Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Jean-Michel Arnaud,

Mme Cécile Brulin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Hommage aux victimes de drames récents

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant d’ouvrir notre séance de questions d’actualité au Gouvernement, je souhaiterais évoquer les événements graves qui ont frappé les consciences au cours des derniers jours.

Le meurtre d’une jeune fille de 15 ans, poignardée, jeudi dernier, et les blessures occasionnées à trois de ses camarades dans un lycée à Nantes par un élève de cet établissement.

Le meurtre non moins odieux, dans le Gard, d’un jeune fidèle de la mosquée de La Grand-Combe, poignardé dans un lieu consacré à la prière. Le Sénat exprime toute sa solidarité à la communauté musulmane.

L’agression d’un rabbin, à Orléans, devant son jeune fils à la sortie d’une synagogue. Le combat contre l’antisémitisme est une grande cause nationale.

Ces faits illustrent l’état de fracturation de notre société. Au nom du Sénat tout entier, j’assure les familles des victimes de notre compassion et de notre solidarité.

Ces crimes qui s’ajoutent à ceux qui sont commis tous les jours dans un monde toujours plus violent, notamment en raison des conflits de tous ordres qui le parcourent, nous interpellent.

Chacun doit pouvoir pratiquer, s’il le souhaite, son culte en toute liberté et en toute sécurité. Ce principe est d’ailleurs au fondement de notre République.

Notre pays a besoin de retrouver le vivre ensemble qui fait une communauté nationale. Chacun doit y prendre sa part et assumer ses responsabilités. Il n’y a pas de combat plus noble que celui qui est mené contre le racisme et pour la laïcité.

En ces temps difficiles, nous avons aussi accueilli le message de paix légué par le pape François. Sa vie durant, il fut un homme de dialogue qui n’a cessé d’appeler à la fraternité.

Je vous appelle, mes chers collègues, mesdames, messieurs les ministres, à observer pendant quelques secondes un moment de réflexion collective et de recueillement ; compte tenu de l’ensemble de ces événements, cela me semble extrêmement important. (Mmes et M. les sénateurs, ainsi que les membres du Gouvernement, se lèvent et se recueillent en silence.)

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

La présente séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun d’entre vous au respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres au cours de nos échanges ou de celui du temps de parole.

scrutin proportionnel

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Mathieu Darnaud. Monsieur le Premier ministre, vous avez ouvert, lundi dernier, une série de concertations sur l’introduction du scrutin proportionnel. Si nous saluons toujours la concertation, pourquoi cet empressement ? Pourquoi vouloir de ce poison électoral, dans une période où les tensions géopolitiques exacerbent les difficultés et où les Français s’inquiètent pour leur avenir ?

On peut reconnaître votre constance sur le sujet, mais force est de constater que, sous la Ve République, et bien avant, la proportionnelle n’a engendré que de l’instabilité gouvernementale et un régime des partis politiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Et puis, de quelle proportionnelle parlez-vous ? S’agit-il d’une proportionnelle intégrale ou d’une proportionnelle départementale ? Selon le mode de scrutin retenu, on peut s’inquiéter pour la représentation des Français qui vivent dans la ruralité ou en outre-mer.

Le vrai sujet n’est-il pas de se concentrer sur l’essentiel, à savoir préparer un budget sans hausses d’impôts, s’attacher à défendre le pouvoir d’achat des Français, donner plus de liberté à nos entreprises et assurer la sécurité pour tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président Darnaud, vous savez que la réponse que je m’apprête à vous livrer est amicale. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Un sénateur du groupe Les Républicains. Ça commence bien !

M. Yannick Jadot. C’est sûrement parce que vous faites partie de la même majorité !

M. François Bayrou, Premier ministre. Je viens d’entendre votre charge contre le scrutin proportionnel : vous affirmez qu’il est un poison pour la démocratie et la cause de toute instabilité. Ai-je besoin de rappeler que le scrutin proportionnel est celui par lequel sont élus 75 % des sénateurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes SER et UC.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Pas par le même corps électoral !

