M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la ministre, il y a deux façons d'aborder ce débat organisé par le président de la délégation aux entreprises, ce dont je tiens à le remercier.

Certaines défaillances d'entreprises s'expliquent par le marché, la guerre commerciale, les tarifs douaniers, le prix de notre énergie, c'est vrai, et il nous faut traiter ces questions.

Mais il faut savoir qu'il existe aussi des entreprises et un patronat qui organisent eux-mêmes la défaillance de l'outil industriel (M. Damien Michallet proteste.) – vous ne voulez pas l'entendre ! – et la délocalisation d'un certain savoir-faire français. On dénombre ainsi 300 plans de licenciement et 300 000 emplois menacés ou supprimés.

Je ne vous parle pas d'ArcelorMittal, de Michelin ou d'Auchan. D'autres le feront. Moi, j'étais hier dans le Gard où j'ai visité une PME, la Verrerie du Languedoc, qui compte 164 salariés et fait travailler 100 sous-traitants. Cette entreprise est un sous-traitant quasi exclusif de l'usine Perrier située à proximité. Elle est détenue depuis 2011 par le groupe Owens-Illinois et n'a aucun problème financier. Son bénéfice l'année dernière a augmenté de 7 % par rapport à l'année précédente.

Cette entreprise a décidé de mettre en œuvre une stratégie financière : supprimer 500 emplois et fermer la verrerie. En conséquence, Perrier ne pourra plus embouteiller, en tout cas pas dans un circuit court, et nous allons perdre un savoir-faire. Voilà la réalité aujourd'hui !

En fait, cette entreprise, qui a touché 15 millions d'argent public en cinq ans, ne veut pas investir dans un nouveau four, pour un coût de 20 millions à 60 millions d'euros au cours des dix-huit prochains mois.

Le fait est qu'on n'a jamais conditionné le fait d'accorder des aides publiques à la préservation de l'outil industriel. Le Gouvernement va-t-il rester les bras ballants face aux stratégies purement financières qui cassent nos savoir-faire et notre industrie ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, je tiens d'abord à souligner l'engagement d'un certain nombre d'entreprises pour continuer à innover, investir, se transformer et embaucher.

Cela étant, le Gouvernement regrette profondément la décision de l'entreprise que vous évoquez et qui touche l'usine de verrerie de Vergèze, située à proximité du site de Perrier. Son projet de réorganisation s'inscrit dans un contexte économique et financier difficile lié à une baisse structurelle de la consommation des boissons telles que les eaux minérales, le vin et la bière.

Cette réorganisation est présentée comme indispensable par le groupe Owens-Illinois afin de conserver sa très forte implantation en France. Le groupe compte neuf sites à ce jour, ce qui représente 2 000 emplois, auxquels il faut ajouter plusieurs centaines d'emplois chez les sous-traitants.

Le Gouvernement et les services de l'État sont pleinement engagés pour : vérifier la qualité du dialogue social avec les organisations syndicales et le respect de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique (M. Fabien Gay s'exclame.) ; vérifier également la qualité des mesures d'accompagnement du plan de sauvegarde de l'emploi, qui doit tenir compte des spécificités de chacun des sites ; s'assurer de la qualité des actions menées pour trouver un repreneur, conformément à la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite loi Florange, dans une période de quatre mois.

Des solutions intégrant des repreneurs existent pour un certain nombre d'entreprises. Ainsi, dans le cas de la Fonderie de Bretagne, un repreneur a été trouvé il y a quelques jours.

M. Fabien Gay. Parce que les camarades se sont battus !

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Plus de 250 emplois sont concernés.

Je le répète, des reprises sont possibles. Il faut donc se mobiliser pour trouver un repreneur pour la Verrerie du Languedoc. En tout cas, le Gouvernement est complètement engagé en ce sens.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Vencorex, ArcelorMittal, Michelin, la Fonderie de Bretagne, General Electric, Photowatt : dans toute la France, les sites industriels ferment, entraînant leur lot de licenciements, de pertes de savoir-faire et de territoires meurtris.

Pendant que vous parlez de réindustrialisation, des activités dans des secteurs aussi stratégiques que l'acier, la chimie, les pneus, les éoliennes et les panneaux solaires sont liquidées les unes après les autres. Lorsqu'une entreprise ferme, c'est toute une filière qui se retrouve en difficulté, par un effet domino.

Certes, la compétition asiatique, la guerre commerciale américaine et les prix élevés de l'énergie expliquent en partie les difficultés actuelles. Mais la plupart de ces entreprises sont rentables ! Les choix que font par exemple M. Mittal, déjà riche de 18 milliards de dollars, ou des fonds d'investissement comme BlackRock, qui est à la manœuvre chez Michelin et General Electric, ont pour seul objectif de rémunérer encore plus les actionnaires.

Face à cette rapacité qui détruit notre souveraineté industrielle, que fait l'État ?

Quand il faut subventionner de nouvelles usines, la recherche ou la décarbonation, il est au rendez-vous, souvent sans effectuer aucun contrôle sur l'usage qui est fait des aides. En revanche, quand il faut sauver ces entreprises, il devient tout à coup impuissant, comme si les délocalisations et les licenciements étaient des fatalités divines !

L'État peut pourtant agir, par exemple en nationalisant les activités stratégiques. Nous l'avons fait avec succès pour les Chantiers de l'Atlantique et les câbles sous-marins d'Alcatel ; pourquoi ne pas le faire pour d'autres ? Lorsque des projets de reprise en coopérative par des salariés qui maîtrisent et aiment leur travail existent, pourquoi ne sont-ils jamais retenus et accompagnés ?

Madame la ministre, la destruction créatrice que vous encouragez détruit toute notre industrie. Or l'intelligence artificielle (IA) ne remplacera jamais les savoir-faire humains perdus au passage.

Qu'attendez-vous pour agir ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, nous regrettons les défaillances et les fermetures d'entreprises, ainsi que les suppressions d'emplois, et ce même lorsqu'il n'y a pas de fermeture.

Pour autant, permettez-moi de rappeler quelques chiffres faisant état d'une réindustrialisation.

L'année 2024 a été une année de continuité dans la réindustrialisation de notre pays. La hausse se poursuit et la dynamique enclenchée en 2022 se confirme, malgré des difficultés conjoncturelles, c'est vrai.

On a ainsi compté 89 ouvertures nettes de sites au total en 2024 et 450 ouvertures nettes depuis 2022. Il s'agit d'un chiffre positif, qu'il convient de souligner, alors que certains commentateurs ne croyaient pas à de telles prévisions il y a encore quelques mois.

Ce solde positif, il faut le mettre en avant, car il nous encourage à tenir bon, à continuer de soutenir les entreprises, à persévérer, à accélérer, sans nier les difficultés. Il s'agit non pas de refuser de les voir, mais de ne pas céder à la fatalité.

Les chiffres nous montrent également que la situation est très contrastée dans le secteur industriel. Alors que les secteurs énergo-intensifs souffrent, les industries vertes et le secteur de l'agroalimentaire réalisent des scores admirables.

Il n'a cependant échappé à personne que la conjoncture est difficile. Encore une fois, il n'y a pas de fatalité. Il nous faut soutenir nos entreprises, les accompagner, actionner tous les leviers utiles pour leur redonner de la compétitivité et assurer leur prospérité économique.

Le projet de loi de simplification de la vie économique comporte un certain nombre de réponses en matière de zéro artificialisation nette (ZAN), de raccordement ou de coût de l'énergie.

Le plan d'urgence européen aura également un impact en la matière.

Enfin, nous devons ouvrir le débat sur le coût du travail et reprendre dès que possible une réflexion sur la baisse des impôts de production, afin de soutenir la compétitivité de nos entreprises.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Merci, madame la ministre, mais quelle est au fond la stratégie du Gouvernement pour faire face à la désindustrialisation, qui est en marche ? De quelle manière allez-vous agir concrètement ?

Les outils qui sont à votre disposition, vous refusez de les utiliser, qu'il s'agisse des nationalisations temporaires, du soutien au modèle des coopératives ou de l'accompagnement des collectivités territoriales.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Vous avez évoqué à deux reprises la situation des Scop.

En ma qualité de ministre chargée de l'économie sociale et solidaire, je me suis intéressée à ce sujet. Il existe bien une difficulté, actuellement, pour que des structures comme les Scop ou les sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) disposent d'outils de financement équivalents à ceux qui existent pour l'économie traditionnelle.

Par exemple, le prêt transmission que propose Bpifrance est adapté à des reprises, mais il est réservé aux structures ayant au moins trois années d'ancienneté. Par définition, une Scop ou une SCIC constituée pour reprendre une entreprise ne peut afficher une telle ancienneté. Nous travaillons avec Bpifrance pour trouver une solution.

J'ai participé aujourd'hui à la Conférence des financeurs de l'économie sociale et solidaire : nous y avons étudié un certain nombre d'outils pour organiser le financement de ces structures.

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès.

Mme Marion Canalès. Madame la ministre, Auchan, Valeo, Vencorex : bien sûr, ces fermetures et plans sociaux catastrophiques qui sont le fait de grands noms attirent l'attention, dans le Puy-de-Dôme, mon département, comme ailleurs. Mais ces annonces relèvent souvent davantage d'une décision stratégique que d'une défaillance à proprement parler, comme l'a expliqué Fabien Gay.

J'en profite pour parler de la décision, scandaleuse, prise par le groupe Auchan de fermer le magasin des quartiers nord de ma ville, Clermont-Ferrand. Il s'agit d'un choix stratégique de la famille Mulliez, propriétaire d'Auchan, qui condamne des dizaines de salariés. Pourtant, chacun sait que 10 % des dépenses alimentaires et d'équipement des Français profitent à la famille Mulliez.

Ce soir, je veux parler des vraies défaillances, car c'est le sujet retenu par notre délégation aux entreprises.

Les plus petites entreprises sont celles qui en subissent le plus, comme Olivier Rietmann l'a rappelé. Entre octobre 2023 et octobre 2024, il y a ainsi eu une augmentation de 31 % dans le Puy-de-Dôme. C'est un sujet qui nous tient tous à cœur et qui se déroule souvent à bas bruit.

La loi a confié aux tribunaux de commerce une fonction de prévention et un rôle actif dans la détection des difficultés des entreprises, le plus en amont possible, afin d'aider celles-ci à les surmonter. Pousser la porte du tribunal de commerce, c'est faire confiance à des femmes et des hommes qui, comme les chefs d'entreprise en difficulté, sont issus du monde de l'entreprise.

Comme le nombre de salariés dont l'emploi est menacé par une défaillance de l'entreprise a triplé dans mon département, Clermont Auvergne Métropole a pris la décision de ne pas rester sans rien faire et de venir conforter ce rôle de prévention assumé par le tribunal de commerce, en créant un dispositif permettant d'intervenir au stade de la procédure amiable. La métropole a signé une convention, créé un fonds et verse une subvention à l'association des juges et anciens juges consulaires du Puy-de-Dôme. Chaque année, plus d'une douzaine d'entreprises sont ainsi accompagnées afin de traiter les problèmes en amont. La région Île-de-France, aussi, a créé un dispositif, le chèque prévention.

Madame la ministre, vous nous l'avez dit, il y a des initiatives en matière de prévention. Mais il ne suffit pas d'identifier les chefs d'entreprise concernés, il faut aussi les aider, avec de l'argent. L'État va-t-il se saisir de ce type d'initiatives prises par des collectivités locales pour les généraliser, et passer de la culture de la défaillance à une culture de la prévention et du rebond ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Marion Canalès, vous évoquez un certain nombre de dispositifs existants, tout en déplorant un manque de lisibilité ou de clarté, avec pour résultat que trop peu de chefs d'entreprises en difficulté franchissent la porte du tribunal de commerce. Il nous faut renforcer la lisibilité du système afin de faciliter son accès pour les chefs d'entreprise, qui doivent savoir facilement à quelle porte frapper.

J'étais la semaine dernière dans la Loire, où j'ai pu échanger avec le préfet. Ses services y ont mis en place un dispositif pour la prévention des difficultés, en associant l'ensemble des acteurs, publics et privés, sur le modèle du comité qui avait été créé durant la crise de la covid. Ce dispositif, appelé rencontres économiques, permet de porter une attention particulière aux défaillances d'entreprises.

Nous pouvons aussi nous appuyer sur les conseillers départementaux aux entreprises en difficulté, sur les commissaires à la restructuration et à la prévention des risques et sur le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri). Ce n'est effectivement pas toujours facile pour les entreprises de s'y retrouver. Il faut une porte d'entrée unique pour mieux les accompagner et mieux les engager dans les deux dispositifs de procédure amiable.

Au-delà de la question du soutien financier, il faut travailler en amont pour renforcer la compétitivité internationale des entreprises, en diminuant les prélèvements obligatoires et le coût du travail, afin qu'elles puissent embaucher plus facilement. C'est essentiel.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Brault.

M. Jean-Luc Brault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, habituellement, quand le bâtiment tousse, c'est l'économie toute entière qui s'enrhume. Aujourd'hui, le bâtiment est grippé, complètement grippé.

J'ai deux minutes pour vous parler des défaillances d'entreprises, madame la ministre ; il me faudrait deux semaines ! Empilement de normes, surtransposition du droit européen, concurrence déloyale au sein même de l'Union européenne, délais et charges administratives – où en est la simplification ? –, accès au crédit bancaire, agissements et temps de réaction des mandataires liquidateurs…

Dernier exemple en date : ce matin, dans mon département, le Loir-et-Cher, j'ai eu un échange avec un équipementier de la SNCF employant six cents salariés. Il m'a dit que, dans le nord de la France, il lui a fallu deux ans et demi pour obtenir un permis de construire et les autorisations correspondantes. En Espagne, à Barcelone, il lui a fallu cinq mois. Et encore, mes chers collègues, deux ans, c'est dans le cas où vous ne tombez pas sur un triton doré ou un papillon azuré ! Je n'ai rien contre la biodiversité, au contraire, mais vous avez compris l'idée…

Madame la ministre, à l'heure où on arrête chantier sur chantier, je connais, dans le centre de la France, un chantier de 60 millions d'euros qui vient d'être arrêté ce matin, définitivement. Oui, 60 millions d'euros !

L'immobilier peine à redémarrer, nombre de restaurants déposent le bilan… Même des boulangeries mettent la clé sous la porte !

Nous devons nous mobiliser. Nous avons examiné il y a plusieurs mois un projet de loi de simplification de la vie économique, qui a été voté à l'unanimité. Il comporte notamment des mesures sur les syndics et les mandataires liquidateurs, qui font beaucoup de mal lors des dépôts de bilan et qui font traîner les affaires afin de se servir et de liquider la trésorerie de l'entreprise en difficulté.

La question sur le travail le 1er mai n'est pas le sujet de ce débat, mais n'est-elle pas révélatrice ? Ne faut-il pas enfin, madame la ministre, acter une révolution culturelle de l'entrepreneuriat ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Jean-Luc Brault, les entreprises du BTP ont été particulièrement touchées par les dernières crises.

Plusieurs facteurs sont en cause : la hausse des taux d'intérêt, le durcissement des conditions d'octroi des crédits bancaires, mais aussi la baisse de la construction neuve. Même si le secteur de la rénovation énergétique est en croissance, cela ne compense pas totalement la contraction de l'activité dans le neuf. Il nous faut donc tout faire pour relancer la construction et soutenir efficacement le secteur du logement, car c'est un levier essentiel.

Par ailleurs, nous devons continuer le travail de simplification. Le projet de loi de simplification de la vie économique, actuellement en discussion à l'Assemblée nationale, comporte des mesures concrètes, notamment le relèvement de 40 000 euros à 100 000 euros du seuil de la commande publique. Cela facilitera l'accès des TPE et PME à ces marchés.

D'autres pistes sont à l'étude, comme la réforme des groupements momentanés d'entreprises (GME). Aujourd'hui, la responsabilité solidaire et indéfinie entre les membres constitue un frein. Une proposition vise à la supprimer pour les marchés de moins de 100 000 euros, ce qui rendrait ce dispositif bien plus attractif.

Le ministère du logement travaille aussi à simplifier l'accès au label Reconnu garant de l'environnement (RGE).

Enfin, puisque vous évoquez la restauration, je vous informe du lancement, le 13 mai prochain, des Assises de la restauration et des métiers de bouche. Nous travaillerons avec l'ensemble des acteurs du secteur pour répondre aux défis conjoncturels et structurels auxquels ils font face.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Je reviendrai tout à l'heure sur les autres mesures de simplification que nous envisageons de prendre.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Hybert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)

Mme Brigitte Hybert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les chiffres des défaillances au premier trimestre montrent que les Pays de la Loire figurent parmi les régions les plus touchées, avec une augmentation de 28 %, soit 924 procédures supplémentaires.

Dans ma région, 28 % des salariés travaillent dans une ETI, contre 25 % au niveau national. Les ETI attendent une réelle simplification de toutes les procédures. Le programme ETIncelles est donc plutôt bien accueilli par le milieu économique, car il permet de lever certains freins administratifs au bon développement de nos entreprises. Cela va dans le bon sens, et tout ce qui contribue à simplifier la vie de nos entreprises, de nos entrepreneurs, doit être encouragé.

Cependant, certains freins demeurent, notamment dans l'éligibilité à ce programme. Au sens de l'Insee, une PME française doit compter entre dix et deux cent cinquante salariés. En deçà, c'est une TPE ; au-delà, une ETI. Or le critère d'éligibilité au programme ETIncelles intègre les PME comptant entre soixante et deux cent vingt salariés.

