II. LE SUIVI DES RECOMMANDATIONS GENERALES DE LA CVFS
Depuis l'examen des comptes de l'exercice budgétaire 2016, la CVFS émet chaque année des recommandations générales, issues de ses contrôles sur place et sur pièces dans les services spécialisés de renseignement et structures bénéficiaires de fonds spéciales. A la différence des recommandations spécifiques à chaque service ou structure, ces recommandations générales sont de nature transversale, et s'adressent au Premier ministre, à la CNLRT et ou aux Services.
A. LE GROUPE DE TRAVAIL DE LA CNRLT SUR LES FONDS SPECIAUX
Dans le cadre de sa mission de coordination et afin
d'expertiser et
d'impulser la mise en oeuvre des préconisations de la
CVFS, la CNRLT a mis en place en 2022 un groupe de travail dédié
aux fonds spéciaux. Depuis sa création, ce groupe de travail
s'est réuni à cinq reprises : trois fois en 2022 et deux
fois en 2024 après une année blanche en 2023.
Animées par le secrétaire général de la CNRLT, les réunions de ce groupe de travail, passées ou à venir, portent sur ***** :
· L'harmonisation des pratiques :
o ***** ;
o ***** ;
o ***** ;
o ***** ;
· La doctrine d'emploi des fonds spéciaux :
o ***** ;
o ***** ;
o ***** ;
o ***** ;
o ***** ;
o ***** ;
· L'anonymisation et le démarquage :
o ***** ;
o ***** ;
o ***** ;
o ***** ;
o ***** ;
o ***** ;
· La « Fond-normalisation » :
o ***** ;
o *****quantifier les dépenses fond-normalisées pour permettre à la CNRLT de solliciter auprès du Premier Ministre l'augmentation de la dotation en fonds normaux des services de renseignement ;
o Identification des dépenses en fonds spéciaux susceptibles d'être basculées en fonds normaux *****.
B. L'ETAT D'AVANCEMENT DE LA MISE EN oeUVRE DES RECOMMANDATIONS DE LA CVFS
Les sujets traités par le groupe de travail de la CNRLT dédié aux fonds spéciaux font écho aux 44 recommandations formulées par la CVFS dans le cadre de ses contrôles sur les exercices budgétaires 2016 à 2022 et dont 14 d'entre elles restaient ouvertes en 2023.
Au vu des éléments transmis par la CNRLT, la CVFS considère désormais closes les 7 recommandations suivantes :
· Recommandation 16-07 : Constituer un groupe de travail sur les possibilités de démarquage existantes *****.
La CNRLT a en effet indiqué à la CVFS *****.
· Recommandation 17-05 : Formaliser une doctrine *****.
La CNRLT assure à la CVFS que *****.
· Recommandation 18-04 : Désigner par arrêté ou circulaire, non publié au Journal Officiel, les entités et services susceptibles de bénéficier des fonds spéciaux. Cet arrêté ou circulaire, et les modifications apportées, seraient communiqués sans délai à la CVFS.
La CNRLT propose de communiquer chaque année à la DPR la liste des services bénéficiaires de fonds spéciaux. La Commission suggère que cette liste soit transmise chaque année au président(e) de la CVFS. Sous cette réserve, cette recommandation peut être considérée comme close.
· Recommandation 18-06 : Mettre en place, au sein de chaque service, des indicateurs *****.
La CNRLT fait valoir que *****.
· Recommandation 19-01 : Mettre un terme à la pratique de *****.
La CNRLT confirme n'avoir pas eu recours à cette pratique depuis la formulation de la recommandation et assure la CVFS qu'elle veillera à poursuivre les efforts en ce sens. *****.
· Recommandation 19-04 : Mettre en place un groupe de travail transversal à l'ensemble des services bénéficiaires de fonds spéciaux sur les possibilités de discrétion et / ou d'urgence offertes par le droit de la commande publique.
La CNRLT a informé la CVFS que, dans le cadre de la réunion du groupe de travail sur les fonds spéciaux *****.
· Recommandation 20-03 : Constituer un groupe de travail interservices chargé de *****ù.
La CNRLT a informé à la CVFS que ce sujet figurait à l'ordre du jour d'une prochaine réunion du groupe de travail sur les fonds spéciaux. Dans cette perspective, la CNRLT indique réaliser un recensement des pratiques et des besoins des services bénéficiaires.
· Recommandation 22-02 : Etablir pour chaque service un plan pluriannuel, a minima triennal, d'expression de besoins *****.
