EXAMEN EN COMMISSION

Mme Marie Mercier, rapporteur. - La proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, déposée par la députée Isabelle Santiago et les membres du groupe Socialistes et apparentés, revient en deuxième lecture au Sénat. Elle vise principalement à élargir le mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale créé par la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille et à rendre plus systématique le prononcé du retrait de l'autorité parentale par les juridictions pénales en cas de crime commis sur la personne de l'enfant ou de l'autre parent et d'agression sexuelle incestueuse sur l'enfant.

La navette ayant permis l'adoption conforme de quatre articles, il en reste cinq en discussion ; dans un esprit de compromis, je vous propose d'en adopter quatre sans modification.

En revanche, je vous propose de maintenir la position de principe que nous avions tenue sur l'article 1er. Notre débat sera ainsi limité à l'essentiel ; il peut se résumer à une question assez simple : jusqu'où sommes-nous prêts à aller au nom du principe de précaution ?

Commençons par les quatre articles que je vous propose d'adopter sans modification.

L'article 2 modifie l'article 378 du code civil pour rendre plus automatique, sans pour autant l'imposer aux juges, et c'est important, le retrait de l'autorité parentale ou de l'exercice de l'autorité parentale en cas de condamnation pour crime ou agression sexuelle incestueuse sur l'enfant ou pour crime sur l'autre parent. Les députés ont conservé la rédaction que nous avions adoptée et qui distinguait trois types de situations pour rendre la disposition plus intelligible, tout en durcissant l'incitation faite aux juridictions pénales d'ordonner le retrait total de l'autorité parentale. Il me semble que nous pouvons accepter leur formulation, dans la mesure où les juridictions conserveraient malgré tout le choix de moduler leur décision en fonction de l'intérêt de l'enfant apprécié in concreto, à charge pour elles de le motiver spécialement.

À l'article 3, les députés ont repris notre idée de rassembler en un seul article du code pénal l'ensemble des dispositions relatives au retrait de l'autorité parentale par les juridictions pénales, ce qui devrait en faciliter l'application. Ils ont choisi d'en faire une disposition miroir de l'article 378 du code civil, sans procéder par renvoi, ce qui ne semble pas nuire à l'effectivité et à l'intelligibilité recherchée. Je regrette toutefois que l'Assemblée nationale n'ait pas accepté de permettre aux juridictions pénales de renvoyer l'affaire après avoir prononcé la peine pour se prononcer sur le retrait de l'autorité parentale, comme en matière d'intérêts civils. Les dossiers soumis aux juridictions ne sont pas toujours assez complets pour apprécier la situation de l'enfant et un renvoi bref pourrait favoriser les décisions de retrait de l'autorité parentale ou de son exercice. Par esprit de compromis, je vous propose malgré tout d'adopter cet article tel quel.

L'article 2 ter institue une période de stabilité minimale de six mois pour l'enfant après une décision de retrait de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement. L'idée d'un répit, à laquelle j'étais attachée, a donc été conservée par les députés, mais ceux-ci ont supprimé une référence au code civil, qui me semblait pourtant nécessaire. Là encore, je vous propose cependant d'accepter cette version.

Dans le même esprit de concorde, je vous propose également de renoncer à supprimer l'article 4, bien qu'il s'agisse d'une demande de rapport au Gouvernement, et de renoncer à modifier l'intitulé de la proposition pour que celui-ci corresponde à son contenu.

Permettez-moi de me concentrer sur l'essentiel : l'article 1er.

Cet article modifie l'article 378-2 du code civil pour élargir les cas de suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement aux cas de crime ou d'agression sexuelle incestueuse commis sur l'enfant, tout en en modifiant le régime. C'est sur ce dernier point que subsiste, à mes yeux, un point de désaccord majeur. En cas de poursuite, de mise en examen ou de condamnation pour un crime commis sur l'autre parent, ou de crime ou agression sexuelle incestueuse commis sur l'enfant, l'exercice de l'autorité parentale ainsi que les droits de visite et d'hébergement seraient suspendus de plein droit jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales (JAF) - il serait éventuellement saisi par le parent poursuivi, et non plus systématiquement par le procureur de la République dans les huit jours - ou jusqu'à la décision de la juridiction pénale.

Les députés ont également prévu un régime spécifique en cas de condamnation pour des violences volontaires sur l'autre parent ayant entraîné une incapacité temporaire de travail (ITT) de plus de huit jours, lorsque l'enfant a assisté aux faits. Dans ce cas, l'exercice de l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement seraient suspendus de plein droit jusqu'à la décision du JAF, qui devra être saisi par l'un des parents dans les six mois à compter de la décision pénale ; à défaut d'une telle saisine, les droits du parent condamné seraient rétablis. Ce dispositif complexe a été réintroduit tel quel par la rapporteure de l'Assemblée nationale en deuxième lecture.