Ma question est donc simple : pourquoi imposer un seuil de soixante salariés et un plafond de deux cent vingt salariés ? Pensez-vous généraliser ce programme, qui ne profite aujourd'hui qu'à trop peu d'entreprises ? Élargir le champ des bénéficiaires permettrait de lever des freins pour beaucoup plus d'entreprises et de redonner un élan à l'industrialisation de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Brigitte Hybert, puisque vous avez évoqué la question de la simplification, permettez-moi de vous apporter quelques éléments concrets sur ce point. J'ai engagé une démarche de simplification à deux niveaux : sur le plan législatif, d'une part, au travers du projet de loi de simplification de la vie économique ; sur le plan opérationnel, d'autre part, par la révision des démarches administratives existantes.

J'ai fait un bilan hier matin : 115 formulaires Cerfa ont d'ores et déjà été supprimés sur les 1 800 recensés au total, dont 535 relèvent directement du ministère de l'économie et des finances. Cela représente 450 000 téléchargements annuels en moins pour les entreprises. C'est un allègement concret et mesurable des contraintes administratives, qui va dans le bon sens. (M. le président de la délégation aux entreprises s'en réjouit.)

S'agissant du programme ETIncelles, lancé en 2023, il a déjà accompagné près de deux cents PME, avec un objectif affiché de cinq cents d'ici 2027. Ce programme propose un accompagnement individualisé et sur mesure pour lever les freins à la croissance des PME et les aider à devenir des ETI. Il a été conçu avec souplesse pour permettre à une grande diversité d'entreprises d'y accéder. La direction générale des entreprises (DGE) assure une sélection à partir d'un panel représentatif, permettant de valoriser les pépites de nos territoires.

Dans votre propre département, plusieurs entreprises bénéficient déjà de cet accompagnement, telles que le groupe ABCM, Arcade Cycles, Rabaud ou Clean Sells.

Je le répète, les critères de sélection sont souples.

La dernière campagne d'appel à manifestation d'intérêt s'est close le 28 mars 2025. Le lancement de la cinquième promotion interviendra le 16 mai prochain. Je vous invite, si vous connaissez des entreprises susceptibles d'en bénéficier, à les orienter vers la DGE.

M. le président. La parole est à M. François Patriat.

M. François Patriat. Madame la ministre, j'imagine que les questions posées cet après-midi seront parfois redondantes. Personne ne nie ici les difficultés rencontrées par les entreprises ni ne conteste le nombre de faillites et de dépôts de bilan. Mais nul ne peut nier l'effort fait ces dernières années par les gouvernements successifs pour faire de la politique de réindustrialisation une véritable priorité, car cet effort a porté ses fruits.

On peut dramatiser à l'extrême. La vie économique a toujours été faite d'entreprises qui se créent, et d'autres qui disparaissent. C'est la vie des entreprises. Pour autant, c'est vrai qu'il y a des efforts à faire dans ce pays.

Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en place de nombreux dispositifs exceptionnels, tels que les fonds de solidarité, les prêts garantis par l'État, les exonérations de charges. Personne ne le nie, et tout le monde les réclamait. Ces aides ont permis de préserver l'activité de centaines de milliers d'entreprises et de sauver notre économie. Elles ne sont plus à l'ordre du jour. Certaines structures déjà fragilisées rencontrent des difficultés de trésorerie et, vous l'avez dit, l'effet de rattrapage intervient aujourd'hui.

Ce sont surtout les petites entreprises les plus exposées aux potentielles hausses de droits de douane qui font face aujourd'hui à des pressions considérables.

Je pense en particulier à une entreprise de sidérurgie de mon département, Valti, qui était un fleuron de la métallurgie et fabriquait des tubes en acier, notamment pour les centrales nucléaires. Une de ses usines historiques, située à Montbard, a été victime d'une liquidation judiciaire ordonnée le 4 février dernier par le tribunal de commerce de Dijon. Ce sont ainsi cent trente personnes qui risquent de se retrouver sans emploi.

C'est vrai qu'il est difficile, aujourd'hui, de trouver un repreneur. Cela marque la fin d'une époque, mais cet exemple s'inscrit, malheureusement, comme cela a été dit, parmi tant d'autres.

Par ailleurs, la guerre commerciale hasardeuse importée par l'administration de Donald Trump engendre beaucoup d'incertitudes pour le tissu d'entrepreneurs français. Or, que ce soit dans le secteur des produits chimiques, des produits cosmétiques, des parfums ou de l'aéronautique ou encore dans le secteur viticole, nous exportons de nombreux produits issus du savoir-faire français. Si nous n'agissons pas dans ces secteurs, nous serons fortement affectés. Demain, ce seront d'autres acteurs qui prendront la place de nos entreprises, issus de groupes étrangers massivement subventionnés, parfois moins soucieux de nos standards, surtout environnementaux.

Vous avez déjà évoqué, madame la ministre, le travail qui est fait, les pistes que vous envisagez et les mesures qui ont été prises et qui portent leurs fruits.

M. le président. Il faut conclure.

M. François Patriat. Allez-vous prendre encore des mesures de simplification pour aider les entreprises à poursuivre leur activité ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur François Patriat, vous avez, à juste titre, évoqué la réindustrialisation qui débute, et j'avais moi-même eu l'occasion d'y revenir.

Je rappelle quelques chiffres : en 2024, ce sont quatre-vingt-neuf ouvertures nettes de sites industriels qui ont été enregistrées, portant à quatre cent cinquante le nombre total depuis 2022. Au-delà des défaillances d'entreprises, réelles, nous devons aussi prendre en compte cette dynamique positive.

S'agissant des droits de douane, leur évolution récente engendre de l'incertitude. Même si une suspension a été décidée par Donald Trump sur l'augmentation de 20 % initialement prévue, il ne faut pas oublier que d'autres hausses ont bien été mises en œuvre : 10 % sur de nombreux produits, 25 % sur l'acier, l'aluminium, l'automobile et leurs dérivés. Cette période de quatre-vingt-dix jours de suspension reste donc marquée par l'incertitude pour nos entreprises.

Nous devons profiter de ce moment pour construire un rapport de force, pour forcer à la discussion, et cela doit se faire collectivement, de manière unie, à l'échelle européenne. D'ailleurs, le monde économique s'est très rapidement félicité de cette prise de position commune de l'Europe, sans initiatives isolées des États membres.

Vous avez aussi évoqué les mesures de simplification. Elles sont engagées dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique. Plusieurs dispositifs sont prévus pour améliorer l'accès à la commande publique, notamment en faveur des artisans ; pour faciliter aussi la vie des start-up innovantes, avec des seuils adaptés ; et pour soutenir les commerçants. Je pense ici à la mensualisation des loyers commerciaux, en lieu et place du paiement trimestriel, ou encore à la limitation du dépôt de garantie à un mois. Ces mesures, à elles seules, représentent un gain de trésorerie de 2 milliards d'euros pour les commerçants. Enfin, des mesures spécifiques sont également prévues pour les TPE, toujours dans ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet.

M. Philippe Grosvalet. Madame la ministre, en 2024, 67 830 procédures de défaillance d'entreprises ont été enregistrées. Tous les secteurs sont touchés, toutes nos régions. Un record, hélas !

L'année 2025 ne semble pas en voie de voir cette implacable réalité corrigée : 250 000 emplois sont menacés.

La direction d'ArcelorMittal vient d'annoncer six cents licenciements, ce qui vient encore assombrir le tableau. En Loire-Atlantique, comme sur l'ensemble des territoires concernés, c'est la stupeur. Prendre la décision de licencier six cents salariés après avoir bénéficié de 298 millions d'euros de subventions en 2023, puis s'être vu promettre des aides de 850 millions d'euros pour décarboner son activité est incompréhensible pour l'ensemble de nos concitoyens.

ArcelorMittal vient s'ajouter à l'inquiétante litanie : Michelin, Vencorex, Systovi, General Electric – encore dans mon département... Et cette liste n'est pas exhaustive.

Certes, les déclarations de l'administration Trump viennent compliquer une situation économique internationale particulièrement incertaine. Mais ces aléas ne peuvent à eux seuls expliquer la fragilisation de notre tissu économique et industriel : l'absence de vision, le manque de planification y sont pour beaucoup.

L'objectif de souveraineté industrielle ne peut pas se réduire à la distribution de subventions, sans stratégie de sauvegarde et de structuration. Il est plus que temps que l'État s'empare de ce sujet à bras-le-corps pour initier une réelle politique de développement économique et industrielle en partenariat avec nos territoires et nos représentants européens.

Ayons une pensée particulière pour tous les salariés de notre pays qui voient leur avenir et celui de leur famille plongé dans l'incertitude, sans oublier les territoires, qui ne sortent jamais indemnes de ces fermetures.

À quand, madame la ministre, une planification pour garantir à nos concitoyens, à notre République, la souveraineté économique et industrielle que nous sommes en droit d'attendre ? S'agissant d'ArcelorMittal, qu'envisagez-vous de faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Philippe Grosvalet, nous avons pris connaissance des annonces faites par ArcelorMittal concernant le site de Dunkerque. Certes, nous sommes dans un contexte de crise sans précédent pour la sidérurgie européenne, notamment du fait de surcapacités mondiales. Nous ne pouvons que regretter cette décision.

Dans la filière sidérurgique, les difficultés remontent à plusieurs années. Entre 2018 et 2023, la production européenne a baissé de 20 % et, en 2024, la demande sur le marché européen s'est affaiblie, ce qui entraîne des surcapacités.

Le plan d'ArcelorMittal concerne tous les sites européens et ne vise pas uniquement et spécifiquement les sites français. ArcelorMittal soutient que ces annonces sont liées à un objectif prioritaire de restauration de la compétitivité du groupe. Aucun des sites français n'est menacé de fermeture à court terme – il est important de le rappeler et nous serons particulièrement vigilants sur ce point, comme le ministre chargé de l'industrie, Marc Ferracci, l'a clairement dit.

La France est très mobilisée au niveau européen pour obtenir des mesures fortes de protection du marché de l'acier afin de restaurer une concurrence loyale en Europe. Avec huit autres États membres, elle a d'ailleurs fait des propositions ambitieuses à la Commission, qui se sont traduites par un plan d'action présenté le 19 mars dernier et un premier renforcement des mesures de défense commerciale au 1er avril 2025. Un nouvel instrument de protection commerciale doit être proposé au plus vite par la Commission ; la France plaide pour qu'il soit le plus ambitieux possible afin de préserver l'industrie sidérurgique européenne.

L'État sera très vigilant quant à la mise en œuvre des annonces d'ArcelorMittal, notamment en matière de reclassement des salariés concernés, pour lesquels j'ai une pensée, et poursuit les discussions avec le groupe pour la confirmation rapide de projets de décarbonation sur les sites de Dunkerque et Fos-sur-Mer, auxquels l'entreprise s'est engagée.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur l'impact dévastateur des retards de paiement sur les défaillances d'entreprises, qui progressent de manière inquiétante.

Le rapport remis le 23 avril dernier par les médiateurs Frédéric Visnovsky et Pierre Pelouzet dresse un constat alarmant : les retards de paiement interentreprises ont atteint près de quatorze jours fin 2024, privant nos TPE et PME de 15 milliards d'euros de trésorerie. Cette situation est d'autant plus préoccupante que nous traversons une période de croissance ralentie, de 0,9 % en 2025 selon la Banque de France.

Les chiffres sont parlants : 20 % des TPE et 9 % des PME présentent des capitaux propres négatifs, ce qui révèle une fragilité structurelle inquiétante de notre tissu économique. Dans ce contexte, les retards de paiement constituent souvent la goutte d'eau qui fait déborder le vase, menant à la défaillance.

Le rapport cite également le frein culturel, issu de la honte de l'échec, qui conduit à une situation de déni, aggravée par l'absence d'informations prévisionnelles de trésorerie.

De plus, les outils d'aide aux entreprises sont souvent mis en œuvre par des structures qui effraient les chefs d'entreprise, comme les tribunaux de commerce, perçus uniquement comme des instances de sanction et de liquidation – à tort.

Madame la ministre, face à cette situation, je souhaiterais connaître votre position sur trois recommandations majeures du rapport.

Premièrement, envisagez-vous de modifier le régime des sanctions pour retards de paiement, en calculant les amendes en pourcentage du chiffre d'affaires et en supprimant le plafond actuel de 2 millions d'euros, manifestement insuffisant pour dissuader les grandes entreprises ?

Deuxièmement, comment comptez-vous mettre en œuvre la création d'équipes territoriales animées au niveau régional pour fédérer les acteurs publics et privés autour de la prévention des difficultés ?

Enfin, la recommandation concernant l'information systématique des entreprises sur les dispositifs d'aide disponibles, notamment par les experts-comptables, me semble cruciale. Comment entendez-vous soutenir cette démarche, notamment pour les TPE et PME, qui n'ont pas les ressources suffisantes pour payer des prestations de conseil ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Pierre-Antoine Levi, vous évoquez un sujet important, qui est une préoccupation quotidienne des entreprises, en particulier dans les PME et les TPE, qui sont les dernières entreprises en bout de chaîne.

Aujourd'hui, les retards de paiement représentent environ 15 milliards d'euros de trésorerie, qui manquent cruellement à nos PME et TPE. C'est un sujet de justice économique entre entreprises, quelle que soit leur taille.

Structurellement, deux éléments devraient nous permettre, à terme, de réduire ces délais : la mise en place progressive de la facturation électronique, qui permettra une meilleure maîtrise des délais ; l'intégration, depuis 2022, des comportements de paiement dans la cotation des entreprises réalisée par la Banque de France.

Néanmoins, vous avez raison, la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Il existe bien un dispositif de sanction, avec des amendes plafonnées à 2 millions d'euros, voire 4 millions en cas de récidive, mais force est de constater qu'il ne fonctionne pas suffisamment bien : trop d'infractions sont encore constatées.

Je veux ici saluer le travail de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sur ce sujet. En 2024, onze amendes supérieures à 1 million d'euros ont été prononcées. Éric Lombard et moi-même avons d'ailleurs échangé ce matin avec sa directrice, Sarah Lacoche, sur ce sujet lors d'une visite sur un site de sa direction.

Nous avons aussi abordé ce point avec le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, en vue de préparer un texte législatif et de le porter ensemble.

Vous soulevez aussi la question de la prévention. Oui, il faut améliorer la lisibilité du dispositif et mettre en place un guichet unique, une porte d'entrée claire pour toutes les entreprises confrontées à des difficultés, voire même avant qu'elles n'en rencontrent.

Enfin, vous parlez de l'accompagnement. Là encore, je vous rejoins : il faut que nous puissions établir une charte avec les différents acteurs – chambres consulaires, organisations professionnelles, fédérations, mais aussi acteurs privés comme les experts-comptables – afin d'améliorer l'accueil.

M. le président. La parole est à M. Denis Bouad.

M. Denis Bouad. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne peux pas participer à ce débat sans vous parler du coup dur qui a frappé mon département ces derniers jours.

L'annonce de la fermeture de la verrerie de Vergèze constitue une véritable onde de choc pour tout un territoire : 164 familles sont aujourd'hui dans la détresse. Nous devons garder à l'esprit l'impact de ces évènements sur ces familles, qui voient du jour au lendemain leurs projets d'avenir remis en cause.

Sans repreneur dans les prochains mois, la verrerie de Vergèze devra fermer. Pourtant, 70 % de ses commandes émanent de son voisin immédiat – il suffit de traverser la route –, l'usine Perrier. Cette fermeture représenterait un non-sens écologique et une perte irréversible pour l'économie de l'ensemble du territoire.

La commune de Vergèze et l'ensemble des collectivités sont pleinement mobilisées aux côtés des salariés. Mais, aujourd'hui, un engagement fort de l'État semble indispensable pour permettre le maintien de cet outil de production.

Madame la ministre, c'est tout un territoire qui a besoin de se sentir soutenu. Nous ne pourrons pas laisser sacrifier la verrerie de Vergèze et ses salariés sur l'autel du profit et des stratégies financières. Avec 7 % de résultat, comment accepter la fermeture de ce site ?

La protection de notre souveraineté industrielle commence par la préservation des emplois industriels existants ! On ne peut pas parler de manière crédible de « réindustrialisation française » face à des salariés qui voient fermer l'usine où ils ont travaillé toute leur vie, parfois de père en fils.

Madame la ministre, comment votre gouvernement compte-t-il s'engager pour défendre le maintien de ces sites de production et de ces emplois industriels, aujourd'hui menacés, à Vergèze comme ailleurs sur le territoire national ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Denis Bouad, le cas de la verrerie de Vergèze a déjà été abordé dans le cadre d'une précédente question.

Il convient de relever la baisse structurelle de la consommation de vin, ce qui réduit d'autant les besoins en verre, et de bière, pour laquelle ce matériau est de surcroît en concurrence avec l'aluminium.

Nous regrettons évidemment qu'une telle réorganisation ait été décidée, qui plus est dans un contexte économique et financier déjà difficile, pour les raisons que je viens de rappeler.

Le Gouvernement et les services de l'État sont entièrement mobilisés ; ils le resteront autant que nécessaire. Un suivi territorial a été lancé par le préfet du Gard ; l'ensemble des acteurs économiques, sociaux et politiques du territoire y sont associés, comme c'est le cas dans ce type de situations. Je salue l'engagement de la préfecture, de la sous-préfecture, du commissaire aux restructurations et prévention des difficultés des entreprises (CRP), de la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) du Gard et d'un certain nombre d'acteurs économiques locaux, comme les agences de développement économique, notamment celle du conseil régional, ou les chambres consulaires.

Nous devons tout mettre en œuvre pour trouver un repreneur, afin que les salariés puissent retrouver un emploi. Le Gouvernement est pleinement engagé en ce sens.

M. le président. La parole est à M. Denis Bouad, pour la réplique.

M. Denis Bouad. Madame la ministre, j'entends vos arguments, mais vous ne répondez pas à ma question.

Perrier, qui est aujourd'hui le principal client de la verrerie du Languedoc, l'avait vendue voilà une dizaine d'années pour un euro symbolique.

