EXAMEN EN COMMISSION

I. AUDITION DE MMES SYLVAINE MAZIÈRE TAURAN, PRÉSIDENTE, ET SAMIRA AHAYAN, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE, DU CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE DES INFIRMIERS

(9 avril 2025)

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous accueillons à présent Mmes Sylvaine Mazière Tauran, présidente, et Samira Ahayan, secrétaire générale, du Conseil national de l'ordre des infirmiers, au sujet de la proposition de loi sur la profession d'infirmier.

Cette proposition de loi, déposée par nos collègues députés Mme Nicole Dubré-Chirat et M. Frédéric Valletoux, a été adoptée par l'Assemblée nationale le 10 mars dernier. Elle est inscrite à l'ordre du jour de notre assemblée pour son examen en séance publique le 5 mai prochain. Nous nous réunirons pour l'examen du rapport et l'adoption du texte de commission dès la rentrée, le mardi 29 avril.

Je vous laisse la parole pour un propos liminaire dans lequel vous pourrez nous livrer votre regard sur ce texte, madame Mazière Tauran.

Mme Sylvaine Mazière Tauran, présidente du Conseil national de l'ordre des infirmiers. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui.

L'ordre national des infirmiers, instance de régulation par délégation de l'État, contrôle l'accès et les conditions d'exercice de la profession infirmière. L'ordre accomplit une mission de service public, en veillant notamment au respect des principes d'éthique, de moralité, de probité et de compétences indispensables à l'exercice de la profession. L'ordre oeuvre également au service de la population afin d'améliorer la qualité, la sécurité et l'accès aux soins.

Quelque 565 553 infirmières sont actuellement inscrites au tableau de l'ordre. Certains infirmiers n'étant pas encore inscrits, notamment parmi ceux qui travaillent dans des établissements publics, nul ne connaît le nombre exact d'infirmiers en exercice.

Notre pays compte 145 345 infirmiers libéraux, 196 578 infirmiers exerçant dans le secteur privé et 223 630 infirmiers exerçant dans le secteur public. Les infirmières anesthésistes diplômées d'État (Iade) sont au nombre de 7 461, les infirmières de bloc opératoire diplômées d'État (Ibode) au nombre de 6 324 et on compte 14 437 infirmières puéricultrices diplômées d'État (IPDE), ainsi que 2 365 infirmières en pratique avancée (IPA).

Je tiens à exprimer le plein soutien du Conseil national de l'ordre des infirmiers à cette réforme que nous appelons de nos voeux. Celle-ci marquera un tournant nécessaire pour la profession et permettra de garantir à chaque patient une prise en charge équitable, continue et de qualité.

Notre système de santé traverse une période de profonde tension. L'engorgement des urgences, l'augmentation de la prévalence des pathologies chroniques et du nombre de patients atteints d'une affection de longue durée - ils étaient 448 000 en décembre 2024 - et le nombre grandissant de patients sans médecin traitant témoignent des enjeux actuels. Or la crise de la covid a mis en évidence le rôle clé joué par les infirmiers dans la continuité des soins.

Avec près de 600 000 infirmiers en 2024, nous constituons la première profession de santé du pays. Nous sommes présents dans chaque bassin de vie du territoire et sommes souvent les seuls professionnels à intervenir au domicile des patients, notamment dans les zones rurales et sous-dotées.

Les défis sont immenses : vieillissement de la population, explosion des pathologies chroniques, complexité croissante des parcours de soins, etc. À l'horizon 2040, selon nos calculs, qui rejoignent l'étude de l'OCDE parue en décembre 2024, les besoins en soins infirmiers pourraient augmenter de près de 55 %. Cette projection appelle une réorganisation profonde des rôles et des responsabilités des professionnels de santé.

Cette réforme est également attendue des Français qui s'inquiètent de la capacité du système de santé à les soigner correctement. Selon une étude que nous avons fait réaliser en septembre 2024, 83 % des Français estiment que les infirmiers pourraient assumer de nouvelles responsabilités au service des patients.

Cette proposition de loi va donc dans le bon sens. Elle pose les bases d'une profession infirmière mieux reconnue et mieux intégrée dans les parcours de soins coordonnés. Elle redéfinit les compétences infirmières en mettant en avant l'autonomie, la prévention, l'éducation à la santé, le suivi à long terme des patients et la place centrale des soins relationnels, qui sont au coeur de notre métier.

