M. Bernard Fialaire. Je compte sur votre vigilance, madame la ministre : nous ne pouvons laisser l'éducation nationale séquestrer les données d'évaluation. Celles-ci doivent pouvoir être utilisées. Leur réalisation pose d'ailleurs souvent des problèmes aux enseignants. Elles font l'objet de nombreuses discussions.

Une fois qu'elles ont été collectées, elles ne servent à rien et rien n'en sort. Elles constituent pourtant, j'y insiste, un réservoir extrêmement important de données pour nos entreprises, qui sont assez performantes dans ce domaine, même au niveau mondial. Celles-ci pourraient créer des outils qui aideraient nos élèves de culture française à faire des études en intelligence artificielle.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Je suis d'accord avec vous.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, étant donné les possibilités qu'offre l'intelligence artificielle, le risque est de voir se constituer dans ce domaine une nouvelle hégémonie des grandes entreprises technologiques, les big tech, comme cela s'est produit pour le cloud, ce qui accroîtrait un peu plus encore, de manière dangereuse, nos dépendances.

J'ai deux questions.

Lors du sommet sur l'intelligence artificielle, le Président de la République a annoncé un investissement de 109 milliards d'euros. Comment ce plan se déclinera-t-il concrètement ?

Allons-nous tirer les leçons du passé et admettre que les précédents plans n'ont pas permis de faire émerger un seul acteur de dimension internationale en France ? Je rappelle ainsi que 80 % des technologies que nous utilisons sont américaines et que les deux seules licornes françaises sont majoritairement financées par les Américains.

Ensuite, je vous ai déjà interpellée, madame la ministre, ici même, il y a quelques semaines, au sujet du règlement européen sur l'IA, mais vous n'avez pas répondu à mes questions qui portaient sur les dernières négociations du code de bonnes pratiques.

Plusieurs acteurs expriment leur colère face au poids disproportionné des big tech dans le processus de rédaction. L'organisation Reporters sans frontières s'est d'ailleurs retirée des négociations puisque les enjeux informationnels ont été évacués des discussions. Les acteurs de la culture, soutenus par Rachida Dati, demandent eux aussi plus de garanties pour le respect des droits d'auteur et droits voisins. Quelle est votre position en la matière, madame la ministre ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, votre première question concerne la souveraineté numérique. C'est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Ses enjeux dépassent la problématique de l'intelligence artificielle.

Je commencerai toutefois par répondre à votre seconde question sur le plan d'investissements. Les 109 milliards d'euros d'investissement annoncés lors du sommet pour l'action sur l'IA correspondent à des investissements en infrastructures. Ils seront réalisés par des consortiums de financeurs internationaux et nationaux.

Nous sommes actuellement dans une phase de suivi de ces projets ; nous veillons à mettre en relation les entreprises de data centers françaises et européennes, afin qu'elles puissent créer des consortiums pour financer ces projets et construire une offre ) même de répondre aux enjeux de souveraineté.

Comme vous le savez, la question des data centers et de l'hébergement des données est cruciale. Notre objectif est de disposer d'une offre de cloud qui réponde à un très fort niveau de sécurité, grâce à la certification SecNumCloud.

Nous cherchons à attirer les moyens pour créer les infrastructures nécessaires et à soutenir, dans le même temps, grâce à l'action de la puissance publique, la montée en puissance des acteurs européens, et notamment français, du cloud, afin de les accompagner dans le développement de toutes les fonctionnalités dont nous avons besoin. C'est pourquoi j'ai lancé, la semaine dernière, un appel à projets de plusieurs dizaines de millions d'euros sur cette question.

Quant au règlement européen sur l'intelligence européenne, les négociations sont en cours. Les positions, vous l'avez indiqué, sont divergentes. La Commission européenne n'a pas rendu les derniers arbitrages.

J'estime que le règlement sur l'intelligence artificielle, le code of practice et le modèle de transparence doivent rester fidèles à ce qui a été négocié : ils doivent encadrer les usages de l'IA et garantir la transparence, notamment en cas d'usages à hauts risques.

