N° 794

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le patrimoine et la transition écologique,

Par Mme Sabine DREXLER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mmes Nathalie Delattre, Véronique Del Fabro, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION D'INFORMATION SUR LE PATRIMOINE ET LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

AXE N° 1  Mieux adapter les prescriptions aux typologies de bâti

ü Recommandation n° 1 : Adapter le diagnostic de performance énergétique (DPE) aux spécificités du bâti ancien et, dans l'attente de cette élaboration, souhaitée d'ici 2025 au plus tard, en revenir, pour le bâti ancien, à la méthode de calcul du DPE sur facture.

ü Recommandation n° 2 : Prémunir le bâti ancien contre les rénovations thermiques inappropriées par la définition de normes relatives aux matériaux et aux techniques autorisés pour la rénovation énergétique du bâti ancien et par une prise en compte de l'impact environnemental et du caractère durable des travaux pour l'élaboration des prescriptions.

AXE N° 2  Former les intervenants aux spécificités du bâti ancien

ü Recommandation n° 3 : Former les diagnostiqueurs, les accompagnateurs Rénov', les bureaux d'études, les maîtres d'oeuvre et les artisans aux spécificités de la performance et de la rénovation thermique du bâti ancien : enjeu de la certification et du contrôle des organismes de certification.

ü Recommandation n° 4 : Réorienter la formation dispensée aux futurs architectes en donnant davantage de place aux questions liées à la réhabilitation du patrimoine bâti.

AXE N° 3  Identifier le bâti à préserver

ü Recommandation n° 5 : Encourager les collectivités territoriales à identifier le patrimoine bâti à préserver dans leurs documents d'urbanisme.

AXE N° 4  Approfondir la connaissance du bâti ancien

ü Recommandation n° 6 : Soutenir la recherche fondamentale et appliquée afin de retrouver des savoir-faire traditionnels, d'identifier des matériaux et de développer des technologies compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien et pas trop coûteuses financièrement.

ü Recommandation n° 7 : Sensibiliser les propriétaires et les collectivités territoriales aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse du bâti ancien.

AXE N° 5  Soutenir des rénovations respectueuses du bâti ancien

ü Recommandation n° 8 : Réorienter les aides financières et fiscales pour leur permettre d'accompagner des rénovations énergétiques respectueuses du bâti ancien : prise en compte du bâti ancien dans la conditionnalité des aides publiques ; valorisation de matériaux bio-sourcés en circuit court ; extension du label de la Fondation du patrimoine aux travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien dans les communes de moins de 50 000 habitants ; réforme des dispositifs « Denormandie » et « Malraux » pour leur permettre de mieux accompagner les travaux de rénovation énergétique dans l'ancien.

AXE N° 6  Renforcer la coordination interministérielle

ü Recommandation n° 9 : Associer pleinement le ministère de la culture à la définition des outils applicables au bâti ancien.

ü Recommandation n° 10 : Organiser des États généraux du patrimoine durable afin de faciliter la concertation.

AVANT-PROPOS

La rénovation énergétique des logements constitue une problématique majeure pour permettre à la France de répondre à ses engagements en matière climatique. Il est indispensable que le bâti ancien, qui représente un tiers du parc immobilier, fasse l'objet d'adaptations sur le plan de sa consommation énergétique, d'autant que ses caractéristiques constructives lui confèrent de sérieux atouts pour atteindre plus rapidement l'objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre.

La transition écologique du bâti ancien représente un défi particulier, dans la mesure où elle exige de parvenir à rénover cet habitat sans porter atteinte à sa valeur patrimoniale. Les outils mis en place par la loi « Climat et résilience » dans le but d'améliorer la performance énergétique des logements, uniformes pour l'ensemble des types de bâti, se révèlent inadaptés au bâti ancien et menacent sa préservation.

Afin d'éviter que les travaux de rénovation énergétique appelés à se multiplier ne se traduisent par la disparition d'une partie de notre patrimoine, par la perte de savoir-faire et par un gaspillage d'argent public, la commission formule dix recommandations permettant de mieux concilier les objectifs de rénovation thermique avec ceux de la préservation du patrimoine bâti. Outre une adaptation du diagnostic de performance énergétique (DPE) aux spécificités du bâti ancien, elle suggère de mieux former les professionnels à ses caractéristiques, d'améliorer l'identification du patrimoine à protéger, de développer la recherche autour du bâti d'avant 1948 et de réorienter les aides financières et fiscales pour qu'elles puissent accompagner les rénovations respectueuses de ce type de bâti, tout en appelant à une meilleure coordination interministérielle sur ces questions.

I. LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE DU BÂTI ANCIEN : UN ENJEU À NE PAS NÉGLIGER

A. UNE PART SIGNIFICATIVE DU PARC DE LOGEMENTS

Le parc de logements en France se divise en trois grandes catégories :

- le bâti ancien, datant d'avant 1948 ;

- les logements construits pendant la période des Trente Glorieuses ;

- les logements construits à partir des premières réglementations thermiques mises en place en 1974.

Source : CREBA

Les performances énergétiques du bâti ancien, évaluées en moyenne à 200 kWh/m²/an, en font un gisement important d'économies d'énergie. Selon l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), ce bâti représenterait 34 % des logements en maisons individuelles pour 39 % des consommations d'énergie, et 29 % des logements en habitations collectives pour 35 % des consommations d'énergies.

30%

du parc immobilier
de logements

Le bâti d'avant 1948 représente un peu plus de 10 millions de logements, soit 30 % du parc.

Compte tenu de son volume et de sa répartition sur l'ensemble du territoire, la rénovation de ce bâti est un enjeu pour de nombreux Français qui souhaitent à la fois pouvoir faire des économies d'énergie et disposer d'un plus grand confort de vie. Cette question concerne autant les occupants de petit patrimoine en milieu rural que les résidents dans les centres anciens. Le défi est de parvenir à rénover cet habitat tout en respectant sa valeur patrimoniale, compte tenu de l'attachement des Français à leur cadre de vie et de la contribution de ce bâti à l'attractivité des territoires et à leur développement économique. Même si l'essentiel du bâti ancien n'est pas protégé au titre du code du patrimoine, il n'en revêt pas moins un intérêt en conférant à nos paysages leur cohérence architecturale, leur identité et leur typicité et en étant le reflet d'époques et de styles variés.

B. DES QUALITÉS POUR LA LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

1. Des atouts spécifiques à faire valoir

Source : Maisons paysannes

Le bâti ancien se distingue du bâti moderne par ses matériaux constructifs naturels, durables et locaux, sa grande inertie procurée par ses parois épaisses, sa ventilation naturelle, le caractère respirant des matériaux utilisés et des maçonneries et sa conception optimisée en fonction de l'orientation ou de l'implantation des pièces (pièces de service au Nord, pièces de vie au Sud, ouvertures côté Sud, parois plus épaisses au Nord). Ces éléments lui permettent :

ü d'afficher des consommations d'énergie nettement inférieures aux bâtiments construits pendant la période des Trente Glorieuses ;

ü de procurer un meilleur confort d'été que dans les autres types de bâti, rendant inutile l'installation de dispositifs de climatisation énergivores.

Les rénovations doivent tirer parti de ces caractéristiques bioclimatiques sans les remettre en cause.

2. Un bâti durable bénéfique pour la réduction de notre empreinte carbone

La lutte contre le changement climatique ne se résume pas à la réduction de nos consommations d'énergie : elle passe aussi par l'amélioration de la performance environnementale des bâtiments. Or, le bâti d'avant 1948 est, de tous les types de bâti, celui qui a le plus fait la preuve de sa capacité de résilience et de sa durabilité, à la fois par sa longévité et sa soutenabilité.

