M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au mois de septembre 2020, en pleine crise sanitaire, le Président de la République nommait François Bayrou au poste de haut-commissaire au plan et à la prospective, à défaut de lui octroyer un maroquin.

Dès l’origine, la lettre de mission qu’il a adressée au haut-commissaire au plan et à la prospective, titre pompeux et hautement symbolique dans une France sonnée par le covid-19 et marquée par la crise des « gilets jaunes », était assez floue sur son rôle exact. Le haut-commissaire devra « éclairer les choix collectifs que la Nation aura à prendre pour maintenir ou reconstruire sa souveraineté et une autonomie européenne face à l’impact des évolutions démographiques, à la grande transition écologique et aux bouleversements du numérique et de la recomposition des chaînes de valeur mondiales ».

Madame la ministre, ne dit-on pas : « Qui trop embrasse mal étreint » ?

Vaste programme en tous les cas pour notre « haut-commissaire du temps long », en quelque sorte, qui est assisté d’une dizaine de collaborateurs. En effet, les enjeux de long terme ne manquent pas au regard de la crise climatique.

Relevons tout de même un premier paradoxe : nous avons un Haut-Commissariat au plan et à la prospective sans réelle planification. Nous pourrions faire un parallèle avec le secrétariat général à la planification écologique rattaché au Premier ministre : nous avons l’outil stratégique, mais pas les moyens, en d’autres termes, des présentations PowerPoint, mais pas de quoi passer à l’action ! Pis, la crise budgétaire est prétexte à ponctionner massivement dans les crédits de la transition écologique, lesquels sont réduits de 2,2 milliards d’euros.

Revenons aux productions du maire de Pau.

En trois ans et demi, le Haut-Commissariat a produit une quinzaine de rapports sur différents sujets. Le rapport d’activité de cette structure est particulièrement éclairant pour mesurer la faiblesse du travail accompli. On ne comprend pas bien la plus-value des documents du Haut-Commissariat, comparés à ceux de France Stratégie, organe autonome également rattaché au Premier ministre, qui a succédé en 2006 au Centre d’analyse stratégique.

En sus de ses fonctions, le haut-commissaire est également, depuis septembre 2022, secrétaire général du Conseil national de la refondation. Cette instance de concertation peinant à déboucher sur des mesures concrètes, il n’y a pas là de quoi mieux cerner le rôle du haut-commissaire…

En eux-mêmes, les rapports du Haut-Commissariat ne sont pas inintéressants, mais ils ne présentent pas une véritable vision de l’avenir. Ils accompagnent bien souvent l’action du Gouvernement a posteriori, tel un exercice d’autosatisfaction, que ce soit sur les retraites, la dette ou encore le travail.

Ainsi, dans une note de juillet 2021 intitulée Lagriculture : enjeu de reconquête, pas un mot n’est dit de la transition agroécologique, dont la nécessité est pourtant bien étayée scientifiquement. Sur les pesticides, il y est dit que l’Espagne et l’Allemagne en font une consommation plus importante rapportée à leur surface agricole utile. L’argument « quand on se compare, on se rassure » est régulièrement avancé pour ne surtout pas penser les transitions des pratiques. La culture du maïs est même encensée et encouragée, car elle permet de piéger du carbone, mais ses besoins hydriques ne sont pas évoqués.

À l’inverse, le Haut Conseil pour le climat remplit son rôle en interpellant directement le Gouvernement sur ses insuffisances. Ainsi, le 2 avril dernier, il n’a eu aucune peine à dénoncer le « risque de recul de l’ambition de la politique climatique » de l’État. Au lieu de nous gargariser de la baisse des émissions de gaz à effet de serre, qui tient à des effets conjoncturels comme l’inflation, nous devrions entendre cet appel et rattraper notre retard en matière de planification.

À ce jour, cinq documents majeurs de planification manquent à l’appel : la loi de programmation relative à l’énergie et au climat, la stratégie française sur l’énergie et le climat, la troisième stratégie nationale bas-carbone (SNBC), le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), enfin, la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie. Madame la ministre, qu’attendons-nous pour avancer ?

Depuis sa nomination, le haut-commissaire est auditionné de temps en temps par la Haute Assemblée. La dernière fois, ce fut le 6 janvier 2022 sur le commerce extérieur. Force est toutefois de constater que le Haut-Commissariat éprouve quelques difficultés pour s’imposer comme un interlocuteur stratégique en matière d’action publique, malgré son titre honorifique, qui rappelle l’âge d’or de la planification économique après la Libération.