La CNRLT a indiqué à la CVFS que ses échanges avec les services bénéficiaires s'appuyaient sur des tableaux visant à retracer l'exécution des dépenses, mais également à définir une trajectoire (évolution des dépenses, de la trésorerie et donc des crédits nécessaires). Il a été demandé aux services d'actualiser ces tableaux à chaque étape prévue dans la circulaire de 2019 du directeur de cabinet du Premier ministre. Le suivi pluriannuel intègre l'année précédente, l'exercice en cours et les trois exercices suivants afin de disposer d'une vision permettant d'évaluer la soutenabilité de la trajectoire financière. La CNRLT précise que *****.
*
* *
Au vu de ces 8 nouvelles recommandations désormais closes, seules 6 recommandations demeurent totalement ou partiellement ouvertes. Il s'agit des recommandations suivantes :
· Recommandation 16-05 : En cas de *****, définir des règles précises *****.
· Recommandation 17-04 : Encourager la mise en place d'un travail interservices pour définir un cadre de mutualisation *****.
· Recommandation 20-02 : En lien avec la CNRLT, établir dans chaque service une procédure interne permettant de caractériser l'urgence opérationnelle sur la base d'éléments factuels (date de la demande, délais de procédure, etc.).
· Recommandation 20-05 : Accompagner le processus en cours de basculement de fonds spéciaux vers les fonds normaux d'une revalorisation à due proportion des crédits budgétaires alloués aux services et structures concernés.
· Recommandation 21-01 : Au vu du poids des frais bancaires pour les services, engager un dialogue avec la Banque de France tendant à permettre leur réduction.
· Recommandation 22-01 :
Rétablir une programmation budgétaire sincère et
annuelle de la dotation en fonds spéciaux du programme 129 à
compter du projet de loi de finances pour 2025, tenant compte des besoins
de
« re-soclage » de la dotation de chacun des
services.
La Commission formule également une recommandation nouvelle au titre de l'exercice 2023 :
Recommandation générale n°23-01 : Définir un niveau minimum de ***** pour chaque structure bénéficiaire de fonds spéciaux afin de garantir *****.
ANNEXE 3 :
RÉUNION À ROME DES COMMISSIONS PARLEMENTAIRES DE
CONTRÔLE ET D'ÉVALUATION DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT DES PAYS DU
G7
A l'invitation de M. Lorenzo Guerini, président du Comité parlementaire pour la sécurité de la République italienne (COPASIR), une délégation de la DPR, composées de MM. Cédric Perrin et Aurélien Rousseau, s'est rendue à Rome les 28 et 29 novembre 2024 pour participer à la réunion des commissions parlementaires de contrôle et d'évaluation des services de renseignement organisée à Rome (28 et 29 novembre 2024) dans le cadre de la présidence italienne du G7.
Le programme s'est organisé autour de trois thématiques :
- les évolutions récentes de la scène internationale et les risques sécuritaires qui émergent face à la crise de l'ordre mondial, depuis les conflits au Moyen-Orient jusqu'à la situation géopolitique sur le continent africain (cf. infra intervention de M. Cédric Perrin) ;
- Le partage des bonnes pratiques de contrôle et d'évaluation des services de renseignement (cf. infra intervention de M. Aurélien Rousseau) ;
- L'état des menaces sur la cybersécurité.
Outre les membres de la délégation, sont intervenus dans les débats MM. Lorenzo Fontana, président de la Chambre des députés de la République italienne, Alfredo Mantovano, Secrétaire d'Etat à la sécurité, Lorenzo Guerini, président du COPASIR, Lindsay Hoyle, speaker de la Chambre des communes britannique, Mike Turner, président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants américaine, Mme Elisabetta Belloni, directrice générale du ministère de l'information et de la sécurité, MM. Ettore Rosato, membre du COPASIR, Matthias Bartke, membre du comité parlementaire de contrôle du Bundestag, Giovanni Donzelli, vice-président du COPASIR, David J. McGuinty, président de la commission parlementaire canadienne de la sécurité national et du renseignement, Bruno Frattasi, directeur général de l'agence italienne de cybersécurité.
* * *
Intervention de M. Cédric Perrin sur les évolutions récentes de la scène internationale et les risques sécuritaires qui émergent face à la crise de l'ordre mondial, depuis les conflits au Moyen-Orient jusqu'à la situation géopolitique sur le continent africain
(réunion des commissions parlementaires de contrôle et d'évaluation des services de renseignement organisée à Rome les 28 et 29 novembre 2024 dans le cadre de la présidence italienne du G7)
Monsieur le Président de la Chambre des députés,
Monsieur le Président de la Commission parlementaire pour la sécurité de la République,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
C'est tout d'abord un honneur de me retrouver parmi vous, parlementaires membres d'instance de contrôle du renseignement, aussi je tiens à remercier très chaleureusement le Président Lorenzo Fontana pour son accueil et le Président Lorenzo Guerini pour son invitation.
