B. UNE EXIGENCE : PROTÉGER LES ÉLUS MUNICIPAUX EN TOUTES CIRCONSTANCES FACE AUX MENACES ET AUX MISES EN CAUSE

Les travaux de la mission confirment que les élus municipaux sont confrontés à deux phénomènes qui déstabilisent leur action et menacent parfois leur personne.

Ils ne doivent pas être confondus car ils sont de natures profondément différentes.

Le premier est celui des menaces, incivilités et violences auxquelles sont exposés les maires et les autres élus municipaux. C'est une atteinte directe, parfois physique, à leur personne, leur autorité, leurs biens et leurs proches. De tels manifestations ne peuvent être tolérées et appellent la réponse la plus ferme.

Le second phénomène est celui de la mise en cause des élus devant les tribunaux. Il s'appuie sur le droit des citoyens à contester les décisions administratives ou à dénoncer l'action des élus malgré les exigences déontologiques fortes qui s'imposent à ces derniers. Pour autant, il n'apparaît pas évident que toutes ces actions soient légitimes.

Dans ce cas, comme dans le premier, la demande de protection de des élus est justifiée. Y répondre est une exigence impérieuse pour les pouvoirs publics.

1. Garantir la protection effective des maires et élus municipaux dans l'exercice de leur mandat

· Incivilités, menaces et violences : un phénomène à l'expansion inquiétante

Saint-Brevin-les-Pins en Loire-Atlantique, Carnac dans le Morbihan, Montjoi en Tarn-et-Garonne, Lauris en Vaucluse, Annecy en Haute-Savoie, Kougoun à Mayotte, La Haÿ-Les-Roses dans le Val-de-Marne... Le nombre de faits ayant attiré l'attention des médias sur les violences ou les menaces contre les élus n'a cessé d'augmenter depuis que la mission a engagé ses travaux.

Encore ces affaires ne représentent-elles qu'une part infime d'un phénomène qui a gagné en extension au cours des dernières années.

Lors de ses déplacements ou de ses auditions, la mission a entendu de nombreux élus relater les menaces ou les violences dont ils ont été victimes, comme les maires de Neroy dans le Loiret, Fouilloy dans la Somme ou Ubexy dans les Vosges.

Surtout, elle a pris la mesure du phénomène par la consultation des élus locaux à laquelle elle a procédé : sur 2 954 élus ayant répondu, les proportions de ceux qui ont été victimes d'injures ou d'incivilités, de menaces ou de violence sont les suivantes :

Réponses à la question : Avez-vous été victime dans le cadre de l'exercice de vos fonctions municipales, depuis le début du mandat actuel...

... d'incivilités (impolitesse, agressivité, etc.) ou d'injures ?

... de menaces verbales ou écrites ?

... d'agressions physiques ou de violences ?

Fréquemment

5,1 %

2,5 %

0,6 %

Parfois

35,4 %

22,5 %

4,2 %

Rarement

31,0 %

27,0 %

9,4 %

Jamais

27,4 %

46,2 %

82,1 %

Ne se prononce pas

1,2 %

1,7 %

3,7 %

Source : Mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France

Les proportions sont importantes : seuls un peu plus d'un quart des élus répondants (27,4 %) ont été préservés des d'injures ou incivilités, et moins de la moitié (46,2 %), de menaces. Près de 20 % ont subi des violences.

Ceci rejoint les études conduites par l'AMF qui dénoncent une augmentation des outrages, menaces et violence contre les élus de 15 % en 2022, en dénombrant 1 500 environ à partir des déclarations faites à son observatoire des agressions envers les élus et des faits rapportés par la presse240(*).

