M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre de l'intérieur, madame la ministre chargée des comptes publics, mes chers collègues, nous venons d'aboutir, en commission mixte paritaire, à un accord ferme, lucide et responsable.

Cet accord est également clair, sans ambiguïté : la République reprend la main face aux narcotrafiquants. Il marque sans conteste une avancée décisive dans la lutte contre le narcobanditisme, qui gangrène nos quartiers, pervertit nos institutions et menace l'autorité de l'État.

Je tiens d'abord à saluer le travail de la commission d'enquête du Sénat à l'origine de cette proposition de loi, tout particulièrement Jérôme Durain et Étienne Blanc, grands artisans, dans une démarche transpartisane, de ce texte majeur et même historique.

Je salue également l'écoute et le sens du dialogue du Gouvernement, qui a su tenir bon. Il lui a fallu beaucoup de courage pour porter ce texte ambitieux, dans un climat souvent miné par l'idéologie ou le déni.

Le Sénat a su peser dans toutes les discussions et obtenir des garanties. Nous avons eu gain de cause.

Ce texte, c'est d'abord et avant tout un signal envoyé aux Français, qui ne supportent plus l'impuissance publique ; un signal envoyé également aux trafiquants, qui doivent comprendre que la République ne reculera plus. Avec des mesures chocs, des mesures phares, nous passons d'une logique de tolérance à une logique de dissuasion. Cette rupture était nécessaire.

Soyons lucides : le trafic de drogue n'est plus ni un simple fléau sanitaire ni un simple fléau social. C'est un véritable système mafieux, structuré, militarisé, qui infiltre nos cités, notre économie, notre culture parfois. Il s'agit d'un défi d'autorité, d'un défi civilisationnel.

L'accord trouvé en commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic n'est pas un simple consensus parlementaire ; c'est un signal politique clair, net et attendu.

Ce texte est attendu par tous les Français qui n'en peuvent plus de voir la République reculer face à des narco-mafias qui dictent leur loi dans nos rues, dans nos quartiers, parfois jusque dans nos institutions.

Je le dis avec gravité, mais aussi avec fierté : cette proposition de loi constitue un tournant, un changement de paradigme, la fin de la naïveté, le retour de l'autorité. Ce texte consacre enfin une ligne de fermeté que nous réclamions depuis des années.

Il y a ceux qui parlent de « liberté individuelle » quand il s'agit de consommer de la drogue ; moi, je parle des mères qui pleurent leurs fils abattus dans un point de deal ; des enfants qui traversent un hall d'immeuble infesté de guetteurs armés. Je parle de la République humiliée, à genoux.

Nous avons tenu la ligne, cette ligne qui assume l'ordre, la sécurité, la souveraineté, une ligne qui n'excuse pas, qui ne relativise pas, mais qui agit.

Il n'y a pas de République sans courage. À ceux qui s'inquiètent de la fermeté du texte, et ils sont peu nombreux au Sénat, je réponds que la véritable violence, c'est l'inaction. À ceux qui nous accusent de vouloir faire peur, je réponds oui ! Il faut que les trafiquants aient peur : peur de la justice, peur de la prison, peur de perdre ce qu'ils ont volé à la République. La peur doit changer de camp !

Ce texte n'est pas une fin, c'est un début, un socle, un acte de reconquête de nos quartiers, de notre souveraineté, de notre pacte républicain. La République est de retour : elle parle fort, elle frappe juste et elle ne tremblera plus.

Les sénateurs du groupe Les Républicains voteront bien évidemment ce texte, avec détermination, car il incarne ce que nous devons à la France : la volonté de protéger, la force de rétablir l'ordre et la fierté d'être exigeants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, madame la ministre, mes chers collègues, depuis des lustres, une guerre fait rage sur le territoire français : une guerre qui fait de nombreuses victimes, souvent collatérales ; une guerre sournoise, souterraine, à l'abri des regards ; une guerre qui n'est pas classique, sans chars et sans bombes ; une guerre menée par des réseaux organisés, puissants, qui infiltrent nos quartiers, nos écoles, nos familles.

Il nous revient aujourd'hui de doter la France d'un nouvel arsenal législatif à la hauteur des enjeux pour mieux agir en première ligne. Vous le savez, la commission mixte paritaire, qui s'est réunie le 10 avril dernier, a été conclusive. Compte tenu des conséquences graves qu'entraînerait toute inaction dans ce combat – un combat que nous partageons tous, sur l'ensemble des travées de cet hémicycle –, nous nous réjouissons qu'un compromis ait été trouvé sur ce texte, qui pourra rapidement aboutir.