En ce qui concerne l'article 1er, qui redéfinit la profession autour de ses missions socles, je souhaite notamment insister sur la consultation infirmière, qui relève du domaine propre de l'infirmier et consiste à informer, conseiller et éduquer un patient et son entourage en matière de santé ou de soins infirmiers. Elle offre aux professionnels une large liberté d'initiative et d'autonomie et permet d'assurer une prise en charge plus fluide, rapide et adaptée aux besoins. Elle s'inscrit dans l'évolution du rôle des infirmiers qui disposent d'une formation solide et de compétences élargies leur permettant d'assurer des soins en autonomie dans un cadre sécurisé.

Cette redéfinition prolonge les évolutions réglementaires récentes du rôle des infirmiers : prescription de certains dispositifs médicaux ou vaccins, accès direct aux IPA, rôle clé dans la prévention et l'éducation à la santé, en particulier pour les patients atteints de diabète, d'hypertension ou d'obésité.

Je souhaite également insister sur l'importance de la notion d'orientation, qui découle naturellement de la consultation infirmière et permet une prise en charge optimale des patients en fonction de leurs besoins, grâce notamment à une mobilisation plus efficace des professionnels de santé.

Intégrer l'orientation aux missions de l'infirmier répond à un enjeu majeur, celui de la continuité des soins. Trop souvent, les patients se heurtent à des ruptures de prise en charge, faute d'une orientation efficace entre les différents acteurs du système de santé. En confiant à l'infirmier une mission d'orientation, clairement définie, nous renforçons la fluidité des parcours de soins et nous limitons ces interruptions, qui sont préjudiciables à la qualité des soins et à l'état de santé des patients. Tel est précisément le rôle de l'infirmier référent, désormais inscrit dans la loi, dont le périmètre doit à présent être précisément défini par voie réglementaire.

Le troisième élément sur lequel je souhaite insister est le diagnostic infirmier, qui permet d'identifier les besoins de la personne, de formuler des objectifs de soins, de mettre en oeuvre les actions appropriées et de les évaluer. Le diagnostic infirmier ne se substitue pas au diagnostic médical dans la mesure où il concerne non pas l'identification d'une pathologie, mais l'évaluation des réactions humaines d'un patient face à un problème de santé ou à un risque. Il s'agit d'une démarche scientifique rigoureuse que la Nanda (North American Nursing Diagnosis Association) définit comme un jugement clinique sur les réactions d'un individu, d'une famille ou d'une communauté aux problèmes de santé actuels ou potentiels.

Dans sa classification, la Nanda retient 267 diagnostics infirmiers qui peuvent porter sur un problème actuel, comme une altération de l'intégrité cutanée liée à une immobilisation prolongée, sur un risque, par exemple un risque de chute liée à une hypotension orthostatique ou consister en un diagnostic de promotion de la santé tel que l'amélioration de la gestion d'une maladie chronique.

Un autre apport de ce texte est l'accès direct, qui contribuera à améliorer la prise en charge des patients en répondant plus rapidement aux besoins de soins courants tels que les pansements, le suivi des pathologies chroniques, la vaccination, la prévention ou encore l'éducation thérapeutique. L'accès direct contribuera également à désengorger les cabinets médicaux, en évitant des consultations médicales pour des motifs qui peuvent être pris en charge par un infirmier comme les pansements de plaie, qui nécessitent actuellement une première prescription par un médecin.

La proposition de loi prévoit l'accès direct sous deux formes : à l'article 1er dans le cadre de la participation des infirmiers aux soins de premier recours, que ce soit dans l'exercice de leur rôle propre ou de leur rôle prescrit ; à l'article 1er quater, qui prévoit l'expérimentation, pour une durée de trois ans et dans cinq départements, de la prise en charge par des infirmiers d'actes ne relevant pas de leur rôle propre lorsqu'ils exercent dans des structures coordonnées.

Ces deux dispositions sont complémentaires. L'accès aux soins de premier recours ainsi que la prise en charge continue des malades sont définis dans le respect des exigences de proximité qui s'apprécient en termes de distance et de temps de parcours, de qualité et de sécurité. Ils sont organisés par l'agence régionale de santé (ARS) conformément au schéma régional de santé. Il s'agit de la prévention, du dépistage, du diagnostic, du traitement et du suivi des patients, de la dispensation et de l'administration des produits de santé, médicaments et dispositifs médicaux, ainsi que le conseil pharmaceutique, l'orientation dans le système de soins et l'éducation à la santé. Chacun des professionnels, en fonction de ses compétences, intervient dans ces domaines.