Vous avez mentionné les big tech. Nous devons aussi nous assurer que les intérêts des petits acteurs soient bien pris en compte. L'équilibre est parfois difficile à trouver. Je rencontre très régulièrement ces petits acteurs dans mon ministère pour échanger avec eux sur leurs besoins et sur l'évolution des négociations relatives au règlement pour l'intelligence artificielle. Il faut que leur voix soit entendue, j'y serai particulièrement vigilante, et non pas seulement celle des gros acteurs, qui ont une capacité de lobbying importante à Bruxelles.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, il est indispensable d'investir massivement. Pour cela, la France doit mener une action concertée et volontariste avec d'autres États membres de l'Union européenne.

Il faut absolument revoir le plan France 2030 et construire une stratégie offensive et partagée de soutien à la formation, à la recherche et à nos entreprises, grâce à des programmes transversaux dont le financement est assuré – de tels programmes font défaut actuellement –, et grâce à des mécanismes innovants.

Les entreprises françaises et européennes doivent enfin pouvoir compter sur le levier de la commande publique. L'action de l'État en tant que prescripteur de technologies a été, je suis désolée de le dire, nulle et choquante. Encore récemment, le ministère de l'enseignement supérieur a conclu un partenariat avec Microsoft, au mépris des dispositions contenues dans la loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (Sren). Nous exigeons que désormais cela change.

En ce qui concerne les négociations sur la dernière mouture du règlement sur l'intelligence artificielle, nous vous demandons instamment, madame la ministre, de plaider pour que les enjeux informationnels et les risques systémiques spécifiques soient pris en compte. Il convient aussi d'affirmer le droit à une information fiable et non trafiquée.

Nous exigeons également l'arrêt du pillage des données des journalistes et des créateurs, ainsi que la stricte application des règles relatives aux droits d'auteur et aux droits voisins. Madame la ministre, nous comptons vraiment sur vous !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Je tiens à vous rassurer, madame la sénatrice : je veillerai à ce que l'on respecte le droit d'auteur. Nous avons lancé, avec ma collègue Rachida Dati, une concertation sur le sujet, afin de trouver les moyens de valoriser la richesse de notre patrimoine culturel à l'heure de l'intelligence artificielle. Je serai bien sûr très attentive sur ces sujets.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Merci, madame la ministre, pour votre réponse.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Je reprendrai une partie des questions de ma collègue Catherine Morin-Desailly.

Nous avons déjà évoqué, madame la ministre, la question de la protection des droits d'auteur lors du débat que nous avons eu, dans cet hémicycle, le 10 avril dernier, sur la régulation des plateformes en ligne.

Vous nous aviez dit alors, et nous sommes tout à fait d'accord sur ce point, qu'il fallait défendre à la fois les droits d'auteur, notre patrimoine et notre capacité à innover. Tout le monde en convient, la réglementation ne doit pas être prohibitive. De toute façon, une telle réglementation ne pourrait pas être appliquée.

Vous m'aviez aussi répondu à l'époque que « nous ne sommes pas face à une question de transparence » et que « l'enjeu est bel et bien le modèle d'affaires ».

Je ne partage pas ce point de vue. Je pense au contraire que la transparence constitue un enjeu fondamental. Il faut que les auteurs qui produisent des données sachent que celles-ci ont été largement réutilisées par les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft –, car nous parlons bien de ces entreprises, sans aucune rémunération.

Comme ma collègue Catherine Morin-Desailly l'a souligné, on assiste à un pillage systématique, structurel et général des données, qui est encouragé actuellement par l'administration américaine. Il faut cesser de faire preuve d'irénisme à ce sujet. Nous devons absolument intervenir.

Ce matin, comme vous le savez, madame la ministre – je vous avais d'ailleurs alerté sur ce point le 10 avril – une agence américaine a envoyé un courrier à la Commission européenne pour lui faire savoir qu'elle estimait que le code de bonne conduite, qui est en cours de rédaction, n'était pas satisfaisant et pour lui signifier que les États-Unis, c'est-à-dire l'administration de Trump, ne l'accepteraient pas.

Je crains donc que nous ne reculions sur la protection du droit d'auteur, alors même que la directive est très peu contraignante, les plateformes n'étant tenues qu'à réaliser des efforts suffisants pour respecter le droit d'auteur.

Que comptez-vous faire, madame la ministre, pour protéger le droit d'auteur ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me reposer cette question.

Vous le savez, je suis très attachée au droit d'auteur. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de le rappeler lors de nos précédents débats. C'est pourquoi nous avons lancé, avec ma collègue Rachida Dati, la concertation que j'ai évoquée.

