N° 390

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-389 du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française
(procédure accélérée),

Par M. Thani MOHAMED SOILIHI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

279 et 391 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Prise sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution, l'ordonnance n° 2023-389 du 24 mai 2023 vient traduire dans le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) les principes fixés par la loi organique n° 2019-706 du 5 juillet 2019 concernant la répartition des compétences et le régime d'applicabilité du droit domanial en Polynésie française.

Considérant cette ordonnance comme un facteur d'amélioration de la cohérence et de la lisibilité des règles de droit domanial applicables en Polynésie française, la commission a approuvé sans modification sa ratification et le parachèvement de l'entreprise de codification, amorcée en 2016, des règles du CG3P relatives à l'outre-mer.

I. UNE MISE EN COHÉRENCE DU DROIT DOMANIAL APPLICABLE EN POLYNÉSIE FRANÇAISE, RENDUE NÉCESSAIRE PAR LA RÉFORME DE 2019

A. ENTRE L'ÉTAT ET LA POLYNÉSIE FRANÇAISE : DES SOCLES DE COMPÉTENCES DISTINCTS, UNE CLARIFICATION TARDIVE

La Polynésie française est une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution. Fixé par la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, son statut lui confère le pouvoir d'édicter des normes relevant du domaine de la loi. Marqué par une autonomie renforcée, ce statut encadre strictement le domaine d'intervention de l'État, qui conserve des compétences d'attribution limitativement énumérées tandis que la Polynésie française détient la compétence normative de droit commun.

Jusqu'à l'intervention de la loi organique n° 2019-706 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française, la multiplicité des régimes applicables et des catégories de domaine rendait peu lisible le droit domanial applicable sur ce territoire.

1. La coexistence de différentes catégories de domaines appartenant à l'État et au territoire polynésien

La Polynésie française, constituée de 118 îles d'origine volcanique ou corallienne, réparties en cinq archipels, s'étend sur une superficie comparable à celle de l'Europe, avec une surface émergée de 4 200 km².

Historiquement, le domaine public de ce territoire était exclusivement détenu par l'État. La situation a évolué en 1977 avec la reconnaissance d'un premier domaine public polynésien puis, en 1996, avec le transfert du domaine public maritime de l'État vers les autorités polynésiennes1(*).

Ce partage du domaine polynésien est aujourd'hui consacré à l'article 46 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 précitée, qui énonce que « l'État, la Polynésie française et les communes exercent, chacun en ce qui le concerne, leur droit de propriété sur leur domaine public et leur domaine privé. ».

Cependant, bien que cet article confirme l'exercice par l'État de son droit de propriété, il ne lui accorde pas pour autant une compétence normative sur son propre domaine.

Domaines public et privé : définitions et régimes juridiques

Les biens immobiliers ou mobiliers, corporels ou incorporels, appartenant à l'État se répartissent entre :

1/ Son domaine public, qui comprend les biens qui sont affectés à l'usage direct du public, ou à un service public, dans la mesure où ils font l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de service public. Ces biens sont, compte tenu de leur intérêt public, protégés par un régime exorbitant qui assure leur inaliénabilité et leur imprescriptibilité.

Le domaine public de l'État en Polynésie française comprend divers bâtiments et installations abritant des aérodromes, des palais de justice, des ports, des bases militaires ou des écoles.

2/ Son domaine privé, qui regroupe, par défaut, tous les biens de l'État n'appartenant pas au domaine public. Font également partie du domaine privé par détermination de la loi les immeubles à usage de bureaux, les réserves foncières, les chemins ruraux, les bois et forêts relevant du régime forestier. Ces biens sont principalement soumis aux règles du droit privé. Du fait de leur appartenance à une personne morale de droit public, ils ont toutefois la particularité d'être incessibles à vil prix et insaisissables.

Le domaine privé de l'État représente, en Polynésie française, une superficie d'environ 12,5 km².

Quant au domaine des établissements publics nationaux présents en Polynésie, il comprend notamment des propriétés détenues par Météo-France, l'Institut français de recherches pour l'exploitation de la mer (IFREMER), l'Office national des anciens combattants et l'Office français de la biodiversité.

2. Jusqu'en 2019, un régime juridique du domaine de l'État en Polynésie française dont la lisibilité restait à parfaire

En matière domaniale, jusqu'en 2019, seul le « domaine public de l'État » figurait parmi les compétences reconnues à l'État par l'article 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 précitée et bénéficiait du régime de l'applicabilité de plein droit.

Une lecture a contrario de ces dispositions laissait entendre que l'État n'était pas compétent en Polynésie française pour établir les règles relatives à son domaine privé et à celui de ses établissements publics. Cette compétence revenait donc par défaut aux institutions de la Polynésie française, ce qui présentait un caractère inhabituel au regard des régimes en vigueur dans les autres collectivités d'outre-mer.

