M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire qui a permis à l'Assemblée nationale et au Sénat de se mettre d'accord sur une version consensuelle de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
À la différence de mon collègue Guy Benarroche, je considère que cette version reprend essentiellement le texte du Sénat, à l'exception de l'injonction pour richesse inexpliquée, en y intégrant les amendements du Gouvernement, dans une configuration assez originale, comme l'a souligné le ministre d'État Bruno Retailleau, ce qui est plutôt à l'honneur de nos institutions, de notre Parlement et du Sénat.
Permettez-moi d'abord d'exprimer la position du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur le texte qui nous est proposé aujourd'hui. Par rapport à celui que nous avions voté à l'unanimité, le 4 février dernier, je note plusieurs motifs de satisfaction.
En premier lieu, la suppression de l'article 8 ter, qui avait été introduit contre l'avis de nos rapporteurs, et notamment de Muriel Jourda, est bienvenue. Cet article inquiétait bon nombre d'observateurs et de défenseurs des libertés publiques. Il ne nous semblait pas de bonne méthode d'introduire, par voie d'amendement sénatorial, une mesure aussi lourde.
De même, la limitation de l'extension du renseignement algorithmique au seul haut du spectre répond aux interrogations qui ont pu émerger.
L'article relatif au procès-verbal distinct constitue à n'en pas douter l'un des sujets les plus sensibles du texte. Les réécritures successives du dispositif, éclairées par l'avis du Conseil d'État et sur lesquelles notre commission des lois a beaucoup travaillé, me semblent aboutir à un juste équilibre entre les droits de la défense et le besoin de protéger l'efficacité des techniques spéciales d'enquête (TSE) pour lutter contre la criminalité organisée.
Acquis majeur du texte, le parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), qui sera mis en place début 2026, jouera le rôle d'un chef d'orchestre, ce qui correspond aux vœux de la commission d'enquête que j'ai eu l'honneur de présider. Le Pnaco sera systématiquement informé des dossiers pris en charge par les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs), ce qui lui permettra de faire jouer son pouvoir d'évocation pour tout le haut du spectre. En outre, il disposera d'un lien privilégié avec les services de renseignement du premier cercle.
J'en viens maintenant à l'enjeu sensible des prisons. Les propositions du garde des sceaux ont suscité des interrogations à gauche. Elles n'avaient pas été soumises à la sagesse du Sénat en première lecture – mais c'est ainsi que notre travail s'est organisé, autour de différents apports, pour aboutir au présent texte.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est une gauche fière de défendre l'héritage de Robert Badinter, qui avait contribué à la fin des quartiers de haute sécurité. Mais nous revendiquons également le fait d'incarner une gauche responsable, pleinement consciente des nouveaux enjeux propres à l'adaptation de la criminalité organisée au milieu carcéral. La commission d'enquête avait mis le doigt sur le danger qui pèse sur les prisons et sur les membres de l'administration pénitentiaire, que nous voulons assurer de notre plein soutien.
La commission mixte paritaire a décidé de réduire à douze mois la durée de la décision d'affectation dans ces quartiers de lutte contre la criminalité organisée, proposée par le garde des sceaux. Cette évolution, chère aux parlementaires socialistes, dissipera un certain nombre des craintes mises en avant par les opposants à cette mesure.
Vous connaissez tous la terrible actualité de notre pays à propos des prisons. Tout au long des travaux de la commission d'enquête, nous nous sommes interrogés : exagérions-nous la menace ? Les personnes auditionnées n'en faisaient-elles pas un peu trop ? Lorsque nous avons présenté nos recommandations, il y a d'ailleurs eu quelques sarcasmes, quelques doutes.
Aujourd'hui, plus personne ne doute de la gravité, de la réalité de la menace qui pèse sur le pays en raison du narcotrafic. Le texte que nous allons voter permettra de réduire le déséquilibre des moyens que nous constatons souvent dans la lutte contre la criminalité organisée, qu'il s'agisse des policiers, des douaniers, des gendarmes, des magistrats – et parfois même des élus locaux.
Cette proposition de loi permettra beaucoup, mais elle ne permettra pas tout. Il appartient à notre société de s'interroger sur son rapport à la drogue. En faisons-nous assez en termes de prévention ? D'autres orateurs ont posé la question.
La répression de la consommation est-elle une solution indépassable pour ce qui concerne certaines substances ? Les consommateurs malades sont-ils suffisamment accompagnés ?
Autant de questions qui méritent d'être abordées dans la sérénité, loin du combat partisan. J'espère que notre chambre pourra y contribuer, avec le même regard constructif que celui qu'elle a porté sur les aspects répressifs figurant dans ce texte.