C'est aussi une surprise car le sujet qui nous rassemble, le contrôle parlementaire des services de renseignement, se prête peu à ce type de réunion tant nous avons coutume de nous réunir sous le sceau du secret, le plus souvent à huis clos.
C'est maintenant une nécessité face aux défis sécuritaires que tous les pays du G7 doivent affronter. C'est pourquoi, le thème central de mon intervention sera la coopération.
C'est donc un triple remerciement que j'adresse à nos hôtes avec mon collègue député Aurélien Rousseau.
J'étais reçu ce matin par mon homologue Stefania Craxi, présidente de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat italien. Nous y avons abordé les enjeux de politique internationale et de coopérations bilatérales entre la France et l'Italie dont de nombreux sujets (la crise de l'ordre mondial, conflits au Moyen-Orient, situation géopolitique sur le continent africain) sont communs aux travaux de cette première session de la journée.
Dans le cadre du G7 qui nous réunit aujourd'hui, je me rappelle la déclaration des chefs d'État et de gouvernement de juin dernier qui réaffirmait les trois points suivants :
- notre solidarité aux côté de l'Ukraine ;
- notre soutien à un accord général qui prévoit un cessez-le-feu immédiat à Gaza, la libération de tous les otages et une voie crédible vers la paix menant à la solution des deux États ;
- une collaboration avec les pays africains, dans un esprit de partenariat équitable et stratégique.
Nous savons autour de cette table tout ce que les théâtres de crise ou d'opération impliquent pour nos services de renseignement en termes de recueil d'informations de source technique ou humaine. Je tiens à saluer ici ces femmes et ces hommes qui oeuvrent dans l'ombre à notre sécurité. J'y reviendrai plus concrètement en restant dans les limites du secret de la défense nationale qu'imposent les règles applicables à notre délégation parlementaire au renseignement.
Nous savons également l'importance capitale que revêt le partage d'information et la coopération internationale entre services alliés, et parfois compétiteurs. Je peux citer à cet égard un exemple concret de réussite de la coopération inter-services : si les Jeux olympiques de Paris ont pu parfaitement se dérouler, c'est grâce à la coopération en matière antiterroriste que très certainement des tentatives d'attentat ont été déjouées.
Le partage et la confiance entre alliés sont les biens les plus précieux que nous puissions avoir contre des puissances de plus en plus agressives. J'ajoute que cette coopération revêt une dimension stratégique qu'il faut à tout prix conserver dans lutte contre le terrorisme, même avec les pays qui nous sont hostiles.
De fait, le renseignement ne connaît ni amis, ni ennemis mais que des intérêts communs. Lorsque la population russe s'est trouvée durement touchée par l'attentat du Crocus City Hall, il était de la responsabilité de la France, ou de tout autre pays allié, d'offrir son aide sur l'identification des auteurs. La Russie l'a refusé en préférant accuser l'Ukraine. Soit...
Dans une autre approche de la coopération face au durcissement de la position de certaines puissances sur la scène internationale et les risques sécuritaires qui émergent de la remise en cause de l'ordre mondial, je voudrais également citer la nécessaire coopération opérationnelle entre les services de nos différents pays. Sans naïveté, ni angélisme car nous savons combien des affaires comme l'alliance AUKUS ou l'utilisation du logiciel Pegasus peuvent ébranler les relations entre partenaires et alliés.
Cette coopération reste nécessaire et utile à nos intérêts respectifs. J'en veux pour preuve plusieurs exemples :
- la tournure que prend le conflit entre Israël, le Hamas et l'Iran (avec ses auxiliaires au Yémen et au Liban) montre que toute bascule d'effort vers le flanc Est de l'Europe et l'Asie ne peut se faire au détriment de notre coopération au Moyen-Orient et en méditerranée orientale ;
- de même, nous ferions bien de nous préoccuper collectivement de la situation sur le flanc Sud de l'Union européenne et de l'OTAN car l'Afrique, notamment la bande subsaharienne dont nous avons tous dû nous retirer de certains États. Cette zone présente un risque de résurgence du terrorisme exogène et est devenu un défi pour le renseignement ;
- Sur le plan international, je pense également aux récents développements de la guerre en Ukraine où l'implication de troupes Nord-coréennes et l'utilisation revendiquée par le Kremlin d'un nouveau missile balistique de moyenne portée. Or nos troupes, comme les vôtres, sont présentes dans des pays frontaliers de l'Ukraine (en Roumanie), voire de la Russie (en Estonie) pour ce qui concerne la France.
