II. UN ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE COMPLÉTÉ DANS LA PERSPECTIVE D'UNE SORTIE PROGRESSIVE DU CONFINEMENT
A. UNE CONSOLIDATION DE LA BASE LÉGALE POUR LES PLACEMENTS EN QUARANTAINE OU À L'ISOLEMENT
1. L'identification et l'isolement des personnes affectées : un axe fort de la stratégie de déconfinement imaginée par le Gouvernement
Bien que les détails n'en soient, pour l'heure, pas connus, la stratégie de déconfinement annoncée par le Gouvernement reposera, ainsi que l'a rappelé le Premier ministre, sur trois principes : « protéger, tester, isoler ».
La protection, dont il a déjà largement été fait application au cours de la période de confinement, impliquera, outre la mise en oeuvre des mesures barrières et de distanciation sociale, une généralisation du port de masques dans les espaces qui se caractérisent par une forte concentration de population, comme les transports en commun, voire dans l'espace public dans son ensemble.
Il est ensuite envisagé de tester massivement la population . L'objectif annoncé par le Gouvernement est de réaliser au moins 700 000 tests virologiques par semaine à partir du 11 mai, grâce à la mobilisation conjointe des laboratoires publics et privés, mais également avec la participation des laboratoires de recherche et des laboratoires vétérinaires.
Enfin, cette politique de tests devrait ouvrir la voie à une politique de placement à l'isolement des personnes porteuses du virus, dans le but de casser les chaînes de transmission. Il s'agit de l'une des principales préconisations formulées par le conseil de scientifiques dans le cadre de son avis du 20 avril 2020 portant sur la sortie du confinement, qui rappelle qu'une telle stratégie a permis de mettre fin à des épidémies très importantes, comme l'épidémie de Ebola.
2. Des mesures de quarantaine et d'isolement précisées et clarifiées dans leur champ d'application
a) Un cadre fragile sur le plan constitutionnel
S'agissant de la mise en oeuvre de ce troisième axe de la stratégie gouvernementale, le Premier ministre a, lors de son allocution devant l'Assemblée nationale, très largement fait appel à la responsabilisation de chaque Français , indiquant : « L'isolement doit être expliqué, consenti et accompagné. Notre politique repose, à cet égard, sur la responsabilité individuelle et sur la conscience que chacun doit avoir de ses devoirs à l'égard des autres. Nous prévoirons des dispositifs de contrôle, au cas où ils seraient nécessaires, mais notre objectif est de nous reposer largement sur le civisme de chacun . »
Si le principe de l'isolement volontaire et consenti semble en définitive bien privilégié dans la majorité des cas, le Gouvernement souhaite soumettre à un contrôle renforcé les personnes arrivant depuis l'étranger sur le territoire national ou circulant entre le territoire national et les départements et collectivités d'outre-mer ainsi que la Corse, notamment dans le but de limiter les risques d'importation du virus dans des zones encore peu touchées ou fragiles.
Les dispositions du code de la santé publique relatives à l'état d'urgence sanitaire, introduites par la loi d'urgence du 23 mars 2020, permettent d'ores et déjà au Premier ministre d'ordonner des mesures de quarantaine et des mesures d'isolement 7 ( * ) . Dans la pratique, il a effectivement été fait usage de ces dispositions au cours des dernières semaines, mais uniquement à l'arrivée dans les collectivités ultramarines 8 ( * ) .
Ces dispositions apparaissent toutefois fragiles sur le plan constitutionnel . Faute d'avoir pu, lors de l'examen du texte au mois de mars, obtenir des informations précises sur les situations et les conditions dans lesquelles le Gouvernement souhaitait faire appel aux mesures de quarantaine et d'isolement, leur mise en oeuvre n'a en effet fait l'objet d'aucun encadrement juridique précis. Or, s'agissant de mesures fortement restrictives, voire privatives de liberté, il est probable qu'y compris en période d'état d'urgence sanitaire, l'absence de garanties légales constitue une source d'inconstitutionnalité.
b) Une précision bienvenue du régime applicable à ces mesures
Afin de sécuriser juridiquement le recours à ces mesures, auxquelles les pouvoirs publics sont susceptibles de recourir de manière plus importante dans un contexte de reprise des déplacements, les articles 2 et 3 du projet de loi viennent préciser les dispositions de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique.
Le dispositif proposé comprend deux volets.
Le premier, prévu par l'article 2 du projet de loi, détermine les circonstances dans lesquelles le Premier ministre peut ordonner la mise en oeuvre de mesures de quarantaine ou de placement et maintien en isolement.
