B. AJUSTER LE FONCTIONNEMENT INSTITUTIONNEL CALÉDONIEN

La transcription de l'Accord de Nouméa par la loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie a doté ce territoire d'une autonomie sans équivalent au sein de la République qui ne saurait aujourd'hui être remise en cause dans ses grands principes, lesquels sont traduits dans l'organisation et le fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie et des collectivités calédoniennes.

De la même manière que cette évolution avait alors conduit à modifier l'architecture institutionnelle et son fonctionnement tel qu'il résultait des accords de Matignon signés en 1988, il est indispensable d'ajuster le fonctionnement institutionnel calédonien pour ouvrir une nouvelle phase statutaire pour le territoire.

1. Procéder à des évolutions des « corps électoraux » calédoniens

Le principe de la restriction du droit de vote et la portée de cette restriction fait l'objet d'une vive controverse85(*), qu'il s'agisse de la participation aux élections provinciales ou de la participation aux consultations d'autodétermination.

En effet, le corps électoral appelé à participer à la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté comme celui appelé à participer à l'élection du congrès et des assemblées provinciales ne comprennent pas l'ensemble des électeurs inscrits sur les listes électorales de Nouvelle-Calédonie. Il existe ainsi trois listes électorales en Nouvelle-Calédonie :

- la liste électorale générale, établie suivant les règles de droit commun pour les élections nationales, européennes et municipales, ainsi que pour les référendums nationaux ;

- la liste électorale spéciale pour l'élection du congrès et des assemblées de province, qui définit les contours de la citoyenneté calédonienne, définie par l'article 4 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précité ;

- la liste électorale spéciale pour la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté, où étaient susceptibles d'être inscrites l'ensemble des « populations intéressées » à l'avenir du territoire, au sens de l'Accord de Nouméa et de l'article 77, et non 53, de la Constitution. Elle est définie à l'article 218 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée, conformément au point 2.2.1 du document d'orientation de l'Accord de Nouméa.

Le principe d'un corps électoral plus restreint que le corps électoral de droit commun pour les consultations référendaires répond aux principes constitutionnels développés ci-avant et devrait être maintenu, comme pour l'ensemble des consultations d'autodétermination de collectivités d'outre-mer.

Toutefois, la situation est éminemment différente s'agissant du corps électoral convoqué lors des élections du congrès et des assemblées de province, considérées par les responsables politiques non-indépendantistes comme des élections locales intéressant le quotidien des Calédoniens, qu'ils bénéficient ou non du statut de citoyens calédoniens.

Comme rappelé ci-avant, de telles restrictions aux principes d'égalité et d'universalité devant le suffrage, protégés constitutionnellement et conventionnellement, n'ont été possibles qu'en raison du caractère transitoire des dérogations constitutionnelles admises.

Certes, comme l'a rappelé le ministre Gérald Darmanin dans un courrier adressé aux parties locales avant son dernier déplacement en Nouvelle-Calédonie, « ni le Gouvernement, ni aucune formation politique calédonienne ne sollicite le retour à la liste électorale générale pour les élections au congrès et aux assemblées de province. Le maintien ou non d'une citoyenneté calédonienne distincte de la citoyenneté française n'est donc pas en question : il s'agit d'une évolution irréversible ». Il n'en demeure pas moins que de fortes revendications pour l'ouverture de ce corps électoral persistent.

Cette ouverture du corps électoral provincial reste en effet au centre des revendications des partis non-indépendantistes depuis plusieurs années et a été réaffirmée par l'ensemble des représentants rencontrés par les rapporteurs. Ils ont remis une déclaration commune au ministre de l'intérieur et des outre-mer lors d'une réunion bilatérale précédant la convention des partenaires dans laquelle figure une telle demande86(*).

Ils s'appuient, en particulier, sur le fait que le corps électoral référendaire, plus restreint que le corps électoral de droit commun, est, paradoxalement, sensiblement plus large que le corps électoral pour l'élection du congrès et des assemblées de province, comme le présente le tableau ci-dessous, alors même qu'il a vocation à désigner les représentants politiques des institutions locales qui ont un effet direct sur le quotidien des Calédoniens.

