B. S'ILS ONT FORTEMENT BAISSÉ DEPUIS LE DÉBUT DE L'ANNÉE, LES PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ EN FRANCE DEMEURENT PLUS ÉLEVÉS QU'AILLEURS EN EUROPE ; LEUR ÉVOLUTION EST INCERTAINE

1. Après avoir atteint son acmé en 2022, la crise des prix de l'électricité s'atténue même si les prix restent très nettement supérieurs à leur niveau d'avant crise
a) L'automne et l'hiver 2021 : la première phase de la crise

Dans le sillage de la hausse des prix du gaz, en raison du système de formation des prix de l'électricité sur le marché européen (voir encadré infra), les prix de gros de l'électricité se sont envolés à partir de l'automne 2021 pour atteindre des sommets historiques jamais observés auparavant.

Pourquoi la hausse des prix de l'électricité est-elle corrélée à celle du gaz ? La formation des prix de l'électricité sur le marché européen selon la règle de « l'ordre de mérite »

Dans le cadre du marché européen de l'énergie, et selon le principe dit de « l'ordre de mérite » ou de la « vente au coût marginal », la formation du prix de gros de l'électricité est déterminée par le prix de production de la dernière centrale nécessaire pour satisfaire la demande. C'est la centrale dite « marginale ».

En règle générale, en Europe, en cas de pic de consommation, il s'agit souvent d'une centrale à gaz. Cette modalité de fixation des prix de gros de l'électricité explique la dépendance des prix de l'électricité à l'évolution des cours du gaz.

Le prix de l'électricité sur les marchés « spot » à court terme est extrêmement dépendant de l'évolution du prix des intrants qui alimentent les centrales électriques marginales et donc particulièrement des cours du gaz.

Source : commission des finances du Sénat

Alors qu'avant la crise, la moyenne de prix s'établissait autour de 50 euros par mégawattheure (MWh) et que le précédent record historique était de 93 euros/MWh lors de la crise financière de 2008, les prix du marché à terme de douze mois (CAL Y+1) ont constamment progressé au cours de l'hiver 2021-2022 pour dépasser les 400 euros/MWh au mois de janvier 2022.

Évolution des prix de marché à terme (un an, deux ans et trois ans) de l'électricité (juin 2021 - juin 2022)

(en euros/MWh)

Source : site internet du courtier Opéra énergie

b) L'été 2022 : le paroxysme de la crise

Dès le mois de juin 2022, la crise des prix de l'électricité a repris de plus belle pour atteindre son apogée en août 2022, mois au cours duquel les prix de gros à douze mois ont tutoyé les 1 200 euros/MWh. Ils ont ensuite fluctué entre 500 et 600 euros/MWh jusqu'à l'automne avant de retomber autour de 450 euros en fin d'année.

Évolution des prix de marché à terme (un an, deux ans et trois ans) de l'électricité (juin 2022 - juin 2023)

(en euros/MWh)

Source : site internet du courtier Opéra énergie

En France, en 2022, la crise des prix de l'électricité s'est trouvée exacerbée par une production d'électricité historiquement basse en raison des difficultés d'exploitation du parc nucléaire d'EDF. Alors que les maintenances liées au programme de « grand carénage »3(*), avaient pris du retard, l'opérateur a été confronté à un phénomène de corrosion sous contrainte qui l'a conduit à mettre à l'arrêt de nombreux réacteurs afin de les inspecter. Au total, 26 réacteurs, soit la moitié du parc, étaient à l'arrêt à l'automne 2022. En outre, la sécheresse de l'année 2022 a provoqué une réduction importante de la production électrique d'origine hydraulique. Cette situation explique qu'en 2022, la hausse des prix de l'électricité a été plus forte en France qu'ailleurs en Europe, notamment en Allemagne.

Dans une étude du mois de décembre 2022 consacrée aux prix de gros de l'électricité en 20224(*), la CRE a analysé les raisons de l'explosion des prix. Elle met notamment en exergue l'extrême illiquidité du marché de l'électricité en France au moment du paroxysme de la crise. Elle note notamment que « dans cette situation de très forte incertitude, la couverture individuelle des risques liés aux activités physiques (production, fourniture, consommation, échanges aux frontières) conduit d'un côté à des achats supérieurs à la moyenne des besoins anticipés et de l'autre côté à une réduction des ventes sur les marchés à terme. Cela contribue mécaniquement à une tension sur les marchés à terme encore plus forte que celle de l'équilibre physique global anticipé, de nature à expliquer, au moins en partie, le renchérissement des prix en France ». En raison des craintes sur la disponibilité du parc nucléaire français, le marché de l'électricité a ainsi été soumis à une tension extrême au cours de l'été et de l'automne 2022. Elle note également que « les volumes échangés sur les marchés à terme français ont significativement chuté en 2022 » rendant ainsi la couverture des risques plus difficile et contribuant à une plus grande volatilité des prix de marché.

