C. UN DÉFI : DES BUDGETS SUBSTANTIELS, DES CHANTIERS DONT LE COÛT EST DIFFICILE À ANTICIPER

La question des financements est au coeur de la rénovation énergétique des bâtiments publics, en particulier scolaires. En effet, les collectivités territoriales sont appelées à accroître considérablement les investissements consacrés à leur patrimoine immobilier afin de respecter les engagements de la France et de l'Union européenne en matière de neutralité climatique.

Or à la spécificité des projets de rénovation des bâtiments scolaires, précédemment évoquée, répondent des difficultés particulières en matière de financement.

D'une part, quelle que soit l'ampleur des travaux envisagés
- rénovation lourde, rénovation énergétique, rénovation globale « embarquant » d'autres thématiques comme par exemple l'aménagement des espaces extérieurs ou des mises aux normes en matière d'accessibilité et de sécurité, la rénovation écologique des bâtiments publics des collectivités territoriales suppose que leur soient consacrés des moyens très importants.

D'autre part, le coût de ces travaux, particulièrement difficile à anticiper, est sujet à des dépassements qui constituent un défi supplémentaire pour le pilotage de ces projets.

1. La rénovation du bâti scolaire : des budgets substantiels
a) Des prix au m² très variables

La question du coût des travaux de rénovation énergétique est bien évidemment centrale. Force est de constater que les estimations varient beaucoup selon les personnes auditionnées, allant de 300 euros à 1 700 euros par m².

Plusieurs raisons expliquent ces écarts aussi significatifs de chiffrage. La première concerne l'objectif d'économies d'énergie que visent les travaux. Des économies de 20 à 30% peuvent être obtenues en agissant sur la promotion des éco-gestes (gestion du chauffage, extinction des lumières...) ainsi que sur des travaux limités comme le changement des fenêtres ou le remplacement des ampoules par des LED. Le coût pour ces travaux est estimé en moyenne, selon l'Observatoire des contrats de performance énergétique, à 50 euros par m².

Pour la Coordination interministérielle du Plan de rénovation énergétique des bâtiments, l'hypothèse de 300 euros par m², sur laquelle s'est basé le rapport Demarcq pour évaluer le coût de la rénovation thermique du bâti scolaire, ne permettrait d'atteindre que le premier jalon du décret tertiaire (-40% de réduction des consommations d'énergie finale), mais pas les objectifs suivants (-50% en 2040 et -60% en 2050). Pour ce dernier objectif ou pour atteindre une rénovation de niveau BBC, le coût est estimé entre 1 100 et 1 700 euros par m²108(*).

Les différentes estimations présentées lors des auditions

Selon la Caisse des dépôts, sur la base des données publiques de DSIL et DSID exceptionnelles attribuées par France Relance pour la rénovation des bâtiments publics (y compris non scolaires), la fourchette est comprise entre 600 et 900 euros par m2, pour un gain énergétique compris entre 40 et 60%.

D'après l'Observatoire BBC (étude sur les bâtiments rénovés à « basse consommation » de 2019), sur 62 projets étudiés, le montant moyen des travaux de rénovation énergétique est de 469 euros HT/m² SRT (surface thermique, soit surface construite totale hors surfaces non aménageables).

La rénovation énergétique des bâtiments d'enseignement, et plus principalement des groupes scolaires primaires, semble plus coûteuse avec un ratio proche de 540 euros HT/m².

Lors de son audition, l'ADEME a présenté une évaluation réalisée par la région Auvergne-Rhône-Alpes, à partir de 20 projets, dont 9 bâtiments scolaires (rénovation énergétique performante). Le coût est de 455 euros HT/m2 ; 491 euros HT/m2 pour les groupes scolaires.

b) Une estimation assise sur des paramètres divers : l'absence de « budget-type »

La mission d'information a tenté d'approcher la question du coût des opérations de rénovation ou de construction à partir des exemples concrets, qui ont été portés à sa connaissance lors d'auditions ou de déplacements. Le panorama qu'elle a pu établir en fonction des types de rénovation ou construction montre un éventail de fourchettes de prix assez variable.

En fonction des données locales, liées notamment à l'implantation des établissements scolaires, et de l'état ainsi que de la qualité du bâti, les élus locaux s'orientent soit vers des opérations de rénovation plus ou moins lourde, soit vers de nouvelles constructions, parfois moins complexes à mettre en oeuvre et plus adaptées aux besoins des populations.

Or les budgets nécessaires à la réalisation de ces projets varient sensiblement en fonction des opérations, qui constituent autant de cas particuliers, et empêchent d'envisager des « budgets-types ».