Interrogé par le rapporteur, la DGCL a indiqué qu'au cours du premier trimestre 2023, « 891 faits visant des élus ont été recensés par les services de police et de gendarmerie et 632 procédures initiées. [...] Le plus fréquemment, les élus sont victimes d'outrages (36 %) et de menaces de mort (21 %). Les faits de violences physiques (160 en 2020) restent largement minoritaires et stables par rapport à 2022 (165). 42 % des procédures concernent les maires et 20 % les députés. En zone de gendarmerie nationale (ZGN), ce sont les maires, adjoints et conseillers municipaux qui sont principalement visés, à 85%. Les parlementaires représentent 12% des victimes. En zone de police nationale (ZPN), ce sont les députés qui sont le plus visés : ils représentent 50% des atteintes aux élus, devant les maires (25% ). » Encore ces statistiques ne rendent-elles compte que des affaires signalées aux services de police et de gendarmerie.

Si les faits les plus graves ne sont, heureusement, pas les plus nombreux, ceci signifie malgré tout que les maires sont régulièrement exposés à ces manifestations d'agressivité. Rien ne serait pire de les abandonner face à elles.

· Hausser le niveau de protection et d'accompagnement des élus municipaux victimes d'agressions de toutes sortes

Auditionné par la mission, Yannick Morez, maire démissionnaire de Saint-Brevin-les-Pins, a alerté sur les risques de désengagement des élus en cas de défaut de protection effective des maires dans le cadre de leur mandat. Ainsi a-t-il déclaré : « J'ai bien peur qu'en 2026, dans certaines petites communes, nous n'ayons pas de liste. Il va falloir prendre en compte cette non-participation et ce non-engagement des citoyens qui craignent parfois les conséquences d'un engagement politique. Nous devons les rassurer. »

Interrogée sur les réponses du Gouvernement pour répondre à la démission de Yannick Morez et au phénomène plus large de la protection des élus face à la recrudescence des violences à leur encontre, la DGCL a indiqué que « l'identification de solutions est l'enjeu même du centre d'analyse et de lutte contre les atteintes aux élus (CALAé) installé le 17 mai dernier par la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité en présence notamment du préfet de police de Paris, des directeurs généraux de la gendarmerie [DGGN] et de la police [DGPN] nationales, du directeur général de l'ANCT et de la directrice générale des collectivités locales ».

Cette avancée est un premier pas salutaire afin de mieux connaître le phénomène des violences aux élus et de coordonner l'action des forces de sécurité et du monde judiciaire dans la réponse opérationnelle et judiciaire apportée, sur le terrain, pour la protection des élus. Toutefois, la mission sera particulièrement vigilante quant à la mise en oeuvre et au fonctionnement du CALAé. En effet, une telle initiative ne doit pas demeurer une coquille vide et doit surtout s'appuyer sur un effort d'écoute particulièrement soutenu des maires et élus, qui doivent être associés à sa conduite, comme le rappelait l'AMF dans un communiqué de presse : « la création d'un Centre d'analyse et de lutte contre les violences faites aux élus, dont la présentation a eu lieu ce jour et qui doit permettre de comprendre l'origine de ces violences et de pouvoir agir dans le domaine de la prévention répond à une demande ancienne de l'AMF. L'Association a demandé à être étroitement associée aux travaux de ce nouveau centre d'analyse qui doit devenir une plate-forme nationale d'enregistrement et de suivi des plaintes »241(*).

Consultée sur ce point par la mission, la DGCL a rappelé les premières mesures du « pack de sécurité » annoncé par le Gouvernement, à savoir :

- la désignation de référents « atteintes aux élus » dans les zones gendarmerie et police nationales afin que les élus aient un point de contact privilégié pour parler des menaces ou des violences dont ils font l'objet, que leur situation soit connue et qu'une action soit mise en oeuvre ;

- le renforcement du dispositif « alarme élus » : inscription, à leur demande, des élus dans le système d'information opérationnel (SIP) de la DGGN et dans Pegase pour la DGPN ;

- des diagnostics réalisés par le réseau des correspondants et référents sûreté de la gendarmerie nationale (5 007 gendarmes) et de la police nationale (951 policiers) ;

- le recueil des plaintes des élus dans le lieu de leur choix (mairies, domiciles, etc.), dans une logique d'« aller vers », grâce aux moyens modernes de prise de plainte.

A également été annoncé l'envoi d'une instruction « aux préfets, aux unités de la police nationale et aux unités de gendarmerie nationale pour mobiliser l'ensemble de ces acteurs sur ce sujet et expliciter le contenu du pack » dont on ne connaît pas encore l'effectivité.