Le contexte de notre session pose la question centrale de l'orientation du renseignement. Donc des politiques publiques et des stratégies nationales que les uns et les autres mettent en oeuvre de manière plus ou moins publique et selon des modalités de contrôle parlementaire différentes selon nos traditions institutionnelles et politiques.
Je ne veux pas empiéter sur ce qui sera le thème de la deuxième session sur les meilleures pratiques en matière de contrôle parlementaire des services de renseignement dans laquelle mon collègue interviendra. Mais, si je souhaite aborder ce volet du contrôle c'est que précisément le contrôle qu'effectue la délégation parlementaire française au renseignement sur l'action du Gouvernement porte sur l'évaluation de la politique publique en ce domaine avec un suivi des enjeux d'actualité et des défis à venir qui s'y rapportent.
A proprement parler, notre délégation ne contrôle pas les services de renseignement en tant que tel, mais la politique publique mise en oeuvre par le Gouvernement. Ce cadre législatif présente donc des limitations mais aussi des compétences assez précises quant aux constats et recommandations qui peuvent être adressées à l'exécutif, directement au Premier ministre et au Président de la République.
Il y a deux limites principales que notre délégation n'aborde pas : ni les opérations en cours, ni les échanges avec des services étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement. Cela afin de préserver l'anonymat des agents, le secret des méthodes opérationnelles et celui des sources. Ce sont les limites du contrôle, mais aussi une garantie de sécurité pour que la coopération internationale fonctionne en toute confiance entre services.
En revanche, l'évaluation d'une politique publique permet d'interroger les orientations, les moyens alloués et les résultats obtenus.
Les enjeux dont il est question dans cette conférence nous appellent donc à réfléchir sur les orientations à donner aux services, les moyens à y consacrer et le partage d'information utile à nos intérêts respectifs.
Sous cet angle, la résurgence d'une menace terroriste exogène (Afrique et Asie centrale) ainsi que le retour du risque nucléaire entre puissances officiellement dotées constituent de nouveaux défis pour nos services.
Enfin, pour que nous puissions confronter nos approches sur de nouveaux terrains de conflictualité que sont le cyber et les ingérences étrangères, nous assistons à la multiplication des procédés numériques et informationnels qui visent très directement nos États et l'organisation libérale de nos sociétés. Ce sont des zones dites grises que nous abordons parfois de manière différente sous l'angle des services de renseignement ou de services de lutte contre les manipulations de l'information ; c'est le cas en France du service de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) qui n'est pas un service de renseignement.
Ce dernier volet relatif aux menaces hybrides me permet de conclure en laissant la place au débat, et en rappelant que dans la dernière revue nationale stratégique française de 2022, la fonction stratégique de renseignement a été complétée par une nouvelle fonction stratégique d'influence : le but étant de « gagner la guerre avant la guerre ».
Tel est également l'objectif de notre délégation parlementaire au renseignement : contrôler l'action du Gouvernement mais ne pas entraver les services dans le respect de l'État de droit.
Pour conclure, les défis que posent les nouvelles technologies (intelligence artificielle, big data) sur l'évolution des techniques de renseignements, les moyens accordés, les algorithmes autorisés, vont certainement avoir des conséquences sur le contrôle des services de renseignement. Comment contrôler l'usage des techniques de renseignement, comment protéger les libertés publiques et garantir la sécurité de nos sociétés ?
Je vous remercie.
* * *
Intervention de M. Aurélien Rousseau sur partage des bonnes pratiques de contrôle et d'évaluation des services de renseignement
(réunion des commissions parlementaires de contrôle et d'évaluation des services de renseignement organisée à Rome les 28 et 29 novembre 2024 dans le cadre de la présidence italienne du G7)
Monsieur le Président, Chers Collègues,
Je suis heureux de vous présenter, dans le cadre de notre séance de ce matin consacrée aux bonnes pratiques du contrôle parlementaire des services de renseignement, le cas de la France et le rôle confié à la Délégation parlementaire au renseignement et en son sein, la commission de vérification des fonds spéciaux dont j'assume la présidence depuis quelques jours.