Au Sénat, nous avons défendu une approche ferme, réaliste et cohérente face à l'ampleur du fléau qu'est le narcotrafic. Je me félicite que le texte issu des travaux de la CMP préserve le travail que nous avons mené dans cet hémicycle.

Je pense notamment à la création d'un parquet national anti-criminalité organisée, qui permettra d'apporter des réponses judiciaires plus cohérentes et centralisées.

Il en va de même du gel administratif des avoirs des narcotrafiquants. Cette disposition offrira au pouvoir administratif une action complémentaire aux procédures existantes en matière judiciaire.

Je pense également à l'article 15 ter. J'avais déposé au nom de mon groupe un amendement visant à permettre d'activer à distance les appareils fixes connectés, sous le contrôle du magistrat. Ce développement des techniques d'enquête est indispensable afin de lutter efficacement contre le narcotrafic et ses séquelles.

Je tiens ici à saluer le sens des responsabilités dont ont fait preuve les députés en adoptant ce texte à une large majorité. À mon sens, la navette parlementaire a indéniablement permis d'enrichir la proposition de loi. Les ajouts de l'Assemblée nationale sont nombreux et bienvenus.

Je pense, entre autres, à l'article 10 ter B, qui durcit les sanctions des trafiquants impliquant des mineurs dans leurs réseaux. C'est une avancée que je salue, car elle répond à une réalité tragique que nous connaissons bien. Toutefois, comme je l'ai déjà souligné, le texte reste silencieux sur la question de la prévention, pourtant essentielle pour protéger durablement nos jeunes.

Dans les territoires ultramarins, comme la Guyane, que j'ai l'honneur de représenter dans cet hémicycle, le narcotrafic est une menace quotidienne. Il gangrène nos territoires, déstabilise notre jeunesse. Comment espérer gagner cette guerre quand tant de jeunes n'ont d'autres choix que d'avaler des boulettes pour payer des loyers en retard ou soutenir leur famille ?

La Guyane, désormais rejointe par la Martinique et la Guadeloupe, est devenue, malgré elle, un passage obligé pour les trafiquants.

Aussi, je tiens à réaffirmer, avec la plus grande fermeté, qu'il est nécessaire que le Gouvernement assume pleinement ses responsabilités en matière de contrôle aux frontières. Nous le savons, en dépit des contrôles renforcés au départ, des mules parviennent toujours aux aéroports parisiens.

C'est pourquoi j'en appelle solennellement à l'État : il est urgent d'installer des scanners aux aéroports d'Orly et de Roissy. Il s'agit d'une mesure simple, concrète, attendue de longue date et déjà mise en place par nos voisins belges et néerlandais sur des liaisons très spécifiques. Cette avancée permettrait de briser un maillon essentiel de la chaîne logistique des trafiquants.

Malgré ces quelques réserves, vous l'aurez compris, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants soutient largement les progrès apportés par ce texte pour sortir la France du piège du narcotrafic.

Enfin, je veux redire toute ma fierté d'avoir modestement apporté mon concours à l'élaboration d'un texte qui fera date. C'est avec fierté que j'ai mené ce combat aux côtés d'Étienne Blanc et de Jérôme Durain, depuis les travaux de la commission d'enquête, pour doter la France d'un outil de lutte contre les narcotrafiquants.

Le groupe RDPI votera ces propositions de loi. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre de l'intérieur, madame la ministre chargée des comptes publics, mes chers collègues, la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic témoigne de la qualité de l'initiative parlementaire, particulièrement du Sénat.

Par la coconstruction et le dialogue entre les chambres et avec le Gouvernement, sur la base d'un considérable travail de fond réalisé par la commission d'enquête conduite par Étienne Blanc et Jérôme Durain, que je salue, nous parvenons aujourd'hui, à l'issue de la procédure législative, à un texte important, suscitant une large adhésion.

Sur le fond, il n'est plus nécessaire, après les nombreux débats qui ont animé notre Parlement, de rappeler la prégnance du sujet abordé dans cette proposition de loi, comme le montre l'écho qu'elle a suscité dans le débat public et médiatique.

Les Français, leurs élus, les professionnels du droit, les forces de l'ordre, la police, la gendarmerie et la pénitentiaire connaissent désormais trop bien la réalité d'un narcotrafic d'ampleur et du quotidien.

