B. UN OBJECTIF PRIORITAIRE D'AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DE L'EAU

Les acteurs de l'eau en France ont longtemps été animés de la conviction que la ressource était abondante et suffisante pour assurer la conciliation apaisée de l'ensemble des usages. Avec un tel cadre conceptuel, l'accent a logiquement été mis sur l'amélioration continue et adaptative de la qualité de l'eau distribuée et rendue au milieu, en surveillant plus particulièrement les phénomènes susceptibles d'altérer la qualité des eaux et les nouvelles substances mises sur le marché et susceptibles de se retrouver dans les eaux.

1. La bataille gagnée de la fourniture d'eau potable

Grâce aux communes qui ont joué le jeu de l'extension des réseaux, au financement des coûts du service par la facture d'eau, aux agences de l'eau qui ont assuré la mutualisation des efforts à l'échelle du bassin, à l'État qui détermine les normes de potabilité pour l'ensemble du territoire et en assure le contrôle, mais aussi à l'Europe qui a mis l'accent sur le nécessaire bon état des eaux souterraines et de surface, l'eau que nous consommons satisfait des normes de qualité élevée et l'approvisionnement est garanti, y compris dans les milieux très peu denses et les zones rurales à habitat très dispersé.

a) L'accès universel à l'eau, un droit à conforter pour les publics les plus fragiles

Le droit à l'eau est une réalité pour la grande majorité de la population française. En effet, près de 99 % des personnes sont aujourd'hui raccordées à un réseau de distribution d'eau. Malgré tout, on estime à encore 235 000 le nombre de personnes privées aujourd'hui en France d'un accès continu et sécurisé à l'eau, principalement les personnes sans domicile fixe et les ménages contraints de vivre dans un logement insalubre ou de fortune. Les efforts déployés par les collectivités territoriales et les associations caritatives permettent néanmoins de réduire la fracture hydrique et de rapprocher ces publics de l'indispensable accès à l'eau pour les besoins vitaux et l'hygiène.

L'échelon européen est également moteur pour promouvoir et améliorer l'accès de tous à l'eau : à cet égard, la directive eau potable du 16 décembre 2020 impose aux États-membres de mettre en oeuvre « les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l'accès de tous aux eaux destinées à la consommation humaine, en particulier les groupes vulnérables et marginalisés », dans un contexte de crise sanitaire ayant amplifié l'importance de l'hygiène individuelle et collective, notamment pour le respect des gestes barrières. L'ordonnance de transposition de la directive en droit interne13(*) ajoute au code de la santé publique une disposition14(*) selon laquelle « toute personne bénéficie d'un accès au moins quotidien à son domicile, dans son lieu de vie ou, à défaut, à proximité de ces derniers, à une quantité d'eau destinée à la consommation humaine suffisante pour répondre à ses besoins en boisson, en préparation et cuisson des aliments, en hygiène corporelle, en hygiène générale ainsi que pour assurer la propreté de son domicile ou de son lieu de vie ».

C'est principalement aux communes et aux EPCI qu'il revient de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l'accès de toute personne à l'eau destinée à la consommation humaine, afin de « garantir l'accès de chacun à l'eau destinée à la consommation humaine, même en cas d'absence de raccordement au réseau public de distribution d'eau destinée à la consommation humaine, y compris des personnes en situation de vulnérabilité liée à des facteurs sociaux, économiques ou environnementaux », à travers notamment la mise en place et l'entretien de fontaine d'eau potable. Pour ce faire, les communes et EPCI doivent identifier, sur leur territoire, les personnes n'ayant pas accès, ou ayant un accès insuffisant, à l'eau potable ainsi que les raisons expliquant cette situation.

b) Une eau potable à haute qualité sanitaire

S'agissant de la qualité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine, force est de constater que l'eau distribuée satisfait dans l'immense majorité des cas aux normes de potabilité.

Ainsi, selon la direction générale de la santé (DGS), la population alimentée depuis 2014 par une eau dont la teneur maximale en nitrates est inférieure à la limite de qualité s'élève à plus de 99 %. En ce qui concerne les pesticides, la qualité de l'eau du robinet en France vis-à-vis des pesticides s'est améliorée entre 2018 et 2020, la proportion de personnes alimentées par une eau respectant en permanence les limites de qualité pour les pesticides étant passée de 90,6 % à 94,1 %, mais on relève cependant une diminution de ce pourcentage entre 2020 et 2021, pour s'établir à 82,6 %. Cette situation s'explique notamment par les nouvelles molécules recherchées et un meilleur ciblage des contrôles sanitaires : selon la DGS, les données 2021 mettent en évidence une amélioration de la connaissance de la qualité de ces eaux, sans permettre de véritablement constater une dégradation récente de la qualité de l'eau distribuée en France, sur laquelle il ne sera possible de se prononcer que dans les prochaines années. Pour preuve, le nombre de personnes concernées par des restrictions d'utilisation de l'eau distribuée pour les usages alimentaires est stable, à environ 11 000 personnes.

La qualité microbiologique de l'eau distribuée en France s'améliore progressivement : les non-conformités sont essentiellement le fait des réseaux de distribution de petite taille, alimentant peu d'habitants. Le graphique ci-après illustre la part de la population alimentée par de l'eau respectant en permanence les limites de qualité fixées par la réglementation pour les paramètres microbiologiques :

Source : synthèses « La qualité de l'eau du robinet en France » de 2014 à 2021

https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/eaux/eau

Au final, sans perdre de vue l'excellente qualité sanitaire moyenne de l'eau destinée à la consommation humaine, il ressort de l'audition de la DGS que les principales causes de non-conformité proviennent soit de la dégradation chronique ou accidentelle de la qualité de la ressource en eau (pollution agricole, rejets urbains ou industriels, infiltration d'eau de ruissellement), soit de la mauvaise protection ou d'un manque d'entretien des ouvrages de captage d'eau, mais également parfois de la défaillance du système de production d'eau potable ou encore de la contamination de l'eau au cours de son transport ou de de son stockage (temps de séjour important ou stagnation dans les réseaux de distribution, défaut d'entretien des canalisations et des réservoirs, entrée d'eau parasite, retours d'eau, etc.).