Le droit à l'opt-out doit être respecté. Lors de la concertation, nous devrons aussi nous interroger sur la transparence en ce qui concerne les données d'entraînement. Il est important, comme je l'ai indiqué le 10 avril, de trouver le bon équilibre dans le modèle d'affaires et de parvenir à une solution gagnant-gagnant pour les auteurs comme pour les innovateurs.

Au-delà de la question de la transparence, qui fait l'objet de discussions actuellement au sein de l'Union européenne, nous devons aller plus loin et réfléchir ensemble au modèle de rémunération.

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. Je me réjouis de l'organisation de ce débat sur l'intelligence artificielle. Il s'agit d'un sujet éminemment d'actualité.

Le développement rapide, pour ne pas dire exponentiel, de l'IA constitue en effet une révolution. Si la France ne veut pas manquer ce tournant technologique, l'heure est, comme vous l'avez dit, à la décision.

À cette fin, j'en appelle, au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, au pragmatisme et à l'humilité.

Au pragmatisme, tout d'abord : face à des puissances mondiales tentées par une dérégulation sans limites, nous devons au contraire défendre, avec nos partenaires européens, un modèle régulé, souverain, transparent et respectueux des droits fondamentaux.

À l'humilité, ensuite, parce que le développement illimité de l'IA dans toutes les dimensions de nos vies n'est pas compatible avec notre capacité de production électrique actuelle ni, plus généralement, avec les limites planétaires. Qu'il s'agisse de la consommation d'électricité, d'eau ou de terres rares, l'IA a un coût écologique colossal.

Notre collègue Stéphane Piednoir a évoqué, dans son introduction, différents enjeux. En complément, j'indique que le secteur des data centers, peu pourvoyeur d'emplois, devrait voir sa consommation d'électricité doubler d'ici à 2030. Il conviendra donc de faire des choix.

Aussi, madame la ministre, quelles priorités comptez-vous définir pour faire face aux risques, réels, de saturation du réseau électrique, alors que les besoins pour assurer la transition énergétique vers les énergies décarbonées sont en augmentation croissante ?

Quelle stratégie l'État compte-t-il adopter pour éviter les effets d'éviction, en raison du manque de disponibilité d'électricité, sur le développement d'autres activités économiques et sociales plus pourvoyeuses d'emplois, telles que l'industrie ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Je vous remercie pour cette question, madame la sénatrice. Vous avez raison : à l'heure de l'intelligence artificielle, la consommation énergétique des centres de données pourrait doubler d'ici à 2026. Nous devons donc nous interroger sur la stratégie à adopter à cet égard.

Notre priorité est d'attirer les acteurs de l'intelligence artificielle en France et de leur donner la capacité d'entraîner leurs modèles sur notre territoire, car nous avons accès à une énergie décarbonée, ce qui est très important lorsque l'on connaît la consommation de ces modèles.

Nous devons aussi accélérer et intensifier la recherche sur la frugalité des modèles. La recherche sur ce point ne fait que commencer.

C'est pourquoi nous avons souhaité créer, lors du sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle, une coalition mondiale pour une IA durable. Il s'agit d'embarquer tous les acteurs et de mettre les moyens pour faire avancer la recherche sur ce point, pour développer des modèles plus petits, pour que les data centers consomment moins d'énergie et moins d'eau.

J'ai visité, par exemple, les installations d'OVH la semaine dernière. Cette société a mis au point un système unique au monde de circulation de l'eau en circuit fermé pour refroidir les data centers. Bien des recherches restent à mener pour parvenir à réduire et à maîtriser la consommation d'eau et d'énergie des data centers et de l'intelligence artificielle.

Le ministère de la transition écologique a d'ailleurs lancé, en lien avec l'Agence française de normalisation (Afnor), une réflexion pour définir ce que peut être une IA frugale sur toute la chaîne de valeur. Un appel à projets de 40 millions d'euros a ainsi été lancé pour favoriser l'adoption de technologies adaptées par les collectivités.

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour la réplique.

Mme Ghislaine Senée. En effet, un travail de recherche considérable sur la frugalité peut être réalisé. Cependant, il faudra faire des choix.

