M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Madame la ministre, ma question porte sur un enjeu de plus en plus central : comment concilier la montée en puissance de l'intelligence artificielle avec celle du réchauffement climatique ?
Nous assistons, depuis quelques mois, à une explosion de l'usage des intelligences artificielles génératives, notamment par le grand public. Qu'il s'agisse de création d'images, de textes ou de contenus divers, la production automatisée atteint des volumes impressionnants. Ainsi, vous n'avez pu manquer les créations numériques que sont les avatars personnalisés, appelés starter packs, dont plus de 750 millions d'exemplaires ont été générés à travers le monde.
Or chaque génération d'image ou de contenu, comme vous le savez, consomme de l'énergie, de l'eau, mobilise des ressources informatiques considérables et contribue, à son échelle, à l'empreinte carbone du numérique. Dans le cas précis d'un starter pack, cela équivaut à trois à cinq litres d'eau, sans compter l'électricité consommée pour charger les appareils connectés ou encore les ressources préalablement dépensées pour entraîner et perfectionner l'IA.
Cette frénésie d'usages pose une question : dans quelle mesure cette consommation est-elle soutenable à long terme, alors que notre société s'efforce de maîtriser sa consommation énergétique ? Il est donc important d'encourager des usages responsables et prioritaires de l'IA, en privilégiant son utilité concrète et en renforçant la sensibilisation aux bonnes pratiques.
Mais l'intelligence artificielle est aussi, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, un allié précieux dans la lutte contre le réchauffement climatique, en facilitant, par exemple, l'optimisation énergétique des bâtiments, la gestion intelligente des réseaux, la modélisation du changement climatique ou encore la détection des pollutions. Des applications vertueuses de l'IA peuvent bien évidemment être trouvées et développées.
Ce constat se retrouve dans le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) intitulé Impacts de l'intelligence artificielle : risques et opportunités pour l'environnement, dans le manifeste des intercommunalités de France sur l'IA, dans les axes stratégiques définis par le Mouvement des entreprises de France (Medef) pour le développement de l'intelligence artificielle ainsi qu'au cœur des sept principes de l'IA de confiance établis par le Conseil d'État dans un rapport paru en 2022.
Madame la ministre, quelles actions le Gouvernement prévoit-il pour promouvoir une utilisation utile et responsable de l'IA et en faire un outil au service de la transition écologique ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur, la deuxième sur ce sujet, dont nous voyons l'importance qu'il revêt pour nos concitoyens, dont vous vous faires le relais. C'est une bonne chose, car cela illustre ce que nous entendons par une IA à la française, une IA durable. J'y reviendrai dans un instant.
Cela étant, je souhaiterais que nous prenions un peu de recul, même si cette question fondamentale doit nous occuper. Aujourd'hui, l'intelligence artificielle ne représente que 0,1 % de la consommation énergétique. Ainsi, quand des astronautes, par exemple, refusent de créer un starter pack parce que cela utilise de l'énergie, je les invite à s'interroger sur la consommation d'un vol en fusée…
Cela étant dit, il faut prendre conscience des usages de l'intelligence artificielle. Le risque le plus important, c'est que la population n'ose pas utiliser l'IA et freine son adoption, alors que nous voyons bien à quel point cette technologie va transformer tous les métiers, notre façon d'apprendre, notre façon d'interagir, d'échanger.
Dans ce contexte, nous devons faire de l'écologie notre alliée, ce qui est possible en France, car nous avons une énergie bas-carbone parmi les plus compétitives au monde. La réponse française à ce défi est donc par nature plus écologique, et l'écologie devient alors une amie de l'économie de l'IA dans la mesure où un plus petit modèle est aussi plus économique.
Tout le monde a donc à y gagner si nous investissons non seulement dans un entraînement des IA en France, avec notre énergie décarbonée, mais aussi dans le sens de plus petits modèles, qui susciteront un meilleur retour sur investissement pour les entreprises. Ce processus est réellement gagnant-gagnant.
En outre, comme vous l'avez très justement dit, monsieur le sénateur, l'IA peut nous permettre d'accélérer dans notre réponse à des défis fondamentaux de la transition écologique. J'ai ainsi rencontré des chercheurs qui ont gagné plusieurs années dans leur projet de développement de matériaux remplaçant le plastique. Voilà aussi ce que permet l'IA.
