B. DE NOMBREUSES DIFFICULTÉS SPÉCIFIQUES AU BÂTI SCOLAIRE

Les témoignages recueillis et les chantiers de rénovation visités montrent la complexité de la conception et de la programmation des travaux concernant des bâtiments scolaires.

1. Quel calendrier : pendant les vacances d'été ou au cours de l'année scolaire ?
a) Les travaux pendant les vacances d'été : une course contre la montre

Lorsque les travaux ont lieu pendant les vacances scolaires, ce qui est très fréquent, c'est une véritable course contre la montre qui s'engage pour les finir avant la reprise des cours. Face à cette contrainte, au collège Georges Pompidou de Courbevoie, visité par la rapporteure en avril 2023, deux équipes se relayaient sur les lieux pour une amplitude horaire maximale - créant ainsi des tensions avec les voisins.

Dans le même temps, lorsqu'il s'agit des vacances d'été, les vagues de chaleur, de plus en plus nombreuses, rendent difficiles voire techniquement impossibles la poursuite du chantier certains jours. Outre les risques pour la santé des ouvriers, certains travaux de peinture sont déconseillés au-delà de 25°C. À partir de cette même température, la souplesse du béton est altérée. De plus, un certain nombre d'entreprises du BTP - comme dans de très nombreux autres secteurs - sont fermées pendant plusieurs semaines en août. À cela s'ajoutent la tension sur les approvisionnements en matériaux ainsi que des problèmes liés à la moindre disponibilité des entreprises dans un contexte de forte sollicitation, tant par les particuliers (rénovation des logements) que par les acteurs publics.

La rénovation thermique des bâtiments scolaires connaît d'ailleurs les mêmes tensions d'approvisionnement que les autres chantiers du même type.

Or, ces impératifs de délai se conjuguent parfois mal avec le calendrier des travaux. Certains paysagistes-concepteurs refusent des contrats de travaux devant se dérouler en juillet si leur programmation n'a pas été suffisamment anticipée100(*).

Enfin, la mission d'information rappelle que les écoles sont souvent utilisées comme centres de loisirs pendant les vacances scolaires. Il s'agit alors de trouver d'autres locaux adaptés et répondant aux normes des accueils collectifs de mineurs.

b) Les travaux pendant l'année scolaire : bâtiments provisoires ou « site occupé » ?

Face à l'ampleur des travaux, certaines écoles n'ont d'autre choix que de trouver des locaux provisoires pour accueillir les élèves. C'est notamment le cas de l'école maternelle du Vieux Moulin à Rosière-aux-Salines précédemment évoqué.

Les travaux de rénovation à l'école du Vieux Moulin à Rosière aux Salines en site occupé

De préférence à une construction neuve excentrée, le choix politique s'est porté sur la rénovation du bâtiment datant du XIXe siècle et devenu vétuste, pour participer à la vitalité du centre-ville.

La commune a été confrontée à la difficulté de poursuivre le fonctionnement des quatre classes pendant la durée des travaux (conception en 2022, exécution des travaux en 2023 et 2024), coupant ainsi l'école en deux. Deux classes (moyenne et grande sections) ont été transférées dans l'école primaire située à 250 mètres et deux classes (petite et moyenne sections) ont été conservées sur la partie du bâtiment non concerné en 2023 par les travaux. Deux blocs sanitaires sur chacun des sites ont été installés. Il a également été nécessaire d'aménager la circulation et le stationnement autour de l'école primaire pour gérer le flux supplémentaire de parents et d'enfants. Enfin, le ramassage scolaire a été réorganisé, avec un déplacement de l'arrêt de bus passant à proximité de l'école primaire.

Des difficultés sont apparues initialement dans la cohabitation entre l'équipe pédagogique des deux classes transférées et celle de l'école primaire sur des questions pratiques : partage des espaces (cour, bibliothèque, salle informatique...), promiscuité des classes maternelles et primaires. La participation de l'inspecteur académique aux réunions stratégiques a permis de faciliter le dialogue entre les équipes.

Lorsque les travaux ont lieu en site occupé, un surcroît de sécurisation du chantier est nécessaire au regard du jeune public, qui n'a pas toujours conscience du danger. Comme l'a indiqué le chef de projet de la rénovation de l'école Saint Louis Gare à Marseille, « les entreprises ne savent pas travailler avec des enfants à proximité : les portes sont laissées ouvertes, il y a des vis qui traînent... ». Dans cet établissement, la configuration des lieux permet l'existence d'une clôture totalement étanche, traversant la cour, qui sépare la partie en travaux et la partie utilisée par les écoles. Cela n'est pas sans conséquence sur la surface de la cour de récréation restant disponible.

