M. Jean-Michel Arnaud. Il avait évoqué la possibilité de nouveaux syndicats et d’une intercommunalité choisie ; en somme, il s’agissait de trouver « de bonnes solutions mutualisées ».

Nous avons, avec un certain nombre de collègues, fait des propositions à votre intention, monsieur le ministre. Je pense notamment à la création de nouveaux syndicats supracommunaux, qui perdureraient après le 1er janvier 2026. Nous avons également proposé de revenir sur l’obligation de transfert des compétences eau et assainissement des communes aux communautés de communes, en autorisant un transfert direct et, donc, sans subdélégation desdites compétences des communes aux syndicats.

Monsieur le ministre, nous avons énormément travaillé ensemble dans un esprit de confiance. Pourriez-vous nous indiquer quel est le véhicule législatif – projet de loi ou proposition de loi qui bénéficierait de votre soutien – auquel vous souhaitez recourir pour que nous puissions avancer concrètement, dans les toutes prochaines semaines, sur ce sujet ? J’attends votre réponse. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Arnaud, j’ai le souvenir de ce moment trop court partagé avec Mathieu Darnaud, Franck Menonville et vous-même au cours d’un petit-déjeuner de travail. Nous avions fait le point sur la proposition de loi de M. Jean-Yves Roux visant à permettre une gestion différenciée des compétences eau et assainissement, et sur l’ensemble des épisodes précédents, si j’ose dire.

Dans votre département, le Président de la République a pris deux engagements.

Le premier concerne la sécurisation du pilotage et du financement par les départements des projets d’interconnexion des réseaux d’eau potable. Cette disposition, souhaitée par l’Assemblée des départements de France (ADF), figure « en dur » dans le projet de loi d’orientation agricole. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le second a trait à l’intercommunalisation obligatoire, une démarche prévue par la loi NOTRe en 2015, et dont nous avons déjà décalé la mise en œuvre de 2020 à 2026.

Mme Sophie Primas. On n’en veut pas !

M. Christophe Béchu, ministre. Je vous confirme l’assouplissement que nous avions évoqué ce jour-là, mais permettez-moi d’abord d’apporter des précisions sur le calendrier et le véhicule législatif choisis.

S’agissant du calendrier, nous voterons le dispositif alternatif dont nous avons parlé, à savoir la possibilité d’organiser la gestion de l’eau à un niveau infracommunautaire, avant la fin de cette année. Le texte, qui débutera son chemin législatif ici, au Sénat, vous sera soumis avant l’été.

Nous ne pouvons pas laisser les communes isolées continuer à exercer les compétences eau et assainissement, tant elles concentrent, malheureusement, les difficultés en termes d’accès à l’eau potable. Très souvent, les problèmes d’approvisionnement que l’on observe en période de sécheresse surviennent sur les territoires des communes qui gèrent leurs réseaux d’eau potable de manière isolée.

Il faut donc tourner le dos à une forme de « jardin à la française » trop rigide, pour assumer une nouvelle manière de faire, en particulier dans les territoires de montagne et les zones sous-denses.

M. Christophe Béchu, ministre. Pour autant, il ne me semble pas souhaitable de revenir sur les compétences qui ont déjà été transférées ; le nouveau dispositif vaudrait donc pour l’avenir. Par ailleurs, nous avons besoin d’un garant – les préfets seraient susceptibles de jouer ce rôle – dans le cadre d’un nouveau schéma départemental de gestion de l’eau, qui ne reposerait plus sur le principe de subdélégation. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le ministre, il est rare que je le dise, mais pour une fois, vous avez été clair ! (Sourires.)

Désormais, il faut que nous puissions réfléchir collectivement – j’associe aussi bien Mathieu Darnaud, Franck Menonville, Marie-Pierre Monier que Jean-Yves Roux à cette démarche – à la mise en œuvre du dispositif que vous venez de dévoiler, en respectant le calendrier que vous avez fixé.