Selon les informations transmises par la région Auvergne-Rhône-Alpes, l'estimation du coût d'une construction neuve est de l'ordre de 2 800 à 3 200 euros par m². Cette estimation a, entre autres, été confirmée par les visites de terrain effectuées dans le cadre de la mission d'information. Cependant, dans certains cas, cette fourchette peut être largement dépassée par des considérations locales, et approcher 4 000 euros par m², même si la collectivité n'a pas eu besoin de faire l'acquisition du terrain sur lequel elle a bâti le nouvel établissement.

Construction d'une école primaire en centre-bourg à Richardménil
en Meurthe-et-Moselle (2 300 habitants)

- surface utile : 1 450 m2 ; terrain appartenant à la commune ;

- coût final du projet : 5,4 millions d'euros TTC ;

- dont subventions : 1,3 million d'euros (DETR, DSIL, région, département, CAF) ;

- soit 3 724 euros/m2 TTC.

Construction du collège Simone Veil à Saint-Renan (8 200 habitants)

- surface utile : 5 700 m2 ; surface totale foncière de 13 000 m2

- coût final du projet : 17 millions d'euros TTC (15,67 millions d'euros TTC pour la seule opération)109(*) ;

- dont subventions : État (2,46 millions d'euros

- soit 2 982 euros/m2 TTC (2 647 euros/m2 pour la seule opération)

Construction de nouveaux lycées en région Auvergne-Rhône-Alpes

- Lycée Gergovie de Clermont-Ferrand (normes E4C2) : 4 600 euros/m;

- Lycée Arnaud-Beltrame de Meyzieu (normes E3C1) : 3 050 euros/m;

- Futur lycée de Meximieux : 2 970 euros/m2.

La restructuration lourde d'établissements vise une réfection complète dans une logique patrimoniale, au-delà des seules considérations du coût de l'énergie. Dans ce cas, le retour sur investissement en termes d'économies réalisées sur la facture énergétique n'est pas pris en compte. La maîtrise de l'énergie est « embarquée » dans ces projets, mais n'en constitue pas nécessairement l'objectif premier. La performance énergétique s'aligne alors dans la plupart des cas sur les meilleures techniques de la construction neuve.

Selon certaines données recueillies par la mission d'information, dans le cadre de ces opérations qui impliquent souvent la construction d'extensions, la part consacrée à la rénovation énergétique représente de l'ordre de 450 à 1 050 euros par m², en fonction de l'état initial des bâtiments, le type de bâtiment et la complexité des travaux à réaliser. La région Auvergne-Rhône-Alpes l'estime dans une fourchette comprise entre 550 et 1 000 euros par m².

Toutefois, lors de la table ronde à la sous-préfecture de Brest à laquelle la mission d'information a assisté le 11 mai 2023, le représentant du conseil départemental du Finistère a estimé que le coût de la rénovation d'un collège pouvait atteindre jusqu'à 3 000-3 500 euros par m², estimation à laquelle il faut parfois ajouter les dépenses dues au désamiantage.

Restructuration de l'école maternelle de la commune de Rosières-aux-Salines
en Meurthe-et-Moselle (2 900 habitants)

- coût final du projet : 2,4 millions d'euros TTC

- dont emprunt : 600 000 euros

- coût : 2 500 euros/m2 (prix du neuf)

Transformation de l'école de Bouvron en Loire-Atlantique (3 100 habitants)110(*)

- coût total : 3,1 millions d'euros

- dont emprunt : 2,09 millions d'euros

- coût : 1 070 euros/m2 

Rénovation de l'école maternelle de Plélan le Grand en Ille-et-Vilaine
(563 m² rénovés et 266 m² en extension)

- coût final du projet : 720 860 euros HT

- dont subventions : 319 177 euros

- coût : 870 euros/m2 HT.

Les opérations ciblées sur la rénovation thermique représentent un coût inférieur, évalué par la région Auvergne-Rhône-Alpes à 550-1 000 euros par m², en fonction de l'état initial, du type de bâtiment et de la complexité des travaux à réaliser. Ainsi la rénovation thermique du lycée des Canuts de Vaux-en-Velin a coûté 4,5 millions d'euros, soit 405 euros par m², mais ce projet datant de 2013, son coût devrait être actualisé selon l'inflation des prix des matériaux et de l'énergie. Celle du groupe scolaire Pierre Goujon à Châteauneuf-de-Gadagne s'est établie à 765 700 euros HT, soit 478 euros par m², pour un objectif d'économies d'énergie de 32%.

