II. FAIRE SOUFFLER UN VENT DE LIBERTÉ SUR L'ORGANISATION MUNICIPALE

A. METTRE UN TERME AU DIRIGISME

La recomposition du paysage communal et le développement de l'intercommunalité se sont faits à marche forcée. Qu'il s'agisse du nombre de commune, de l'intégration des compétences ou de la carte intercommunale, le rapporteur estime qu'à l'avenir, il faut abandonner la tentation dirigiste et s'en remettre plutôt aux acteurs eux-mêmes pour pacifier et améliorer l'organisation communale.

· Ne pas forcer les regroupements de communes

En premier lieu, la mission tient à souligner le fort attachement des Français à leur commune, loin devant les autres collectivités territoriales101(*). Le législateur l'avait justement rappelé lors de l'acte I de la décentralisation en consacrant la commune comme la collectivité territoriale de base de la République102(*).

Les communes en quelques chiffres

Au 1er janvier 2023, la France comptait 34 945 communes, soit dix de moins qu'en 2022 et 25 de moins qu'en 2019. Près de la moitié de ces communes ont moins de 500 habitants et plus de 70 %, moins de 1 000 habitants.

Ainsi, remettre en cause de manière forcée le nombre des communes en France risquerait de nier le lien solide qui existe entre les citoyens et la commune.

Le rapporteur ne partage donc pas l'opinion exprimée par la Cour des comptes dans son rapport public annuel pour 2023 selon laquelle il y aurait une difficulté découlant de « la persistance d'un trop grand nombre de trop petites communes »103(*).

Il s'agit avant tout d'une préoccupation de l'État qui souhaite rationaliser le nombre de communes et réduire la dépense locale, en s'appuyant notamment sur des comparaisons européennes104(*), mais qui ne tient pas compte de la construction historique de la France105(*) et de la relation quasi charnelle que les Français entretiennent avec leur commune.

En outre, comme le notait déjà le rapporteur en 2018, plus la taille de la commune est petite, plus le taux de participation des citoyens aux élections est élevé. Certains pays européens, qui ont réduit leur nombre de communes de manière importante, ont dû recréer des instances locales de proximité pour restaurer du lien entre les administrés et les pouvoirs publics locaux106(*).

Interrogé récemment par le sénateur Bruno Sido (Haute-Marne - Les Républicains) sur la réduction du nombre de communes, le Gouvernement a indiqué, par la voix de son ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, que : « Dans certains cas, il faut rendre possibles les fusions en montrant ce qu'elles permettent, mais il ne faut pas les forcer [...] »107(*).

Le rapporteur prend note de cette position et souligne que toute forme de contrainte en matière de réduction du nombre de communes serait contraire à l'intérêt des territoires et des citoyens. En revanche, comme il sera indiqué ci-après, il lui semble utile d'améliorer les dispositifs de regroupement sur une base volontaire.

· Proscrire, à l'avenir, les transferts obligatoires de compétences communales aux intercommunalités

En deuxième lieu, comme on l'a vu précédemment, l'un des principaux instruments de l'intégration intercommunale a été le transfert obligatoire de certaines compétences. La logique initiale était que certaines compétences ne pouvaient être bien exercées qu'à un niveau supra-communal.

Le retrait progressif, mais constant, des compétences aux communes est matérialisé par un passage, entre 1992 et 2022, de deux à sept compétences obligatoires pour les communautés de communes et de quatre à dix pour les communautés d'agglomération.

Toutefois, force est de constater que cette logique a parfois conduit à des résultats peu satisfaisants, obligeant ensuite le législateur à prévoir la possibilité de restituer aux communes la compétence transférée. Il en est allé ainsi, par exemple, pour les communes classées « station de tourisme », de la compétence de promotion touristique, dont la création d'offices du tourisme108(*). Le transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » à compter du 1er janvier 2026109(*) et les problèmes qu'il pose, en sont une autre manifestation (cf. infra).

