II. L'ORDONNANCE SOUMISE À RATIFICATION PROCÈDE, DE FACON TARDIVE MAIS COHÉRENTE, AUX ADAPTATIONS NÉCESSAIRES DU CODE GÉNÉRAL DE LA PROPRIÉTÉ DES PERSONNES PUBLIQUES

A. UNE ORDONNANCE PRISE SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 74-1 DE LA CONSTITUTION, DONT LA RATIFICATION DOIT INTERVENIR RAPIDEMENT

L'ordonnance du 24 mai 2023 a été prise sur le fondement de l'habilitation permanente conférée au Gouvernement par l'article 74-1 de la Constitution. Elle doit, sous peine de caducité, être ratifiée par le Parlement avant le 25 novembre 2024.

L'habilitation permanente prévue par l'article 74-1 de la Constitution

L'article 74-1 de la Constitution prévoit un mécanisme permanent d'habilitation permettant au Gouvernement d'intervenir par ordonnances, dans les matières relevant de la compétence de l'État, pour étendre et adapter les dispositions de nature législative en vigueur en métropole aux collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et à la Nouvelle-Calédonie.

Cette faculté est doublement encadrée sur le plan procédural8(*) :

- d'une part, l'ordonnance ne peut être prise qu'après avis de l'assemblée délibérante de la collectivité concernée ;

- d'autre part, elle doit être ratifiée par le Parlement, sous peine de caducité, dans un délai de dix-huit mois à compter de sa publication.

Interrogée par le rapporteur, l'assemblée de Polynésie française a indiqué avoir été saisie du projet d'ordonnance, sans avoir toutefois été en mesure de rendre son avis en raison du contexte d'élections territoriales polynésiennes (qui se sont tenues les 16 et 30 avril 2023).

Dans ces conditions, l'avis de l'assemblée a été réputé favorable, en l'absence de réponse à l'issue d'un délai d'un mois. Au cours de ses travaux, conduits dans un esprit d'ouverture et de concertation, le rapporteur s'est donc attaché à recueillir l'avis et les observations des représentants polynésiens.

B. UNE ACTUALISATION COHÉRENTE DES DISPOSITIONS DU CODE GÉNÉRAL DE LA PROPRIÉTÉ DES PERSONNES PUBLIQUES, DANS LE PROLONGEMENT DE LA RÉFORME DE 2019

1. Une codification fidèle aux principes fixés par la loi organique de 2019

L'ordonnance du 24 mai 2023 réforme le chapitre du CG3P consacré à la Polynésie française, dont le premier article (L. 5611-1) énonce désormais que les dispositions du code sont « applicables de plein droit en Polynésie française au domaine public et privé de l'État et de ses établissements publics », sous réserve des adaptations prévues par le même chapitre.

Par conséquent, est abrogé l'article L. 5611-2 qui énumérait par mention expresse les articles du code applicables à la Polynésie française, conformément à la technique du « compteur Lifou ».

Les compteurs Lifou

Les « compteurs Lifou » constituent une technique de rédaction des dispositions d'application outre-mer des textes législatifs et réglementaires visant à assurer la traçabilité de l'extension des dispositions normatives et de leurs modifications pour les collectivités soumises au principe de spécialité législative.

En effet, dans sa décision d'assemblée du 9 février 1990, « Élections municipales de Lifou »9(*), le Conseil d'État a jugé qu'une loi ou qu'un décret modifiant le droit en vigueur dans une collectivité d'outre-mer doit comporter la mention expresse d'application outre-mer. À défaut, le texte antérieur demeure en vigueur dans le territoire concerné.

Cette jurisprudence a fait évoluer les règles d'écriture, induisant des rédactions différentes de cette mention en fonction de l'auteur du texte qui ont engendré des incohérences et incertitudes sur le droit applicable.

Afin d'harmoniser les pratiques, le Conseil d'État, dans un avis du 7 janvier 201610(*), a proposé au Gouvernement, qui l'a accepté, l'adoption d'une technique de rédaction désignée comme « compteur Lifou », du nom de cette commune française de la Nouvelle-Calédonie.

Désormais, la disposition du texte applicable dans une collectivité soumise au principe de spécialité est signalée par la mention que ce texte est désormais applicable « dans sa rédaction résultant de la loi (ou du décret) n° ...du ... ». Chaque modification ultérieure est opérée par une modification de la référence du texte. Dans les codes figurent désormais un tableau indiquant, en deux colonnes, pour chaque collectivité concernée, les dispositions du code qui sont étendues et la rédaction dans laquelle elles sont applicables.

2. La mise en oeuvre des adaptations techniques nécessaires au respect des spécificités et des compétences polynésiennes

En corollaire de la mise en oeuvre d'un régime d'applicabilité de plein droit, les articles 2, 3 et 4 de l'ordonnance visent à adapter au cadre administratif et juridique de la Polynésie française les règles de droit commun applicables en matière d'acquisition, de gestion et de cession des biens du domaine de l'État.