L'accès direct à titre expérimental concerne l'ensemble des soins de premier et de deuxième recours. L'exercice coordonné se met en place dans les structures comme les établissements de santé, les équipes de soins primaires constituées autour de médecins généralistes de premier recours, les centres de santé, les maisons de santé pluriprofessionnelles ou les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).

Si l'ensemble de ces dispositifs va dans le bon sens, l'ordre national des infirmiers souhaite proposer trois amendements importants dont l'adoption - nous en sommes convaincus - contribuerait à renforcer cette réforme.

Le premier amendement vise à intégrer explicitement la mention des sciences infirmières dans les missions fondamentales de la profession, en modifiant l'alinéa 15 de l'article 1er. Malgré des avancées ces dernières années, la France accuse en la matière un retard significatif par rapport aux autres pays européens et aux pays outre-Atlantique. En 2007, la Haute Autorité de santé (HAS) constatait déjà ce retard préoccupant. Nous proposons donc de reconnaître officiellement cette discipline scientifique pour favoriser la recherche infirmière et l'innovation en santé.

Nous proposons par ailleurs de supprimer l'article 1er ter, qui introduit un dispositif d'évaluation et de remise à niveau pour les infirmiers n'ayant pas exercé depuis un certain temps. Ce dispositif est redondant avec le cadre existant, puisque la certification périodique des professionnels de santé prévoit déjà une mise à jour des compétences, y compris en cas d'interruption d'exercice. Il est donc inutile d'ajouter une procédure parallèle qui ne ferait qu'alourdir les démarches administratives et créer une insécurité juridique pour les professionnels concernés.

Enfin, le troisième point est la reconnaissance de la pratique avancée pour les spécialités infirmières, au sein de l'article 2. Nous proposons d'étendre cette reconnaissance aux infirmiers de spécialité Iade, Ibode et IPDE titulaires d'un diplôme de grade master. Ces infirmiers spécialisés, qui jouent un rôle crucial dans des domaines techniques et assument de fortes responsabilités, doivent pouvoir exercer en pratique avancée, tout en conservant leur spécificité. La disposition que nous proposons permettra de mieux structurer l'exercice de ces professionnels, tout en valorisant leurs compétences et en répondant aux besoins de soins spécialisés.

M. Jean Sol, rapporteur. - Après avoir suscité d'importants débats ces dernières semaines, l'article 1er a été modifié lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Cet article consacre les notions de consultation infirmière et de diagnostic infirmier, qui ont provoqué un certain émoi chez les médecins. Pourtant, le diagnostic infirmier existe depuis bien longtemps.

Pourriez-vous détailler l'objet et le contenu des consultations et diagnostics envisagés ? D'après la classification de la nomenclature Nanda, ceux-ci sont au nombre de 267. Vous semblerait-il souhaitable de préciser la proposition de loi sur ces points afin de répondre aux inquiétudes légitimes qui se sont exprimées ?

Par ailleurs, l'article 1er définit la profession, en lui confiant plusieurs grandes missions. Parmi celles-ci figure désormais la participation de l'infirmier aux soins de premier recours en accès direct dans le cadre de son rôle propre comme de son rôle prescrit. Dans quel périmètre cet accès direct vous semble-t-il particulièrement souhaitable ? Doit-il concerner des actes ne relevant pas du rôle propre de l'infirmier ? Dans ce cas, à quelles situations est-il susceptible de s'appliquer ?

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure. - L'article 2 ouvre la voie à un accès différencié à la pratique avancée pour les infirmiers spécialisés dont le cursus de formation est plus long que celui des infirmiers diplômés d'État. La commission des affaires sociales est particulièrement attentive à ce sujet, qui avait déjà fait l'objet de débats nourris lors de l'examen de la loi n° 2023-379 du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist 2.

Il semble que certains infirmiers spécialisés, notamment des infirmiers anesthésistes, avaient plutôt l'espoir de voir ce texte leur offrir un statut d'auxiliaire médical de pratique avancée spécifique, distinct du métier d'IPA.

Quelle est la position de l'ordre sur la question ? L'article 2 doit-il consacrer un exercice en pratique avancée propre à certaines spécialités ou simplement permettre aux infirmiers spécialisés désireux d'évoluer professionnellement d'accéder plus simplement à la pratique avancée ?