Quoi qu'il en soit, la qualité de la surveillance sanitaire et la réactivité de la réponse publique en cas de dépassements ou de non-conformité sont de nature à asseoir la confiance que l'on peut placer dans la qualité sanitaire des eaux distribuées15(*). La mission d'information tient cependant à marquer son étonnement quant au fait que les molécules recherchées à l'occasion des contrôles sanitaires ne soient pas identiques d'une région à l'autre. Les listes des molécules sont établies par chaque agence régionale de santé et non par le ministère chargé de la santé. Ce dernier justifie cette différenciation territoriale par le nombre élevé de molécules autorisées et utilisées et la diversité des contextes régionaux.

Par une instruction en date du 18 décembre 2020, le ministère chargé de la santé a proposé une méthodologie à destination des ARS pour harmoniser les modalités de sélection des pesticides et de leurs métabolites à analyser dans le contrôle sanitaire de l'eau au robinet, en tenant compte des activités et usages agricoles locaux (quantité de substances actives vendues et surfaces cultivées), de la probabilité de les retrouver dans les eaux et de leur toxicité sur la santé humaine.

Si les usages agricoles varient effectivement d'un territoire à l'autre, les écarts observés posent cependant une question d'équité territoriale : en 2020, l'UFC-Que Choisir relevait ainsi qu'en Île-de-France 495 molécules étaient recherchées, contre seulement 12 dans l'Aisne, département dont 57 % du territoire est couvert par des terres arables, avec une forte prédominance des céréales et des cultures industrielles. Un tel écart ne semble justifié par aucune considération objective et la mission d'information plaide pour la surveillance d'un plus grand nombre de substances lors des contrôles réalisés dans les départements les moins bien lotis.

Le suivi sanitaire de la qualité de l'eau

En France, un double suivi sanitaire de l'eau est effectué : en premier lieu, une surveillance exercée par les personnes responsables de la production et de la distribution de l'eau (PRPDE) ; et dans un second temps, un contrôle sanitaire effectué par les agences régionales de santé (ARS).

I. La surveillance des personnes responsables de la production et distribution de l'eau (PRPDE) ou autocontrôle

La surveillance au titre de l'autocontrôle se compose :

- d'une vérification régulière des mesures prises pour protéger la ressource utilisée ;

- d'une vérification du fonctionnement des installations ;

- de la réalisation d'analyses effectuées en différents points en fonction des dangers identifiés dans le système de production et de distribution de l'eau ;

- de la réalisation régulière d'une étude caractérisant la vulnérabilité des installations de production et distribution d'eau vis-à-vis des actes de malveillance pour les unités de distribution les plus importantes.

L'ensemble des informations ainsi collectées est consigné dans un fichier sanitaire, qui est le support du suivi de l'exploitation.

II. Le contrôle sanitaire externe mis en oeuvre par les ARS

Le contrôle sanitaire comprend :

- la réalisation d'un programme de prélèvements et d'analyses d'eau en différents points des installations de production et de distribution d'eau ;

- l'expertise sanitaire des résultats d'analyse ;

- l'inspection des installations de production et de distribution d'eau ;

- la prise de décision relative aux mesures de l'administration (autorisations, gestion des non-conformités, etc.) ;

- le contrôle de la surveillance exercée par la personne responsable de la production et distribution de l'eau ;

- l'information sur la qualité de l'eau.

Les programmes de contrôle des ARS mettent en oeuvre les dispositions de la directive 2020/2184 du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, transposées au sein du code de la santé publique (CSP). Ils portent sur des paramètres microbiologiques, physico-chimiques ou radiologiques afin de s'assurer que les eaux sont conformes aux exigences de qualité réglementaires et ne présentent pas de risque pour la santé des consommateurs.

La construction des programmes est encadrée par un arrêté du 11 janvier 2007 qui édicte quelques règles générales et propose des analyses types à réaliser. Comme le rappelle l'ANSES dans son avis du 30 janvier 2019 relatif à l'évaluation de la pertinence des métabolites de pesticides dans les eaux destinées à la consommation humaine, « la réglementation ne fournit pas de liste indicative nationale de pesticides à rechercher dans le cadre du contrôle sanitaire. Chaque ARS propose donc une liste en fonction notamment des spécificités des usages agricoles locaux, des quantités de pesticides vendues, du contexte pédoclimatique, etc. ».

Ce contrôle sanitaire donne lieu chaque année à la réalisation de près de 320 000 prélèvements d'eau et de plus de 18,5 millions d'analyses. L'ensemble des résultats alimentent une base de données mise en place en 1994, la « SISE-Eaux d'alimentation » et accessible au public sur le site : https://sante.gouv.fr/sante-et-environnement/eaux/eau.

Concrètement, les prélèvements et les analyses sont réalisés par des laboratoires agréés pour le contrôle sanitaire des eaux au titre du CSP et retenus par les ARS après mise en concurrence. En 2017, 34 laboratoires étaient agréés, pour une analyse médiane de 159 molécules. À cette date, 764 pesticides font l'objet d'au moins un agrément - sachant qu'on estime qu'il existe un peu plus d'un millier de pesticides.

Parmi ces 764 pesticides, moins de 10 % étaient des métabolites, c'est-à-dire des molécules issues de la dégradation de leur molécule mère ou de leur transformation dans les sols au fil du temps.