À cet effet, quinze nouveaux articles sont insérés au livre VI de la cinquième partie du CG3P, qui tendent à couvrir trois principaux enjeux.

a) Écarter l'application de règles domaniales relevant de compétences réservées à la Polynésie française

La loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 précitée réserve, en ses articles 19 et 47, à la Polynésie française une compétence exclusive pour recourir à certaines méthodes d'acquisition de biens.

Tendant à éviter tout empiètement sur le domaine de compétence de la Polynésie française, l'article 2 de l'ordonnance exclut, dès lors, expressément l'application par l'État de ces procédures d'acquisition, dont la dation en paiement, le droit à la préemption ou encore les procédés d'acquisition à titre gratuit que sont les biens sans maîtres, les successions en déshérence et les sommes et valeurs prescrites.

Dans la même logique, les articles 3 et 4 de l'ordonnance écartent également les dispositifs relatifs, respectivement, à la gestion et à la cession des biens acquis selon les procédés susmentionnés.

En tout état de cause, les autres mesures d'acquisition par l'État à titre gratuit ou selon des procédés de contrainte s'appliquent en Polynésie française selon les règles de droit commun. Il en va notamment ainsi des règles d'expropriation.

Dispositions du CG3P non-applicables en Polynésie française

Mesure exclue

Disposition du CG3P visée

Fondement juridique

Acquisition

Gestion

Cession

Dation en paiement

L'article L.1111-5 fait référence à l'article 1716 bis du CGI qui énumère les cas où les droits de mutation à titre gratuit et le droit de partage peuvent être acquittés à l'Etat par dation en paiement.

   

La fiscalité relève de la compétence de la Polynésie française en tant qu'elle n'a pas été attribuée à l'État par l'article 14 de la loi organique statutaire.

L'article LP. 12 de la loi du pays n° 2021-53 du 21 décembre 2021 relative au domaine privé de la Polynésie française instaure ce procédé de dation en paiement, dans les conditions définies par le code des impôts polynésiens (art. LP 742-1 à 742-5).

Droit de préemption, à l'exception des biens mobiliers patrimoniaux

Les articles L. 1112-3 à L. 1112-5 prévoient le recours au droit de préemption comme mode d'acquisition des biens immobiliers.

L'article L. 1112-8 concerne le droit de préemption mobilier de la Bibliothèque nationale de France.

   

L'article 19 de la loi organique statutaire donne expressément la compétence à la Polynésie française, et plus particulièrement au conseil des ministres (article 91, 20°), pour exercer un droit de préemption immobilier « dans le but de préserver l'appartenance de la propriété foncière au patrimoine culturel de la population de la Polynésie française et l'identité de celle-ci, et de sauvegarder ou de mettre en valeur les espaces naturels ».

Est toutefois préservée la possibilité pour l'État de préempter, pour son propre compte, des biens mobiliers à valeur culturelle. Les dispositions pertinentes du code du patrimoine auxquelles renvoie l'article L. 1112-7 du CG3P sont, en effet, applicables en Polynésie française (article L. 750-1 du code du patrimoine).

Successions en déshérence

L'article L. 1122-1 habilite l'Etat à prétendre aux successions en déshérence.

 

L'article L. 3211-9 encadre l'aliénation par l'Etat des biens immobiliers et mobiliers provenant de successions en déshérence.

L'article 47 de la loi organique du 27 février 2004 inclut dans le domaine de la Polynésie française les biens des personnes qui décèdent sans héritier ou dont les successions ont été abandonnées.

Ce procédé est précisé dans la loi de pays n° 2021-53 du 21 décembre 2021 relative au domaine privé de la Polynésie française.

Biens sans maîtres

Les articles L. 1123-1 à L. 1123-3 définissent les biens sans maître et fixent la procédure d'acquisition de ces biens.

L'article L. 2222-20 est relatif aux conditions de restitution des biens sans maître qui relèvent de la compétence de la Polynésie française.

L'article L. 3211-8 est relatif aux cessions à l'amiable des immeubles à destination agricole au titre des biens sans maître.

L'article 47 de la loi organique de 2004 inclut dans le domaine de la Polynésie française les biens sans maître.

Ce procédé est précisé dans la loi de pays n° 2021-53 du 21 décembre 2021 relative au domaine privé de la Polynésie française.

Sommes et valeurs prescrites

Les articles L. 1126-1 à L. 1126-4 définissent et encadrent la remise à l'Etat des sommes et valeurs prescrites détenues par les banques et autres sociétés commerciales.

Les articles L. 2222-21 et L. 2222-22 instituent un droit de communication auprès des banques et établissements dans le cadre des sommes et valeurs prescrites.

 

L'article 47 de la loi organique de 2004 inclut dans le domaine de la Polynésie française les valeurs, actions et dépôts en numéraire atteints par la prescription dans les délais prévus pour l'Etat.