Plus généralement, le Gouvernement a laissé la porte ouverte à des modifications sur cet article. Quelles améliorations conviendrait-il d'y apporter lors de son examen au Sénat ?

Mme Sylvaine Mazière Tauran. - Nous avons identifié plusieurs pistes d'amélioration de l'accès direct dans le cadre des consultations infirmières. Par exemple, le bilan de soins infirmiers (BSI), qui ne peut actuellement être réalisé que sur prescription d'un médecin, pourrait être proposé aux patients en accès direct.

Il conviendrait également de valoriser l'éducation à la santé et l'éducation thérapeutique. Les infirmières réalisent déjà de nombreuses consultations, en ville comme à l'hôpital, concernant l'accompagnement, les problèmes de santé, les addictions ou les maladies neurodégénératives. La consultation infirmière est par exemple prévue, et réalisée, depuis de nombreuses années dans le cadre du plan Cancer. Je pense aussi aux consultations de prévention aux différents âges de la vie. Le champ de ces consultations est donc vaste.

De même, les diagnostics infirmiers permettent d'évaluer l'état de santé du patient, son hygiène de vie ou encore le risque d'accident en fonction de son environnement afin de proposer l'orientation qui préservera au mieux son capital autonomie.

Actuellement, ces consultations ne sont pas valorisées en établissement. Le plus souvent, elles sont organisées dans les services, mais elles sont les premières cibles de suppressions en cas de tensions sur le personnel, au profit de la réalisation des soins techniques. Or l'accompagnement du patient, son orientation au sein de son parcours de santé et le conseil en éducation à la santé sont indispensables.

Il est donc important que ces consultations soient identifiées, dans les établissements et à domicile. En effet, les infirmières libérales qui prennent en charge des patients à leur sortie de l'hôpital ne commencent pas par réaliser immédiatement les soins prescrits : il s'agit, avant toute chose, d'appréhender leur situation globale, étape indispensable pour la qualité des soins et la sécurité des patients. Démystifions donc les concepts de consultation infirmière et de diagnostic infirmier.

Concernant les infirmières spécialisées, nous avons travaillé avec les représentants des professions spécialisées sur la nouvelle rédaction de l'article 2, que nous soutenons. Nous nous fondons d'ailleurs sur un vote du Conseil national de l'ordre des infirmiers de 2023, par lequel celui-ci s'était prononcé pour la reconnaissance en pratique avancée des trois spécialités satisfaisant aux exigences de formation universitaire. Nous ne pouvons pas nous désolidariser du cadre européen définissant la pratique avancée, selon lequel un grade de master est nécessaire pour accéder à ce statut.

M. Khalifé Khalifé. - Comment les infirmiers sont-ils intégrés aux circuits de ville, en particulier au sein des CPTS ?

Par ailleurs, quel rôle pourraient jouer les infirmiers dans le développement de la télémédecine et de la téléconsultation depuis le domicile du patient ?

Enfin, l'article 2 ne mentionne pas les infirmiers perfusionnistes, qui sont fortement demandeurs d'un statut particulier. Comment seront-ils intégrés ?

Mme Jocelyne Guidez. - En permettant aux infirmiers de poser des diagnostics infirmiers, cette proposition de loi marque une évolution significative qui rapproche leur exercice de celui des professions médicales. Comment l'ordre envisage-t-il de sécuriser juridiquement cette nouvelle compétence, notamment en matière de responsabilité professionnelle ? Dispose-t-on aujourd'hui d'un référentiel partagé des diagnostics infirmiers comme cela existe en médecine ?

Quelle est la place des handicaps et des troubles du neurodéveloppement (TND) dans les missions des infirmiers ? Ceux-ci sont-ils toujours bien formés et outillés pour accompagner ces publics dans la durée ? Serait-il pertinent d'inscrire plus clairement cette mission dans le texte au titre de l'inclusion et de la continuité des soins ? Quel rôle doivent jouent les infirmiers dans l'interface entre le sanitaire, le médico-social et le domicile pour ces accompagnements complexes ?

Mme Céline Brulin. - Vous avez insisté sur la nécessité de donner une base légale solide aux sciences infirmières. Ces évolutions trouveront donc une traduction en matière de formation et de poursuite de l'universitarisation de la profession. Les auteurs de la proposition de loi inscrivaient d'ailleurs ce texte dans un travail plus global sur la profession infirmière, qui soulevait la question de la formation.