Nombre d'inscrits sur les listes électorales
en Nouvelle-Calédonie, au 1er juillet 2023

Liste électorale

Nombre d'inscrits

Liste électorale générale

219 154

Liste électorale provinciale

178 374

Liste électorale spéciale à la consultation

185 004

Source : commission des lois d'après les données
du Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie

Face à ces revendications, les représentants des partis indépendantistes partagent, avec le Gouvernement et les partis non-indépendantistes, « un certain nombre de constats sur le fonctionnement actuel des listes électorales, notamment des incohérences dans les règles actuelles »87(*) et tous semblent convenir de la nécessité d'y remédier.

Les rapporteurs appellent donc à ce que, forts ces constats partagés, les différentes parties entérinent le plus rapidement possible la nécessité de résoudre trois difficultés identifiées :

- les écarts entre le nombre d'inscriptions sur la liste électorale spéciale à la consultation et celle pour les élections provinciales, chiffrés par le Gouvernement à 11 000 personnes natives de Nouvelle-Calédonie ;

- le vide juridique entourant la situation des petits-enfants d'un électeur inscrit en 1998 sur la liste pour les élections provinciales, alors que celle des enfants des mêmes électeurs est prévue ;

- la question des conjoints de citoyens calédoniens qui ne disposent pas, contrairement au droit commun de la nationalité, d'une faculté, même conditionnée à une durée de mariage, d'accéder au bénéfice de la citoyenneté calédonienne et de participer aux élections provinciales.

La résolution de ces problèmes permettrait, aux yeux des rapporteurs, de rétablir clarté, équité et cohérence dans l'établissement des listes électorales, même restreintes pour les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie. Ces principes devraient inspirer les discussions car ils déterminent l'acceptabilité des évolutions et l'exercice effectif de leurs droits par les Calédoniens.

Il convient d'établir des procédures simples et efficaces d'inscription sur les listes électorales sur la base de critères clairs et intelligibles pour tous afin de garantir l'adhésion la plus large aux choix politiques opérés et de rendre effectif l'exercice des droits des Calédoniens, qu'ils soient non-indépendantistes ou indépendantistes. Les rapporteurs soulignent à cet égard, qu'en 2018, il avait été nécessaire de procéder à des évolutions des procédures d'inscription sur les listes électorales référendaires, en particulier le recours à une inscription d'office sur les listes, face à la non-inscription de plusieurs milliers d'électeurs qui remplissaient pourtant les critères nécessaires à leur participation à ces scrutins88(*).

En sus de ces évolutions qui visent à corriger des incohérences dénuées de fondement juridique et qui ne sont plus tolérables localement, les rapporteurs estiment nécessaire de réfléchir aux conditions d'ajustements plus importants que ces réglages techniques sur la base de la proposition formulée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer dans le courrier précité : « la réouverture du corps électoral aux personnes installées durablement en Nouvelle-Calédonie, avec une durée de résidence qui pourrait être de 7 ans ».

À ce titre, les rapporteurs se félicitent que les partis indépendantistes aient accepté d'ouvrir un débat sur ces points89(*) et appellent à la tenue d'une négociation franche et exigeante, mais surtout éclairée par des simulations chiffrées précises, sur les conditions d'accès à la citoyenneté calédonienne en ce qu'elle permet la participation aux élections du congrès et des assemblées provinciales.

À cette condition, le calendrier récemment évoqué par la Première ministre devant le Sénat, qui prévoyait le maintien en 2024 des élections provinciales, pourra être tenu.

La position de la Première ministre au Sénat le 5 juillet 2023

« Je l'affirme devant vous, comme je l'ai indiqué à la délégation du FLNKS, je crois qu'un gel indéfini du corps électoral provincial questionnerait nos principes démocratiques comme nos engagements internationaux. Aujourd'hui, les discussions avancent, et je mesure la sensibilité de cette question. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a fait des propositions sur une durée de résidence minimale. Des échanges techniques sont actuellement organisés par le Haut-commissaire à Nouméa, et je suis persuadée qu'une solution consensuelle peut être trouvée sur ce point comme sur les autres. Je suis prête à inviter l'ensemble des partenaires à partir de la fin du mois d'août pour conclure l'accord que les Calédoniens attendent. Quant aux élections provinciales, elles auront lieu en tout état de cause en 2024 : c'est un enjeu démocratique »90(*).