La difficulté de la cohabitation entre les entreprises et les élèves a également été mise en avant, à propos d'une autre école de Marseille, par l'équipe pédagogique de l'école Malpassé Les Lauriers : « ce n'est pas dans la culture des entreprises de faire des travaux en présence d'enfants. L'acculturation à cette spécificité des travaux en site occupé dans une école est plus difficile que la technique à proprement parler ». Dans cette école, il n'y a pas de frontière étanche entre les travaux et la cour de récréation ; des barrières et des rubans sont installés - parfois par les enseignants - et déplacés en fonction de l'avancée des travaux. Ont été cités, entre autres difficultés, les exemples de l'arrivée des camions au moment de la récréation, ou encore un accès sur la rue depuis la cour de récréation laissé ouvert le temps de charger ou décharger des marchandises. De manière plus anecdotique, certains ouvriers fument pendant leur pause devant les fenêtres des classes101(*).

La mission d'information a été alertée sur l'importance de réunions régulières avec les équipes pédagogiques pendant la phase des travaux en site occupé. Comme l'a expliqué à la délégation lors de son déplacement à Marseille Pierre-Marie Ganozzi, adjoint au maire en charge du plan école, du bâti, de la construction, de la rénovation et du patrimoine scolaire, il est indispensable de « traiter les irritants du quotidien » afin de lever des sources de frustration et d'incompréhension vis-à-vis des personnels qui subissent directement les désagréments liés au chantier (bruits, coupures d'électricité, modifications des habitudes de travail...)

Comme l'a rappelé notre collègue Jocelyne Guidez à propos de la construction d'un bâtiment de restauration scolaire, « le bruit occasionné par les travaux est une difficulté parmi d'autres »102(*).

Exemples « d'irritants du quotidien » à éviter en cas de chantiers en site occupé

Les déplacements ainsi que les échanges avec les élus locaux et les équipes pédagogiques ont permis à la mission d'information de prendre connaissance d'un certain nombre d'exemples d'« irritants du quotidien » imputables aux travaux en site occupé :

- cas de cette école maternelle accueillant temporairement des élèves de l'école élémentaire voisine en rénovation : les toilettes supplémentaires installées pendant les vacances étaient adaptées à des enfants de maternelle, sans box fermé (séparation en demi-cloison). Il a fallu trois semaines pour que l'entreprise installe des sanitaires à la bonne taille - celle-ci ne pouvant travailler que le mercredi, en l'absence des enfants, pour des questions de sécurité et à cause des indispensables coupures d'eau. En définitive, la fonctionnalité des sanitaires installés interroge : les cuvettes sont plus grandes, mais la taille des boxes - désormais fermés par une cloison et avec une porte ouvrant vers l'intérieur - étant restée la même, la surface de chaque cabine de toilettes est minuscule ;

- dans les classes, la hauteur des tableaux était adaptée aux élèves de maternelle, mais pas à ceux de l'école élémentaire, ce qui a posé des problèmes de visibilité, surtout aux élèves des derniers rangs. Or les murs contenant de l'amiante, le déplacement des tableaux, qui implique de percer les murs, exige le respect d'un protocole de sécurité spécifique ;

- la salle provisoire des professeurs n'a pas été équipée de prises électriques, empêchant le branchement de tout appareil (machine à café, four à micro-ondes ou réfrigérateur ; à noter que celui-ci, au-delà de la conservation des aliments, permet aussi à l'équipe pédagogique de disposer de poches de glace pour soulager les bosses, risque fréquent dans une école primaire) ;

- certaines classes dédoublées de REP et REP+ ont dû être regroupées faute de salles disponibles ; le maintien de mobilier de rangement le long des murs a empêché de dégager de la place pour que les accompagnants d'élèves en situation de handicap puissent s'assoir ;

- lors de travaux entraînant la suppression temporaire du préau, les enfants doivent en cas d'intempérie passer les récréations dans les salles de classe et les couloirs de l'école : le niveau sonore devient rapidement très élevé et l'ambiance se ressent de l'impossibilité pour les enfants de se dépenser physiquement.

Ces « irritants du quotidien » méritent d'être portés à la connaissance des collectivités envisageant des travaux de rénovation de leurs établissements scolaires, afin d'alerter le maître d'oeuvre, les équipes pédagogiques et les entreprises sur les points de vigilance à observer pour permettre la meilleure cohabitation possible entre travaux et école.

Un échange régulier avec les parents d'élèves est également de nature à les rassurer et à apaiser les tensions : si des travaux de six mois ou un an peuvent sembler relativement brefs à l'échelle de vie d'un bâtiment, leur impact est significatif pour un élève qui ne passe que trois ou quatre années dans le même établissement.

2. La sensibilisation et l'association des usagers des bâtiments scolaires, clé d'une rénovation réussie

Les auditions et les déplacements ont mis en avant la nécessité de faire adhérer l'ensemble de la communauté éducative - enseignants, personnels administratifs et techniques, élèves, parents d'élèves - aux projets de travaux.

En effet, si le bâti scolaire est de la responsabilité des collectivités territoriales, les usagers ont un rôle décisif pour générer les économies d'énergie programmées. Or, comme l'a souligné la représentante de l'Institut français pour la performance du bâtiment (IFPEB) lors de la table ronde du 6 avril, « souvent, les chefs d'établissements ne connaissent pas le montant des factures d'énergie de leur collège ou lycée. Il en va de même des enseignants. ». Plus prosaïquement, le payeur n'est pas l'utilisateur. Pour la vice-présidente du conseil départemental des Hauts-de-Seine chargée de l'éducation et du numérique éducatif, il est important « de penser à la communication et à la sensibilisation. Nous devons également parler des démarches comportementales, qui peuvent très rapidement conduire à des baisses de consommation de 20%. [...] Nos agents doivent être formés pour mieux gérer le chauffage, la lumière des bâtiments, notamment avant le week-end ou les vacances scolaires. De petits gestes simples, tant des élèves que des enseignants, peuvent faire baisser la consommation. Il suffit d'initier ces pratiques au quotidien »103(*). Faute de changement de culture de l'utilisateur, les investissements souvent lourds restent inopérants - ou peu opérants.

La mission en est convaincue, la concertation avec les équipes pédagogiques en amont des travaux est l'une des clés d'une rénovation réussie. Les personnels - et les élèves - s'approprieront d'autant mieux les bâtiments que ceux-ci répondent à leurs besoins.

Cette consultation permet d'éviter des conflits d'usage : la transformation de la cour en îlot de fraicheur ne doit pas empêcher toute pratique sportive, notamment les cours d'EPS. De même, les aménagements réalisés ne doivent pas se faire au détriment de la surveillance des élèves. Enfin, plusieurs représentants d'enseignants ont regretté une insuffisante prise en compte de leurs conditions de travail au moment de la rénovation ou de la construction d'un nouvel établissement scolaire.

3. Les pièges de l'entretien et de la maintenance

Dès le début du projet, la question de l'entretien et de la maintenance des nouveaux équipements doit être posée. Il ressort des auditions menées la nécessité de faire le choix de matériaux robustes et faciles d'entretien, afin de limiter les coûts de maintenance à moyen terme. Pour la vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes, les collectivités territoriales doivent privilégier une rénovation « low-tech » : « Nous savons que les bâtiments scolaires, notamment quand ils sont pris en charge par de petites collectivités territoriales, ne disposent pas d'organismes ou d'équipes de maintenance performantes. Il convient donc de privilégier des solutions de robustesse et nécessitant peu de maintenance. [...]Par exemple, nous préconisons d'éviter les systèmes de ventilation à double flux qui impliquent une maintenance exigeante »104(*). Ce constat est partagé par le maître d'oeuvre du chantier de rénovation de l'école Saint Louis Gare à Marseille, rencontré le 25 mai 2023 : « pour les fenêtres par exemple, nous avons fait le choix d'une ouverture mécanique. C'est facile d'utilisation et d'entretien. Dès qu'il y a de l'électronique, cela pose problème ».

Au-delà des coûts de maintenance, c'est même l'adaptation de celle-ci aux nouveaux équipements qui peut poser problème, comme en a témoigné un élu consulté par la mission d'information : « la chaudière, trop complexe pour notre technicien, est impossible à régler »105(*).

De plus, les économies réalisées grâce aux nouveaux équipements sont parfois en deçà de ce qui était attendu. Cette défaillance peut tenir à une mauvaise utilisation du bâtiment rénové. Cette problématique a été mise en avant par le réseau FLAME, qui constate que « de trop nombreuses rénovations n'atteignent les performances souhaitables qu'après au moins deux années en raison de dysfonctionnements d'équipements ou de mauvais réglages »106(*).

4. La rénovation des lycées professionnels : des contraintes spécifiques

À la demande de la rapporteure, Régions de France107(*) a analysé les difficultés spécifiques que présente la rénovation écologique des lycées professionnels :

- leurs locaux nécessitent des aménagements particuliers et « présentent des spécificités propres à leurs enseignements (ateliers difficiles à chauffer) ou encore des process bien particuliers et très énergivores (atelier bois, fabrication de verre, cuisine pédagogique, animalerie...) » ;

- ces investissements impliquent une stabilité des effectifs dans le temps : or les régions constatent des évolutions rapides en matière d'attractivité des formations professionnelles, qui constituent un obstacle en soi. Certaines filières « ferment par manque d'élèves alors que des aménagements récents y ont été réalisés » par les régions.


* 100 Compte rendu du 4 avril 2023.

* 101 L'école Malpassé Les Lauriers présente la spécificité d'être construite en étoile, avec un accès de toutes les salles de classe du rez-de-chaussée sur la cour de récréation.

* 102 Compte rendu du 4 avril 2023.

* 103 Compte rendu du 28 mars 2023.

* 104 Compte rendu du 4 avril 2023.

* 105 Voir en annexe la synthèse de la consultation des élus locaux par la mission d'information.

* 106 Compte rendu du 6 avril 2023.

* 107 Source : réponses écrites au questionnaire de la rapporteure.