Vous avez évoqué, dans votre propos liminaire, les usages d'intérêt général de l'IA. Mais les usages que l'on voit fleurir sur internet sont-ils vraiment indispensables ? Je pense, par exemple, à la création d'œuvres à la façon de Miyazaki, à l'animation de photos d'êtres disparus ou encore au choix de sa meilleure coiffure par le biais de l'IA. Ces applications consomment énormément de place dans les data centers. Il faudra réguler les cas d'usage.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. L'intelligence artificielle est à l'origine, aujourd'hui, de 0,1 % de la consommation énergétique.

Même s'il faut en comprendre les usages, les maîtriser et investir dans la recherche, cette technologie est foisonnante et son utilisation partagée entre de nombreux acteurs. Ainsi, son développement prendra des formes multiples, avec des retours sur investissement variables en matière de consommation d'énergie. Cela étant, laisser chacun, avec ses propres usages, s'approprier cette innovation fait partie du cycle technologique. C'est même fondamental pour en accélérer l'adoption.

J'en viens à la question de la sensibilisation, de la compréhension. En France, les médias, les parlementaires, accomplissent un très bon travail, consistant à mettre le doigt sur les enjeux écologiques. Or, en matière d'éducation, apprendre à maîtriser cette technologie, à mieux « prompter », c'est-à-dire à formuler de meilleures requêtes, c'est aussi s'assurer d'avoir des réponses plus efficaces, donc de dépenser moins d'énergie. Tout concorde pour accélérer en ce sens.

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. C'est la création de besoins qui m'inquiète. Je ne doute pas que nous trouverons des solutions permettant d'utiliser moins d'énergie et de concentrer au maximum les données. Cependant, des jeunes, formés à divers usages, sont poussés, au travers d'internet, sur TikTok, à jouer et à créer de nouveaux besoins. Or je crains que le courage politique ne suffise pas à mettre fin à ces nouveaux divertissements.

Il convient donc de prendre des décisions dans le sens de la régulation. Sans cela, l'outil deviendra complètement ingérable. Nous n'aurons alors plus que nos yeux pour pleurer une fois que nous aurons détruit toutes les ressources de ce monde.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Madame la ministre, en se dotant d'un règlement sur l'intelligence artificielle, l'Union européenne, par son approche équilibrée, a été pionnière. L'objectif est bien évidemment que l'IA respecte les principes et droits fondamentaux qui fondent l'Union.

Parmi les dispositions dudit règlement, les obligations en matière de transparence – j'y reviens – s'avèrent absolument essentielles. Or, concrètement, comme l'ont dit nos collègues Morin-Desailly et Ouzoulias, cette transparence est loin d'être toujours effective, en particulier, dans le domaine culturel. Elle y est même particulièrement lacunaire, au point de porter préjudice à un principe auquel la France est séculairement attachée : celui du droit d'auteur.

Le code de bonnes pratiques a été évoqué. Sa dernière version, publiée au mois d'avril, a braqué les ayants droit, qui estiment à juste titre qu'elle constitue un véritable recul par rapport aux précédentes moutures. Leur dépit est tel qu'ils songent à claquer la porte des discussions, préférant l'absence d'accord à u mauvais accord.

Comme nous le savons, sur le droit d'auteur, la position de la France est décisive. Il est donc crucial que le Gouvernement adopte une posture très forte et non générale en arrêtant d'arguer, tantôt d'un soutien à l'innovation, tantôt de l'impérieuse nécessité de respecter le droit d'auteur.

Madame la ministre, quelle est la position de la France dans les discussions actuelles sur le code de bonnes pratiques ? Quel niveau de transparence préconisez-vous ? Quelles garanties apportez-vous aux ayants droit ? Quels mécanismes de juste répartition de la valeur prônez-vous ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Votre intervention, madame la sénatrice, me permet d'évoquer la transparence sur les usages finaux, avant de revenir sur la question du droit d'auteur.

L'article 50 du règlement européen sur l'intelligence artificielle prévoit des obligations de transparence des modèles en fonction des usages, y compris à hauts risques. Des audits préalables à la mise sur le marché des modèles d'intelligence artificielle sont demandés. Le cadre est donc ambitieux sur cette question de la transparence, qui nous paraît fondamentale.