Le bilan carbone associé à ce bâti plaide très largement en faveur de sa réhabilitation et non de sa destruction au profit de constructions neuves. L'empreinte environnementale de sa construction est, depuis longtemps, amortie. Sa réhabilitation n'exige qu'une faible quantité de matériaux, dont l'empreinte carbone est faible (pierre, bois ou, pour l'isolation, chanvre, lin...), et pouvant être, soit extraits localement, soit récupérés.

En outre, elle peut participer à la perpétuation des savoir-faire, au développement de l'emploi et de l'économie locale et fournir de nouveaux débouchés à l'agriculture ou à la sylviculture.

II. LE CONSTAT : UNE LÉGISLATION EN MATIÈRE DE RÉNOVATION THERMIQUE QUI TIENT INSUFFISAMMENT COMPTE DES QUALITÉS INTRINSÈQUES DU BÂTI ANCIEN

Les principales mesures de la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021

Cette loi a mis en place des mesures destinées à accélérer la transition énergétique de l'habitat :

- classement des logements en fonction de leur performance en matière énergétique et en matière d'émission de gaz à effet de serre,

- réalisation obligatoire d'un audit énergétique par les propriétaires de maisons individuelles ou d'immeubles classés comme passoires thermiques avant la réalisation de la vente de leur bien,

- gel des loyers des passoires thermiques à compter de 2023,

- interdiction progressive de leur mise en location à compter de 2025.

Ces mesures visent à inciter les propriétaires à réaliser des travaux de rénovation énergétique performante dans six domaines (isolation des murs, isolation des toitures, isolation des planchers bas, remplacement des menuiseries extérieures, remplacement des systèmes de ventilation, remplacement du système de chauffage et de production d'eau chaude sanitaire) afin de permettre au logement d'atteindre une classe A ou B.

Elles s'appliquent indistinctement à tous les types de bâti, à l'exception des monuments historiques, exemptés du DPE.

La loi autorise seulement des assouplissements en ce qui concerne les résultats à attendre des travaux de rénovation énergétique réalisés dans les immeubles protégés au titre du patrimoine (immeubles situés dans les sites patrimoniaux remarquables ou dans les abords, ceux labellisés « Architecture contemporaine remarquable » et ceux faisant l'objet de règles relatives à l'aspect extérieur fixées par le plan local d'urbanisme). Afin de tenir compte des contraintes architecturales ou patrimoniales qui leur sont propres, elle prévoit que la rénovation énergétique pourra être considérée comme performante même si le logement n'atteint pas la classe A ou B à l'issue des travaux lorsqu'ils lui ont permis de gagner deux classes et que les six postes de travaux ont été traités.

Aucune disposition n'existe pour le patrimoine non protégé sauf lorsque le coût des travaux de rénovation énergétique performante excède 50 % de la valeur vénale du bien ou lorsque ces travaux font courir un risque de pathologie du bâti attesté par un homme de l'art.

Source : commission de la culture, de l'éducation et de la communication

A. DES OUTILS ÉLABORÉS DE MANIÈRE UNIFORME...

Si les objectifs de la loi « Climat et résilience » sont pleinement partagés, les outils mis en place se révèlent inadaptés aux spécificités du bâti ancien.

1. Les modalités de calcul du nouveau DPE sont trop simplificatrices

60%

du bâti d'avant 1948

classé en E, F ou G
selon les chiffres de l'ADEME
portant sur le premier
trimestre 2023.

2. Les solutions de rénovation généralement préconisées pour faire gagner des classes se révèlent très largement inappropriées au bâti ancien

L'isolation par l'extérieur apparait à proscrire en cas de façade en pierre de taille ou de façade à pan de bois ou à colombage, ou du remplacement des menuiseries extérieures, susceptible de faire perdre sa cohérence patrimoniale au bâti. L'isolation des murs représente souvent une priorité lors de l'isolation des logements alors que les analyses montrent qu'elles ne représentent que 10 % à 30 % des déperditions dans le bâti ancien, celles-ci intervenant principalement au niveau de la toiture, faisant de l'isolation des combles une priorité.

Maison divisée en deux logements dont l'une des parties a été isolée
par l'extérieur


Source : Maisons paysannes

Certaines des solutions préconisées peuvent faire perdre à ce bâti sa valeur patrimoniale et architecturale. Surtout, comme elles ne tiennent pas compte des caractéristiques hydriques et thermiques propres à ces bâtiments, elles peuvent générer des pathologies (humidité, moisissures) susceptibles de rendre sa dégradation irréversible et son occupation impossible.

Il est par ailleurs rare que ces solutions, en règle générale standardisées et industrielles, valorisent l'utilisation de matériaux bio-sourcés ou fabriqués localement, en dépit de leur moindre empreinte environnementale.

3. Les aides financières octroyées ne comportent aucun dispositif ciblé garantissant une rénovation respectueuse de ce type de bâti

Les propriétaires sont encouragés à recourir aux solutions standardisées, même inadaptées, dans la mesure où elles sont subventionnées, tel le remplacement des portes et fenêtres anciennes par des menuiseries en PVC.

B. ... AUX CONSÉQUENCES PRÉJUDICIABLES SUR LE BÂTI ANCIEN

La volonté de répondre de manière rapide et massive au défi posé par l'urgence climatique a conduit à privilégier des dispositifs uniformes qui, au final, pourraient avoir des conséquences importantes sur la préservation du patrimoine bâti, malgré ses réels atouts pour contribuer aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Conjugués à la pression foncière sur les parcelles bâties générées par l'introduction du principe du « zéro artificialisation nette », ils pourraient ne laisser aux propriétaires de bâtiments antérieurs à 1948 guère d'autres choix que de vendre leurs biens, dont la valeur est dépréciée par les résultats du DPE, ou d'engager en urgence des travaux de rénovation.

Plusieurs risques sont identifiés :

- un risque de vacance des logements dans le bâti ancien du fait des résultats du DPE constatés dans ce type de bâti et de l'interdiction progressive de location des passoires thermiques. Ce danger aurait des répercussions terribles sur d'autres politiques publiques s'il se vérifiait, dans la mesure où il ne ferait qu'aggraver la crise du logement, accélérer la désertification des centres anciens, où ce type de bâti est majoritaire, amplifier l'exode rural et contribuer à la dégradation irrémédiable d'une partie du patrimoine faute d'entretien ;

- un risque d'effacement progressif du patrimoine non protégé et de banalisation des caractéristiques architecturales propres à chaque région sous l'effet de la réalisation de travaux non adaptés. La disparition de ce patrimoine serait un désastre d'un point de vue culturel, touristique, économique mais aussi écologique ;

- un risque d'accélération de la disparition des savoir-faire traditionnels résultant d'une baisse de la demande pour ce type d'interventions, à une époque où le ministère de la culture essaie pourtant de conjurer cette menace en accompagnant la filière grâce au renforcement des crédits destinés aux opérations de restauration du patrimoine ;

- un risque de gaspillage d'argent public du fait du soutien financier apporté à des travaux de rénovation inadaptés à l'origine des désordres de demain sur ce type de bâti.

Au final, l'approche actuelle risque de n'apporter de réels bénéfices qu'à court terme, si l'on prend en considération les dommages collatéraux sur le bâti ancien, la consommation inutile de matériaux importés et la multiplication des déchets qu'elle pourrait générer.

III. LES RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION POUR ASSURER UNE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE RESPECTUEUSE DU BÂTI ANCIEN

S'il n'apparait pas souhaitable de soustraire le bâti ancien à l'impératif de transition écologique, il est en revanche indispensable d'adapter le cadre juridique applicable afin d'écarter les menaces que représentent les modalités actuelles de mise en oeuvre de cette politique publique.