Le rapport de la commission d'enquête sur lequel s'appuie la présente proposition de loi a fait la lumière sur l'étendue géographique du problème, qui touche désormais non plus seulement les centres urbains, mais aussi fortement le monde rural.

Le trafic de drogue ravage tout sur son passage : des espoirs des jeunes enrôlés jusqu'aux vies des victimes de la violence des bandes.

Il faut donc saluer les initiatives du législateur pour rendre plus efficaces les moyens de lutte contre le trafic de drogue. Mais parce que le trafic de drogue est désormais un fait de société, la répression ne suffira pas à elle seule à régler le problème. Il faut également faire preuve d'une plus grande ambition en matière de prévention. C'est indispensable pour réduire la consommation de drogue et donc le trafic.

Plus globalement, le narcotrafic se nourrit de la vulnérabilité sociale, économique ou sanitaire de certains citoyens. Il est dès lors crucial de développer des outils en matière de cohésion sociale, de protection de l'enfance, d'éducation, d'insertion et de réinsertion.

La lutte contre le narcotrafic est un combat pour une société meilleure. Elle concerne et mobilise tous les citoyens, non seulement les forces de l'ordre et la justice, mais également les assistants sociaux, le monde associatif, les soignants, les élus locaux. La plupart des dispositions de la proposition de loi font l'objet d'un large consensus transpartisan, ainsi qu'entre les deux chambres.

Parquet spécialisé, nouveau régime carcéral d'isolement, mesures répressives et outils pour les enquêteurs comme le renseignement algorithmique ou la surveillance à distance sont autant de mesures attendues et nécessaires.

Je prends acte de la suppression par la commission mixte paritaire de l'article 8 ter, qui permettait aux services de renseignement d'accéder au contenu des messageries chiffrées.

La CMP a également maintenu l'article 16 bis autorisant les dispositifs de surveillance dans les lieux privés, ainsi que des dispositions relatives au procès-verbal distinct. Ces mesures appellent une vigilance de notre part, tout comme la mise en œuvre du « dossier coffre », qui devra être évaluée afin de s'assurer que l'atteinte aux droits de la défense est proportionnée.

Bien que je me satisfasse du consensus trouvé sur l'article 16, il ne faut pas oublier, j'y insiste, qu'il emporte une atteinte importante aux droits fondamentaux et qu'il fragilise ainsi l'équité du procès et, in fine, la justice elle-même.

Or celle-ci a plus que jamais besoin d'être forte. À cette fin, elle doit être fondée sur le respect des droits. Il en va de même pour les forces de l'ordre, qui se voient confier des pouvoirs importants, dérogatoires au droit commun, à l'image du droit d'exception antiterroriste.

L'exercice de ces prérogatives doit s'accompagner de moyens humains et financiers à la hauteur, afin de garantir un cadre de travail serein qui limitera les risques de non-respect du droit, d'erreurs ou d'abus.

Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera à l'unanimité cette proposition de loi, en espérant qu'elle portera ses fruits et qu'elle permettra de lutter contre le fléau du narcotrafic. Toutefois, même si nous sommes satisfaits du travail accompli, nous ne devons pas nous voiler la face : il nous reste du chemin à parcourir. (Applaudissements au banc des commission.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.), président de la commission.

Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, madame la ministre, mes chers collègues, les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic sont sans nul doute le fruit d'un bon accord entre le Sénat et l'Assemblée nationale.

Elles restent dans la lignée du consensus qui s'est dégagé sur ce texte ici, au Sénat, le 4 février dernier, et valident le travail accompli par la commission d'enquête sénatoriale présidée par Jérôme Durain, dont le rapporteur était Étienne Blanc.

Nous ne pouvions pas objectivement rester inactifs face à l'ampleur des changements de méthode et de comportement des trafiquants de drogue.

Comme l'a déclaré dans la presse M. Philippe Marnat, ancien directeur chargé de la lutte contre la criminalité organisée : « Les responsables des trafics sont avant tout des logisticiens qui adaptent en continu leur mode opératoire à la réponse policière et douanière ».

Au-delà de cette flexibilité technique, l'usage de la violence et la volonté de tuer sont devenus monnaie courante, si j'ose user de cette expression, alors que le nombre de victimes directes et indirectes, qui sont désormais touchées par les agissements des nervis obéissant aux ordres meurtriers de leurs chefs, est terrible.