En première lecture, la commission, puis le Sénat dans son ensemble, avaient accepté d'étendre le mécanisme de suspension provisoire en cas de crime ou d'agression sexuelle incestueuse commis sur l'enfant ; l'article 378-2 du code civil présente en effet un manque sur ce point, qu'il convient de combler. Nous avions toutefois souhaité maintenir le caractère provisoire de la suspension dans les conditions actuelles, c'est-à-dire pour une durée maximale de six mois, jusqu'à la décision du JAF, qui doit être saisi par le procureur de la République dans les huit jours. Nous avions jugé qu'il était disproportionné, au regard de la présomption d'innocence et du droit de chacun, enfant comme parent, à mener une vie familiale normale, de permettre une suspension automatique durant l'intégralité du temps de la procédure pénale, sans qu'un JAF soit systématiquement saisi. Cette durée peut être très longue, et le temps de l'enfant n'est pas le temps de l'adulte : six mois, c'est déjà une éternité pour lui.

Nous avions également écarté le dispositif spécifique proposé en cas de condamnation pour violences volontaires ayant entraîné ITT de plus de huit jours, lorsque l'enfant a assisté aux faits. Les juridictions doivent déjà se prononcer sur l'autorité parentale en cas de condamnation au titre de cette infraction, les enfants témoins étant des covictimes, ainsi que les désigne l'intitulé de la proposition de loi.

Je vous propose de maintenir notre position de première lecture ; c'est l'objet de l'unique amendement déposé. Le dispositif que nous avions voté permet de suspendre en urgence, avant tout jugement, l'exercice de l'autorité parentale d'un parent mis en cause pour les infractions les plus graves sur son enfant - crime, viol et agression sexuelle incestueux -, le temps qu'un juge aux affaires familiales se prononce au regard des éléments transmis par le parquet et d'une éventuelle enquête sociale. Il a le mérite de trouver un équilibre satisfaisant entre la nécessité de protéger l'enfant d'un côté et le respect de la présomption d'innocence ainsi que le droit à mener une vie familiale de l'autre.

Il s'agit bien d'équilibre. Jusqu'à quand acceptons-nous de suspendre automatiquement l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement sans qu'un juge se prononce ? Il ne s'agit pas, comme certains voudraient le faire croire, d'être pour les enfants victimes et les parents protecteurs ou pour les bourreaux. Qui donc pourrait être en faveur des bourreaux ? Nous avions décidé en première lecture qu'une période de six mois était la bonne mesure. Les députés refusent cette limite dans le temps et souhaitent mettre en place un système permettant une suspension durant toute la durée de la procédure pénale, c'est-à-dire potentiellement pendant plusieurs années, si aucun des parents ne saisit le JAF. Cela ne nous paraît pas concevable. Cette question est subtile, mais c'est toute la noblesse de notre fonction de législateur de savoir la trancher.

Mme Laurence Harribey. - Le vote de cette proposition de loi a été unanime à l'Assemblée nationale en première comme en deuxième lecture, et son inscription rapide à l'ordre du jour des travaux du Sénat en souligne l'enjeu : 400 000 enfants vivent dans un foyer dans lequel des violences sévissent.

Je remercie la rapporteure d'avoir suivi l'Assemblée nationale sur les autres dispositions, mais l'article 1er est en effet le coeur du texte. Il s'agit de suspendre l'exercice de l'autorité parentale pendant la période présentencielle, de manière cadrée, en cas de crime commis sur l'autre parent, d'agression sexuelle incestueuse ou de crime commis sur l'enfant ou de violences volontaires entraînant une ITT de plus de huit jours. Quelle pourrait être une vie familiale normale, dont nous devrions permettre qu'elle se poursuive, dans de telles conditions ?

Cet article a été voté à deux reprises à l'unanimité par les députés. Or on nous propose de le vider de sa substance. Lors de l'examen de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, certains acteurs du secteur et associations avaient reproché au Parlement de ne pas aller assez loin sur ce point, car l'exercice de l'autorité parentale est un élément d'emprise sur la compagne agressée. Il nous semble donc important de conserver la rédaction de l'Assemblée nationale. Le principe de précaution doit s'appliquer à l'enfant, et à ce titre, cet article, qui concerne la période présentencielle, nous semble fondamental. Nous nous abstiendrons donc sur le texte si le Sénat poursuivait dans cette voie, en nous en remettant à la commission mixte paritaire.

Mme Dominique Vérien. - J'entends les propos du rapporteur ; pour autant, il n'est pas question que le juge ne soit pas impliqué dans la procédure : le parent poursuivi pourra faire appel au JAF pour rétablir l'exercice de l'autorité parentale. Soit il le fera, alors le juge sera saisi, soit il ne le fera pas, ce qui sera peut-être préférable pour l'enfant. En aucun cas, le recours au juge n'est supprimé : nous demandons aux parents de s'en saisir. Pourquoi surcharger encore les juridictions en posant automatiquement des questions que les parents eux-mêmes ne se posent peut-être pas ? La version de l'Assemblée nationale est protectrice ; le recours au juge reste possible, mais il n'y a pas de raison de l'imposer. Le maintien de la rédaction de l'Assemblée nationale permettrait en outre un vote conforme, ce qui permettrait d'aller plus vite dans la protection des enfants.

