EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 28 JUIN 2023

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M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelle enfin l'examen du rapport préparé par Sabine Drexler consacré à la situation du patrimoine au regard de la transition écologique et le vote de ses recommandations.

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - Vous vous souvenez que j'avais fait le choix, dans le cadre de mon avis sur les crédits du patrimoine dans le projet de loi de finances pour 2023, de traiter de la question de la transition écologique du patrimoine compte tenu de l'ampleur progressivement prise par ce sujet.

Le président Laurent Lafon et moi-même nous étions ensuite rendus au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires le 2 février dernier afin de présenter à Christophe Béchu nos propositions. Il nous avait alors demandé d'y consacrer un rapport d'information spécifique pour lui permettre de mieux prendre en compte les problématiques liées à la préservation du patrimoine bâti dans la mise en oeuvre des politiques climatiques. Compte tenu de l'urgence de la décarbonation, il nous avait cependant alertés sur l'importance d'une présentation équilibrée du sujet, qui n'ait pas pour effet d'exclure l'ensemble du patrimoine bâti du champ de la législation climatique, afin qu'il puisse être en mesure de la soutenir et de la défendre en tant que ministre de la transition écologique.

Sur cette base, j'ai donc procédé à de nouvelles auditions afin de compléter la première série d'entretiens que j'avais réalisée pendant la période budgétaire et la table ronde organisée par notre commission sur cette question le 1er février dernier. Je me suis intéressée à la position défendue par certains de ceux qui mettent en oeuvre la politique climatique : l'Agence nationale de l'habitat, qui gère le dispositif « Ma Prime Rénov' », l'Agence nationale de la rénovation urbaine et une organisation professionnelle de diagnostiqueurs. J'ai également souhaité refaire un dernier point avec le directeur général des patrimoines afin d'être tenue informée des avancées intervenues sur ce dossier au cours des derniers mois. J'ajoute qu'en tant que vice-présidente de la commission d'enquête en cours sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, j'ai eu la possibilité d'entendre de nombreux acteurs concernés par ces questions et de leur poser un certain nombre de questions qui ont pu enrichir ma réflexion.

Il me semble d'abord nécessaire d'insister sur l'importance de s'emparer de cette question de transition écologique du patrimoine bâti. Le bâti ancien d'avant 1948 rassemble environ 10 millions de logements, soit un tiers du parc en France. Sa rénovation représente donc un enjeu pour de nombreux Français qui souhaitent à la fois pouvoir faire des économies d'énergie et disposer d'un plus grand confort de vie. Compte tenu de ses performances énergétiques, de l'ordre de 200 kWh par mètre carré par an, il s'agit clairement d'une typologie de bâti sur lequel des économies d'énergie significatives peuvent et doivent être réalisées.

Par ailleurs, il serait dommage de négliger cet enjeu tant les caractéristiques constructives du bâti ancien lui confèrent de sérieux atouts pour atteindre plus rapidement l'objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre. D'une part, le bâti ancien est nettement moins énergivore qu'il n'y parait. Grâce à sa grande inertie et sa conception bioclimatique, il affiche des consommations d'énergie nettement inférieures aux bâtiments construits pendant la période des Trente Glorieuses et, à la différence des bâtis modernes, il offre un véritable confort d'été qui rend inutile l'installation de dispositifs de climatisation énergivores. D'autre part, le bâti ancien tire très largement son épingle du jeu en matière de performance environnementale. L'empreinte environnementale de sa construction est, depuis longtemps, amortie. Sa réhabilitation n'exige qu'une faible quantité de matériaux, au bilan carbone relativement réduit, puisqu'il s'agit de matériaux naturels et durables, pouvant être soit extraits localement, soit récupérés.

Ces différents arguments justifient pleinement de trouver des solutions pour adapter le bâti ancien sur le plan énergétique, plutôt que de le voir détruit au profit de constructions neuves.

Le problème, c'est que la législation en matière de rénovation thermique n'est pas aujourd'hui adaptée aux spécificités du bâti ancien, au risque d'y porter des atteintes irréversibles. Pour être certain de répondre de manière rapide et massive au défi posé par l'urgence climatique, notre pays a en effet fait le choix de privilégier des dispositifs uniformes, mais comme ceux-ci ont été conçus en fonction des normes modernes de construction, ils ne correspondent pas aux besoins et aux comportements du bâti ancien.