M. François Bayrou, Premier ministre. Pour ma part, je n’ai pas le sentiment que ce mode d’élection ait été un poison destructeur de la société démocratique ou qu’il ait suscité de l’instabilité. Il suffit de regarder les travées de cet hémicycle pour mesurer, au contraire, qu’il est un facteur de stabilité.

Mme Cécile Cukierman. Rien à voir !

M. François Bayrou, Premier ministre. Bien sûr que si, madame ! C’est une règle absolument démocratique. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Je veux rappeler que tous les pays de l’Union européenne, sans exception, ont adopté ce mode de scrutin. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)

Je vais vous dire pourquoi j’ai décidé d’ouvrir des concertations très larges sur ce sujet. Premièrement, au-delà de la constance que vous avez bien voulu me reconnaître – en effet, au cours de ma vie politique, j’ai passé beaucoup de temps à militer pour changer les règles concernant le mode d’élection –, je pense que la proportionnelle est le scrutin du pluralisme.

Vu la société dans laquelle nous vivons – le président du Sénat a rappelé à quel point elle était fragmentée, éclatée, opposée, archipélisée –, Dieu sait que nous avons besoin d’apaiser la réalité du pluralisme.

Deuxièmement, le scrutin majoritaire obéit à une règle simple : on est soit pour, soit contre. Or les problèmes que nous avons à régler exigent des prises de conscience plus élaborées et concertées, plutôt que l’affrontement systématique.

Enfin, la proportionnelle est la garantie pour tous les grands courants politiques du pays, c’est-à-dire pour tous les citoyens, d’être représentés à mesure de leur engagement et de leur vote.

Je rappellerai à votre groupe que, au moment de la Libération, le général de Gaulle, alors à la tête des institutions du pays, a choisi la proportionnelle comme mode de scrutin. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Peut-être pourrions-nous réfléchir à tous ces facteurs ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour la réplique.

M. Mathieu Darnaud. Force est de constater que le scrutin proportionnel n’a pas été concluant puisque, en 1958, le même général de Gaulle est revenu sur ce choix ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Jean-François Longeot applaudissent également.)

Je vous rappelle de façon tout aussi amicale que, pour l’élection des sénateurs, la proportionnelle est un mode de scrutin départemental et que les plus petits départements ont un mode de scrutin majoritaire.

Puisque vous aimez les grands auteurs, permettez-moi de conclure en citant Alain : « La proportionnelle est un système éminemment raisonnable et évidemment juste ; seulement, partout où on l’a essayée, elle a produit des effets imprévus et tout à fait funestes, par la formation d’une poussière de partis, dont chacun est sans force pour gouverner, mais très puissant pour empêcher. C’est ainsi que la politique devient un jeu des politiques. » (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)

épidémie de chikungunya

M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, Viviane Malet et moi-même souhaitons appeler l’attention du Gouvernement sur l’aggravation de la situation sanitaire à La Réunion.

Depuis plusieurs mois, l’île traverse une crise sanitaire préoccupante, marquée par une recrudescence rapide de l’épidémie de chikungunya. Chaque jour, le nombre de cas graves augmente, ce qui alimente l’inquiétude de la population et met en péril un système de santé déjà fragilisé.

Samedi dernier, le décès d’une personne récemment vaccinée a conduit à suspendre la vaccination pour les plus de 65 ans. Cette décision a ravivé une méfiance déjà forte contre ce vaccin, compliquant davantage la mise en œuvre d’une réponse de santé publique efficace.

Pourtant, des stratégies alternatives, éprouvées ailleurs, offrent des perspectives concrètes. Fondées sur des approches biologiques innovantes, ces méthodes mériteraient d’être sérieusement étudiées et surtout soutenues par le Gouvernement.

C’est notamment le cas du programme Wolbachia, qui pourrait être utilisé aux Antilles et en Guyane. Déployé avec succès en Nouvelle-Calédonie en 2019, il a démontré son efficacité dans la lutte contre la dengue en agissant sur les moustiques Aedes aegypti.

Parallèlement, la technique de l’insecte stérile (TIS), qui cible les moustiques tigres Aedes albopictus, représente une autre solution prometteuse pour des territoires comme La Réunion et Mayotte.