En outre, ces avancées pour votre profession impliqueront-elles la nécessité de former davantage d'infirmiers ? En effet, si c'est l'État qui fixe les quotas, ce sont bien les régions qui les mettent en oeuvre.

Mme Corinne Bourcier. - Quel regard portez-vous sur l'évolution du texte lors de son examen à l'Assemblée nationale ? Y a-t-il eu des oublis ou des points à rectifier en priorité ? Que pensez-vous de l'évolution de la pratique avancée permise par l'article 2, qui rend possible l'exercice au sein des services de protection maternelle et infantile, de santé scolaire et d'aide sociale à l'enfance ?

Mme Sylvaine Mazière Tauran. - Actuellement, en France, la profession d'infirmier comporte un métier socle, trois spécialités et la pratique avancée. Cependant, dans la pratique, un grand nombre de professionnels de santé entament des démarches de formation significatives, allant parfois jusqu'au grade de master. C'est le cas des infirmiers perfusionnistes, que vous avez mentionnés, mais également des infirmiers hygiénistes, des infirmiers en endoscopie ou encore des infirmiers en santé au travail.

Une fin de non-recevoir est systématiquement opposée à toute demande de création d'une nouvelle spécialité, notamment pour les perfusionnistes. Or il n'existe aucun dispositif pour valoriser les efforts des infirmiers pour se former et s'adapter à certains domaines d'exercice. Il est anormal qu'une infirmière qui se forme, par exemple, en soins palliatifs ne puisse pas accéder à un statut différent.

En France, le système de diplômes d'État ne permet pas de reconnaître les compétences nouvelles. L'universitarisation, je l'espère, permettra d'ouvrir le champ : après avoir obtenu un niveau licence dans la formation au métier socle, les infirmiers qui suivront une formation universitaire de niveau master pourraient obtenir une reconnaissance de leur statut au titre de leurs compétences. C'est le cas dans certains pays européens.

Dans le cas des perfusionnistes, cette absence de reconnaissance est d'autant plus critique que, dans certains blocs opératoires, les professionnels qui interviennent à ce titre n'ont pas toujours le statut d'infirmier. Or seuls les professionnels de santé, au regard de la réglementation, ont le droit d'y accéder.

M. Khalifé Khalifé. - Qui a bloqué la création d'un statut d'infirmier spécialisé pour les perfusionnistes ?

Mme Sylvaine Mazière Tauran. - À chaque fois qu'il est question de la création d'une nouvelle spécialité, on me répond que c'est impossible ! Il est difficile de savoir qui, précisément, le refuse : le système semble figé.

Les infirmiers sont depuis longtemps impliqués dans la création des CPTS. Nous sommes clairement dans une logique d'organisation territoriale. Il me paraît donc légitime que les infirmiers y participent, au titre des actions de prévention et du suivi des patients sur le terrain.

Concernant la nomenclature, la Nanda est une société américaine.

Mme Samia Ahayan, secrétaire générale du Conseil national de l'ordre des infirmiers. - En France, c'est l'Association francophone européenne des diagnostics, interventions et résultats infirmiers (Afedi), une société savante, qui travaille sur le sujet. Elle traduit les diagnostics infirmiers émis par l'association nord-américaine, tous les deux à trois ans, afin de les actualiser au regard des évolutions sociétales et environnementales.

Mme Sylvaine Mazière Tauran. - Ces diagnostics sont validés selon des méthodes scientifiques et ils sont utilisés dans le monde entier. Je regrette que cela soit si peu connu, car il s'agit finalement de s'intéresser à la manière dont notre profession pense - elle ne fait pas que panser !

La question du handicap est importante. Actuellement, les infirmières, notamment libérales, ne jouent aucun rôle de coordination avec le secteur médico-social ni avec le secteur social - je pense notamment aux auxiliaires de vie ou aux personnes qui assistent les personnes handicapées. Rien dans les textes réglementaires ne le permet. L'infirmier référent, au regard de sa connaissance du patient, pourrait assurer la coordination et l'orientation de celui-ci. Pour l'heure, cela se fait de manière informelle, sans base réglementaire.