Dans cette course folle et effrayante, où tout semble permis, notre pays est particulièrement exposé, car il est à la fois un large bassin de consommation et un espace de transit, voire de rebond, vers des pays lointains, comme l'Australie, très distante de la France, où les prix des stupéfiants, notamment celui de la cocaïne, sont très élevés.

Heureusement, l'engagement de l'ensemble de nos forces de l'ordre, de nos magistrats et du personnel judiciaire qui les entourent, que je tiens ici à saluer, est tel que nous faisons face vaillamment. Mais nous devons leur permettre de s'adapter, car nous sommes entrés dans une ère nouvelle.

Le texte qui résulte des travaux de la CMP est multidimensionnel : il combine réponse immédiate et stratégie de long terme et repose sur un équilibre entre efficacité répressive et respect des libertés individuelles.

Les mesures clefs qui ont été adoptées ont pourtant fait l'objet de nombreux débats depuis des années.

L'une des questions centrales était de savoir si les règles applicables en matière de lutte contre le terrorisme pouvaient être transposées à la répression du trafic de drogue. L'adoption du présent texte permettra d'apporter une réponse claire et positive à cette interrogation.

Ainsi, un parquet national anti-criminalité organisée, à l'instar du parquet national anti-terroriste, verra le jour au mois de janvier 2026.

De même, des quartiers de haute sécurité seront créés pour les gros trafiquants et des outils de coercition seront instaurés contre les filières de blanchiment de l'argent de la drogue.

Deux autres innovations, attendues depuis longtemps, ont été adoptées : la réforme des repentis, avec la création d'une réduction de peine pouvant atteindre les deux tiers pour les collaborateurs de justice, et la création d'une nouvelle infraction de concours à une organisation criminelle.

Des points de tension entre nos deux assemblées ont été résolus. Ainsi, les fermetures administratives d'établissements participant au blanchiment de l'argent seront du ressort exclusif du préfet. Les maires n'auront pas cette compétence, ce qui leur évitera de subir toute forme de pression. La durée maximale de l'isolement carcéral en quartier de haute sécurité a été réduite, passant de deux ans à un an renouvelable. Enfin, la disposition controversée obligeant les plateformes à communiquer les correspondances a été abandonnée.

Ce texte répond à des impératifs sécuritaires par un système de limitations proportionnées, en accord avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui appelle à ce que les restrictions des libertés publiques soient « nécessaires, adaptées et proportionnées. »

Mes chers collègues, en adoptant ce texte, nous allons montrer notre détermination à lutter contre le crime organisé. Nous allons aussi réaffirmer que l'État de droit est plus fort que les mafias.

Vous l'aurez compris, les sénateurs du groupe Union Centriste voteront cette proposition de loi à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, madame la ministre, mes chers collègues, nous connaissons bien, désormais, les réalités et les conséquences du trafic de drogue. Les habitants de ma ville de Marseille en sont souvent, hélas ! les premières victimes. Si nous savons l'horreur de cette gangrène mafieuse, nous ne pouvons ignorer qu'elle prospère sur la misère.

La France, septième puissance du monde, compte plus de 9,1 millions de pauvres, soit plus de 14 % de la population. Alors que, dans notre pays, un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, ces mafias sanguinaires n'hésitent pas, justement, à exploiter de plus en plus d'enfants. Les plus précaires et les plus fragiles sont toujours les premières victimes de ces mafias. Alors que les enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) sont particulièrement exposés à cet esclavage – j'ose le mot –, la puissance publique défaillante fait des économies sur leurs dos et les abandonne aux mains de ces criminels.

Ce que je souhaite exprimer ici, mes chers collègues, alors que nous nous apprêtons à adopter définitivement cette proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, c'est que ledit piège est multidimensionnel. Lutter contre le narcotrafic, c'est aussi lutter contre les causes de ce chaos que nous organisons en laissant la pauvreté prospérer, les inégalités sociales et économiques exploser, et en abandonnant les plus précaires.

J'espère que l'intérêt que nous portons à ce texte sera étendu à un réel combat pour plus d'égalité, sans quoi ce travail sera vain. Si la sécurité est un droit fondamental que l'État doit faire respecter, elle ne peut être garantie sans un système plus égalitaire. À cet égard, une réelle politique globale de santé publique est primordiale pour lutter contre la consommation de drogue. Sans de tels efforts, le présent texte ne permettra pas de lutter réellement contre le trafic de stupéfiants et les mafias.

Par cohérence, je souhaite aussi attirer votre attention sur le fait que notre justice reste bien moins financée que chez nos voisins européens. C'est notamment vrai du juge des libertés et de la détention (JLD).

Afin de mieux protéger les habitants de notre pays, cette proposition de loi vise à inscrire dans notre droit des mesures privatives de libertés individuelles. La recherche d'équilibre entre nos droits fondamentaux conduit, dans un État de droit comme le nôtre, à mettre en place des verrous et des garanties de contrôle. Nombreuses sont les dispositions de ce texte qui font reposer ces contrôles sur le JLD.

Loi après loi, nous ne cessons d'accumuler sur les épaules de ces juges toujours plus de responsabilités, en leur demandant d'y faire face toujours plus vite ; mais les moyens mis en place pour leur permettre d'exercer correctement ces missions sont défaillants et ne répondent en rien aux besoins immenses. La justice française est paupérisée.

Sans moyens supplémentaires substantiels, les JLD ne pourront exercer leurs missions. Le contrôle indispensable qu'ils réalisent ne permettra plus de garantir le respect de nos droits fondamentaux. L'État de droit n'est pas qu'une idée, qu'un idéal, il doit être une réalité pratique. Nous devons tout mettre en œuvre pour qu'il soit effectif.

Enfin, cette proposition de loi nous appelle à la plus grande vigilance. Nous touchons ici à nos droits fondamentaux et nous devons veiller à toujours trouver l'équilibre indispensable.

La création des quartiers sécurisés en prison, à l'article 23, présente des risques que souligne également la Défenseure des droits. Nous devons mesurer ce qu'implique une telle disposition et rester vigilants.

Puis, la mise en place de peines complémentaires d'interdiction de vol pour les mules interceptées et condamnées pourrait avoir des conséquences graves sur des personnes déjà précaires et en situation de quasi-esclavage.

Enfin, l'article 22 tend à instaurer de nouvelles mesures relatives à la lutte contre le trafic de drogue dans les ports. Mon groupe tient, depuis de début de nos travaux, à garantir la sécurité des travailleurs de nos ports, mais aussi la préservation de leurs libertés fondamentales. Si des garanties ont été instaurées, nous resterons vigilants quant à la mise en application de ces contrôles accrus.

Ainsi, malgré ces mises en garde et la vigilance importante qui sera la nôtre en matière de respect de notre État de droit, notre groupe, convaincu que la lutte contre les mafias et le trafic de stupéfiants s'intègre dans un projet de développement économique, social, démocratique et populaire, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi qu'au banc des commissions. – Mme Isabelle Briquet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà au bout du chemin législatif de cette proposition de loi issue des travaux de notre assemblée.

Ces travaux, au départ, avaient suscité l'unanimité, car les recommandations qui en émanaient étaient claires, qu'il s'agisse de la lutte contre le blanchiment ou de la réorganisation de notre arsenal pénal. Elles comportaient également un volet sur la prévention, indispensable. L'idée était non pas d'être méchant avec les méchants, mais de taper au portefeuille et de s'attaquer au haut du spectre.

Le rapport de notre commission d'enquête sénatoriale comprenait trente-cinq recommandations, dont beaucoup ont été reprises dans ce texte, afin de changer de doctrine et de ne pas viser seulement le consommateur et les petites mains des réseaux, qui génèrent certes de gigantesques profits par la vente de stupéfiants, mais qui opèrent aussi dans les trafics d'armes, le racket, la traite des êtres humains et le proxénétisme.

De cette unanimité, que reste-t-il dans le texte issu de la commission mixte paritaire ? Cette globalisation des groupes organisés, au-delà de la vente de drogues, a été prise en compte avec la spécialisation de nos moyens de justice, au travers d'un parquet national non limité aux seuls stupéfiants, mais consacré à l'ensemble de la criminalité organisée.

Notre groupe salue cette vision, à la juste échelle de ces nouvelles mafias et de la nécessité d'y accorder une attention particulière. Nous alertons tout de même sur la dérive possible d'une centralisation excessive : nous devons être conscients que ces criminalités se retrouvent sur l'ensemble du territoire, en zone urbaine comme en zone rurale.

Notre groupe s'associe à la volonté nouvelle de s'attaquer enfin au haut du spectre, au blanchiment, à la corruption. C'est bien la raison qui nous a poussés, en première lecture, malgré certaines réserves, à voter le texte.

Car le constat premier de la commission d'enquête est celui de l'échec des politiques des places nettes, des opérations XXL… Plus de saisies, plus de personnes en prison, mais un trafic qui continue d'augmenter.