2. Des dépassements fréquents

La question des dépassements de budget doit aussi être prise en compte par les collectivités lorsqu'elles initient des projets de rénovation. Ces dépassements peuvent être liés, par exemple, à une modification du projet initial, à des travaux d'études non prévus, à la consolidation de fondations et, surtout, à l'augmentation du coût des matériaux. La commune de Rosières-les-Salines, en Meurthe-et-Moselle, a ainsi dû faire face à des imprévus qui se sont traduits par un dépassement d'un million d'euros (rachat d'un bâtiment, mise en accessibilité, travaux d'études supplémentaires, augmentation du coût des matériaux), pour un budget initial de 1,4 million d'euros.

a) Des dépassements liés aux spécificités du bâti scolaire

Aux estimations initiales doit être ajouté le coût des autres travaux d'amélioration du bâti, telle que la mise aux normes d'accessibilité ou de sécurité incendie, les travaux de désamiantage, ou encore la rénovation des sanitaires et les améliorations fonctionnelles des locaux.

Ces travaux peuvent représenter 30 à 40% des coûts totaux. Comme l'a résumé le directeur des bâtiments du Conseil départemental du Nord, « la rénovation thermique ne doit pas être dissociée du reste du projet. Les pratiques éducatives et les effectifs des collèges évoluent : cela suppose un minimum d'adaptations fonctionnelles, notamment pour l'accueil des élèves handicapés. C'est pourquoi nos projets reposent rarement sur les seules opérations de rénovation thermique. En moyenne, un budget de réhabilitation importante se décompose ainsi : un tiers pour l'amélioration énergétique du bâtiment, un autre pour les adaptations fonctionnelles et le dernier tiers pour la mise aux normes »111(*).

L'attention de la mission d'information a également été alertée sur le coût de l'aménagement des espaces extérieurs, qui est souvent oublié. Elle juge souhaitable d'inclure, dès le début d'un projet de rénovation, les réflexions sur l'aménagement de ces espaces, en raison des îlots de chaleur que peuvent constituer les cours, et afin de mieux intégrer le coût de ces travaux à la programmation budgétaire du projet.

Un paysagiste-concepteur a ainsi attiré l'attention de la mission d'information sur des « problèmes de surcoûts, notamment en raison de la lourdeur des travaux de désimperméabilisation des sols, qui peuvent représenter jusqu'à 40% de l'enveloppe globale »112(*).

Les coûts sont d'environ 200 euros par m². La transformation de la cour du collège Georges Pompidou à Courbevoie a coûté deux millions d'euros, tandis que celle du collège Jean-Macé à Clichy s'est élevée à 2,5 millions d'euros pour 6 000 m² d'espaces extérieurs (417 euros par m²).

Le choix de faire effectuer les travaux pendant les congés scolaires est également une cause du renchérissement des devis.

Enfin, la saturation des entreprises du BTP entraîne une augmentation des prix. C'est le constat fait à Marseille, où la mairie a du mal à trouver des entreprises acceptant de travailler au prix proposé, imposant au maître d'oeuvre d'anticiper d'éventuels surcoûts.

Le chantier titanesque de la rénovation des écoles marseillaises

Sur les 470 écoles marseillaises, 188 doivent faire l'objet d'une rénovation majeure, prise en charge par la Société publique locale d'aménagement d'intérêt national de Marseille, pour un budget prévisionnel de 845 millions d'euros.

Le calendrier des travaux s'appuie sur le schéma suivant : l'étude la première année, le lancement des travaux la deuxième année et leur achèvement la troisième année.

Un accord-cadre prévoit, sur dix ans, une rénovation en sept vagues (une vague durant trois ans) :

- Vague 1 : 17 chantiers de rénovation d'écoles à lancer ;

- Vague 2 : 29 chantiers de rénovation d'écoles à lancer ;

- Vague 3 : 48 chantiers de rénovation d'écoles à lancer ;

- Vague 4 : 64 chantiers de rénovation d'écoles à lancer ;

- Vague 5 : 23 chantiers de rénovation d'écoles à lancer ;

- Vagues 6 et 7 : 7 chantiers de rénovation d'écoles à lancer.

Au moment du lancement de la troisième vague, on comptera donc simultanément 94 chantiers en léger décalage dans le temps, qui de surcroît se dérouleront sur un territoire réduit. La Société publique des écoles de Marseille souligne le défi que constitue la conduite de front de tant de chantiers, notamment au regard des problèmes posés par la disponibilité des entreprises, qui risquent de tirer les prix vers le haut.

b) Dépassements imputables au contexte économique

L'ensemble de ces estimations ne prennent pas en compte l'augmentation des coûts du fait de l'inflation. Pierre-Marie Ganozzi, adjoint au maire de Marseille chargé du plan Écoles, du bâti, de la construction, de la rénovation et du patrimoine scolaire a ainsi indiqué qu'à Marseille, « les surcoûts pour la rénovation des écoles sont de 15% à 25% supérieurs à ce qui avait été fléché il y a un an et demi »113(*). Cette fourchette est comparable à celle annoncée par Mme Delphine Labails, maire de Périgueux et représentante de l'Association des maires de France, qui a évoqué au cours de la même audition une inflation de 20% à 25% sur les travaux de rénovation des écoles.