Je pense que ni l’État ni le Parlement n’ont besoin d’une instance comparable pour prévoir l’avenir et penser le temps long. À l’heure où il cherche à réaliser des économies, le Gouvernement devrait également savoir repérer ses erreurs d’investissement plutôt que de faucher les crédits nécessaires à la transition écologique.

Je remercie mes collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat. Je conclurai sur cette question, madame la ministre : quand seront disponibles les documents de planification écologique afin que l’on puisse en débattre ici, au Sénat ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice Bonnefoy, le Haut Conseil pour le climat, que vous avez cité, reconnaît en effet les très bons résultats de la France, dont les émissions de gaz à effet de serre en 2023 ont diminué de 4,8 % par rapport à 2022.

M. Ronan Dantec. À l’échelon européen, c’est 6 % !

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée. Notre ambition collective étant d’être bons en la matière, nous devrions nous attacher à nous améliorer et intensifier nos efforts, car ce sujet mérite mieux qu’une querelle partisane. L’enjeu est national, pour ne pas dire mondial.

L’ensemble des trajectoires climatiques et énergétiques de la France ont été présentées par le Gouvernement et le Président de la République au mois de septembre 2023 dans le cadre de la planification écologique.

Nous sommes le premier pays au monde à disposer d’un plan d’action aussi précis pour respecter l’objectif de diminuer de 55 % nos émissions en 2023. Ce plan est d’ores et déjà mis en œuvre et financé pour un montant historique de 8 milliards d’euros en 2024.

Pour vous répondre précisément sur les documents de planification, le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie est finalisé et disponible pour consultation. De même, la stratégie nationale bas-carbone est achevée et nous nous sommes engagés à la mettre en consultation avant la fin du mois. Enfin, le plan national d’adaptation au changement climatique, pour lequel ont lieu les derniers arbitrages à l’échelon interministériel, sera également mis en consultation à la fin du mois.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’observe M. le haut-commissaire lui-même : « Historiquement, le Plan a toujours eu des relations difficiles avec les gouvernements. ».

Alors que nous nous penchons ce soir sur le bilan du Haut-Commissariat au plan et à la prospective pour évaluer ses performances depuis sa refonte en 2020, la remarque incisive de M. Bayrou nous encourage encore plus à examiner le rôle stratégique de cette instance au sein de notre architecture politique actuelle, d’autant qu’existent par ailleurs un secrétariat général à la planification écologique, des COP régionales et France Stratégie.

Le Haut-Commissariat se heurte à des difficultés évidentes dans ses interactions avec le Gouvernement et ses différents satellites. Son influence semble de faible portée, loin des leviers du pouvoir. Les propos de M. Bayrou témoignent d’une certaine désillusion et sont révélateurs : l’influence du Haut-Commissariat sur les processus décisionnels est difficile à mesurer.

Le Haut-Commissariat au plan, institution pivot de l’après-guerre, a vu son rôle se transformer au fil du temps. Son influence s’est progressivement étiolée, ce qui a conduit à sa dissolution en 2006. Il est refondé en 2020, sa mission étant censée avoir été renouvelée. Elle est désormais axée sur les défis écologiques, technologiques et sociétaux de long terme pour guider la politique économique.

Le Haut-Commissariat s’est-il fidèlement acquitté de sa mission ? Est-il à la hauteur des espérances placées en lui dans le décret du 1er septembre 2020 ? Ces questions se posent de toute évidence. Ainsi, on peut s’interroger sur la pertinence des seize notes analytiques qu’il a produites et sur leur rôle dans l’élaboration des choix politiques.

L’influence qu’il clame avoir exercée, notamment sur le renouveau nucléaire français, contraste avec le scepticisme public sur son rôle effectif. Cette dissonance nous conduit à interroger la méthodologie de coordination et de collaboration entre le Haut-Commissariat et les autres instances décisionnelles nationales.

Comment le Haut-Commissariat au plan et à la prospective garantit-il donc l’animation et la coordination avec les autres institutions, qu’il s’agisse du Cese, de France Stratégie, de France 2030, du Conservatoire national des arts et métiers, des académies des sciences et des technologies, du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), de Bpifrance, du secrétariat général à la planification écologique, du commissariat général au développement durable ou des services d’études de chaque ministère ? Quelles preuves tangibles attestent de l’exécution de sa mission ?