Or, à l'exception des monuments historiques, exemptés de diagnostic de performance énergétique (DPE), le reste du bâti ancien est assujetti aux obligations de DPE et de rénovation énergétique globale, ce qui signifie qu'ils devront faire l'objet d'adaptations au niveau de l'isolation des murs, de l'isolation des toitures, de l'isolation des planchers bas, des menuiseries extérieures, des systèmes de ventilation, du système de chauffage et d'eau chaude sanitaire pour être loués ou vendus si l'étiquette qu'ils obtiennent lors du DPE n'est pas conforme. Il y a donc deux enjeux.

D'une part, les modalités de calcul du DPE permettent-elles de rendre compte des performances énergétiques du bâti ancien ? Malheureusement, non. J'en veux pour preuve les chiffres récents publiés par l'ADEME, qui montrent que 60 % du bâti d'avant 1948 a été classé comme « passoire thermique » dans le cadre des diagnostics réalisés au premier trimestre 2023. D'autre part, les prescriptions de travaux sont-elles adaptées au bâti ancien ? Là encore, la réponse est non. Pensons à l'isolation par l'extérieur ou au remplacement des menuiseries extérieures : ces solutions font courir de vrais risques au bâti ancien. Elles peuvent affecter sa valeur patrimoniale et générer des pathologies - de l'humidité et le développement de moisissures - qui peuvent rendre sa dégradation irréversible et son occupation impossible. Le problème, c'est que non seulement ces solutions standardisées correspondent à celles qui sont le plus proposé, mais elles sont aussi les moins coûteuses et les seules qui soient subventionnées. Les propriétaires sont donc triplement encouragés à y recourir.

Cette situation n'est pas sans faire courir un certain nombre de risques. L'interdiction progressive de location des passoires thermiques fait tout d'abord craindre une multiplication des vacances de logements dans le bâti ancien, qui pourrait alimenter la crise du logement, la désertification des centres anciens, l'exode rural, et avoir des conséquences sur la préservation du patrimoine puisqu'on sait combien un immeuble non entretenu est un immeuble qui se dégrade.

Beaucoup redoutent également un effacement progressif du patrimoine non protégé et une banalisation des caractéristiques architecturales propres à chaque région à cause de travaux inadaptés.

La préférence accordée aux solutions standardisées et industrielles pourrait contribuer à la disparition accélérée des savoir-faire traditionnels. Elle pose question d'un point de vue écologique, compte tenu de la consommation inutile de matériaux importés et de la multiplication des déchets qu'elle implique. Elle pourrait générer un gaspillage d'argent public en créant des désordres sur le bâti ancien à moyen terme, qui nécessiteront une action de l'État.

Je suis convaincue que l'adaptation du cadre juridique est indispensable afin d'écarter ces différentes menaces et rendre possible une transition énergétique plus respectueuse du bâti ancien. De telles adaptations semblent d'autant plus légitimes que la directive de l'Union européenne sur la performance énergétique des bâtiments rend de toute façon possibles les exceptions aux règles de rénovation et de performance pour les bâtiments ayant un intérêt architectural ou historique.

L'enjeu prioritaire, à mes yeux, est d'adapter les prescriptions aux typologies de bâti, afin que le bâti ancien ne soit plus frappé d'indignité comme il l'est en quelque sorte aujourd'hui.

Je pense que nous devons impérativement recommander l'élaboration d'un DPE spécifique au bâti ancien ou, à défaut, l'adaptation des modalités de calcul du DPE pour mieux restituer les performances réelles du bâti ancien. Le modèle du DPE n'est pas suffisamment dynamique. D'autres critères doivent entrer en ligne de compte : les caractéristiques des matériaux, les usages, le confort thermique d'été du bâtiment, sa valeur patrimoniale et architecturale, ses interactions avec son environnement ainsi que l'amortissement de son coût carbone. Il serait utile que ce nouvel instrument entre en application au plus tard en 2025, puisqu'entreront alors en vigueur les premières interdictions de mise en location des passoires thermiques.

En attendant son élaboration, le mieux me semblerait d'en revenir à la méthode de calcul du DPE sur facture pour le bâti ancien, ce qui permettrait de mieux prendre en compte l'hétérogénéité des matériaux et la réalité des usages des différentes pièces du logement.

Ensuite, nous devons trouver des moyens afin de prémunir le bâti ancien contre les rénovations thermiques inappropriées. Nous manquons aujourd'hui de matériaux et de techniques validés pour la rénovation énergétique du bâti ancien. Il y a un vrai enjeu autour de l'élaboration de ces normes.