2. Réfléchir à des évolutions de l'architecture institutionnelle et de la répartition des compétences entre collectivités locales

Si les accords de Matignon ont institué une logique de partage territorial des pouvoirs entre forces politiques, grâce à la définition de trois provinces aux compétences élargies, l'accord de Nouméa a ajouté celle d'un exercice partagé du pouvoir au niveau du territoire, symbolisé par un gouvernement collégial et pluraliste.

Institutions provinciales et territoriales sont néanmoins imbriquées puisque les membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie, duquel procède le gouvernement calédonien, sont élus en même temps que les membres des assemblées de province.

Au niveau local, trente-trois communes complètent cette architecture institutionnelle. Cependant, les communes sont des collectivités territoriales de droit commun, régies par les règles fixées au niveau national. Bien que leurs conseils municipaux soient renouvelés tous les six ans en même temps que leurs homologues hexagonaux, les communes calédoniennes disposent de compétences et de budgets réduits au regard des autres collectivités calédoniennes. Généralement vastes par comparaison avec les communes hexagonales, elles jouent néanmoins le même rôle de proximité qu'on leur connaît sur l'ensemble du territoire de la République.

Convaincus que l'architecture institutionnelle calédonienne est aujourd'hui, dans ses logiques et ses grands principes, éprouvée, les rapporteurs n'estiment pas souhaitable de procéder à une modification substantielle de celle-ci.

Ils rappellent leur attachement à la conciliation équilibrée des deux logiques procédant des accords de Matignon, puis de Nouméa, qui se matérialisent dans l'existence d'un gouvernement collégial et d'un congrès pluraliste à la tête d'une collectivité unique à l'échelle de la Nouvelle-Calédonie, qui exerce effectivement les compétences qui intéressent tout le territoire et, en parallèle, la création d'un échelon intermédiaire permettant le partage des pouvoirs et doté de compétences propres étendues, à savoir les trois provinces calédoniennes.

Par ailleurs, l'irréversibilité des transferts de compétences de l'État vers les collectivités calédoniennes n'est aujourd'hui remise en cause par aucun partenaire des discussions.

Toutefois, la répartition des compétences entre les trois échelons de collectivités en Nouvelle-Calédonie et les moyens dont disposent, tout particulièrement, les communes calédoniennes n'apparaissent pas pleinement satisfaisants, à la lumière du bilan dressé après trente ans d'application du statut.

En premier lieu, la répartition des compétences pose encore question. Comme l'avait déjà fait valoir la mission dans son rapport d'étape, certaines compétences sont soit enchevêtrées - rendant leur exercice et l'efficacité des politiques publiques difficiles -, soit attribuées à un échelon qui ne semble pas pertinent. Les rapporteurs réaffirment l'importance du principe de subsidiarité qui, comme pour les collectivités hexagonales, doit guider la répartition et l'exercice des compétences entre les différents niveaux de collectivités afin de garantir l'efficacité des politiques publiques et la plus grande proximité possible du service public local.

À titre d'exemple, la compétence en matière d'urbanisme apparaît très largement enchevêtrée entre les provinces et les communes, aboutissant, chez les maires, à un sentiment de dessaisissement et de découragement dans l'exercice d'une compétence structurante pour le territoire communal et au coeur de leurs compétences de proximité.

De la même manière, l'attribution aux provinces calédoniennes de la compétence en matière d'emploi aboutit au développement de trois plateformes différentes de diffusion des offres d'emploi et d'emplois vacants pour un territoire ne regroupant qu'environ 6 000 demandeurs d'emplois répartis entre les trois provinces. L'on peut ainsi formuler l'hypothèse que l'échelon provincial n'est pas nécessairement le plus efficace pour l'exercice de cette compétence.