Des éléments concrets et rationnels doivent être présentés au Parlement, me semble-t-il, comme des calendriers de réunions, des documents de travail communs, des séminaires organisés.

En outre, dans quelle mesure le haut-commissaire au plan et à la prospective a-t-il orienté les politiques publiques ? Quels projets de loi ou décrets font explicitement référence aux notes du Haut-Commissariat ? Quelles notes sont réellement citées ?

Comme l’a souligné à plusieurs reprises M. le haut-commissaire, le Haut-Commissariat au plan et à la prospective serait un « outil d’influence » plutôt que de pouvoir ou de conduite de politiques publiques. À l’heure du tout numérique, quel est le poids réel du Haut-Commissariat au plan et à la prospective sur les réseaux sociaux ? Quels sont ses taux d’engagement ? Ces données sont essentielles pour quantifier son influence auprès de l’opinion publique.

Par ailleurs, l’implication du Haut-Commissariat dans le développement d’un plan national d’action pour accélérer le déploiement de la géothermie illustre sa capacité à engager des dialogues productifs, notamment avec le ministère de la transition écologique. Cette initiative spécifique met en lumière l’importance de clarifier les modalités de contribution du Haut-Commissariat au cadre politique global, surtout dans des domaines aussi critiques que celui de la transition écologique.

Toutefois, le haut-commissaire a joué un rôle ambigu, car il est aussi président d’un parti politique, cela a été dit, et élu. Son influence résulte-t-elle du cumul de ses fonctions ou de la substance de son travail ? La transparence étant primordiale, des réponses doivent être apportées à ces questions.

Finalement, face aux urgences identifiées que sont la transition écologique, la santé et les retraites – on pourrait également citer la formation tout au long de la vie –, il est temps de passer de la réflexion à l’action. Les outils existent, mais doivent être optimisés et coordonnés efficacement. Qui fera quoi, et avec quels moyens ? La nécessité de s’organiser et de rationaliser est impérieuse, à court et moyen termes.

Le rapport de M. Jean Pisani-Ferry met en évidence la nécessité urgente de réorienter les finances publiques vers la transition écologique, dont il estime le coût à plus de 66 milliards d’euros par an d’ici à 2030. Qui financera ces efforts ?

On ne dira rien de l’objectif de « zéro artificialisation nette » des sols, qui appelle des solutions financières et fiscales assez rapidement, mais dont le modèle économique est un impensé public. La reconquête des friches est également un sujet qu’il faut traiter. On parle de 40 milliards d’euros, mais, là non plus, il n’existe toujours pas de modèle économique.

L’heure est non plus aux discours, mais à l’action mesurable et aux résultats tangibles. Madame la ministre, nous ne pouvons plus attendre : une planification et des résultats à moyen terme sont nécessaires, ainsi qu’une territorialisation et des solutions financières. Il est temps d’adapter notre écosystème et nos outils, de prévoir des moyens et, évidemment, d’associer le Parlement et les élus locaux à tout cela.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, pour ne pas nous en tenir à la prospective, je vous propose d’examiner le bilan de ce qui a été fait par le haut-commissaire au plan et à la prospective ces dernières années.

À titre d’exemple, après la crise sanitaire du covid-19, il nous a fallu réindustrialiser notre pays pour gagner en souveraineté dans le domaine du médicament en visant les médicaments utilisés en priorité par les Français. Nous l’avons fait en nous appuyant, notamment, sur les travaux du haut-commissaire.

Pour en revenir à la prospective, la question de la santé mentale fait l’objet d’un travail et donnera lieu prochainement à une publication, ce qui nous permettra d’être éclairés de manière approfondie sur un certain nombre de sujets d’actualité.

Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris votre question sur le taux d’engagement du haut-commissaire sur les réseaux sociaux, je vous prie de m’en excuser. En tout état de cause, je pense que la fonction première du haut-commissaire au plan et à la prospective est non pas de recueillir des likes, mais bien de prévoir des actions concrètes pour les Français.

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant plus de soixante ans, le Commissariat général du plan a structuré nos politiques publiques et piloté les grands projets menés par l’État. Aujourd’hui encore, nous bénéficions de ses réalisations en matière d’infrastructures stratégiques, telles les centrales nucléaires ou les lignes de TGV.

De 1946 à 2006, ce commissariat a garanti la continuité de ces projets structurants, par-delà les changements et les alternances politiques. La construction de notre parc nucléaire constitue à cet égard une réalisation unique sous la VRépublique.

Voulu par le général de Gaulle, pensé sous Georges Pompidou et industrialisé sous Valéry Giscard d’Estaing, poursuivi par François Mitterrand, entretenu par Jacques Chirac et défendu par Nicolas Sarkozy, il aura finalement été sabordé par François Hollande. Heureusement, les réalisations du plan Messmer ont résisté à l’accord entre les socialistes et les écologistes.

Alors que l’EPR (European Pressurized Reactors) de Flamanville est, souhaitons-le, sur le point d’être mis en service, après vingt ans de travaux et douze ans de retard, où en est l’efficacité de notre planification ? Rappelons que, dans les années 1980, nous parvenions à mettre en service jusqu’à six réacteurs nucléaires par an. (M. Ronan Dantec sexclame.) De telles performances nous paraissent désormais hors de portée. Que s’est-il donc passé pour que nous craignions d’échouer aujourd’hui, là où nous avons réussi hier ?

En 2006, on a cru moderniser l’action publique en dépoussiérant le vieux Commissariat général du plan. Le nom sonnait sans doute suranné, il faisait un peu trop Trente Glorieuses, ambiance Louis de Funès, Boris Vian et 2CV. Toujours est-il qu’en renommant ainsi l’institution on a changé sa fonction.

C’est à cette époque que de nombreux dirigeants politiques et économiques se sont fourvoyés en poursuivant le mirage d’une France sans usines. On pensait alors que notre pays, où l’on est forcément plus intelligent que les autres, pourrait rester un centre de décision en cessant d’être un site de production.

Il aura fallu une succession de crises sans précédent pour que nous revenions à la raison et que nous retrouvions l’urgence du temps long. Avec la crise sanitaire, la crise énergétique et la guerre en Europe, notre pays redécouvre l’impérieuse nécessité de bâtir des politiques publiques par-delà les cycles électoraux.

Pour réindustrialiser le pays, faire émerger des innovations de rupture, relancer un programme nucléaire ambitieux, garantir notre indépendance sanitaire, mais aussi pour assurer notre souveraineté alimentaire et renforcer notre arsenal militaire, nous devons fixer des objectifs et construire des stratégies.

Dans cette perspective, tout ce qui contribue à inscrire le débat politique dans le temps long, tout ce qui permet de l’extraire des querelles politiciennes, sert les intérêts de la France.

Tel est, j’en suis sûre, tout l’objet de ce débat. Je n’imagine pas que nos collègues écologistes, qui nous rappellent sans cesse – et avec raison – l’urgence du défi climatique et la nécessité de la planification écologique, aient pu céder à quelque tentation politicienne en proposant ce débat sur le Haut-Commissariat au plan et à la prospective. (Exclamations amusées sur les travées du groupe GEST.)

En décochant des flèches sur le sujet de la planification, en visant le Gouvernement et sa majorité, vous critiquez de fait, chers collègues du groupe écologiste, ce que vous défendez depuis des années. Attaquer le Haut-Commissariat au plan et à la prospective pour mieux défendre la planification écologique, c’est un peu comme critiquer les chasseurs pour mieux défendre la chasse : cela ne fonctionne pas ! (Sourires.)

Est-ce à dire que l’action du Haut-Commissariat au plan et à la prospective suffit pour renouer avec la France des grands projets industriels ? Certainement pas ! Il manque même l’essentiel, selon moi.

Le problème du Haut-Commissariat au plan et à la prospective, ce n’est pas la qualité de ses travaux, c’est que personne ne les applique. Il est un laboratoire d’idées, pas un démonstrateur.

Tout est dans l’intitulé : le Commissariat général du plan est devenu le Haut-Commissariat au plan, comme s’il regardait désormais la planification comme une chose très lointaine, sur laquelle on n’aurait plus prise. C’est malheureusement le cas.

La comparaison avec la Chine est, à cet égard, très instructive. Les Chinois sont devenus les champions de la planification. Ils ont fait ce qu’ils savent faire : ils ont copié une idée produite chez nous, la planification, pour l’industrialiser chez eux. Dans ce pays, lorsque l’objectif est fixé, tout l’appareil d’État se mobilise d’un coup.

M. Daniel Salmon. Le génie chinois !

Mme Vanina Paoli-Gagin. La planification à la française ne doit pas déterminer tous les aspects de la société, mais elle devrait au moins déterminer tous ceux de l’action publique, non pour rejouer les Trente Glorieuses, mais pour répondre aux défis du XXle siècle.

Depuis 2020, le Haut-Commissariat au plan et à la prospective a publié d’excellents rapports sur la démographie, l’agriculture, le travail, le commerce extérieur, le nucléaire, les retraites, mais si ceux-ci ne servent qu’à garnir des bibliothèques, si nous n’en tirons aucune leçon en termes de politique publique, la France se condamne elle-même au déclassement.

Nous sommes, je l’espère, entrés dans l’âge du « faire ». Il faut désormais nous ressaisir, non pas en ressassant des rapports, mais en les mettant en application et en mettant notre appareil productif au service de cette planification.

En France, on n’a pas de pétrole, vous le savez, mais on a des idées. Il faut désormais les mettre en œuvre !

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier sincèrement le groupe écologiste d’avoir pris l’initiative de ce débat, car il est important que le Parlement puisse dresser un premier bilan de l’action du Haut-Commissariat au plan et à la prospective.

À ses débuts, en 2020, la pandémie venait de nous rappeler cruellement les risques encourus du fait de notre dépendance à certains produits critiques fabriqués à l’étranger, qu’il s’agisse de médicaments ou de vaccins, pour ne citer que ces exemples.

Il était donc nécessaire de créer une structure qui puisse prendre du recul et analyser les problématiques rencontrées par notre pays, tout en étant également capable d’aller au-delà du simple diagnostic, pour anticiper et se montrer force de proposition.

C’est ce que le Haut-Commissariat au plan et à la prospective a fait en publiant plus d’une quinzaine de notes à la fois didactiques et synthétiques, dont nombre d’entre elles ont été suivies d’effets, le Gouvernement en ayant tenu compte.

À titre d’exemple, la politique énergétique française actuelle repose sur le triptyque énoncé le 10 février 2022 par Emmanuel Macron dans son discours de Belfort, à savoir les énergies renouvelables, le nucléaire et la sobriété. Comment ne pas y voir l’influence du Haut-Commissariat au plan et à la prospective, quand celui-ci publiait au mois de mars 2021 une note sur l’électricité ?

Cette note évoquait une augmentation importante de la consommation électrique à venir et invitait par conséquent à mettre en œuvre un nouveau mix énergétique, fondé sur un équilibre entre les énergies renouvelables au caractère intermittent, la production d’électricité pilotable et décarbonée, donc essentiellement d’origine nucléaire, et l’engagement d’économie d’énergie.

Cette note était d’autant plus pertinente qu’elle alertait sur le risque de black-out, menace devenue particulièrement concrète un an plus tard, quand la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine s’est ajoutée aux problèmes de corrosion sous contrainte d’une partie de nos réacteurs nucléaires.

En matière de géothermie également, le Haut-Commissariat au plan et à la prospective a eu un effet d’entraînement certain, puisque sa note sur le sujet d’octobre 2022 a été partiellement reprise dans le plan d’action pour accélérer le déploiement de la géothermie lancé par le Gouvernement au mois de février 2023.

Sur d’autres sujets, le Haut-Commissariat au plan et à la prospective peut en revanche difficilement formuler des réponses à court terme, tant les perspectives dressées s’inscrivent dans le temps long.

Je pense par exemple à la note de décembre 2020 sur les produits vitaux et secteurs stratégiques, réactualisée en 2021 et en 2023. Dans la note de 2023, le haut-commissaire invite le Gouvernement à adopter des politiques ciblant des filières particulières, telles que l’aquaculture, pour reconquérir notre souveraineté alimentaire, agricole et industrielle.

Il serait injuste de reprocher au Haut-Commissariat au plan et à la prospective que ses recommandations sur ces sujets ne soient pas suivies, alors même que de telles politiques requièrent du temps, et surtout de l’argent, ce qui n’est pas évident dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons.

Je trouve donc que, pour une institution qui n’a pas encore quatre ans, qui ne comprend que huit équivalents temps plein et dont le budget s’élève à 500 000 euros, le Haut-Commissariat au plan et à la prospective a déjà un bilan dont il peut être fier. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Anne Souyris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit ce soir pourrait se résumer ainsi : quelle est au fond l’utilité du Haut-Commissariat au plan et à la prospective ?

Pour répondre à cette question, je prendrai l’exemple d’un enjeu crucial pour l’avenir de notre pays : l’accès aux médicaments, dans un contexte de pénurie régulière, liée au modèle économique du système de production. Vous l’avez évoqué précédemment, madame la ministre.

En 2023, 37 % des Françaises et des Français déclaraient avoir été confrontés à une pénurie de médicaments. Ces pénuries sont de plus en plus fréquentes et concernent même des médicaments aussi répandus que le Doliprane, comme l’ont relevé nos collègues Sonia de La Provôté et Laurence Cohen lors des travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française en 2022 et en 2023.

Heureusement, le Haut-Commissariat au plan et à la prospective avait publié au mois de février 2022 une note à ce sujet intitulée Médicaments : identifier nos vulnérabilités pour garantir notre indépendance. Le haut-commissaire avait d’ailleurs demandé une mission d’appui de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) sur ce même sujet, ce qui paraissait évidemment opportun au regard de l’expertise de l’Igas sur les enjeux de santé.

Ce qui a retenu mon attention, c’est à quel point la note du Haut-Commissariat était uniquement fondée sur le rapport de l’Igas. Les propos tenus dans ces deux documents sont strictement les mêmes, la seule différence étant qu’ils sont moins précis dans la note du Haut-Commissariat…

Il faut également noter que les recommandations formulées dans ces documents en février 2022 n’ont jamais été suivies d’effets. Si l’Igas a établi un indice pour identifier les médicaments critiques en croisant leur criticité thérapeutique et leur criticité industrielle, il n’a été appliqué qu’à deux aires thérapeutiques, la cardiologie et l’anesthésie-réanimation, à aucune autre. Le Gouvernement n’a même pas utilisé cet indice pour identifier la vulnérabilité aux pénuries des 454 médicaments définis comme essentiels.

Pourtant, des actions peuvent être menées pour lutter contre les pénuries. Il est ainsi possible de relocaliser les productions de médicaments, en particulier des principes actifs pharmaceutiques, qui représentent la phase essentielle de la production et dont dépendent les autres maillons de la chaîne de production. À cet égard, les chiffres sont clairs : 80 % des principes actifs consommés en Europe sont aujourd’hui encore produits en Inde et en Chine.

Le Haut-Commissariat n’évoque pas non plus les travaux permettant la production publique des produits les plus critiques, un tel retour dans le secteur public étant pourtant nécessaire, comme l’ont recommandé nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey dans un rapport d’information.

Il n’est pas question non plus de l’agence de l’innovation et de la souveraineté sanitaire qu’il était recommandé de mettre en place.

Nous parlons ici d’un enjeu majeur. Le temps est à l’action, l’action rapide, mais pour préserver notre avenir. La production de rapports de prospective dans lesquels rien n’est anticipé et qui, surtout, ne sont suivis d’aucune action ne sert à rien.

Les pénuries de médicaments ne sont pas à prendre à la légère. Elles créent des risques et accroissent les inégalités dès aujourd’hui.

Par exemple, quand, au mois de novembre 2022, l’amoxicilline pour les enfants était en rupture, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a conseillé aux praticiens d’utiliser les doses prévues pour les adultes. Les parents devaient broyer un comprimé destiné aux adultes, le dissoudre dans de l’eau, puis utiliser une seringue pour mesurer la quantité adaptée au poids de l’enfant. Outre le fait que cette procédure, peu familière pour beaucoup, aurait pu entraîner des erreurs de dosage, elle a contribué au phénomène d’antibiorésistance, les restes de médicament étant le plus souvent jetés dans l’évier.

J’évoquerai un autre exemple significatif. Selon une étude, le risque de récidive d’un cancer de la vessie était passé de 16 % à 46 % pour les patients soignés en période de pénurie d’un traitement de référence.

Enfin, les pénuries ont un coût. Ainsi, le rejet d’une greffe de reins à cause d’une pénurie de médicaments antirejet entraîne pour le patient l’obligation d’être dialysé, le coût de ce traitement s’élevant à 80 000 euros par an.

La lutte contre les pénuries de médicaments est un enjeu européen et important. Le Haut-Commissariat aurait pu être pertinent s’il avait rendu un travail précis et concret. Il ne l’a pas fait.

Pour conclure, quelle est la plus-value des travaux du Haut-Commissariat, si on les compare à ceux des inspections générales, sachant qu’ils sont identiques et que les recommandations ne sont pas davantage suivies d’effets quand elles émanent du Haut-Commissariat ?

En ce qui concerne la pénurie de médicaments, en tout cas, nous avons la réponse : il n’y en a pas, sauf preuve du contraire, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Michaël Weber applaudit également.)