Sachant que l'usine vend aujourd'hui 70 % de sa production à Perrier et les 30 % restants au secteur brassicole, je ne vois pas bien en quoi sa fermeture serait justifiée par les problèmes de la viticulture…

Peut-être faudrait-il réexaminer avec soin les aides qui sont versées.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Nédélec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme Anne-Marie Nédélec. Madame la ministre, l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) joue un rôle essentiel d'amortisseur social en avançant le versement des créances salariales dues aux employés lorsque leur entreprise est en procédure collective. Ce mécanisme, financé par les employeurs, représente un filet de sécurité indispensable pour que les défaillances d'entreprise ne se traduisent pas par une précarisation brutale des salariés concernés.

La situation économique dans laquelle nous nous trouvons actuellement pèse fortement sur le régime, avec des montants record d'avances versées ces deux dernières années, ce qui a conduit la gouvernance à augmenter par deux fois le taux de cotisation en 2024.

À ces difficultés conjoncturelles s'ajoutent les conséquences de jurisprudences récentes de la Cour de cassation, qui ont eu pour effet d'étendre progressivement le périmètre de la garantie sur des sommes de nature indemnitaire, s'éloignant ainsi de la mission première de l'AGS : couvrir les créances relatives à la protection de la rémunération. Cela remet en cause la capacité du régime à recouvrer efficacement les fonds avancés aux salariés. Or cette capacité à recouvrer, qui est liée pour l'essentiel au statut de créancier prioritaire, est indispensable pour assurer l'équilibre financier du régime.

Madame la ministre, dans ce contexte instable, quelles garanties le Gouvernement peut-il apporter quant à la sécurisation du régime de garantie des salaires ? Ce sujet primordial pour les salariés et les entreprises de notre pays a-t-il bien été identifié par vos services et ceux des autres ministères compétents ? (M. Bruno Sido applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Anne-Marie Nédélec, vous avez raison, le dispositif AGS est très utile : il participe à garantir le paiement des sommes dues aux salariés, notamment lorsque l'employeur est en procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et qu'il n'a pas les fonds disponibles pour régler les salaires.

Ce régime permet aux salariés d'obtenir le paiement, dans des délais encadrés, de sommes qui leur sont dues. Il n'a jamais fait faillite et a toujours réussi à assurer sa mission, malgré les crises.

Les situations ont été très variables, avec des creux et des vagues. En 2024, le montant des avances a atteint 2,13 milliards d'euros, son plus haut niveau depuis 2014.

Face à la dégradation de la conjoncture et à la hausse des défaillances, l'AGS a – vous l'avez souligné – relevé ses taux.

En outre, le 25 juin 2024, elle a conclu un accord avec les administrateurs et mandataires judiciaires. Les effets sur les ressources du régime sont notables. Au premier trimestre 2025, ce sont ainsi 157,6 millions d'euros qui ont été récupérés, soit une hausse de 53,2 % par rapport au premier trimestre 2024. De même, en 2024, 607 millions ont été récupérés par les administrateurs et mandataires judiciaires, soit une hausse de 72 % par rapport à 2023.

En plus des rentrées liées au taux de cotisation et des sommes récupérées par les administrateurs et mandataires judiciaires, l'AGS peut recourir à des lignes de prêt auprès des banques. Ce n'est jamais arrivé, mais c'est une piste, même si ce n'est pas celle que nous privilégions.

Le Gouvernement est très attaché à ce régime. Nous sommes vigilants et nous continuerons à suivre de près les évolutions dans les prochains mois, en lien notamment avec le ministère du travail.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Nédélec, pour la réplique.

Mme Anne-Marie Nédélec. Certes, madame la ministre, mais, compte tenu de la situation actuelle, il me paraît tout de même essentiel que l'AGS puisse se concentrer sur sa mission première. On ne peut pas tout demander aux entreprises, qui ne sont d'ailleurs pas toutes inscrites au CAC 40 !

Avant de distribuer la richesse, donnons aux entreprises les moyens de la créer !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Je souscris à vos remarques. Le Gouvernement est d'ailleurs très attentif au fait que l'AGS puisse assurer sa mission première : garantir le salaire en cas de défaillance de l'entreprise.

M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat.

M. Simon Uzenat. Je remercie M. le président de la délégation sénatoriale aux entreprises de l'organisation de ce débat.

Madame la ministre, comme l'ont souligné de nombreux collègues, les défaillances sont en hausse notable. En témoigne l'évolution du nombre de redressements ou de liquidations judiciaires prononcés par les tribunaux de commerce – j'ai pu l'observer dans mon département, à Lorient comme à Vannes – entre 2023 et 2024.

Au-delà des défaillances, c'est bien l'emploi qui est menacé. Les entreprises concernées sont principalement des PME et des ETI, de 9 et 4 999 salariés, avec une hausse de plus de 60 % en 2024 par rapport à la période de 2017-2019. Pour les très petites entreprises (TPE), l'augmentation n'est que de 16 %.

Dans l'industrie, la trésorerie et les carnets de commandes sont en baisse, quand les stocks sont en hausse. Dans le bâtiment, la crise est structurelle. Le climat est anxiogène. L'attentisme se généralise. Tout cela est, pour partie, lié au cycle électoral. Mais c'est surtout l'une des conséquences directes des coupes budgétaires que votre gouvernement, madame la ministre, a imposées aux collectivités locales.

Le Sénat a lancé une commission d'enquête sur la commande publique, sur l'initiative du groupe Les Indépendants – République et Territoires. Au bas mot, ce sont 170 milliards d'euros qui sont concernés à ce titre chaque année. En réalité, c'est sans doute beaucoup plus. Un rapport de la Cour des comptes européenne estime à près de 14 % la part de la commande publique dans le PIB de notre continent, soit quelque 300 milliards d'euros, voire 400 milliards d'euros. C'est massif.

Pour soutenir la Fonderie de Bretagne ou pour aider les entreprises qui veulent évoluer en ETI, les collectivités, qu'il s'agisse de Lorient Agglomération ou de la région Bretagne, sont au rendez-vous. Mais, pour cela, elles ont besoin de visibilité et de moyens.

Quelles réponses leur apportez-vous, madame la ministre ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Simon Uzenat, parmi les différents points que vous avez abordés, vous avez rappelé le montant important de la commande publique, soit 170 milliards d'euros, voire plus selon les estimations de la Cour des comptes européenne.

Pour soutenir nos entreprises, en particulier nos TPE et nos PME, il est important de simplifier l'accès à la commande publique. Je me réjouis donc qu'un certain nombre de mesures en ce sens figurent dans le projet de loi de simplification de la vie économique.

Vous m'avez également interrogée sur le besoin de visibilité des collectivités pour pouvoir s'engager dans des opérations d'infrastructures.

Je note qu'aujourd'hui les collectivités locales lancent beaucoup de chantiers. J'en veux pour preuve le nombre important de demandes de subventions, que ce soit dans le cadre de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ; tous les préfets nous le confirment. Cela dénote un engagement très fort de la part des collectivités.

En l'occurrence, si une collectivité mérite une attention particulière, c'est bien, me semble-t-il, le département, qui est confronté à de véritables difficultés, liées à la hausse des besoins en matière sociale et à la baisse de ses ressources – je pense notamment aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Un certain nombre de rapports convergent en ce sens.

Le Gouvernement est pleinement engagé. La ministre Catherine Vautrin a d'ailleurs reçu un certain nombre de représentants des départements voilà quelques jours.

M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.

M. Simon Uzenat. Sur la simplification, nous pouvons être d'accord. Mais les collectivités ont besoin de moyens financiers pour pouvoir investir et soutenir l'économie locale.

Vous avez évoqué la DETR et la DSIL. Or, en la matière, les demandes des collectivités – c'est le cas dans mon département – seront loin d'être toutes satisfaites. Et beaucoup nous disent qu'en l'absence de soutien, elles renonceront à certains projets.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Je rappelle que, globalement, les montants de la DTER et de la DSIL n'ont pas varié ; ceux de 2025 sont équivalents à ceux de 2024. À vous entendre, on pourrait avoir le sentiment qu'ils ont baissé, ce qui n'est pas le cas.

M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat.

M. Simon Uzenat. Madame la ministre, même si l'inflation a diminué, elle n'a pas disparu !

Certes, si l'on ne prend pas en compte l'inflation, les montants paraissent stables. Et encore : pas toujours ! Dans mon département, ils sont en baisse de 2 millions d'euros, avec de lourdes conséquences pour les collectivités, en particulier dans les territoires ruraux.

Pour la seule année 2025, l'effort que vous réclamez s'élève à 7 milliards d'euros. Et cela risque même d'être plus dans les mois à venir, à en juger par les discussions qui s'amorcent et par les coupes supplémentaires que votre gouvernement semble vouloir opérer.

Les élus locaux nous le disent très clairement : ils annulent des projets, tous niveaux de collectivités confondus, toutes sensibilités politiques confondues.

Cela va avoir des effets en chaîne, potentiellement récessifs pour l'économie, avec des répercussions sur tous les territoires, toutes les entreprises.

Madame la ministre, nous espérons que votre gouvernement retrouvera le chemin de la sagesse sur ce sujet particulièrement important pour les collectivités et les entreprises.

M. le président. La parole est à Mme Lauriane Josende. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme Lauriane Josende. Madame la ministre, comme cela a été souligné, les défaillances d'entreprises sont malheureusement devenues trop fréquentes dans notre pays ; nous remercions donc M. le président de la délégation sénatoriale aux entreprises de l'organisation de ce débat d'une importance cruciale.

Le cas de mon département frontalier, les Pyrénées-Orientales, illustre parfaitement un tel phénomène. En effet, on y relève une hausse de 13 % des cessations d'activité par rapport à l'année dernière, soit près de 4 points au-dessus du taux national. Les entreprises du BTP sont particulièrement affectées par le contexte économique. Ainsi, en 2024, près de 25 % des injonctions de payer ont été ordonnées chez nous dans le secteur de la construction.

Parallèlement, on observe une hausse de 9,6 % des créations d'entreprise. Ce taux est supérieur de près d'un point au taux national. Les entreprises du secteur du bâtiment, comme d'autres, illustrent donc le caractère volontariste et particulièrement résilient du territoire que je représente. En soi, cela pourrait nous rassurer.

Mais, au-delà des chiffres, dont on peut faire des moyennes à l'infini, n'oublions jamais que les défaillances d'entreprises sont autant de drames humains et de pertes de savoir-faire difficile à remplacer.

Dans mon département sinistré, je vois trop de chefs d'entreprise – je pense à l'entreprise créée par mon père en 1973 – se battre chaque jour pour survivre. D'autres finissent par baisser les bras. En effet, ils font énormément de sacrifices, mais ils constatent aussi avec amertume que les normes, les charges et la considération envers ces créateurs de richesses et d'emplois ne sont pas les mêmes des deux côtés de la frontière.

Madame la ministre, quels leviers le Gouvernement compte-t-il utiliser pour aider les secteurs les plus fragilisés comme le BTP ? Dans l'esprit du test PME, entend-il prendre en compte la situation chez nos voisins, notamment pour les entreprises des zones frontalières, lorsqu'il envisage de nouvelles mesures ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Lauriane Josende, comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer, j'ai bien conscience que plusieurs secteurs de l'artisanat, notamment le BTP, sont confrontés à une forte augmentation des défaillances, en raison à la fois des hausses des prix des matières premières, de la baisse du nombre de projets en matière de logement, de l'inflation et, parfois, de difficultés de recrutement ou d'approvisionnement.

Je me réjouis qu'il y ait aussi des créations d'entreprises dans certaines zones.

Vous avez également évoqué la situation particulière des zones frontalières, dont les entreprises se trouvent confrontées à des difficultés, car leurs concurrentes ne sont pas soumises aux mêmes normes et à la même fiscalité ou bénéficient de meilleurs dispositifs en termes de compétitivité. Les distorsions ainsi créées ne sont pas toujours faciles à vivre.

Nous devons donc faire en sorte d'améliorer la compétitivité de nos entreprises. Pour ce faire, nous devons réduire encore davantage les prélèvements obligatoires. Nous nous sommes déjà engagés sur cette voie ; je vous renvoie aux décisions qui ont été prises sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Mais il faut continuer et aller plus loin.

Une réflexion sur le financement de la protection sociale s'impose sans doute également. Celui-ci doit-il continuer à reposer exclusivement sur les revenus du travail ? Personnellement, je ne le pense pas. Si le financement des branches chômage, assurance vieillesse et accidents du travail et maladies professionnelles doit effectivement être assis sur le travail, des réponses différentes peuvent s'envisager dans le cas des branches maladie et famille.

Sur le test PME, il faudra effectivement prendre en compte les entreprises des zones frontalières.

M. le président. La parole est à Mme Lauriane Josende, pour la réplique.

Mme Lauriane Josende. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse très complète. La piste que vous évoquez sur le financement de la protection sociale me paraît très intéressante. Il faut que nous la creusions ensemble. Nous nous y emploierons au sein de la délégation sénatoriale aux entreprises. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Pour le test PME – nous avons évoqué le sujet à plusieurs reprises avec M. le président de la délégation sénatoriale aux entreprises –, notre intention est d'avoir un panel d'entreprises volontaires de toutes les tailles, de tous les secteurs d'activité et de tous les territoires, zones frontalières incluses.

M. le président. La parole est à Mme Lauriane Josende.

Mme Lauriane Josende. Encore une fois, dans les Pyrénées-Orientales, nous avons un tempérament volontariste. Je suis certaine que des entreprises de mon département seront volontaires pour participer à ces réflexions et à la recherche de mesures correctrices, au bénéfice de tous.

M. le président. La parole est à M. Damien Michallet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Damien Michallet. Je remercie M. le président de la délégation sénatoriale aux entreprises de l'organisation de ce débat. C'est l'occasion de rappeler que les entreprises ont leur place au sein de la Haute Assemblée.

La question des défaillances, qui nous réunit ce soir, est très importante. En tant qu'élu de l'Isère – j'associe ma collègue Frédérique Puissat à cette prise de parole –, je ne peux pas ne pas évoquer Vencorex, Photowatt, Valeo, entreprises de mon département qui ont disparu.

Nous le voyons ce soir, nous sommes d'accord sur l'objectif : lutter contre la disparition des entreprises.

Madame la ministre, les représentants de l'État ont tendance à minimiser les alertes lancées sur le sujet en rétorquant que la création d'entreprises est toujours dynamique, ce dont nous sommes ravis, et que le solde serait donc positif.

Mais il est dangereux de se rassurer ainsi : la disparition d'entreprises entraîne la disparition de savoir-faire précieux, de compétences uniques. Elle remet aussi en cause certaines chaînes de valeur et peut augmenter notre dépendance aux fournisseurs étrangers. Dans le contexte de guerre commerciale que nous connaissons, cette perspective nous oblige à nous mobiliser pour conserver nos entreprises.

Or, à côté des défaillances, nous observons un phénomène de disparition des entreprises qui, faute de préparation insuffisante en amont, n'ont pas pu être transmises. Dans son dernier rapport sur la transmission d'entreprise, la délégation sénatoriale a montré le caractère essentiel du pacte Dutreil, pourtant ignoré de 82 % des chefs d'entreprise consultés, alors qu'il permet des transmissions aux familles ou aux salariés.

Madame la ministre, je sais que vous y êtes sensible. La transmission, c'est de l'emploi ; c'est de la valeur ajoutée pour nos territoires ; ce sont des savoir-faire conservés ; c'est de la fierté collective.

Le Gouvernement va-t-il enfin lancer une campagne d'information auprès des dirigeants de TPE et de PME, afin de mieux les sensibiliser sur le sujet et de leur présenter le pacte Dutreil, qui est une vraie assurance vie à la transmission ?

Les entreprises les plus modestes en taille sont aussi concernées que les autres, mais elles manquent d'accompagnement et de sensibilisation.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Damien Michallet, il faut effectivement faire très attention lorsque l'on évoque un « solde positif ».

Il est vrai que nous avons beaucoup de créations, mais elles sont souvent le fait de très petites entreprises. Je le rappelle, en 2024, 1,1 million d'entreprises se sont créées, dont 700 000 microentreprises.

En outre, des entreprises cessent parfois leur activité sans qu'il y ait eu, pour autant, défaillance. En 2024, il y a eu 66 000 défaillances et 165 000 entreprises ont cessé leur activité indépendamment des défaillances.

Je partage donc votre sentiment : nous devons nous préoccuper de la transmission et de la reprise des entreprises.

Je tiens à le souligner, le pacte Dutreil est un excellent dispositif, qu'il faut évidemment maintenir. Il facilite la transmission, le plus souvent au sein de la famille, sans avoir à acquitter un certain nombre de droits, permettant ainsi à l'entreprise de continuer à se développer, à investir et à innover. Une proposition de loi visant à le réformer en abaissant l'exonération de droits de mutation à titre gratuit en contrepartie d'un accroissement de la durée de l'engagement a d'ailleurs été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 4 février dernier.

Je suis particulièrement mobilisée sur la question des transmissions et de reprises d'entreprises. En effet, selon les estimations, quelque 700 000 entreprises devraient cesser leur activité au cours des dix prochaines années. Or, aujourd'hui, une entreprise sur deux n'est pas reprise !

Ainsi que j'ai eu l'occasion de m'en ouvrir à M. le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, je vais lancer des Assises de la transmission-reprise, afin de réunir l'ensemble des parties prenantes – chambres consulaires, organisations professionnelles, acteurs économiques, parlementaires, etc. – autour de la table et de faire émerger des propositions.

M. le président. La parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Else Joseph. Madame la ministre, je souhaiterais aborder le suivi de l'impact des défaillances d'entreprises, qui peut être complexe, car il varie selon trois critères.

