PREMIÈRE PARTIE
LES TERRITOIRES D'OUTRE-MER : DES ENJEUX INÉDITS,
DES RÉPONSES EN DEMI TEINTE

I. LES RÉCENTES CRISES SANITAIRE ET INFLATIONNISTE ONT MIS EN ÉVIDENCE LES GRANDS ENJEUX À VENIR POUR LES TERRITOIRES D'OUTRE-MER QUI S'AJOUTENT AU PROBLEME RÉCURRENT D'ÉCART DES NIVEAUX DE VIE

À titre liminaire, les rapporteurs spéciaux rappellent que le principal objectif de la mission « Outre-mer » du budget général de l'État est le rattrapage des écarts persistants entre les territoires d'outre-mer et la métropole et la convergence des niveaux de vie dans le domaine socio-économique.

Ce rattrapage des niveaux socio-économiques par rapport à la métropole, eu égard aux écarts persistants, doit donc demeurer une priorité.

Pour autant, de nouveaux enjeux se font jour pour les territoires d'outre-mer et les crédits de la mission « Outre-mer » devront en tenir compte à l'avenir.

En effet, la crise sanitaire a souligné la très grande dépendance des territoires ultramarins aux importations alimentaires quand la crise économique et l'inflation sous-jacente ont mis en exergue la dépendance énergétique des outre-mer. Il en résulte que l'autonomie alimentaire et la transition écologique doivent constituer les deux défis majeurs pour les territoires d'outre-mer dans les années à venir.

À cet égard, les annonces faites à l'issu de comité interministériel des outre-mer (CIOM) représentent une avancée notable mais ne répondent cependant pas à toutes les attentes et devront se concrétiser par des moyens budgétaires.

A. UN RATTRAPAGE DES NIVEAUX SOCIO-ÉCONOMIQUES PAR RAPPORT À LA MÉTROPOLE QUI DOIT SE POURSUIVRE

1. Des indicateurs économiques qui se détériorent en outre-mer

Des écarts forts et persistants demeurent entre les territoires d'outre-mer et la France métropolitaine dans le domaine économique. De surcroît, dans certains territoires, ces écarts ont tendance à s'accroitre.

a) Un PIB par habitant dans les DROM toujours en deçà des niveaux constatés en métropole

Entre 2017 et 2021, le PIB par habitant des départements et régions d'outre-mer (DROM) a augmenté mais à un rythme plus faible qu'en métropole de sorte qu'il est, de manière récurrente, inférieur au niveau constaté dans les autres départements français.

Classement des PIB régionaux par habitant des DROM en 2021

(en euros)

Source : commission des finances à partir des données Insee

Ainsi, alors que les PIB par habitant régionaux ont enregistré, en moyenne, une hausse de 7,56 % entre 2017 et 2021, ceux des DROM n'ont augmenté que de 5 %.

Le PIB par habitant dans les DROM représente seulement 55,9 % du PIB par habitant en France métropolitaine. Cette proportion varie d'un territoire à l'autre entre 22,66 % (à Mayotte) et 68,4 % (en Martinique).

Évolution du PIB par habitant des DROM entre 2017 et 2021

(en euros, estimation)

Source : commission des finances à partir des données Insee - Comptes régionaux base 2014, Estimations de population

Alors qu'en 2017, le PIB moyen par habitant dans les DROM représentait 57,3 % de celui de métropole, en 2021, il ne représente plus que 55,9 %.

Les rapporteurs spéciaux notent également qu'en Guadeloupe et en Guyane, le PIB par habitant a diminué entre 2019 et 2021 et n'a pas retrouvé son niveau d'avant la crise sanitaire.

b) Des taux de chômage toujours plus importants qu'en métropole

En moyenne, sur les territoires d'outre-mer, la population a enregistré une augmentation de 5,6 % entre 2011 et 2021 contre 3,6 % en métropole.

Cette évolution est cependant très variable d'un territoire à l'autre mais créée, dans tous les cas, une déformation démographique et partant, des difficultés économiques et sociales.

En effet, en Guyane, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, la croissance démographique est importante et l'indice de vieillissement (part des plus de 65 ans par rapport aux moins de 20 ans) est beaucoup plus faible qu'en métropole. À l'inverse, en Guadeloupe et Martinique, l'évolution démographique est à la baisse, ce qui génère une part des personnes âgées de plus de 65 ans supérieure à la métropole.

Population outre-mer : évolution et ratios

(1) : rapport de la population de plus de 65 ans sur la population de moins de 20 ans.

(2) : le rapport entre la population des jeunes et des personnes âgées (moins de 20 ans et 65 ans et plus) et la population de 20 à 65 ans. Il est défavorable lorsqu'il est supérieur à 100 (ou « fort »), c'est-à-dire lorsqu'il y a davantage de jeunes et seniors que de personnes en âge de travailler.

Source : commission des finances à partir des données de l'INSEE, ISPF, ISEE et STSEE

Ces caractéristiques démographiques couplées à un marché du travail restreint ainsi qu'à un niveau de qualification relativement faible (les jeunes ultramarins plus diplômés partant en métropole ou à l'étranger), permettent difficilement d'absorber la croissance de la population active. Il en résulte des taux de chômage dans les territoires d'outre-mer beaucoup plus élevés qu'en métropole et atteignant 35 % à Mayotte.