Je vais revenir rapidement sur la genèse de notre délégation avant de vous présenter ses prérogatives actuelles et les enjeux du contrôle parlementaire de la politique publique du renseignement. Pour ce faire, j'articulerai mon propos en trois temps :
- Le temps de la conquête
- Le temps de l'affirmation
- Le temps du travail en réseau avec l'émergence d'une communauté des contrôleurs
1. Le temps de la conqu?te
Vous devez savoir qu'en France, jusqu'au début des années 1970, il est apparu très clairement que les parlementaires étaient en vérité peu intéressés aux questions relatives au renseignement, en dehors de quelques commissions d'enquête. On avançait alors une contradiction supposée entre la publicité des travaux parlementaires et l'existence du « secret défense ».
Jusqu'au début des années 2000, ce ne sont pas moins de 14 propositions de création d'un organe de contrôle de services de renseignement qui ont été déposées, sans succès, au Parlement français.
Ce n'est qu'à la quinzième tentative, en 2005, que la procédure arriva à son terme, qui débouchera sur l'adoption de la loi du 9 octobre 2007.
Notre délégation est bicamérale. La composition retenue, inchangée à ce jour, est de quatre députés et quatre sénateurs, parmi lesquels les présidents des commissions des lois et de la défense des deux assemblées, membres de droit. Les quatre autres membres sont désignés par les présidents de chaque chambre « de manière à assurer une représentation pluraliste ». La présidence alterne chaque année entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Les parlementaire membres de la DPR sont habilités es qualité au secret défense et peuvent donc connaître d'informations classifiées. Les réunions de la DPR se tiennent à huis clos, dans une salle dédiée et sécurisée.
La délégation avait initialement pour mission « de suivre l'activité générale et les moyens des services spécialisés ». Le terme de « contrôle » n'était alors volontairement pas utilisé dans la loi.
Si la mission de la délégation était définie en des termes très généraux, la liste de ses prérogatives l'était en revanche avec beaucoup plus de précision.
La loi de 2007 prévoyait ainsi que, dans le cadre de ses fonctions, la DPR était informée des éléments relatifs « au budget, à l'activité générale et à l'organisation des services de renseignement » mais elle précisait que ces éléments ne pouvaient porter « ni sur les activités opérationnelles de ces services » et leur financement, « ni sur les échanges avec des services étrangers ». Ce sont là des limites très importantes.
Durant ses premières années d'existence, jusqu'en 2013, l'activité de la DPR s'est limitée à moins d'une dizaine d'auditions par an et à la publication d'un rapport d'activité très succinct, d'une quinzaine de pages. Cette période n'en fut pas moins fructueuse car elle a permis aux parlementaires de tisser des liens de confiance avec la communauté du renseignement.
2. Le temps de l'affirmation
L'adoption en 2013 de la loi de programmation militaire a incontestablement marqué une rupture avec un élargissement des prérogatives de la Délégation parlementaire au renseignement.
La DPR s'est vue reconnaître une mission de « contrôle et d'évaluation de l'action du Gouvernement en matière de renseignement », ce qui constituait alors une véritable mutation philosophique.
Pour lui permettre d'exercer au mieux sa mission nouvelle de contrôle et d'évaluation, la liste des documents qui lui sont transmis a alors été enrichie. La DPR est désormais destinataire de :
« 1° la stratégie nationale du renseignement » : il s'agit d'un document public qui fixe les grands axes de la politique du Gouvernement en matière de renseignement.
« 2° des éléments d'informations issus du plan national d'orientation du renseignement » (PNOR). Le PNOR est la déclinaison annuelle de la stratégie nationale, à destination des services. Il s'agit donc d'un document à vocation opérationnelle, couvert par le secret de la défense nationale.
« 3° un rapport annuel de synthèse exhaustif des crédits consacrés au renseignement et le rapport annuel d'activité des services spécialisés de renseignement ».
« 4° des éléments d'appréciation relatifs à l'activité générale et à l'organisation des services spécialisés de renseignement »
La liste des personnes qu'elle peut entendre a également été enrichie en 2013 puis complétée à nouveau par la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015.
La loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement a renforcé les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement sur plusieurs points :
- Le champ de compétence de la DPR est élargi au suivi des enjeux d'actualité et des défis à venir qui concernent la politique publique du renseignement.
- La DPR est désormais destinataire, chaque semestre, de la liste des rapports d'inspection portant sur les services de renseignement.
- La DPR peut demander communication de tout document, information et élément d'appréciation nécessaire à l'accomplissement de sa mission. Il s'agit d'une avancée significative car jusqu'alors, la DPR n'était destinataire que d'une liste limitative de documents. En revanche, ce droit à l'information élargi reste limité au besoin d'en connaître de la DPR, ce qui exclut toujours les opérations en cours, les méthodes opérationnelles et les relations des services avec leurs partenaires étrangers.