En second lieu, les maires de Nouvelle-Calédonie n'ont, de toute évidence, pas été suffisamment dotés en moyens juridiques et financiers pour exercer l'ensemble des compétences de proximité, qui ne sauraient être mieux exercées qu'à un niveau communal. Les rapporteurs appellent donc à un renforcement de l'institution communale, échelon de proximité et de pragmatisme, quasiment préservée des clivages politiques structurant la vie politique à l'échelle du territoire.

En effet, comme l'ont fait valoir l'ensemble des maires rencontrés par la mission et leurs deux associations représentatives, les communes calédoniennes ont été les grandes oubliées des accords de Matignon, puis de Nouméa, et ne disposent pas aujourd'hui des moyens d'exercer correctement leurs missions de producteurs efficaces des services publics locaux de proximité et d'échelons de base de la démocratie locale. En particulier, il apparaît souhaitable que le Gouvernement accepte de renforcer les moyens budgétaires et singulièrement fiscaux des communes de Nouvelle-Calédonie, qui sont les seules collectivités calédoniennes à être privées de marges de manoeuvre fiscales.

Le président de l'association des maires de Nouvelle-Calédonie, Robert Xowie, a rappelé lors de son audition que les maires étaient « sans arrêt à la recherche permanente de solutions du quotidien pour leurs concitoyens », et ce indépendamment de tout clivage politique. Cette position avait déjà été affirmée avec force par l'association des maires français de Nouvelle-Calédonie en mars 2021 : « fortes de leur enracinement territorial, [les communes de Nouvelle-Calédonie] sont devenues et restent le lieu irremplaçable de concertation et de décision permettant, sur le terrain, de répondre à la satisfaction des besoins essentiels et spécifiques d'une population pluriethnique aspirant à construire, au quotidien, ce destin commun voulu par une grande majorité de nos concitoyens »91(*).

Si un premier geste a été consenti par la Première ministre, Élisabeth Borne, en conviant les représentants des deux associations de maires à la convention des partenaires de novembre 2022, les maires n'ont toujours pas, à ce jour, été pleinement associés aux réflexions et discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie alors qu'il apparaît indispensable de renforcer leur rôle dans l'architecture institutionnelle calédonienne.

3. Initier une réflexion sur le fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie

De manière générale, le fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie est régi, contrairement au droit commun, par deux principes directeurs qui sont :

- d'une part, des mécanismes de désignation et de décisions échappant à l'application stricte du principe majoritaire, afin de rendre tangible le principe d'exercice en commun du pouvoir ;

- d'autre part, un fonctionnement institutionnel fortement péréquateur pour donner corps à l'objectif de rééquilibrage entre les populations.

S'agissant du principe d'exercice en commun du pouvoir, celui-ci structure et irrigue le système institutionnel calédonien par cinq éléments principaux :

le mode de scrutin proportionnel et la clé de répartition entre provinces tendent à assurer une surreprésentation des Kanaks au Congrès puis au Gouvernement du fait de la surreprésentation, par rapport aux seuls critères démographiques, des provinces Nord et des Iles au sein du Congrès.

En effet, du fait de l'existence de dispositions particulières pour participer aux scrutins provinciaux et en raison de la clé de répartition des sièges au congrès de la Nouvelle-Calédonie - qui attribue 7 sièges à la province des Iles, 15 à celle du Nord et 32 au Sud - les provinces à population majoritaire kanak sont surreprésentées ;

Nombre d'habitants
pour un siège au congrès
(moyenne à l'échelle de
la Nouvelle-Calédonie = 100)

Nombre d'électeurs inscrits
sur la LESP pour un siège au congrès
(moyenne à l'échelle de
la Nouvelle-Calédonie = 100)

 
 

Source : bilan de l'accord de Nouméa

le recours à des majorités qualifiées au Congrès pour l'exercice de certaines dispositions, notamment ayant trait à l'avenir institutionnel ou aux attributions des membres du Gouvernement.