Le premier est le critère sectoriel. Selon les chiffres de l'AGS, six secteurs concentrent plus de 80 % des salariés bénéficiaires de la garantie des salaires. L'industrie, la construction et les services aux entreprises sont les plus touchés. Mais il y a aussi des progressions inquiétantes, comme dans l'agriculture, où le nombre de défaillances, certes moins important en volume que dans d'autres secteurs, a connu la plus forte hausse – plus de 37 % ! – de l'année 2024.

Le deuxième est le critère géographique. En l'occurrence, l'Île-de-France concentre, sans surprise, 28 % du total des montants versés par l'AGS.

Le troisième est évidemment le critère stratégique. Certaines entreprises peuvent être clés pour l'indépendance de la production française ou pour la conservation d'un savoir-faire.

Madame la ministre, compte tenu de la multiplicité des critères et des données, comment votre ministère et, plus généralement, le Gouvernement pilotent-ils le suivi des défaillances d'entreprises ? Quels sont les indicateurs clés pour lancer une alerte ? Comment les services de l'État s'organisent-ils pour repérer les défaillances les plus inquiétantes pour notre économie ? Inquiétantes, elles le sont toutes du point de vue de l'emploi, mais pas forcément de celui, par exemple, de la souveraineté économique.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Else Joseph, vous avez raison : il y a un certain nombre d'indicateurs clés qui permettent d'avoir des informations sur les défaillances d'entreprises à la fois en général et de manière plus ciblée, par exemple par secteur d'activité, par région ou en fonction de l'effectif.

D'ailleurs, les parlementaires sont souvent assez friands de telles informations, car elles permettent l'élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques visant à éviter un certain nombre de défaillances, ce qui demeure notre objectif premier.

En l'occurrence, la prévention est très importante, d'où l'intérêt d'un projet informatique comme Signaux Faibles, qui est géré par une start-up d'État sous la tutelle de la direction interministérielle du numérique (Dinum). À l'origine conçu pour répondre à l'urgence de la crise du covid-19, il a finalement été pérennisé. Les comités départementaux peuvent ainsi détecter, grâce à des alertes, les éventuelles futures défaillances, ce qui permet de faire de la prévention et de l'accompagnement, notamment vers les procédures amiables. Dans 70 % des cas, cet accompagnement vers une procédure amiable permet d'éviter l'ouverture d'une procédure collective.

Tous ces éléments permettent de consolider les politiques publiques qui sont menées en soutien de nos entreprises.

M. le président. La parole est à Mme Else Joseph, pour la réplique.

Mme Else Joseph. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Dans mon département, les Ardennes, on a constaté une hausse du nombre de bénéficiaires de l'AGS. En effet, nous avons des entreprises en difficulté, notamment dans la fonderie et la métallurgie.

Ce qui remonte du terrain, c'est la multiplicité et la trop grande dispersion des acteurs, de comités, etc. Comme vous l'avez souligné tout à l'heure, il y a une nécessité de mieux intervenir en amont.

Certes, le tribunal de commerce peut conseiller, mais, bien souvent – c'est le cas dans mon département –, le mot « tribunal » fait peur.

Je pense qu'il faudrait un guichet unique pour plus de simplicité et une meilleure information de l'ensemble des parties prenantes.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Vous avez tout à fait raison, madame la sénatrice.

Il y a effectivement une difficulté de lisibilité, ce qui ne permet pas aux entreprises de frapper à la bonne porte. Le problème a d'ailleurs été souligné dans des rapports de la Cour des comptes et de la médiation du crédit aux entreprises.

Je l'ai moi-même évoqué la semaine dernière dans la Loire. Je pense qu'une réflexion sur la mise en œuvre d'un point d'accès unique s'impose. Le conseiller départemental aux entreprises en difficulté (CDED) pourrait très bien être cette porte d'entrée : il pourrait orienter les entreprises de 50 à 400 salariés vers les CRP et les entreprises de plus de 400 salariés vers le Ciri.

En tout cas, je continuerai à travailler sur ce sujet.

M. le président. La parole est à Mme Else Joseph.

Mme Else Joseph. Je vous remercie pour ces éléments, qui sont de nature à rassurer les acteurs de mon territoire.

En amont de ce débat, j'ai beaucoup consulté. Ce ressenti me semble largement partagé : on voit bien l'évolution des carnets de commandes, mais on ne sait pas à qui s'adresser. Votre annonce est une bonne nouvelle. Il faudra communiquer sur ce sujet.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Valente Le Hir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sylvie Valente Le Hir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Panhard, Citroën, Peugeot, Renault sont devenus des noms synonymes de l'histoire industrielle et automobile française au cours du XXe siècle.

L'automobile a transformé notre quotidien et façonné nos territoires, comme l'illustrent les exemples de Peugeot à Sochaux ou de Michelin à Clermont-Ferrand.

Or ce que nous imaginions impensable est en train de survenir : notre filière automobile et ses sous-traitants sont purement et simplement menacés de disparition.

Les causes sont plurielles : concurrence étrangère, choix industriels erronés, décisions politiques inconsidérées. Quant aux chiffres, ils sont impressionnants : 149 000 entreprises, 990 000 emplois directs et indirects, 155 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 6 milliards d'euros investis chaque année dans la recherche et développement, selon les chiffres officiels du ministère.

Prenons l'exemple de la ville de Méru, dans l'Oise, où le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) affectant le centre technique Forvia a conduit, en novembre dernier, à la suppression de cent deux postes dans le service de recherche et développement.

Ce fut, pour cette ville de près de 15 000 habitants, un cataclysme, un traumatisme d'autant plus fort qu'en juillet 2020, le ministre de l'économie, M. Bruno Le Maire, était venu sur place parler de verdissement et de relance de l'économie.

Les dernières annonces du président des États-Unis, Donald Trump, sur une augmentation sans précédent des droits de douane viennent encore noircir davantage un tableau déjà sombre.

Comment être conscient de cette situation et laisser faire ? Nous savons et nous laissons faire ! Alors que le libre-échange devient de plus en plus théorique en raison de la montée en puissance de nouveaux acteurs tels que la Chine, qui subventionne allègrement ses constructeurs, nous, Européens, refusons d'accompagner les nôtres.

Pire encore, nous leur imposons unilatéralement et contre toute réalité un calendrier de fin de vente des véhicules thermiques en Europe à l'échéance 2035.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Sylvie Valente Le Hir. Dans ce contexte et sans modification des règles en vigueur, nous sommes condamnés à vivre et à revivre le même scénario qu'à Méru.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Sylvie Valente Le Hir, vous évoquez la situation de la filière automobile et, en particulier, celle d'une entreprise de votre territoire.

Les ventes de véhicules en France sont structurellement en baisse depuis les années 2000, mais elles ont aussi chuté fortement dans les dernières années, puisque l'on compte près de 25 % d'immatriculations en moins par rapport à 2019.

D'autres éléments sont à prendre en compte, comme le choix de sortir du véhicule thermique en 2035. À cet égard, nous sommes au milieu du gué : les constructeurs automobiles ont investi pour transformer leur industrie, des bornes de recharge commencent à être déployées, les utilisateurs de véhicules électriques sont de plus en plus nombreux et cette technologie continuera sans aucun doute à s'imposer dans les années qui viennent.

Je suis consciente des fortes répercussions de ce contexte de marché sur les entreprises de l'industrie automobile, comme Forvia, par exemple, qui vient d'annoncer la suppression de 10 000 emplois en Europe.

Il faudra accompagner ces suppressions d'emplois et prêter une attention particulière aux dispositifs de reclassement qui seront mis en place.

Nous devons également soutenir la filière automobile française dans sa transformation. Au travers de dispositifs comme France Relance ou France 2030 – 54 milliards d'euros ont été engagés au titre de France 2030 dans la rénovation de notre industrie et la préparation du futur –, nous l'accompagnons déjà et nous continuerons de le faire.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Christian Klinger, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Klinger, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la richesse d'un débat comme celui-ci démontre l'utilité de la délégation sénatoriale aux entreprises, dont la mission est d'aborder les sujets de façon transversale, en complément des travaux des commissions permanentes.

Les questions de nos collègues en témoignent : seule une approche globale permettra d'aborder de façon pertinente la question des défaillances d'entreprises.

Simplification des normes, concurrence européenne et internationale, développement des PME et des ETI, transmission des entreprises, retards de paiement, développement des compétences ou encore viabilité financière de l'AGS sont autant de facettes qui montrent qu'il est impossible de s'attaquer au sujet des défaillances au travers d'un prisme unique.

J'aurais pu, d'ailleurs, ajouter à cette liste la question du foncier économique, ayant été l'auteur, avec mon collègue Michel Masset, d'un rapport de la délégation sur ce sujet. Il y a tant de progrès à accomplir en la matière !

Nous avons, d'une manière générale, un problème de délais : les décisions politiques devant apporter des solutions sont prises dans des délais beaucoup trop longs.

Les présidents des organisations patronales nous l'ont dit cet après-midi lors d'une table ronde : le temps des mesures politiques est trop long, en total décalage avec celui de la vie économique. L'action publique doit impérativement gagner en agilité.

Tous les sujets que la délégation analyse depuis sa création et pour lesquels elle propose des solutions concrètes doivent être traités si l'on veut éviter que les chiffres des défaillances ne repartent fortement à la hausse dans le contexte actuel de guerre commerciale.

Comme l'a rappelé le président de la délégation, Olivier Rietmann, il faut mettre en œuvre, en complément, une véritable stratégie de soutien à la compétitivité des entreprises.

Nos échanges n'auront de sens que si nous prenons conscience de l'impact de nos décisions, notamment lors des prochains arbitrages budgétaires.

J'insiste sur la nécessité d'élaborer des réformes structurelles visant à réduire la dépense publique, plutôt que de miser sur une contribution toujours plus importante des entreprises.

Dans une récente tribune, le directeur général de Bpifrance, Nicolas Dufourcq, nous interpelle ainsi : « il est honnêtement dur d'être européens en ce moment », regrettant que l'Europe ne soit un « prédateur en rien » et doive subir les attaques des États-Unis et de l'Asie. Il ajoute : « Et maintenant, comme on le fait avec les faibles, on nous piétine des deux côtés. »

Nous devons en effet être courageux. Cette vision d'une Europe qui se tire une balle dans le pied, beaucoup de dirigeants la partagent encore davantage pour la France, où la fiscalité et les impôts de production en particulier constituent un handicap pour les entreprises.

Ayons le courage de continuer ce débat dans les mois qui viennent pour aborder le projet de loi de finances pour 2026 avec pragmatisme et clairvoyance.

Madame la ministre, par le truchement des questions de mes collègues sénateurs, vous avez entendu la souffrance des territoires qui sont touchés par les défaillances d'entreprises. Ce sont autant de drames que nous souhaitons tous éviter.

Nous avons compris que vous partagiez notre préoccupation. Comme vous le disiez en introduction, c'est là la base d'un dialogue. Les échanges de ce soir constituent donc une première étape dont nous pouvons nous réjouir.

Toutefois, la suite à donner requiert une mobilisation urgente sur tous les fronts. Nous continuerons à rappeler les réalités du monde économique et à défendre les mesures qui doivent devenir prioritaires afin d'inverser, enfin, la tendance aux défaillances d'entreprises que nous avons décrite. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les défaillances d'entreprises.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de M. Alain Marc.)

PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

4

INITIATIVES EUROPÉENNES EN MATIÈRE DE SIMPLIFICATION ET D'ALLéGEMENT DE LA CHARGE ADMINISTRATIVE PESANT SUR LES ENTREPRISES

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les initiatives européennes en matière de simplification et d'allégement de la charge administrative pesant sur les entreprises.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe auteur de la demande.

M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe Les Républicains, qui a souhaité ce débat sur les initiatives européennes en matière de simplification et d'allégement de la charge administrative pesant sur les entreprises.

Ce débat intéresse au-delà de nos murs. Une contribution m'a ainsi été adressée par le Conseil national des barreaux, qui souligne les enjeux de sécurité juridique et de cohérence du marché unique liés aux initiatives qui sont actuellement prises par la Commission européenne.

Voilà quelques semaines, la commission des affaires européennes a organisé, conjointement avec la délégation sénatoriale aux entreprises, une table ronde sur la simplification.

Elle a également adopté une proposition de résolution européenne que j'ai présentée avec le président Rietmann pour défendre la reconnaissance par l'Union européenne des entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Lors de notre réunion conjointe, les représentants des entreprises nous ont fait part de leur vive préoccupation quant à la mise en œuvre de plusieurs réglementations européennes, mais ils ont aussi souligné un changement d'approche de la part de la nouvelle Commission européenne.

Soyons clairs : cette nouvelle approche, dont la restauration de la compétitivité européenne est l'un des maîtres-mots, répare certaines erreurs commises sous la précédente mandature.

La période 2019-2024 a en effet été marquée par des mesures fortes et parfois très symboliques de régulation de certains pans de notre économie. Je pense évidemment aux règles adoptées en matière de durabilité et de devoir de vigilance au travers des fameuses directives sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D), que la Commission européenne propose désormais de réviser.

Je pense aussi au paquet Ajustement à l'objectif 55, qui a posé des règles à certains égards trop contraignantes – le Sénat l'a souvent souligné – pour notre industrie, depuis la fin des véhicules thermiques neufs en 2035 jusqu'aux modalités de mise en œuvre du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), que la Commission européenne envisage désormais de reprofiler, ce dont je me félicite.

La Commission semble ainsi s'engager dans une nouvelle voie, plus réaliste et plus en phase avec les contraintes des entreprises ; plus consciente, aussi, me semble-t-il, du basculement qui s'opère au niveau mondial.

L'Union européenne fait face à des stratégies économiques très agressives de la part de nombreux concurrents, en particulier de la Chine et des États-Unis. L'administration Trump se montre aujourd'hui particulièrement véhémente, mais nous ne devons pas oublier que c'est l'administration Biden qui a fait adopter l'Inflation Reduction Act (IRA).

Confrontée à cette situation, l'Union n'a pas d'autres choix que de devenir plus productive, de libérer son potentiel d'innovation, de simplifier sa réglementation et de lui redonner de la cohérence.

Mario Draghi a souligné avec force que sans un effort de productivité, l'Europe ne pourra pas « être à la fois un leader des nouvelles technologies, un phare de la responsabilité climatique et un acteur indépendant sur la scène mondiale ». Il ajoutait qu'elle ne pourrait pas non plus financer son modèle social et qu'elle devrait « revoir à la baisse » certaines de ses ambitions, « si ce n'est toutes ».

La Commission européenne a ainsi présenté à la fin du mois de janvier une ambitieuse « boussole pour la compétitivité », qui passe en particulier par un « choc de simplification » pour les entreprises, c'est-à-dire un allégement des contraintes administratives qui pèsent sur elles.

La Commission européenne l'affirme : « Cette fois, nous sommes sérieux. » L'ambition est forte et je m'en félicite, puisqu'elle vise à réduire d'au moins 25 % la charge administrative qui pèse sur les entreprises et d'au moins 35 % celle qui pèse sur les PME.

Mais à quoi nos entreprises peuvent-elles s'attendre en pratique, après plusieurs années pendant lesquelles elles se sont vues imposer des contraintes nouvelles ?

Que les choses soient claires : loin de moi l'idée qu'il faille rejeter en bloc la réglementation fixant aux entreprises des obligations en matière de durabilité ou de responsabilité sociale et environnementale.

Rappelons qu'avant la CSRD la directive NFRD (Non Financial Reporting Directive) adoptée en 2014 avait déjà imposé à plus de 11 000 entreprises de réaliser un reporting extrafinancier.

La Commission européenne ne propose pas de déréguler – c'est un autre débat –, mais de simplifier. Et il y avait urgence, compte tenu du périmètre des entreprises couvertes ou du nombre d'indicateurs qu'elles devront fournir. On avait mis en place une véritable usine à gaz !

Je ne perds pas de vue non plus l'enjeu de la transition écologique, mais nous devons être lucides et responsables. Les entreprises européennes sont de très loin parmi les plus vertueuses du monde sur le plan écologique et social.

Dans un contexte de concurrence exacerbée, ne leur imposons pas des contraintes excessives qui vont les conduire à s'implanter en dehors de l'Union ou favoriser des concurrents bien moins vertueux.

Je me réjouis donc de l'adoption rapide de la directive dite Stop the Clock, qui a retardé de deux ans la mise en œuvre de la directive sur la durabilité et d'un an celle de la directive sur le devoir de vigilance.

Il faut maintenant réviser le fond de ces dispositifs et veiller à une réelle cohérence de l'ensemble des normes au niveau européen – je pense notamment à la taxonomie –, mais aussi à une bonne articulation entre le droit national et le droit européen.

Je ne méconnais pas non plus les craintes exprimées par le Conseil national des barreaux. En matière de durabilité, la France a fait figure de bon élève en transposant en premier la directive dès 2023. Arrêter la pendule permettra de donner aux entreprises concernées le temps de s'adapter, mais qu'en sera-t-il de celles qui ont déjà scrupuleusement rempli leurs obligations ? Comment éviter une forme de prime aux mauvais élèves ?

En ce qui concerne le devoir de vigilance, nous avions déjà alerté sur le poids de la charge pesant sur les entreprises pour s'assurer du respect des normes en matière de droits de l'homme et de protection de l'environnement tout au long de la chaîne de valeur.

Là encore, nous ne pouvons que nous féliciter de l'allégement proposé, notamment de la concentration des mesures de vigilance sur les seuls partenaires directs et de la diminution de la fréquence de déclaration incombant aux entreprises.

Toutefois, les entreprises ne seront-elles pas soumises à des obligations de reporting différentes selon que leur chaîne de valeur est composée d'un grand nombre de petites entreprises ou principalement d'entreprises de plus grande taille ?