- La DPR peut également désormais auditionner « toute personne exerçant des fonctions de direction » au sein des services de renseignement. Jusqu'à présent, seuls les directeurs des services et les personnes placées auprès de ces directeurs et occupant un emploi pourvu en conseil des ministres pouvaient être auditionnées.
- Enfin, la DPR a la possibilité de demander chaque année au coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme de lui présenter le plan national d'orientation du renseignement (PNOR) et non plus seulement « des éléments d'information » issus du PNOR.
La délégation effectue également des visites régulières dans les services de renseignement et autant que de besoin des déplacements à l'étranger.
Ces dernières années, la DPR a mené des travaux sur des thématiques aussi diverses que le renseignement pénitentiaire, la criminalité organisée, la composante cyber, le renseignement spatial, et l'an dernier le sujet des ingérences étrangères. Les rapports de la DPR sont classifiés et transmis au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents des assemblées parlementaires. Par ailleurs, une version publique, expurgée des éléments classifiés, est publiée pour rendre compte de ses travaux à l'ensemble de la représentation nationale, aux médias et au grand public.
Les rapports de la DPR connaissent une audience grandissante au fur et à mesure que les sujets liés au renseignement sortent du cercle restreint des initiés. Le rapport que nous avons publié l'an dernier sur les ingérences étrangères est ainsi à l'origine de la récente loi du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France.
Cette phase de maturité du contrôle parlementaire, reflet d'une véritable montée en puissance au cours de la décennie écoulée, est allée de pair avec la crédibilité des travaux de la DPR et en son sein de la commission de vérification des fonds spéciaux dont je veux vous dire quelques mots.
Les services de renseignement, et seulement eux, disposent de fonds spéciaux pour conduire des opérations discrètes qui requièrent d'être démarquées, anonymes et souvent menées dans l'urgence. Le choix a été fait en France de confier à un organe parlementaire, et en pratique à lui seul, le contrôle de la régularité de l'usage de ces fonds spéciaux. La commission parlementaire de vérification des fonds spéciaux effectue des contrôles sur place et sur pièces et dresse, pour chacun des services de renseignement, un procès-verbal d'utilisation de leurs fonds spéciaux. La Commission définit une doctrine d'usage, fait chaque année des recommandations et s'assure de leur mise en oeuvre, dans le cadre d'un dialogue de gestion très constructif avec les services. Il s'agit là d'une forme particulièrement aboutie de contrôle parlementaire.
3. le temps du travail en réseau : vers une communauté des contrôleurs
Le renforcement des prérogatives de la Délégation parlementaire au renseignement est lié à la mise en place progressive d'une véritable politique publique du renseignement.
On parle en France d'une communauté du renseignement pour évoquer les liens entre les différents services de renseignement.
Mais progressivement, et le contrôle parlementaire y prend toute sa place, est aussi en train d'émerger une véritable communauté des contrôleurs.
Celle-ci est composée, outre l'autorité politique qui incarne le contrôle parlementaire, d'autorités administratives indépendantes, comme la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), d'autorités juridictionnelles (le juge national et les juges européens avec les jurisprudences des Cours de Luxembourg et de Strasbourg qui impactent l'activité opérationnelle des services de renseignement), et d'autorités financières (via la Cour des Comptes).
Ces contrôleurs se parlent de plus en plus, entre eux, et aussi avec les services de renseignements.
À l'initiative de la DPR, l'Assemblée nationale a par exemple organisé deux grands colloques en 2018 et en 2023, sur les enjeux du contrôle de la politique publique du renseignement qui ont réuni tous les directeurs des services et les représentants de toutes les autorités de contrôle.
De même, il est important que nous puissions échanger à l'échelle européenne et internationale, comme nous le faisons ici à Rome, pour mettre en perspective les modalités de notre contrôle parlementaire avec ce qui existe chez nos partenaires.
La mise en réseau de nos travaux, dans le respect bien sûr du secret qui caractérise l'activité des services, doit nous aider à concilier les impératifs des services de renseignement avec l'exigence démocratique.
Aussi, je dirais pour conclure que le contrôle parlementaire tel que nous le pratiquons, il se veut l'incarnation de trois points d'équilibre :
- Un point d'équilibre entre l'impératif de sécurité nationale et les garanties indispensables à l'exercice de nos libertés collectives et individuelles dans un Etat de droit.
- Un point d'équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif ;
- Un point d'équilibre entre ce que l'on peut dire et ce qu'il faut garder secret.
Je vous remercie.