Il reste quatre-vingt-dix semaines avant le 1er janvier 2026. Toutes les collectivités de France en attente d’une solution ont aujourd’hui grand besoin d’une clarification.

La proposition sur laquelle nous convergeons me semble satisfaisante, même si elle ne conviendra pas à tout le monde. Je vous invite donc, monsieur le ministre, à concrétiser les engagements que vous venez de prendre devant le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Savin. Très bien !

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mardi 30 avril 2024, à dix-sept heures quinze.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Dominique Théophile.)

PRÉSIDENCE DE M. Dominique Théophile

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

4

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans
Discussion générale (fin)

Abrogation de la réforme des retraites

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites portant l’âge légal de départ à 64 ans, présentée par Mme Monique Lubin, M. Patrick Kanner, Mme Annie Le Houerou et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 360, résultat des travaux n° 499, rapport n° 498).

Discussion générale

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Monique Lubin, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

Mme Monique Lubin, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, sur notre initiative, la question des retraites revient aujourd’hui en débat, dans un hémicycle où l’exécutif et la majorité sénatoriale ont imposé l’adoption d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale repoussant l’âge de départ à la retraite à 64 ans, avant que l’exécutif ne fasse passer ce texte au forceps à l’Assemblée nationale, en recourant à l’article 49.3 de la Constitution.

Les majorités sénatoriale et gouvernementale ont ignoré la volonté des Français, qui s’est pourtant exprimée pendant plusieurs mois dans le cadre d’une mobilisation qui a réuni des millions de personnes – citoyens, syndicats et associations – contre une réforme dont ils ne voulaient pas.

À rebours de ses engagements de campagne, le Président de la République a voulu et obtenu ce report de l’âge de départ à la retraite, qui pèsera sur ceux « qui ne sont rien », pour reprendre ses propres termes.

Tout ça pour ça ? Pour quel gain ?

Nous n’avons cessé de le rappeler tout au long de l’année dernière, pour un système des retraites versant plus de 300 milliards d’euros de pensions par an, un déficit de 12 milliards d’euros, éventuellement envisageable dans douze ans, semblait gérable, sans que l’effort doive porter, brutalement et lourdement, sur les plus vulnérables.

Depuis 2017, les retraités ont subi une baisse de leur pouvoir d’achat en raison de la hausse de la contribution sociale généralisée et de la sous-indexation des pensions.

Contrairement aux assertions alarmistes qui ont été celles du Gouvernement durant plusieurs mois, les comptes de notre système de retraite étaient équilibrés en 2023. La part de la richesse nationale consacrée aux retraites devrait ainsi rester stable dans les années à venir.

Mais les Cassandre des retraites préfèrent évoquer le solde du système de retraites, les milliards d’euros ainsi affichés étant plus propices à affoler les Français… Il est pourtant démontré que l’expression en parts de PIB est bien plus efficace que celle en termes de solde, tant ce dernier peut être soumis à des variations aussi soudaines qu’imprévisibles. Le dernier débat qui s’est déroulé devant le COR, le Conseil d’orientation des retraites, l’a d’ailleurs démontré.

Les déficits du système auraient même pu être financés par la réduction des exonérations de cotisations sociales ou par la fin du remboursement de la dette sociale.

Aujourd’hui, alors que la réforme est adoptée, on estime que notre système des retraites devrait revenir au quasi-équilibre à l’horizon 2030.

Mais, au-delà de cette échéance, les effets de la réforme se dissiperont : à la réduction des dépenses issues d’une baisse du nombre de départs à la retraite devrait en effet succéder leur hausse du fait de l’augmentation de la durée des carrières et, donc, de celle des pensions.

Le report de l’âge de départ à la retraite, qui n’a pas apporté de solution à la problématique des recettes, accroîtra à terme les dépenses. À cet égard, nous ne manquons pas de noter que, par manque de recettes suffisantes, le déficit public de la France a atteint 5,5 % de son PIB en 2023.