Les infirmiers peuvent actuellement faire de la téléconsultation assistée. Ils sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à s'inscrire dans cette démarche. J'ai été récemment auditionnée par la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), qui déplorait que la téléconsultation s'adresse essentiellement à des populations jeunes et urbaines, tandis que son utilisation reste insuffisante dans les déserts médicaux. Par leur rôle d'assistance, les infirmiers pourraient contribuer au développement de la téléconsultation. En effet, ils pourraient à la fois aider les personnes âgées ou vulnérables pour lesquelles l'usage des outils techniques de téléconsultation est parfois complexe et sécuriser la téléconsultation grâce à la vision clinique directe du patient. L'ordre a d'ailleurs travaillé il y a deux ans à un guide pratique de la télésanté à l'intention des infirmiers, accessible sur son site internet.

Concernant la formation, à l'issue de la promulgation de cette proposition de loi seront publiés un décret définissant les référentiels d'activités et de compétences et un arrêté comportant une liste d'actes. En outre, un nouveau référentiel pédagogique est en cours de finalisation. L'adaptation à ces nouvelles compétences devra être régulièrement traduite dans le référentiel pédagogique. Certains instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) nous interrogent notamment sur les certificats de décès. Une formation complémentaire est, pour l'heure, nécessaire pour les rédiger, mais à l'avenir, cette formation pourrait être directement intégrée au cursus. Ce référentiel de formation est en cours de finalisation : je ne peux donc me prononcer plus avant sur ce sujet.

Les quotas dans les différentes formations médicales et paramédicales sont décidés par l'État, ce qui est assez surprenant. L'Observatoire national de la démographie des professions de santé ne s'occupe pas de la formation des infirmiers, qui est régionalisée. Nous n'avons donc pas de véritable vision nationale.

Les évolutions des besoins de santé à horizon 2040-2050 rendront nécessaire la formation d'un nombre important d'infirmiers. Un travail devra sans doute être fait sur les conditions d'études. Actuellement, nous n'arrivons pas à amener en fin de cursus tous les étudiants entrant en première année. Plusieurs facteurs expliquent le taux de perte significatif.

Tout d'abord, les dispositifs d'orientation sont parfois en cause. En effet, ce n'est qu'au cours de la première année d'études que le jeune découvre la véritable nature de cette profession, et non au moment de son inscription.

Ensuite, les abandons en cours de cursus s'expliquent essentiellement par les conditions d'études et les difficultés des infirmiers à financer leur formation, dont l'organisation rend impossible d'occuper un emploi en parallèle. Or les indemnités sont nettement insuffisantes pour garantir un niveau de vie correct. Les représentants des étudiants pointent régulièrement cette difficulté.

En outre, la question de l'accès aux stages et de la reconnaissance du rôle des infirmiers à former leurs pairs doit également être posée. Les établissements manquent de professionnels dédiés au tutorat et à l'accompagnement des étudiants. Nous devons revenir à un cercle vertueux.

Mme Émilienne Poumirol. - Plusieurs syndicats et groupements collectifs d'infirmiers évoquent la nécessité d'une quatrième année de formation. C'est d'ailleurs ce qui se pratique dans beaucoup de pays européens. Nous avons d'ailleurs instauré une année supplémentaire pour les sages-femmes. Ces syndicats appellent également à inscrire la formation dans le cadre d'un parcours universitaire, afin d'éviter toute inégalité entre les régions, qui décident du nombre de places ouvertes en fonction de leurs moyens.

Que pensez-vous de l'instauration d'une quatrième année de formation pour le métier socle ?

Mme Sylvaine Mazière Tauran. - L'université forme déjà des professionnels de santé dans d'autres champs, sans que cela ne pose de problèmes d'hétérogénéité entre les différentes facultés. Les référentiels pédagogiques structurent les formations, même si des particularités régionales peuvent exister au regard des problématiques de santé publique qui y sont spécifiques. Les universités savent former depuis de nombreuses années : rien ne s'oppose à l'universitarisation de la formation infirmière. C'est le cas dans de nombreux pays européens, où l'on observe d'ailleurs plus d'effets vertueux que de difficultés. Nous sommes donc favorables à cette universitarisation.

Concernant la durée des études, la commission de l'ordre dédiée à la recherche et à l'universitarisation travaille sur le sujet. L'avis sera adopté au mois de juin. Je ne me permettrai donc pas de me prononcer pour l'heure.

M. Philippe Mouiller, président. - Mesdames, je vous remercie pour vos propos.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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