Nous devons donc trouver le juste équilibre. La prise de conscience, c'est très bien, c'est formidable, c'est ce qui fait que nous sommes très fiers d'être européens, mais nous voulons aussi répondre à ces défis sans freiner l'adoption de l'IA et, surtout, en accélérant la recherche de solutions.
M. le président. La parole est à M. David Ros.
M. David Ros. Madame la ministre, nous sommes tous convaincus que le sujet dont nous débattons ce soir, organisé à la demande de l'Opecst, dont je salue le président, Stéphane Piednoir, ç savoir les enjeux de l'intelligence artificielle, est essentiel pour l'avenir de notre pays, et ce à de nombreux égards.
Comme l'a rappelé M.Piednoir, le rapport de nos collègues Corinne Narassiguin et Patrick Chaize avait déjà soulevé de nombreuses questions.
Ma collègue Sylvie Robert vous a interpellée, madame la ministre, sur les problématiques relatives aux droits d'auteur, qui inquiètent le monde culturel. Mon collègue Adel Ziane vous questionnera quant à lui sur les enjeux de souveraineté.
Je souhaitais, pour ma part, évoquer la formation et la recherche. Lors des questions d'actualité au Gouvernement du 12 février dernier, j'ai interrogé Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur le déploiement de l'IA dans le système éducatif français.
Pourriez-vous nous faire part, madame la ministre, du bilan des expérimentations en cours depuis la rentrée scolaire et des intentions ou directives opérationnelles pour la rentrée 2026 ? La création et l'usage de logiciels d'apprentissage développés et contrôlés par les autorités françaises me semblent primordiaux afin d'assurer une formation adaptée conforme à notre volonté d'assurer, à terme, une souveraineté nationale.
De plus, madame la ministre, d'autres projets sont-ils susceptibles d'être mis en œuvre, que ce soit pendant le temps scolaire ou hors du temps scolaire ?
De manière plus générale, ne serait-il pas essentiel de favoriser l'émergence de pôles de formation, de recherche et de développement, en particulier à proximité et en relation avec des centres de données numériques, afin de favoriser pleinement une souveraineté numérique pour les générations à venir ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question sur l'éducation, qui est, comme je l'ai dit précédemment, absolument fondamentale si l'on veut favoriser l'accessibilité de l'intelligence artificielle, éviter une fracture numérique et, surtout, former l'esprit critique de nos jeunes sur l'utilisation de cette technologie.
Voilà deux ans, l'éducation nationale a lancé un appel à manifestation d'intérêt pour les outils d'intelligence artificielle destinés aux jeunes, qui a permis de rassembler un certain nombre de solutions. C'est par exemple le cas de l'entreprise Nolej, que j'ai eu la chance de visiter. Celle-ci a d'ailleurs été élue meilleure start-up mondiale dans le domaine des technologies éducatives (EdTech), parmi plus de 7 000 candidats. Ses outils permettent de transformer les supports de cours pour les rendre plus ludiques, suscitant ainsi un intérêt accru de la part des élèves.
Nous avons recensé toutes ces solutions et Mme la ministre Élisabeth Borne a fait le bilan des premiers usages, jugé très positif. C'est pourquoi le ministère lancera à l'été prochain, sur le même modèle, un appel à manifestation d'intérêt pour les professeurs, afin de recenser les meilleures solutions pour outiller ces derniers avec l'intelligence artificielle afin de les aider à adapter leurs cours et leurs méthodes pédagogiques. L'objectif est d'être prêts dès la rentrée 2025, comme cela a été annoncé par Mme la ministre Élisabeth Borne, pour que les élèves de quatrième et de seconde aient accès à des cours sur l'intelligence artificielle.
M. le président. La parole est à M. David Ros, pour la réplique.
M. David Ros. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Celle-ci reprend un grand nombre des préoccupations qui sont au cœur d'une proposition de loi que j'ai déposée. J'espère que nous aurons l'occasion, dans cet hémicycle, d'approfondir ces sujets et, à terme, d'assurer à notre pays une souveraineté numérique, une véritable IA et une indépendance assumée.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Madame la ministre, sauf à courir le risque de dégâts potentiellement irréversibles, des décisions sur l'IA générative s'imposent à très court terme, avant même l'entrée en vigueur du règlement européen sur ce sujet.