Je pense aussi que l'impact environnemental et le caractère durable des travaux engagés devraient faire partie des critères pris en considération pour l'élaboration des prescriptions en matière de travaux. Cette évolution permettrait de promouvoir davantage les matériaux bio-sourcés et géo-sourcés, aujourd'hui peu utilisés, alors qu'ils sont plus adaptés au bâti ancien. De même, le réemploi et la réversibilité des travaux devraient à mon sens entrer en ligne de compte dans les prescriptions.

J'en viens maintenant au deuxième enjeu fondamental à mes yeux, celui des compétences en matière de bâti ancien des professionnels intervenant en matière de rénovation énergétique. C'est évidemment toute la question de la formation.

Afin de garantir des mesures de la performance énergétique fidèles aux propriétés intrinsèques du bâti ancien, ainsi que des prescriptions de travaux et des rénovations qui ne soient pas susceptibles de lui faire subir des dommages irrémédiables, il faut assurer la montée en compétence des diagnostiqueurs, des accompagnateurs Rénov', des bureaux d'études, des maîtres d'oeuvre et des artisans en matière de connaissance du bâti ancien et d'utilisation des matériaux bio-sourcés. La solution d'une certification me paraitrait sans doute la plus appropriée, ce qui suppose aussi un bon contrôle des organismes de certification afin de s'assurer de la qualité et du caractère homogène de la formation dispensée.

Se pose aussi la question de la formation des architectes à la réhabilitation du patrimoine, question d'autant plus importante que la loi « Climat et résilience » leur confie un rôle pour attester des contraintes architecturales et patrimoniales justifiant une rénovation énergétique allégée par rapport à la rénovation énergétique globale performante telle qu'elle la définit. Nous avions déjà abordé cette question dans le cadre de mon avis budgétaire. Quand on sait que 80 % des logements de 2050 sont déjà construits, on comprend à quel point le métier d'architecte est amené à évoluer. Il faut adapter le contenu de la formation dispensée aux élèves des écoles nationales supérieures d'architecture en conséquence afin qu'ils soient davantage sensibilisés au cours de leur scolarité aux questions de restauration du patrimoine et de rénovation énergétique. C'est un enjeu de plus en plus pris en compte par le ministère de la culture : il convient qu'il aille plus loin dans cette direction.

Le troisième défi soulevé par ce vaste mouvement de rénovation énergétique, c'est celui de la meilleure identification des bâtiments qui doivent impérativement être conservés, soit pour leur valeur intrinsèque, soit pour leur contribution à la cohérence architecturale et patrimoniale d'un ensemble urbain. Les maires se retrouvent aujourd'hui dépassés par la multiplication des demandes d'autorisation d'isolation par l'extérieur et ils n'ont pas le droit de s'y opposer, à moins que des protections patrimoniales ne l'interdisent. Beaucoup de maires ignorent que le PLU peut identifier le patrimoine à conserver et définir des prescriptions de nature à assurer sa préservation - ou en tout cas ils ne se saisissent pas de cette faculté. Je crois nécessaire d'encourager les maires à s'emparer de cette possibilité. À cet effet, je pense qu'il pourrait être efficace de conditionner l'octroi ou de bonifier le taux de certaines subventions départementales, régionales ou nationales à l'élaboration d'un tel PLU patrimonial. C'est ce que la collectivité européenne d'Alsace s'apprête d'ailleurs à faire dans le cadre de sa politique de sauvegarde de la maison alsacienne.

Le quatrième enjeu, c'est d'approfondir les connaissances sur le bâti ancien. Compte tenu de l'inadaptation des solutions de rénovation thermique standardisées au bâti ancien, il est essentiel que l'État soutienne la recherche fondamentale et appliquée afin de retrouver des savoir-faire traditionnels, d'identifier des matériaux et de développer des technologies compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien et accessibles financièrement. L'accompagnement du développement de filières de production de matériaux de construction locale, sorte de filière artisanale de la transition écologique, doit également faire figure de priorité.

Le ministère de la culture me parait également devoir jouer un rôle de sensibilisation des propriétaires et des collectivités territoriales aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse du bâti ancien. Il lui appartient en priorité de recenser et diffuser les bonnes pratiques ou encore d'établir de bonnes pratiques, même si d'autres structures peuvent également contribuer dans ce domaine - je pense en particulier aux CAUE ou aux associations de préservation du patrimoine comme Maisons Paysannes, Sites et Cités remarquables, Petites Cités de caractère.