ANNEXE 4 :
ENTRETIEN SUR LES COULISSES DU RENSEIGNEMENT DE M. CÉDRIC
PERRIN PARU DANS LA REVUE DES CAHIERS FRANÇAIS
Revue Cahiers français n° 440 juillet-aout 2024 du 17 juillet 2024 publiée par la Documentation française (extrait)34(*)
1. POURQUOI AVOIR CREER UNE DELEGATION PARLEMENTAIRE AU RENSEIGNEMENT ?
Il faut d'abord préciser que la contradiction apparente entre la publicité des travaux parlementaires et le « Secret Défense », caractéristique du monde du renseignement, a longtemps fait figure de digue infranchissable en France comme ailleurs dans d'autres démocraties occidentales. Il s'agissait d'un angle mort de la fonction démocratique de contrôle de l'activité du gouvernement par les assemblées parlementaires. Comment concilier l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration - avec la protection de la capacité de l'État à procéder à des actions secrètes et clandestines ? Comment exercer la mission constitutionnelle de contrôle des moyens votés pour le fonctionnement des services, voire l'utilisation des fonds spéciaux ?
Ce n'est qu'à partir des années 1970 qu'on observe une émergence d'un contrôle parlementaire des services de renseignement. D'abord aux Etats-Unis en 1976 avec la création très médiatisée à l'époque d'un Senate Select Committee on Intelligence à la suite du scandale du Watergate. Nos principaux partenaires européens, l'Italie et l'Allemagne, ont poursuivi ce mouvement en se dotant, selon des modalités très diverses, de dispositifs parlementaires de contrôle, suivis dans les années 1990 par la Belgique, l'Espagne et le Royaume-Uni.
Pendant ce temps, de 1971 à 1999, ce ne sont pas moins de 14 propositions de création d'un organe de contrôle de services de renseignement qui ont été déposées, sans succès, au Parlement. Il faut attendre la loi du 9 octobre 2007 portant création d'une délégation parlementaire au renseignement (DPR) pour qu'enfin la France se dote d'une véritable instance parlementaire chargée du contrôle des services de renseignement. Il s'agit d'un des rares organes interparlementaires - avec l'office parlementaire d'évaluation des choix techniques et scientifiques - qui rassemblent des sénateurs et des députés à parité : elle comprend huit membres, quatre sénateurs et quatre députés, parmi lesquels les quatre présidents de commission en charge de la défense et de la sécurité intérieure. En outre, son caractère permanent et sa compétence en matière de secret de la défense nationale en font un outil unique et novateur avec des pouvoirs spécifiques. La DPR couvre ainsi un champ de compétence que ne pouvaient aborder les commissions d'enquête, par nature temporaires et exclues du secret concernant la défense et la sécurité nationale.
2. QUELLES SONT LES MISSIONS DE CETTE DELEGATION ?
Dans un premier temps, les missions de la DPR se sont cantonnées à un « suivi de l'activité générale et des moyens des services spécialisés », lequel ne donnait lieu qu'à la publication d'un rapport d'activité très succinct. C'est à partir de 2013 que la délégation s'est vue reconnaître une mission de « contrôle et d'évaluation de l'action du Gouvernement en matière de renseignement ». Avec la possibilité donnée par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement d'entendre les directeurs des services spécialisés de renseignement et les cadres de ces services, sans que le ministre ou le directeur du service ne puissent s'y opposer, le travail de la délégation a opéré une véritable mutation, permettant le développement de liens plus étroits avec la communauté du renseignement et la publication de rapports plus étoffés, comportant des études thématiques et des recommandations. La loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement a ajouté aux prérogatives précédentes de la DPR celle d'assurer « un suivi des enjeux d'actualité et des défis à venir qui s'y rapportent ».
Concrètement, depuis 2015, le contexte marqué par les attentats parisiens de Charlie Hebdo et du Bataclan a notablement renforcé le nombre des auditions et des visites de services, avec d'emblée l'instauration d'une relation étroite entre la DPR et les services du coordinateur national du renseignement et de la lutte antiterroriste (CNRLT).
Enfin, il faut mentionner l'intégration au sein de la délégation d'une commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS) chargée de s'assurer, chaque année, que les fonds spéciaux votés en loi de finances sont utilisés conformément à leur destination, deux sénateurs et deux députés, sont désignés au sein de la DPR pour la composer dans cette mission éminemment sensible.
3. L'EXPERIENCE A-T-ELLE MONTRE QUE LA DPR A UN REEL POUVOIR DE CONTROLE ? LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT SE SOUMETTENT-ILS FACILEMENT A CE CONTROLE ?