Je pense tout d'abord aux risques pour la démocratie et la confiance des rapports sociaux. Des images produites par IA, sont diffusées et reprises des milliers, voire des millions de fois sur les réseaux sociaux, le plus souvent depuis des comptes anonymes, dans un but de manipulation des esprits. Quantité de faux documents circulent aussi, avec une explosion des tromperies, par exemple à l'embauche, avec de faux diplômes et de fausses preuves d'expérience, ainsi qu'une fraude massive aux assurances, avec des sinistres fictifs.
L'article 50 de l'AI Act imposera aux fournisseurs de système d'IA que les productions soient « marquées dans un format lisible par machine et identifiables comme ayant été générées ou manipulées par une IA ». Certes, mais identifiables par qui ?
Madame la ministre, il est impératif que les fournisseurs d'IA et les modèles d'IA à usage général apposent systématiquement, j'y insiste, un marquage général dans un coin de l'image ou du document. Il convient, en outre, que ce logo soit immédiatement visible par des yeux humains et non pas seulement par des machines.
Le plus tôt possible, plateformes et réseaux sociaux devront également se mettre en situation de détecter et d'afficher comme telles les publications issues de l'IA. Linkedin a récemment annoncé vouloir s'engager dans cette voie : il convient de tous les encourager à faire de même.
Un autre risque majeur concerne la santé, avec la diffusion très rapide d'outils d'IA extra-européens permettant d'effectuer la synthèse de consultations médicales et de produire un récapitulatif du dossier médical. Or ceux-ci ne respectent aucunement l'obligation d'un contrôle humain régulier par un professionnel de santé français. Ils peuvent permettre une exfiltration rapide de nos données de santé hors d'Europe et induire la perte de contrôle sur l'avenir de notre système de santé.
Sur ce sujet également, quelles décisions comptez-vous prendre, madame la ministre, sans attendre l'entrée en vigueur de toutes les dispositions du règlement sur l'IA, pour faire respecter de strictes conditions de souveraineté et de contrôle humain ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Votre première question, madame la sénatrice, concerne la transparence.
Vous avez raison, nous avons décidé, en tant qu'Européens, avec l'article 50 du règlement sur l'intelligence artificielle, d'exiger des obligations de transparence des contenus générés par l'IA.
À l'époque, la France avait activement soutenu l'inclusion de ces mesures dans l'article 50 ; aujourd'hui, nous suivons avec attention l'élaboration des lignes directrices dudit article. Lors de la rédaction du règlement sur l'intelligence artificielle, les solutions techniques de marquage n'étaient pas encore complètement définies. Il a donc fallu se laisser la liberté de faire évoluer la réglementation au même rythme que la technologie.
Nous avons ainsi fait le choix, en Europe, de nous doter d'un cadre réglementaire dès le début de la diffusion massive de cette innovation. Il faut donc que ce cadre soit adapté. J'ai observé la mise en œuvre d'un certain nombre de solutions, notamment aux États-Unis, à l'instar de celle qui est en cours de développement par Adobe.
Dans le cadre de ces lignes directrices, la mise en application de cette obligation prévue par l'article 50 est absolument fondamentale pour susciter la confiance autour de l'utilisation de cette technologie. À mon sens, le marquage fera bientôt l'objet d'une définition. Cependant, cela ne suffira pas : il faut aussi que nous nous dotions de capacités de détection et d'anticipation.
C'est ce que nous faisons avec le pôle d'expertise de la régulation numérique (PEReN), rattaché à trois ministères, qui est un appui à la régulation du numérique. Celui-ci nous permet, au moyen d'expertises techniques développées par l'État, de créer des modèles de détection. J'ai pu constater l'état d'avancement de ses travaux, qui seront absolument fondamentaux pour étayer la définition du marquage et la détection, et donc créer cette confiance.