Le cinquième enjeu est d'ordre financier. Les aides financières et fiscales doivent être réorientées pour leur permettre d'accompagner des rénovations énergétiques qui soient véritablement respectueuses du bâti ancien. Lorsque la rénovation porte sur ce type de bâti, il faut que les aides publiques soient conditionnées à la bonne prise en compte de ses caractéristiques ; il faut également que les matériaux bio-sourcés en circuit court soient mieux valorisés dans l'octroi des aides.

Au-delà des subventions, il faut également développer de nouveaux outils fiscaux. Vous vous souvenez que la Fondation du patrimoine avait proposé que son label soit étendu aux travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien. Il me semble que ce serait un excellent moyen en faveur de la transition écologique du patrimoine non protégé en milieu rural. Éventuellement, on pourrait l'étendre jusqu'aux communes de 50 000 habitants afin de mieux traiter la problématique du patrimoine non protégé dans les centres anciens.

En ce qui concerne les centres anciens justement, une réforme des dispositifs « Denormandie » et « Malraux » pourrait permettre d'y accompagner mieux les travaux de rénovation énergétique. Vous vous souvenez que le ministère de la culture plaide depuis plusieurs années pour la mise en place d'un taux unique à 30 % afin de renforcer l'attractivité du dispositif Malraux, destiné à soutenir la réhabilitation des immeubles situés dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables. L'idée serait aussi de mettre en place un taux bonifié à titre temporaire, par exemple de 50 %, afin d'attirer les bailleurs à rénover les îlots dans lesquels les plus forts besoins de réhabilitation se font sentir, y compris sur le plan énergétique.

Évidemment, une action coordonnée de l'ensemble des ministères est indispensable pour parvenir à relever le défi de la transition écologique du bâti ancien. Nous avons déjà eu l'occasion de regretter que le dialogue interministériel entre le ministère de la culture et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (MTECT) ait longtemps tardé à se mettre en place. Une acculturation mutuelle est indispensable pour parvenir à mieux concilier les enjeux de la transition écologique avec la préservation du patrimoine.

Je pense qu'il nous faut demander la pleine association du ministère de la culture à la mise en oeuvre de nos différentes recommandations, qu'il s'agisse de l'adaptation du DPE, de la normalisation des matériaux et des techniques de rénovation applicables au bâti, de la conception, du développement et du pilotage de l'offre de formation, ou encore de la réforme des modalités de subventionnement.

Je reste aussi dans l'idée que l'organisation d'États généraux du patrimoine durable, permettant de rassembler les acteurs de la transition écologique et ceux du patrimoine, serait un bon moyen d'identifier en commun les différents enjeux et les meilleurs voies et moyens pour y répondre.

Après avoir entendu la réponse de Christophe Béchu à ma question d'actualité sur la protection du patrimoine résidentiel la semaine dernière, j'ai l'espoir que ces recommandations pourront être mises en oeuvre. Je vous remercie.

M. Laurent Lafon, président. - Merci à notre rapporteur. J'ouvre sans plus tarder la discussion générale sur les conclusions de cette mission, en donnant la parole prioritairement à un intervenant par groupe.

Mme Marie-Pierre Monier. - Bravo pour ce rapport qui prolonge le travail effectué lors du dernier débat budgétaire : vos recommandations apportent aujourd'hui des réponses extrêmement pertinentes aux problématiques qui avaient été soulevées.

L'enjeu est très important et, en particulier, il conditionne l'acceptabilité par nos concitoyennes et concitoyens des politiques environnementales ambitieuses. De plus, la priorité aujourd'hui accordée à la lutte contre l'artificialisation des sols implique à l'évidence de tout mettre en oeuvre pour mieux valoriser et continuer à faire vivre notre bâti ancien.

Permettez-moi de commenter rapidement les principaux axes que vous avez dessinés. Le premier traite la question cruciale du diagnostic de performance énergétique (DPE) qui, pour l'instant, ne tient pas suffisamment compte des spécificités du bâti ancien dont les propriétés thermiques sont pourtant remarquables. Nous devons être d'autant plus vigilants à ce sujet que la loi « Climat et résilience » prévoit l'interdiction progressive de mise en location des logements les moins bien classés en termes de performance énergétique. Vous avez bien souligné l'urgence de remédier à cette défaillance avant 2025.