Dans l’immédiat, des mesures simples mais fortes peuvent être engagées sans délai. La distribution gratuite de répulsifs antimoustiques dans les zones à risque, la fabrication de moustiquaires, en associant les communes et les centres communaux d’action sociale (CCAS), et la suspension des jours de carence pour les personnes contaminées relèveraient du bon sens et traduiraient un engagement en faveur de l’équité sanitaire.

Au-delà de la réponse d’urgence, il est impératif de renforcer durablement nos infrastructures de santé, qui sont aujourd’hui au bord de la rupture.

Quelles mesures concrètes, à court, à moyen et à long terme, le Gouvernement entend-il prendre pour prévenir la progression de cette épidémie et soutenir nos concitoyens dans cette épreuve ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de laccès aux soins. Monsieur le sénateur Fouassin, la lutte contre l’épidémie de chikungunya est un combat partagé par tous : les élus de La Réunion, naturellement, mais aussi les élus nationaux et le Gouvernement. Vous l’avez rappelé, cette épidémie nous oblige à mener une lutte antivectorielle de chaque instant. Nous mobilisons ainsi près de 200 agents de l’agence régionale de santé (ARS), 250 militaires et 800 parcours emploi compétences (PEC).

Par ailleurs, nous avons intégré dans le bouclier qualité prix (BQP) des répulsifs afin d’assurer la protection de la population, en particulier des personnes les plus vulnérables. Je pense aux jeunes mères et aux nouveau-nés ; en effet, c’est au cours des trois premiers mois de vie que les bébés sont particulièrement fragiles. C’est avant tout pour eux que nous distribuons des moustiquaires.

Enfin, nous menons des campagnes de vaccination, sans ignorer les risques que ces dernières impliquent. J’ai une pensée pour l’ensemble des victimes du chikungunya et le patient qui est récemment décédé.

Son décès étant éventuellement imputable au vaccin, nous avons pris des mesures de précaution, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), qui nous permettront de protéger au mieux la population.

Lorsque j’ai visité le Cyclotron Réunion Océan Indien (Cyroi), j’ai constaté que les moustiques stériles pouvaient contribuer de façon importante à la lutte contre l’épidémie de chikungunya. Nous pourrons envisager de les commercialiser dès le mois de juillet prochain.

Bpifrance et l’Agence de l’innovation en santé (AIS) sont également mobilisées, dans l’espoir de ne pas avoir à enregistrer un plus grand nombre de décès dans la deuxième année de l’épidémie, comme ce fut malheureusement le cas en 2005 et en 2006.

Vous le voyez, le Gouvernement est engagé dans une mobilisation de tous les instants pour soulager notre système de santé et prendre soin de nos compatriotes de La Réunion, fortement affectés par l’épidémie de chikungunya et le cyclone Garance. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

situation d’arcelormittal (i)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissement sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le ministre de l’industrie et de l’énergie, ce qui se passe au sein de l’entreprise ArcelorMittal dans le Nord, à Dunkerque et sur les autres sites, est une véritable gifle : des centaines d’emplois supprimés, des fonctions délocalisées, des salariés et leurs familles plongés dans l’angoisse de l’incertitude. Ces pratiques sont brutales et inacceptables.

Je veux témoigner aux salariés tout mon soutien. Je suis également convaincue d’un large soutien de la part de tous les élus du territoire, qui n’oublient pas que l’implantation de ce fleuron de l’industrie, de ses salariés et de leurs familles a permis le développement de nombreuses communes.

L’entreprise ArcelorMittal a été et est encore soutenue, accompagnée et défendue par l’État, la région et les élus locaux, qui sont très investis. Or elle procède aujourd’hui à des licenciements massifs avec peu de scrupules.

Ce n’est pas seulement une trahison locale. Ce qui se joue ici est l’avenir de l’acier en Europe, un secteur stratégique que l’on veut soutenir, rendre compétitif, décarboner, moderniser et renforcer. Pendant que les États-Unis, la Chine ou l’Inde protègent leurs industries, en Europe, nous payons et nous subissons !