L'inflation, mais aussi la volatilité des prix de l'énergie rendent difficiles les calculs d'opportunité des travaux. Comme le souligne l'ADEME, « ces chiffres sont évidemment sensibles aux hypothèses prises sur les coûts de rénovation (qui peuvent aussi augmenter avec l'inflation) » ainsi qu'à « l'évolution des prix de l'énergie »114(*).

3. Un retour sur investissement incertain

« Certains travaux d'efficacité énergétique (remplacement des systèmes d'éclairage et de chauffage-climatisation-ventilation) ont une durée de retour sur investissement de quelques années seulement »115(*).

En revanche, les travaux centrés sur la rénovation énergétique (ventilation, isolation, modification du système de chauffage tel que pompe à chaleur...) ont un temps de retour sur investissement nettement plus long ; il était évalué, en 2020, à une durée comprise entre 20 et 30 ans, ce qui peut inciter certains élus à renoncer à leur projet.

De plus, les économies d'énergie générées sur 20 ans par une rénovation globale au standard BBC ne correspondent qu'à 60% du montant initial des travaux : « Ainsi, une rénovation globale ne serait compensée par les économies réalisées que sur la durée de vie anticipée des matériaux (30 à 50 ans pour une isolation de murs et de toiture) » : les auteurs de cette étude en concluent que « L'enjeu financier ne peut pas être l'unique moteur de la décision de rénovation »116(*).

Certes, cette estimation se fonde sur un niveau des prix de l'énergie observés en 2022 qui doit être actualisée. Toutefois, ce point a été relevé par un certain nombre de témoignages adressés en avril 2023 à la mission dans le cadre de sa consultation en ligne des élus locaux, a fortiori parce que l'explosion récente des prix de l'énergie, en amplifiant la contrainte budgétaire pesant sur les collectivités territoriales, semble de nature à décourager la mise en oeuvre de certains projets.

En outre, certaines personnes auditionnées se sont interrogées sur l'opportunité d'investir dans la production d'énergies renouvelables, plutôt que dans des travaux dont « les retours sur investissement sont de l'ordre d'un siècle » : « nous investissons entre 150 et 200 millions d'euros pour un quart de nos collèges : ne vaudrait-il pas mieux diriger ces financements vers de la production locale d'énergie renouvelable, comme la géothermie, quitte à faire des travaux plus modestes sur un patrimoine énergivore ? »117(*).

Vu l'ampleur des moyens qu'implique la rénovation des bâtiments scolaires, la mission d'information a noté, lors de son déplacement à Brest, la remarque du représentant du conseil départemental du Finistère : si les collèges représentent le patrimoine bâti le plus important du département, la contrainte budgétaire actuelle empêche celui-ci de financer la rénovation énergétique de tous les bâtiments qui en auraient besoin, malgré de réelles préoccupations en la matière. Cette remarque lui semble transposable à de très nombreuses collectivités.

Elle observe également, dans le même esprit, que le conseil départemental de la Drôme relève qu'au regard de l'ampleur de la tâche (« il reste beaucoup à faire pour arriver aux objectifs 2030-2040 et 2050 »), des aides seront « nécessaires » pour financer la rénovation des collèges118(*).


* 108 L'hypothèse (jugée basse) de 1 100 euros par m² est fondée sur le retour d'expérience sur 15 écoles de la SPL OSER dont la région Auvergne-Rhône-Alpes est actionnaire majoritaire. L'hypothèse haute de 1 700 euros par m² repose sur un retour d'expérience de la Direction de l'immobilier de l'État.

* 109 Hors acquisition foncière et aménagements extérieurs du collège (voirie, stationnement, arrêts de cars, piste cyclable, parvis).

* 110 Source : BRUDED, « Retours d'expériences pour des bâtiments publics durables et sains » ; 22 retours d'expériences pour des bâtiments publics durables et sains - BRUDED.

* 111 Compte rendu du 28 mars 2023.

* 112 Compte rendu du 4 avril 2023.

* 113 Compte rendu du 30 mars 2023.

* 114 Source : réponses écrites au questionnaire de la rapporteure.

* 115 INET, Comment financer la rénovation énergétique des bâtiments des collectivités territoriales ?, 2023.

* 116 Idem.

* 117 Compte rendu du 28 mars 2023 (audition des représentants de l'Assemblée des départements de France).

* 118 Source : réponses écrites au questionnaire de la rapporteure.