Ce procédé est précisé dans la loi de pays n° 2021-53 du 21 décembre 2021 relative au domaine privé de la Polynésie française

Mise en valeur des terres incultes

 

L'article L. 2222-23 est un article de renvoi à des dispositions du code rural et de la pêche maritime (CRPM) concernant les terres incultes ou manifestement sous-exploitées.

 

L'aménagement foncier rural relève de la compétence de la Polynésie française en tant qu'il n'a pas été attribué à l'État par l'article 14 de la loi organique statutaire.

Les dispositions du code rural et de la pêche maritime auxquelles renvoie le CG3P sont, au demeurant, inapplicables en Polynésie française (article L. 185-1 du CRPM).

Source : commission des lois

b) Ajuster les procédures au cadre juridique et administratif local

L'ordonnance prévoit plusieurs adaptations à l'endroit des articles mentionnant, d'une part, des dispositions législatives renvoyant à des codes inapplicables en Polynésie française et, d'autre part, des éléments qui n'ont pas d'équivalent local et qui ne sont donc pas pertinents dans le contexte polynésien.

Il est ainsi fait état à l'article 3 de l'inapplicabilité du code civil (articles L. 5632-1) et du code de la santé publique (L. 5632-4), ainsi que de l'absence de société d'aménagement foncier et d'établissement rural en Polynésie française (L. 5632-3)11(*).

En outre, l'article adapte au cadre institutionnel local la procédure d'affectation des biens transférés à l'État à la suite d'une décision judiciaire. La procédure antérieurement suivie était celle issue de l'article L. 69-2 du code du domaine de l'État, qui prévoyait un arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé du domaine. Conformément à ce qui est pratiqué en Nouvelle-Calédonie ou à Wallis-et-Futuna, la prise de décision est désormais déconcentrée au niveau du Haut-commissaire de la République en Polynésie française (article L. 5632-2).

c) Harmoniser les législations domaniales entre les différents textes

Dans un objectif d'amélioration de la cohérence et de la lisibilité des règles de droit domanial, l'ordonnance harmonise les conditions d'acquisition des biens culturels énoncées par le CG3P avec les dispositions du code du patrimoine applicables en Polynésie française.

Dans ce cadre, l'article 2 limite à droit constant l'acquisition gratuite par l'État des biens culturels maritimes prévue par l'article L. 532-2 du code du patrimoine à ceux « situés dans le domaine public maritime de l'État », selon les termes de l'article L. 750-2 du même code. Résiduel, le domaine public maritime de l'État se limite aux dépendances nécessaires à l'exercice par l'État de ses compétences en matière de défense et de sécurité.

Pour réduire la dispersion des normes, l'article 4 de l'ordonnance codifie un dispositif, figurant au III de l'article 169 de la loi de finances pour 201112(*), d'aliénation des terrains du domaine privé de l'État à un prix inférieur à la valeur vénale, en vue de la réalisation de programmes de construction de logements locatifs sociaux ou d'équipements collectifs13(*).

Parachevant cet exercice de codification, l'article 5 de l'ordonnance procède à l'abrogation des dispositions devenues en conséquence obsolètes, dont le III de l'article 169 de la loi des finances pour 2011 susmentionné.

Plus généralement, l'application des règles domaniales de droit commun permet d'abroger, en tant qu'elles s'appliquent en Polynésie française, les différentes mesures, dont celles du code du domaine de l'État, qui avaient été maintenues en vigueur, pour les collectivités ultramarines, par l'article 10 de l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques.


* 8 L'article 74-1 de la Constitution dispose que ces « ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis des assemblées délibérantes intéressées et du Conseil d'État. Elles entrent en vigueur dès leur publication. Elles deviennent caduques en l'absence de ratification par le Parlement dans le délai de dix-huit mois suivant cette publication ».

* 9 CE Ass., 9 février 1990, Élections municipales de Lifou, n° 107.400.

* 10 Conseil d'Etat, AG du 7 janvier 2016, n°391040.

* 11 L'article 4 de l'ordonnance adapte également des procédures basées sur des dispositions de textes et de codes inapplicables en Polynésie française. Il est ainsi fait état des conditions d'application du code de l'expropriation (art. L. 5641- 1), du code forestier et du code de la voirie routière (art. L. 5641-2 et, par coordination, art. L. 5641-7), de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique (art. L. 5641-6) ainsi que du code du travail, du code du patrimoine et du code de l'environnement (art. L. 5641-8)

* 12 Loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011.

* 13 Le dispositif applicable en Polynésie française se fonde sur le mécanisme de droit commun, introduit par l'article 95 de la loi n°2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. Il est toutefois plus favorable puisque la décote, répercutée intégralement sur le coût des opérations, est fixée à 100 % de la valeur vénale du bien.

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