Monsieur le ministre, hier, en réponse à une question d’actualité posée par le député Julien Gokel, vous avez affirmé que « plusieurs conditions étaient nécessaires au maintien des investissements dans la décarbonation ». Mais qui fixe réellement ces conditions et, surtout, quelles sont-elles ? Les salariés ont le droit de savoir, et nous aussi !

Les salariés d’ArcelorMittal sont toujours aussi volontaires et prêts à se battre non seulement pour leur outil de travail, qui fait leur fierté, mais aussi pour leur industrie verte, forte et compétitive. Toutefois, ils veulent des engagements clairs et réciproques.

Compte tenu de ces éléments, quelles nouvelles garanties de l’usage efficace de l’argent public pouvons-nous exiger ? Quel cap clair définir pour l’acier, nos usines et nos emplois ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Franck Dhersin et Rachid Temal applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.

M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Madame la sénatrice Marie-Claude Lermytte, l’annonce par ArcelorMittal d’une restructuration qui conduira à la suppression de plus de 600 emplois sur sept sites en France, dont celui de Dunkerque, est évidemment une mauvaise nouvelle. Mes pensées vont aux salariés et à leurs familles ; je sais l’angoisse que fait naître ce type d’annonce.

L’État et l’ensemble des services concernés seront mobilisés pour accompagner socialement le reclassement de ses salariés. (Mme Cathy Apourceau-Poly sexclame.)

Vous avez raison de le mentionner, c’est l’avenir de la filière sidérurgique en France et en Europe qui se joue, alors qu’elle est actuellement soumise à des tensions très fortes.

La production d’acier en Europe a baissé de 20 % entre 2018 et 2023. On le sait, cette production fait l’objet d’une concurrence féroce et souvent déloyale, notamment de la part de la Chine, qui subventionne massivement ses producteurs d’acier, comme elle le fait d’ailleurs pour beaucoup d’autres filières industrielles. (M. Pascal Savoldelli sexclame.)

Dans ces conditions, nous devons apporter des réponses à l’échelon tant français qu’européen.

M. Rachid Temal. Quelles réponses ?

M. Marc Ferracci, ministre. Ainsi, le Gouvernement a formulé des propositions qui ont été reprises par la Commission européenne, il y a quelques semaines déjà. Il s’agit d’assurer une meilleure protection commerciale de notre industrie sidérurgique via des clauses de sauvegarde, c’est-à-dire des quotas à l’importation renforcés, qui entreront en vigueur dans quelque temps.

Vous me demandez ce qui détermine les investissements en faveur de la décarbonation, en particulier ceux qui ont été réalisés à Dunkerque. Il se trouve que j’ai rencontré hier la direction d’ArcelorMittal, à Bercy ; je me suis également entretenu avec les cadres de la direction Europe de l’entreprise par visioconférence.

Nous en sommes tous d’accord, des investissements sont nécessaires pour maintenir l’emploi. Or les représentants d’ArcelorMittal m’ont clairement dit que, pour investir, il fallait plus de protection commerciale et des coûts de l’énergie compétitifs. Ce sont des éléments auxquels nous veillons dans le cadre des négociations qui ont lieu avec EDF.

L’État est prêt à soutenir tous les investissements, mais seulement une fois que les dépenses auront été effectivement engagées.

M. Rachid Temal. Ce n’est pas une réponse !

M. Marc Ferracci, ministre. Encore une fois, nous sommes convaincus de l’absolue nécessité de soutenir l’acier sur notre territoire, car c’est une industrie de souveraineté. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour la réplique.

Mme Marie-Claude Lermytte. Permettez-moi de vous rappeler l’idée qui a été émise de réunir tous les protagonistes concernés autour de la table. Vous savez pouvoir compter sur l’engagement et le soutien de tous les élus du territoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Franck Dhersin applaudit également.)

situation des praticiens à diplôme hors union européenne

M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Ahmed Laouedj. Monsieur le ministre de la santé, notre pays affronte une crise sanitaire silencieuse mais profonde : celle de la pénurie médicale. Dans un contexte de multiplication des déserts médicaux, nous disposons aujourd’hui d’une solution concrète et immédiate : les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue).