Le deuxième axe du rapport porte sur la formation des intervenants aux spécificités du bâti ancien : celle-ci doit s'étendre à l'ensemble de la filière que constituent les architectes, diagnostiqueurs, bureaux d'études, maîtres d'oeuvre et artisans. Comme vous le soulignez, une formation adéquate permettra de choisir les solutions les mieux adaptées et de se détacher de l'approche standardisée qui prévaut encore aujourd'hui. Par exemple, la tendance actuelle à se focaliser sur les fenêtres ou l'isolation extérieure n'est souvent pas la plus efficace pour améliorer l'efficacité énergétique du bâti ancien. Des efforts de formation ont d'ores et déjà été engagés auprès de certains professionnels, mais vous avez raison de préconiser leur systématisation. Je souhaiterais ici vous interroger sur le rôle spécifique des architectes des Bâtiments de France dans ce domaine.

En ce qui concerne le troisième axe du rapport, j'approuve votre recommandation qui tend à encourager les collectivités territoriales à identifier le patrimoine bâti à préserver dans le cadre du plan local d'urbanisme. J'insiste cependant sur la nécessité d'accompagner les collectivités concernées en leur donnant plus de moyens en ingénierie.

S'agissant du quatrième axe qui vise à approfondir la connaissance du bâti et à encourager le soutien de la recherche fondamentale et appliquée dans ce domaine, je fais observer que pour être fructueux, ce soutien doit être pensé et financé sur le temps long.

J'exprime juste une petite réserve, dans l'axe cinq, sur l'extension du label de la Fondation du Patrimoine aux travaux de rénovation énergétique dans les communes de moins de 50 000 habitants. En effet, ce label cible traditionnellement le bâti des petites communes et je crains que celles-ci pâtissent d'un élargissement du périmètre d'action de la Fondation du Patrimoine. Il est essentiel de maintenir la mission première de celle-ci en faveur de la protection et de la valorisation du patrimoine rural sans diluer cet objectif dans un ensemble plus vaste. En tout état de cause, il convient d'accompagner toute modification de ce périmètre d'un accroissement de ressources financières correspondant.

Enfin, je m'associe à la recommandation de décloisonnement au niveau ministériel et administratif que porte le sixième axe du rapport.

Je vous vous remercie pour ce rapport qui fera date et qui, je l'espère, sera repris par le Gouvernement.

Mme Béatrice Gosselin. - À mon tour de rendre hommage au travail conduit par Sabine Drexler qui répond à une véritable attente de nos territoires. Ils abritent de nombreux bâtis spécifiques, différents d'une région et d'un climat à l'autre, mais adaptés aux territoires. Abîmer ces édifices en les isolant de façon inadaptée par l'extérieur risque de les dégrader de façon irrémédiable sans tenir compte de leurs qualités thermiques. Je souligne également qu'on oublie trop souvent les excellentes propriétés phoniques d'un mur en masse ou d'un plancher en terre, par exemple.

J'adhère pleinement à la proposition de réunir des états généraux pour prendre en compte ces spécificités. En effet, il est certain que le coût de rénovation à l'identique de ce bâti ancien est plus élevé au départ, mais, à l'arrivée, il l'est beaucoup moins si on prend en compte l'ensemble des paramètres. Ainsi, tout d'abord, l'utilisation de matériaux bio-sourcés locaux limite les besoins en transports ; ensuite, la durabilité de ces matériaux permet aux rénovations d'être beaucoup plus pérennes ; la préservation des spécificités locales ainsi que le recours aux entreprises de proximité me paraissent enfin essentiels. J'insiste ici sur la nécessité de soutenir les efforts de formation cousue-main en lien avec les artisans. La transition écologique doit, non pas seulement se traduire par des actions standardisées conduites par de grands opérateurs, mais aussi prendre en compte l'ensemble des facteurs et notre bâti ancien le vaut largement. Je précise que la plupart des fondations et des associations du patrimoine comme les Maisons Paysannes de Normandie indiquent qu'elles ne sont pas assez écoutées par les ministères alors que leur expertise est nécessaire pour préserver la spécificité du bâti ancien. Notre rapport permettra aux associations, je l'espère, d'être mieux entendues, et j'ajoute qu'il est important de prendre en compte tous les facteurs permettant de prévenir le risque de dégradation de notre patrimoine habité, y compris l'introduction de modules de formation adaptés dans les écoles d'architecture.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie Sabine Drexler pour son rapport tout à fait exceptionnel par son ampleur et qui propose un vrai programme d'action. J'aimerais aussi rendre hommage à l'ensemble des initiatives qu'elle a permis à notre commission de porter en matière de patrimoine, avec une vision novatrice, tout en suppléant, comme vous l'avez fait observer, le poids du ministère de la culture dans les arbitrages interministériels.

