E. UN PROCESSUS DE RÉÉQUILIBRAGE FRAGILE QUI APPORTE DE PREMIERS RÉSULTATS

Le principe du rééquilibrage devait se traduire par un rééquilibrage géographique entre les provinces calédoniennes mais également par la résorption des inégalités entre individus et entre populations.

Pour ce faire, plusieurs mécanismes ont été mis en oeuvre :

- en matière économique, avec l'institution d'une clé de répartition des richesses entre provinces ;

- en matière sociale, par la signature de contrats de développement et de programmes visant à l'amélioration de l'accès aux services publics sur l'ensemble du territoire ;

politiquement, à travers le développement d'une élite calédonienne faisant toute sa place aux Kanaks, destinée à accéder aux postes à responsabilités localement.

1. L'institution d'une solidarité entre provinces : l'exemple de la clé de répartition

Pour donner corps au principe de rééquilibrage, une clé de répartition financière entre provinces a été introduite dès les accords de Matignon et a été reconduite par l'accord de Nouméa. En effet, les ressources versées aux provinces, qui constituent l'essentiel de leurs ressources financières, sont réparties, non en fonction d'une pondération strictement fondée sur leurs poids démographiques respectifs, mais en fonction de pourcentages prenant en compte les retards de développement de chaque province.

Le mécanisme de la clé de répartition budgétaire entre provinces

Sur le plan budgétaire, la péréquation entre les trois provinces s'exerce à travers le budget de la Nouvelle-Calédonie qui assure le versement des dotations de fonctionnement et d'investissement aux trois provinces. Ces dernières ne disposent en complément que de recettes fiscales propres très limitées, se réduisant à 6 % de leurs recettes réelles de fonctionnement, et de dotations directement versées par l'État pour compenser des charges transférées (dotation globale de fonctionnement et dotation globale d'équipement et de construction des collèges).

L'essentiel des finances provinciales provient donc du budget de la Nouvelle-Calédonie. La part du budget territorial à destination des provinces est affectée selon une clé de répartition prévue par l'article 181 de la loi organique du 19 mars 1999 :

- pour la dotation de fonctionnement : 50 % pour la province Sud, 32 % pour la province Nord et 18 % pour la province des îles Loyauté ;

- pour la dotation d'équipement : 40 % pour la province Sud, 40 % pour la province Nord et 20 % pour la province des îles Loyauté.

Cette clé de répartition constitue une aide en faveur du rééquilibrage au bénéfice des provinces Nord et des îles Loyauté. En effet, si la répartition des dotations entre provinces s'opérait sur un critère purement démographique, elle conduirait à verser 74,5 % à la province Sud, 18,4 % à la province Nord et 7,1 % à la province des îles Loyauté.

Depuis 2004, elle peut être modifiée, outre par la loi organique, par une loi du pays votée à la majorité des trois cinquièmes des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Comme le montre le graphique ci-dessous, « les clés de répartition décidées par les signataires des accords ont été efficientes : la perte de revenu socialisé imposée aux habitants de la province Sud ayant été largement compensée par les gains obtenus pour les agents résidant dans les provinces Nord et Iles »23(*).

Évolution du revenu socialisé par habitant imputable aux clés de répartition entre 1998 et 2019 (moyenne annuelle en milliers de CFP)

Source : bilan de l'accord de Nouméa, mai 2023.24(*)

2. Un effort soutenu dans la résorption des inégalités sociales en particulier dans l'accès aux services publics

L'accord de Nouméa avait pour objectif le rééquilibrage social et y a contribué au travers des contrats de développement qui ont visé, depuis 1990, l'amélioration des conditions de vie des populations.

Le rattrapage des provinces des Iles et Nord par rapport à la province Sud sur le volet du développement humain illustre l'augmentation de la qualité de vie pour les habitants de ces provinces depuis la conclusion de l'accord de Nouméa et le déploiement des contrats de convergence afférents.

Indice de développement humain des provinces Nord (en haut)
et des Iles (en bas) en % de l'indice de développement humain
de la province Sud en 1996, 2009, 2014 et 2019

Source : bilan de l'accord de Nouméa, mai 202325(*).

En effet, le rééquilibrage est particulièrement satisfaisant s'agissant du niveau général de santé des trois provinces mais également en ce qui concerne le niveau de vie qui a connu une très forte progression dans les provinces des Iles et Nord : l'indice du niveau de vie en province des Iles correspondait à 28 % de celui de la province Sud en 1996 et a quasiment doublé, pour atteindre 49 % désormais.

Dès lors, bien que ces résultats témoignent de la persistance d'inégalités entre provinces, ils illustrent les effets encourageants et concrets de la promesse de rééquilibrage qui avait présidé à la conclusion de l'accord de Nouméa.

3. L'émergence d'une élite calédonienne

Le rééquilibrage s'appuie enfin sur la formation d'une « élite » calédonienne et kanak, corollaire du transfert des compétences de l'État vers la Nouvelle-Calédonie. Dans cette optique, de nombreux dispositifs ont été mis en oeuvre pour renforcer la formation initiale et continue tels que les bourses d'études accordées par les provinces ou la convention d'éducation prioritaire signée entre l'Institut d'études politiques de Paris, le gouvernement, les trois provinces et cinq lycées partenaires répartis sur l'ensemble du territoire.

Le programme « Cadres avenir »

L'article 4.1.2 de l'accord de Nouméa prévoit la création d'un « programme spécifique, qui prendra la suite du programme « 400 cadres », concernera les enseignements secondaire, supérieur et professionnel, et tendra à la poursuite du rééquilibrage et à l'accession des Kanaks aux responsabilités dans tous les secteurs d'activités ».

Le dispositif « Cadres avenir » a ainsi été mis en oeuvre, au lendemain de l'accord de Nouméa, pour permettre aux jeunes calédoniens - et en premier lieu aux Kanaks qui représentent 67 % des bénéficiaires - déjà titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur de poursuivre ou de reprendre un cursus d'études supérieures dans l'hexagone afin d'accéder à des postes à responsabilités sur le territoire. Le périmètre du dispositif s'est élargi en 2016, à la demande des membres du comité de signataires, à l'accompagnement des étudiants préparant les concours nationaux de la haute fonction publique afin de les former à l'exercice des compétences régaliennes. Le programme « Cadres avenir » est financé à 90 % par l'État et à 10 % par la Nouvelle-Calédonie.

Les rapporteurs, qui ont rencontré des membres de l'association du programme « Cadres avenir » à l'occasion de leur déplacement en Nouvelle-Calédonie en juin 2022, ont pu constater à quel point ce dispositif était essentiel à la formation des cadres supérieurs calédoniens. En 2022, plus de 300 dossiers de candidatures avaient été déposés et 79 candidats ont pu bénéficier de ce programme dans des filières identifiées comme prioritaires pour le développement du territoire (santé, social, administration, etc.)26(*).


* 23 Bilan institutionnel, administratif et financier de l'accord de Nouméa (30 mai 2023), précité, p. 51.

* 24 Ibidem.

* 25 Op. cit., p. 53.

* 26 https://www.outremers360.com/bassin-pacifique-appli/nouvelle-caledonie-la-33e-promotion-du-programme-cadre-avenir-sur-le-depart-vers-lhexagone