Nous actons également le fait que, responsable de cette dérive du budget de l’État, le Gouvernement ne se décide pas à changer de cap ou de politique ni à modifier la manière dont il gère les finances du pays.

Choisir de s’attaquer aux recettes de l’État en baissant les impôts des entreprises et des plus riches est un choix qui a pourtant fait l’éclatante démonstration de son inanité.

Mais l’exécutif est très attaché à cette stratégie et ne souhaite pas y mettre un terme. Il préfère inspecter les caisses des assurances sociales et tirer profit des petites machineries réglementaires et législatives qu’il a mises en place pour soustraire la gestion de ces dernières aux partenaires sociaux.

Une tentative de ponctionner un milliard d’euros à l’Agirc-Arrco a ainsi récemment échoué, du moins pour l’instant.

Ce sont par ailleurs 12 milliards d’euros que le Gouvernement veut prélever à l’Unédic sur la période 2023-2026. Or ces 12 milliards d’euros coûteront un milliard d’euros à l’association, contrainte de s’endetter pour satisfaire aux exigences du Gouvernement.

Sans réelle politique de sauvegarde du système de protection des actifs, le Gouvernement ambitionne surtout de corriger le résultat budgétaire de ses choix politiques. Ce faisant, il met en péril le modèle de l’assurance chômage, pour renflouer d’autres caisses qu’il a très mal gérées.

Ce n’est pas non plus pour sauver l’Agirc-Arrco que le Gouvernement a essayé de prélever un milliard d’euros sur les fonds de cette caisse de retraite complémentaire : cette dernière se porte bien, du fait de sa gestion rigoureuse par les partenaires sociaux.

Et ce n’est pas non plus pour sauver le système des retraites que le Gouvernement a imposé sa réforme paramétrique de report de l’âge de départ.

En effet, elle n’offre pas de solution de long terme pour la pérennité de notre modèle par répartition. En revanche, ce qui est sûr, c’est qu’elle a d’ores et déjà un coût social important. À moyen et long termes, le Gouvernement a créé des actifs particulièrement vulnérables, des seniors sans emploi ni retraite qui, âgés de 53 ans à 69 ans, n’ont déclaré au cours d’une année civile ni revenu d’activité ni pension de retraite, que ce soit en propre ou en réversion.

En 2021, 16,7 % des personnes âgées de 62 ans étaient dans cette situation ; 3 % d’entre elles étaient au chômage et 13,7 % en inactivité, ce qui les faisait dépendre alors soit du revenu de solidarité active (RSA), soit d’une pension d’invalidité ou du revenu d’une ou d’un conjoint.

L’année dernière, alors que le Gouvernement estimait que la nouvelle réforme des retraites devait permettre à 300 000 seniors supplémentaires de se maintenir dans l’emploi, nous disions que cet effet serait contrebalancé par d’autres dépenses.

À partir des travaux de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) et de la Dares (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) présentés fin janvier 2023 au Conseil d’orientation des retraites, Michaël Zemmour estimait déjà à 300 000 le nombre de personnes supplémentaires qui seraient maintenues dans le sas de précarité entre emploi et retraite, en cas de report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, ce qui doit entraîner une hausse de 100 000 du nombre d’allocataires des minima sociaux, une hausse de 120 000 du nombre de pensions d’invalidité, et une hausse de 80 000 du nombre de chômeurs indemnisés et de personnes sans emploi n’ayant droit à aucune prestation spécifique.

Le Gouvernement avait connaissance des effets de la réforme sur la précarité des seniors, puisqu’il en avait évalué le coût budgétaire dans l’étude d’impact qui accompagnait son projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

Un décalage de la retraite à 64 ans devait ainsi engendrer non seulement une économie de l’ordre de 15 milliards d’euros au niveau des pensions, mais aussi une hausse simultanée de 5 milliards d’euros de prestations sociales diverses.

Loin de corriger le tir, l’exécutif a décidé d’agrémenter sa réforme des retraites de la suppression de l’allocation de solidarité spécifique, et d’acculer ces seniors à solliciter les départements, déjà débordés, pour bénéficier du RSA.