Ainsi, certaines des demandes des élus municipaux paraissent recevoir une première réponse dans les annonces gouvernementales, ce dont la mission ne peut que se féliciter.

Les constats établis à l'issue de ses travaux, en s'appuyant en particulier sur la consultation des élus locaux qu'elle a lancée, l'amènent toutefois à formuler des propositions complémentaires qui poursuivent un double objectif : d'une part, mieux protéger les élus locaux dans l'exercice de leurs mandats et, d'autre part, améliorer l'accompagnement par les acteurs judiciaires et étatiques chargés des élus victimes.

Ces propositions reprennent, pour l'essentiel, des mesures de la proposition de loi déposée le 26 mai 2023 au Sénat par le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, le rapporteur et la présidente de la mission ainsi que plusieurs de leurs collègues renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires.

Ainsi, il apparaît souhaitable, en premier lieu, de renforcer l'arsenal répressif en cas de violences commises à l'encontre des élus en :

aggravant les peines encourues pour des faits de violences commises à l'encontre des élus, afin de les aligner sur les peines prévues pour les dépositaires de l'autorité publique, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende si les violences ont entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours et sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende si l'incapacité de travail qui en résulte dépasse huit jours ;

- prévoyant une peine de travail d'intérêt général en cas d'injure publique lorsqu'elle est commise à l'encontre des personnes dépositaires de l'autorité publique, dont les élus locaux, ainsi qu'une nouvelle circonstance aggravante pour les cas de harcèlement, notamment en ligne, contre les élus locaux, afin de répondre au développement des menaces en ligne et des injures proférées sur les réseaux sociaux, dont nombre des élus entendus par la mission ont souligné la nocivité, de ce point de vue.

En complément, il est apparu indispensable au rapporteur d'améliorer la prise en charge des élus victimes de violences, agressions ou injures dans le cadre de leur mandat. Il propose ainsi de :

simplifier la mise en oeuvre effective de la protection fonctionnelle, en lui conférant un caractère automatique pour les maires et adjoints qui en font la demande pour des faits commis dans l'exercice de leur mandat, y compris en cas de violence, menace ou outrage. Il resterait néanmoins loisible au conseil municipal, par une délibération spécialement motivée par l'intérêt général prise dans un délai de trois mois, de retirer le bénéfice d'une telle protection fonctionnelle au maire ou à un adjoint ;

élargir à l'ensemble des communes de moins de 10 000 habitants la compensation financière par l'État des coûts de couverture assurantielle pesant sur ces dernières pour l'octroi de la protection fonctionnelle ;

Au surplus, le rapporteur insiste sur la faiblesse des montants des barèmes de compensation de ces coûts compris entre 133 euros pour les communes les plus peuplées et 72 euros pour les plus petites242(*), ce qui ne permet pas toujours aux communes d'obtenir une juste compensation, à rebours de l'intention du législateur exprimée clairement lors des débats sur le projet de loi dit « Engagement et proximité » de 2019. Ce dispositif étant relativement récent, la mission estime indispensable que sa mise en oeuvre soit suivie, afin de voir s'il se confirme qu'une revalorisation des montants est nécessaire.

- prévoir, enfin, la prise en charge par la commune, au titre de la protection fonctionnelle, de l'ensemble des restes à charge ou dépassements d'honoraire résultant de la prise en charge médicale et psychologique des élus victimes.

Enfin, la mission est convaincue que ces évolutions de l'arsenal judiciaire et législatif destiné à protéger les maires et élus municipaux doivent impérativement s'accompagner d'un changement profond de culture des acteurs judiciaires qui ne peuvent plus rester passifs face à ces phénomènes.