III. Les exigences de qualité

En France, les exigences de qualité sont classées en deux groupes :

- des limites de qualité pour les paramètres dont la présence dans l'eau induit des risques immédiats ou à plus ou moins long terme pour la santé de la population. Ces limites de qualité concernent, d'une part, les paramètres microbiologiques et d'autre part, une trentaine de substances indésirables ou toxiques (nitrates, métaux, solvants chlorés, hydrocarbures aromatiques, pesticides, sous-produits de désinfection, etc.) ;

- des références de qualité pour une vingtaine de paramètres indicateurs de qualité, témoins du fonctionnement des installations de production et de distribution. Ces substances, qui n'ont pas d'incidence directe sur la santé aux teneurs normalement présentes dans l'eau, peuvent mettre en évidence un dysfonctionnement des installations de traitement ou être à l'origine d'inconfort ou de désagrément pour le consommateur.

IV. La gestion des dépassements des exigences de qualité

La gestion des situations de non-respect des exigences de qualité des eaux distribuées au robinet est encadrée par la réglementation : elle repose sur l'appréciation par l'ARS de la situation et des risques encourus par la population.

En cas de dépassement d'une limite de qualité, la personne responsable de la production et distribution de l'eau doit immédiatement informer le maire et les autorités sanitaires (ARS), procéder à une enquête afin de déterminer les causes du problème et porter les résultats de celle-ci à la connaissance du maire et de l'ARS. Elle doit également prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la qualité de l'eau. En cas de risque pour la santé, l'exploitant, en liaison avec l'ARS, diffuse des recommandations d'usage à la population, en particulier aux groupes de population les plus sensibles.

Une dérogation aux limites de qualité est, sous conditions, possible pour trois ans, renouvelable au maximum deux fois, soit un total de neuf ans.

Ensemble des dispositifs administratifs et techniques
garantissant la sécurité sanitaire des eaux distribuées

c) Un bilan quantitatif et qualitatif plus mitigé dans les territoires ultramarins

Ce bilan satisfaisant de la fourniture d'une eau potable répondant aux normes sanitaires pour la très grande majorité des usagers tout au long de l'année ne doit cependant pas occulter la situation plus contrastée des outre-mer, où le rendement des réseaux est moins satisfaisant notamment en raison de leur vétusté et de la topographie qui complique leur entretien. Des « tours d'eau » (ou coupures programmées) y sont parfois instaurés pour faire face à la difficulté de couvrir en permanence les besoins de tous, dans un contexte marqué par une surexploitation de la ressource.

La situation diffère bien entendu d'un territoire à l'autre, mais des récurrences ont pu être relevées au cours de l'audition du 16 mai consacrée aux offices de l'eau dans les outre-mer :

- la vétusté des réseaux : en Guadeloupe, sur 120 millions de mètres cubes d'eau prélevés annuellement, principalement au niveau des eaux superficielles, plus de 50 % des prélèvements sont perdus en raison des fuites qui émaillent le réseau d'approvisionnement ; en Martinique, malgré l'abondance de la ressource, le taux de rendement du réseau est fortement réduit par une quantité importante de fuites - ce rendement est de l'ordre de 40 %, ce qui conduit à un prélèvement de la ressource largement supérieur aux besoins de la population ;

- la pollution de la ressource au niveau des aires de captage : elle émane, au premier chef, de l'utilisation de pesticides tels que le chlordécone pour les territoires où la banane est cultivée, mais également de rejets industriels générés notamment par les producteurs de rhum et les distilleries. À La Réunion, sur les 12 aires d'alimentation de captage, 6 sont affectées par un problème de pollution ;

- une pression démographique importante aggravée par le contexte insulaire : à Mayotte, la saison des pluies s'est cette année illustrée par une très faible pluviométrie, qui n'a pas permis la recharge des nappes ni le remplissage des retenues, ce qui contraint fortement les services de distribution d'eau, contraints de mettre en oeuvre des « tours d'eau » ; une usine de dessalement est à l'étude pour réduire la dépendance à l'eau de surface et aux précipitations ;

- d'importantes fragilités concernant l'assainissement non collectif : en Guyane, plus de 90 % des installations sont non conformes et à La Réunion, sur les 175 000 dispositifs d'assainissement individuel, environ 90 % présentent des problèmes de conformité ou de fonctionnement, ce qui constitue un risque significatif du point de vue sanitaire comme environnemental. Par ailleurs, les installations sont le plus souvent rudimentaires ;

- enfin, les impayés d'eau réduisent la capacité financière des services d'eau : en Guadeloupe par exemple, le taux de recouvrement de la facturation ne dépasse pas 40 %, ce qui obère les investissements nécessaires à la progression du rendement des réseaux.

Il semble dès lors primordial de renforcer l'effort de solidarité en direction des territoires ultramarins, en accompagnant les offices de l'eau dans leur stratégie de réhabilitation des réseaux et de remise en état des installations d'assainissement non collectif, de promouvoir également une stratégie de sensibilisation de la population quant à la pollution occasionnée par des installations non conformes, d'accompagner en ingénierie les défis spécifiques qui se posent aux territoires ultramarins, en n'oubliant que la performance de la politique de l'eau et la qualité de la ressource font partie des critères à l'aune desquels les politiques publiques sont jugées et évaluées par nos concitoyens ultramarins.

2. La bataille presque gagnée de l'assainissement

L'assainissement, qui désigne l'ensemble des moyens de collecte, de transport et de traitement d'épuration des eaux usées avant leur rejet dans les cours d'eau, est une préoccupation relativement récente des pouvoirs publics : c'est seulement à partir des années 1960 que le déploiement de stations d'épuration performantes est systématisé sur l'ensemble du territoire16(*). C'est ce qui explique notamment que l'âge moyen des réseaux d'assainissement est moindre que ceux des réseaux d'eau, l'équipement en assainissement collectif ayant débuté quelques décennies après celui en eau potable.

a) Un système dual qui repose sur la distinction entre collectif et non collectif

L'assainissement constitue la dernière étape du petit cycle de l'eau : après leur consommation et en raison de l'altération de qualité qui en résulte, les eaux usées font l'objet d'un traitement avant rejet, dans le but de limiter les pressions d'origine anthropique sur les écosystèmes aquatiques. L'eau potable et l'assainissement sont en définitive un seul et même sujet : la qualité de l'eau rendue aux milieux conditionne en effet le traitement nécessaire pour la potabilisation dans les territoires où la ressource ne provient pas des nappes.