De telles adaptations semblent d'autant plus légitimes que la directive de l'Union européenne sur la performance énergétique des bâtiments prévoit une exception aux règles de rénovation et de performance pour les bâtiments ayant un intérêt architectural ou historique. Cette directive est actuellement en cours de révision, mais cette exception n'est pas remise en cause à ce stade de la procédure de codécision. Au contraire, le Parlement européen a ajouté plusieurs considérants visant, d'une part, à encourager les États membres à concilier performance énergétique et conservation des caractéristiques historiques et architecturales du patrimoine bâti non protégé et, d'autre part, à demander à la Commission d'établir des lignes directrices techniques pour la rénovation des bâtiments du patrimoine historique et des centres historiques afin de garantir le respect des ambitions écologiques et la protection du patrimoine culturel.

A. MIEUX ADAPTER LES PRESCRIPTIONS AUX TYPOLOGIES DE BÂTI

Recommandation n° 1 : Adapter le DPE aux spécificités du bâti ancien

Afin d'assurer une meilleure prise en compte des particularités du bâti ancien et de sa performance énergétique réelle, la commission recommande l'élaboration d'un DPE spécifique ou, à défaut, l'adaptation des modalités de calcul du DPE au bâti ancien.

La commission plaide pour la mise en place d'une approche plus globale fondée sur des modèles dynamiques permettant, par exemple, de prendre en considération les interfaces entre les différents postes de travaux et un certain nombre de nouveaux critères, tels que les caractéristiques des matériaux, les usages, le confort thermique d'été du bâtiment, sa valeur patrimoniale et architecturale, ses interactions avec son environnement ainsi que l'amortissement de son coût carbone.

Dans l'attente de l'élaboration de ce nouvel instrument, souhaité d'ici 2025 du fait de l'entrée en vigueur des premières interdictions de mise en location, la commission préconise d'en revenir, pour le bâti ancien, à la méthode de calcul du DPE sur facture permettant de tenir compte de l'hétérogénéité des matériaux et de la réalité des usages des différentes pièces du logement.

Recommandation n° 2 : Prémunir le bâti ancien contre les rénovations thermiques inappropriées

Afin d'éviter la réalisation de travaux de rénovation inadaptés pouvant porter des atteintes irrémédiables au bâti ancien, la commission juge indispensable la définition de normes relatives aux matériaux et aux techniques autorisés pour la rénovation énergétique du bâti ancien, qui pourraient éventuellement être associées à la mise en place de labels. Elle estime ainsi que l'isolation par l'extérieur devrait être formellement proscrite pour les maisons à colombages, à pans de bois ou celles dont la façade est recouverte de pierres apparentes.

Elle recommande que l'impact environnemental et le caractère durable des travaux engagés fassent partie des critères pris en considération pour l'élaboration des prescriptions en matière de travaux. Cette évolution permettrait de promouvoir davantage les matériaux bio-sourcés et géo-sourcés, aujourd'hui peu utilisés, alors qu'ils sont plus adaptés au bâti ancien. De même, elle estime que le réemploi et la réversibilité des travaux devraient entrer en ligne de compte dans les prescriptions.

B. FORMER LES INTERVENANTS AUX SPÉCIFICITÉS DU BÂTI ANCIEN

Recommandation n° 3 : Former les diagnostiqueurs, les accompagnateurs Rénov', les bureaux d'études, les maîtres d'oeuvre et les artisans aux spécificités de la performance et de la rénovation thermique du bâti ancien

Afin de garantir des mesures de la performance énergétique fidèles aux propriétés intrinsèques du bâti ancien, ainsi que des prescriptions de travaux et des rénovations qui ne soient pas susceptibles de lui faire subir des dommages irrémédiables, il apparait fondamental d'assurer la montée en compétence des diagnostiqueurs, des accompagnateurs Rénov', des bureaux d'études, des maîtres d'oeuvres et des artisans en matière de connaissance du bâti ancien et d'utilisation des matériaux bio-sourcés. La commission de la culture est favorable à une certification, ce qui suppose aussi un bon contrôle des organismes de certification afin de s'assurer de la qualité et du caractère homogène de la formation dispensée.

Recommandation n° 4 : Réorienter la formation dispensée aux futurs architectes en donnant davantage de place aux questions liées à la réhabilitation du patrimoine bâti

Le métier d'architecte est amené à évoluer de plus en plus dans les années à venir, dans la mesure où l'on considère que 80 % des logements de 2050 sont déjà construits. Dans ces conditions, la commission est favorable à ce que le contenu de la formation dispensée aux élèves des écoles nationales supérieures d'architecture intègre davantage les enjeux liés à la restauration du patrimoine et à sa rénovation énergétique. Cette question lui parait d'autant plus importante que la loi « Climat et résilience » confie aux architectes un rôle pour attester des contraintes architecturales et patrimoniales justifiant une rénovation énergétique allégée par rapport à la rénovation énergétique globale performante telle qu'elle la définit.

C. IDENTIFIER LE BÂTI À PRÉSERVER

Afin de pallier l'absence de mesures de protection patrimoniale applicables à l'essentiel du bâti ancien, la commission juge indispensable de mieux identifier le bâti ancien à préserver afin d'éviter des travaux de rénovation qui lui porteraient atteinte et pourraient avoir un impact sur la cohérence architecturale et patrimoniale d'un ensemble urbain et sur l'attractivité de certains territoires. Elle constate que les maires se retrouvent aujourd'hui complètement dépassés par la multiplication des demandes d'autorisation d'isolation par l'extérieur, sans toujours savoir comment les refuser.

Recommandation n° 5 : Encourager les collectivités territoriales à identifier le patrimoine bâti à préserver dans le cadre du plan local d'urbanisme

L'article L. 151-19 du code de l'urbanisme autorise le règlement du plan local d'urbanisme (PLU) à identifier le patrimoine à conserver et mettre en valeur pour des motifs d'ordre culturel, historique ou architectural et à définir des prescriptions de nature à assurer sa préservation, sa conservation et sa restauration. Cette faculté constitue une bonne alternative pour assurer la protection du patrimoine en l'absence d'autre forme de protection (abords de monuments historiques, sites patrimoniaux remarquables).

Afin d'inciter les collectivités territoriales à s'emparer de cette faculté propice à une meilleure connaissance et une meilleure identification du patrimoine, des façades et des éléments de décor à préserver, la commission estime qu'il pourrait être utile de conditionner l'octroi de certaines subventions départementales, régionales ou nationales à l'élaboration d'un tel PLU patrimonial. C'est ce que s'apprête à faire la collectivité européenne d'Alsace dans le cadre de sa politique de sauvegarde de la Maison alsacienne.

Compte tenu de la lourdeur de la procédure de révision d'un PLU, il convient de noter que l'article L. 111-6-2 du code de l'urbanisme donne aussi la possibilité aux communes ou établissements publics de coopération intercommunale de délimiter des périmètres, après avis de l'architecte des bâtiments de France (ABF), dans lesquels ils peuvent s'opposer à une demande d'isolation par l'extérieur ou à l'implantation de panneaux photovoltaïques.

D. APPROFONDIR LA CONNAISSANCE DU BÂTI ANCIEN

Recommandation n° 6 : Soutenir la recherche fondamentale et appliquée

La commission est convaincue que les connaissances relatives au bâti ancien et aux moyens d'améliorer ses performances énergétiques peuvent encore être enrichies. Elle tient à saluer le travail réalisé par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), en partenariat avec l'école des arts et métiers Paris Tech, le laboratoire de recherche en architecture de l'ENSA de Toulouse et les associations Maisons paysannes de France et Sites & Cités remarquables, avec la création du portail CREBA, destiné à rassembler les ressources permettant une réhabilitation responsable du bâti. Elle estime qu'il serait indispensable de conforter le financement du Cerema afin de lui permettre d'approfondir ses travaux autour de cette question.