Mme Olivia Richard. - Je partage les propos de Dominique Vérien, qui préside la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Peu de temps après mon arrivée au Sénat, j'y ai entendu l'ancien président de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) qui insistait sur la nécessité de protéger les enfants avant tout : le taux de condamnation pour inceste est de 3 %, c'est un crime presque impuni. Il appelait à changer de doctrine en commençant par dire à l'enfant : « je te crois, je te protège. »

Dès lors qu'un recours au juge est possible, je ne vois pas le problème que poserait la rédaction de l'Assemblée nationale. Plutôt que protéger une vie familiale traumatisante, il convient de faire prévaloir le droit de l'enfant à ne pas voir un parent violent.

Mme Nathalie Delattre. - Je partage également ces propos. Nous avons reçu les représentants d'une association du Médoc spécialisée sur les violences faites aux femmes et aux enfants. Ils demandent ce type de mesure et appellent de leurs voeux une avancée rapide. Le texte pourrait, certes, être amélioré, mais nous ne devons pas rater le rendez-vous du vote conforme ; il y va de la vie d'enfants et de femmes. Tel sera le choix du groupe RDSE.

M. Philippe Bas. - Je soutiens la position de notre rapporteur, responsable et inspirée par le souci de la protection de l'enfance. Mon engagement sur ce sujet est profond, je suis à l'initiative de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance. Je ne crois pas que l'on fasse de bonnes lois seulement avec de bons sentiments ; il convient de veiller à ne pas induire de perturbation dans la mise en oeuvre des politiques de protection de l'enfance à la fois par les magistrats et par l'aide sociale à l'enfance (ASE). À cet égard, la position du rapporteur est équilibrée.

Les bons sentiments qui nous conduiraient à accepter par principe la position de l'Assemblée nationale ne suffisent pas à motiver un travail législatif sérieux.

Mme Lana Tetuanui. - Ce sujet donne des frissons. Je n'aime pas ternir la réputation de mon beau pays, la Polynésie française, mais malheureusement, il se trouve dans le trio de tête pour ces crimes. Je rejoins donc la position du groupe Union Centriste pour aller plus loin. Je le dis : pendant la procédure, il faut interdire totalement au père - c'est lui qui est en cause dans la plupart des cas - d'approcher l'enfant.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Le sujet est difficile et émouvant. Dans l'exercice de ma profession de médecin, j'ai soigné des femmes concernées, mais aussi des pères. Pour autant, ici, nous faisons le droit. Ce n'était pas ma culture : je suis devenue juriste à la commission des lois, mais l'émotion ne saurait fixer le cap. Nous pourrions chercher à secourir l'enfant par n'importe quel moyen, mais nous n'avons pas à nous substituer à la justice. Je crains que certaines personnes ne se trouvent tellement désemparées qu'elles ne fassent pas la démarche de prendre attache avec le JAF.

Notre désaccord ne repose pas sur la nécessité de suspendre l'exercice de l'autorité parentale, mais sur l'intervention du juge.

J'ai moi aussi entendu le juge Durand, quand il était président de la Civiise, mais nous ne pouvons pas renoncer à l'intervention du juge au prétexte d'un problème de moyens, alors que de nouveaux budgets sont accordés à la justice ! Nous sommes d'accord sur la nécessité de mettre à l'abri les enfants, ils sont les adultes de demain. Mais il est du devoir de la commission des lois de remettre le juge au coeur du dispositif. Le but de notre travail n'est pas d'obtenir un vote conforme ; en tout état de cause, la commission mixte paritaire est prévue le 15 février. Nous entendons mener un travail solide pour la protection des enfants, en prévoyant l'implication des juges.

Mme Dominique Vérien. - Je rassure Philippe Bas, mon intervention ne relevait pas des bonnes intentions ; je soutiens que, dans la procédure telle qu'elle est issue de la rédaction de l'Assemblée nationale, le juge peut être saisi par l'un ou l'autre parent. Le parent accusé de quelque chose de grave sera accompagné d'un avocat qui lui proposera d'engager une telle démarche. Nous en appelons à la responsabilité des concernés : je ne vois pas pourquoi l'intervention du juge devrait être automatique alors qu'elle est possible.

M. François-Noël Buffet, président. - La position du rapporteur est donc la suivante : l'autorité parentale est suspendue de plein droit pendant une durée maximale de six mois, dès les poursuites ou la mise en examen, et dans le délai de huit jours, le procureur saisit le JAF à fin de décision quant à l'autorité parentale. L'Assemblée nationale, quant à elle, tient que la suspension est de plein droit durant toute la période présentencielle, durant laquelle l'un des parents peut saisir le JAF.

Je rappelle que la commission des lois avait suivi l'avis du rapporteur en première lecture.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'amendement  COM-1 est adopté.

L'article 1er est ainsi rédigé.

Article 2, 2 ter, 3 et 4

Les articles 2, 2 ter, 3 et 4 sont successivement adoptés sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

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