Comparaison du cadre juridique tenant au domaine de l'État dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie en 2018

 

Domaine public de l'État

Domaine privé de l'État

Compétence de l'État

Applicabilité du CG3P

Compétence de l'État

Applicabilité du CG3P

Saint-Pierre-et-Miquelon

Oui

De plein droit

Oui

De plein droit

Saint-Barthélemy

Oui

De plein droit

Oui

De plein droit

Saint-Martin

Oui

De plein droit

Oui

De plein droit

Wallis et Futuna

Oui

Sur mention expresse

Oui

Sur mention expresse

Nouvelle-Calédonie

Oui

De plein droit

Oui

Sur mention expresse

Polynésie française

Oui

De plein droit

Non

-

Source : Livre V du CG3P applicable au 31 décembre 2018.

Bien qu'ayant la compétence théorique pour légiférer par des lois de pays sur le domaine privé de l'État ou de ses établissements publics, la collectivité de Polynésie française n'a jamais concrétisé cette possibilité. Une tentative en ce sens a certes été initée avec le dépôt en 2011 d'un projet de loi du pays portant sur le code de la propriété publique en Polynésie française, mais il n'a pas abouti.

Dès lors, les domaines privés de l'État et de ses établissements publics étaient en pratique régis, à l'instar du domaine public de l'État, par des dispositions issues principalement l'ancien code du domaine de l'État, maintenues en vigueur à titre dérogatoire pour les collectivités ultramarines lors de l'adoption en 2006 du CG3P métropolitain2(*).

Le projet d'un code de la propriété publique en Polynésie française

En 2011, le gouvernement polynésien a présenté un projet de loi du pays visant à établir un code de la propriété publique en Polynésie française. Ce projet visait à consolider les règles régissant à la fois les domaines public et privé de la collectivité, ainsi que les domaines privés de l'État et de ses établissements publics.

Dans une démarche de conciliation avec le droit métropolitain, l'article LP. 245 de ce projet prévoyait que, en l'absence de dispositions contraires, les règles relatives au domaine privé de l'État et de ses établissements publics maintenues en vigueur par l'ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques demeuraient applicables.

Ce projet de loi, émaillé de controverses, n'a finalement pas abouti. Était notamment prévue une procédure visant à intégrer au domaine de la collectivité les biens fonciers dépourvus de titre de propriété privée. Cette approche entrait en conflit avec le système coutumier polynésien, fondé sur la tradition orale, présageant en cela une difficile identification des détenteurs des droits de propriété.

3. La réforme du droit domanial des outre-mer de 2016 : un rendez-vous manqué

Alors que d'aucuns jugeaient le régime juridique de la propriété publique outre-mer « tellement dérogatoire qu'il en [devenait] illisible et injustifiable »3(*), la réforme de 2016 est intervenue avec l'ambition d'harmoniser les règles applicables4(*).

L'ordonnance n° 2016-1255 du 28 septembre 20165(*) a, à cette fin, réorganisé la cinquième partie législative du CG3P relative à l'outre-mer en sept livres, codifiant ainsi les règles applicables aux domaines public et privé de l'État dans chacune des collectivités concernées.

La codification de dispositions relatives au domaine privé de l'État a néanmoins dû être abandonnée pour la Polynésie française à la suite de l'avis du Conseil d'État du 15 septembre 2016, aux termes duquel a été retenue une interprétation stricte de la compétence de l'État sur son seul domaine public et celui de ses établissements publics6(*).


* 1 Dans sa décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 sur le statut de la Polynésie française, le Conseil constitutionnel a toutefois posé des limites : les transferts de compétence et de biens aux collectivités ultramarines ne peuvent pas « affecter l'exercice de sa souveraineté par l'État ». L'État conserve ainsi les dépendances du domaine public maritime nécessaires à l'exercice de ses compétences (sécurité, défense et conventions internationales), il s'agit notamment des installations portuaires affectées à la Marine nationale.

* 2 Article 10 de l'ordonnance 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques.

* 3 C. Chamard-Heim, L'Etat et le CGPPP outre-mer : une politique de Gribouille, AJDA 2016. 1810

* 4 Prévue par la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer, qui habilite, à son article 80, l'État à modifier le CG3P.

* 5 Ordonnance n° 2016-1255 du 28 septembre 2016 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à l'outre-mer.

* 6 Dans son avis du 15 septembre 2016, le Conseil d'État a explicitement jugé qu'il revenait « à la Polynésie française de déterminer les règles applicables au domaine privé de l'État. Par suite, le législateur ordinaire et le Gouvernement agissant par voie d'ordonnance sont incompétents pour modifier et abroger une disposition dont l'objet est de réglementer le domaine privé de l'État en Polynésie française. »

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