En outre, il apparaît que le périmètre actuel des compétences détenues par les différents types d'EPCI à fiscalité propre n'a pas vocation à être davantage étendu, au risque de priver les communes de compétences constitutives de leur identité et dont elles sont les seules à pouvoir assurer, au niveau le plus pertinent, l'exercice. Ainsi, comme l'a souligné le maire de Colmar, Éric Straumann : « Pour que le maire subsiste, il faut que la commune puisse conserver certaines compétences, comme les écoles, le périscolaire, l'urbanisme - sinon le compte à rebours de la fin de la commune et du maire va démarrer ».

Il importe donc de rompre avec cette logique intégratrice. Le rapporteur appelle donc le Gouvernement à prendre l'engagement de ne plus augmenter le nombre de compétences obligatoires.

· Plus de modification autoritaire de la carte intercommunale

En troisième lieu, il convient de rompre également avec la logique dirigiste de recomposition de la carte intercommunale.

Les exemples sont nombreux des difficultés qu'elle a engendrées, comme la mission a pu le constater lors de son déplacement dans la Somme (cf. encadré ci-dessous) : taille XXL, nombre trop importants de communes, assemblages disparates qui ne concordent pas avec les bassins de vie ou réunissent des communes dont les problématiques territoriales sont trop différentes...

Le département de la Somme :
un découpage de la carte intercommunale qui interroge

Source : DGCL, base nationale sur l'intercommunalité (BANATIC)
mise à jour le 01/04/2023

Le département de la Somme compte 14 EPCI à fiscalité propre, dont deux communautés d'agglomération (Amiens Métropole et la communauté d'agglomération de la Baie de Somme) et 12 communautés de communes. Par ailleurs, 23 des 772 communes du département appartiennent à des intercommunalités dont le siège est en dehors du département.

Lors du déplacement des membres la mission d'information dans ce département, les maires ont notamment fait part de leurs interrogations sur la pertinence du découpage intercommunal avec les réalités territoriales, en particulier s'agissant des communes du littoral. Elles sont actuellement réparties dans trois intercommunalités différentes, dont deux d'entre elles (la communauté de communes de Ponthieu-Marquenterre et la communauté d'agglomération d'Abbeville) possèdent à la fois une façade côtière importante et un arrière-pays conséquent mais très éloigné des communes côtières. Les communes côtières, notamment en raison de leur activité touristique, n'ont pas les mêmes problématiques que les autres communes de l'intercommunalité, et inversement.

Proposition n° 2 : Faire souffler un vent de liberté sur l'organisation municipale.

Sous-proposition n° 1 : Rompre avec le dirigisme reconfigurateur de la carte communale et intercommunale :

- plus de nouveau transfert obligatoire de compétences ;

- plus de modification autoritaire de la carte intercommunale.


* 101 Selon le sondage CSA réalisé pour la mission commune d'information, 72 % des Français sont attachés à la commune, contre 60 % pour le département et 54 % pour la région.

* 102 Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.

* 103 Cour des comptes, rapport public annuel, La décentralisation 40 ans après : un élan à retrouver, mars 2023, p. 80-82.

* 104 Le rapport public annuel 2023 de la Cour des comptes relève que la population moyenne des communes françaises était de 1 891 habitants en 2017 alors que celle des communes allemandes étaient de 7 450 habitants, 7 960 en Italie, 15 507 en Pologne et 45 071 aux Pays-Bas.

* 105 La France comptait 44 000 communes lors de l'adoption du décret du 14 décembre 1789.

* 106  Fortifier la démocratie de proximité - Trente propositions pour nos communes, rapport d'information n° 110 (2018-2019) fait par Mathieu Darnaud au nom de la commission des lois, déposé le 7 novembre 2018, qui cite notamment l'exemple de la Grande Bretagne qui « a organisé le regroupement de ses collectivités territoriales en districts, au nombre de 545. Leur population moyenne est de 104 000 habitants et leur superficie moyenne de 468 km². Des instances locales de proximité ont néanmoins été recréées afin de garantir l'efficacité de l'action publique au sein de ces grands ensembles ».

* 107  Question d'actualité au gouvernement n° 0305G - 16e législature sur le nombre de communes en France, de Bruno Sido, posée le 15 mars 2023 au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

* 108 Article 10 de la loi précitée « 3DS ».

* 109 Ce transfert a été prévu par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).