Au regard du caractère inadapté au bâti ancien des solutions de rénovation thermique standards, elle juge nécessaire de soutenir la recherche fondamentale et appliquée afin de retrouver des savoir-faire traditionnels, d'identifier des matériaux et de développer des technologies compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien et accessibles financièrement.

L'accompagnement du développement de filières de production de matériaux de construction locales, sorte de filière artisanale de la transition écologique, doit également faire figure de priorité.

Recommandation n° 7 : Sensibiliser les propriétaires et les collectivités territoriales aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse du bâti ancien

La commission insiste sur l'importance du recensement et de la diffusion de bonnes pratiques, de la publication de guides pratiques, de la nomination de référents en charge de la transition énergétique dans les DRAC et du renforcement de la collaboration avec les Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement dans ce domaine.

E. SOUTENIR DES RÉNOVATIONS RESPECTUEUSES DU BÂTI ANCIEN

Recommandation n° 8 : Réorienter les aides financières et fiscales pour leur permettre d'accompagner des rénovations énergétiques respectueuses du bâti ancien

La commission recommande plusieurs leviers :

la prise en compte des caractéristiques du bâti ancien dans la conditionnalité des aides publiques allouées en faveur de la rénovation énergétique et l'élargissement des aides aux rénovations permettant d'atteindre un certain niveau de confort plutôt qu'une étiquette en matière de performance énergétique ;

- la valorisation de l'utilisation de matériaux bio-sourcés en circuit court dans l'octroi des aides ;

l'extension du label de la Fondation du patrimoine aux travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien dans les communes de moins de 50 000 habitants ;

- la réforme des dispositifs « Denormandie » et « Malraux » pour leur permettre de mieux accompagner les travaux de rénovation énergétique dans l'ancien.

F. RENFORCER LA COORDINATION INTERMINISTÉRIELLE SUR CES QUESTIONS

La commission regrette que le dialogue interministériel entre le ministère de la culture et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (MTECT) ait longtemps tardé à se mettre en place. Elle se réjouit de constater que la situation s'améliore depuis l'automne dernier, y compris sur le terrain, avec la signature d'une convention de partenariat entre l'Agence nationale de l'habitat et l'Association nationale des architectes des bâtiments de France. Une acculturation mutuelle est indispensable pour parvenir à mieux concilier les enjeux de la transition écologique avec la préservation du patrimoine.

Recommandation n° 9 : Associer pleinement le ministère de la culture à la définition des outils applicables au bâti ancien

La commission demande que le ministère de la culture soit pleinement associé à la mise en oeuvre des différentes recommandations qu'elle a formulées : adaptation du DPE, normalisation des matériaux et des techniques de rénovation applicables au bâti ancien, conception, développement et pilotage de l'offre de formation, réforme des modalités de subventionnement.

Elle juge souhaitable l'adoption d'un certain nombre de circulaires interministérielles permettant d'assurer un équilibre entre les politiques énergétiques et climatiques et la préservation du patrimoine, comme sur la question de l'isolation ou des menuiseries dans le bâti ancien, ou encore sur l'enjeu de la bonne prise en compte des enjeux patrimoniaux dans le cadre des programmes d'amélioration de l'habitat et de renouvellement urbain.

Recommandation n° 10 : Organiser des États généraux du patrimoine durable afin de faciliter la concertation

La commission considère que l'organisation de concertations avec les différentes parties prenantes, telles, par exemple, des États généraux du patrimoine durable, pourrait également constituer une piste permettant d'identifier les différents enjeux et les meilleurs voies et moyens pour y répondre.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 28 JUIN 2023

___________

M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelle enfin l'examen du rapport préparé par Sabine Drexler consacré à la situation du patrimoine au regard de la transition écologique et le vote de ses recommandations.

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - Vous vous souvenez que j'avais fait le choix, dans le cadre de mon avis sur les crédits du patrimoine dans le projet de loi de finances pour 2023, de traiter de la question de la transition écologique du patrimoine compte tenu de l'ampleur progressivement prise par ce sujet.

Le président Laurent Lafon et moi-même nous étions ensuite rendus au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires le 2 février dernier afin de présenter à Christophe Béchu nos propositions. Il nous avait alors demandé d'y consacrer un rapport d'information spécifique pour lui permettre de mieux prendre en compte les problématiques liées à la préservation du patrimoine bâti dans la mise en oeuvre des politiques climatiques. Compte tenu de l'urgence de la décarbonation, il nous avait cependant alertés sur l'importance d'une présentation équilibrée du sujet, qui n'ait pas pour effet d'exclure l'ensemble du patrimoine bâti du champ de la législation climatique, afin qu'il puisse être en mesure de la soutenir et de la défendre en tant que ministre de la transition écologique.

Sur cette base, j'ai donc procédé à de nouvelles auditions afin de compléter la première série d'entretiens que j'avais réalisée pendant la période budgétaire et la table ronde organisée par notre commission sur cette question le 1er février dernier. Je me suis intéressée à la position défendue par certains de ceux qui mettent en oeuvre la politique climatique : l'Agence nationale de l'habitat, qui gère le dispositif « Ma Prime Rénov' », l'Agence nationale de la rénovation urbaine et une organisation professionnelle de diagnostiqueurs. J'ai également souhaité refaire un dernier point avec le directeur général des patrimoines afin d'être tenue informée des avancées intervenues sur ce dossier au cours des derniers mois. J'ajoute qu'en tant que vice-présidente de la commission d'enquête en cours sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, j'ai eu la possibilité d'entendre de nombreux acteurs concernés par ces questions et de leur poser un certain nombre de questions qui ont pu enrichir ma réflexion.

Il me semble d'abord nécessaire d'insister sur l'importance de s'emparer de cette question de transition écologique du patrimoine bâti. Le bâti ancien d'avant 1948 rassemble environ 10 millions de logements, soit un tiers du parc en France. Sa rénovation représente donc un enjeu pour de nombreux Français qui souhaitent à la fois pouvoir faire des économies d'énergie et disposer d'un plus grand confort de vie. Compte tenu de ses performances énergétiques, de l'ordre de 200 kWh par mètre carré par an, il s'agit clairement d'une typologie de bâti sur lequel des économies d'énergie significatives peuvent et doivent être réalisées.

Par ailleurs, il serait dommage de négliger cet enjeu tant les caractéristiques constructives du bâti ancien lui confèrent de sérieux atouts pour atteindre plus rapidement l'objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre. D'une part, le bâti ancien est nettement moins énergivore qu'il n'y parait. Grâce à sa grande inertie et sa conception bioclimatique, il affiche des consommations d'énergie nettement inférieures aux bâtiments construits pendant la période des Trente Glorieuses et, à la différence des bâtis modernes, il offre un véritable confort d'été qui rend inutile l'installation de dispositifs de climatisation énergivores. D'autre part, le bâti ancien tire très largement son épingle du jeu en matière de performance environnementale. L'empreinte environnementale de sa construction est, depuis longtemps, amortie. Sa réhabilitation n'exige qu'une faible quantité de matériaux, au bilan carbone relativement réduit, puisqu'il s'agit de matériaux naturels et durables, pouvant être soit extraits localement, soit récupérés.

Ces différents arguments justifient pleinement de trouver des solutions pour adapter le bâti ancien sur le plan énergétique, plutôt que de le voir détruit au profit de constructions neuves.