Ce texte, aussi ambitieux soit-il, laisse une question primordiale en suspens : quels moyens réels seront mobilisés par ce gouvernement pour mettre en œuvre vite et efficacement ces avancées ?

Il y a quelques années, nous avions créé une juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco). Je ne ferai offense à personne en disant que la machine n'a que trop peu fonctionné, en raison d'un manque non seulement de soutien politique, mais aussi matériel et financier et d'une pénurie de ressources humaines.

En votant ce texte, nous allons adopter des dispositions qui coûtent de l'argent et qui requièrent de nouveaux moyens humains alors, nous dit-on, que l'état dans lequel se trouvent nos finances publiques ne le permet pas.

Il y a assurément du bon, mais il y a aussi des manques. Nous regrettons que rien n'apparaisse dans le texte sur l'urgence de faire de la prévention une grande cause nationale, à l'attention des consommateurs et des personnes en grande précarité, cibles privilégiées des trafiquants pour devenir les petites mains de ces réseaux, le Lumpenproletariat de cette industrie.

Rien non plus sur des mesures d'information pour éviter l'entrée dans la consommation ni sur les parcours de soins, sur la prise en charge des addictions ou sur l'intérêt de légaliser ou de dépénaliser certains usages. Aucune mesure de politique de santé publique.

Rien non plus sur le volet économique et social, dont il a pourtant été question lors des travaux de la commission d'enquête, levier majeur de la lutte contre le narcotrafic, comme l'a très bien souligné Jérémy Bacchi à l'instant.

Rien sur la politique de la ville, rien sur la lutte contre la précarité ni sur l'insertion par l'école et le travail.

Rien, enfin, sur l'accompagnement et le traitement social des victimes du narcotrafic et de leurs familles.

L'autre volet important concerne l'introduction de dispositions qui nous paraissent fort gênantes. Si nous accueillons favorablement la suppression de l'accès aux messageries cryptées, certaines mesures nous paraissent bien trop attentatoires aux libertés.

C'est donc avec déception que notre groupe constate une sorte de « phagocytage » de la loi par les ministres d'État MM.  Retailleau et Darmanin. La porte-parole du Gouvernement, Mme Sophie Primas, évoque après le conseil des ministres, au sujet des attaques inacceptables contre les lieux de détention, une réaction du milieu aux décisions courageuses de MM. Retailleau et Darmanin sur le narcotrafic et explique que, à quelques exceptions près, l'ensemble des autres dispositions et dispositifs mis en place par Bruno Retailleau et Gerald Darmanin, figurant dans une proposition de loi du Sénat, ont été votés.

Pas plus tard que jeudi dernier, le ministre d'État Bruno Retailleau se félicitait aussi de cette proposition de loi, issue de sa commission d'enquête sur le narcotrafic, née de son droit de tirage, et du vote définitif à venir.

Je rappelle simplement que la création de cette commission a été demandée en premier lieu par trois sénateurs écologistes et de gauche, élus des Bouches-du-Rhône : Marie-Arlette Carlotti, Jérémy Bacchi et moi-même.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je suis de gauche, moi aussi ! (Sourires.)

M. Jérôme Durain. Mais pas des Bouches-du-Rhône ! (Mêmes mouvements.)

M. Guy Benarroche. Dans la même conférence de presse, M. Retailleau se félicitait que la loi accroisse les pouvoirs du préfet pour prononcer des interdictions de paraître, fermer des blanchisseuses ou se substituer aux bailleurs pour expulser des logements sociaux les trafiquants.

Notre groupe voit en cela aussi le détournement politique, regrettable, de l'objectif de la proposition de loi, puisque rien dans ces mesures, contestables constitutionnellement, ne s'attaque au haut du spectre. De plus, elles ne figurent pas dans les travaux de la commission d'enquête sénatoriale.

Le consensus du Sénat, celui de la commission d'enquête, n'est plus là, alors que ce texte aurait pu rester transpartisan grâce aux réelles mesures qu'il comporte pour s'attaquer vraiment aux organisations du narcotrafic et à leurs dirigeants.

Tout comme pour la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, nous ne pouvons voter un texte qui comporte manifestement des mesures non constitutionnelles.

Nous soulignons de nouveau le danger que comporte cette méthode, qui cherche à écrire des mesures d'affichage pour rejeter vers le Conseil constitutionnel la responsabilité de censurer des mesures présentées à tort comme des outils nécessaires.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)