Les travaux et auditions que nous avons menés depuis 2017 ont, en tout état de cause, mis en évidence le fait qu’aucun projet de réforme des retraites visant à faire travailler les gens plus longtemps ne peut être envisagé sans, a minima, des mesures préalables en faveur de l’emploi des seniors et de prise en compte de la pénibilité.

Madame la ministre déléguée, vous songez aujourd’hui à raboter les droits au chômage des seniors. Le Gouvernement prend le risque, ce faisant, de jeter des centaines de milliers de personnes dans la précarité, et met en péril l’équilibre budgétaire des collectivités territoriales chargées de l’insertion. Cette tentative pour masquer les conséquences de vos choix idéologiques et politiques ne trompe personne.

De fait, les arguments que nous avons invoqués l’année dernière demeurent valables.

Les effets délétères de la politique gouvernementale sur les seniors vont, de fait, tout particulièrement affecter les femmes, malgré les mesures correctives prises par le Gouvernement.

Je souhaiterais par ailleurs attirer votre attention sur les incompréhensions que pourrait susciter notre débat sur les retraites.

Je vous rappelle que, comme le prévoient les textes, le solde de notre système de retraite est présenté de telle sorte que l’on considère que les régimes des fonctionnaires de l’État et les autres régimes spéciaux sont systématiquement à l’équilibre. Dans ces conditions, le déficit du système ne peut pas être aggravé par le déséquilibre des régimes de retraite des fonctionnaires de l’État et les autres régimes spéciaux.

Le solde des régimes de retraite est une notion largement conventionnelle dès lors que certains régimes, dont celui des fonctionnaires de l’État, sont considérés comme équilibrés systématiquement.

Enfin, pour refinancer le système de retraite et le ramener à l’équilibre d’ici à 2027, l’économiste Michaël Zemmour a démontré qu’il faudrait augmenter le taux des cotisations de 0,8 point, soit 14 euros par mois pour un salarié au Smic.

Ce débat est loin d’être clos. Certains s’étonnent ici que nous ayons déposé une telle proposition de loi. Si nous l’avons fait, c’est pour marquer le premier anniversaire de la réforme, mais c’est aussi pour montrer que nous sommes loin d’en avoir terminé avec la protection du système de retraite des Français. Nous voyons poindre de nouveau à l’horizon des débats visant à prolonger une fois de plus le temps de travail de nos concitoyens. Nous y sommes totalement opposés !

À ceux de mes collègues qui nous ont demandé si tout cela était bien sérieux, je veux leur répondre que : oui, c’est très sérieux ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Marion Canalès, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, dans quel contexte abordons-nous ce texte ? Nous venons d’assister, cette nuit, à l’échec des négociations pour un nouveau pacte de la vie au travail, notamment sur l’emploi des seniors, et au report de la réunion prévue ce mercredi matin pour entériner l’avenant senior de la convention de l’Unédic.

Il avait été évidemment beaucoup question de l’emploi des seniors lors des discussions sur la réforme des retraites. Plusieurs de nos collègues avaient à l’époque exprimé leurs craintes. On leur avait alors apporté des garanties pour les rassurer, mais le doute peut légitimement persister au vu de l’actualité, notamment celle de ce jour.

Mme Lubin vient de le souligner, près d’un an s’est écoulé depuis la promulgation de la réforme des retraites le 14 avril dernier. Cela fait donc un an que l’âge légal de départ à la retraite a été relevé de 62 à 64 ans, que la durée pour pouvoir partir avec une pension à taux plein a été portée à quarante-trois annuités et que la fin des régimes spéciaux a été actée.

Si, sur ce dernier point, les décrets d’application ont été rapidement pris, en revanche, les décrets relatifs à l’octroi de trimestres supplémentaires aux sapeurs-pompiers volontaires, prévus à l’article 24 de la loi, ne sont, eux, toujours pas publiés…

Permettez-moi de regretter, mes chers collègues, l’empressement à géométrie variable dans la mise en œuvre du texte. Je ne suis d’ailleurs pas la seule à le déplorer ici, puisque la situation des sapeurs-pompiers volontaires est régulièrement évoquée sur l’ensemble des travées de notre hémicycle.