Sont, par exemple, prises à la majorité qualifiée les décisions relatives à la détermination des signes identitaires (article 5), la définition des compétences à transférer et leur échéancier (article 26), la nomination des membres d'une autorité administrative indépendante (article 93-1), l'autorisation de délégation par le président du gouvernement de certaines de ses attributions à des membres du gouvernement (article 135), la modification de la clé de répartition des dotations de fonctionnement et d'investissement entre provinces (article 181), la fixation de la date de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté (article 217) ;

la composition du gouvernement, qui doit refléter l'ensemble des groupes politiques représentés au congrès et dont le mode de désignation est le scrutin de liste à la représentation proportionnelle. Cette caractéristique a pour effet d'obliger à une gestion conjointe entre indépendantistes et non-indépendantistes ;

le principe de collégialité gouvernementale, qui implique une recherche permanente du consensus ;

la responsabilité du gouvernement devant le congrès, qui le désigne, celle-ci pouvant être engagée, en application de l'article 96 de la loi organique du 19 mars 1999, et par un mécanisme, aujourd'hui modifié, qui permettait à une liste de mettre fin au gouvernement par des démissions collectives successives.

Parallèlement, pour donner corps au principe de rééquilibrage, une clé de répartition financière entre provinces a été introduite dès les accords de Matignon et a été reconduite par l'accord de Nouméa. En effet, les ressources versées aux provinces, qui constituent l'essentiel de leurs ressources financières, sont réparties, non en fonction d'une pondération strictement fondée sur leurs poids démographiques respectifs, mais en fonction de pourcentages prenant en compte les retards.

Le mécanisme de la clé de répartition budgétaire entre provinces

Sur le plan budgétaire, la péréquation entre les trois provinces s'exerce à travers le budget de la Nouvelle-Calédonie qui assure le versement des dotations de fonctionnement et d'investissement aux trois provinces. Ces dernières ne disposent en complément que de recettes fiscales propres très limitées, se réduisant à 6 % de leurs recettes réelles de fonctionnement, et de dotations directement versées par l'État pour compenser des charges transférées (dotation globale de fonctionnement et dotation globale d'équipement et de construction des collèges).

L'essentiel des finances provinciales provient donc du budget de la Nouvelle-Calédonie. La part du budget territorial à destination des provinces est affectée selon une clé de répartition prévue par l'article 181 de la loi organique du 19 mars 1999 :

- pour la dotation de fonctionnement : 50 % pour la province Sud, 32 % pour la province Nord et 18 % pour la province des îles Loyauté ;

- pour la dotation d'équipement : 40 % pour la province Sud, 40 % pour la province Nord et 20 % pour la province des îles Loyauté.

Cette clé de répartition constitue une aide en faveur du rééquilibrage au bénéfice des provinces Nord et des îles Loyauté. En effet, si la répartition des dotations entre provinces s'opérait sur un critère purement démographique, elle conduirait à verser 74,5 % à la province Sud, 18,4 % à la province Nord et 7,1 % à la province des îles Loyauté.

Depuis 2004, elle peut être modifiée, outre par la loi organique, par une loi du pays votée à la majorité des trois cinquièmes des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Le besoin d'actualisation du système est, aux yeux des rapporteurs, objectif et résulte de deux principales évolutions :

- à titre principal, les évolutions démographiques ayant conduit à un équilibre démographique renouvelé qui emportent d'importantes évolutions quant à la répartition des populations entre les provinces calédoniennes.

En effet, si lors de la conclusion des accords de Matignon puis de Nouméa, la majorité des Kanaks vivaient dans les provinces Nord et des Iles
- seulement 39 % résidaient en province Sud en 1996 -, aujourd'hui, la majorité des Kanaks - 52 % plus précisément - vivent en province Sud.92(*)

Au surplus, l'évolution démographique calédonienne est, depuis la signature des accords, principalement portée par les trois villes qui forment le Grand Nouméa, et par suite, la province Sud qui, entre 1989 et 2014, a connu une évolution moyenne annuelle de sa population de 2,3 % contre 1,5 % en province Nord et 0,1 % en province des Iles93(*) ;

- la recomposition politique qui s'est faite jour, passant d'une logique d'opposition politique entre deux blocs unis politiquement à une décomposition des blocs avec en leur sein plusieurs partis aux lignes politiques parfois divergentes et l'apparition d'un parti n'obéissant pas à cette logique, l'Éveil océanien.

