C. LES POUVOIRS PUBLICS N'ONT PAS UNE CONNAISSANCE SUFFISAMMENT FINE DU PROFIL DES CONSOMMATEURS D'ÉNERGIE

1. Faute d'informations disponibles, les pouvoirs publics ont construit les dispositifs « à tâtons »

Un des principaux enseignements de la crise et des difficultés rencontrées dans la conception et la mise en oeuvre de mesures de soutien adaptées est le manque évident de connaissance des pouvoirs publics sur le profil des différentes catégories de consommateurs finals d'énergie et leur degré d'exposition à la volatilité des prix. En effet, il est clairement apparu que ni les administrations de l'État, ni la CRE, ni même les fournisseurs d'énergie ne disposaient d'une vision suffisamment fine et exhaustive des différents segments de consommateurs susceptibles de permettre la conception éclairée et le suivi précis de mesures de soutien ciblées envers les profils les plus exposés. Ce défaut d'informations disponibles explique les difficultés à réaliser de véritables évaluations préalables des mécanismes de soutien, à avoir une vision précise de leurs bénéficiaires potentiels ainsi que des volumes de consommation d'énergie concernés et, par conséquent, à estimer les coûts prévisionnels de ces dispositifs.

Pour cette raison, les pouvoirs publics ont souvent dû avancer « à l'aveugle » dans les phases de conception puis de mise en oeuvre des différentes mesures. Ce phénomène peut expliquer en partie l'impréparation du Gouvernement et les différentes lacunes des dispositifs qui ont été identifiées puis corrigées par l'ajout de mesures complémentaires au fil de l'eau dans le cadre d'une construction incrémentale de l'architecture du mécanisme de soutien.

La direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) a reconnu que ce manque de données d'analyse l'avait empêchée de parfaitement mesurer, et donc d'anticiper, l'exposition particulière de certains secteurs à la hausse des prix de l'énergie. Ce n'est qu'au fur et à mesure des développements de la crise et de la mise en oeuvre des mesures que les appels à l'aide lancés par certaines filières économiques ou certains profils de consommateurs ont permis aux pouvoirs publics de disposer d'une vision plus précise, d'une part de la traduction concrète des aides et, d'autre part, du degré d'exposition de chaque secteur à la crise.

Au titre des principaux enseignements des mesures mises en oeuvre dans le cadre de la crise des prix de l'énergie et du premier bilan provisoire qui peut en être tiré, la DGEC a ainsi tout particulièrement souligné auprès du rapporteur spécial les enjeux et la difficulté à évaluer en amont les volumes de consommations d'énergie susceptibles d'être concernés par les dispositifs envisagés. Il lui était ainsi extrêmement difficile d'estimer, sur un périmètre de bénéficiaires donné et en fonction des paramètres déterminés, la part des consommateurs susceptibles d'être concernés et le niveau de soutien dont ils pourraient bénéficier. Il en résulte que l'évaluation prévisionnelle du coût des dispositifs s'est révélée très complexe, ce phénomène de méconnaissance des profils de consommation des bénéficiaires venant s'ajouter à l'incertitude principale qui tient à la volatilité des prix de gros de l'énergie.

Dans la mesure où ce sont des données commercialement sensibles pour les fournisseurs, les pouvoirs publics n'ont pas non plus connaissance de la distribution par types de consommateurs des prix des contrats de fourniture d'énergie, de leur maturité ou de leurs dates de renouvellement.

2. Il est encore très difficile d'obtenir des données fiables sur les effets réels et la traduction concrète des dispositifs

Concernant les dispositifs de boucliers, les estimations dont disposent les pouvoirs publics s'agissant des bénéficiaires sont très agrégées et peu propices à la réalisation d'études d'impact suffisamment détaillées.

Ainsi, pour le bouclier sur les prix du gaz, l'administration estime, sur la base des données de la CRE, que 10,6 millions de sites résidentiels sont éligibles au dispositif. L'administration considère qu'en 2023, le bouclier sur les prix du gaz devrait concerner un volume de consommation de 70 TWh.

S'agissant du bouclier sur les prix de l'électricité, toujours à partir des données de la CRE, il apparaît que 34 millions de sites résidentiels sont éligibles au dispositif. La CRE recense par ailleurs 4,7 millions de petits sites « non résidentiels » (compteur inférieur à 36 kVA) également éligibles au bouclier. Hormis à partir d'extrapolations très aléatoire, les pouvoirs publics ne sont pas en mesure de détailler la composition de ces 4,7 millions de petits sites « non résidentiels » qui se composent, entre autres, de TPE et de petites communes. Sur la base d'extrapolations à prendre avec beaucoup de précautions, l'administration estime que sur les 3,8 millions de TPE recensées par l'INSEE, 2,5 millions pourraient être éligibles au bouclier, soit les deux-tiers. Une enquête récente de la CPME portée à la connaissance du rapporteur spécial indique que la part des TPE disposant d'un compteur d'une puissance inférieure à 36 kVA et éligibles au bouclier tarifaire pourrait être plus importante et se situer autour de 84 %. Sur la base également d'extrapolations à prendre avec précaution l'administration considère que 30 000 communes pourraient être éligibles au bouclier tarifaire sur les prix de l'électricité.

L'administration estime qu'en 2023, le bouclier sur les prix de l'électricité devrait concerner 186 TWh de consommation dont 167 TWh pour les ménages et 19 TWh pour les sites « non résidentiels ».

Selon l'administration, de 0,8 à 1,3 million de TPE pourraient être éligibles aux amortisseurs. Mais les fournisseurs estimaient le total de leurs clients éligibles à ces dispositifs à environ 1 million d'entités, tous types confondus. Ces différents chiffres illustrent l'extrême fragilité de ces estimations et la difficulté pour l'administration à anticiper ne serait-ce que le nombre agrégé de consommateurs potentiellement éligibles à chaque dispositif. Autant dire qu'essayer de descendre plus en détail dans la granularité est une vraie gageure et amènerait à des résultats nécessairement très hypothétiques. À ce jour néanmoins, les retours d'attestations dans le cadre des dispositifs d'amortisseurs concerneraient à 70 % des TPE, à 20 % des PME, à 5 % de collectivités locales et à 5 % de personnes morales dont les recettes proviennent majoritairement de financements publics.

Sur 2023, d'après les estimations réalisées par l'administration, les dispositifs d'amortisseur et de sur-amortisseur pourraient concerner respectivement 59 TWh et 4 TWh de consommation d'électricité.

S'agissant des dispositifs destinés à l'habitat collectif gérés par l'ASP, l'incapacité d'estimer suffisamment précisément en amont les publics cibles et les volumes de consommation d'énergie exposés aux dispositifs prévus est plus flagrante encore. Pour concevoir ces mécanismes, les pouvoirs publics ont dû naviguer à vue et, encore aujourd'hui, ils ne sont pas en mesure de fournir des données prévisionnelles robustes si ce n'est ex-post, à l'issue de des phases d'instruction effective des dossiers par l'ASP.

Les thèmes associés à ce dossier