J'observe que le nouveau gouvernement allemand devrait proposer d'abroger la loi sur les obligations de devoir de vigilance dans les chaînes de valeur, entrée en vigueur en janvier 2023, pour la remplacer par une loi sur la responsabilité internationale des entreprises, qui mettra en œuvre la directive européenne en cours de renégociation. En attendant, il n'y aura pas de sanction pour les entreprises qui ne respecteraient pas la loi actuellement en vigueur, à l'exception des violations massives des droits de l'homme.

Il est donc urgent d'adopter le premier train de simplification contenu dans le paquet Omnibus du 26 février dernier pour éviter toute distorsion de concurrence au sein de l'Union.

Je veux également souligner l'intérêt que pourrait présenter la proposition de création d'un vingt-huitième régime juridique. Il se veut le moyen, pour les entreprises innovantes, de bénéficier d'un ensemble unique de règles lorsqu'elles investissent et exercent leurs activités où que ce soit au sein du marché unique. Pouvez-vous, madame la ministre, nous donner des précisions quant à la position du Gouvernement sur ce dossier ?

Au-delà de ces premières mesures, il est nécessaire que la démarche de simplification se poursuive dans la durée. D'autres paquets de simplification sont attendus en faveur des ETI, mais aussi pour redonner de l'air au secteur agricole, qui a été si contraint ces dernières années.

Nous avons besoin de redonner de la compétitivité aux entreprises dans l'ensemble des secteurs économiques. Nous avons besoin de mieux prendre en compte leur capacité à absorber les normes, en traitant en particulier de manière adaptée les PME et les ETI, mais aussi de mieux prendre en compte leur capacité à faire face à la concurrence internationale.

Pouvez-vous, madame la ministre, affirmer devant nous la détermination du Gouvernement à défendre cette démarche de restauration de la compétitivité ? Pouvez-vous également nous préciser les mesures que vous soutenez plus particulièrement, ainsi que vos éventuelles lignes rouges ou mises en garde ? (Mme Pascale Gruny applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier pour l'organisation de ce débat sur les travaux européens en matière de simplification des obligations administratives des entreprises.

Il s'agit là d'une priorité du Gouvernement au moment où, comme vous l'avez très justement dit, monsieur le sénateur Rapin, la compétitivité européenne doit être renforcée et dans un contexte de mise en œuvre du Pacte vert et de recomposition des équilibres géopolitiques internationaux.

À la suite de la publication du rapport Draghi et du constat unanime d'un déficit de compétitivité de l'Union européenne, la Commission a proposé, à la fin du mois de février dernier, un premier paquet Omnibus de simplification de la réglementation en matière de durabilité.

Il ne s'agit en aucun cas, au travers de ces mesures, de remettre en question les objectifs environnementaux que s'est fixés l'Union européenne dans le cadre du Pacte vert – ils sont eux-mêmes gage de compétitivité – ni son leadership en la matière.

Nous savons en effet que l'inaction environnementale est un risque majeur. Selon le réseau des banques centrales sur le climat, la poursuite des trajectoires climatiques actuelles conduirait à une perte de 15 % à 20 % du PIB mondial d'ici à 2050. L'année 2024 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée, marquant le premier dépassement du seuil des 1,5°degré Celsius de réchauffement.

Dans ce contexte, la mise en œuvre des objectifs du Pacte vert reste un impératif crucial.

Pour atteindre ces objectifs, les entreprises doivent pleinement intégrer leurs impacts et les risques environnementaux dans leur gestion stratégique sans toutefois perdre en compétitivité.

En pratique, ces enjeux deviennent constitutifs des relations d'affaires, tandis que les institutions financières les intègrent de plus en plus dans leurs décisions d'investissement.

Il est capital de s'appuyer sur l'expérience concrète de nos entreprises européennes, dans un contexte où certaines grandes puissances se désengagent politiquement de la lutte contre le changement climatique.

L'appel lancé par Mario Draghi a bel et bien été entendu et la France agit pleinement pour proportionner sa réglementation et ne pas freiner sa compétitivité.

Le paquet Omnibus prévoit de limiter le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières aux importations de plus de 50 tonnes de marchandises par an, alors que le seuil initial était de 150 euros d'importation. Il est important de le mentionner, car il s'agit d'une simplification massive et efficace, puisqu'elle sort du champ 92 % des entreprises tout en couvrant toujours 98 % des émissions. Cet exemple est à suivre.

Le paquet Omnibus vise également à réviser la directive CSRD, qui requiert la publication d'informations auditées et comparables en matière de durabilité. L'exercice étant manifestement trop lourd, il est prévu de recentrer la directive sur les entreprises de plus de 1 000 salariés, ce qui conduit à exempter 80 % des entreprises. Un décalage de deux ans du calendrier est aussi prévu, en particulier pour les entreprises non cotées. Enfin, le volume des informations à publier sera réduit.

Il s'agit donc d'une simplification très forte, que le Gouvernement soutient vivement.

Au niveau national, nous avons pris le plus tôt possible, au travers de la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue) adoptée par le Parlement voilà quelques semaines, des dispositions de transposition.

Pour ce qui est de la directive CS3D sur le devoir de vigilance, l'enjeu de la négociation européenne est de simplifier la directive actuelle, qui va au-delà de la loi française, et d'assurer des conditions de concurrence équitables.

La proposition de la Commission apporte des modifications bienvenues, qui renforcent la proportionnalité du cadre, comme la focalisation des mesures de vigilance sur les partenaires directs.

Le Gouvernement est favorable à des modifications supplémentaires, comme le rehaussement du seuil à 5 000 salariés, en cohérence avec la loi française, afin de limiter son application aux entreprises ayant les moyens humains et financiers suffisants, ainsi qu'une influence véritable sur leur chaîne de valeur.

Par ailleurs, la suppression d'un régime de responsabilité civile harmonisé se ferait au détriment des entreprises françaises. Il s'agit donc d'un point important dans les négociations qui sont en cours.

Comme vous le voyez, le travail de simplification ne recule pas devant l'obstacle. Le Gouvernement agit avec détermination pour qu'elle soit ambitieuse et adaptée aux réalités économiques, sans toutefois compromettre – j'insiste sur ce point – nos objectifs premiers.

Renforcer notre compétitivité en limitant la lourdeur administrative nous permettra d'atteindre de façon pragmatique les objectifs du Pacte vert, qui restent notre priorité.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Gérard Lahellec, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (M. Michaël Weber applaudit.)

M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Commission européenne a présenté le 26 février dernier une proposition de directive dite Omnibus afin de réduire les charges administratives et réglementaires pesant sur les entreprises d'au moins 25 %.

Sous prétexte de renforcer la compétitivité, cette proposition fragilise plusieurs avancées récentes : la responsabilité sociétale des entreprises, la finance durable et les exigences accrues de transparence.

Or, si nos entreprises sont dans une situation compliquée, c'est parce que l'économie contemporaine est régie par une forme de prime au vice.

En gros, plus une entreprise a des pratiques délétères pour l'intérêt général, plus elle est profitable. Si vous décidez de délocaliser pour produire dans des pays où les normes sociales et environnementales sont limitées, vous obtenez des coûts de production moins élevés et vous êtes donc plus compétitif.

Forcément, pour les entreprises qui veulent produire en France tout en respectant le droit applicable, il est extrêmement compliqué de s'en sortir.

La fast fashion, dans le secteur du textile, est l'incarnation de ces pratiques délétères : les entreprises vendent à bas prix des produits fabriqués dans des conditions déplorables et acheminés souvent par avion. En face, les PME françaises qui veulent produire du textile qualitatif en Europe sont étranglées par cette concurrence déloyale.

Dans le contexte de guerre commerciale engagée par Donald Trump, le phénomène pourrait s'amplifier. Faute de débouchés aux États-Unis, les produits chinois à prix cassés vont affluer et investir le champ européen. C'est déjà le cas, notamment, des voitures électriques.

Les entreprises de plusieurs secteurs ont donc besoin de régulations pour être protégées de ce système pernicieux.

Je prends pour exemple la proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile, dite « anti fast fashion », qui a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en 2024.

Elle prévoit notamment d'augmenter les contributions financières payées par ces entreprises dans le cadre de la responsabilité élargie des producteurs (REP), en prenant en considération l'impact environnemental des produits mis sur le marché. Ce type de mesures contribuerait à réduire la concurrence déloyale que subissent les acteurs du made in France ou du made in Europe.

Méfions-nous donc de certaines préconisations affirmant que la régulation est un fardeau administratif. Elles servent des intérêts privés. Les lobbies profitent des inquiétudes sur le commerce international pour remettre en cause l'ensemble du cadre réglementaire.

Ce n'est pas parce qu'il y a des accidents à certains carrefours qu'il faut pour autant supprimer les feux rouges ! C'est au contraire en régulant la vitesse et le trafic qu'on peut fluidifier la mobilité.

Les entreprises ont besoin de régulations qui les protègent du dumping social et environnemental. Sans régulation, c'est toujours la loi du plus fort et du moins scrupuleux qui s'applique.

L'Europe fait face à une perte de souveraineté économique. Si nous voulons nous en sortir, nous avons tout intérêt à préserver la qualité de nos emplois, notre système de santé, nos sols, la qualité de notre air et de notre eau. Pour cela, il faut des règles.

L'Europe a la possibilité d'incarner une autre économie, sociale et écologique. C'est aussi ce qui lui permettra de rester une puissance durable sur la scène mondiale.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur Lahellec, je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur un certain nombre de points.

Je reviendrai dans un instant sur la question de la fast fashion et des produits chinois, sur laquelle nous avons particulièrement travaillé ce matin avec mes homologues relevant du périmètre de Bercy.

Il est vrai que nous entendons beaucoup parler de cette Europe qui régule, mais nous devons faire la différence entre, d'une part, l'objectif de la régulation, laquelle vise très souvent, en Europe, à protéger nos valeurs et à définir les modalités selon lesquelles nous souhaitons que l'Union européenne fonctionne, et, d'autre part, la mise en œuvre de cette régulation. Nous travaillons, à cet égard, à simplifier le plus possible afin de ne pas ralentir nos entreprises, qui elles-mêmes portent nos valeurs.

Il ne faut donc pas se laisser enfermer dans un discours, qui est d'ailleurs parfois instrumentalisé – je vous rejoins sur ce point, monsieur le sénateur – selon lequel la régulation serait une fin en soi et ne serait que négative.

En ce qui concerne la fast fashion et la concurrence des produits chinois, j'indique tout d'abord que la proposition de loi que vous avez évoquée sera examinée en séance publique, au Sénat, les 2 et 3 juin prochains. Je m'en réjouis. Nous serons très attentifs à l'évolution des débats.

J'ai en effet pu observer de mes propres yeux, ce matin, comment se matérialisait le risque que vous avez décrit, monsieur le sénateur. Autour du ministre Éric Lombard, nous étions ainsi, avec mes collègues Amélie de Montchalin et Véronique Louwagie, à Roissy. Nous avons pu constater la masse des petits colis d'une valeur inférieure à 150 euros : on estime que 800 millions de ces colis arrivent chaque année en France.

Nous avons discuté avec les agents des services des douanes et des autres services concernés. Ces colis présentent des risques avérés : pour les Français, tout d'abord, parce que 94 % d'entre eux contiennent des produits non conformes, mais aussi pour notre économie, en raison notamment de la contrefaçon, et pour nos finances publiques, parce que ces colis ne sont pas toujours bien déclarés.

Nous allons donc renforcer les contrôles. Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, envisage d'ailleurs d'instaurer des frais de gestion pour les financer, car il ne revient pas aux contribuables d'en payer le coût.

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jacques Fernique. Madame la ministre, le paquet Omnibus proposé par la Commission européenne prétend alléger les charges administratives qui pèsent sur les entreprises. Derrière ce vernis de simplification se concrétise en réalité un très net coup de frein à la transition écologique européenne.

On veut nous fait croire que l'objectif serait de faciliter la vie de nos entrepreneurs écrasés par les formalités administratives, que les obligations sociales et environnementales seraient des tracasseries qui, permettez-moi l'expression, pourriraient la vie des acteurs économiques sans utilité.

En fait, parler de simplification à propos du paquet Omnibus relève de l'abus de langage. Ce qui se joue réellement, ce n'est pas la suppression de lourdeurs administratives. En vérité, on assiste à un renoncement, à une régression par rapport à des avancées qui ne résultent pas de décisions prises à la légère, mais qui ont été réalisées en toute connaissance de cause, à l'issue de concertations,…

M. Olivier Rietmann. Certainement pas !

M. Jacques Fernique. … de négociations difficiles, en trilogue notamment.

Le Pacte vert européen est un acquis de la précédente législature.

Ce paquet Omnibus marque ainsi une régression. Si le Sénat devait le soutenir, cela constituerait aussi une régression pour notre assemblée.

Je me souviens qu'en 2022 – ce n'est pas si loin ! – le Sénat avait adopté, de manière transpartisane, une résolution européenne, dont j'étais l'auteur avec Christine Lavarde et Didier Marie, sur la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

Je me souviens aussi des recommandations – c'était l'an dernier – de la commission d'enquête sénatoriale sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer le respect par TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France.

Ces travaux témoignaient d'une exigence, d'une ambition en ce qui concerne la directive sur le devoir de vigilance des entreprises, dont la Commission prône désormais l'affaiblissement en présentant le paquet Omnibus.

Il s'agit d'un choix politique, délibéré, soutenu – il faut le dire – par la droite et l'extrême droite européennes. Sous prétexte de simplifier, on prend pour cible tout ce qui relève du progrès environnemental ou des droits sociaux à l'échelle de la planète. Les règles sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) sont pointées du doigt comme bouc émissaire des difficultés des entreprises.

Je ne citerai que les principaux reculs qu'entraînerait l'adoption de ce paquet Omnibus.

La mise en œuvre des directives CSRD et CS3D serait reportée dans le temps, ce qui serait contre-productif.

Le champ d'application de la directive CSRD serait réduit : 80 % des entreprises qui auraient dû y être assujetties seraient épargnées, si bien que ne seraient plus concernées, en définitive, que 0,02 % des entreprises européennes.

L'évaluation des impacts négatifs de l'activité de l'entreprise ne serait plus obligatoire que tous les cinq ans, et non plus tous les ans.

L'obligation de rompre les relations commerciales en cas d'incidences négatives avérées serait supprimée.

Surtout, le devoir de vigilance ne s'appliquerait plus à l'ensemble de la chaîne d'activité : ainsi, le principe même de cette directive serait liquidé.

Enfin, les victimes perdraient leur possibilité de recours juridique.

Madame la ministre, mes chers collègues, lorsque l'on affaiblit les obligations de reporting et que l'on recule sur la régulation, on ouvre les vannes au dumping social et environnemental qui, précisément, malmène nos entreprises et entrave la réindustrialisation. Vouloir affaiblir nos instruments extraterritoriaux et pousser à l'adoption de ce paquet Omnibus vont à l'encontre de nos objectifs en matière de souveraineté industrielle.

La France a été pionnière en ce qui concerne le devoir de vigilance, à la suite à l'effondrement du Rana Plaza. Notre pays était alors à l'avant-garde.

Si nous sapons ainsi nos acquis sociaux et environnementaux, nous allons perdre un temps précieux, alors qu'ailleurs les autres pays travaillent à renforcer la résilience de leurs entreprises. La Chine nous talonne ainsi en matière de standards de durabilité. L'Australie, le Japon, le Canada adoptent des législations sur le devoir de vigilance.

Voulons-nous vraiment perdre notre avance ? Cette dérégulation se ferait au détriment de la souveraineté européenne, de l'emploi et des entreprises qui ont investi : en revenant sur les règles existantes, on encourage le vice et sanctionne la vertu ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, nous maintenons avec détermination l'objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre, au niveau européen, d'ici à 2035, ne serait-ce que pour des raisons économiques – mais il y en a d'autres –, car, comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, la trajectoire climatique actuelle aurait un impact de 15 % à 20 % sur le PIB mondial.

Il s'agit d'avancer vers cet objectif en simplifiant de manière utile et intelligente, sans alourdir la charge pour nos entreprises. Tel est l'enjeu des discussions actuelles. Je prendrai l'exemple, que j'ai déjà évoqué, mais qui est particulièrement parlant, du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières : il est envisagé de retirer 92 % des entreprises de son champ, mais on couvrirait toujours 98 % des émissions.

Vous avez parlé du devoir de vigilance. La France, vous l'avez dit, a été précurseur en la matière. Le Gouvernement défend, dans les négociations européennes, le maintien d'un certain nombre d'obligations. Nous avons ainsi fait savoir que la suppression d'un régime de responsabilité civile harmonisé se ferait au détriment de nos entreprises. C'est un point important, sur lequel nous serons très attentifs dans les négociations.

Le paquet Omnibus actuel vise les dispositions relatives aux devoirs des entreprises en matière de responsabilité sociale et environnementale.

Pour autant, nous travaillons aussi à simplifier toutes les réglementations européennes, y compris celles qui sont en cours de discussion, comme la proposition de règlement relatif à un cadre pour l'accès aux données financières, dit Fida (Financial Data Access).

De même, un paquet spécifique sera consacré au secteur du numérique ; il sera présenté en octobre prochain.

J'y insiste : nous œuvrons à simplifier dans tous les secteurs.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Michaël Weber. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, face à une mondialisation sans foi ni loi, qui creuse les inégalités et nous pousse vers un modèle de consommation toujours plus destructeur pour la santé humaine et l'environnement, la norme peut être protectrice.

La déréglementation et la dérégulation financière constituent une réponse dangereuse au haro contre la charge administrative. Un espace existe entre bureaucratie et réglementation nécessaire. La frontière est certes ténue, mais nous pouvons diminuer la complexité sans restreindre nos exigences.

L'Europe doit fonder sa compétitivité sur les atouts de son modèle social, qui est unique au monde, et ne rien renier de son ambition. Elle seule porte, de nos jours, un projet et une vision cohérente pour une économie responsable et durable.