Quant à la question de la santé, elle est liée au règlement général sur la protection des données (RGPD), au-delà même du règlement sur l'intelligence artificielle et de la protection des données personnelles. Avec les services du ministère de la santé, je m'efforcerai de vous apporter des réponses plus précises, madame la sénatrice. Il reste que, selon le RGPD, les cas que vous avez mentionnés ne sont pas autorisés. Nous y serons donc vigilants.
Dans les processus d'innovation, on trouve toujours des entreprises qui mordent sur la ligne. Cependant, notre réglementation sur la protection des données et sur l'intelligence artificielle est très claire et elle sera respectée.
M. le président. La parole est à M. Adel Ziane.
M. Adel Ziane. Madame la ministre, les promesses, tout comme les risques, de l'intelligence artificielle sont immenses. Pour ma part, je souhaite vous alerter sur le danger de notre décrochage technologique.
Dans la course mondiale à l'intelligence artificielle, la France et l'Europe prennent du retard. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Conseil national du numérique, dont le président, Gilles Babinet, mentionne un « déclassement » en cours « absolument certain ».
Face aux colosses américains, comme OpenAI, Microsoft et Google, ainsi qu'aux ambitions fortes de la Chine, notre continent n'a, à l'heure actuelle, ni la puissance de frappe financière ni la stratégie industrielle cohérente nécessaires pour peser. J'en veux pour preuve, par exemple, l'avance américaine et l'annonce du projet Stargate par la Maison-Blanche, doté de 500 milliards de dollars, qui devrait nous alerter.
Pourtant, en France, notre recherche publique continue de manquer de moyens et de nombreux talents, malgré tout, partent faire carrière dans les laboratoires de la Silicon Valley.
Alors certes, madame la ministre, les 109 milliards d'euros d'investissements annoncés en France sont à saluer, mais ce plan reste fragmenté et sans vision européenne coordonnée face aux empires industriels américains et chinois.
Il convient de souligner le fait que l'Europe a mis en place un cadre de régulation. Mais celui-ci doit maintenant s'accompagner d'une véritable ambition industrielle. À défaut, nous resterons les consommateurs des technologies des autres.
Nous ne sommes qu'au commencement d'une révolution technologique comparable à celle de l'électricité ou d'internet et l'IA est amenée à bouleverser notre économie, notre manière de produire, de soigner, d'apprendre. C'est donc avant tout, j'y insiste, un enjeu de souveraineté, de démocratie, de civilisation.
Si une IA souveraine peut poser des défis – éthiques, politiques, environnementaux – qui ont été précédemment évoqués, elle reste toutefois à portée de débat démocratique, de régulation publique et de contrôle citoyen. À l'inverse, une IA conçue ailleurs – nous le voyons avec les Gafam –, selon d'autres intérêts, s'impose à nous.
De fait, notre dépendance technologique annonce non pas un simple retard, mais une dépossession politique, au sujet de laquelle je voulais vous alerter. Dès lors, madame la ministre, quelle stratégie de rupture la France, avec ses partenaires européens, compte-t-elle adopter pour sortir de cette dépendance ? En somme, à quand un véritable Airbus de l'intelligence artificielle, capable de structurer une ambition collective, souveraine et durable ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie d'avoir posé cette question. Voilà un moment déjà que nous débattons et la question de la compétitivité, et finalement celle de l'enjeu de cette course à l'intelligence artificielle, n'avait pas encore été évoquée.
Or c'est bien ce point qui doit nous occuper avant tout, car toutes les autres questions auxquelles nous avons tenté de répondre jusqu'ici en dépendent.
En effet, une réponse européenne est seule à même d'aboutir à une IA fidèle à nos valeurs, une IA plus frugale, une IA à disposition des jeunes, pour leur éducation.
En revanche, et là nos avis divergent quelque peu, je ne pense pas que nous soyons dans une situation de décrochage : en témoignent les différents index qui nous placent en troisième ou en quatrième position à l'échelle mondiale.
À cet égard, le projet américain Stargate, d'un montant de 500 milliards d'euros, est certes très significatif. Mais le projet de 109 milliards d'euros que nous avons annoncé lors du sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle est du même ordre de grandeur si on le rapporte à la population française. Ainsi, la France n'a pas à rougir de ses investissements en matière d'infrastructures, qui constituent l'un des piliers de la stratégie de développement de l'intelligence artificielle.