Il est prévu que seules les personnes ayant séjourné dans une zone de circulation de l'infection puissent être visées, dans trois cas :
- lorsqu'elles entrent sur le territoire national, en provenance d'un pays étranger ;
- lorsqu'elles arrivent sur le territoire d'un département ou d'une collectivité d'outre-mer ou dans la collectivité de Corse, y compris lorsqu'il s'agit de déplacements internes au territoire national ;
- lorsqu'elles ont effectué un déplacement interne au territoire national en provenance de ces collectivités.
À l'exception du champ d'application, les conditions de mise en oeuvre de ces mesures, en particulier leur durée, les obligations qu'elles peuvent inclure, les lieux où elles peuvent s'exécuter, les garanties apportées aux personnes qui en font l'objet ainsi que les conditions d'exercice d'un suivi médical, sont renvoyées au pouvoir réglementaire, après avis du comité de scientifiques. Autrement dit, il appartiendra au Premier ministre, lorsqu'il ordonnera que puissent être mises en oeuvre des mesures de quarantaine ou d'isolement, d'en préciser les contours.
Le second volet du dispositif, prévu par l'article 3 du projet de loi, encadre les conditions dans lesquelles les décisions individuelles de placement en quarantaine ou à l'isolement pourront être prises , lorsque le Premier ministre aura prévu leur mise en oeuvre. Il complète, à cette fin, l'article L. 3131-17 du code de la santé publique.
Les placements en quarantaine et à l'isolement seront prononcés par décision individuelle motivée du préfet, sur proposition du directeur de l'agence régionale de santé. Pour les mesures d'isolement, qui ne peuvent concerner que les personnes affectées par le virus, leur prononcé est conditionné d'une part, à la « constatation médicale de l'infection de la personne concernée » et, d'autre part, à la présentation au préfet d'un certificat en faisant état.
Deux régimes distincts s'appliquent à ces mesures selon qu'elles impliquent ou non une privation complète de liberté.
Les mesures privatives de liberté 9 ( * ) , compte tenu de l'atteinte forte qu'elles portent à la liberté individuelle, font l'objet de garanties renforcées. Elles ne peuvent ainsi être prolongées, au-delà d'une durée de quatorze jours, que par le juge des libertés et de la détention, dans la limite maximale d'un mois. Elles peuvent par ailleurs faire l'objet, à tout moment, par la personne concernée, d'un recours devant le juge des libertés et de la détention, qui sera tenu de se prononcer dans un délai maximal de 72 heures.
A l'inverse, aucune garantie spécifique n'est prévue pour les mesures qui n'emportent qu'une restriction de liberté , c'est-à-dire les mesures pour lesquelles des autorisations minimales de sortie seront prévues. Ces mesures pourront, le cas échéant, être prolongées par le préfet, sans limitation de durée. A l'instar de l'ensemble des autres mesures prescrites dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, elles pourront faire l'objet d'un recours, y compris en référé, devant le juge administratif.
3. La position de la commission : un dispositif à clarifier et à encadrer pour assurer une meilleure protection des libertés individuelles
La commission se félicite que le Gouvernement, après avoir refusé la définition d'un cadre légal précis lors de l'examen du premier projet de loi, revienne aujourd'hui devant le Parlement pour apporter des garanties renforcées aux mesures restrictives de liberté que sont la quarantaine et l'isolement.
Elle partage l'esprit de responsabilisation de la population à laquelle le Premier ministre a appelé et souscrit, en conséquence, à la proposition de limiter la mise en oeuvre de mesures de quarantaine ou d'isolement forcés à un nombre restreint de situations.
Compte tenu de l'atteinte aux libertés individuelles qu'impliquent ces mesures, elle a toutefois jugé nécessaire de préciser, à plusieurs niveaux, les mesures introduites par le projet de loi .
a) Une modification du champ d'application des mesures
La commission a pris acte de la volonté du Gouvernement d'assurer une protection de certaines collectivités qui, à raison de leur éloignement du territoire national, doivent faire l'objet d'une protection renforcée vis-à-vis des déplacements depuis des territoires extérieurs.
S'agissant du cas de la Corse , il lui est apparu légitime, au regard de son caractère insulaire, que des dispositions spécifiques soient prises pour préserver ce territoire des contaminations susceptibles de provenir de l'extérieur. En revanche, rien ne lui paraît justifier que les personnes arrivant de Corse soient soumises à un dispositif plus contraignant que n'importe quelle personne circulant entre deux autres départements du territoire hexagonal. Elle a, en conséquence, modifié le périmètre d'application des mesures de quarantaine et d'éloignement afin de prévoir que ces mesures ne pourront être appliquées aux personnes arrivant en France continentale en provenance de la Corse ( amendement COM-161 ).