L'Union européenne réglemente l'accès à son marché pour favoriser le développement d'entreprises européennes vertueuses, limiter nos émissions de carbone, lutter contre l'érosion de la biodiversité et la pollution de l'air et améliorer notre alimentation.

L'Europe met en œuvre des mesures concrètes pour garantir le respect des droits humains, afin que nos valeurs ne deviennent pas de simples idéaux vénérables inscrits dans nos constitutions et un alibi juridique sans réalité dans nos vies quotidiennes.

L'argument est aussi d'ordre économique. L'Europe propose un modèle de vie attractif et innovant fondé sur la durabilité. Le renforcement de la qualité de nos modes de production et de consommation constitue l'avantage compétitif de notre système.

Les investissements verts, l'innovation durable, l'harmonisation du marché européen, qui pèse autant que celui des États-Unis, constituent ainsi des piliers de la compétitivité européenne : nous n'opposons pas la stabilité financière à la transition écologique et au respect des droits humains.

Or c'est au nom de cette même compétitivité que l'on veut saper les avancées majeures de l'Union européenne en matière de droits humains, d'environnement et de climat.

Dans cette course aveugle à la compétitivité, comparons un instant, mes chers collègues, les modèles sociaux européens et américains.

L'espérance de vie en Europe est la plus élevée du monde et les inégalités y sont les plus faibles. Les émissions de carbone sont trois fois plus élevées aux États-Unis qu'en Europe. La production d'électricité en Europe est la moins carbonée : la part des énergies renouvelables atteint 45 %, alors que ce taux plafonne à 15 % aux États-Unis. La surface agricole en bio est proche de 10 % en Europe, alors qu'elle est de moins de 1 % outre-Atlantique. Le continent américain a triplé sa consommation de pesticides quand l'Europe l'a réduite de 5 %.

Les politiques que nous menons collectivement ont bel et bien des résultats concrets. Cependant, nos engagements pour une économie durable et responsable suscitent des oppositions fortes de la part de nos partenaires et concurrents internationaux.

L'administration américaine, comme à l'époque de Kissinger, n'hésite ainsi pas à s'immiscer dans nos politiques pour les contourner, dans le but de torpiller le Pacte vert européen et de défaire nos ambitions agroécologiques.

Aux États-Unis, les normes et les fonds ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) sont pris pour cible depuis 2022. Le mot d'ordre semble y être : toujours plus de profits pour les grands groupes, plus d'énergie fossile, de ségrégation sociale, d'inégalité, de fraude, d'intimidation, de précarité, et moins de droits humains, d'environnement, de solidarité et de justice.

Cette politique inique et absurde est désormais présentée par certains comme une recette payante, dans une course à la croissance où la norme est perçue comme un obstacle.

Subissant cette pression politique, la Commission européenne ouvre désormais la boîte de Pandore, en affichant sa volonté de revenir sur ses normes les plus ambitieuses, en les reportant sine die ou en restreignant leur champ d'application, au risque de les vider de leur substance et de ne produire que des coquilles vides.

Or ces retours en arrière, sous la pression internationale, ces va-et-vient incessants nous affaiblissent collectivement, créent de l'incompréhension et de l'instabilité, dont les entreprises européennes sont les premières à souffrir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, vous l'avez très justement dit, il s'agit, pour l'Europe, de trouver le bon équilibre, en simplifiant pour limiter la bureaucratie, mais sans réduire notre ambition.

Vous avez évoqué le risque de vider de sa substance notre législation. Il est important de rappeler que la version de la directive CSRD qui figure dans le paquet Omnibus demeure très ambitieuse, comme en témoignent les obligations qui restent à la charge des entreprises. Elle est notamment plus ambitieuse que les standards internationaux, tels que ceux de l'ISSB (International Sustainability Standards Board), dont la mise en œuvre est facultative. L'Europe reste donc leader en la matière.

Vous avez aussi soulevé la question de la prévisibilité et du risque d'instabilité juridique que ces modifications peuvent entraîner pour les entreprises. C'est une vraie question. C'est d'ailleurs pour cette raison que, via la loi d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue) dont j'ai déjà parlé, nous avons voulu donner, le plus tôt possible, de la visibilité aux entreprises.

Il s'agit bien de les accompagner, afin d'éviter que cet effort de simplification ne soit pas source d'incertitude pour elles.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Brault. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et du RDSE.)

M. Jean-Luc Brault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, allons droit au but : qu'est-ce qui se cache derrière ce débat ? Une passion que la France partage avec l'Union européenne : la frénésie normative !

Disons-le clairement et simplement, la première des mesures de simplification et d'allègement de la charge administrative des entreprises est très simple : elle consiste à leur apporter de la stabilité et de la visibilité.

Bref, il faut que nous arrêtions de danser le tango à l'échelle européenne – un pas en avant, un pas en arrière. Si nous n'avions pas complexifié aveuglément, nous n'aurions pas à simplifier par paquets Omnibus !

Nous avons besoin de l'Union européenne, c'est une évidence. Il n'y a pas de débat sur ce point.

Toutefois, demandez aux chefs d'entreprise sur le terrain ce qu'ils pensent de la Commission… Qu'ils dirigent une TPE, une PME ou un groupe international, tous les patrons français vous diront qu'ils n'ont pas le temps de se mettre en conformité avec une norme qu'une nouvelle leur tombe dessus.

M. Olivier Rietmann. Exactement !

M. Jean-Luc Brault. Tous n'ont pas les moyens d'employer un juriste pour assurer une veille dans leur secteur ou de gaspiller du temps et de l'énergie à le faire eux-mêmes !

Il faut le dire, beaucoup de nos concitoyens, et en premier lieu nos chefs d'entreprise, ressentent, parfois de manière viscérale, une forme de précarité administrative et juridique. Certains ont la boule au ventre chaque jour : ils se demandent s'ils ont bien pensé à tout ou s'inquiètent de savoir ce qui leur tombera dessus le lendemain !

Il en va de même pour tous les patrons des pays de l'Union, me direz-vous, mais nous avons en plus un penchant, bien français, pour le bavardage législatif et la surtransposition des directives européennes… C'est la cerise sur le gâteau ou plutôt la goutte d'eau qui fait déborder le vase !

Pourtant, j'y insiste, l'Union européenne est essentielle. Il n'y a pas de débat sur le sujet !

Elle nous apporte une stabilité politique dans un monde toujours plus fou et frénétique. Cependant, la Commission doit conforter cette stabilité par son travail normatif, en conciliant harmonisation européenne et ambition collective, et non pas en ajoutant de la frénésie à la frénésie.

Madame la ministre, nous devons plaider à Bruxelles pour que l'Union change de logiciel, de culture. Pourquoi ne s'inspirerait-elle pas d'ailleurs de cette culture de la sagesse normative que nous pratiquons au Sénat ?

La priorité des priorités doit être simplement d'agir plus raisonnablement, d'une manière plus connectée au terrain, au lieu d'édicter, de manière précipitée, des normes, que l'on cherche régulièrement à détricoter par la suite, de manière maladroite.

Une telle méthode n'empêcherait pas d'agir avec réactivité. Au contraire, nous gagnerions en souplesse, tout en nous inscrivant dans la perspective du temps long, afin d'apporter de la stabilité et de la visibilité à nos entreprises. La première préoccupation des patrons est en effet de savoir ce qui va se passer après-demain pour choisir comment investir demain.

Les résultats pour l'Europe en termes de PIB, d'innovation, de production industrielle, etc. sont connus. Les chiffres ont été rappelés.

Si nous, les Européens, ne faisons rien, nous condamnons l'Union à une « lente agonie », comme l'a dit Mario Draghi, le 9 septembre dernier, lorsqu'il a rendu public son rapport sur la compétitivité européenne.

À la suite de ce constat, la Commission a dévoilé, au début de l'année, une feuille de route afin de réduire le retard économique de l'Union européenne. L'une des priorités affichées est de simplifier les normes et d'alléger les charges administratives qui pèsent sur les entreprises.

La Commission propose ainsi de revenir sur des normes européennes qui ont été adoptées ces dernières années. Il s'agit de simplifier les règles auxquelles sont soumises les entreprises : c'est un mea culpa qui ne dit pas son nom, mais faisons-le pour nos petites et moyennes entreprises, le plus rapidement possible, avant qu'il ne soit trop tard.

Dans un contexte international marqué par d'importants bouleversements et le retour de la guerre commerciale, il est impératif de conjuguer réactivité et stabilité, dans l'intérêt de nos PME. Il en va de notre compétitivité, de notre indépendance et de notre souveraineté.

Je tiens à préciser que « simplifier nos normes » ne signifie pas « sacrifier nos objectifs », notamment en matière d'écologie : les atteindre doit rester notre priorité.

Au contraire, si nous agissons de manière moins précipitée, au plus près de la réalité des acteurs économiques et des territoires, nous serons gagnants en termes d'efficacité économique et d'acceptation sociale. Nous pourrions atteindre plus aisément nos objectifs, qui doivent rester ambitieux.

Madame la ministre, j'ai deux questions.

Tout d'abord, comment la France s'adaptera-t-elle aux mesures de simplification qui seront, je l'espère, adoptées à l'échelle européenne ?

Ensuite, pouvez-vous nous affirmer ici que la France sera ensuite le garant d'une certaine forme de sagesse normative auprès de la Commission européenne, afin d'apporter de la visibilité et de la stabilité à nos entreprises ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, dans cet effort de simplification, nous sommes guidés par le souci d'apporter de la stabilité aux entreprises. Au ministère de l'économie et des finances, nous recevons régulièrement les entreprises concernées par les futures réglementations, afin de les consulter sur les positions à tenir.

Pour répondre à votre question sur la transposition de ces directives de simplification, j'indique que nous veillerons évidemment à ne pas complexifier, à ne pas surtransposer et à nous assurer que l'effort de simplification est bien intégré dans le droit français et qu'il bénéficie à nos entreprises.

Je répondrai à votre seconde question sur la sagesse normative en prenant un exemple. Nous ne nous interdisons pas de remettre en cause des textes dont nous ne voyons pas l'utilité. Nous sommes ainsi les seuls à nous battre pour supprimer les nouvelles règles Fida sur les données financières des clients, parce que nous n'en voyons pas l'intérêt, au regard notamment du coût occasionné, de la lourdeur et de l'allongement de trois à huit heures des procédures pour les entreprises. Nous plaidons purement et simplement pour leur suppression. Nous savons le faire quand cela est nécessaire.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Commission européenne a récemment dévoilé son agenda de simplification et son programme de travail pour 2025. Je voudrais insister sur le volet agricole.

Dans une communication, la Commission a présenté sa vision pour l'agriculture et l'alimentation à l'horizon 2040. Celle-ci comporte quatre grands axes de simplification, qui s'inscrivent dans le prolongement des quelques mesures qui ont été prises l'année dernière en réponse à la colère du monde agricole. Certains points méritent que l'on s'y attarde.

Tout d'abord, la Commission souhaite mettre en place des outils simplifiés d'aide aux revenus. En raison de l'empilement des dispositifs ouvrant droit à des prestations et des conditions d'octroi kafkaïennes qui leur sont associées, la déclaration annuelle des aides de la politique agricole commune (PAC) constitue un véritable cauchemar pour les agriculteurs. La procédure crée une surcharge administrative indue, car les agriculteurs sont là pour produire et non pour administrer, et multiplie en outre les risques d'erreurs déclaratives et donc, in fine, les risques de sanctions.

À cet égard, la communication contient une phrase qui, selon moi, est essentielle : « Il n'appartient pas à l'Union de concevoir en détail les pratiques à respecter dans les exploitations. » Enfin !

La question des contrôles est absolument centrale pour les agriculteurs. Ils doivent être les moins nombreux possible et il conviendrait de tous les effectuer à l'occasion d'une seule visite.

Ces contrôles doivent porter non pas sur le respect de telle ou telle norme, apprécié de manière tatillonne, mais plutôt sur l'analyse des résultats obtenus. Ils doivent être tournés non pas vers la sanction systématique de l'erreur, mais plutôt vers l'accompagnement technique dans la mise en œuvre de solutions efficaces.

La Commission entend également promouvoir les nouvelles technologies comme vecteur de simplification. Leur usage permettrait non seulement d'améliorer la compétitivité de l'exploitation, grâce à une meilleure utilisation des ressources et à un meilleur pilotage, mais aussi de réaliser des contrôles plus simples et rapides dans la mesure où certaines données ont déjà été suivies et enregistrées. En outre, il est avéré que l'utilisation d'images satellitaires permet d'effectuer des contrôles surfaciques beaucoup moins invasifs.

Un point d'ordre général me semble important. La simplification ne doit pas seulement viser une administration plus simple des dispositifs. Elle doit avant tout viser une mise en œuvre plus aisée sur le terrain, afin de faciliter à la fois la vie des agriculteurs et l'atteinte des objectifs politiques de la PAC.

Attention toutefois à ne pas trahir les attentes ! Son effet devra être très concrètement perceptible par les exploitants, sinon ce sera un nouveau coup d'épée dans l'eau.

Le Sénat restera vigilant à ce que l'on ne déguise pas, sous les habits de la simplification, ce qui serait en fait une nouvelle étape de renationalisation de la PAC, phénomène que j'avais déjà dénoncé, dès juillet 2017, dans mon rapport sur l'avenir de la PAC.

Enfin, si cette démarche visant à simplifier va incontestablement dans le bon sens – nous espérons qu'elle ira vraiment au bout de sa logique –, se pose aussi la question d'une éventuelle déréglementation sur certains points.

En effet, si les règles sont plus simples à appliquer, c'est évidemment très bien. Mais la réflexion ne doit pas s'arrêter là. Il est nécessaire qu'elle porte également sur le stock de normes qui s'est accumulé au fil des ans et qui n'a jamais fait l'objet d'un véritable bilan coûts-avantages.

N'oublions pas que le gouvernement américain fait de la dérégulation l'un des axes centraux de sa politique économique. Il est dès lors à craindre que ce mouvement venu d'Amérique exerce une pression concurrentielle sur le reste du monde, qui in fine pèsera sur l'Europe et aggravera encore davantage le différentiel compétitif dont elle souffre.

En agriculture, comme dans d'autres secteurs, nous serons alors placés face à un choix que nous ne pourrons plus continuer d'esquiver. Il faudra soit déréguler, soit, si nous ne voulons pas nous y résoudre, nous protéger : ou bien à l'américaine, par le biais de barrières tarifaires, ou bien à l'européenne, en instaurant des barrières non tarifaires, ce qui donnerait enfin véritablement corps au principe de réciprocité des normes – ces fameuses clauses miroirs dont on parle beaucoup, mais dont on voit peu la couleur.

Au vu du contexte actuel, pourriez-vous, madame la ministre, nous faire état des réflexions nationales et européennes en cours sur le sujet ?

En conclusion, le monde agricole a montré, au fil des années, son incroyable résilience. Toutefois, sa viabilité est menacée en raison de la pression exercée par les tensions géopolitiques et les crises récentes, des effets dévastateurs des phénomènes météorologiques extrêmes et des tendances structurelles qui sont à l'œuvre.

Il convient, dès lors, de donner à nos agriculteurs les moyens d'exercer leur métier sans entraves. C'est à ce prix qu'ils pourront réellement assurer notre autonomie alimentaire et notre indépendance stratégique. Madame la ministre, il est urgent d'agir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, en ce qui concerne l'agriculture, notre philosophie sera la même que celle qui nous anime dans les autres secteurs. Toutefois, la ministre de l'agriculture serait plus compétente que moi pour vous présenter notre action en détail.

Là aussi, nous cherchons à trouver le juste équilibre et à simplifier le quotidien de nos agriculteurs. Annie Genevard y est très attachée. Elle a notamment défendu dans ce sens la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, dont l'examen a été, un temps, interrompu en raison de la fin de la législature précédente.

Notre philosophie est de simplifier, tout en préservant nos objectifs, notamment ceux qui figurent dans le Pacte vert, et en accompagnant les agriculteurs, qui nourrissent notre pays et font un métier très noble et très important pour notre nation.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Madame la ministre, j'ai toujours peur quand on parle de simplification. Les agriculteurs ne veulent pas qu'on en rajoute. Simplifions surtout ce qui existe déjà, sans rien ajouter. C'est le message que je souhaite vous adresser.

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il nous faut simplifier, mais selon deux impératifs : sans déréguler et sans complexifier davantage.

Alors que l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique a repris à l'Assemblée nationale et qu'un millier d'amendements reste à examiner, il me semble utile d'exprimer ce message en introduction : appliquons déjà les règles existantes, de façon homogène, en prenant le temps de les expliquer, de les accompagner et de les évaluer.

Formons pour ce faire celles et ceux à qui elles se destinent, avant de faire le procès de leur non- ou mauvaise mise en œuvre.

Il fait soigner les relations entre les administrations, d'une part, et les usagers et notre appareil productif, d'autre part : nous avons besoin de moins de documents et de plus de proximité, de moins de défiance et de plus de confiance.

L'excès de normes, l'imprévisibilité et la complexité de ces dernières pèsent négativement sur l'activité de nos entreprises et sur notre économie.

Ce phénomène présente un autre volet qui n'est pas suffisamment abordé : il s'agit de la souffrance au travail, du sentiment d'inutilité, ainsi que du découragement des équipes qui en résultent. La France se classe au deuxième rang des pays où la bureaucratie est la plus complexe. Durant la réalisation de mes récents travaux sur cette problématique, de nombreux témoignages m'ont été adressés, tels des appels au secours : « il faut arrêter de légiférer sans cesse », « tout change en permanence », « c'est trop dur pour nous » ou encore « ma directrice des affaires financières devient folle ».

Les normes que nous édictons emportent des conséquences sociales. En France et en Europe, tous les secteurs attendent de nous des réponses, en l'occurrence une forme de sobriété.