Le Congrès compte désormais cinq groupes politiques répartis entre les deux familles politiques qui structurent l'espace politique calédonien : les indépendantistes et les non-indépendantistes. Cette présentation ne doit cependant pas masquer la diversité de la classe politique locale. Les blocs indépendantistes et non-indépendantistes abritent en fait une myriade de partis ou courants, essentiellement structurés autour de figures politiques historiques ou montantes. Ce fractionnement du paysage politique local, combiné à la volatilité des alliances politiques, est un facteur d'instabilité au sein du Congrès et, par prolongement, du gouvernement.

De surcroit, l'apparition d'un parti politique, qui n'est pas en mesure de former un groupe politique au congrès faute d'un nombre suffisant de sièges et qui se positionne politiquement comme n'obéissant pas à cette logique de blocs, constitue un fait politique nouveau dans le système institutionnel calédonien. Depuis son apparition aux provinciales de 2019, l'Éveil Océanien s'est présenté comme « faiseur de démocratie », autrement dit de majorités, non seulement au sein du Congrès mais également du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, alors qu'il ne dispose que de trois sièges parmi les cinquante-quatre du Congrès, soit moins de 5,6 % des sièges. Fait notable, l'ensemble des élus de ce parti, positionné comme représentant de la communauté wallisienne et futunienne, sont issus de la Province Sud.

Cette recomposition semble être la cause principale, en dehors des alternances politiques, de l'instabilité gouvernementale en Nouvelle-Calédonie marquée, d'une part, par la succession de 17 gouvernements et de 10 présidents de gouvernement pour seulement cinq élections provinciales en trente ans et, d'autre part, par des périodes significatives (plus de trois mois) sans gouvernement ou président, faute d'accord politique.

Dès lors, les aménagements apportés au principe majoritaire en Nouvelle-Calédonie, nécessaires au partage du pouvoir et au rééquilibrage, apparaissent devoir être actualisés au regard des évolutions démographiques, sociales et économiques survenues depuis la signature des accords.

Toutefois, les rapporteurs souhaitent réaffirmer que ces grands principes doivent demeurer inchangés, convaincus qu'en Nouvelle-Calédonie, le principe majoritaire, qu'il tire sa légitimité d'un scrutin politique ou d'une réalité démographique, ne peut s'appliquer sans discernement et sans tempérament au risque d'une explosion des institutions et du contrat social que représente le « destin commun » promu par les accords de Matignon puis de Nouméa.


* 85 L'on pense en particulier à l'affrontement des différentes acceptions du corps électoral « gelé » ou « glissant ».

* 86  https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/politique/les-loyalistes-ensemble-devant-l-etat-mais-des-differences-sont-marquees.

* 87 Ces courriers ont été rendus publics et son disponibles à l'adresse suivante : https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/discussions-institutionnelles-dans-une-missive-gerald-darmanin-affiche-ses-priorites-1401462.html.

* 88 Voir l'article 1er de la loi organique n° 2018-280 du 19 avril 2018 relative à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

* 89 S'exprimant par voie de presse, l'entourage du ministre de l'intérieur a indiqué que « le FLNKS a répondu oui pour les natifs et `dix ans minimum' (de résidence), sous réserve de travaux techniques à mener dans les prochaines semaines », pour plus de précision voir l'article du

journal Le Figaro suivant : https://www.lefigaro.fr/politique/nouvelle-caledonie-les-independantistes-acceptent-un-elargissement-du-corps-electoral-20230604.

* 90 Réponse de la Première ministre à la question d'actualité au gouvernement posée par Pierre Frogier le 21 juin 2023, publiée au JO Sénat du 22 juin 2023, p. 5530.

* 91  https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/8086/62359/file/Contribution%20asso%20AFM%20NC.pdf.

* 92 Données du recensement de l'ISEE, 2021.

* 93 Recensement de la population en Nouvelle-Calédonie en 2014, Insee, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1560282.