Le problème, c'est que la législation en matière de rénovation thermique n'est pas aujourd'hui adaptée aux spécificités du bâti ancien, au risque d'y porter des atteintes irréversibles. Pour être certain de répondre de manière rapide et massive au défi posé par l'urgence climatique, notre pays a en effet fait le choix de privilégier des dispositifs uniformes, mais comme ceux-ci ont été conçus en fonction des normes modernes de construction, ils ne correspondent pas aux besoins et aux comportements du bâti ancien.

Or, à l'exception des monuments historiques, exemptés de diagnostic de performance énergétique (DPE), le reste du bâti ancien est assujetti aux obligations de DPE et de rénovation énergétique globale, ce qui signifie qu'ils devront faire l'objet d'adaptations au niveau de l'isolation des murs, de l'isolation des toitures, de l'isolation des planchers bas, des menuiseries extérieures, des systèmes de ventilation, du système de chauffage et d'eau chaude sanitaire pour être loués ou vendus si l'étiquette qu'ils obtiennent lors du DPE n'est pas conforme. Il y a donc deux enjeux.

D'une part, les modalités de calcul du DPE permettent-elles de rendre compte des performances énergétiques du bâti ancien ? Malheureusement, non. J'en veux pour preuve les chiffres récents publiés par l'ADEME, qui montrent que 60 % du bâti d'avant 1948 a été classé comme « passoire thermique » dans le cadre des diagnostics réalisés au premier trimestre 2023. D'autre part, les prescriptions de travaux sont-elles adaptées au bâti ancien ? Là encore, la réponse est non. Pensons à l'isolation par l'extérieur ou au remplacement des menuiseries extérieures : ces solutions font courir de vrais risques au bâti ancien. Elles peuvent affecter sa valeur patrimoniale et générer des pathologies - de l'humidité et le développement de moisissures - qui peuvent rendre sa dégradation irréversible et son occupation impossible. Le problème, c'est que non seulement ces solutions standardisées correspondent à celles qui sont le plus proposé, mais elles sont aussi les moins coûteuses et les seules qui soient subventionnées. Les propriétaires sont donc triplement encouragés à y recourir.

Cette situation n'est pas sans faire courir un certain nombre de risques. L'interdiction progressive de location des passoires thermiques fait tout d'abord craindre une multiplication des vacances de logements dans le bâti ancien, qui pourrait alimenter la crise du logement, la désertification des centres anciens, l'exode rural, et avoir des conséquences sur la préservation du patrimoine puisqu'on sait combien un immeuble non entretenu est un immeuble qui se dégrade.

Beaucoup redoutent également un effacement progressif du patrimoine non protégé et une banalisation des caractéristiques architecturales propres à chaque région à cause de travaux inadaptés.

La préférence accordée aux solutions standardisées et industrielles pourrait contribuer à la disparition accélérée des savoir-faire traditionnels. Elle pose question d'un point de vue écologique, compte tenu de la consommation inutile de matériaux importés et de la multiplication des déchets qu'elle implique. Elle pourrait générer un gaspillage d'argent public en créant des désordres sur le bâti ancien à moyen terme, qui nécessiteront une action de l'État.

Je suis convaincue que l'adaptation du cadre juridique est indispensable afin d'écarter ces différentes menaces et rendre possible une transition énergétique plus respectueuse du bâti ancien. De telles adaptations semblent d'autant plus légitimes que la directive de l'Union européenne sur la performance énergétique des bâtiments rend de toute façon possibles les exceptions aux règles de rénovation et de performance pour les bâtiments ayant un intérêt architectural ou historique.

L'enjeu prioritaire, à mes yeux, est d'adapter les prescriptions aux typologies de bâti, afin que le bâti ancien ne soit plus frappé d'indignité comme il l'est en quelque sorte aujourd'hui.

Je pense que nous devons impérativement recommander l'élaboration d'un DPE spécifique au bâti ancien ou, à défaut, l'adaptation des modalités de calcul du DPE pour mieux restituer les performances réelles du bâti ancien. Le modèle du DPE n'est pas suffisamment dynamique. D'autres critères doivent entrer en ligne de compte : les caractéristiques des matériaux, les usages, le confort thermique d'été du bâtiment, sa valeur patrimoniale et architecturale, ses interactions avec son environnement ainsi que l'amortissement de son coût carbone. Il serait utile que ce nouvel instrument entre en application au plus tard en 2025, puisqu'entreront alors en vigueur les premières interdictions de mise en location des passoires thermiques.

En attendant son élaboration, le mieux me semblerait d'en revenir à la méthode de calcul du DPE sur facture pour le bâti ancien, ce qui permettrait de mieux prendre en compte l'hétérogénéité des matériaux et la réalité des usages des différentes pièces du logement.

Ensuite, nous devons trouver des moyens afin de prémunir le bâti ancien contre les rénovations thermiques inappropriées. Nous manquons aujourd'hui de matériaux et de techniques validés pour la rénovation énergétique du bâti ancien. Il y a un vrai enjeu autour de l'élaboration de ces normes.

Je pense aussi que l'impact environnemental et le caractère durable des travaux engagés devraient faire partie des critères pris en considération pour l'élaboration des prescriptions en matière de travaux. Cette évolution permettrait de promouvoir davantage les matériaux bio-sourcés et géo-sourcés, aujourd'hui peu utilisés, alors qu'ils sont plus adaptés au bâti ancien. De même, le réemploi et la réversibilité des travaux devraient à mon sens entrer en ligne de compte dans les prescriptions.

J'en viens maintenant au deuxième enjeu fondamental à mes yeux, celui des compétences en matière de bâti ancien des professionnels intervenant en matière de rénovation énergétique. C'est évidemment toute la question de la formation.

Afin de garantir des mesures de la performance énergétique fidèles aux propriétés intrinsèques du bâti ancien, ainsi que des prescriptions de travaux et des rénovations qui ne soient pas susceptibles de lui faire subir des dommages irrémédiables, il faut assurer la montée en compétence des diagnostiqueurs, des accompagnateurs Rénov', des bureaux d'études, des maîtres d'oeuvre et des artisans en matière de connaissance du bâti ancien et d'utilisation des matériaux bio-sourcés. La solution d'une certification me paraitrait sans doute la plus appropriée, ce qui suppose aussi un bon contrôle des organismes de certification afin de s'assurer de la qualité et du caractère homogène de la formation dispensée.

Se pose aussi la question de la formation des architectes à la réhabilitation du patrimoine, question d'autant plus importante que la loi « Climat et résilience » leur confie un rôle pour attester des contraintes architecturales et patrimoniales justifiant une rénovation énergétique allégée par rapport à la rénovation énergétique globale performante telle qu'elle la définit. Nous avions déjà abordé cette question dans le cadre de mon avis budgétaire. Quand on sait que 80 % des logements de 2050 sont déjà construits, on comprend à quel point le métier d'architecte est amené à évoluer. Il faut adapter le contenu de la formation dispensée aux élèves des écoles nationales supérieures d'architecture en conséquence afin qu'ils soient davantage sensibilisés au cours de leur scolarité aux questions de restauration du patrimoine et de rénovation énergétique. C'est un enjeu de plus en plus pris en compte par le ministère de la culture : il convient qu'il aille plus loin dans cette direction.