Aussi, je le dis au préalable, je regrette le choix du rejet du test PME à l'Assemblée nationale. Tout ce qui permet d'éclairer nos décisions et leurs conséquences doit être renforcé dans les domaines économique et budgétaire, mais également environnemental. Tout cela relève de notre responsabilité première.

Hier, à la Maison du peuple de Brest, j'ai d'ailleurs défendu la systématisation des études d'impact, de même que la mise à l'ordre du jour de la procédure de « censure constructive » proposée par François de Rugy en 2015. Aussi, je défends le rétablissement du test PME, tout comme j'ai soutenu la mise en œuvre du test CSRD pour que le reporting soit praticable au sein des États membres.

Après l'inversion de la courbe du chômage, après l'inversion de la courbe des émissions de CO2, soyons déterminés à inverser la courbe de la complexité, dont l'évolution est perçue comme exponentielle.

C'est ce qu'ont proposé MM. Rietmann, Moga et Devinaz dans un travail sénatorial remarqué. Simplifier, ce n'est pas seulement numériser, c'est aussi humaniser.

Je reviens au sujet du débat organisé ce soir à la demande du groupe Les Républicains.

Dans un document publié il y a deux semaines, le Conseil de l'Union européenne a dévoilé ses positions sur la proposition de directive visant à amender la directive CS3D, le règlement Taxonomie et la directive CSRD, présentée par la Commission européenne dans le cadre du paquet Omnibus en début d'année.

Les deux positions paraissent très proches. L'objectif est de permettre aux vingt-sept États membres de trouver un compromis avant l'été. Les eurodéputés ont eu, quant à eux, une première discussion à ce propos en commission des affaires juridiques, dite Juri, le 23 avril dernier. De grandes divergences se sont cette fois fait jour entre les groupes, portant notamment sur le reporting de durabilité et le devoir de vigilance, alors que le calendrier est très serré, comme je l'ai déjà souligné.

Plusieurs points de vigilance ont notamment pu être exprimés par le groupe Renew Europe. Attention à ce que la simplification ne soit pas synonyme d'un abandon de nos ambitions, notamment climatiques.

Il est ainsi demandé que soit maintenue la double matérialité dans la CSRD. Celle-ci favorise en effet des rapports de durabilité plus précis et pertinents, alors que, dans le même temps, dans le contexte mondial bouleversé que nous connaissons, la Chine a annoncé qu'elle allait l'appliquer en fixant un seuil plus bas que mille salariés.

Pascal Canfin a défendu la nécessaire simplification de l'audit dans le cadre de l'application de la directive CSRD, alors que de nombreuses plaintes ont été formulées sur ses déclinaisons pratiques.

Il s'est par ailleurs opposé à la suppression de l'harmonisation du régime de la responsabilité civile dans le cadre du devoir de vigilance.

Enfin, il a défendu la préservation d'un équilibre entre les deux côtés de la chaîne de valeur. Alors que 90 % des fournisseurs des grandes entreprises sont des structures de moins de 1 000 salariés, ces entreprises ne pourront pas obtenir les données dont elles ont besoin si le périmètre d'application est trop limité.

Il sera de toute façon nécessaire de porter une attention toute particulière à l'écriture des guides de cadrage. Comme pour la commande publique, le temps d'adaptation et la sécurisation juridique sont primordiaux. C'est un gage de réussite !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, je vous remercie d'avoir évoqué le test PME, dispositif auquel le Gouvernement est favorable.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer, nous avons beaucoup consulté à cette fin. Nous continuons d'ailleurs de le faire régulièrement pour nous assurer que tous les efforts sont engagés en faveur des entreprises. Je sais que la délégation sénatoriale aux entreprises organise également des consultations.

Dans ce contexte, le test PME constitue un outil utile. Quelques étapes restent toutefois à franchir, par exemple l'adoption du projet de loi de simplification de la vie économique. Nous verrons si, à l'occasion de la commission mixte paritaire, nous parviendrons à réintroduire cette mesure, qui est une bonne disposition, ainsi que vous l'avez souligné, madame la sénatrice.

M. le président. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la ministre, c'est une réalité : nos normes sont trop nombreuses, peu lisibles et coûteuses pour nos entreprises, qui en souffrent énormément. Notre jardin normatif à la française s'est transformé en une jungle hostile. Cette dynamique présente un enjeu de taille pour notre économie.

Aujourd'hui plus que jamais, l'Union européenne est au tournant d'un réagencement de l'ordre économique mondial.

Une révolution copernicienne doit être menée à l'échelle européenne pour alléger et simplifier la charge administrative qui pèse sur nos entreprises.

Dans ce contexte, dès le mois de juillet 2024, la présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, a placé la simplification au centre de son deuxième mandat, avec l'objectif de réduire de 35 % la charge administrative pesant sur les PME d'ici à 2029.

À cet effet, l'année 2025 est structurée autour d'un programme de travail centré sur la compétitivité. Des mesures en la matière ont été lancées en début d'année.

La diminution de la charge administrative doit servir à renforcer la productivité qui fait tant défaut à l'Union européenne et à supprimer les normes qui paralysent nos entreprises.

Trois éléments expliquent à mon sens cette paralysie.

D'abord, l'accumulation et les modifications fréquentes de la législation européenne provoquent des chevauchements et des incohérences.

Ensuite, la transposition du droit européen crée des différences qui alimentent une concurrence déloyale au sein du marché unique. Ainsi, en Lot-et-Garonne, mais c'est également le cas ailleurs, la surtransposition des normes dans les secteurs de l'agriculture, du bâtiment, du transport, pour ne citer que ceux-là, pénalise les entreprises locales. Nous aurons probablement l'occasion de reparler de ces sujets prochainement.

Enfin, la réglementation européenne est plus lourde pour les PME et ETI que pour les grandes entreprises.

En faisant le choix d'être proactive sur la simplification administrative, la Commission européenne prend enfin le parti pris de mettre le droit européen au service d'une politique de croissance.

L'adoption des textes à venir représentera une économie potentielle de 6,3 milliards d'euros sur les coûts administratifs et une capacité d'investissement supplémentaire de 50 milliards d'euros.

J'en viens à la méthodologie. Ces initiatives doivent intégrer de meilleurs outils d'évaluation, de pilotage et de contrôle en se plaçant davantage du point de vue des entreprises.

Par exemple, en 2019, l'Union européenne a publié plus de 13 000 actes normatifs contre 3 000 aux États-Unis. Cet écart gigantesque montre bel et bien que l'Union européenne est atteinte d'une « bureaucratite aigüe ». (Sourires.)

Comment cet échec s'explique-t-il ?

À mon sens, l'Union européenne ne dispose pas d'un cadre d'analyse des coûts et des bénéfices des nouvelles normes qui permettrait de s'interroger réellement sur leur portée et leurs effets.

Face à ce diagnostic, plusieurs initiatives ont été prises ces derniers mois pour mieux évaluer l'incidence des règles européennes existantes et la compétitivité européenne.

Cela fait écho à des dispositifs adoptés par notre assemblée dès le mois de mars 2024 dans le cadre de la proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME » déposée par Olivier Rietmann.

De tels mécanismes répondent à une logique claire : simplifier la vie économique au service de la croissance.

Toutefois, ces initiatives devront nécessairement concilier la libération de notre potentiel économique avec la préservation d'un modèle social et environnemental européen. C'est le dernier point sur lequel je souhaite m'attarder.

Je considère qu'il ne faut pas confondre simplification et dérégulation. Pour remporter ce défi, l'Union européenne doit aussi s'appuyer sur les atouts de son modèle social et sur sa réponse originale et forte au défi de la transition écologique.

Dans ce souci, le groupe du RDSE défend une mondialisation régulée.

Au regard de ces remarques, la France doit veiller à défendre à l'échelon européen une politique de simplification compatible avec des standards sociaux et environnementaux les plus élevés possible. Elle doit aussi éviter la surtransposition du droit communautaire.

Pour dépasser le cadre de notre débat, je conclus en précisant que ces discussions doivent également questionner nos modes de consommation. En effet, le premier prescripteur de l'économie reste le consommateur. C'est lui qui, par son action, a un rôle de promotion d'entreprises plus vertueuses et peut encourager les circuits courts. Madame la ministre, qu'en pensez-vous ?

M. Olivier Rietmann. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous rassure : l'objectif du paquet omnibus, en particulier pour les directives dont nous discutions – CSRD, devoir de vigilance, MACF… –, c'est bien d'alléger la charge des plus petites entreprises. Non, l'ambition n'est pas de leur faire porter plus de charges que sur les autres, bien au contraire.

Nous devons maintenir nos objectifs, tout en veillant à ne pas freiner la compétitivité de l'économie, en particulier celle des petites entreprises, pour lesquelles – c'est une évidence – les obligations sont plus lourdes à porter.

Cette précision me permet de revenir sur la question de la compétitivité. Dans le contexte géopolitique actuel, il est beaucoup question de dérégulation ; vous l'avez vous-même mentionné, monsieur le sénateur. Il me semble au contraire que maintenir les objectifs à l'échelon européen peut aussi être une opportunité de compétitivité pour nos acteurs économiques.

Je m'explique. L'environnement international qui est le nôtre aujourd'hui pousse de plus en plus de fonds de pension qui investissent à long terme et qui continuent à prendre en compte les risques environnementaux à confier la gestion de leur portefeuille à des gestionnaires d'actifs européens plutôt qu'américains.

Par conséquent, dans l'effort d'équilibre que nous poursuivons, il ne faut pas oublier que nos objectifs en matière de responsabilité sociale et environnementale sont très positifs et favorables aussi à la compétitivité.

M. le président. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la ministre, le débat que nous avons ce soir est très intéressant. À ce titre, je remercie mes collègues du groupe Les Républicains de nous permettre d'échanger nos points de vue sur les initiatives européennes en matière de simplification et d'allègement de la charge administrative pesant sur les entreprises – même si la notion de simplification peut parfois poser question...

Je tiens tout d'abord à saluer la proposition de législation dite omnibus.

Ce paquet vise notamment à alléger les contraintes pesant sur les entreprises européennes engagées sur la voie de la transition écologique. Son ambition est de simplifier la publication d'informations en matière de durabilité, de devoir de vigilance et de taxonomie.

Il doit aussi faciliter les activités commerciales des petites entreprises à moyenne capitalisation. Ainsi, il sera possible de réduire les charges administratives et réglementaires, tout en maintenant les objectifs de transition écologique. Cette initiative va dans le bon sens et c'est heureux.

Notons que cela fait suite à deux rapports que j'ai déjà évoqués lors d'un débat préalable au Conseil européen et qui ont souligné la perte de vitesse de l'industrie européenne par rapport à celles de la Chine ou des États-Unis. Il s'agit du rapport d'Enrico Letta d'avril 2024 et de celui de Mario Draghi de septembre 2024. La législation omnibus permet la traduction concrète de certaines des recommandations contenues dans ces deux rapports.

Par ailleurs, le discours simpliste et anti-européen que nous entendons à chaque campagne électorale européenne s'appuie souvent sur le fait que les maux de nos entreprises proviendraient de l'Union européenne.

Madame la ministre, permettez-moi de rappeler que la France n'est pas la dernière à faire de la surtransposition. Les exemples sont nombreux, notamment en droit du travail. Elle a souvent ajouté des protections supplémentaires pour les travailleurs, allant au-delà des exigences minimales des directives européennes, ce qui peut rendre le marché du travail moins flexible et augmenter les coûts pour les employeurs français.

Dans le domaine environnemental, là encore, la France est trop souvent dans la surtransposition. Il n'est qu'à voir les contraintes lourdes qui pèsent sur nos entreprises agricoles par rapport à celles des autres États membres. Cela a été rappelé au cours de ce débat.

Enfin, la réduction des délais administratifs est aussi un levier crucial pour améliorer la compétitivité des entreprises. En France, plusieurs types de délais administratifs peuvent être optimisés pour créer un environnement plus favorable aux entreprises.

Le processus de création d'une entreprise peut prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, notamment en raison des délais liés à l'enregistrement auprès des différentes administrations comme le greffe du tribunal de commerce ou l'Urssaf. Il en va de même pour l'obtention de certains permis de construire ou de licences d'exploitations. De plus, les entreprises doivent souvent attendre plusieurs mois pour obtenir des remboursements de TVA, des crédits d'impôt recherche ou des aides sociales.

Madame la ministre, vous l'aurez compris, la réduction des délais administratifs est essentielle pour améliorer la compétitivité des entreprises en France. En simplifiant et en numérisant les procédures, en harmonisant les délais à l'échelle nationale et en favorisant une meilleure coordination entre les administrations, il est possible de créer un environnement plus favorable à l'entrepreneuriat et à l'innovation.

Pour le groupe Union Centriste, les initiatives prises récemment vont dans le bon sens. Il faut poursuivre dans cette voie, car les perspectives économiques sont malgré tout obscures dans le contexte géopolitique que nous traversons. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie d'avoir posé la question de la surtransposition. J'y répondrai en prenant quelques exemples récents.

Dans le cadre du projet de loi Ddadue, non seulement nous avons transposé le mécanisme dit Stop the clock. Nous avons ainsi gagné du temps sur la mise en place des obligations contenues dans les différentes directives, tout en restant fidèles à ce qui a été décidé à l'échelon européen, et nous sommes allés plus loin en décidant de lever l'obligation pénale des dirigeants que nous avions auparavant introduite dans le droit français. Je rappelle que le droit européen ne l'imposait pas, mais le laissait au choix de chaque État membre. Nous avons pris conscience de cette situation et en avons tiré des conséquences fortes.

Pour ce qui concerne les textes à venir, dans le cadre du projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, dit Résilience, qui a été récemment examiné dans cet hémicycle et que je connais bien, j'ai fixé comme priorité de mon action le souci de ne pas surtransposer, afin d'aboutir à une harmonisation maximale à l'échelon européen et d'éviter d'avoir des règles différentes entre chaque État membre.

Il y va de la compétitivité de nos entreprises et j'y veille avec fermeté.

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et du RDSE.)

Mme Marion Canalès. Madame la ministre, simplifier, oui. Reste que simplifier, ce n'est pas renoncer.

Il paraît pour le moins contradictoire de multiplier les discours de souveraineté européenne tout en s'alignant sur des normes américaines ou chinoises et non sur celles qui ont été édictées par l'Union européenne.

Toute puissance productive est aussi une puissance normative. Je partage les récents propos d'Olivia Grégoire : « Ceux qui ne font pas la règle la subissent à terme. »

Les normes sociales et environnementales apparaissent bien souvent comme le coupable idéal du ralentissement économique ! Comment peut-on incriminer des directives qui ne sont pas encore entrées pleinement en vigueur pour justifier un ralentissement économique européen, alors que le rapport Draghi recommande surtout et avant tout un choc d'investissement à hauteur de 800 milliards d'euros pour combler le déficit de compétitivité que vous avez déjà évoqué, madame la ministre.

Mon intervention portera principalement sur le devoir de vigilance.

Au cœur de la récente proposition de directive de simplification dite omnibus se trouvent des sujets sur lesquels la France peut se targuer d'avoir été pionnière. Je pense notamment à la redevabilité, qui est un miroir de la société. Pour autant, tout miroir, s'il donne une image du réel, est aussi un outil puissant de transformation de cela même qu'il reflète.

Il existe une véritable valeur ajoutée de la norme. Loin de se limiter à sa seule portée technique, celle-ci constitue un puissant outil pour les entreprises au service de leurs activités.

J'aimerais tuer dans l'œuf la vision assez binaire qui pourrait émerger de ce débat.

Il n'y a pas, d'un côté, les dangereux bureaucrates accrocs à la norme et totalement déconnectés des enjeux et défis des entreprises et, de l'autre, les hussards bleu blanc rouge des entreprises qui apporteraient une réponse simple à un sujet aussi complexe que l'environnement normatif européen.

Simplifier, c'est l'action de rendre plus simple, plus facile. Je ne vous apprends rien avec cette définition très sommaire. Cela étant, cela m'amène à poser la question suivante : qu'est-ce qui complique aujourd'hui la vie des entreprises ?

Dans l'océan actuel d'incertitudes économiques et géopolitiques, les entreprises ont besoin que le cap soit maintenu pour élargir au long terme leur horizon de navigation.

Ce qui leur complique la vie, ce sont les allers et retours de décisions qui les touchent. C'est précisément ce stop and go qui caractérise la position du gouvernement français sur la directive CS3D. La volte-face de la France est difficilement compréhensible.

Cette directive impose aux entreprises de prévenir et corriger les impacts négatifs de leurs activités et de celles de leurs filiales et partenaires commerciaux sur les droits humains et l'environnement. Rien que cela, et ce alors que 160 millions d'enfants travaillent sur les chaînes de production mondialisées et que la planète partout déborde ou brûle, comme le dit très justement mon collègue député Dominique Potier.

Y renoncer, c'est nier les millions de victimes de tous les Rana Plaza du monde, alors que nous venons de commémorer les treize ans de l'effondrement de ce bâtiment ayant entraîné la mort de plus de mille deux cents personnes employées par les sous-traitants de grandes entreprises du textile.

Alors que la directive CS3D devait être transposée avant le mois de juillet 2026, la récente directive Stop the clock est venue acter le report d'un an de la mise en œuvre du devoir de vigilance. Pour sa part, le gouvernement français en a préconisé le report sine die. Il s'agit là d'une position pour le moins paradoxale, puisque la France a intégré ce devoir de vigilance dans son droit national dès 2017 et que, le 30 novembre 2022, le Gouvernement qualifiait encore notre pays de pionnier en la matière !

Dans ces conditions, qu'est-ce qui qui fragilise les entreprises ? La directive en elle-même ou les volte-face successives, quand les entreprises souhaitent un cap et des règles stables ?