Aux termes de l'article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales, les communes doivent assurer le contrôle des raccordements au réseau public de collecte, la collecte, le transport et l'épuration des eaux usées, ainsi que l'élimination des boues produites. Il s'agit en ce cas de l'assainissement collectif, qui comprend toutes les habitations raccordées à un réseau public de canalisations destinées à acheminer les eaux usées à une station d'épuration pour traitement avant rejet au milieu naturel. Un règlement du service public d'assainissement, qui définit les prestations assurées par le service et les obligations de l'exploitant, des usagers et des propriétaires, est remis à chaque usager. Le service public d'assainissement collectif (SPAC) contrôle la qualité d'exécution du raccordement au réseau communal d'assainissement. Ce contrôle, valable 10 ans, est effectué en cas de nouveau raccordement ou de modification sur un raccordement existant.

Pour les immeubles non raccordés au réseau public de collecte, la commune assure le contrôle des installations d'assainissement non collectif (ANC). En fonction de la topographie et de la densité de l'habitat, l'assainissement non collectif peut constituer la solution technique et économique la plus adaptée, notamment en milieu péri-urbain et rural.

Il convient de relever que toute habitation relève, par défaut, de l'assainissement non collectif tant qu'un collecteur d'eaux usées n'a pas été posé et mis en service sur la voie publique dont elle est riveraine. Notons qu'il n'est pas possible de déroger à l'obligation de traitement des eaux usées : en cas de non-raccordement au réseau collectif, chaque habitation est tenue de s'équiper d'un système d'assainissement individuel autonome (fosse septique ou microstation par exemple). En revanche, dès lors qu'un collecteur est posé, le raccordement à l'assainissement collectif est obligatoire sous deux ans, sous peine de pénalités financières. À titre exceptionnel, le non-raccordement et l'éligibilité à l'ANC peuvent être reconnus, de façon transitoire ou définitive, par le service chargé de l'assainissement collectif. Ces prolongations de délai ne doivent toutefois pas excéder dix ans.

Selon le SISPEA, 12 623 services d'assainissement collectif assurent en 2020 au moins une des trois missions principales de la compétence « assainissement » (collecte, transport, dépollution) et on dénombre environ 20 000 stations de traitement des eaux usées en France. À la même date, on estime qu'environ 9 459 communes ne sont pas desservies par l'assainissement collectif, généralement parce qu'elles relèvent de l'assainissement non collectif. On estime à environ 5 millions le nombre d'installations d'assainissement non collectif, qui concernent 15 à 20 % de la population.

Source : Répartition spatiale des services publics d'assainissement collectif par département,
rapport SISPEA 2020

Selon le ministère de la transition écologique17(*), 13,5 milliards d'euros ont été consacrés en 2019 à la gestion des eaux usées en France. La dépense intérieure de gestion des eaux usées est constituée à 90 % de dépenses relatives à l'assainissement collectif, pris en charge par les gestionnaires des services, régies ou délégataires. Les ménages sont les premiers contributeurs à ce poste de dépense de protection de l'environnement, à hauteur de 45 % via la facture d'assainissement, devant les entreprises (22 %), en dehors de celles qui sont spécialisées dans l'assainissement des eaux usées. Au niveau national, on estime que le taux de renouvellement des réseaux de collecte des eaux usées s'élève à 0,46 %.

Il convient de souligner que la performance des réseaux d'assainissement a contribué à l'amélioration de la santé publique et à la qualité des milieux aquatiques. Le traitement des eaux résiduaires urbaines à grande échelle et la progression du taux de raccordement des ménages, des entreprises et des industries a eu un effet notable sur la réduction de la pollution des cours en aval des pôles urbains. Au 1er janvier 2020, la performance des ouvrages d'épuration aux prescriptions nationales issues de la directive eaux résiduaires urbaines, mesurée par le taux de conformité de la performance des ouvrages d'assainissement collectif18(*), s'élève à 92 %. Au niveau européen, ce taux est de l'ordre de 90 %.

b) Des performances d'assainissement perfectibles pour mieux répondre aux exigences européennes

Malgré ce pourcentage satisfaisant, la Commission européenne a adressé en octobre 2017 une mise en demeure à la France pour non-respect de la directive sur le traitement des eaux résiduaires urbaines (DERU) visant 364 agglomérations, sur la base de la performance de leur système d'assainissement au titre de l'année 2014. En mai 2020, la procédure a été complétée par un avis motivé visant 169 de ces agglomérations. Le 9 juin 2021, la Commission européenne a annoncé sa décision de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, en indiquant qu'une centaine d'agglomérations d'assainissement n'étaient toujours pas pleinement en conformité avec la directive.

Il s'agit de la cinquième procédure contentieuse visant la France pour non-respect de la DERU, engagée par la Commission européenne depuis 1998, pour avoir trop tardé à mettre aux normes ses agglomérations d'assainissement de plus de 2 000 équivalents habitants. La Commission souligne notamment que le traitement des eaux usées exige non seulement l'élimination de la matière solide, mais aussi la dégradation des substances organiques par l'utilisation de bactéries. Les communes et EPCI concernés par ce contentieux ont été informés par le Gouvernement de l'avancement de la procédure et invités à transmettre toute donnée utile pour répondre aux griefs de la Commission européenne et faire cesser ces situations de non-conformité.