Le troisième défi soulevé par ce vaste mouvement de rénovation énergétique, c'est celui de la meilleure identification des bâtiments qui doivent impérativement être conservés, soit pour leur valeur intrinsèque, soit pour leur contribution à la cohérence architecturale et patrimoniale d'un ensemble urbain. Les maires se retrouvent aujourd'hui dépassés par la multiplication des demandes d'autorisation d'isolation par l'extérieur et ils n'ont pas le droit de s'y opposer, à moins que des protections patrimoniales ne l'interdisent. Beaucoup de maires ignorent que le PLU peut identifier le patrimoine à conserver et définir des prescriptions de nature à assurer sa préservation - ou en tout cas ils ne se saisissent pas de cette faculté. Je crois nécessaire d'encourager les maires à s'emparer de cette possibilité. À cet effet, je pense qu'il pourrait être efficace de conditionner l'octroi ou de bonifier le taux de certaines subventions départementales, régionales ou nationales à l'élaboration d'un tel PLU patrimonial. C'est ce que la collectivité européenne d'Alsace s'apprête d'ailleurs à faire dans le cadre de sa politique de sauvegarde de la maison alsacienne.

Le quatrième enjeu, c'est d'approfondir les connaissances sur le bâti ancien. Compte tenu de l'inadaptation des solutions de rénovation thermique standardisées au bâti ancien, il est essentiel que l'État soutienne la recherche fondamentale et appliquée afin de retrouver des savoir-faire traditionnels, d'identifier des matériaux et de développer des technologies compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien et accessibles financièrement. L'accompagnement du développement de filières de production de matériaux de construction locale, sorte de filière artisanale de la transition écologique, doit également faire figure de priorité.

Le ministère de la culture me parait également devoir jouer un rôle de sensibilisation des propriétaires et des collectivités territoriales aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse du bâti ancien. Il lui appartient en priorité de recenser et diffuser les bonnes pratiques ou encore d'établir de bonnes pratiques, même si d'autres structures peuvent également contribuer dans ce domaine - je pense en particulier aux CAUE ou aux associations de préservation du patrimoine comme Maisons Paysannes, Sites et Cités remarquables, Petites Cités de caractère.

Le cinquième enjeu est d'ordre financier. Les aides financières et fiscales doivent être réorientées pour leur permettre d'accompagner des rénovations énergétiques qui soient véritablement respectueuses du bâti ancien. Lorsque la rénovation porte sur ce type de bâti, il faut que les aides publiques soient conditionnées à la bonne prise en compte de ses caractéristiques ; il faut également que les matériaux bio-sourcés en circuit court soient mieux valorisés dans l'octroi des aides.

Au-delà des subventions, il faut également développer de nouveaux outils fiscaux. Vous vous souvenez que la Fondation du patrimoine avait proposé que son label soit étendu aux travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien. Il me semble que ce serait un excellent moyen en faveur de la transition écologique du patrimoine non protégé en milieu rural. Éventuellement, on pourrait l'étendre jusqu'aux communes de 50 000 habitants afin de mieux traiter la problématique du patrimoine non protégé dans les centres anciens.

En ce qui concerne les centres anciens justement, une réforme des dispositifs « Denormandie » et « Malraux » pourrait permettre d'y accompagner mieux les travaux de rénovation énergétique. Vous vous souvenez que le ministère de la culture plaide depuis plusieurs années pour la mise en place d'un taux unique à 30 % afin de renforcer l'attractivité du dispositif Malraux, destiné à soutenir la réhabilitation des immeubles situés dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables. L'idée serait aussi de mettre en place un taux bonifié à titre temporaire, par exemple de 50 %, afin d'attirer les bailleurs à rénover les îlots dans lesquels les plus forts besoins de réhabilitation se font sentir, y compris sur le plan énergétique.

Évidemment, une action coordonnée de l'ensemble des ministères est indispensable pour parvenir à relever le défi de la transition écologique du bâti ancien. Nous avons déjà eu l'occasion de regretter que le dialogue interministériel entre le ministère de la culture et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (MTECT) ait longtemps tardé à se mettre en place. Une acculturation mutuelle est indispensable pour parvenir à mieux concilier les enjeux de la transition écologique avec la préservation du patrimoine.

Je pense qu'il nous faut demander la pleine association du ministère de la culture à la mise en oeuvre de nos différentes recommandations, qu'il s'agisse de l'adaptation du DPE, de la normalisation des matériaux et des techniques de rénovation applicables au bâti, de la conception, du développement et du pilotage de l'offre de formation, ou encore de la réforme des modalités de subventionnement.

Je reste aussi dans l'idée que l'organisation d'États généraux du patrimoine durable, permettant de rassembler les acteurs de la transition écologique et ceux du patrimoine, serait un bon moyen d'identifier en commun les différents enjeux et les meilleurs voies et moyens pour y répondre.

Après avoir entendu la réponse de Christophe Béchu à ma question d'actualité sur la protection du patrimoine résidentiel la semaine dernière, j'ai l'espoir que ces recommandations pourront être mises en oeuvre. Je vous remercie.

M. Laurent Lafon, président. - Merci à notre rapporteur. J'ouvre sans plus tarder la discussion générale sur les conclusions de cette mission, en donnant la parole prioritairement à un intervenant par groupe.

Mme Marie-Pierre Monier. - Bravo pour ce rapport qui prolonge le travail effectué lors du dernier débat budgétaire : vos recommandations apportent aujourd'hui des réponses extrêmement pertinentes aux problématiques qui avaient été soulevées.

L'enjeu est très important et, en particulier, il conditionne l'acceptabilité par nos concitoyennes et concitoyens des politiques environnementales ambitieuses. De plus, la priorité aujourd'hui accordée à la lutte contre l'artificialisation des sols implique à l'évidence de tout mettre en oeuvre pour mieux valoriser et continuer à faire vivre notre bâti ancien.

Permettez-moi de commenter rapidement les principaux axes que vous avez dessinés. Le premier traite la question cruciale du diagnostic de performance énergétique (DPE) qui, pour l'instant, ne tient pas suffisamment compte des spécificités du bâti ancien dont les propriétés thermiques sont pourtant remarquables. Nous devons être d'autant plus vigilants à ce sujet que la loi « Climat et résilience » prévoit l'interdiction progressive de mise en location des logements les moins bien classés en termes de performance énergétique. Vous avez bien souligné l'urgence de remédier à cette défaillance avant 2025.

Le deuxième axe du rapport porte sur la formation des intervenants aux spécificités du bâti ancien : celle-ci doit s'étendre à l'ensemble de la filière que constituent les architectes, diagnostiqueurs, bureaux d'études, maîtres d'oeuvre et artisans. Comme vous le soulignez, une formation adéquate permettra de choisir les solutions les mieux adaptées et de se détacher de l'approche standardisée qui prévaut encore aujourd'hui. Par exemple, la tendance actuelle à se focaliser sur les fenêtres ou l'isolation extérieure n'est souvent pas la plus efficace pour améliorer l'efficacité énergétique du bâti ancien. Des efforts de formation ont d'ores et déjà été engagés auprès de certains professionnels, mais vous avez raison de préconiser leur systématisation. Je souhaiterais ici vous interroger sur le rôle spécifique des architectes des Bâtiments de France dans ce domaine.

En ce qui concerne le troisième axe du rapport, j'approuve votre recommandation qui tend à encourager les collectivités territoriales à identifier le patrimoine bâti à préserver dans le cadre du plan local d'urbanisme. J'insiste cependant sur la nécessité d'accompagner les collectivités concernées en leur donnant plus de moyens en ingénierie.

S'agissant du quatrième axe qui vise à approfondir la connaissance du bâti et à encourager le soutien de la recherche fondamentale et appliquée dans ce domaine, je fais observer que pour être fructueux, ce soutien doit être pensé et financé sur le temps long.

J'exprime juste une petite réserve, dans l'axe cinq, sur l'extension du label de la Fondation du Patrimoine aux travaux de rénovation énergétique dans les communes de moins de 50 000 habitants. En effet, ce label cible traditionnellement le bâti des petites communes et je crains que celles-ci pâtissent d'un élargissement du périmètre d'action de la Fondation du Patrimoine. Il est essentiel de maintenir la mission première de celle-ci en faveur de la protection et de la valorisation du patrimoine rural sans diluer cet objectif dans un ensemble plus vaste. En tout état de cause, il convient d'accompagner toute modification de ce périmètre d'un accroissement de ressources financières correspondant.

