PARTIE II
RENDRE AUX COMMUNES LA LIBERTÉ DE LEUR AVENIR

Le constat dressé dans la partie précédente a montré que l'avenir de la démocratie locale est obscurci par l'affaiblissement progressif des communes, vidées de leurs moyens d'agir, abandonnées par l'État ou concurrencées au sein du bloc local ainsi que par le découragement des élus face aux multiples difficultés auxquelles ils sont confrontés.

Heureusement, l'engagement des élus municipaux demeure la première force de notre démocratie locale. Les communes françaises présentent des atouts indéniables et l'attachement de nos concitoyens à leur égard comme à celui des maires ne se dément pas.

Envisager l'avenir, c'est dessiner une vision et tracer la voie pour y parvenir.

Pour esquisser cette vision, le rapporteur considère qu'il est nécessaire de poser clairement certaines questions de principes.

Faut-il ou non remettre en cause le modèle communal actuel ? Faut-il envisager un nouveau rôle pour les communes ? Quelles évolutions souhaite-t-on pour la démocratie locale ? Une recomposition de la carte communale est-elle à conduire ?

Sur ces interrogations majeures, la mission estime que rien ne serait pire que d'imaginer l'avenir de la commune en tournant le dos à son passé et en se privant des formidables atouts du modèle français. Au contraire, il faut les consacrer.

En revanche, nous devons sans doute repenser la façon dont s'est opérée, dans les dernières années, la reconfiguration du bloc local, pour renouer avec un esprit de liberté.

Cependant, il n'est pas de liberté d'agir sans les moyens de le faire. La troisième partie de ce rapport explore les voies pour conforter les maires dans leur action. Auparavant, il importe de rappeler combien, pour se construire un avenir, les communes doivent pouvoir compter sur des financements lisibles et prévisibles.

I. LE MODÈLE COMMUNAL FRANÇAIS : UNE CHANCE POUR L'AVENIR

A. LA COMMUNE, ÉCHELON DU QUOTIDIEN, DE LA PROXIMITÉ ET DU LIEN DÉMOCRATIQUE 

Penser l'avenir de la commune exige de définir le rôle qu'on souhaite lui voir jouer. Or, les consultations organisées par la mission, les auditions tenues ou les déplacements effectués confirment tous le fait qu'elle constitue, aux yeux de tous les acteurs, l'échelon du quotidien, de la proximité et du lien démocratique.

La commune, aux yeux des élus et de nos concitoyens, présente deux aspects : territoire de projet et de service, de proximité et d'efficience de l'action publique, elle est aussi le lieu où bat le coeur de la démocratie locale. Il est important, symboliquement, au moment où l'on s'interroge sur son avenir, de la confirmer dans ce rôle et de reconnaître à toutes les communes le même statut juridique.

Proposition n° 1 : Confirmer la commune comme le lieu du quotidien, de la proximité et du lien démocratique.

1. La commune, territoire de projets et de services

La commune est un territoire de services.

S'il s'agit de la plus petite collectivité territoriale, administrativement et géographiquement, c'est aussi celle qui est, pour cette raison, la plus proche des citoyens. Elle incarne un service public lisible et de proximité. En ce sens, elle connaît de la vie de ses administrés de leur naissance (état civil84(*)), jusqu'à leur mort (cimetières et opérations funéraires85(*)) en passant par leur enfance (école élémentaire86(*)) et leur vie d'adulte (logement87(*), actions sociales88(*), urbanisme89(*)).

Les Français y sont particulièrement attachés comme l'a montré le sondage réalisé à la demande de la mission90(*). Les auditions menées par la mission confirment également qu'aux yeux des citoyens, la commune est le lieu des services de proximité, celui où ils souhaitent trouver les services publics et la gestion des problématiques très locales.

Toutefois, borner la commune à cette mission, ce serait condamner nombre d'entre elles à ne plus avoir d'avenir : elles seraient seulement, dans le meilleur des cas, lorsqu'un service public de l'État ou un équipement géré par l'intercommunalité est installé sur leur territoire, un lieu d'accueil et de guichet.

Aussi important soit-il, on ne saurait donc enfermer les communes dans le rôle exclusif de gestionnaire local de services de proximité.