De même, une quinzaine d'agglomérations ne satisfont pas aux exigences de la directive relative à la protection des zones sensibles contre les nutriments, tels que l'azote et le phosphore, qui peuvent nuire aux réserves d'eau douce et au milieu marin. La révision en cours de la directive sur les eaux résiduaires urbaines, qui structurera l'assainissement des États-membres pour les trente prochaines années, ne manquera pas de rendre cette situation encore plus sensible. La mission d'information insiste à cet égard sur la nécessité d'accompagner les agglomérations concernées pour qu'elles satisfassent aux exigences de qualité des eaux usées traitées, afin d'éviter non seulement une sanction financière de la France mais également en vue de favoriser le retour et le maintien du bon état des écosystèmes aquatiques.

En parallèle, la performance de l'assainissement non collectif19(*) ne s'élève qu'à 61,3 %. Mal entretenues ou défectueuses, les installations individuelles peuvent constituer un danger pour la santé des personnes ou un risque de pollution de l'environnement. Le système reposant sur de nombreuses petites installations individuelles, que chaque propriétaire doit entretenir régulièrement, son efficacité dépend de la qualité de cet entretien, de la régularité de la vidange et de l'efficience du contrôle des installations.

Le service public d'assainissement non collectif (SPANC) est chargé de vérifier le bon fonctionnement et l'entretien de chaque installation au moins tous les dix ans. Pour financer le fonctionnement de ce service, les propriétaires disposant d'une installation d'assainissement non collectif sont assujettis à la redevance d'assainissement non collectif, dont le montant est fixé de façon à couvrir entièrement le coût d'exploitation du SPANC. Des marges d'amélioration et de progrès restent à accomplir, notamment en matière de connaissance et de cartographie des installations, d'accompagnement des propriétaires pour l'entretien des leurs installations, d'élimination des matières de vidange et de contrôle, afin d'améliorer sensiblement la performance de l'assainissement non collectif, qui constitue un réel point noir.

Une piste pour améliorer le taux de conformité des installations pourrait notamment consister à rendre obligatoire, au sein du diagnostic d'assainissement non collectif remis à l'acheteur au moment de la vente, le détail des travaux nécessaires à l'amélioration de l'assainissement individuel ainsi que le montant estimatif de leur réalisation

Le diagnostic d'assainissement non collectif

L'article L. 1331-11-1 du code de la santé publique, introduit par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 et complété par la loi « Grenelle II » de 2010, prévoit, lors de la vente d'un immeuble à usage d'habitation non raccordé au réseau public de collecte des eaux usées, la fourniture obligatoire depuis le 1er janvier 2011 par le propriétaire-vendeur de ce diagnostic, daté de moins de trois ans, délivré par le service public d'assainissement non collectif.

En revanche, si le contrôle des installations d'assainissement non collectif est daté de plus de trois ans ou inexistant, sa réalisation est à la charge du vendeur. Une fois le bien vendu, le nouveau propriétaire de la maison devient responsable de l'entretien régulier de son installation. En cas de non-conformité attestée par le diagnostic, les travaux de mise aux normes doivent être effectués au plus tard un an après l'achat du bien.

Dans certains cas, le coût de remise en état d'une installation d'assainissement non collectif peut être supérieur 10 000 euros, ce qui constitue bien souvent un obstacle à la réalisation des travaux. Pour s'assurer de la réalisation des travaux, une somme pourrait être provisionnée sur le montant de la vente pour la mise en conformité de l'installation non conforme et ainsi garantir les fonds nécessaires à la remise en état. Il pourrait s'agir d'une solution efficace pour améliorer progressivement le taux de conformité des installations, sans faire peser de charge nouvelle sur les propriétaires.

Un dernier point a enfin retenu l'attention de la mission d'information : si les gestes éco-responsables pour économiser l'eau commencent à entrer dans les moeurs, les réflexes pour préserver le système d'assainissement des eaux usées le sont moins. D'après l'enquête nationale de 2021 « Les Français et l'eau20(*) », seuls 62 % des Français sont conscients qu'il n'est pas recommandé de jeter n'importe quoi dans le système d'assainissement car cela pollue les ressources et perturbe le processus de dépollution. C'est d'autant plus inquiétant que cette proportion diminue nettement par rapport à la précédente enquête (69 %).

Le Plan eau prévoit à cet égard une sensibilisation dès le plus jeune âge aux enjeux de l'eau et à la sobriété, ce qui est fondamental pour renforcer la prise de conscience de la nécessité de préserver la ressource en eau. Cette sensibilisation pourrait utilement promouvoir des gestes et des réflexes facilitant le traitement des eaux usées, comme la nécessité de ne pas jeter les lingettes dans les toilettes, car elles bouchent les canalisations, ou de ne pas y verser de produits toxiques car ils sont dangereux pour les exploitants et endommagent la qualité des rivières.

3. Le combat en cours contre les nouveaux polluants

Les réseaux d'assainissement, dont les performances progressent à mesure du perfectionnement des techniques dépolluantes et épuratoires, font cependant face depuis plusieurs années à une nouvelle frontière, celle des « nouveaux polluants ». Un nombre croissant d'études indique en effet que l'eau que nous consommons contient, en quantité infime mais néanmoins décelable et potentiellement toxique, des micropolluants et des substances à caractère de perturbateur endocrinien dont les effets sur la santé humaine, les écosystèmes et la biodiversité restent à évaluer.

a) Une bombe sanitaire à retardement : les nouveaux polluants

Les analyses chimiques des eaux réalisées en laboratoire sont préoccupantes : les résultats mettent en évidence la présence de résidus médicamenteux, de micro-plastiques, de pesticides et de leurs métabolites, de parabènes, de phtalates, de métaux lourds ainsi que de PFAS21(*). Le nombre considérable de nouvelles entités chimiques mises sur le marché et l'absence d'évaluation fondée sur le cycle de vie de la molécule, depuis sa mise sur le marché jusqu'à la dégradation dans les milieux, contribuent à l'acuité du phénomène ainsi qu'à son insuffisante connaissance. Chaque année, des millions de tonnes de substances chimiques sont produites, parmi lesquelles beaucoup ont des effets biologiques évidents - certaines sont d'ailleurs précisément conçues à cet effet.

Un micropolluant émergent est une molécule organique ou synthétique qui n'est pas couramment surveillée, susceptible de présenter des effets adverses sur la santé ou l'environnement. Il peut s'agir d'une molécule nouvellement synthétisée, utilisée en grande quantité, mais aussi d'une molécule suscitant depuis peu l'intérêt et l'interrogation de la communauté scientifique et des autorités, avec souvent un décalage dans le temps par rapport à l'utilisation de la molécule, ainsi que l'illustrent le cas des PFAS et du S-Métolachlore.

Pour mesurer l'ampleur de ce risque de pollution et de contamination des milieux aquatiques, il suffit de considérer que la production de produits chimiques a été multipliée par cinquante depuis 1950 et les projections optimistes indiquent qu'elle pourrait encore tripler d'ici à 205022(*). Nous sommes en présence d'un phénomène qui englobe un très grand nombre de molécules : plus de 350 000 substances chimiques ont d'ores et déjà été recensées dans l'environnement ! On dénombre plus de 100 000 substances commercialisées en Europe, dont 30 000 en quantité supérieure à une tonne par an. Les réglementations nationales et européennes sont inadaptées à ce phénomène, car elles reposent sur des listes limitées de composés à rechercher, dont l'actualisation intervient souvent bien après les premières détections dans les milieux aquatiques et terrestres. Il convient de préciser qu'il existe un délai incompressible entre l'identification d'une molécule d'intérêt et l'élaboration d'une méthodologie de surveillance exploitable à l'échelle nationale, que le laboratoire d'hydrologie de l'ANSES évalue à deux ans.

De plus, selon les masses d'eau inspectées, les contaminations peuvent se produire bien longtemps après le déversement ou la dispersion dans les milieux : certaines substances, comme l'atrazine, herbicide très largement utilisé en grandes cultures avant d'être interdit voici près de vingt ans, constituent encore, de nombreuses années près leur interdiction, la première cause de déclassement des eaux souterraines, parce qu'extrêmement rémanentes.

La recherche des pesticides et de leurs résidus dans les eaux

Parmi les substances (une cinquantaine) pour lesquelles la directive européenne prévoit un suivi des valeurs paramétriques, certains sont des substances uniques, à l'instar de l'arsenic ou du chrome, d'autres sont des familles de substances, et notablement les pesticides.

Le cadre européen prévoit une valeur paramétrique par pesticide (0,10 microgramme par litre) ainsi qu'une valeur pour la somme des pesticides (0,50 microgrammes).

Les métabolites de pesticides, lorsqu'ils sont jugés pertinents c'est-à-dire susceptibles de présenter des risques sanitaires inacceptables pour le consommateur, sont inclus dans ces valeurs. La législation européenne ne précise toutefois pas les critères permettant de qualifier un métabolite comme pertinent. Une instruction DGS du 18 décembre 2020, rappelle que tous les métabolites sont par défaut considérés comme pertinents en France, tout en proposant, pour la première fois, une méthode d'identification des métabolites à risques.

Les valeurs paramétriques issues de la législation européenne ne constituent cependant pas une norme sanitaire. Comme le rappelle le ministère de la santé dans son bilan de la qualité de l'eau au robinet de décembre 2022, « Contrairement aux autres limites de qualité, ces limites ne sont pas fondées sur une approche toxicologique et n'ont donc pas de signification sanitaire ; elles ont pour objectif de réduire la présence de ces composés au plus bas niveau de concentration possible. »

La gestion des risques sanitaires est principalement fondée sur des limites établies, sur le fondement des connaissances disponibles dans la littérature scientifique, par l'ANSES, comme l'indique le bilan susmentionné : « La gestion des risques sanitaires est notamment basée sur ces limites de qualité réglementaires et les « valeurs sanitaires maximales (Vmax) » établies par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. La consommation pendant la vie entière d'une eau contenant un pesticide à une concentration inférieure ou égale à la Vmax n'entraîne, sur la base des critères toxicologiques retenus et en l'état actuel des connaissances, aucun effet néfaste pour la santé. Si la concentration en pesticide est supérieure à la Vmax, des restrictions de consommation sont prononcées ».

Ainsi, selon que l'on se fonde sur les valeurs de la règlementation européenne ou sur les Vmax, les interprétations de la qualité de l'eau varient sensiblement :

- pour 2021 (dernières données disponibles), 17,4 % de la population française soit 11,5 millions d'habitants, a été alimenté par une eau du robinet au moins une fois non conforme au regard de la règlementation. Ce chiffre est en forte augmentation - il s'établissait à 6 % de la population en 2020 - du fait de l'ajout de nouveaux métabolites dans les programmes de contrôle des ARS.

- en revanche, seulement 0,02 % de la population, soit 11 000 habitants, a été alimenté par une eau pour laquelle au moins une molécule de pesticide est supérieure à sa Vmax, et a ainsi fait l'objet de restrictions des usages alimentaires de l'eau.

Un long travail d'analyse des métabolites est engagé depuis plusieurs années, conduisant à confirmer ou infirmer progressivement leur caractère pertinent ou non, afin de déterminer leur Vmax lorsque cela est possible. Ce travail permet d'affiner au fur et à mesure les programmes d'analyse du contrôle sanitaire mis en oeuvre par les ARS.

En ce qui concerne les métabolites du chlorothalonil, pesticide utilisé de 1970 à 2019, classé cancérogène probable par les autorités sanitaires européennes - dont le métabolite R471811 non recherché jusqu'à présent - ils ont été identifiés dans environ un tiers des relevés effectués par l'ANSES à des niveaux supérieurs à la règlementation européenne (0,1 microgramme par litre).

L'ANSES n'a pas encore établi de Vmax pour ce métabolite, ce qui rend l'analyse de ce résultat complexe dans la mesure où en l'absence de cet indicateur, il n'est pas possible d'estimer le degré avéré de dangerosité des concentrations observées. Ce métabolite avait fait l'objet d'un avis du 26 janvier 2022 de l'ANSES, portant sur quatre métabolites au total. Deux, dont le Chlorothalonil R471811, ont été déclarés pertinents à cette occasion.

Au 30 janvier 2019, l'ANSES avait procédé à l'analyse de 22 métabolites pertinents, parvenant à déterminer une Vmax pour 18 d'entre eux.

Si les contaminants réglementés sont suivis de manière assez fine, ils ne représentent néanmoins qu'une part infime des micropolluants connus, qui eux-mêmes ne constituent qu'une petite partie des contaminants présents, parce qu'ils sont inconnus ou non suivis. Certaines molécules sont toxiques à partir de quelques nanogrammes, voire picogrammes, par litre. En outre, les processus de transformation au cours du temps des composés organiques sont encore mal appréhendés par la science. Enfin, la diminution de la ressource en eau sous l'effet du changement climatique entraînera une augmentation de la concentration des polluants et la hausse de la température des eaux favorisera la solubilisation des polluants et les transferts.

La capacité de détection des micropolluants a progressé de façon spectaculaire ces dernières années, ce qui renforce de façon substantielle notre connaissance de la composition des eaux. Selon Christophe Rosin, chef de l'unité chimie des eaux au laboratoire d'hydrologie de l'ANSES à Nancy23(*), « avec le développement des nouvelles technologies, nous disposons d'instruments de plus en plus performants, qui nous permettent de quantifier des concentrations de plus en plus faibles. Nous sommes ainsi passés à la détection, dans les années 1960-1970, de concentrations de l'ordre d'un milligramme par litre, soit environ un kilogramme de sucre dans une piscine olympique, à un microgramme par litre, qui représente un sucre dans cette même piscine, pour atteindre aujourd'hui l'échelle du nanogramme par litre, soit quelques grains de sucre dans le même volume d'eau ». La progression de la connaissance et l'affinage des outils de mesure contribuent à une vision beaucoup plus fine et exhaustive de la composition chimique des eaux, qui constituent probablement le bien commun le plus surveillé. À cet égard, une évidence doit être rappelée : plus l'on cherche, plus l'on trouve.

Les effets sur la santé humaine des expositions à long terme aux micropolluants présents dans les eaux restent encore à découvrir et les problématiques de reprotoxicité, de cancérogénicité, de mutagénicité, de génotoxicité, de neurotoxicité et d'immunotoxicité se posent de façon aigüe du fait de l'imperfection de nos connaissances scientifiques à ce stade. Comme l'a souligné Jeanne Garric devant l'OPECST, directrice de recherche émérite à l'INRAE, « nous ne disposons ni des outils ni de l'imagination nécessaires pour anticiper les conséquences de ce que nous sommes en train d'introduire dans la nature. » Cette contamination aux micropolluants est caractérisée par des mélanges extrêmement complexes, une exposition chronique permanente à travers tout l'environnement, sachant que l'homme est au sommet de la chaîne trophique ; prédateur ultime, nous récupérons de ce fait l'ensemble de la pollution accumulée par les autres éléments de la chaîne alimentaire.

b) La nécessité d'une réponse en deux temps : levier technologique et prévention à la source

Ce diagnostic assez sévère sur la qualité des eaux au regard des micropolluants émergents doit servir d'aiguillon à l'action des pouvoirs publics, à un effort de recherche accru des organismes scientifiques et à l'innovation technique des systèmes d'assainissement et de dépollution, en déployant des mesures préventives et correctives qui ciblent en priorité les substances dont les effets sur la santé humaine ou animale sont les plus néfastes à court et moyen termes, en diminuant la concentration des substances prioritaires et en éliminant les substances dangereuses. Cependant, d'après le principe selon lequel la meilleure pollution est celle qui a été évitée, l'effort premier doit porter sur la prévention, avec une analyse plus approfondie des substances avant mise sur le marché et une meilleure protection des aires de captage des eaux destinées à la consommation humaine. La direction de l'eau et de la biodiversité estime ainsi que le coût du traitement est au moins trois fois supérieur à celui de la prévention.

L'enjeu majeur de la protection des captages

La protection des captages d'eau potable et son corollaire, la lutte contre les pollutions diffuses, sont des problématiques majeures pour la qualité des eaux, plus particulièrement en raison de l'émergence des micropolluants. La France compte près de 33 150 captages utilisés pour l'alimentation en eau potable, deux tiers à partir de nappes souterraines, un tiers à partir d'eaux de surface. Ils couvrent une superficie équivalente à environ 3 % de la surface agricole utile (SAU).

Les collectivités et les gestionnaires des réseaux d'eau potable ont de longue date mis en oeuvre des mesures de protection des aires de captage, dans une logique de prévention à la source de la dégradation de la qualité des eaux mais l'approche unifiée au niveau national n'est apparue que récemment.

I. L'émergence récente de la protection des aires de captage

Depuis la loi sur l'eau du 3 janvier 1992, l'instauration des périmètres de protection des points de prélèvement d'eau pour l'alimentation est obligatoire. Les périmètres de protection du captage (PPC immédiate, rapprochée, éloignée) visent à assurer la protection de la ressource en eau, vis-à-vis des pollutions de nature à rendre l'eau impropre à la consommation. C'est la collectivité qui engage la procédure qui conduit à un arrêté de déclaration d'utilité publique (DUP).

L'aire d'alimentation de captages (AAC) désigne la surface sur laquelle l'eau qui s'infiltre ou ruisselle alimente le ou les captages. Ce zonage a pour objectif de désigner la zone où des actions seront mises en place pour la protection de la ressource en eau et la lutte contre les pollutions diffuses.