Les sénateurs socialistes voteront cette proposition de loi en pleine responsabilité. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement et de la commission.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 262 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l'adoption | 325 |
Le Sénat a adopté.
(La proposition de loi est adoptée.)
(Applaudissements.)
Vote sur l'ensemble de la proposition de loi organique
M. le président. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République anti-criminalité organisée dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle qu'en application de cet article, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 263 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 341 |
Le Sénat a adopté.
(La proposition de loi organique est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-deux.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
5
Restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi relative à la restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire (proposition n° 140, texte de la commission n° 530, rapport n° 529).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.
proposition de loi relative à la restitution d'un bien culturel à la république de côte d'ivoire
Article unique
Par dérogation au principe d'inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l'article L. 451-5 du code du patrimoine, à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le tambour parleur dit Djidji Ayôkwê conservé dans les collections nationales placées sous la garde du musée du quai Branly-Jacques Chirac, dont la référence figure en annexe à la présente loi, cesse de faire partie de ces collections.
L'autorité administrative dispose, à compter de la même date, d'un délai d'un an au plus pour transférer ce bien à la République de Côte d'Ivoire.
Annexe à l'article unique
Numéro d'inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71. 1930.5.1. – Tambour « parleur » de la communauté Atchan.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l'article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, pendant sept minutes, puis au Gouvernement et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.
La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le moins que l'on puisse dire est que la proposition de loi de Laurent Lafon, que nous allons voter cette après-midi, est à plusieurs égards dérogatoire à la doctrine que nous nous sommes fixée sur les restitutions d'œuvres d'art, dans le cadre de l'engagement de longue date de la Haute Assemblée sur cette question.
En effet, avec mes collègues Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias, nous avons recommandé dès 2020 que les engagements politiques et diplomatiques à la restitution de telle ou telle œuvre ne précèdent pas la consultation du Parlement.
Nous avons également préconisé l'intervention systématique d'un conseil national chargé d'une expertise scientifique préalable au temps politique.
Une forme de consensus s'était même nouée un temps sur la mise en pause des lois d'espèce – qui pouvaient nourrir le sentiment d'une sorte de fait du prince – pour privilégier la construction d'un cadre législatif général.
Sur la restitution du tambour parleur dit Djidji Ayôkwê, demandée par la Côte d'Ivoire il y a six ans, rien n'a été fait pour que cette méthode soit respectée : pas d'expertise préalable par un conseil scientifique, pas de loi-cadre… Et pourtant, la France s'est engagée, par la voix de son Président de la République, à satisfaire cette demande en 2021. Depuis lors, aucune portée juridique concrète n'a été donnée à cet engagement, que notre sens des responsabilités nous impose pourtant aujourd'hui de tenir.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Max Brisson, rapporteur. Et c'est bien parce que la commission de la culture du Sénat a, depuis des années, travaillé sur la question des restitutions, qu'une initiative transpartisane, sur la proposition de Laurent Lafon, son président, a pu intervenir pour pallier cette carence.
Pourquoi donc, mes chers collègues, accepter de déroger à nos principes ? Parce que nous pouvons parfaitement appréhender l'origine de l'œuvre, son histoire, son entrée dans les collections publiques françaises, son parcours.
Djidji Ayôkwê est un tambour à fente de l'ethnie Atchan, arraché à sa communauté d'origine par l'administration coloniale il y a plus d'un siècle. Cet instrument, aujourd'hui exposé au musée du quai Branly-Jacques Chirac, n'est pas un tambour ordinaire de par ses dimensions – il mesure plus de 3,50 mètres –, ses qualités esthétiques, qui ont conduit à ce que sa présence au palais du gouverneur de Bingerville soit signalée au musée de l'Homme par l'écrivain Paul Morand en 1929, ou sa fonction au sein de l'ethnie Atchan, puisqu'il était utilisé comme instrument de communication servant à annoncer des événements et à transmettre des messages, notamment sur la progression de l'armée coloniale française.
Sa place dans la communauté était centrale, au point qu'il était considéré comme une entité spirituelle faisant partie intégrante du peuple atchan.
Nous vous invitons également à déroger à notre doctrine, mes chers collègues, parce que l'absence prolongée de ce tambour aurait pu créer des difficultés entre notre pays et la République de Côte d'Ivoire. Il eût été tout à fait regrettable que les excellentes relations que la France entretient avec la Côte d'Ivoire se trouvassent altérées par l'absence de traduction concrète des engagements pris par le chef de l'État en 2021. Ce ne sera heureusement pas le cas.
Je salue d'ailleurs la présence dans nos tribunes de Son Excellence M. Maurice Bandaman, ambassadeur de la République de Côte d'Ivoire en France et ancien ministre de la culture, ainsi que de M. Mamadou Touré, ministre de la promotion de la jeunesse, de l'insertion professionnelle et du service civique et de M. Ibrahima Diabaté, président du Conseil national des jeunes de Côte d'Ivoire. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
L'inertie que nous avons connue ces dernières années était d'autant plus étonnante que la demande ivoirienne était parfaitement légitime compte tenu des conditions dans lesquelles le tambour a été intégré aux collections françaises, et tout-à-fait exemplaire au regard des préconisations de notre commission sur la méthode des restitutions.
Ce que nous n'avons pas encore intégré dans notre droit a été fait de manière spontanée par les acteurs de terrain ivoiriens et français, dans le cadre d'un projet muséal à forte dimension scientifique et partenariale, auquel la France apporte un appui opérationnel et financier.
Ce projet vise à adapter le musée des civilisations de Côte d'Ivoire à la conservation et à l'exposition du tambour. Il tend également à la construction d'une histoire du tambour incontestable d'un point de vue historique et partagée entre nos deux pays. Son achèvement, prévu pour le mois de juillet prochain, permettra une réappropriation de son patrimoine par la Côte d'Ivoire en même temps qu'une analyse de son passé colonial par la France.
L'exemplarité de cette démarche, conjuguée à l'importance des investissements consentis par notre pays, doit nous conduire à répondre dans les plus brefs délais à la demande de restitution formulée par la Côte d'Ivoire.
Grâce à vous, madame la ministre, la conclusion d'une convention de dépôt en novembre dernier a constitué un signal positif. Il est cependant impératif d'aller plus loin et de rendre à la Côte d'Ivoire la pleine et définitive propriété du tambour.
Parce qu'elle suppose de déroger au principe d'inaliénabilité des collections publiques, cette opération réclame l'intervention du législateur. Tel est l'objet de l'article unique de la présente proposition de loi.
Il est désormais certain que le mouvement de restitution ira en s'approfondissant. Les réserves du Sénat sur la méthode aujourd'hui suivie pour restituer des œuvres d'art restent entières. Comme nous l'avons fait lors de notre réunion du 9 avril dernier, j'exhorte le Gouvernement à travailler en lien avec notre commission pour définir de manière concertée les principaux éléments d'une éventuelle loi-cadre.
Dans cette attente, je vous invite, mes chers collègues, à suivre la position unanime de la commission en vous prononçant pour le retour du tambour parleur Djidji Ayôkwê sur son sol d'origine.
Ce faisant, nous répondrons à l'attente légitime de la communauté atchane et, au-delà, de toute la nation ivoirienne. Nous veillerons également, en responsabilité, à faire en sorte que la parole donnée par la France se traduise en actes. (Applaudissements.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner un texte important, dans la continuité d'un travail entamé depuis plusieurs années.
Je voudrais saluer l'engagement de la commission de la culture du Sénat, de son président, cher Laurent Lafon, ainsi que de son rapporteur, cher Max Brisson, dont le rôle en matière de restitution a été déterminant. Nous souhaitons même aller plus loin désormais.
Le Sénat s'est saisi de manière transpartisane de ce sujet essentiel pour l'apaisement des mémoires, contribuant à une véritable prise de conscience collective.
Je salue également la présence en tribune de M. l'ambassadeur de Côte d'Ivoire, Maurice Bandaman, et du ministre Mamadou Touré.
Dans ce travail, le ministère de la culture a également su prendre ses responsabilités. Je pense d'abord à la loi-cadre du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, que vous avez mentionnée.
Je songe également aux travaux qui sont en cours et à ceux qui ont déjà été menés sur les restes humains. À ce titre, la loi du 26 décembre 2023, initiée par la sénatrice Morin-Desailly, dont je salue le travail engagé de longue date sur le sujet, a permis la publication d'un décret, le 2 avril dernier, autorisant le transfert de trois crânes sakalaves des collections françaises à la République de Madagascar. Comme j'ai pu le constater lors du dernier déplacement dans ce pays avec le Président de la République, cela a été particulièrement apprécié sur place.
Je mentionne aussi le rapport et la proposition de loi du député Marion sur la restitution des restes humains ultramarins.
Le présent texte porte sur la restitution du tambour parleur atchan à la République de Côte d'Ivoire. Cette proposition de loi s'inscrit plus globalement dans une démarche très chère au Président de la République, qu'il a définie dans son discours de Ouagadougou en 2017 : celle qui vise à renouveler, à renforcer nos relations avec le continent africain, que ce soit par la restitution de biens culturels ou, plus largement, par la circulation des œuvres entre la France et ses partenaires africains.
Cet engagement s'est d'ailleurs déjà concrétisé via la loi du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.
Cette politique de restitution répond à des enjeux de politique étrangère. Elle est d'ailleurs de plus en plus prise en compte dans les enceintes diplomatiques : Union africaine, G20, Unesco. Elle répond également à un enjeu de réparation qu'il faut mentionner comme tel : réparation pour des peuples qui ont pu être privés de l'accès à leur patrimoine et à ce qui fait partie intégrante de leur mémoire.
Nous continuons aujourd'hui dans cette voie, avec la proposition de loi relative à la restitution du tambour parleur à la République de Côte d'Ivoire, qui nous occupe aujourd'hui.
Ce texte est le résultat d'un travail commun. La restitution avait été actée en 2021 par le Président de la République et son homologue, le président Alassane Ouattara. Depuis, un travail a été mené conjointement afin que ce tambour puisse retrouver son pays d'origine. Là encore, le ministère de la culture s'est pleinement engagé dans la démarche.
Je veux saluer aussi les travaux des équipes du musée du quai Branly-Jacques Chirac et du musée des civilisations de Côte d'Ivoire (MCCI). Ne l'oublions pas, le dialogue scientifique est constitutif du processus de restitution de biens culturels tel que nous le concevons avec nos partenaires africains et bien au-delà. Leur engagement a permis d'aboutir de façon pragmatique à une double solution : le dépôt et la restitution.
Le 18 novembre dernier, j'ai donc signé avec mon homologue ivoirienne, la ministre Françoise Remarck, une convention de dépôt. C'était une première étape pour garantir dès que possible le retour du tambour à Abidjan, selon le calendrier de fin des travaux et de réouverture du MCCI. Il s'agissait aussi d'envoyer un signal clair, volontariste, à nos partenaires ivoiriens et non de contourner le circuit législatif.
Parallèlement, votre engagement sur le sujet a abouti au dépôt d'une proposition de loi au Sénat. Ce texte nous permet désormais d'avancer sur le chemin de la restitution définitive. Son article unique vise à déroger au principe d'inaliénabilité des collections nationales, prévu par le code du patrimoine.
Il s'agit d'une proposition de loi d'espèce, qui constitue une avancée importante. Nous devrons à l'avenir poursuivre notre dialogue concernant l'élaboration d'une loi-cadre relative aux restitutions.
C'est un chantier dont nous devons nous saisir ensemble. Comme je l'ai indiqué en commission voilà quinze jours, j'y suis pleinement favorable. Les échanges que j'ai encore eus à Madagascar aux côtés du Président de la République nous renforcent dans cette conviction.
Je sais que le texte est très attendu par la Chambre haute. Je peux vous le dire, nous sommes prêts. Cependant, compte tenu des enjeux, le débat ne pourra se tenir que dans un cadre apaisé, vertueux, exprimant la volonté de la représentation nationale de faire droit aux demandes de restitution des partenaires étrangers.
M. Pierre Ouzoulias. C'est le cas au Sénat !
Mme Rachida Dati, ministre. Nous ne pouvons pas nous permettre d'ouvrir la porte à une instrumentalisation de telles questions. J'y veillerai dans le cadre de la consultation des groupes représentés au Parlement que je souhaite dès à présent engager sur ce dossier.
Cette proposition de loi et la restitution du tambour parleur s'inscrivent dans la perspective de la réouverture du MCCI, qui devrait avoir lieu d'ici à la fin de l'année 2025. Au regard de l'appui que la France apporte à sa rénovation et à sa modernisation, ce musée reflète notre ambition en matière de politique de restitution. Cette ambition s'accompagne d'un dialogue scientifique – je l'ai évoqué – ainsi que d'une démarche de coopération muséale et patrimoniale. Le partenariat avec la Côte d'Ivoire illustre parfaitement les différentes dimensions de notre approche.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la présente proposition de loi témoigne de la volonté de la France d'écrire une nouvelle page de notre histoire partagée avec l'Afrique. Cette page, nous l'écrivons conjointement avec le Sénat, en particulier avec sa commission de la culture. Le travail approfondi que vous avez mené nous permet désormais de franchir une nouvelle étape, essentielle, qui aboutira – j'en suis sûre – à l'adoption de cette loi-cadre attendue de tous.
Pour l'ensemble de ces raisons, vous pouvez compter sur mon soutien plein et entier sur la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Ruelle, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Jean-Luc Ruelle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de saluer la présence dans notre tribune de M. l'ambassadeur de Côte d'Ivoire et de M. Mamadou Touré, ministre de la promotion de la jeunesse, de l'insertion professionnelle et du service civique de ce pays.