Je l'ai dit tout à l'heure, la recherche est l'un de nos atouts les plus fondamentaux. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de réinvestir dans ce domaine. Nous avons ainsi déployé neuf clusters d'IA sur l'ensemble du territoire, pour un montant de 360 millions d'euros. Ils sont destinés à former 100 000 personnes par an d'ici à 2030.
Nous ferons toujours de la recherche une priorité de notre action.
Par ailleurs, vous regrettez le manque de coordination de la réponse à l'échelle européenne. Là encore, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vos propos : le sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle a été justement l'occasion pour l'Europe de réaffirmer sa stratégie InvestEU, d'un montant de 200 milliards d'euros. Elle sera déployée sur toute la chaîne de valeur, des gigafactories à la diffusion de l'IA dans l'industrie.
En outre, il y a deux semaines, l'Union européenne a dévoilé le plan AI Continent, dans le cadre duquel un certain nombre d'acteurs seront consultés pour renforcer la coordination à l'échelon européen sur les gigaprojets.
Bref, il ne s'agit pas que de régulation : il y a des moyens, une vision et une ambition d'innovation.
M. le président. La parole est à M. Christian Bruyen.
M. Christian Bruyen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'intelligence artificielle alimente des angoisses irrationnelles, autant que des attentes démesurées. Cette technologie nous semble à la fois omniprésente et insaisissable, alors que sa diffusion n'est encore que très relative.
L'intelligence artificielle est un phénomène d'une telle puissance qu'il nécessite de se préoccuper au plus vite de la formation de l'esprit critique de ses utilisateurs. Plus et mieux on comprendra le fonctionnement de ces solutions, moins on les subira.
À l'évidence, cette sensibilisation doit débuter à l'école, au collège, au lycée. C'est pourquoi mon propos porte sur l'enseignement scolaire. Nous ne pouvons que nous réjouir de la volonté du Gouvernement de définir une stratégie ambitieuse pour l'IA dans l'éducation. Pouvez-vous, madame la ministre, nous exposer quelques priorités de cette stratégie, voire nous indiquer des échéances prévisionnelles ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, j'ai eu l'occasion de rappeler que, lors du comité interministériel relatif à l'intelligence artificielle, présidé par le Premier ministre, chaque ministère s'est engagé dans une démarche de diffusion de l'IA à destination de ses propres services.
La ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, Élisabeth Borne, a dévoilé ses grandes orientations : je la laisserai donc échanger plus en détail avec vous sur cette question. Sachez néanmoins que de grandes décisions ont déjà été prises. Cela fait maintenant deux ans que nous menons des expérimentations en matière d'intelligence artificielle, dans l'espoir que la personnalisation puisse être renforcée dans la démarche d'éducation.
À cet égard, l'AMI dont nous avons parlé tout à l'heure a permis de recenser un certain nombre de solutions. Nous devrons les mettre en œuvre dès cet été, à destination des professeurs, afin qu'ils ne soient pas en difficulté dans l'utilisation de l'IA, contrairement aux élèves.
La semaine dernière, je me suis rendue dans un lycée de Quimper qui prépare au baccalauréat professionnel en matière de service et de restauration. J'ai pu constater, lors de ma visite, qu'un professeur était beaucoup plus en retrait que les autres dans l'utilisation de l'intelligence artificielle. Nous voulons précisément remédier à ce genre de difficulté et mettre les outils d'IA entre les mains de tous les professeurs.
Du reste, nous devons réfléchir à la manière dont l'intelligence artificielle, au-delà de l'éducation nationale, peut être présente dans toutes les formations, notamment dans l'enseignement supérieur. C'est un sujet sur lequel mon collègue Philippe Baptiste travaille actuellement.
M. le président. La parole est à M. Christian Bruyen, pour la réplique.
M. Christian Bruyen. Comme vous, le ministère de l'éducation nationale évoque à juste titre l'indispensable préservation de la notion de souveraineté. Il est en outre primordial d'appliquer les principes de précaution, plus encore pour ce qui touche à la jeunesse. Cependant, il convient de ne pas mettre en place toute une série de garde-fous qui seraient pour beaucoup illusoires et viendraient scléroser le développement de l'IA et de ses applications.
Dans la présentation de sa stratégie en matière d'intelligence artificielle, la ministre de l'éducation nationale a évoqué des outils à même d'aider les enseignants dans leurs pratiques pédagogiques. C'est une bonne chose, mais de nombreux outils de qualité existent déjà et sont d'ailleurs promus par le ministère de l'éducation nationale lui-même. Malheureusement, ils demeurent sous-exploités.
À mon sens, il est surtout nécessaire d'accompagner le corps enseignant pour assurer une véritable appropriation de ces outils. Disons-le, les usages de l'IA dans le système éducatif sont parfois trop normés pour offrir des possibilités de pédagogie différenciée adaptée aux capacités de l'apprenant.
C'est bien dommage, car c'est d'abord en valorisant mieux l'IA auprès des personnels enseignants que l'éducation nationale favorisera l'émergence d'une vraie culture citoyenne autour de ce phénomène. C'est cela qui est fondamental.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Vous avez tout à fait raison, cette démarche est importante. Elle doit aussi permettre de soutenir le secteur EdTech avec des solutions très performantes – l'une d'entre elles a remporté un grand prix international, comme je l'ai rappelé tout à l'heure – et de mettre celles-ci entre les mains des enseignants et des élèves. C'est bien l'objet de la stratégie que le Gouvernement s'emploie à décliner.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc.
M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur les liens entre l'IA et l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), lequel nous occupe beaucoup dans cet hémicycle. D'ailleurs, il faudra s'interroger un jour sur le rapport entre l'IA et les sols vivants, afin d'avoir une meilleure connaissance de notre sol et de notre sous-sol.
Dans le cadre de l'analyse de masse des données photosatellitaires compilées pour nourrir l'outil occupation du sol à grande échelle (OCS GE), l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) a recours à l'intelligence artificielle.
Or, à l'heure actuelle, les performances de cet outil semblent encore largement perfectibles. En effet, l'IA bute sur certaines interprétations des données, qui dépendent de la qualité des intrants numériques. Cela nécessite forcément des contrôles et des vérifications par des opérateurs humains.
Il est possible de signaler directement des erreurs d'interprétation dans une logique de participation et d'amélioration de la qualité de la donnée. Je m'éloigne un peu de ma question pour alerter le Gouvernement sur les conflits entre l'État et les collectivités concernant les surfaces qui ont été réellement artificialisées. Force est de constater que nous n'avons pas les mêmes chiffres. La gouvernance et le partage de la donnée sont une question essentielle.
Quelles sont les perspectives d'amélioration de l'utilisation de l'intelligence artificielle par l'IGN ? Cette question vaut aussi pour le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).
Quel gain peut-on espérer en mettant à jour les millésimes des séries de données ? Par ailleurs, comment s'assurer de leur fiabilité ? Un référentiel partagé avec d'autres pays pour mener des analyses comparatives intéressantes sur le rythme et la géographie de l'artificialisation des sols pourrait être une solution. Le Gouvernement l'a-t-il envisagée ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur. Vos propos illustrent à quel point l'IA peut apporter des solutions aux enjeux écologiques. En effet, en raison de sa puissance, elle peut nous aider à modéliser et à comprendre ceux-ci et ainsi nous permettre de répondre aux interrogations soulevées.
L'IGN a engagé un travail important sur cette question. Il est à la pointe de l'utilisation de l'IA et développe un certain nombre de solutions. Malgré les limites, il manifeste toujours la volonté d'aller plus loin.
Dans le cadre du plan France 2030, les « jumeaux numériques » doivent nous permettre de regarder plus précisément si l'IGN peut bénéficier d'un appui pour avancer plus vite et être encore plus performant en la matière. Des cas d'usage peuvent nous aider à résoudre plusieurs questions importantes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour la réplique.
M. Jean-Baptiste Blanc. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais j'appelle votre attention sur la question de la gouvernance. Les élus ne doivent pas avoir l'impression qu'une décision leur est imposée d'en haut. Le problème en matière de ZAN est que la planification est mal vécue. Voilà pourquoi nous devons agir ensemble !