La question du droit d'auteur n'est pas simple. Il s'agit de trouver un résumé suffisamment détaillé, de nature à permettre aux ayants droit d'exercer leur droit tout en maintenant le secret des affaires. C'est à cette tension, que vous avez exprimée, madame la sénatrice, que nous tâchons de répondre. Je crois sincèrement au dialogue. Tel est le sens de la consultation que nous avons lancée officiellement, avec ma collègue Rachida Dati, la semaine dernière. Nous aurons alors l'occasion de réunir les deux écosystèmes, afin d'aboutir à une solution.

C'est un sujet difficile, mais, comme pour tout sujet difficile, à force de temps, d'écoute et de dialogue, nous trouverons un dénouement.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. J'ai lié la question de la transparence à celle du droit d'auteur parce que, tant que les ayants droit n'auront pas accès aux données, on ne pourra reconnaître le droit d'auteur. Or la France a une responsabilité en la matière, une exigence : la défense du droit d'auteur par Beaumarchais fait partie intrinsèque de notre histoire culturelle. Il faut donc que notre pays soit exigeant et que la volonté politique soit vraiment au rendez-vous.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Je vous rejoins sur ce point, madame la sénatrice. Nous étudions actuellement plusieurs possibilités, ce que nous poursuivrons avec la consultation.

Je tiens à rappeler que le droit d'auteur n'est pas extraterritorial. Nos exigences doivent donc en tenir compte. Comme l'a souligné Mme Catherine Morin-Desailly, notre préoccupation est de ne pas reproduire les erreurs du passé, donc de ne pas tomber dans une dépendance technologique vis-à-vis d'entités extra-européennes. Nous voulons garder nos acteurs ici, raison pour laquelle trouver cet équilibre est absolument fondamental.

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.

M. Pierre Jean Rochette. Madame la ministre, la course mondiale à l'intelligence artificielle se joue non seulement sur le terrain de l'innovation technologique, mais aussi, et peut-être surtout, sur celui de son adoption à grande échelle par les entreprises, les administrations et les citoyens.

Si les États-Unis et la Chine sont en tête de la compétition en matière de recherche et de développement, de récentes analyses soulignent que la capacité à diffuser et à intégrer l'intelligence artificielle dans les usages quotidiens est un facteur tout aussi déterminant pour activer ce levier de croissance.

La Chine, longtemps perçue comme peu efficace en matière de mise en œuvre technologique, semble rattraper très rapidement son retard : plus de 50 % de ses entreprises utiliseraient déjà l'intelligence artificielle, contre un tiers aux États-Unis. Le secteur public, la consommation individuelle ou encore l'industrie manufacturière emploieraient désormais ces outils à grande échelle.

Face à ces constats, il semble crucial de s'interroger sur la situation de la France, du point de vue de la maturité de l'intelligence artificielle comme de ses usages dans notre société.

Disposons-nous, madame la ministre, d'indicateurs clairs et récents permettant de mesurer l'adoption réelle de l'intelligence artificielle au quotidien par nos entreprises, nos collectivités territoriales, nos administrations et nos concitoyens ? Quels usages en sont-ils faits ? Quelles sont les mesures de la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle, destinées à encourager son utilisation de l'IA dans tous les pans de la société ?

Madame la ministre, il conviendrait de se pencher sur l'usage de l'intelligence artificielle par les collectivités locales, ainsi que sur l'utilisation des données au travers des logiciels proposés à ces dernières, notamment les mairies. Dans la mesure où il s'agit d'une question de souveraineté, nous nous devons d'accompagner nos collectivités locales : l'intelligence artificielle, qui pourrait s'avérer être un réel atout, est aussi un gisement de données à surveiller.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Vous avez raison, monsieur le sénateur : la priorité de cette troisième phase de la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle est bien l'adoption. Quand bien même nous aurions les meilleurs laboratoires de recherche et les meilleures entreprises du monde, si nous n'utilisons pas l'intelligence artificielle, nous n'aurons ni les gains de compétitivité ni les améliorations pour les usagers, les agents et les employés que cette technologie permet. Je souscris donc tout à fait à vos propos.

Comment procéder ? Pour ce qui concerne l'administration, sous l'égide du Premier ministre, avec le comité interministériel de l'intelligence artificielle, nous avons demandé à chaque ministère de préciser de quelle façon ils utilisent l'intelligence artificielle, les cas d'usage rencontrés et la manière dont leur utilisation de l'outil pourrait changer d'échelle. Tous les ministères nous remettront ces feuilles de route lors de la prochaine édition de VivaTech, dans un peu plus d'un mois, à l'occasion de laquelle nous réunirons à nouveau le comité interministériel de l'intelligence artificielle.

