprises au réseau et suppressions de postes – quelque 10 000 emplois ont été supprimés en dix ans.

La libéralisation de la politique européenne des transports engagée dès les années 1990, qui s'est accompagnée d'une dérégulation massive du transport routier de marchandises, a sacrifié purement et simplement le rail !

À cela s'ajoutent la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, qui fragmente le service public du rail, et le « plan de discontinuité », qui fragilise le transport public de marchandises et pour lequel l'intersyndicale demande si légitimement un moratoire.

Pour autant, beaucoup s'accordent aujourd'hui sur le nécessaire développement du fret ferroviaire. En 2020, la Convention citoyenne pour le climat proposait le doublement de la part modale du fret d'ici à 2030. En outre, l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 plaide fortement pour le fret ferroviaire.

À l'heure où les questions de dérèglement climatique imposent de prendre des mesures fortes, il est nécessaire de mettre en œuvre une politique de transport audacieuse.

Disons-le clairement : investir dans le fret, qui est de loin le transport le moins polluant, ne semble pas illusoire, bien au contraire ! Un train, ce sont cinquante camions de moins sur les routes.

Choisir d'utiliser le rail permet le développement du tissu économique, qu'il soit agricole, industriel ou logistique, grâce à l'implantation d'activités mieux réparties sur l'ensemble du territoire national. Il permet de désenclaver certains territoires, tout en les redynamisant par une activité pérenne.

Je pense à la gare de triage de Somain, dans le Nord, non loin de chez moi, dont l'activité est réalisée en pointillé. Pourtant le potentiel existe : les cheminots sont mobilisés, les élus locaux sont au rendez-vous et la population est particulièrement attachée à ce site.

La gare de triage de Somain demande ainsi à être revitalisée plutôt qu'abandonnée, d'autant que le canal Seine-Nord Europe passera à quelques encablures, que l'ancienne base aérienne de Cambrai se développe et que le Dunkerquois va accueillir prochainement de nouvelles activités de grande ampleur.

Puisque je parle du Dunkerquois, permettez-moi d'avoir une pensée pour les 600 salariés d'ArcelorMittal, – 180 travaillent dans l'usine de Dunkerque –, dont le poste risque d'être supprimé d'un trait de plume sans aucune considération, toute honte bue. Il s'agit pourtant d'une entreprise qui a obtenu 300 millions d'euros d'aides de la part de l'État en 2023 et qui verse entre 300 millions et 400 millions d'euros de dividendes chaque année. Il est nécessaire que nous soyons mobilisés sur cette question majeure.

La relance du fret ne passera que par des investissements significatifs, bien loin des politiques d'austérité conduites ces dernières années. Une loi pluriannuelle de financement des infrastructures s'avère un enjeu crucial.

Il faut rénover et densifier le réseau ; il faut rendre le rail plus performant que le transport routier, qui bénéficie d'avantages fiscaux, d'aides financières disproportionnées et de l'absence de contribution au financement du réseau routier par les transporteurs, contrairement aux opérateurs ferroviaires.

Il faut également convaincre les industriels en mettant en place une fiscalité environnementale qui favorise le report modal de la route vers le rail.

Comme il est essentiel et urgent de repenser le modèle de financement des transports ! La conférence nationale sur le financement des mobilités Ambitions France Transports, qui sera lancée en mai prochain, devra concrétiser cet objectif.

En matière de financement, plusieurs pistes pourraient être explorées, comme celle du fléchage des produits des concessions autoroutières en soutien au fret.

Rappelons que les sociétés d'autoroutes ont récolté 40 milliards d'euros de plus que ce qui était prévu ; on parle même de « surrentabilité ». Ces chiffres ont d'ailleurs interpelé l'ensemble du Sénat, si bien que, en 2020, notre assemblée a mis en place une commission d'enquête sur ce sujet. Il ne semble donc pas chimérique qu'une partie des bénéfices constitués par les gestionnaires d'autoroutes puisse être affectée au développement du rail.

Enfin, permettez-moi de saluer très chaleureusement les cheminots, eux qui sont bien trop souvent caricaturés. Je veux rappeler ici leur engagement sincère, au service de l'intérêt général, des usagers et de leur sécurité.