J'estime, en premier lieu, incroyable qu'on ait pu - y compris parfois au Sénat et je le regrette - opposer protection de l'environnement et protection du patrimoine, tant pour les bâtiments que les paysages. C'est incompréhensible alors que les deux sont liés et fonctionnent de concert : quand on protège le bâti ancien ou les paysages, on protège aussi l'environnement. Je ne comprends pas non plus comment on peut considérer comme un progrès le fait de remplacer des solutions techniques éprouvées depuis plusieurs siècles par le recours au tout plastique, ce qui est bien le cas pour les fenêtres et les façades en polystyrène. Il faut donc renverser complètement cette façon de penser et ne pas céder, comme cela est trop souvent le cas, à une sorte de fuite en avant vers la technicité dont on pense qu'elle peut nous sauver alors qu'on peut douter de la pérennité des solutions techniques proposées. Plus encore, on sait très bien qu'il faudra changer toutes ces façades en polystyrène dans quinze ans. Je déplore ces réactions à très court terme qui risquent de se révéler très néfastes et de transformer la France en un jardin Leroy Merlin.

Je reviens, en second lieu, sur la place que vous vous donnez très justement aux conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) : cela recoupe ce que nous avions proposé avec notre collègue Anne Ventalon pour les édifices cultuels. En effet, les CAUE avec lesquels j'ai récemment dialogué regrettent de ne pas être associés aux problématiques de rénovation thermique alors qu'ils peuvent apporter aux maires et aux particuliers leur expertise. Nous rejoignons ainsi la réflexion de la commission de la culture sur la place supplémentaire qu'il faudrait accorder aux CAUE qui se situent à l'interface entre le département et la commune et je reste persuadé que c'est le couple qui va nous permettre de réussir sur les territoires à mettre en oeuvre des politiques publiques et en particulier culturelles efficaces. Je suggère de retravailler ensemble ce sujet et de réfléchir à un amendement en projet de loi de finances tendant à augmenter les ressources des CAUE en fixant un taux plancher pour le prélèvement que peuvent effectuer les départements sur la taxe d'aménagement. Certains départements n'activent pas suffisamment ce levier fiscal et, par exemple, la Corrèze se limite à allouer 0,1 % de la taxe d'aménagement à la CAUE alors qu'une mobilisation accrue de celle-ci y serait particulièrement utile. J'appelle notre commission à prendre une initiative fiscale dans ce domaine en complément de tout le travail que nous réalisons.

Mme Sonia de La Provôté. - Je m'associe aux félicitations adressées à Sabine Drexler. Son excellent rapport concerne un sujet identifié lors du débat budgétaire : interpellé sur l'adéquation du DPE au bâti patrimonial, le ministère de la culture n'avait pas semblé disposé à prendre suffisamment de temps pour réintroduire un peu d'intelligence publique dans la marche forcée du DPE. La question de la politique du patrimoine non classé ou non inscrit mérite d'être approfondie : elle n'est pas traitée par le ministère de la culture alors que le patrimoine relève de sa compétence. Le bâti patrimonial a une valeur esthétique et historique qui s'exprime dans tous les territoires ; cependant, la réglementation environnementale a singulièrement tendance, ces dernières années, à déconsidérer voire disqualifier ce patrimoine. Peut-être faudrait-il envisager d'assortir la recommandation du rapport portant sur l'interministérialité d'un encouragement adressé au ministère de la culture pour qu'il s'empare de la problématique du patrimoine non protégé.

J'estime également nécessaire de soulever la question du bilan carbone global du patrimoine bâti, de l'adaptation du DPE et des conditions de sa mise à niveau thermique - on pourrait même l'exiger de la part du ministère de la Transition écologique. Je pense que l'analyse ferait apparaitre de façon plus nuancée les avantages et les inconvénients de cette politique publique dont l'évaluation fait cruellement défaut au plan patrimonial.