Lors de son déplacement dans la Somme, elle a pu examiner le dispositif mis en place par Jean-Philippe Vicentini, procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Amiens, qui associe l'association départementale des maires et se décline en plusieurs points :

- la désignation d'un substitut du procureur référent par intercommunalité, auquel tous les maires peuvent avoir accès ;

- la création d'une boîte mail, réservée aux maires, relevée chaque jour par le substitut référent, sur laquelle ils peuvent échanger et porter plainte pour toute infraction commise sur le territoire de leur commune ;

- la mise en place d'une politique pénale par laquelle le procureur s'engage à donner des suites pénales, avec déferrement, à toute atteinte contre les élus et à toujours motiver les éventuels classements sans suite ;

- la mise en place de relais réguliers d'information auprès des élus.

Le rapporteur estime que cet ensemble de bonnes pratiques mériteraient d'être généralisé aux autres ressorts judiciaires.

Proposition n° 7 : Protéger les élus municipaux en toutes circonstances face aux menaces et aux mises en cause.

Sous-proposition n° 1 : Garantir la protection effective des maires et élus municipaux face aux violences, menaces et outrages, par un renforcement de la protection fonctionnelle et une amélioration du dispositif judiciaire.

2. Sécuriser l'action des élus locaux dans l'exercice quotidien de leur mandat : responsabilités et obligations déontologiques

Interrogées sur ces points, la DGCL et le ministère de la justice ne disposent d'aucune statistique exhaustive sur le nombre d'élus mis en cause et condamnés, de même que sur les violences commises contre les élus en général - les statistiques recensant uniquement les dépôts de plainte et faits dénoncés par les élus. Certaines approximations peuvent néanmoins permettre de dresser un premier panorama statistique. Ainsi, l'observatoire de la Société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL) établit un suivi statistique qui permet de dresser les tendances générales de poursuites engagées à l'encontre des élus, comme des condamnations effectives de ces derniers. Ses travaux sont éclairants à deux égards.

D'une part, les données qu'elle fournit confirment une hausse continue du nombre de poursuites des élus locaux depuis 1995 avec une stabilisation du nombre de mises en cause depuis le mandat 2014-2020. A ainsi été observée une hausse de 51,5 % du nombre de poursuites entre les mandats 2008-2014 et 2014-2020. D'autre part, selon les estimations réalisées par l'observatoire, le nombre de condamnations devrait atteindre sur le mandat 2020-2026 son record historique, s'établissant à 642 condamnations, tandis que le nombre d'élus locaux poursuivis connaîtrait une relative décrue, s'établissant à 1 617.

Nombre d'élus locaux poursuivis et condamnés par mandature
depuis 1995, toutes infractions confondues

Source : rapport annuel 2022 de la Société mutuelle d'assurance des collectivités locales.

Confortant ces tendances, le Conseil d'État, dans une étude publiée en 2018, relevait que « si le risque de condamnation est limité par une définition raisonnable de la faute pénale, le risque de mise en cause est plus sérieux. [...] La recherche de la responsabilité pénale des décideurs paraît ainsi constituer une tendance forte »243(*).

(1) Un cadre juridique progressivement étoffé

Les obligations éthiques et déontologiques des élus locaux ont nettement crû depuis 2013 et l'adoption de la loi n° 2013-907 relative à la transparence de la vie publique, dont l'article 1er, qui oblige les responsables publics à exercer leurs fonctions « avec dignité, probité et intégrité » et à veiller « à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d'intérêts ».

S'agissant de la première de ces obligations, la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat, a complété ces dispositions en insérant l'article L. 1111-1-1 au CGCT, qui détaille la « charte de l'élu local », dont il est donné lecture par le maire lors de la première réunion du conseil municipal et dont une copie est remise à chacun des conseillers municipaux244(*).

Charte de l'élu local

1. L'élu local exerce ses fonctions avec impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité.

2. Dans l'exercice de son mandat, l'élu local poursuit le seul intérêt général, à l'exclusion de tout intérêt qui lui soit personnel, directement ou indirectement, ou de tout autre intérêt particulier.

3. L'élu local veille à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d'intérêts. Lorsque ses intérêts personnels sont en cause dans les affaires soumises à l'organe délibérant dont il est membre, l'élu local s'engage à les faire connaître avant le débat et le vote.