Les ministères reçoivent l'appui de la direction interministérielle du numérique (Dinum), afin de bénéficier d'un conseil technologique. Les cas d'usage, c'est très bien, mais l'objectif reste un déploiement à grande échelle.

La question des collectivités se pose bel et bien. Nous travaillons avec toutes les associations qui les représentent, dont France urbaine et les Interconnectés, pour que le travail effectué au niveau de l'État soit diffusé auprès des collectivités. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous souhaitons avancer dans le cadre du plan du comité interministériel.

Quant aux entreprises, pour ce qui est de suivre la diffusion de l'intelligence artificielle, nous disposons de certains sondages selon lesquels 5 % des petites et moyennes entreprises utilisent l'intelligence artificielle aujourd'hui, alors que ce taux atteint 35 % pour les grandes entreprises.

Nous nous sommes aussi rapprochés des chambres de commerce et d'industrie (CCI) afin d'accompagner 20 000 entreprises – les plus petites comme les plus grandes – dès cette année dans l'utilisation de l'intelligence artificielle. Ainsi, j'ai participé à un événement la semaine dernière, avec la CCI de Paris, qui dispense formations et assistance pour accélérer l'adoption de l'intelligence artificielle.

Quant au dispositif IA Booster France 2030, financé par l'État, il vise à accompagner les plus petites entreprises.

Enfin, nous travaillons sur un observatoire, un portail, qui permettra à chaque entreprise de trouver, en fonction de ses cas d'usage, les solutions les plus pertinentes.

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize.

M. Patrick Chaize. Madame la ministre, dans le contexte actuel où l'intelligence artificielle joue un rôle de plus en plus central dans de nombreux aspects de notre vie quotidienne, comment pouvons-nous assurer une gouvernance efficace et éthique de l'IA ?

Quelles sont les principales problématiques à prendre en compte, telles que la transparence des algorithmes, la protection des données personnelles et la responsabilité des entreprises qui développent ces technologies ?

Par ailleurs, quelles réglementations pourraient être mises en place pour minimiser les risques liés aux biais algorithmiques et à l'automatisation des décisions ? Comment impliquer les divers acteurs de la société, y compris les gouvernements, les entreprises et les citoyens dans ce processus de gouvernance ?

Enfin, comment pouvons-nous trouver un équilibre entre innovation technologique et protection des droits des individus ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Sur la question de la régulation, nous avons déjà abordé à plusieurs reprises le règlement pour l'intelligence artificielle. Je n'y reviens donc pas.

J'aborderai le sujet de la gouvernance un peu plus en détail. Au niveau français, nous nous appuyons sur l'Inesia, que j'ai précédemment mentionné. Cet institut d'évaluation nous donne accès à des travaux de recherche de qualité pour comprendre l'intelligence artificielle, les modèles et ses différents usages. Nous sommes également en contact avec les citoyens au travers des cafés IA, dispositif que nous avons lancé avec le Conseil national du numérique (CNNum), représentation structurée de ce mouvement citoyen, ainsi que les conseillers numériques, pour rester au plus proche du terrain et répondre aux interrogations de chacun.

Bien sûr, nous travaillons également à l'implémentation du règlement sur l'intelligence artificielle et à la définition des administrations qui seront chargées de la mise en œuvre de ses dispositions. Vous aurez davantage de visibilité sur ce sujet très prochainement.

Quant à la question internationale – car la gouvernance, selon nous, doit être internationale –, elle était aussi l'objet du sommet pour l'action sur l'IA.

Il s'agit non seulement d'accélérer la feuille de route nationale, mais aussi d'encourager une dynamique internationale. Nous avons réaffirmé notre soutien au partenariat mondial pour l'intelligence artificielle (PMIA), désormais adossé à l'OCDE. Ce partenariat regroupe plus de soixante pays et a pour objet de définir une gouvernance mondiale, qui s'appuie sur ses centres de recherche d'expertise, présents en France, au Canada et au Japon, afin d'avancer collectivement, de façon internationale, sur ces questions. Ce projet très important a été lancé, en 2018, par le Président de la République française et par le Premier ministre canadien d'alors, Justin Trudeau. Nous continuons de soutenir fortement ce dispositif.

M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.