Par le même amendement, la commission a également précisé que ne pourraient être concernées par un placement en quarantaine ou à l'isolement que les personnes ayant séjourné dans une zone d'infection dans le mois précédant leur arrivée .
Enfin, elle a souhaité que la liste des zones de circulation de l'infection soit définie par un arrêté du ministre de la santé . Il importe, en effet, qu'une réglementation claire soit établie pour faciliter l'identification des zones considérées comme affectées et garantir une application homogène, par les préfets, des mesures de quarantaine et d'isolement sur l'ensemble du territoire national.
b) Une inscription, dans la loi, de garanties renforcées pour les personnes concernées
La commission a estimé que le renvoi, au pouvoir réglementaire, de l'ensemble des conditions d'exécution des mesures de quarantaine et d'isolement était susceptible de placer le législateur en situation d'incompétence négative.
Il appartient en effet au législateur d'apporter les garanties suffisantes de nature à assurer une conciliation équilibrée entre la prévention des atteintes à l'ordre public et la protection des droits et libertés individuelles, auxquelles ces mesures portent atteintes.
Aussi a-t-elle jugé indispensable d' inscrire dans la loi un certain nombre de garanties pour les personnes concernées par ces mesures ( amendement COM-161 ), à savoir :
- le principe du libre choix laissé à la personne concernée d'effectuer sa quarantaine ou son isolement dans son domicile ou dans un lieu d'hébergement spécialement mis à disposition par l'autorité publique ;
- la limitation à 14 jours , pour toutes les mesures, qu'elles soient privatives ou seulement restrictives de liberté, de la durée initiale de la mesure, soit une durée correspondant à la période maximale d'incubation, renouvelable dans la limite d'une durée maximale d'un mois ;
- la liste des obligations auxquelles les personnes pourront être soumises , à savoir une interdiction de sortie du domicile, sous réserve de déplacements autorisés, ou une interdiction de fréquenter certains lieux. En cas d'isolement complet, il est rappelé qu'un accès aux biens et aux services de première nécessité doit être garanti.
La commission ne peut que regretter, à cet égard, que le Gouvernement, n'ait pas été en mesure de définir, à ce jour, les contours exacts du dispositif envisagé . Elle estime en particulier dommageable qu'aucune précision n'ait pu lui être apportée concernant les conditions dans lesquelles serait exercé le contrôle du respect des mesures de quarantaine et d'isolement.
La commission a enfin adopté un amendement COM-170 de la commission des affaires sociales portant article additionnel, qui renforce les garanties en matière de droit du travail assurées aux personnes visées par des mesures de quarantaine, pour lesquelles l'infection n'est que présumée. Contrairement aux personnes effectivement atteintes par le virus, celles-ci ne sont en effet pas couvertes par les dispositions de droit commun relatives aux arrêts maladie, ce qui peut les placer dans une situation de fragilité à l'égard de leur employeur, en particulier pour la protection de leur contrat de travail.
c) L'introduction d'une base légale pour la transmission des données de réservation passagers par les transporteurs
En pratique, la mise en oeuvre des mesures de quarantaine et d'isolement pourrait nécessiter la communication, à l'autorité administrative, des données de réservation des passagers susceptibles d'entrer sur le territoire concerné.
Ces données se révèleraient notamment utiles pour informer les passagers, avant leur départ, des mesures auxquelles ils sont susceptibles d'être soumis à leur arrivée.
En l'état du droit, les obligations faites aux transporteurs de communiquer à l'autorité administrative des données passager sont fixées par la loi 10 ( * ) . La commission a, en conséquence, introduit une obligation de transmission, par les entreprises de transport ferroviaire, aérienne et maritime, des données de réservation correspondant aux passagers susceptibles de faire l'objet d'une mesure de quarantaine ou d'isolement à leur arrivée ( amendement COM-161 ).
d) Un encadrement des conditions de prononcé et de renouvellement des décisions individuelles
Outre la limitation de leur durée, la commission a souhaité, par l'adoption de l' amendement COM-162 , préciser et encadrer les conditions de prononcé et de renouvellement des mesures d'isolement et de quarantaine.
Ella a, à cette fin, conditionné leur prolongement, au-delà de 14 jours, à la production d'un avis médical en établissant la nécessité .
Jugeant que le projet de loi manquait de clarté quant à l'articulation des compétences entre le Premier ministre et le représentant de l'État, elle a prévu que, contrairement aux autres mesures de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, soit exclue du champ de la délégation aux préfets la définition du cadre réglementaire de mise en oeuvre des mesures de quarantaine et d'isolement . Il importe, en effet, que celui-ci soit défini par le Premier ministre afin de garantir une mise en oeuvre unifiée.
A l'instar des dispositions applicables aux mesures de soins sans consentement, la commission a par ailleurs procédé à une unification du contentieux en prévoyant que l'ensemble des mesures de quarantaine et d'isolement, qu'elles soient ou non privatives de liberté, relèveront du juge des libertés et de la détention. Cette unité des voies de recours, qui existe d'ores et déjà pour les mesures de soins sans consentement, est une garantie de lisibilité pour les personnes concernées. Elle assurera également une cohérence jurisprudentielle.
Par le même amendement COM-162 , la commission a complété les voies de recours , en prévoyant une possibilité de saisine par le procureur de la République, par ailleurs destinataire de l'ensemble des mesures de quarantaine et d'isolement prises dans son ressort territorial.
Enfin, elle a adopté un amendement COM-169 déposé par la commission des affaires sociales, qui précise le circuit de transmission du certificat médical sur la base duquel le préfet de département prendra la décision d'isolement, afin de garantir une confidentialité stricte des données qu'il comprend .
e) Un alignement des garanties introduites à tous les régimes de quarantaine et d'isolement
Hors état d'urgence sanitaire, des mesures de quarantaine et de placement à l'isolement peuvent être mises en oeuvre par le préfet, en application de l'article L. 3115-10 du code de la santé publique. Ces dispositions, qui sont issues de la transposition en droit français du règlement sanitaire international de 2005, ne sont applicables que dans le cadre du franchissement des frontières.
Article L. 3115-10 du code de la santé publique « Le représentant de l'État peut prendre, par arrêté motivé, toute mesure individuelle permettant de lutter contre la propagation internationale des maladies, notamment l'isolement ou la mise en quarantaine de personnes atteintes d'une infection contagieuse ou susceptibles d'être atteintes d'une telle infection, sur proposition du directeur général de l'agence régionale de santé. Il en informe sans délai le procureur de la République. Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles le représentant de l'État peut recourir à de telles mesures, notamment au regard de la gravité de l'infection et des risques de sa transmission. » |
Il a également pu être fait application, par le passé, des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique qui permet au ministre chargé de la santé de « prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population » pour prendre des mesures de placement en quarantaine. C'est sur ce fondement légal que la ministre des solidarités et de la santé a, par un arrêté du 30 janvier 2020, prescrit la mise en quarantaine des personnes ayant séjourné dans la région de Wuhan, en Chine.
Si ces dispositions n'ont pas vocation à s'appliquer en période d'état d'urgence sanitaire, elles pourront, le cas échéant, prendre le relai de celui-ci. En effet, ainsi que l'a prévu la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, les dispositions prévues par l'article L. 3131-1 du code de la santé publique pourront être mises en oeuvre « après la fin de l'état d'urgence sanitaire, (...) afin d'assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ».
Si tel était le cas, il serait pour le moins paradoxal qu'un régime moins protecteur des libertés que celui de l'état d'urgence sanitaire soit appliqué à l'issue de celui-ci. Aussi, par l'adoption d'un amendement COM-166 , la commission a aligné les garanties entourant le prononcé des mesures de quarantaine et d'isolement prévues dans le cadre du régime de l'état d'urgence sanitaire aux autres situations dans lesquelles de telles mesures peuvent être prises.
* 7 3° et 4° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique.
* 8 Introduit par décret modificatif du 16 avril 2020, l'article 5-1 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire prévoit que « le représentant de l'État territorialement compétent est habilité à prescrire, à leur arrivée sur le territoire de la collectivité d'outre-mer ou en Nouvelle-Calédonie, la mise en quarantaine des personnes ayant bénéficié de la dérogation prévue au II ou au IV de l'article 5 ou de toute personne arrivée sur ce territoire. »
* 9 La notion de mesure privative de liberté n'est pas limitée à l'isolement. Le texte n'exclut pas que des mesures de quarantaine puissent également comporter une privation complète de liberté.
* 10 À titre d'exemple, l'obligation faite aux transporteurs aériens de transmettre les données passagers aux fins d'alimentation du fichier européen Passenger Name Record (PNR) est prévue à l'article L. 232-4 du code de la santé publique.