Enfin, je m'associe à la recommandation de décloisonnement au niveau ministériel et administratif que porte le sixième axe du rapport.

Je vous vous remercie pour ce rapport qui fera date et qui, je l'espère, sera repris par le Gouvernement.

Mme Béatrice Gosselin. - À mon tour de rendre hommage au travail conduit par Sabine Drexler qui répond à une véritable attente de nos territoires. Ils abritent de nombreux bâtis spécifiques, différents d'une région et d'un climat à l'autre, mais adaptés aux territoires. Abîmer ces édifices en les isolant de façon inadaptée par l'extérieur risque de les dégrader de façon irrémédiable sans tenir compte de leurs qualités thermiques. Je souligne également qu'on oublie trop souvent les excellentes propriétés phoniques d'un mur en masse ou d'un plancher en terre, par exemple.

J'adhère pleinement à la proposition de réunir des états généraux pour prendre en compte ces spécificités. En effet, il est certain que le coût de rénovation à l'identique de ce bâti ancien est plus élevé au départ, mais, à l'arrivée, il l'est beaucoup moins si on prend en compte l'ensemble des paramètres. Ainsi, tout d'abord, l'utilisation de matériaux bio-sourcés locaux limite les besoins en transports ; ensuite, la durabilité de ces matériaux permet aux rénovations d'être beaucoup plus pérennes ; la préservation des spécificités locales ainsi que le recours aux entreprises de proximité me paraissent enfin essentiels. J'insiste ici sur la nécessité de soutenir les efforts de formation cousue-main en lien avec les artisans. La transition écologique doit, non pas seulement se traduire par des actions standardisées conduites par de grands opérateurs, mais aussi prendre en compte l'ensemble des facteurs et notre bâti ancien le vaut largement. Je précise que la plupart des fondations et des associations du patrimoine comme les Maisons Paysannes de Normandie indiquent qu'elles ne sont pas assez écoutées par les ministères alors que leur expertise est nécessaire pour préserver la spécificité du bâti ancien. Notre rapport permettra aux associations, je l'espère, d'être mieux entendues, et j'ajoute qu'il est important de prendre en compte tous les facteurs permettant de prévenir le risque de dégradation de notre patrimoine habité, y compris l'introduction de modules de formation adaptés dans les écoles d'architecture.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie Sabine Drexler pour son rapport tout à fait exceptionnel par son ampleur et qui propose un vrai programme d'action. J'aimerais aussi rendre hommage à l'ensemble des initiatives qu'elle a permis à notre commission de porter en matière de patrimoine, avec une vision novatrice, tout en suppléant, comme vous l'avez fait observer, le poids du ministère de la culture dans les arbitrages interministériels.

J'estime, en premier lieu, incroyable qu'on ait pu - y compris parfois au Sénat et je le regrette - opposer protection de l'environnement et protection du patrimoine, tant pour les bâtiments que les paysages. C'est incompréhensible alors que les deux sont liés et fonctionnent de concert : quand on protège le bâti ancien ou les paysages, on protège aussi l'environnement. Je ne comprends pas non plus comment on peut considérer comme un progrès le fait de remplacer des solutions techniques éprouvées depuis plusieurs siècles par le recours au tout plastique, ce qui est bien le cas pour les fenêtres et les façades en polystyrène. Il faut donc renverser complètement cette façon de penser et ne pas céder, comme cela est trop souvent le cas, à une sorte de fuite en avant vers la technicité dont on pense qu'elle peut nous sauver alors qu'on peut douter de la pérennité des solutions techniques proposées. Plus encore, on sait très bien qu'il faudra changer toutes ces façades en polystyrène dans quinze ans. Je déplore ces réactions à très court terme qui risquent de se révéler très néfastes et de transformer la France en un jardin Leroy Merlin.

Je reviens, en second lieu, sur la place que vous vous donnez très justement aux conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) : cela recoupe ce que nous avions proposé avec notre collègue Anne Ventalon pour les édifices cultuels. En effet, les CAUE avec lesquels j'ai récemment dialogué regrettent de ne pas être associés aux problématiques de rénovation thermique alors qu'ils peuvent apporter aux maires et aux particuliers leur expertise. Nous rejoignons ainsi la réflexion de la commission de la culture sur la place supplémentaire qu'il faudrait accorder aux CAUE qui se situent à l'interface entre le département et la commune et je reste persuadé que c'est le couple qui va nous permettre de réussir sur les territoires à mettre en oeuvre des politiques publiques et en particulier culturelles efficaces. Je suggère de retravailler ensemble ce sujet et de réfléchir à un amendement en projet de loi de finances tendant à augmenter les ressources des CAUE en fixant un taux plancher pour le prélèvement que peuvent effectuer les départements sur la taxe d'aménagement. Certains départements n'activent pas suffisamment ce levier fiscal et, par exemple, la Corrèze se limite à allouer 0,1 % de la taxe d'aménagement à la CAUE alors qu'une mobilisation accrue de celle-ci y serait particulièrement utile. J'appelle notre commission à prendre une initiative fiscale dans ce domaine en complément de tout le travail que nous réalisons.

Mme Sonia de La Provôté. - Je m'associe aux félicitations adressées à Sabine Drexler. Son excellent rapport concerne un sujet identifié lors du débat budgétaire : interpellé sur l'adéquation du DPE au bâti patrimonial, le ministère de la culture n'avait pas semblé disposé à prendre suffisamment de temps pour réintroduire un peu d'intelligence publique dans la marche forcée du DPE. La question de la politique du patrimoine non classé ou non inscrit mérite d'être approfondie : elle n'est pas traitée par le ministère de la culture alors que le patrimoine relève de sa compétence. Le bâti patrimonial a une valeur esthétique et historique qui s'exprime dans tous les territoires ; cependant, la réglementation environnementale a singulièrement tendance, ces dernières années, à déconsidérer voire disqualifier ce patrimoine. Peut-être faudrait-il envisager d'assortir la recommandation du rapport portant sur l'interministérialité d'un encouragement adressé au ministère de la culture pour qu'il s'empare de la problématique du patrimoine non protégé.

J'estime également nécessaire de soulever la question du bilan carbone global du patrimoine bâti, de l'adaptation du DPE et des conditions de sa mise à niveau thermique - on pourrait même l'exiger de la part du ministère de la Transition écologique. Je pense que l'analyse ferait apparaitre de façon plus nuancée les avantages et les inconvénients de cette politique publique dont l'évaluation fait cruellement défaut au plan patrimonial.

Je rebondis également sur la question des outils fiscaux en soulignant que la réduction d'impôt « Denormandie » est sous-utilisée alors qu'elle était justement ciblée sur le patrimoine non protégé des coeurs de ville ou de bourgs dont la qualité architecturale mérite d'être préservée de gestes tendant à le défigurer. Il faut à mon sens pousser les feux sur ce dispositif Denormandie utilisé de façon trop marginale dans les petites communes relevant des plans « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain ».

Enfin, il convient de faire évoluer les critères utilisés en matière de DPE pour prendre en compte les qualités reconnues au bâti d'avant 1949. Les prescriptions qui découlent de ces diagnostics ne sont pas à la hauteur de la qualité du bâti ancien, voire délétères pour celui-ci. La situation ainsi créée est même contre-productive en matière de politique de logement - il serait d'ailleurs souhaitable d'inclure le ministre en charge du Logement dans la boucle interministérielle. Ce ne sont pas les dramatiques événements récents sur le bâti ancien non protégé qui vont contredire cette affirmation : celui-ci est véritablement maltraité dans certains centres-villes. Il y a donc sur ce sujet une urgence à agir.