Il est d'abord important de rappeler le cadre très particulier de travail de cette instance, la seule dont les membres et les agents des assemblées désignés pour les assister sont astreints au respect du secret de la défense nationale et dûment habilités à cet effet. C'est une réelle contrainte dans l'environnement parlementaire de travail, mais c'est aussi une garantie incontournable pour nos interlocuteurs.
Malgré tout, la délégation reste une institution relativement jeune à l'échelle du temps parlementaire et du renseignement. Or le temps est une donnée importante pour construire une relation de confiance entre « contrôleurs » et « contrôlés » à la fois exigeante sur le respect indispensable des règles du secret - il y va de la sécurité des sources et des agents - mais aussi de la parfaite loyauté des services devant la représentation nationale. Le CNRLT s'est avéré être un pivot essentiel de l'acceptation du contrôle parlementaire. Son principe a parfaitement été résumé, lors du colloque organisé par la DPR en mai 2023 sur le thème « la politique du renseignement est-elle bien contrôlée ? », par les propos de Bernard Emié, alors directeur général de la sécurité extérieure : « les contrôles sont essentiels pour faire fonctionner notre cadre légal, duquel découle l'acceptabilité démocratique des moyens exorbitants du droit commun qui nous sont conférées pour mener à bien notre travail ».
Oui, le pouvoir de contrôle est réel et en pratique les services s'y soumettent - avec toute la pédagogie nécessaire s'agissant notamment du contrôle des fonds spéciaux - dans un intérêt commun puisqu'ils savent que les constats et recommandations de la délégation seront communiqués au Premier Ministre et au Président de la République, sous la protection du secret lorsque celui-ci est nécessaire. En revanche, il existe une marge de progression importante en matière de communication de documents, à la fois en termes d'intelligibilité et d'accessibilité : comment demander un document dont l'existence n'est pas connue du contrôleur ou dont le seul secret non communicable à la délégation doit se limiter aux opérations en cours, procédures et méthodes opérationnelles, aux échanges avec des services étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement.
4. VOS RECOMMANDATIONS SONT-ELLES SUIVIES ? ONT-ELLES PERMIS DES AVANCEES DANS LA PRATIQUE DU RENSEIGNEMENT ?
Les rapports annuels de la DPR dressent systématiquement un bilan d'application des recommandations. Sur le rapport de l'année 2022 consacré à la lutte contre la criminalité organisée, huit des dix recommandations ont été complètement ou partiellement prises en compte par les services. Sur les trois précédents rapports traitant de l'évolution du cadre légal, de la création du renseignement pénitentiaire, du domaine cyber ou encore du renseignement territorial, 90 des 126 recommandations ont été suivies d'effets. Sur un plan qualitatif, il est plus difficile d'être aussi précis car dans certains cas, les préconisations comme les moyens mis en oeuvre pour y répondre sont classifiés. On peut tout particulièrement se féliciter des progrès réalisés en matière de vérification des fonds spéciaux, un véritable dialogue, parfois exigeant, existe maintenant sur les conditions d'utilisation et de contrôle interne de ces moyens exceptionnels. L'ensemble des observations de la CVFS étant retracé dans des tableaux annuels de suivi de leur application.
5. DANS SON RAPPORT ANNUEL 2022-2023, PARU EN NOVEMBRE DERNIER, LA DPR S'INQUIETE DU NIVEAU ELEVE DE L'INGERENCE ETRANGERE. QUELLES MESURES PRECONISEZ-VOUS POUR Y FAIRE FACE ?
Le rapport publié par mon collègue député et prédécesseur à la présidence la délégation, Sacha Houlié, fait au sujet des ingérences étrangères en France le constat d'une menace protéiforme, omniprésente et qui s'inscrit dans la durée. C'est un constat partagé dont témoignent également plusieurs missions et commissions d'enquêtes su Sénat et de l'Assemblée nationale dans l'enseignement supérieur, sur la plateforme Tik Tok ou plus largement contre notre système démocratique. Les recommandations de la DPR prévoient notamment la création d'un répertoire numérique des représentants d'intérêts agissant pour le compte d'un mandant étranger, l'extension de la technique dite de l'algorithme aux cas d'ingérence étrangère ou encore le gel des avoirs des personnes se livrant à des actes d'ingérence. Le fait que ce rapport ait donné lieu à une proposition de loi illustre la capacité unique du Parlement, et en son sein la DPR, à opérer un chaînage entre ses deux missions de contrôle de l'action du Gouvernement et de vote de la loi.
* 34 Lien vers la revue et les articles consacrés au dossier sur les coulisses du renseignement :
https://www.vie-publique.fr/catalogue/294759-les-coulisses-du-renseignement