Saviez-vous qu'au XXe siècle, le peuple ébrié atchan se servait du tambour parleur Djidji Ayôkwê pour avertir, grâce à un langage tambouriné, de dangers, dont celui de l'arrivée de l'administration coloniale venant réquisitionner les membres de la communauté pour le travail forcé ?
Le retour prochain sur ses terres d'origine de ce tambour sacré, datant de la fin du XVIIIe siècle et confisqué en 1916, est donc hautement symbolique, mais pas seulement…
Revenons sur la tumultueuse histoire de ce tambour, qui avait été réclamé en 2019 par le président Ouattara. Lors du sommet France-Afrique du 8 octobre 2021, le Président de la République française en avait annoncé la restitution. Puis, il ne s'est rien passé pendant trois ans. Rien ! Les autorités ivoiriennes finissaient même par désespérer de revoir un jour le précieux instrument. Tout cela par la faute des reports successifs du vote d'une loi-cadre sur la restitution de biens culturels – j'y reviendrai.
C'est donc pour examiner une loi d'exception visant à autoriser la restitution tant attendue du Djidji Ayôkwê que nous sommes réunis aujourd'hui. Exceptionnelle d'un point de vue procédural, cette loi l'est aussi en ce qui concerne ses effets.
La restitution du Djidji Ayôkwê à la Côte d'Ivoire s'inscrit dans une dynamique de réappropriation du patrimoine, de sauvegarde des mémoires, de découverte pour les jeunes générations de leur histoire, de leur culture, de consolidation d'une identité culturelle.
L'intégration espérée du Djidji Ayôkwê aux collections ivoiriennes s'est accompagnée d'une formidable revitalisation du MCCI, avec la réhabilitation du bâtiment principal, le réaménagement des espaces accueillant plus de 15 000 œuvres, la formation des équipes et le développement d'une stratégie de médiation culturelle. Ces actions ont été soutenues, notamment, par l'Agence française de développement (AFD) et Expertise France. Il n'y a donc aucun doute à avoir quant à la qualité de l'accueil qui sera réservé au tambour sur ses terres ancestrales.
Ce retour, couplé aux aménagements du MCCI, ouvre aussi la voie à celui des 148 objets du patrimoine encore réclamés par la Côte d'Ivoire. Leur restitution marquerait symboliquement une étape clef dans le renforcement du partenariat culturel et patrimonial entre nos deux pays.
Pour ces raisons, je me prononcerai bien évidemment en faveur de la présente proposition de loi.
Cela étant dit, j'aimerais vous faire part de quelques-unes de mes réflexions, mûries, entre autres, par mon expérience ivoirienne et, plus largement, africaine.
Premièrement, je souligne le caractère arbitraire et aléatoire des restitutions, ainsi que l'infime proportion d'objets rendus : moins d'une trentaine sur les 150 000 biens africains que conservent les 230 musées français.
À cet égard, je crois que la France gagnerait à s'inspirer de ses voisins européens, dont la politique en matière de restitution a gagné en souplesse au cours de ces cinq dernières années.
Comprenez-moi bien : il ne s'agit pas de rendre indistinctement ou au gré des nécessités diplomatiques. Il faut bien évidemment organiser scientifiquement les travaux d'examen de restitution et établir une méthodologie permettant de déterminer la provenance, la circonstance de la première acquisition, etc. Il convient en outre de s'assurer des conditions d'exposition, de mise en valeur et de conservation de l'œuvre transférée.
Deuxièmement, je voudrais évidemment revenir sur l'absence de loi-cadre. Madame la ministre, un projet de loi-cadre avait été rédigé en 2023 par votre prédécesseure, Mme Abdul Malak, mais il n'avait pas survécu aux critiques légitimes du Conseil d'État.
Aux yeux des juges, les motifs de restitution évoqués dans le texte, à savoir la conduite des relations internationales et la coopération culturelle, ne justifiaient pas une dérogation au principe d'inaliénabilité des collections publiques.
La sortie de la domanialité publique doit en effet être impérativement justifiée par un intérêt public supérieur ou par un motif impérieux.
Ces éléments auraient pu simplement être ajoutés au texte reproposé par la suite pour validation au Conseil d'État. Vous n'en avez pas fait une priorité, nous imposant ainsi de devoir légiférer a posteriori sur des restitutions déjà actées et annoncées.
De telles solutions de fortune ne sauraient constituer une politique culturelle cohérente, garante de l'intégrité de nos collections publiques et respectueuse de nos partenaires africains. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)