Vous l'aurez compris, nous soutenons avec force le développement du fret ferroviaire, que nous considérons être un secteur stratégique et structurant. Il peut et doit jouer un rôle majeur et être un atout essentiel pour l'ambitieuse et nécessaire relance industrielle et agricole de notre pays.

Pour cela, il n'y a pas cent mille solutions : il faut changer de paradigme, investir, donner du sens à la politique du fret et, enfin, faire du rail un bien commun national. La balle est entre vos mains, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier le groupe CRCE-K d'avoir organisé ce débat ; c'est toujours un plaisir pour moi de revenir dans cette magnifique assemblée.

Le fret est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Nous avons eu l'occasion d'en discuter pendant des années au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Vous avez évoqué le sujet de l'ouverture à la concurrence. Je tiens à rappeler que le secteur du fret ferroviaire a connu cette évolution en 2006, en application des textes européens. Vous citez l'Allemagne en exemple sur ce sujet, mais ce pays est également ouvert à la concurrence. Cela démontre qu'il est possible de réussir dans le fret ferroviaire dans de telles conditions.

Concernant les difficultés du fret ferroviaire depuis plusieurs années, plutôt que l'ouverture à la concurrence, il me semble que c'est l'abandon de ce mode pendant plusieurs décennies au profit de la route et du transport de voyageurs qui est en cause.

En outre, plusieurs crises marquantes ont accéléré la désindustrialisation à la fin des années 2000 ; or la situation du secteur est intimement liée aux difficultés industrielles de notre pays.

La part modale du fret ferroviaire a ainsi connu le même déclin que la part de l'industrie dans l'économie française. Au cours des vingt dernières années, les corrélations entre ces deux trajectoires sont frappantes : la part de l'industrie dans notre économie est passée de 16,2 % en 1995 à 10,1 % en 2017, tandis que la part modale du fret ferroviaire a chuté de 16,8 % en 1995 à 10,8 % en 2017. Ces évolutions sont étroitement liées.

Si vous me le permettez, monsieur le président, je compléterai mon propos ultérieurement.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier nos collègues communistes pour ce débat qui fait suite à la publication en mars de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, intitulée Ulysse Fret. Formons le vœu que, sous ce titre enchanteur, nous retrouvions le chemin du rail, car, pour l'heure, ce secteur se débat entre Charybde et Scylla.

Le transport de fret ferroviaire est au plus bas ; les chiffres confirment que l'activité est en berne tandis que le transport routier se taille la part du lion, avec près de 90 % des tonnes-kilomètre. La part du fret ferroviaire est ainsi passée sous la barre des 10 % du transport de marchandises.

En Nouvelle-Aquitaine, le dernier contrat de plan État-région (CPER) fait état d'une part modale excessivement faible, de l'ordre de 2,3 %. Si l'étude de vos services relève que 2023 fut une année marquée par une forte baisse imputable aux mouvements sociaux et aux prix élevés de l'électricité, elle met surtout en évidence une tendance lourde que nous ne parvenons pas à redresser, y compris dans le transport combiné rail-route.

Cette situation est un crève-cœur pour tous les Français attachés au maillage du territoire et aux infrastructures que nous voyons dépérir et dont nous constatons la sous-utilisation. Il est difficile de comprendre ce démantèlement d'un outil majeur pour la décarbonation de nos échanges commerciaux et pour la sécurisation du transport routier.

Dans le même temps, le Parlement européen a voté une révision de la directive relative aux poids et dimensions visant à permettre la circulation de mégacamions. Il est déconcertant qu'un tel gigantisme routier soit encouragé par la représentation européenne.

Nous pouvons nous interroger sur notre capacité à atteindre le doublement du trafic d'ici à 2030, pourtant inscrit dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, alors que nous accusons une chute à peine quatre ans plus tard.

Monsieur le ministre, avez-vous de bonnes nouvelles à nous annoncer en la matière ?

La stratégie nationale, qui s'étale sur une période de dix ans, évoque la mise en place d'actions à gain rapide. Pourriez-vous nous préciser celles d'entre elles qui ont d'ores et déjà été identifiées ? Le Gouvernement annonçait un plan d'investissement de 4 milliards d'euros jusqu'en 2032, dont 900 millions pour l'État, en faveur du fret ferroviaire, la moitié passant par les CPER.

Cependant, les documents relatifs à la stratégie relèvent eux-mêmes le problème suivant : un CPER voté ne permet souvent pas d'identifier les lignes concernées par de potentielles modifications ; en outre, sans investissement, la pérennité des lignes capillaires n'excède pas dix ans.

Des projets emblématiques, comme l'autoroute ferroviaire Cherbourg-Mouguerre, dans les Pyrénées, sont pour autant bien spécifiés et identifiés. Je tiens également à saluer, dans un autre registre, l'intégration de projets de fret fluvial, comme celui de Damazan, un sujet qui mériterait un débat à lui seul.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser où en sont les accords de programmation des avenants aux CPER ? Disposerons-nous bientôt d'une visibilité à ce sujet ?

Enfin, nous sommes confrontés à des questions préoccupantes dans le Sud-Ouest, avec la création de la ligne nouvelle – à grande vitesse – du Sud-Ouest (LNSO) entre Bordeaux et Toulouse. Nos concitoyens s'en souviennent et s'en souviendront longtemps, car ils y contribuent financièrement alors qu'ils ne le devraient pas. Le tracé avance aujourd'hui, mais il n'a pas fait l'objet d'une véritable réflexion concernant le fret, ce qui l'exclut de notre débat.

Il me semble qu'il est temps de mettre tous les acteurs autour de la table, en particulier nos entreprises, pour nous rapprocher de leurs besoins en termes de fret et d'infrastructures de stockage.

Le Lot-et-Garonne et les départements voisins sont producteurs de matières agricoles, mais également fabricants de matériaux de construction. Nous disposons d'atouts pour développer le fret ferroviaire, par exemple sur les lignes Agen-Auch et Agen-Périgueux, au sujet desquelles je vous ai sensibilisé. Des projets viables sont d'ores et déjà sur la table, qui pourraient permettre de désengorger certaines routes, en particulier la RN 21.

Enfin, une dernière question : monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que l'État prendra sa part dans la réouverture de ces lignes et contribuera ainsi au désenclavement de cette partie du territoire, faisant de nos trois villes principales, Agen, Marmande et Villeneuve-sur-Lot, des carrefours ferroviaires incontournables ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Tout d'abord, en réponse au sénateur Masset, je tiens à réaffirmer ma position défavorable aux mégacamions. En effet, leur autorisation entraînerait une perte d'activité d'environ 25 % pour le fret ferroviaire. Je sais que certains d'entre vous ont un avis différent sur ce sujet.

M. Jacques Fernique. Pas moi, en tout cas ! (Sourires sur les travées du groupe GEST.)

M. Philippe Tabarot, ministre. Je le sais bien, monsieur Fernique : je connais votre position !

Concernant l'année 2023, marquée par d'importants défis pour le secteur du fret, je souscris à votre analyse, monsieur le sénateur. Cependant, je note avec satisfaction une amélioration de la situation en 2024, avec 33,1 milliards de tonnes-kilomètre transportées et un rebond du fret ferroviaire de 12,1 % par rapport à 2023, soit un mouvement positif.

Notre but est clair : il faut maintenir cette dynamique ascendante au cours des dix prochaines années pour atteindre l'objectif qui avait été fixé au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.

Pour y parvenir, il est essentiel que le secteur se mobilise. La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, qui comprend soixante-douze mesures concrètes, est mise en place progressivement et avec une énergie indéniable.

Le rôle de l'État sera de sécuriser les financements dans le temps, notamment grâce à la conférence de financement qui nous réunira à partir du 5 mai prochain. La loi de finances 2025 prévoit également une enveloppe globale d'aide à l'exploitation des services de fret ferroviaire et de transport combiné de 370 millions d'euros, ce qui représente un arbitrage difficile dans le contexte que nous connaissons. Il est crucial que les régions continuent également à s'engager.

Enfin, et puisque vous réclamiez l'annonce de bonnes nouvelles, j'ai le plaisir de vous annoncer en exclusivité que le service d'autoroute ferroviaire entre Cherbourg et Mouguerre va démarrer dans les prochaines semaines, la Commission européenne venant de donner son accord. Il s'agit d'une excellente nouvelle pour le développement de ce secteur, sous l'égide d'un armateur privé.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Monsieur le ministre, la loi Climat et Résilience a fixé un objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire et fluvial dans le transport intérieur des marchandises d'ici à 2030. Cette disposition, introduite dans le texte par un amendement du rapporteur de la commission d'aménagement du territoire et du développement durable, un jeune sénateur prometteur nommé Philippe Tabarot (Sourires.), est essentielle pour assurer la décarbonation du secteur du transport de marchandises, responsable de 13 % des émissions de gaz à effet de serre françaises.

Depuis lors, le fret a fait face à une série de vents contraires : grève sur les retraites en 2023, crise de l'énergie et inflation, quasi-effondrement du tunnel de la Maurienne. L'année 2023 a ainsi été marquée par un report modal inversé au profit de la route, la part du fret ferroviaire tombant à 8,9 % contre 10 % en 2022.

La ligne de la Maurienne ayant enfin rouvert le 31 mars dernier, je forme le vœu que ces difficultés conjoncturelles sont désormais derrière nous. Monsieur le ministre, le trafic a-t-il retrouvé une trajectoire de croissance l'an passé ? Quelles sont les perspectives pour l'année 2025 ?

Il nous reste maintenant à nous attaquer à des enjeux structurels pour faire de l'objectif fixé par la loi Climat et Résilience une réalité. J'ai à l'esprit, en particulier, le vieillissement du réseau ferroviaire, qui entraîne un ralentissement des circulations et une pénurie de sillons, ainsi que les difficultés rencontrées par l'activité en wagon isolé.

Le plan Ulysse Fret, réalisé par l'État, SNCF Réseau et l'Alliance 4F – pour fret ferroviaire français du futur –, souligne qu'en raison de l'âge moyen élevé des lignes utilisées par le fret, il est urgent de mener des investissements sur le réseau afin d'éviter une baisse inéluctable du trafic. Il prévoit donc d'accélérer les investissements en faveur du fret ferroviaire, pour un total de 4,5 milliards d'euros entre 2023 et 2035, concernant notamment le renouvellement des voies de service fret, les équipements de tri à la gravité, indispensables pour le marché du wagon isolé, les terminaux du fret, les outils de développement du transport combiné et l'augmentation de la capacité du réseau ferroviaire en faveur du fret.

Quel devrait être l'impact de ces investissements sur le volume du trafic ? L'objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire est-il encore atteignable d'ici à 2030 ? Ces travaux pourraient-ils emporter des conséquences temporaires négatives sur le trafic ?

Plus largement, les travaux sur le réseau ont souvent lieu la nuit pour ne pas pénaliser excessivement la circulation des trains de voyageurs. Comment concilier la nécessité d'intervenir sur un réseau vieillissant et l'exigence de ne pas causer une interruption de trafic de forte ampleur, dont le fret est souvent la première victime ?

Par ailleurs, la circulation des trains de voyageurs génère des ressources liées aux péages ferroviaires, plus élevés que ceux des trains de fret. Dans un contexte de manque de moyens sur le réseau, le gestionnaire d'infrastructures n'est donc pas incité à développer le fret. Comment répondre à cette difficulté ?

Enfin, il est indispensable que les investissements programmés en faveur du fret soient effectivement réalisés. La conférence nationale de financement des transports prévoit à ce propos un atelier consacré au verdissement du transport de marchandises. Avez-vous déjà étudié de nouvelles sources de financement que vous envisageriez de soumettre aux acteurs de la conférence ?

Considérez-vous que l'écotaxe poids lourds, qui sera bientôt mise en œuvre en Alsace, pourrait être étendue à d'autres territoires et fléchée vers le financement des transports ? Vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, que certains poids lourds contournent les autoroutes en utilisant des voies inadaptées à leur transit, comme la RN 83, dans le Doubs, ce qui dégrade l'état de la route et est source de danger pour les usagers.

Développer le fret ferroviaire permettrait de diminuer le nombre de camions sur les routes.

M. le président. La parole est à M. le ministre.