4. L'élu local s'engage à ne pas utiliser les ressources et les moyens mis à sa disposition pour l'exercice de son mandat ou de ses fonctions à d'autres fins.

5. Dans l'exercice de ses fonctions, l'élu local s'abstient de prendre des mesures lui accordant un avantage personnel ou professionnel futur après la cessation de son mandat et de ses fonctions.

6. L'élu local participe avec assiduité aux réunions de l'organe délibérant et des instances au sein desquelles il a été désigné.

7. Issu du suffrage universel, l'élu local est et reste responsable de ses actes pour la durée de son mandat devant l'ensemble des citoyens de la collectivité territoriale, à qui il rend compte des actes et décisions pris dans le cadre de ses fonctions.

Source : article L. 1111-1-1 du CGCT

S'agissant de la seconde des obligations faites aux élus locaux au titre de l'article 1er de la loi n° 2013-907, l'article 2 de la même loi définit le conflit d'intérêts et prévoit en son 2° que lorsqu'elles estiment se trouver en telle situation, les « personnes titulaires de fonctions exécutives locales sont suppléées par leur délégataire, auquel elles s'abstiennent d'adresser des instructions ».

Par ailleurs, l'article 432-12 du code pénal a prévu les conditions d'engagement de la responsabilité pénale des élus locaux sur le fondement du délit de prise illégale d'intérêts.

Conflits d'intérêts et prise illégale d'intérêt

I de l'article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique :

« Au sens de la présente loi, constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction. »

Article 432-12 du code pénal (dans sa rédaction avant le 22 décembre 2021) :

« Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction. »

Le cadre d'engagement de la responsabilité pénale des élus locaux a donc connu deux modifications importantes245(*) dans le cadre de loi « 3DS » :

- n'est désormais plus visée à l'article 432-12 du code pénal la prise d'un intérêt « quelconque », mais celle d'un intérêt « de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité »246(*) ;

- l'article L. 1111-6 du CGCT est rétabli pour prévoir que les « représentants d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales désignés pour participer aux organes décisionnels d'une autre personne morale de droit public ou d'une personne morale de droit privé en application de la loi ne sont pas considérés, du seul fait de cette désignation, comme ayant un intérêt » à l'affaire lorsque des délibérations de la collectivité ou du regroupement concerné sur des affaires intéressant la personne morale concernée ou, à l'inverse, des décisions de l'organe décisionnel de cette dernière sur des affaires intéressant la collectivité ou le groupement concerné sont prises. Ce cas vise notamment les sociétés publiques locales et les sociétés d'économie mixte locale247(*).

(2) Un besoin de stabilité

Alors que ce cadre juridique paraît aujourd'hui être arrivé à maturité, il importe d'en préserver pour l'heure la stabilité.

En effet, l'application de ces dispositions aux élus locaux, en particulier municipaux, a souvent nui à la sécurité juridique de leur action quotidienne. S'il est normal que les élus locaux soient soumis à un standard élevé d'exigences en matière de probité et d'intégrité, une interprétation excessivement large de ces dispositions a pu constituer un obstacle à l'action publique injustifié au regard de la bonne foi des élus concernés : il a pu sembler particulièrement absurde que la responsabilité pénale d'élus soit susceptible d'être engagée au motif qu'ils ne se sont pas déportés d'une décision au sein d'organes ou d'instances au sein desquels ils étaient tenus de siéger en vertu de prescriptions légales, une difficulté heureusement palliée par l'article 217 de la loi « 3DS »...

Les élus locaux sont encore en train de s'approprier ce cadre juridique comme en témoigne le rapport d'activité pour 2022 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui soulignait que les demandes d'avis transmises à cette autorité émanaient en majorité d'élus locaux, témoignant à la fois de « l'enracinement d'un réflexe déontologique » de la part des élus et de capacités juridiques souvent moins dotées que d'autres responsables publics (administrations centrales, etc.)248(*).

Ce constat est partagé par la DGCL qui, interrogée sur ce point par le rapporteur, a rappelé que « compte tenu du caractère récent des évolutions opérées, il semble opportun d'attendre que les différents acteurs se soient appropriés les nouvelles dispositions et que les éventuelles limites du dispositif actuel aient été précisément identifiées avant toute nouvelle modification législative ».