Taux de chômage en 2021 (% de la population active de 15 ans et plus)

Source : commission des finances à partir du tableau de bord des outre-mer (IEOM) - données arrêtées au 1er aout 2022 et de l'enquête Emploi Insee de 2022

2. Des indicateurs sociaux très dégradés
a) Un illettrisme et un illectronisme importants dans les DROM

Les taux de jeunes rencontrant des difficultés dans le domaine de la lecture atteignent 71 % à Mayotte, 47 % en Guyane, 28 % en Guadeloupe et en Martinique et 25 % à la Réunion en 2020, contre 9,5 % pour l'ensemble des jeunes de 16 à 25 ans de nationalité française ayant participé à la Journée défense et citoyenneté en 2020.

Par ailleurs, en 2019, le taux d'illectronisme est de 26 % dans les départements d'outre-mer (hors Mayotte), contre 16 % en France métropolitaine (Legleye, Rolland, 2019). Les taux d'équipement numérique et d'accès à Internet sont inférieurs dans les DROM.

Dans ce contexte, les taux de réussite au baccalauréat sont inférieurs de 1 à 16 points dans les territoires d'outre-mer par rapport à la métropole, à l'exception de la Guadeloupe et de la Martinique où ils se rapprochent sensiblement des taux métropolitains. Ces écarts, déjà inquiétants dans certains territoires, doivent de surcroit être interprétés avec prudence dans la mesure où les décrochages scolaires interviennent avant la terminale et ne sont donc pas comptabilisés dans les taux susmentionnés.

Taux de réussite au baccalauréat en 2021

(en %)

Source : commission des finances du Sénat à partir des données Insee

b) Une espérance de vie moins élevée

L'espérance de vie dans les territoires d'outre-mer est inférieure à celle de métropole avec un écart allant de 2 ans à plus de 11 ans.

Cette situation s'explique par de nombreux facteurs au titre desquels l'offre de services de santé de proximité, moins importante en outre-mer, a un impact important. Le niveau d'éducation, les conditions de vie et en particulier de travail, de logement et de qualité de l'environnement, fortement liés à l'espérance de vie, doivent également être pris en considération.

Comparaison de l'espérance de vie en 2021
entre la métropole et les territoires d'outre-mer

(en années)

Source : commission des finances du Sénat à partir des données Insee

3. Des collectivités territoriales ultramarines en tension financière

Les collectivités des territoires d'outre-mer, et surtout celles des DROM, connaissent des difficultés financières structurelles. Sur ce sujet, les rapporteurs spéciaux renvoient à l'analyse développée dans leur récent rapport sur les contrats de redressement outre-mer (COROM)1(*). Si les collectivités d'outre-mer ne constituent pas un ensemble homogène et si les explications de ces situations financières globalement moins favorables qu'en métropole varient d'un territoire à l'autre, des causes communes peuvent cependant être dégagées.

Ainsi, l'insularité ou la faiblesse des interconnexions pour la Guyane génère des surcoûts importants sur les charges à caractère général des communes d'outre-mer, les dépenses de personnel sont également plus élevées en raison d'une faible intégration intercommunale, de la majoration des traitements des fonctionnaires et de taux d'administration élevés.

Dès lors, les taux d'épargne brute et nette des communes d'outre-mer restent très inférieurs à ceux constatés dans les communes de métropole. Il résulte de cette situation des marges d'autofinancement réduites dans les communes d'outre-mer approchant ou dépassant régulièrement le seuil d'alerte fixé à 100 %.

Sur les 129 communes des DROM, 30 sont actuellement dans le réseau d'alerte de la DGFIP en raison d'une situation financière dégradée et nécessitant une vigilance particulière soit 24 % des communes.

Par ailleurs, si la situation d'ensemble des EPCI est plutôt favorable, certains points doivent être mis en exergue. En effet, la situation de certains EPCI est moins solide. À titre d'exemple, la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbes en Guadeloupe présente un encours fournisseurs de 32,5 millions d'euros, notamment à l'égard des communes membres.

De surcroit, cet équilibre financier d'ensemble s'explique de manière quasi générale dans les DROM par la faible surface financière des EPCI en raison de transferts de compétence très limités à ce jour et subséquemment d'un faible niveau d'investissement des EPCI. Pour autant, ces transferts devraient s'accentuer à l'avenir jusqu'en 2026.

Le contexte inflationniste actuel devrait contribuer à une aggravation de ces situations financières déjà dégradées. Ainsi, la hausse des prix des biens et services pourrait générer une diminution de l'épargne brute des communes.

En effet, les dépenses à caractère général devraient augmenter sous l'effet de l'inflation et notamment les dépenses énergétiques et celles relatives à l'entretien et aux réparations qui intègrent la hausse des coûts de la construction et des travaux publics.

Les dépenses de personnel augmenteront également sous l'effet de la revalorisation du point d'indice2(*). Or, la part des charges de personnel étant particulièrement importante dans les communes des DROM, la revalorisation du point d'indice devrait peser encore plus fortement qu'en métropole notamment en raison du taux d'administration.

Dans ce contexte, il semble nécessaire de renforcer les aides de l'État aux collectivités en difficultés. C'est le sens des 12 recommandations formulées par les rapporteurs spéciaux dans leur rapport susmentionné sur les COROM.


* 1 Rapport d'information n° 756 (2022-2023), déposé le 21 juin 2023- par MM.  Georges Patient et Teva Rohfritsch.

* 2 Par décret du 7 juillet 2022, le Gouvernement a revalorisé la valeur de l'indice 100 applicable aux fonctions publiques d'État, territoriale et hospitalière en le fixant à 5 820,04 euros à compter du 1er juillet 2022, faisant ainsi passer la valeur du point d'indice de 4,686 euros à 4,85 euros soit une revalorisation de 3,5 % du point d'indice.

Partager cette page