Source : Office international de l'eau

Sous l'impulsion du droit européen, et notamment sur le fondement de l'article 7 de la DCE, des efforts ont été entrepris pour l'établissement d'un cadre plus uniforme de protection des aires de captage. La directive-cadre européenne sur l'eau impose, sans dérogation possible depuis 2015, que toutes les masses d'eau utilisées pour le captage d'eau potable respectent les normes de qualité (< 50 mg nitrates/l et < 0,1 ug pesticides/l).

II. Les moyens d'action à disposition des collectivités

Plusieurs outils règlementaires ont été instaurés pour limiter les atteintes à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, à travers :

- les périmètres de protection des captages d'eau potable (articles L. 1321-2, R. 1321-13 et R. 1321-14 du code de la santé publique)

- les zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) qui peuvent également être mobilisées - le préfet arrête la zone de protection de l'aire d'alimentation du captage (ZP-AAC) et le programme d'actions à mettre en oeuvre dans cette zone par les agriculteurs exploitants et propriétaires de terrains ;

- la mise en oeuvre de zones d'actions renforcées (ZAR) lorsque la teneur en nitrates est supérieure à 50 mg/l (R. 211-81-1 du code de l'environnement)

Par ailleurs, les agences de l'eau accompagnent financièrement les collectivités pour la protection des aires de captage.

III. Une politique à conforter pour passer à la vitesse supérieure

Aujourd'hui, malgré l'intérêt de cette architecture normative, la qualité de l'eau prélevée en France au regard des nouvelles formes de pollution est préoccupante : on considère ainsi que 3 000 captages sont aujourd'hui dégradés et plus de 7 800 captages ont été fermés depuis 20 ans.

La mauvaise qualité de l'eau, due notamment aux nitrates et aux pesticides, en est la première cause (39 % des abandons), devant la rationalisation des réseaux (22 %), les débits trop faibles (12 %), les problèmes techniques ou de vétusté (9 %), une protection impossible (7 %) et les causes administratives (9 %).

Plusieurs acteurs ont évoqué devant la mission d'information que l'approche française restait trop souvent axée sur des mesures palliatives, à travers le financement de la dépollution, plutôt que viser une meilleure protection des captages. Les performances des services de l'eau en matière de traitement peuvent également induire des biais quant à la perception de l'acuité du problème.

Parmi les pistes à explorer pour renforcer la protection des aires de captage, il pourrait être opportun de développer les zones de protection élargies, car c'est un outil efficace qui a démontré sa pertinence et qui permet de limiter le traitement des eaux. L'idée pourrait être d'aboutir à zéro pesticide de synthèse au sein des aires de captage d'ici 10 à 15 ans. Une autre piste pourrait consister à développer les paiements pour services environnementaux dans les aires d'alimentation, avec des engagements contractuels des agriculteurs moyennant rémunération.

En tout état de cause, il est nécessaire que la lutte contre les micropolluants s'inscrive dans les priorités des agences de l'eau et de l'OFB.

Les actions mises en oeuvre pour mieux connaître et agir vis-à-vis de ces micropolluants sont inscrites dans le plan d'action national sur les micropolluants, piloté par le ministère de la transition écologique, sur la période 2016-2021. Un nouveau plan pour réduire cette pollution à la source est actuellement en préparation, qui visera notamment à établir une meilleure connaissance des micropolluants en n'effectuant plus de surveillance substance par substance, mais par famille de substances, pour une plus grande efficacité.

Plus spécifiquement, un plan d'action PFAS 2023-2027 a été publié en janvier dernier, afin accélérer la production des connaissances scientifiques sur ces polluants dits « éternels », pour réduire les risques à la source et mettre en oeuvre une meilleure surveillance des milieux. On peut déplorer cependant que la surveillance des eaux potables ne sera systématisée qu'à partir de 2026 et que les mesures préventives n'incluent pas de façon de systématique la surveillance des sols et l'interaction ruissellement et contamination des masses d'eau souterraines et de surface.

En ce domaine, non seulement la qualité du suivi et de l'évaluation des mesures prises, mais également les moyens financiers seront centraux à la réduction de ce type de pollution émergente. La mission d'information plaide pour des ambitions fortes dans ce domaine, dans une logique de prévention et d'action à la source, le plus en amont possible, conformément à l'approche « une seule santé ».


* 13 Ordonnance n° 2022-1611 du 22 décembre 2022 relative à l'accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

* 14 À l'article L. 1321-1 A du code de la santé publique.

* 15 D'après l'enquête nationale 2021 « Les Français et l'eau », 85 % de la population a confiance en l'eau du robinet en France.

* 16  https://www.cieau.com/le-metier-de-leau/ressource-en-eau-eau-potable-eaux-usees/histoire-des-eaux-usees/

* 17  https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/gestion-de-leau-et-assainissement

* 18 Ce taux résulte des conformités de chaque station de traitement des eaux usées (STEU) du service, pondérées par la charge moyenne entrante en DBO5 (moyenne annuelle), qui constitue une unité de mesure permettant d'évaluer la capacité d'une station d'épuration. Elle est foncée sur la quantité de pollution émise par personne et par jour.

* 19 https://www.services.eaufrance.fr/indicateurs/P301.3

* 20  https://www.cieau.com/wp-content/uploads/2022/12/Barometre_National_2021.pdf

* 21 Souvent surnommés « polluants éternels », les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) présentent des liaisons carbone-fluor très solides, très peu biodégradables, très hydrophiles et solubles dans l'eau.

* 22 Chiffres présentés par Hélène Budzinski, directrice de recherche au CNRS, lors de l'audition de l'OPECST du 8 juin 2023 consacrée à la surveillance et les impacts des micropolluants de l'eau.

* 23 Compte rendu de l'audition de l'OPECST du 8 juin 2023.