Le rapporteur estime essentiel de consacrer également la commune comme territoire de projet.

En effet, les différents travaux de la mission ont permis d'identifier cette forte appétence des maires pour la conduite de projets. Comme on l'a vu précédemment, il s'agit, de loin, de leur mission préférée selon les résultats de la consultation en ligne. Cela peut notamment s'expliquer par le goût pour l'engagement aux services de leurs concitoyens. La direction de projet permet de répondre aux besoins directs de ces derniers et à ceux de la collectivité dans son ensemble. En outre, la durée du mandat municipal, six ans, permet aux élus locaux de réfléchir à un projet, le voir émerger et assurer son suivi.

Si ce rôle peut sembler évident pour les communes les plus peuplées, aux moyens les plus importants, ce serait une grave erreur que de croire que les communes plus modestes devraient renoncer à la conduite de projets, et abandonner ainsi toute prise sur leur avenir.

D'une part, les résultats de la consultation, qui placent la conduite de projet en première position dans les missions préférées des maires, sont sensiblement les mêmes quelle que soit la strate démographique de la commune du répondant.

D'autre part, le rapporteur a pu constater, au cours des déplacements, que cet engagement dans le projet constitue l'ADN des élus rencontrés, qui leur fait accepter, bien souvent, la complexité des circuits et des procédures nécessaires pour le voir aboutir.

Ainsi, lors du déplacement en Haute-Garonne, la maire de Saint-Marcel-Paulel, Véronique Rabanel, a exposé le projet qu'elle porte avec son équipe municipale et l'appui des services de l'État pour reconstituer, dans cette commune de 397 habitants, sans commerces ni services publics, un coeur de village rénové.

Dans les Vosges, aux Voivres, commune de 320 habitants dont le maire Michel Fournier est par ailleurs président de l'Association des maires ruraux de France, la mission a pu constater les projets en cours et ceux aboutis : résidence de vacances, installation d'entreprises, incubateur sur la filière « bois », réhabilitation du bâti ancien... Comme l'a alors indiqué ce maire : « il faut que toutes les communes puissent s'inventer un avenir ».

2. La commune, lieu de démocratie locale

La commune, grande ou petite, urbaine ou rurale, est la cellule de base de la démocratie où s'exerce l'expression du débat public direct entre les citoyens et les élus. Cette fonction a partie liée avec celle décrite ci-dessus : les candidats s'engagent sur un projet que choisissent les électeurs et la participation démocratique s'épuise s'il n'y a rien à décider.

À l'exception des dernières élections municipales, tenues lors de la crise sanitaire liée à l'épidémie de la covid-19, dont on a vu que le taux de participation était de 44,75 %, ce dernier a plutôt oscillé entre 63,55 % et 69,4 % lors des différentes élections municipales qui ont eu lieu entre 1995 et 2014. Il est supérieur à celui observé pour les élections des autres collectivités territoriales (département, région). En effet, en 2021, le taux de participation au second tour des élections départementales et régionales était d'environ 34 % tandis qu'en 2015, il s'élevait à 50 % pour les élections départementales et 58 % pour les élections régionales.

De ces taux de participation, il est possible d'en déduire que les Français apportent une attention plus particulière à la vie démocratique communale, d'une part, et au choix des élus qui auront vocation à prendre des décisions relatives à leur lieu de vie, d'autre part. D'ailleurs, comme on l'a vu précédemment, le sondage réalisé par la mission établit que 66 % des Français témoignent un intérêt vis-à-vis des décisions politiques prises par leur commune.

En outre, les Français se déclarent favorables à la participation des citoyens à la vie politique locale. Le sondage réalisé par la mission montre qu'ils sont 78 % à penser que les citoyens devraient pouvoir faire connaître leurs avis avant que les décisions importantes soient prises par les élus et 74 % à estimer que les citoyens devraient participer activement et directement à la conception des grandes décisions locales. Les élus eux-mêmes n'y sont pas opposés : 52 % des élus municipaux interrogés dans le cadre de la consultation de la mission d'information s'y déclarent favorables contre 19 % plutôt contre.

Au cours des dernières années, le législateur a instauré plusieurs outils permettant aux citoyens de jouer un rôle plus direct pour faire vivre la démocratie communale, sans attendre l'échéance majeure de l'élection municipale.