c) 2023 : malgré une baisse significative, les prix demeurent élevés et les facteurs de volatilité restent présents en France

Depuis le mois de décembre 2022, on observe une détente des prix de marché. L'amorce de cette détente est corrélée avec la diminution observée sur les prix du gaz mais aussi avec la hausse progressive des capacités de production du parc nucléaire d'EDF et la douceur de l'hiver 2022-2023. Les prix constatés depuis le mois de janvier 2023, autour de 200 euros/MWh5(*) restent encore quatre fois supérieurs au niveau moyen observé avant la crise.

En mars et en avril 2023, un ressaut inquiétant des prix a été constaté en France, en décalage avec l'évolution des prix constatés chez nos voisins, notamment allemands. Le marché de l'électricité français était alors de nouveau confronté à un manque de liquidité et de profondeur. Cette situation témoignait des incertitudes persistantes relatives à la production du parc nucléaire français au cours de l'hiver 2023-2024. Ces inquiétudes provenaient probablement des nouvelles difficultés liées aux phénomènes de corrosion sous contrainte ainsi qu'à l'impact des grèves dans les centrales sur les opérations de maintenance du parc.

Cet épisode révèle l'incertitude forte qui demeure sur l'évolution des prix de l'électricité en France ce qui complique la capacité des pouvoirs publics à se projeter pour calibrer de façon suffisamment anticipée d'éventuels prolongements des mécanismes de soutiens aux consommateurs mis en place depuis la fin de l'année 2021.

2. L'exposition des consommateurs à la volatilité des prix de marché

a) Les tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe) sont de plus en plus exposés à la volatilité des prix de marché

Les dispositions du code de l'énergie réservent aujourd'hui l'éligibilité des TRVe aux ménages6(*) et aux petits « consommateurs finals non domestiques », notamment des TPE ou de petites communes qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total de bilan annuels ne dépassent pas 2 millions d'euros, à condition que la puissance d'électricité souscrite des sites concernés soit inférieure ou égale à 36 kilovoltampères (kVA). Les TPE dont les niveaux de consommation électrique sont importants ne sont donc pas éligibles aux TRVe. Une majorité des boulangers, des bouchers, des fleuristes et des petits restaurateurs se retrouvent par exemple dans cette situation.

Au 30 septembre 2022, d'après le bilan de l'ouverture des marchés de détail de l'énergie pour le troisième trimestre 2022 publié par la CRE en mars 2023, 21,5 millions de ménages en France bénéficient d'une offre au TRVe ainsi que 1,5 million de sites non résidentiels.

Les tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe) sont ce que l'on appelle des tarifs « intégrés » ayant vocation à couvrir tant les coûts de production que les coûts de commercialisation et d'acheminement. Conformément aux dispositions du code de l'énergie, la CRE transmet au moins une fois par an au Gouvernement des propositions motivées de TRVe. Le calcul de ces TRVe passe par l'application du principe dit de « l'empilement des coûts » qui doit rendre ce tarif reproductible et « contestable » par les fournisseurs alternatifs. Le niveau des TRVe se trouve ainsi déterminé par l'addition des coûts suivants :

- le coût d'approvisionnement de la part relevant des droits théoriques au dispositif de l'ARENH, fixé à un montant, censé refléter les coûts de production du parc nucléaire, de 42 euros par mégawattheure aujourd'hui, très nettement inférieur aux prix du marché de l'électricité ;

- le coût d'approvisionnement du complément de fourniture après achat des volumes d'ARENH (dit « complément de marché ») et relevant des achats de produits à terme sur les marchés de gros de l'électricité, qui explique la dépendance partielle des TRVe aux évolutions des prix de gros sur le marché européen ;

- le coût d'approvisionnement en capacité, établi à partir des références de prix issues des enchères du mécanisme d'obligation de capacité ;

- le coût d'acheminement par les réseaux de transport et de distribution d'électricité ;

- le coût de commercialisation7(*) ;

- et enfin la rémunération de l'activité de fourniture d'électricité.