Ces médecins, présents depuis des années dans nos hôpitaux et nos cabinets médicaux, sont pleinement engagés. Ils exercent avec compétence, dans des conditions souvent difficiles.

Monsieur le ministre, vous avez affirmé que beaucoup de nos services tiennent aujourd’hui grâce aux Padhue, qui sont reconnus par leurs chefs de service et leurs chefs de pôle.

En 2024, à l’occasion des épreuves de vérification des connaissances (EVC), seuls 3 044 postes ont été finalement ouverts sur les 4 000 initialement annoncés. Ainsi, de nombreux candidats, pourtant brillamment admis aux épreuves, se retrouvent aujourd’hui écartés et 20 % des postes ouverts restent vacants.

Nous faisons un constat alarmant, qui souligne l’absurdité de la situation : des médecins compétents et indispensables restent sur la touche, alors que les déserts médicaux s’étendent chaque jour davantage.

Monsieur le ministre, vous avez promis une simplification du parcours des Padhue, mais pourquoi attendre 2026 ? Pourquoi reporter une réforme, alors que ces praticiens compétents sont disponibles immédiatement ?

Compte tenu de l’urgence sanitaire à laquelle nous faisons face, pourquoi ne pas valider sans délai, par voie réglementaire, l’intégration de ces médecins indispensables à nos territoires ?

J’associe à ma question mon collègue Jean-Yves Roux, qui est très engagé sur les sujets de santé dans les territoires. Je veux remercier chaleureusement les médecins présents aujourd’hui dans les tribunes. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.) Leur engagement mérite notre reconnaissance, mais surtout notre action ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de laccès aux soins. Monsieur le sénateur Laouedj, je partage largement vos propos. En effet, les déserts médicaux sont l’une des principales préoccupations de nos concitoyens. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre, dans le Cantal, a fait un certain nombre de déclarations. Il propose de mener une réflexion dans un délai assez court, afin que nous puissions présenter des solutions d’ici au mois de septembre prochain.

Il n’y a pas une solution, monsieur le sénateur, mais des solutions ; c’est sur ce point que nous ne sommes pas d’accord. (M. Rachid Temal sexclame.)

La situation pourra être améliorée grâce à une formation initiale augmentée et au rapatriement des étudiants français partis étudier à l’étranger, comme en Roumanie, en Espagne ou en Belgique. Nous veillerons à ce que nos docteurs juniors s’installent dans de bonnes conditions.

M. Rachid Temal. Il faut surtout intégrer les Padhue !

M. Yannick Neuder, ministre. Concernant les Padhue, ne soyons pas hypocrites et reconnaissons leur travail. Ils représentent 30 % à 40 % des effectifs dans certains de nos hôpitaux et assurent une grande partie de l’offre de soins sur notre territoire.

Nous agirons dès cette année en leur faveur puisque nous allons simplifier, par voie réglementaire, la voie interne. Ainsi, il reviendra aux médecins, aux chefs de service, aux chefs de pôle et aux présidents des commissions médicales d’établissement (CME) de mesurer les connaissances et les compétences localement, dans un souci de simplification.

Ensuite, pour passer d’un mode de concours à un mode d’examen, dans le but d’éviter les écueils qui existent toujours à l’heure actuelle, nous avons besoin d’un support législatif.

Naturellement, je compte sur la commission des affaires sociales du Sénat pour présenter de futures propositions de loi. Nous travaillons avec Philippe Mouiller pour trouver le véhicule législatif qui nous permettra d’accomplir cette simplification attendue par tous les Français pour se faire soigner.

M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj, pour la réplique.

M. Ahmed Laouedj. Monsieur le ministre, vous parlez de simplification des concours, mais le problème est immédiat et concret. Permettez-moi de vous citer l’exemple d’un chirurgien urologue en poste à l’hôpital Cochin, qui a obtenu 18 de moyenne aux EVC et a reçu le soutien du président de l’association française d’urologie.