Dans son étude d'impact préalable, la Commission européenne affirmait clairement que le devoir de vigilance contribue à renforcer la compétitivité des entreprises européennes.

Il est possible de simplifier la vie des entreprises sans porter atteinte à l'objectif fixé et sans délai supplémentaire, car c'est le sens de l'histoire. Pour cela, il aurait fallu agir sur l'acceptabilité des nouvelles réglementations par les entreprises elles-mêmes et non les laisser seules face à ces nouvelles préconisations. Il aurait également fallu motiver toute la chaîne d'accompagnement des entreprises pour leur expliquer qu'elles passeraient très vite du décryptage à l'avantage compétitif.

La mise en œuvre de certaines normes a un coût, mais le coût social et écologique de leur absence serait plus lourd encore. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, vous le savez, la France a été pionnière pour ce qui concerne le devoir de vigilance.

La position de la France est claire en la matière et c'est elle qui nous guide dans l'effort de simplification que nous menons. Il s'agit de ne pas revenir en arrière, mais d'avoir un cadre en phase avec le droit français, notamment sur la question du seuil de salariés : cinq mille en droit français, alors que la directive européenne vise à l'abaisser à mille.

Pour que ce soit plus prévisible pour nos entreprises et que nous ayons de la stabilité, nous plaidons pour que la directive soit le plus fidèle possible à ce que la France a mis en place.

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour la réplique.

Mme Marion Canalès. Je m'étonne de l'injonction paradoxale du Gouvernement.

Pourquoi, dans une note datant de janvier ou février dernier, la France a-t-elle reculé et demandé le report sine die du devoir de vigilance, alors même qu'elle avait pris une position courageuse et anticipative sur une mesure essentielle qui vise à conforter les droits humains, à lutter contre l'exploitation des personnes ?

Je ne m'explique toujours pas ce revirement. Espérons que ce recul permettra de prendre un nouvel élan et ne provoquera pas un nouveau retard.

M. le président. La parole est à M. Clément Pernot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Clément Pernot. Madame la ministre, au mois de septembre dernier, Mario Draghi lançait, dans son rapport, un cri d'alerte : depuis vingt ans, l'économie européenne décroche. Face aux États-Unis et à la Chine, notre productivité et notre capacité d'innovation s'effondrent.

La tendance ne faiblit pas, au contraire. Selon Mario Draghi lui-même, si rien n'est fait, l'Union européenne est condamnée à « une lente agonie ».

Il est utile de le répéter, fût-ce à l'envi. Si rien n'est fait, l'Union européenne produira toujours moins de richesses, disposera de moins en moins de ressources et sera impuissante à relever les défis démographiques, sociaux, militaires, environnementaux, migratoires et technologiques de notre temps.

Face aux offensives commerciales américaines, aux surcapacités et au dumping chinois, face aux investissements massifs qu'exigent notre sécurité et les transitions, il n'y a plus de temps à perdre : restaurer la compétitivité européenne est devenu un enjeu existentiel.

Si beaucoup reste à faire, il est une cause profonde de l'asphyxie de nos entreprises qu'il nous appartient de traiter rapidement : le fardeau réglementaire, fruit de nos propres excès législatifs et bureaucratiques.

Chaque année, selon Eurostat, ce fardeau coûte 150 milliards d'euros aux entreprises européennes. Ces dernières années, il n'a cessé de croître. De 2019 à 2024, l'Union européenne a produit plus de treize mille textes, soit plus de deux fois plus que les États-Unis. L'administration Trump s'apprête à creuser davantage cet écart, en annonçant une vague de dérégulation sans précédent.

Dans l'énergie, la finance, l'intelligence artificielle, les télécoms, la défense, le spatial ou les biotechnologies, les défis sont immenses. Soyons lucides : jamais nos entreprises ne pourront les relever si nous ne simplifions pas radicalement nos cadres réglementaires.

Après des années de surréglementation méthodique, l'Union européenne semble enfin prendre la mesure de l'urgence.

Depuis 2022, le principe du one in, one out s'applique. Pour chaque nouveau surcoût imposé par une norme, d'autres normes doivent être supprimées à coût équivalent.

Depuis 2023, chaque analyse d'impact doit intégrer un contrôle de compétitivité.

Depuis 2024, l'objectif est fixé : réduire de 25 % la charge administrative des entreprises, 35 % pour les PME.

La Commission européenne admet désormais que certaines législations, notamment celles qui sont issues du Green Deal ou encore les objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance, les fameux critères ESG, sont allées trop loin. Si leurs objectifs étaient louables, ces réglementations ont aussi engendré des monstres administratifs, déconnectés des réalités économiques. Leur révision, parfois avant même leur entrée en vigueur, en est la preuve.

La boussole pour la compétitivité, le paquet omnibus et la révision des textes sur le reporting de durabilité, la taxonomie des investissements ou le mécanisme d'ajustement carbone sont des actes positifs.

Nous saluons également l'attention portée dès cette année au statut des entreprises intermédiaires, aux cadres d'investissement, ainsi qu'aux simplifications promises dans l'agriculture, la défense, la chimie, le numérique et l'industrie décarbonée.

De façon plus générale, la volonté de passer en revue l'intégralité de l'acquis communautaire est une initiative salutaire, tout comme la mise en place d'un cycle annuel d'évaluation de la législation au sein de chaque portefeuille de commissaire, associant systématiquement les entreprises.

Cependant, cette dynamique doit s'inscrire dans la durée. La simplification doit non plus être l'exception, mais devenir un réflexe permanent de notre culture législative et réglementaire.

Il nous faut même aller plus loin et porter ouvertement la question de la déréglementation. Il nous faut non seulement simplifier, mais aussi questionner l'utilité même de certaines normes. Certaines doivent être corrigées, d'autres, tout simplement supprimées.

Madame la ministre, votre responsabilité, comme celle de vos collègues chargés des entreprises, est déterminante. Les attentes de nos entreprises sont immenses. Elles aspirent à retrouver leur liberté d'innover, de produire, de créer de la valeur et de l'emploi dans un monde où la croissance n'est plus notre monopole et où la pertinence réglementaire façonne désormais la puissance économique. Les ministères chargés des entreprises sont au cœur de la tourmente, mais ils doivent être tournés vers ce redressement.

Par vos actions, la France peut adresser un message clair à ses entreprises : celui de la confiance retrouvée et d'une ambition renouvelée pour notre compétitivité.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Clément Pernot. Si, demain, vous témoignez de cette ambition, vous pourrez compter sur le soutien sans faille des sénateurs de la commission des affaires économiques, des sénateurs de la délégation aux entreprises et, plus généralement, des sénateurs d'utilité économique.

Madame la ministre, ne les décevez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Henno applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le président, je répondrai d'abord à Mme Canalès.

L'expression sine die a été employée dans la note à laquelle vous avez fait référence pour laisser aux discussions le temps d'aboutir et affiner notre position sur le devoir de vigilance. Il ne s'agissait pas d'un report ad vitam aeternam.

J'en viens à la question de M. Pernot, qui remet la question de l'investissement, abordée précédemment, au centre du débat, car simplifier, c'est bien, mais, nous sommes d'accord, cela ne suffira pas pour gagner en compétitivité.

Aussi, parmi les actions visant à convaincre nos entreprises de notre ambition et de notre détermination à les accompagner, afin qu'elles deviennent les fers de lance de notre politique d'innovation, je prendrai un exemple, celui d'un secteur qui me tient à cœur : l'intelligence artificielle.

Avec le Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle, nous avons fait précisément ce que vous proposez, monsieur le sénateur : nous avons redonné confiance.

Nous l'avons d'abord fait par le discours, en plaçant la France au cœur de la dynamique de l'intelligence artificielle ; Paris, la France tout entière, ont ainsi été le théâtre de l'IA pendant plusieurs jours, ont rayonné à l'échelle internationale et ont suscité une véritable dynamique.

Ensuite, au-delà du discours et des images de ce sommet, il y a eu des actes forts, notamment en matière d'investissement. En France, d'abord, le Président de la République a annoncé un investissement de 109 milliards d'euros destiné à créer l'infrastructure dont on a besoin pour faire tourner nos modèles d'intelligence artificielle. À l'échelon européen, ensuite, le plan InvestAI, d'un montant de 200 milliards d'euros d'origine publique et privée, doit renforcer notre capacité à développer nos propres technologies.

Cela est fondamental, car la souveraineté, dont on parle beaucoup, passera par le soutien des entreprises européennes qui sont à la pointe des technologies comme l'intelligence artificielle ; elles peuvent nous éviter de dépendre de technologies extra-européennes, comme c'est le cas dans nombre d'autres domaines du secteur numérique.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des sujets dont on parle avec constance, souvent avec de bonnes intentions, mais qui peinent – hélas ! – à se traduire par des changements concrets. La simplification administrative en Europe en est une illustration parfaite.

En effet, implanter, développer ou simplement maintenir une activité économique en Europe constitue un défi de plus en plus difficile à relever, et cela ne date pas d'hier. Depuis plusieurs années, les chefs d'entreprise, les industriels, les investisseurs dénoncent une surcharge administrative étouffante, qui alourdit les coûts, bride l'agilité et finit par miner notre compétitivité. En comparaison, nos concurrents, qu'ils soient américains ou asiatiques – souvent chinois –, évoluent dans des cadres bien plus souples, souvent plus lisibles et par conséquent plus favorables à l'investissement.

Prenons un chiffre simple, mais qui résume l'ampleur du problème : entre 2019 et 2024, pendant le mandat de la précédente commission européenne, l'Union a produit près de treize mille nouvelles normes, soit plus du double de ce qu'ont produit sur la même période les États-Unis. Comprenez-moi bien, ce n'est pas seulement une question de quantité ; c'est aussi une question de lisibilité, de cohérence et d'équation avec la réalité du terrain.

Soyons clairs, les directives dites omnibus ont le mérite d'exister, elles représentent un progrès indéniable, mais elles ne sont pas encore à la hauteur de l'impératif de productivité et de création de richesses ; cela reste encore timide…

Je suis élu du Nord et, dans ce département, une menace plane sur une entreprise importante, ArcelorMittal. Cela m'inspire trois observations.

Tout d'abord se pose la question de l'emploi, puisque quelque quatre cents familles dans le Dunkerquois et deux cents à Florange sont concernées ; c'est grave, c'est lourd, c'est un problème autant économique que social.

Ensuite, il y a le refus de l'entreprise ArcelorMittal d'investir dans la décarbonation, alors même qu'elle est subventionnée à cette fin à hauteur de 800 millions d'euros sur un projet de 1,7 milliard d'euros et que, dans le même temps, elle annonce un investissement de 1 milliard d'euros aux États-Unis.

Enfin se pose la question de la souveraineté. Nous avons la volonté de réarmer la France et l'Europe, mais, sans une production d'acier et d'aluminium – les mêmes questions se posent en effet pour l'aluminium avec Tata – souveraine et autonome, j'ai bien peur que ces appels au réarmement de la France et de l'Europe restent des mots creux. Voilà la réalité brutale du monde !

Alain Chatillon et moi-même avons rédigé un rapport d'information sur la concurrence européenne voilà près de cinq ans, à l'époque du projet de fusion entre Siemens et Alstom, car c'est la compétence par excellence de l'Union européenne. Les principes qui avaient été défendus lors de nos travaux étaient ceux de la concurrence libre et non faussée, du multilatéralisme, du meilleur prix pour le consommateur et de la norme. Mais c'est le monde d'hier ! Aujourd'hui, nous faisons face à des États, des empires, des continents qui abordent l'industrie sous le seul angle de la souveraineté et de la volonté de puissance !

Ils n'ont rien inventé, d'ailleurs : au XVIIe siècle déjà, La Bruyère affirmait que la puissance d'un pays se mesurait à son industrie. Ces pays subventionnent donc la leur et la défendent avec leurs droits de douane, quoi qu'il en coûte sur le plan financier, voire, pour ce qui concerne les États-Unis, avec la bourse. Or la réplique de l'Union européenne me semble bien timide.

Comprenez-moi bien, mes chers collègues, il ne s'agit nullement de renoncer à nos ambitions environnementales ou sociales ; il s'agit simplement de rendre celles-ci compatibles avec la réalité économique. C'est pourquoi il est grand temps d'engager un véritable aggiornamento administratif et fiscal, de penser efficacité, lisibilité, cohérence, car la compétitivité de notre continent, la vitalité de nos entreprises et l'avenir de nos emplois en dépendent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, mon collègue Marc Ferracci est très attaché à la défense de la productivité et de la compétitivité de nos industries et il s'est déjà exprimé sur plusieurs des sujets que vous avez évoqués. Il s'agit, comme pour l'agriculture tout à l'heure, d'un secteur spécifique ; je laisserai donc à mon collègue le soin de vous présenter plus précisément nos plans d'action en la matière.

Sachez tout de même que nous restons très attentifs à la situation des entreprises, notamment de celles que vous avez mentionnées. La question de la compétitivité de ces secteurs est bien présente à notre esprit.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Olivier Rietmann, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. Olivier Rietmann, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons eu, à la demande, fort pertinente, du groupe Les Républicains, un débat riche, qui ne peut que réjouir le président de la délégation aux entreprises que je suis.

Ce débat prolonge les réflexions de notre délégation sur deux sujets : l'indispensable simplification des charges administratives pesant sur les entreprises et l'allégement des normes européennes en matière de responsabilité sociale des entreprises. Les deux sujets se conjuguent et s'alimentent, naturellement.

Une leçon doit être retenue de cette séquence normative européenne : qui trop embrasse mal étreint, comme le disait déjà Rabelais. Celui qui veut entreprendre trop de choses à la fois risque de ne rien réussir.

En effet, nombreuses sont les initiatives européennes justifiées dans leurs principes, mais élaborées en silos et visant toujours les mêmes opérateurs économiques : les entreprises. Celles-ci ploient donc sous l'empilement des normes et voient à juste titre dans cette pratique une menace pour leur compétitivité, une entrave à leur croissance, voire un risque pour leur survie.

Si, au lieu de se précipiter pour accumuler les normes, la Commission européenne avait procédé pour chacune d'entre elles à un test PME approfondi, nous n'en serions pas là…

La Commission européenne n'a donc eu d'autre choix, et c'est heureux, que d'entendre le désarroi des entreprises – certains l'ont souligné. Pour stimuler la compétitivité européenne, la déclaration de Budapest du Conseil européen du 8 novembre 2024 a lancé une « révolution en matière de simplification », afin de réduire d'au moins 25 % les charges administratives des entreprises, seuil porté à 35 % pour les PME.

C'est une révolution comparable à celle que je préconisais dans le rapport d'information que j'ai présenté à la délégation aux entreprises en juin 2023 et dont les conclusions ont été reprises en partie dans le projet de loi de simplification de la vie économique, en cours d'examen au Parlement, avec l'obligation de réaliser un test préalable dans les entreprises avant l'édiction de toute norme les concernant.

En élaborant le Green Deal, la Commission européenne a fait des choix qui revenaient en réalité aux États et aux entreprises. L'exemple le plus choquant réside dans la décision d'arrêter la production des moteurs automobiles thermiques à l'horizon de 2035 dans toute l'Union européenne. Ni les États ni les entreprises n'ont été consultés à ce sujet et l'étude d'impact était pour le moins légère, alors que les conséquences en furent terriblement lourdes.

La Commission européenne doit se cantonner à fixer des objectifs. Elle outrepasse ses prérogatives quand elle se substitue aux États, au mépris du principe de subsidiarité, et impose un choix technologique aux industriels, au mépris de la liberté d'entreprendre.

Que l'on ne se méprenne pas : oui, la transformation profonde des activités économiques est nécessaire, car la décarbonation de notre production est indispensable. Toutefois, les différents directives et règlements européens adoptés depuis 2019 dans le cadre du Green Deal imposent aux entreprises européennes une charge de travail administratif significative et un coût non négligeable.

La délégation aux entreprises l'a souligné dès février 2024 dans un rapport d'information de Marion Canalès et Anne-Sophie Romagny consacré à la directive CSRD. Ce rapport relayait les alertes et inquiétudes de nombreux chefs d'entreprises, notamment des entreprises de taille intermédiaire (ETI), mais également des petites et moyennes entreprises (PME) incluses dans la chaîne de valeur des grandes entreprises concernées, qui sont alors touchées indirectement.

Non, la méthode et le rythme n'étaient pas les bons ! Le choix européen en faveur de la publication de données financières et extra-financières est essentiel pour cerner les enjeux de durabilité les plus significatifs. Il avait toutefois deux inconvénients : premièrement, il doit s'agir d'obligations non de résultat, mais de moyens, et ces obligations doivent être proportionnées aux objectifs ; deuxièmement, le coût de la collecte, de la mise en forme et de la publication de ces normes est élevé, les entreprises devant payer divers prestataires au détriment de leurs efforts consacrés directement aux projets de transition. Or ce sont ces derniers qui doivent être priorisés, afin qu'elles puissent rester compétitives !

Les normes environnementales et sociales ne sont pas affaiblies ; elles pourraient d'ailleurs ne pas s'appliquer du tout si elles conduisent à la disparition des entreprises concernées !

La Commission européenne a désormais une approche plus réaliste du nouveau cadre mondial de la compétition internationale. Ce n'est ni une dérogation ni un démantèlement, c'est une approche plus pragmatique, proportionnelle et progressive ; c'est l'application de la réalité économique dans le droit. Cela consiste à renforcer nos entreprises face à l'offensive américaine et asiatique de dérégulation massive et structurelle, en adaptant nos objectifs de transition climatique au nouveau climat des affaires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les initiatives européennes en matière de simplification et d'allégement de la charge administrative pesant sur les entreprises.

5

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 30 avril 2025 :

À quinze heures :

Questions d'actualité au Gouvernement.

À seize heures trente :

Débat sur le rapport d'avancement annuel sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme 2025-2029.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures dix.)

 

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER