Méfions-nous donc de certaines préconisations affirmant que la régulation est un fardeau administratif. Elles servent des intérêts privés. Les lobbies profitent des inquiétudes sur le commerce international pour remettre en cause l'ensemble du cadre réglementaire.

Ce n'est pas parce qu'il y a des accidents à certains carrefours qu'il faut pour autant supprimer les feux rouges ! C'est au contraire en régulant la vitesse et le trafic qu'on peut fluidifier la mobilité.

Les entreprises ont besoin de régulations qui les protègent du dumping social et environnemental. Sans régulation, c'est toujours la loi du plus fort et du moins scrupuleux qui s'applique.

L'Europe fait face à une perte de souveraineté économique. Si nous voulons nous en sortir, nous avons tout intérêt à préserver la qualité de nos emplois, notre système de santé, nos sols, la qualité de notre air et de notre eau. Pour cela, il faut des règles.

L'Europe a la possibilité d'incarner une autre économie, sociale et écologique. C'est aussi ce qui lui permettra de rester une puissance durable sur la scène mondiale.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur Lahellec, je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur un certain nombre de points.

Je reviendrai dans un instant sur la question de la fast fashion et des produits chinois, sur laquelle nous avons particulièrement travaillé ce matin avec mes homologues relevant du périmètre de Bercy.

Il est vrai que nous entendons beaucoup parler de cette Europe qui régule, mais nous devons faire la différence entre, d'une part, l'objectif de la régulation, laquelle vise très souvent, en Europe, à protéger nos valeurs et à définir les modalités selon lesquelles nous souhaitons que l'Union européenne fonctionne, et, d'autre part, la mise en œuvre de cette régulation. Nous travaillons, à cet égard, à simplifier le plus possible afin de ne pas ralentir nos entreprises, qui elles-mêmes portent nos valeurs.

Il ne faut donc pas se laisser enfermer dans un discours, qui est d'ailleurs parfois instrumentalisé – je vous rejoins sur ce point, monsieur le sénateur – selon lequel la régulation serait une fin en soi et ne serait que négative.

En ce qui concerne la fast fashion et la concurrence des produits chinois, j'indique tout d'abord que la proposition de loi que vous avez évoquée sera examinée en séance publique, au Sénat, les 2 et 3 juin prochains. Je m'en réjouis. Nous serons très attentifs à l'évolution des débats.

J'ai en effet pu observer de mes propres yeux, ce matin, comment se matérialisait le risque que vous avez décrit, monsieur le sénateur. Autour du ministre Éric Lombard, nous étions ainsi, avec mes collègues Amélie de Montchalin et Véronique Louwagie, à Roissy. Nous avons pu constater la masse des petits colis d'une valeur inférieure à 150 euros : on estime que 800 millions de ces colis arrivent chaque année en France.

Nous avons discuté avec les agents des services des douanes et des autres services concernés. Ces colis présentent des risques avérés : pour les Français, tout d'abord, parce que 94 % d'entre eux contiennent des produits non conformes, mais aussi pour notre économie, en raison notamment de la contrefaçon, et pour nos finances publiques, parce que ces colis ne sont pas toujours bien déclarés.

Nous allons donc renforcer les contrôles. Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, envisage d'ailleurs d'instaurer des frais de gestion pour les financer, car il ne revient pas aux contribuables d'en payer le coût.

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jacques Fernique. Madame la ministre, le paquet omnibus proposé par la Commission européenne prétend alléger les charges administratives qui pèsent sur les entreprises. Derrière ce vernis de simplification se concrétise en réalité un très net coup de frein à la transition écologique européenne.

On veut nous fait croire que l'objectif serait de faciliter la vie de nos entrepreneurs écrasés par les formalités administratives, que les obligations sociales et environnementales seraient des tracasseries qui, permettez-moi l'expression, pourriraient la vie des acteurs économiques sans utilité.

En fait, parler de simplification à propos du paquet omnibus relève de l'abus de langage. Ce qui se joue réellement, ce n'est pas la suppression de lourdeurs administratives. En vérité, on assiste à un renoncement, à une régression par rapport à des avancées qui ne résultent pas de décisions prises à la légère, mais qui ont été réalisées en toute connaissance de cause, à l'issue de concertations,…

M. Olivier Rietmann. Certainement pas !

M. Jacques Fernique. … de négociations difficiles, en trilogue notamment.

Le Pacte vert européen est un acquis de la précédente législature.

Ce paquet omnibus marque ainsi une régression. Si le Sénat devait le soutenir, cela constituerait aussi une régression pour notre assemblée.

Je me souviens qu'en 2022 – ce n'est pas si loin ! – le Sénat avait adopté, de manière transpartisane, une résolution européenne, dont j'étais l'auteur avec Christine Lavarde et Didier Marie, sur la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

Je me souviens aussi des recommandations – c'était l'an dernier – de la commission d'enquête sénatoriale sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer le respect par TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France.

Ces travaux témoignaient d'une exigence, d'une ambition en ce qui concerne la directive sur le devoir de vigilance des entreprises, dont la Commission prône désormais l'affaiblissement en présentant le paquet omnibus.

Il s'agit d'un choix politique, délibéré, soutenu – il faut le dire – par la droite et l'extrême droite européennes. Sous prétexte de simplifier, on prend pour cible tout ce qui relève du progrès environnemental ou des droits sociaux à l'échelle de la planète. Les règles sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) sont pointées du doigt comme bouc émissaire des difficultés des entreprises.

Je ne citerai que les principaux reculs qu'entraînerait l'adoption de ce paquet omnibus.

La mise en œuvre des directives CSRD et CS3D serait reportée dans le temps, ce qui serait contre-productif.

Le champ d'application de la directive CSRD serait réduit : 80 % des entreprises qui auraient dû y être assujetties seraient épargnées, si bien que ne seraient plus concernées, en définitive, que 0,02 % des entreprises européennes.

L'évaluation des impacts négatifs de l'activité de l'entreprise ne serait plus obligatoire que tous les cinq ans, et non plus tous les ans.

L'obligation de rompre les relations commerciales en cas d'incidences négatives avérées serait supprimée.

Surtout, le devoir de vigilance ne s'appliquerait plus à l'ensemble de la chaîne d'activité : ainsi, le principe même de cette directive serait liquidé.

Enfin, les victimes perdraient leur possibilité de recours juridique.

Madame la ministre, mes chers collègues, lorsque l'on affaiblit les obligations de reporting et que l'on recule sur la régulation, on ouvre les vannes au dumping social et environnemental qui, précisément, malmène nos entreprises et entrave la réindustrialisation. Vouloir affaiblir nos instruments extraterritoriaux et pousser à l'adoption de ce paquet omnibus vont à l'encontre de nos objectifs en matière de souveraineté industrielle.

La France a été pionnière en ce qui concerne le devoir de vigilance, à la suite à l'effondrement du Rana Plaza. Notre pays était alors à l'avant-garde.

Si nous sapons ainsi nos acquis sociaux et environnementaux, nous allons perdre un temps précieux, alors qu'ailleurs les autres pays travaillent à renforcer la résilience de leurs entreprises. La Chine nous talonne ainsi en matière de standards de durabilité. L'Australie, le Japon, le Canada adoptent des législations sur le devoir de vigilance.

Voulons-nous vraiment perdre notre avance ? Cette dérégulation se ferait au détriment de la souveraineté européenne, de l'emploi et des entreprises qui ont investi : en revenant sur les règles existantes, on encourage le vice et sanctionne la vertu ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, nous maintenons avec détermination l'objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre, au niveau européen, d'ici à 2035, ne serait-ce que pour des raisons économiques – mais il y en a d'autres –, car, comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, la trajectoire climatique actuelle aurait un impact de 15 % à 20 % sur le PIB mondial.

Il s'agit d'avancer vers cet objectif en simplifiant de manière utile et intelligente, sans alourdir la charge pour nos entreprises. Tel est l'enjeu des discussions actuelles. Je prendrai l'exemple, que j'ai déjà évoqué, mais qui est particulièrement parlant, du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières : il est envisagé de retirer 92 % des entreprises de son champ, mais on couvrirait toujours 98 % des émissions.

Vous avez parlé du devoir de vigilance. La France, vous l'avez dit, a été précurseur en la matière. Le Gouvernement défend, dans les négociations européennes, le maintien d'un certain nombre d'obligations. Nous avons ainsi fait savoir que la suppression d'un régime de responsabilité civile harmonisé se ferait au détriment de nos entreprises. C'est un point important, sur lequel nous serons très attentifs dans les négociations.

Le paquet omnibus actuel vise les dispositions relatives aux devoirs des entreprises en matière de responsabilité sociale et environnementale.

Pour autant, nous travaillons aussi à simplifier toutes les réglementations européennes, y compris celles qui sont en cours de discussion, comme la proposition de règlement relatif à un cadre pour l'accès aux données financières, dit Fida (Financial Data Access).

De même, un paquet spécifique sera consacré au secteur du numérique ; il sera présenté en octobre prochain.

J'y insiste : nous œuvrons à simplifier dans tous les secteurs.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Michaël Weber. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, face à une mondialisation sans foi ni loi, qui creuse les inégalités et nous pousse vers un modèle de consommation toujours plus destructeur pour la santé humaine et l'environnement, la norme peut être protectrice.

La déréglementation et la dérégulation financière constituent une réponse dangereuse au haro contre la charge administrative. Un espace existe entre bureaucratie et réglementation nécessaire. La frontière est certes ténue, mais nous pouvons diminuer la complexité sans restreindre nos exigences.

L'Europe doit fonder sa compétitivité sur les atouts de son modèle social, qui est unique au monde, et ne rien renier de son ambition. Elle seule porte, de nos jours, un projet et une vision cohérente pour une économie responsable et durable.

L'Union européenne réglemente l'accès à son marché pour favoriser le développement d'entreprises européennes vertueuses, limiter nos émissions de carbone, lutter contre l'érosion de la biodiversité et la pollution de l'air et améliorer notre alimentation.

L'Europe met en œuvre des mesures concrètes pour garantir le respect des droits humains, afin que nos valeurs ne deviennent pas de simples idéaux vénérables inscrits dans nos constitutions et un alibi juridique sans réalité dans nos vies quotidiennes.

L'argument est aussi d'ordre économique. L'Europe propose un modèle de vie attractif et innovant fondé sur la durabilité. Le renforcement de la qualité de nos modes de production et de consommation constitue l'avantage compétitif de notre système.

Les investissements verts, l'innovation durable, l'harmonisation du marché européen, qui pèse autant que celui des États-Unis, constituent ainsi des piliers de la compétitivité européenne : nous n'opposons pas la stabilité financière à la transition écologique et au respect des droits humains.

Or c'est au nom de cette même compétitivité que l'on veut saper les avancées majeures de l'Union européenne en matière de droits humains, d'environnement et de climat.

Dans cette course aveugle à la compétitivité, comparons un instant, mes chers collègues, les modèles sociaux européens et américains.

L'espérance de vie en Europe est la plus élevée du monde et les inégalités y sont les plus faibles. Les émissions de carbone sont trois fois plus élevées aux États-Unis qu'en Europe. La production d'électricité en Europe est la moins carbonée : la part des énergies renouvelables atteint 45 %, alors que ce taux plafonne à 15 % aux États-Unis. La surface agricole en bio est proche de 10 % en Europe, alors qu'elle est de moins de 1 % outre-Atlantique. Le continent américain a triplé sa consommation de pesticides quand l'Europe l'a réduite de 5 %.

Les politiques que nous menons collectivement ont bel et bien des résultats concrets. Cependant, nos engagements pour une économie durable et responsable suscitent des oppositions fortes de la part de nos partenaires et concurrents internationaux.

L'administration américaine, comme à l'époque de Kissinger, n'hésite ainsi pas à s'immiscer dans nos politiques pour les contourner, dans le but de torpiller le Pacte vert européen et de défaire nos ambitions agroécologiques.

Aux États-Unis, les normes et les fonds ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) sont pris pour cible depuis 2022. Le mot d'ordre semble y être : toujours plus de profits pour les grands groupes, plus d'énergie fossile, de ségrégation sociale, d'inégalité, de fraude, d'intimidation, de précarité, et moins de droits humains, d'environnement, de solidarité et de justice.

Cette politique inique et absurde est désormais présentée par certains comme une recette payante, dans une course à la croissance où la norme est perçue comme un obstacle.

Subissant cette pression politique, la Commission européenne ouvre désormais la boîte de Pandore, en affichant sa volonté de revenir sur ses normes les plus ambitieuses, en les reportant sine die ou en restreignant leur champ d'application, au risque de les vider de leur substance et de ne produire que des coquilles vides.

Or ces retours en arrière, sous la pression internationale, ces va-et-vient incessants nous affaiblissent collectivement, créent de l'incompréhension et de l'instabilité, dont les entreprises européennes sont les premières à souffrir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, vous l'avez très justement dit, il s'agit, pour l'Europe, de trouver le bon équilibre, en simplifiant pour limiter la bureaucratie, mais sans réduire notre ambition.

Vous avez évoqué le risque de vider de sa substance notre législation. Il est important de rappeler que la version de la directive CSRD qui figure dans le paquet omnibus demeure très ambitieuse, comme en témoignent les obligations qui restent à la charge des entreprises. Elle est notamment plus ambitieuse que les standards internationaux, tels que ceux de l'ISSB (International Sustainability Standards Board), dont la mise en œuvre est facultative. L'Europe reste donc leader en la matière.

Vous avez aussi soulevé la question de la prévisibilité et du risque d'instabilité juridique que ces modifications peuvent entraîner pour les entreprises. C'est une vraie question. C'est d'ailleurs pour cette raison que, via la loi d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue) dont j'ai déjà parlé, nous avons voulu donner, le plus tôt possible, de la visibilité aux entreprises.

Il s'agit bien de les accompagner, afin d'éviter que cet effort de simplification ne soit pas source d'incertitude pour elles.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Brault. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et du RDSE.)

M. Jean-Luc Brault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, allons droit au but : qu'est-ce qui se cache derrière ce débat ? Une passion que la France partage avec l'Union européenne : la frénésie normative !

Disons-le clairement et simplement, la première des mesures de simplification et d'allègement de la charge administrative des entreprises est très simple : elle consiste à leur apporter de la stabilité et de la visibilité.

Bref, il faut que nous arrêtions de danser le tango à l'échelle européenne – un pas en avant, un pas en arrière. Si nous n'avions pas complexifié aveuglément, nous n'aurions pas à simplifier par paquets omnibus !

Nous avons besoin de l'Union européenne, c'est une évidence. Il n'y a pas de débat sur ce point.

Toutefois, demandez aux chefs d'entreprise sur le terrain ce qu'ils pensent de la Commission… Qu'ils dirigent une TPE, une PME ou un groupe international, tous les patrons français vous diront qu'ils n'ont pas le temps de se mettre en conformité avec une norme qu'une nouvelle leur tombe dessus.

M. Olivier Rietmann. Exactement !

M. Jean-Luc Brault. Tous n'ont pas les moyens d'employer un juriste pour assurer une veille dans leur secteur ou de gaspiller du temps et de l'énergie à le faire eux-mêmes !

Il faut le dire, beaucoup de nos concitoyens, et en premier lieu nos chefs d'entreprise, ressentent, parfois de manière viscérale, une forme de précarité administrative et juridique. Certains ont la boule au ventre chaque jour : ils se demandent s'ils ont bien pensé à tout ou s'inquiètent de savoir ce qui leur tombera dessus le lendemain !

Il en va de même pour tous les patrons des pays de l'Union, me direz-vous, mais nous avons en plus un penchant, bien français, pour le bavardage législatif et la surtransposition des directives européennes… C'est la cerise sur le gâteau ou plutôt la goutte d'eau qui fait déborder le vase !

Pourtant, j'y insiste, l'Union européenne est essentielle. Il n'y a pas de débat sur le sujet !

Elle nous apporte une stabilité politique dans un monde toujours plus fou et frénétique. Cependant, la Commission doit conforter cette stabilité par son travail normatif, en conciliant harmonisation européenne et ambition collective, et non pas en ajoutant de la frénésie à la frénésie.

Madame la ministre, nous devons plaider à Bruxelles pour que l'Union change de logiciel, de culture. Pourquoi ne s'inspirerait-elle pas d'ailleurs de cette culture de la sagesse normative que nous pratiquons au Sénat ?

La priorité des priorités doit être simplement d'agir plus raisonnablement, d'une manière plus connectée au terrain, au lieu d'édicter, de manière précipitée, des normes, que l'on cherche régulièrement à détricoter par la suite, de manière maladroite.

Une telle méthode n'empêcherait pas d'agir avec réactivité. Au contraire, nous gagnerions en souplesse, tout en nous inscrivant dans la perspective du temps long, afin d'apporter de la stabilité et de la visibilité à nos entreprises. La première préoccupation des patrons est en effet de savoir ce qui va se passer après-demain pour choisir comment investir demain.

Les résultats pour l'Europe en termes de PIB, d'innovation, de production industrielle, etc. sont connus. Les chiffres ont été rappelés.

Si nous, les Européens, ne faisons rien, nous condamnons l'Union à une « lente agonie », comme l'a dit Mario Draghi, le 9 septembre dernier, lorsqu'il a rendu public son rapport sur la compétitivité européenne.

À la suite de ce constat, la Commission a dévoilé, au début de l'année, une feuille de route afin de réduire le retard économique de l'Union européenne. L'une des priorités affichées est de simplifier les normes et d'alléger les charges administratives qui pèsent sur les entreprises.

La Commission propose ainsi de revenir sur des normes européennes qui ont été adoptées ces dernières années. Il s'agit de simplifier les règles auxquelles sont soumises les entreprises : c'est un mea culpa qui ne dit pas son nom, mais faisons-le pour nos petites et moyennes entreprises, le plus rapidement possible, avant qu'il ne soit trop tard.

Dans un contexte international marqué par d'importants bouleversements et le retour de la guerre commerciale, il est impératif de conjuguer réactivité et stabilité, dans l'intérêt de nos PME. Il en va de notre compétitivité, de notre indépendance et de notre souveraineté.

Je tiens à préciser que « simplifier nos normes » ne signifie pas « sacrifier nos objectifs », notamment en matière d'écologie : les atteindre doit rester notre priorité.

Au contraire, si nous agissons de manière moins précipitée, au plus près de la réalité des acteurs économiques et des territoires, nous serons gagnants en termes d'efficacité économique et d'acceptation sociale. Nous pourrions atteindre plus aisément nos objectifs, qui doivent rester ambitieux.

Madame la ministre, j'ai deux questions.

Tout d'abord, comment la France s'adaptera-t-elle aux mesures de simplification qui seront, je l'espère, adoptées à l'échelle européenne ?

Ensuite, pouvez-vous nous affirmer ici que la France sera ensuite le garant d'une certaine forme de sagesse normative auprès de la Commission européenne, afin d'apporter de la visibilité et de la stabilité à nos entreprises ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, dans cet effort de simplification, nous sommes guidés par le souci d'apporter de la stabilité aux entreprises. Au ministère de l'économie et des finances, nous recevons régulièrement les entreprises concernées par les futures réglementations, afin de les consulter sur les positions à tenir.

Pour répondre à votre question sur la transposition de ces directives de simplification, j'indique que nous veillerons évidemment à ne pas complexifier, à ne pas surtransposer et à nous assurer que l'effort de simplification est bien intégré dans le droit français et qu'il bénéficie à nos entreprises.

Je répondrai à votre seconde question sur la sagesse normative en prenant un exemple. Nous ne nous interdisons pas de remettre en cause des textes dont nous ne voyons pas l'utilité. Nous sommes ainsi les seuls à nous battre pour supprimer les nouvelles règles Fida sur les données financières des clients, parce que nous n'en voyons pas l'intérêt, au regard notamment du coût occasionné, de la lourdeur et de l'allongement de trois à huit heures des procédures pour les entreprises. Nous plaidons purement et simplement pour leur suppression. Nous savons le faire quand cela est nécessaire.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Commission européenne a récemment dévoilé son agenda de simplification et son programme de travail pour 2025. Je voudrais insister sur le volet agricole.

Dans une communication, la Commission a présenté sa vision pour l'agriculture et l'alimentation à l'horizon 2040. Celle-ci comporte quatre grands axes de simplification, qui s'inscrivent dans le prolongement des quelques mesures qui ont été prises l'année dernière en réponse à la colère du monde agricole. Certains points méritent que l'on s'y attarde.

Tout d'abord, la Commission souhaite mettre en place des outils simplifiés d'aide aux revenus. En raison de l'empilement des dispositifs ouvrant droit à des prestations et des conditions d'octroi kafkaïennes qui leur sont associées, la déclaration annuelle des aides de la politique agricole commune (PAC) constitue un véritable cauchemar pour les agriculteurs. La procédure crée une surcharge administrative indue, car les agriculteurs sont là pour produire et non pour administrer, et multiplie en outre les risques d'erreurs déclaratives et donc, in fine, les risques de sanctions.

À cet égard, la communication contient une phrase qui, selon moi, est essentielle : « Il n'appartient pas à l'Union de concevoir en détail les pratiques à respecter dans les exploitations. » Enfin !

La question des contrôles est absolument centrale pour les agriculteurs. Ils doivent être les moins nombreux possible et il conviendrait de tous les effectuer à l'occasion d'une seule visite.

Ces contrôles doivent porter non pas sur le respect de telle ou telle norme, apprécié de manière tatillonne, mais plutôt sur l'analyse des résultats obtenus. Ils doivent être tournés non pas vers la sanction systématique de l'erreur, mais plutôt vers l'accompagnement technique dans la mise en œuvre de solutions efficaces.

La Commission entend également promouvoir les nouvelles technologies comme vecteur de simplification. Leur usage permettrait non seulement d'améliorer la compétitivité de l'exploitation, grâce à une meilleure utilisation des ressources et à un meilleur pilotage, mais aussi de réaliser des contrôles plus simples et rapides dans la mesure où certaines données ont déjà été suivies et enregistrées. En outre, il est avéré que l'utilisation d'images satellitaires permet d'effectuer des contrôles surfaciques beaucoup moins invasifs.

Un point d'ordre général me semble important. La simplification ne doit pas seulement viser une administration plus simple des dispositifs. Elle doit avant tout viser une mise en œuvre plus aisée sur le terrain, afin de faciliter à la fois la vie des agriculteurs et l'atteinte des objectifs politiques de la PAC.

Attention toutefois à ne pas trahir les attentes ! Son effet devra être très concrètement perceptible par les exploitants, sinon ce sera un nouveau coup d'épée dans l'eau.

Le Sénat restera vigilant à ce que l'on ne déguise pas, sous les habits de la simplification, ce qui serait en fait une nouvelle étape de renationalisation de la PAC, phénomène que j'avais déjà dénoncé, dès juillet 2017, dans mon rapport sur l'avenir de la PAC.

Enfin, si cette démarche visant à simplifier va incontestablement dans le bon sens – nous espérons qu'elle ira vraiment au bout de sa logique –, se pose aussi la question d'une éventuelle déréglementation sur certains points.

En effet, si les règles sont plus simples à appliquer, c'est évidemment très bien. Mais la réflexion ne doit pas s'arrêter là. Il est nécessaire qu'elle porte également sur le stock de normes qui s'est accumulé au fil des ans et qui n'a jamais fait l'objet d'un véritable bilan coûts-avantages.

N'oublions pas que le gouvernement américain fait de la dérégulation l'un des axes centraux de sa politique économique. Il est dès lors à craindre que ce mouvement venu d'Amérique exerce une pression concurrentielle sur le reste du monde, qui in fine pèsera sur l'Europe et aggravera encore davantage le différentiel compétitif dont elle souffre.

En agriculture, comme dans d'autres secteurs, nous serons alors placés face à un choix que nous ne pourrons plus continuer d'esquiver. Il faudra soit déréguler, soit, si nous ne voulons pas nous y résoudre, nous protéger : ou bien à l'américaine, par le biais de barrières tarifaires, ou bien à l'européenne, en instaurant des barrières non tarifaires, ce qui donnerait enfin véritablement corps au principe de réciprocité des normes – ces fameuses clauses miroirs dont on parle beaucoup, mais dont on voit peu la couleur.

Au vu du contexte actuel, pourriez-vous, madame la ministre, nous faire état des réflexions nationales et européennes en cours sur le sujet ?

En conclusion, le monde agricole a montré, au fil des années, son incroyable résilience. Toutefois, sa viabilité est menacée en raison de la pression exercée par les tensions géopolitiques et les crises récentes, des effets dévastateurs des phénomènes météorologiques extrêmes et des tendances structurelles qui sont à l'œuvre.

Il convient, dès lors, de donner à nos agriculteurs les moyens d'exercer leur métier sans entraves. C'est à ce prix qu'ils pourront réellement assurer notre autonomie alimentaire et notre indépendance stratégique. Madame la ministre, il est urgent d'agir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, en ce qui concerne l'agriculture, notre philosophie sera la même que celle qui nous anime dans les autres secteurs. Toutefois, la ministre de l'agriculture serait plus compétente que moi pour vous présenter notre action en détail.

Là aussi, nous cherchons à trouver le juste équilibre et à simplifier le quotidien de nos agriculteurs. Annie Genevard y est très attachée. Elle a notamment défendu dans ce sens la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, dont l'examen a été, un temps, interrompu en raison de la fin de la législature précédente.

Notre philosophie est de simplifier, tout en préservant nos objectifs, notamment ceux qui figurent dans le Pacte vert, et en accompagnant les agriculteurs, qui nourrissent notre pays et font un métier très noble et très important pour notre nation.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Madame la ministre, j'ai toujours peur quand on parle de simplification. Les agriculteurs ne veulent pas qu'on en rajoute. Simplifions surtout ce qui existe déjà, sans rien ajouter. C'est le message que je souhaite vous adresser.

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il nous faut simplifier, mais selon deux impératifs : sans déréguler et sans complexifier davantage.

Alors que l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique a repris à l'Assemblée nationale et qu'un millier d'amendements reste à examiner, il me semble utile d'exprimer ce message en introduction : appliquons déjà les règles existantes, de façon homogène, en prenant le temps de les expliquer, de les accompagner et de les évaluer.

Formons pour ce faire celles et ceux à qui elles se destinent, avant de faire le procès de leur non- ou mauvaise mise en œuvre.

Il fait soigner les relations entre les administrations, d'une part, et les usagers et notre appareil productif, d'autre part : nous avons besoin de moins de documents et de plus de proximité, de moins de défiance et de plus de confiance.