Il importe dès lors, selon le rapporteur, de stabiliser le cadre juridique actuel, afin que les élus municipaux se l'approprient au mieux et que les parquets et les tribunaux tiennent bien compte du recentrement de la définition du conflit d'intérêts sur ceux de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité de la décision publique, dans les suites données aux plaintes dont ils sont saisies.

Une culture déontologique ne pourra au surplus se diffuser qu'au prix d'un réel effort de la part des services de l'État en la matière : la diffusion de guides de bonnes pratiques paraît à cet égard particulièrement nécessaire. Les référents déontologues, dont le statut a été prévu à l'article 218 de la loi « 3DS », pourraient utilement s'appuyer sur de tels outils. Au surplus, cette stabilisation du cadre juridique doit permettre au monde judiciaire de s'acculturer aux spécificités que recouvre l'exercice d'un mandat local, qui ne semblent pas toujours avoir été correctement appréciées par celui-ci.

En tout état de cause, toute évolution future de ce cadre juridique nécessiterait l'établissement préalable d'un bilan précis, prenant en compte, outre les dispositions prévues par le législateur, l'interprétation en étant effectivement faite, notamment dans le monde judiciaire.

Proposition n° 7 : Protéger les élus municipaux en toutes circonstances face aux menaces et aux mises en cause.

Sous-proposition n° 2 : Stabiliser le cadre juridique des conflits d'intérêts et de la prise illégale d'intérêts et veiller à l'acculturation de tous les acteurs pour sécuriser l'action des élus locaux.

3. Remédier à l'absence de protection spécifique des candidats aux élections municipales

Afin de garantir, dans un contexte de crise des vocations électorales, l'engagement des citoyens dans les campagnes électorales et de permettre à chacun d'être candidat aux élections sans craindre pour sa sécurité, la mission propose l'élargissement du bénéfice de la protection fonctionnelle aux candidats ayant déposé leur candidature, pendant toute la durée de la campagne électorale. Cette protection serait prise en charge par l'État, acteur impartial et garant de l'expression pluraliste des courants d'idées comme de la tenue régulière des opérations électorales.

De la même manière, il semble essentiel, aux yeux du rapporteur, de constituer un droit à une prise en charge par l'État, quels que soient le résultat électoral et la taille de la collectivité, des dépenses engagées par tout candidat pour sa sécurité. Celles-ci seraient prises en charge à une double condition : d'une part, que la prestation de sécurité ne soit pas exercée par les forces de l'ordre et, d'autre part, qu'il existe une menace avérée envers un candidat.

Proposition n° 7 : Protéger les élus municipaux en toutes circonstances face aux menaces et aux mises en cause.

Sous-proposition n° 3 : Remédier à l'absence de protection spécifique des candidats aux élections municipales.


* 240 Dépêche AFP du 16 février 2023.

* 241  Communiqué de presse de l'AMF du 17 mai 2023, « Mobilisation commune contre les violences faites aux élus : Elisabeth Borne a reçu Yannick Morez avec David Lisnard et Maurice Perrion ».

* 242 Décret n° 2020-1072 du 18 août 2020 fixant le barème relatif à la compensation par l'État des sommes payées par les communes de moins de 3 500 habitants pour la souscription de contrats d'assurance relatifs à la protection fonctionnelle de leurs élus.

* 243  Étude du Conseil d'État du 25 juin 2018, « La prise en compte du risque dans la décision publique : pour une action publique ambitieuse », p. 67.

* 244 Voir le troisième alinéa de l'article L. 2121-7 du CGCT.

* 245 Respectivement prévues à l'article 15 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire et l'article 217 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 « 3DS ».

* 246 Cette disposition n'est pas d'application exclusive aux élus locaux, mais vise l'ensemble des responsables publics inclus dans le champ de l'article 432-12 du code pénal.

* 247 Voir notamment l'article L. 1524-5 du code général des collectivités territoriales.

* 248 Rapport annuel pour 2022, p. 31.