Description de la détermination des TRVe par la CRE
selon la méthodologie de l'empilement des coûts

Source : rapport de la Cour des comptes sur l'organisation des marchés de l'électricité, juillet 2022

Le complément de marché calculé par la CRE correspond à la moyenne des prix de marché à terme pour une année donnée lissée sur 24 mois. Ce système permet d'atténuer l'exposition des TRVe à l'évolution des prix de gros de l'électricité.

Dans le calcul réalisé par la CRE pour 20238(*) le complément de marché représente 33 % de la part d'approvisionnement, soit 17 % du total des TRVe non gelé9(*) HT. Pour mesurer l'exposition globale des TRVe aux prix de gros il est nécessaire de prendre en compte le coût du complément d'approvisionnement en énergie et en garanties de capacité consécutif à l'écrêtement de l'ARENH. En effet, puisque les demandes d'ARENH sont structurellement supérieures au plafond de 100 térawattheures (TWh), le volume initialement pris en compte dans la construction des TRVe, qui correspond aux droits théoriques, est écrêté et une part d'approvisionnement de marché complémentaire doit être ajoutée dans la détermination du niveau des TRVe10(*). Au total, les TRVe se trouvent désormais exposés aux prix de marché à hauteur d'environ 50 % de la part approvisionnement. Dans un rapport de juillet 2022 sur l'organisation des marchés de l'électricité, la Cour des comptes souligne l'exposition de plus en plus forte des TRVe aux prix de marché.

Évolution de la part « fourniture d'énergie » (ARENH et marché) des TRVe
entre 2016 et 2022

(en euros / MWh)

Source : rapport de la Cour des comptes sur l'organisation des marchés de l'électricité, juillet 2022

Cette évolution explique en partie l'augmentation régulière des TRVe TTC depuis 2014.

Évolution des différentes composantes des TRVe toutes taxes comprises (TTC) destinés aux ménages entre 2013 et 2022

(en euros / MWh)

Source : rapport de la Cour des comptes sur l'organisation des marchés de l'électricité, juillet 2022

En 2023, les propositions de TRVe non gelés de la CRE11(*) ont révélé de nouvelles hausses de près de 80 % par rapport aux TRVe non gelés proposés en 202212(*) qui avaient déjà augmenté de 45 % par rapport à 2021.

b) Les consommateurs non éligibles aux TRVe sont encore davantage exposés à la volatilité des prix de marché de l'électricité

Si les TRVe se trouvent être de plus en plus affectés par le niveau des prix de marché, l'exposition à la volatilité de ces derniers est encore bien plus prononcé pour les entités qui ne sont pas éligibles aux TRVe.

Ainsi, les TPE qui disposent d'un compteur électrique d'une puissance supérieure à 36 kVA, les petites et moyennes entreprises (PME), les entreprises de taille intermédiaire (ETI) concluent, en moyenne pour une durée de trois ans, des contrats de fournitures sur la base d'offres aux tarifs non régulés proposés par les fournisseurs. Les tarifs prévus dans ces contrats sont par définition plus volatiles et plus dépendants des évolutions des prix de gros de l'électricité. Tout particulièrement dans la période de volatilité extrême actuelle, ces entités se trouvent extrêmement contraintes par la période au cours de laquelle elles doivent renouveler leur contrat.

Enfin, certains gros industriels électro-intensifs se fournissent directement sur les marchés, ce qui les expose davantage à la volatilité de ces derniers.


* 3 Qui doit permettre de prolonger la vie des centrales nucléaires construites dans les années 1970 au-delà de 40 ans d'exploitation.

* 4 Rapport sur les prix à terme de l'électricité pour l'hiver 2022-2023 et l'année 2023, CRE, décembre 2022.

* 5 Pour des livraisons en 2024.

* 6 Ou « consommateurs finals domestiques ».

* 7 Les coûts de commercialisation retenus par la CRE sont ceux d'EDF.

* 8 Délibération n° 2023-17 de la CRE du 19 janvier 2023 portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité.

* 9 C'est-à-dire avant application du bouclier tarifaire.

* 10 Pour calculer cette part, la CRE prend en compte une moyenne des prix à terme des deux derniers mois de l'année qui précède l'année de livraison.

* 11 Délibération n° 2023-17 de la CRE du 19 janvier 2023 portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité.

* 12 Délibération n° 2022-08 de la CRE du 18 janvier 2022 portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité.

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