Cette réforme a été largement contestée, sur le fond comme sur la forme. Les débats que nous avons eus ont été réduits à cinquante jours ; les discussions ont été corsetées par le recours aux articles 44.3 et 49.3 de la Constitution ; et les votes ont été contraints.

Le Gouvernement avait promis le retour à l’équilibre du système de retraite en 2030. Le COR l’a montré avec beaucoup de clarté : le système sera toujours déficitaire en 2030, à hauteur d’environ 5 milliards d’euros, et le restera d’ici à 2070, la réforme tendant même à accroître les dépenses de retraites à cet horizon.

Le Gouvernement ne peut pourtant pas dire qu’il n’était pas averti : les rapporteurs du texte pour le Sénat, Élisabeth Doineau et René-Paul Savary, avaient rappelé ici même que le Gouvernement fondait sa réforme sur une hypothèse irréaliste en termes de taux de chômage, et que le déficit du système de retraite était sous-évalué d’environ 6 milliards d’euros en 2030.

Du reste, les estimations des effets de la réforme reposaient sur les simulations publiées par le COR en 2022, lesquelles incluaient déjà ses effets sur les recettes du système de retraite. En d’autres termes, les conséquences de la réforme ont été prises en compte deux fois.

S’ajoute à ce constat le fait que le Gouvernement, pour établir ses projections, retenait l’hypothèse que l’Agirc-Arrco continuerait de sous-indexer les pensions de ses assurés jusqu’en 2033, préemptant avec une certaine forme de légèreté les décisions des partenaires sociaux.

Or, dans la foulée de la réforme, ceux-ci ont non seulement rendu le cumul emploi-retraite créateur de droits – comme c’est désormais le cas pour les régimes de base –, supprimé le bonus-malus appliqué depuis 2019, qui avait perdu toute justification du fait du report de l’âge légal de départ, mais ils ont aussi décidé de revaloriser les pensions à un niveau proche de l’inflation.

Dès lors, le régime devrait devenir déficitaire dès 2025 et le rester à l’horizon 2037 – le déficit devrait s’élever à plus de 2 milliards d’euros en 2030.

Cette trajectoire n’est évidemment pas sans conséquence sur celle du système de retraite. Celui-ci ne sera donc pas à l’équilibre en 2030, tant s’en faut, contrairement à ce qu’annonçait le Gouvernement pendant l’examen du texte.

C’est un fait établi : un an après son adoption, la réforme n’est pas aussi efficace que l’exécutif l’avait affirmé et réaffirmé.

Pour autant, cette réforme qui n’atteint pas ses objectifs économiques affecte bel et bien la vie quotidienne des Français. À l’horizon de 2070, l’âge moyen de départ à la retraite sera relevé de six mois supplémentaires, pour s’établir à 64,6 ans.

Un tel niveau n’a plus été atteint depuis les générations nées avant 1910, ce qui marque la plus importante régression sociale que notre pays ait connue depuis plusieurs décennies. L’âge moyen de départ à la retraite est donc relevé à 64,6 ans, alors que l’espérance de vie en très bonne santé avoisine les 63 ans…

Ne perdons pas de vue la réalité, mes chers collègues : un tiers des assurés sociaux n’occupent pas un emploi au cours de l’année précédant la liquidation de leur pension, soit juste avant de partir à la retraite. Ils seront donc nécessairement maintenus dans cette situation du fait du relèvement de deux ans de l’âge légal de départ, qu’ils soient chômeurs, malades ou bénéficiaires des prestations de solidarité.