Exemples d'outils de participation développés depuis les années 1990

- commissions consultatives des services publics locaux (CCSPL), créées par la loi du 6 février 1992 relative à l'organisation territoriale de la République ;

- conseils de développement, formalisés par la loi du 25 juin 1999 pour l'aménagement et le développement durable du territoire, dite « Voynet », et étendus par la suite ;

- conseils de quartier, institués par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, dite « Vaillant » ;

- conseils citoyens, issus de l'article 7 de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine et prévus dans chaque quartier prioritaire de la politique de la ville ;

- comités d'usagers, librement institués par les collectivités territoriales pour évaluer tel ou tel service public local ;

- enquêtes publiques, en amont de l'élaboration des projets d'infrastructure, dans le cadre d'enquêtes publiques dont le champ d'application s'est élargi notamment avec la loi dite « Bouchardeau » du 12 juillet 1983 ;

- procédures mises en oeuvre avec la Commission nationale du débat public (CNDP), créée par la loi « Barnier » du 2 février 1995 ;

- référendum local (ouvert désormais à toutes les collectivités, mais initialement réservées aux communes), consultation des électeurs et pétition ont reçu une consécration constitutionnelle en 2003 ;

- consultation locale (demande d'avis ne liant pas juridiquement la collectivité territoriale qui en a pris l'initiative), parfois initiée par les électeurs eux-mêmes sous certaines conditions ; la décision d'organiser la consultation appartient toutefois à l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale concernée ;

- consultations intercommunales ;

- consultation portant sur la création d'une collectivité territoriale ou la modification de son organisation (article 72-1 de la Constitution) ;

- droit de pétition dans les collectivités territoriales (article 72-1 de la Constitution) pour demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence ;

- dispositifs participatifs moins normés, relevant d'une « co-élaboration » des décisions entre les citoyens et les élus : réunions publiques ou de rue, forums ouverts, sondages et pétitions en ligne ;

- budgets participatifs (processus par lequel les citoyens peuvent décider de l'affectation d'une partie des fonds d'une collectivité territoriale, généralement alloués à des projets d'investissement.

Source : Décider en 2017 : le temps d'une démocratie « coopérative »
(rapport d'information n° 556, (2016-2017), cité par le rapport d'information n° 648 (2021-2022)
fait par Henri Cabanel au nom de la mission d'information sur le thème
« Comment redynamiser la culture citoyenne »

Lors de son audition par le rapporteur, Camille Morio, maîtresse de conférence en droit public à Sciences Po Grenoble, a souligné que s'y ajoutait nombre de dispositifs ad hoc, conçus localement pour informer ou l'associer à la genèse d'un projet.

Si, comme l'a relevé la mission d'information sur le thème « Comment redynamiser la culture citoyenne »91(*), le succès de ces outils, sur lesquels peu de données statistiques fiables sont disponibles, est relatif92(*), ils contribuent à l'animation de la démocratie locale et confirment que la commune, l'échelon le plus proche des citoyens, est le meilleur creuset pour l'expression démocratique.


* 84 Article L. 2122-32 du code général des collectivités territoriales (CGCT)

* 85 Articles L. 2223-1 à 2223-51 du CGCT.

* 86 Article L. 2121-30 du CGCT.

* 87 Article L. 2254-1 du CGCT.

* 88 Article L. 121-6 du code l'action sociale et des familles.

* 89 Articles L. 153-8, L. 422-1 du code de l'urbanisme.

* 90 72 % des Français sont attachés à la commune, loin devant les autres collectivités territoriales et l'intercommunalité.

* 91  Jeunesse et citoyenneté : une culture à réinventer, rapport d'information n° 648 (2021-2022) fait par Henri Cabanel fait au nom de la mission d'information, déposé le 7 juin 2022 au Sénat.

* 92 Le sondage réalisé pour la mission d'information montre à cet égard que si les citoyens sont, sur le principe, favorable à ces dispositifs, ils sont plus partagés sur le fait de donner de leur temps personnel pour s'impliquer dans la vie politique locale : 54 % l'envisagent contre 46 % qui ne le souhaitent pas.