Allons-nous sérieusement demander à un médecin de ce niveau, déjà en fonction, de repasser son concours ? Ce n’est pas de simplification future que nous avons besoin, mais d’un décret immédiat permettant à ceux qui ont réussi leur concours d’occuper dès maintenant les postes vacants dans les déserts médicaux. La santé des Français ne peut plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes SER et GEST. – M. Pierre Barros applaudit également.)

assassinat d’aboubakar cissé

M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Alexandre Ouizille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je prends la parole aujourd’hui, au nom du groupe socialiste, pour vous dire notre douleur face à l’assassinat d’Aboubakar Cissé. Nous saluons le changement de position du président du Sénat, qui, ce matin encore, affirmait qu’une minute de recueillement constituait une hystérisation du débat.

Monsieur le président, vous avez eu raison : une minute de recueillement est toujours un baume appliqué sur les cœurs et sur les âmes.

Nous sommes pris d’un vertige face à la barbarie. Ce dernier s’est propagé dans tout le pays, comme en témoignent les rassemblements républicains et citoyens qui sont venus dire « non » à la fois au crime commis et à ce qui était pressenti sous ce crime.

S’il y a toujours un mystère du mal de celui qui assassine, on ne peut ignorer le contexte dans lequel ce mal se produit. Ce contexte, aujourd’hui, est celui du conditionnement progressif de la société française à la détestation des musulmans. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Il est des éditorialistes qui, tous les jours, affirment que l’islam est incompatible avec la République…

M. Olivier Paccaud. L’islamisme !

M. Alexandre Ouizille. Il est des influenceurs qui, tous les jours, encore la semaine dernière, dans l’Oise, affirment sur les réseaux sociaux que le nom et le prénom des médecins qui nous soignent sont trop arabo-musulmans.

Il est des essayistes qui dissertent sur une idée empoisonnée, celle selon laquelle il existerait désormais deux peuples sur le territoire de la République.

Et, hélas, il est des ministres de l’intérieur qui se sont laissés aller à des propos d’estrade (Huées et protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC. M. Roger Karoutchi frappe son pupitre. – Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.), en disant qu’il faut mettre à bas la pratique cultuelle de centaines de milliers de femmes musulmanes dans notre pays, sans distinguer celles qui exercent leur liberté de conscience et celles qui sont forcées de le faire. (Protestations continues sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. C’est fini, vos deux minutes sont écoulées !

M. Alexandre Ouizille. Ma question est simple : monsieur le ministre, peut-on enfin compter sur vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

MM. Michel Savin et Roger Karoutchi. Quelle honte !

M. le président. La parole est à M. le ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur, je connais trop cette maison pour savoir que le propos doit être mesuré. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Il est absolument nécessaire, singulièrement au Sénat, que chacun mesure les enjeux qui sont devant nous et l’importance des mots qui sont utilisés.

Le meurtre d’Aboubakar Cissé, qui a été commis dans le Gard la semaine dernière, est un crime barbare inacceptable. Je ne reviendrai pas sur les faits, chacun les connaît et nous avons tous bien conscience de cette abominable situation.

Voici la seule information que je peux vous livrer cet après-midi : l’auteur s’est rendu à la police italienne, accompagné d’un parent et d’un conseil, et a accepté de revenir en France ; son retour est prévu pour la mi-mai. Il sera naturellement jugé.

M. Michel Savin. Très bien !

M. François-Noël Buffet, ministre. Le procureur de la République compétent a indiqué qu’il percevait dans ce dossier des signes d’acte raciste. L’enquête judiciaire qui est ouverte nous permettra d’en savoir plus.

Du reste, la position du Gouvernement – j’espère qu’elle n’est pas différente de celle de l’ensemble des sénateurs – est d’opter pour la modération dans le propos, car nous sommes sur un chemin glissant.

Nombreux sont les élus nationaux et locaux et les personnalités, de quelque nature que ce soit, qui jettent dans notre pays le poison de la division et d’un communautarisme insupportable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.) J’espérais ne pas entrer dans la polémique, mais tout de même ! (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.) Ces manœuvres sont souvent faites à des fins électoralistes, dans le mauvais sens du terme.