Cette réforme augmentera donc mécaniquement les dépenses sociales, sans compter qu’elle accroîtra également le nombre de salariés concernés par ce problème, tout le monde n’étant pas suffisamment en bonne santé ou n’ayant pas un emploi assez stable pour pouvoir travailler deux années de plus. Le surcoût en matière de dépenses sociales, de dépenses d’assurance chômage, maladie ou invalidité représenterait plus de 3 milliards d’euros.

On peut résumer la contre-productivité sociale de cette réforme de la manière suivante : pour chaque euro de dépenses économisé pour les retraites, 25 centimes supplémentaires seront dépensés au titre des autres prestations sociales.

Réformes successives de l’assurance chômage, suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), tentative d’allongement du délai de carence : toutes ces réformes qui sont engagées ou actées ont donc un lien avec la réforme des retraites, dans la mesure où elles visent à amoindrir le coût financier de la réforme sans relever le principal défi, celui de son coût social.

Non seulement cette réforme ne réglera pas le chômage des seniors, mais les femmes seront aussi, hélas, les principales perdantes. Ce sujet avait été soulevé l’an dernier par notre collègue Monique Lubin, auteur de cette proposition de loi, dont je tiens à saluer le travail et la combativité.

Les femmes, en effet, bénéficient majoritairement des majorations de durée d’assurance accordées au titre de la naissance et de l’éducation des enfants. Ces trimestres leur permettent, en règle générale, d’atteindre plus tôt que les hommes la durée d’assurance requise pour le taux plein, ce qui contribue à expliquer que l’âge moyen de départ à la retraite des femmes soit légèrement inférieur à celui des hommes.

Or, du fait du report de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite, les majorations de durée d’assurance seront en quelque sorte « écrasées » par des trimestres cotisés, et les deux années de travail supplémentaires seront cotisées en pure perte.

L’exemple de la génération de 1972 est emblématique de cette injustice frappante : les hommes de cette génération partiront en moyenne cinq mois plus tard qu’avant la réforme, contre neuf mois pour les femmes, et ce alors que ces dernières sont déjà moins bien payées que les hommes et plus souvent victimes d’accidents du travail. En vingt ans, selon un rapport de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et divers travaux de la délégation aux droits des femmes du Sénat, le nombre d’accidents du travail des hommes a baissé de 27 % quand celui des femmes a augmenté de 46 %.

Pourtant, à en croire le Gouvernement, cette réforme était une réforme sociale. La revalorisation de 100 euros des minima de pension, mise en avant avec insistance par le Gouvernement, devait garantir aux travailleurs une retraite minimale de 1 200 euros par mois.

La réalité est malheureusement bien différente. D’après la Caisse nationale d’assurance vieillesse, le montant accordé aux nouveaux retraités au titre du minimum contributif n’a augmenté que de 30 euros en moyenne en 2024. Les personnes parties à la retraite avant l’entrée en vigueur de la réforme devaient, pour leur part, bénéficier d’une majoration exceptionnelle pouvant aller jusqu’à 100 euros. Or seuls 20 000 des 500 000 bénéficiaires recensés à la fin de l’année 2023 ont perçu l’intégralité de ces 100 euros…

Comme vous le constatez, mes chers collègues, le bilan de cette réforme est bien trop maigre sur le plan budgétaire au regard de ses effets négatifs sur le plan social.

C’est la raison pour laquelle, à titre personnel – j’y insiste –, je soutiens pleinement cette proposition de loi. À l’inverse, la commission ne l’a, elle, pas adoptée dans la mesure où elle considère qu’il est inenvisageable de revenir sur la réforme des retraites, compte tenu notamment de la situation de nos finances publiques.

Pourtant, l’ancien président du COR l’a dit et répété avant d’être remercié : les dépenses de retraite ne dérapent pas. Elles représentaient 13,8 % de la richesse nationale en 2021 ; elles représenteront 13,7 % de celle-ci en 2070.

Comment un pays ruiné au lendemain d’une guerre mondiale a-t-il été capable de créer un système de retraite, alors qu’un gouvernement à la tête d’un pays qui n’a jamais été aussi riche n’est capable que de le déconstruire ?