Je rebondis également sur la question des outils fiscaux en soulignant que la réduction d'impôt « Denormandie » est sous-utilisée alors qu'elle était justement ciblée sur le patrimoine non protégé des coeurs de ville ou de bourgs dont la qualité architecturale mérite d'être préservée de gestes tendant à le défigurer. Il faut à mon sens pousser les feux sur ce dispositif Denormandie utilisé de façon trop marginale dans les petites communes relevant des plans « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain ».

Enfin, il convient de faire évoluer les critères utilisés en matière de DPE pour prendre en compte les qualités reconnues au bâti d'avant 1949. Les prescriptions qui découlent de ces diagnostics ne sont pas à la hauteur de la qualité du bâti ancien, voire délétères pour celui-ci. La situation ainsi créée est même contre-productive en matière de politique de logement - il serait d'ailleurs souhaitable d'inclure le ministre en charge du Logement dans la boucle interministérielle. Ce ne sont pas les dramatiques événements récents sur le bâti ancien non protégé qui vont contredire cette affirmation : celui-ci est véritablement maltraité dans certains centres-villes. Il y a donc sur ce sujet une urgence à agir.

M. Max Brisson. - Je partage largement tout ce qui vient d'être dit. En complément, je voudrais d'abord saluer la plus-value qu'apporte le rapport de Sabine Drexler sur le sujet sensible du patrimoine : notre collègue a mis tout son coeur dans ce travail qui reflète également son engagement d'élue locale d'un territoire alsacien qui abrite un patrimoine exceptionnel qu'elle défend avec beaucoup d'ardeur.

J'ajoute qu'après avoir assez mal vécu un certain nombre de débats comme celui sur la loi relative aux énergies renouvelables, ce rapport nous permet de repasser de la défensive à l'offensive en formulant des propositions. Il s'agit, tout en restant pleinement engagé dans la transition écologique énergétique, de ne pas pour autant remettre en cause des politiques patrimoniales sur lesquelles notre pays - après avoir commis bien des erreurs - avait pris des positions fortes.

Enfin, je souligne qu'il ne faudrait pas qu'au nom de la transition écologique et énergétique, la haute administration et l'État central reprennent la main sur la totalité de ces politiques et les confient à une technocratie en invoquant la nécessité de sauver la planète. Tous ces sujets soulèvent, en arrière-plan, la question de la confiance accordée aux élus pour porter ces politiques publiques. Les élus ont montré qu'ils s'orientaient vers la transition énergétique et écologique, mais de façon enracinée dans leurs territoires et articulée avec d'autres politiques construites localement. Il ne faudrait pas que le seul axe environnemental éradique les autres initiatives de terrain et devienne une occasion de recentralisation et de planification avec, de manière sous-jacente, un procès adressé aux élus.

M. Laurent Lafon, président. - Je félicite Sabine Drexler en soulignant l'importance de ce rapport pour notre commission et même bien au-delà des murs de notre assemblée. Au Sénat, la question du patrimoine est un sujet qui est perpétuellement interrogé par un certain nombre de nos collègues siégeant dans toutes les commissions. En témoigne le tout récent débat intervenu dans le cadre des travaux du groupe de travail consacré à la décentralisation, dont les travaux sont quasiment terminés, qui a donné lieu à une remise en cause du travail des architectes des bâtiments de France (ABF) en préconisant d'introduire la collégialité dans la prise de décision
- comme quoi il nous reste du chemin à parcourir pour sensibiliser nos collègues à l'importance de la dimension patrimoniale.

Le présent rapport opportunément qualifié d'offensif par Max Brisson va donc dans le bon sens et je rappelle que le ministre de la culture souhaitait pouvoir prendre appui sur nos travaux pour surmonter ses difficultés à faire passer un message patrimonial au sein du Gouvernement. Le combat est encore largement devant nous, mais nous disposons à présent d'un rapport de référence.

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - Je vous remercie sincèrement pour vos réactions très positives. Assurément, si on laisse faire les choses, on risque un saccage patrimonial, une banalisation esthétique de la France et une accentuation de la crise du logement en excluant du parc des dizaines de milliers de logements alors que le patrimoine est exceptionnellement écologique, durable et performant, autant en termes de longévité que de soutenabilité.

M. Laurent Lafon, président. - Nous allons tout de même soumettre au vote le rapport et je pense qu'il n'y a pas d'opposition à procéder à un vote global sur ses recommandations.

Les recommandations sont adoptées à l'unanimité.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

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