M. Max Brisson. - Je partage largement tout ce qui vient d'être dit. En complément, je voudrais d'abord saluer la plus-value qu'apporte le rapport de Sabine Drexler sur le sujet sensible du patrimoine : notre collègue a mis tout son coeur dans ce travail qui reflète également son engagement d'élue locale d'un territoire alsacien qui abrite un patrimoine exceptionnel qu'elle défend avec beaucoup d'ardeur.

J'ajoute qu'après avoir assez mal vécu un certain nombre de débats comme celui sur la loi relative aux énergies renouvelables, ce rapport nous permet de repasser de la défensive à l'offensive en formulant des propositions. Il s'agit, tout en restant pleinement engagé dans la transition écologique énergétique, de ne pas pour autant remettre en cause des politiques patrimoniales sur lesquelles notre pays - après avoir commis bien des erreurs - avait pris des positions fortes.

Enfin, je souligne qu'il ne faudrait pas qu'au nom de la transition écologique et énergétique, la haute administration et l'État central reprennent la main sur la totalité de ces politiques et les confient à une technocratie en invoquant la nécessité de sauver la planète. Tous ces sujets soulèvent, en arrière-plan, la question de la confiance accordée aux élus pour porter ces politiques publiques. Les élus ont montré qu'ils s'orientaient vers la transition énergétique et écologique, mais de façon enracinée dans leurs territoires et articulée avec d'autres politiques construites localement. Il ne faudrait pas que le seul axe environnemental éradique les autres initiatives de terrain et devienne une occasion de recentralisation et de planification avec, de manière sous-jacente, un procès adressé aux élus.

M. Laurent Lafon, président. - Je félicite Sabine Drexler en soulignant l'importance de ce rapport pour notre commission et même bien au-delà des murs de notre assemblée. Au Sénat, la question du patrimoine est un sujet qui est perpétuellement interrogé par un certain nombre de nos collègues siégeant dans toutes les commissions. En témoigne le tout récent débat intervenu dans le cadre des travaux du groupe de travail consacré à la décentralisation, dont les travaux sont quasiment terminés, qui a donné lieu à une remise en cause du travail des architectes des bâtiments de France (ABF) en préconisant d'introduire la collégialité dans la prise de décision
- comme quoi il nous reste du chemin à parcourir pour sensibiliser nos collègues à l'importance de la dimension patrimoniale.

Le présent rapport opportunément qualifié d'offensif par Max Brisson va donc dans le bon sens et je rappelle que le ministre de la culture souhaitait pouvoir prendre appui sur nos travaux pour surmonter ses difficultés à faire passer un message patrimonial au sein du Gouvernement. Le combat est encore largement devant nous, mais nous disposons à présent d'un rapport de référence.

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - Je vous remercie sincèrement pour vos réactions très positives. Assurément, si on laisse faire les choses, on risque un saccage patrimonial, une banalisation esthétique de la France et une accentuation de la crise du logement en excluant du parc des dizaines de milliers de logements alors que le patrimoine est exceptionnellement écologique, durable et performant, autant en termes de longévité que de soutenabilité.

M. Laurent Lafon, président. - Nous allons tout de même soumettre au vote le rapport et je pense qu'il n'y a pas d'opposition à procéder à un vote global sur ses recommandations.

Les recommandations sont adoptées à l'unanimité.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 5 avril 2023

- Syndicat interprofessionnel du diagnostic immobilier, de l'analyse et de la numérisation de l'existant (Sidiane) : M. Raphael EULRY, délégué général.

Mercredi 19 avril 2023

- Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) : Mme Anne-Claire MIALOT, directrice générale.

Mercredi 10 mai 2023

- Agence nationale de l'habitat (ANH) : Mme Jessica BROUARD-MASSON, directrice de l'expertise et des politiques publiques.

Mercredi 24 mai 2023

- Direction générale des patrimoines et de d'architecture : M. Jean-François HEBERT, directeur général, Mme Isabelle CHAVE, sous-directrice des monuments historiques et des sites patrimoniaux.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE
ET DE SUIVI DES RECOMMANDATIONS

Recommandations

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

(le cas échéant)

Support

1

Adapter le diagnostic de performance énergétique aux spécificités du bâti ancien

ð Élaboration d'un DPE spécial « bâti ancien » ou intégration de nouveaux critères à ses modalités de calcul permettant de prendre en compte ses spécificités

ð Retour à la méthode de calcul du DPE sur facture pour le bâti ancien en attendant

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en concertation avec le ministère de la culture

2025

Textes réglementaires et infra-réglementaires

2

Prémunir le bâti ancien contre les rénovations thermiques inappropriées

ð Normalisation de matériaux et de techniques compatibles avec la rénovation énergétique du bâti ancien. Ex : Interdiction de l'isolation par l'extérieur des maisons à colombages, à pans de bois ou celles dont la façade est recouverte de pierres apparentes

ð Intégration de critères liés à l'impact environnemental et à la durabilité des travaux engagés pour l'élaboration des prescriptions de travaux

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en concertation avec le ministère de la culture

2024

Textes réglementaires et infra-réglementaires

3

Former les diagnostiqueurs, les accompagnateurs Rénov', les bureaux d'études, les maîtres d'oeuvre et les artisans aux spécificités de la performance et de la rénovation thermique du bâti ancien

ð Mise en place de certifications spécifiques

ð Contrôle des organismes de certification

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en concertation avec le ministère de la culture

Premier semestre 2024

Textes réglementaires et infra-réglementaires

4

Réorienter la formation dispensée aux futurs architectes en donnant davantage de place aux questions liées
à la réhabilitation du bâti ancien

Ministère de la culture

Au plus tard à la rentrée 2024/2025

Textes réglementaires et infra-réglementaires

5

Encourager les collectivités territoriales à identifier le patrimoine bâti à préserver dans leurs documents d'urbanisme

ð Conditionnalité ou bonification du taux de subvention au recensement du patrimoine à protéger dans les documents d'urbanisme (PLU)

État
Régions
Départements

2024

Textes réglementaires et infra-réglementaires

6

Soutenir la recherche fondamentale et appliquée

ð Soutien financier à la recherche fondamentale et appliquée

ð Accroissement des dotations du Cerema

ð Accompagnement du développement de filières de production de matériaux de construction locales

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Loi de finances pour 2024

Textes budgétaires

7

Sensibiliser les propriétaires et les collectivités territoriales aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse du bâti ancien

Ministère de la culture

4e trimestre 2023

Textes réglementaires et infra-réglementaires

8

Réorienter les aides financières pour leur permettre d'accompagner des rénovations énergétiques respectueuses du bâti ancien

ð Prise en compte des caractéristiques du bâti ancien dans la conditionnalité des aides publiques allouées en faveur de la rénovation énergétique

ð Valorisation de l'utilisation de matériaux bio-sourcés en circuit court dans l'octroi des aides

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en concertation avec le ministère de la culture

2024

Textes réglementaires et infra-réglementaires

9

Extension du label de la Fondation du patrimoine aux travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien dans les communes de moins de 50 000 habitants

Parlement

2024

Proposition de loi

10

Réforme des dispositifs « Denormandie » et « Malraux » pour mieux accompagner les travaux de rénovation énergétique dans l'ancien

Parlement

Loi de finances pour 2024

Textes budgétaires

11

Organiser des États généraux du patrimoine durable

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en partenariat avec le ministère de la culture

Premier semestre 2024

Réunion

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