EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Transfert des contrats de travail des salariés
dans le cadre de l'ouverture à la concurrence

Cet article vise à préserver les garanties sociales issues de la loi d'orientation des mobilités pour tous les salariés du réseau de bus francilien de la RATP concernés par le transfert de leurs contrats de travail aux nouveaux employeurs, tout en assurant la continuité du service public.

Pour ce faire, cet article opère le transfert des salariés à l'échelle des centres-bus, en visant le maintien des salariés sur site pour éviter des mobilités géographiques contraintes, prévoit une procédure de volontariat pour les salariés qui souhaitent changer de site et clarifie le régime des salariés des entités mutualisées.

Il prévoit également un dispositif de recours au volontariat spécifique aux conducteurs de bus de nuit et le transfert à IDFM des fonctions que l'autorité organisatrice souhaite reprendre en régie.

La commission a adopté l'article 1er modifié par deux amendements afin d'accroître de deux mois le délai de transmission des informations aux salariés transférés et de fournir aux nouveaux employeurs des données plus récentes concernant le nombre de salariés affectés aux centre-bus dont ils assureront l'exploitation.

I. Les modalités d'ouverture à la concurrence prévues par le législateur doivent être redéfinies en raison de la survenance de circonstances imprévisibles

A. Un législateur soucieux de définir des conditions socialement justes et économiquement soutenables en vue de l'ouverture à la concurrence

L'ouverture à la concurrence du réseau de bus historique de la RATP a été fixée par la loi au 1er janvier 2025, en application du règlement européen du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route1(*).

Ce processus nécessite le transfert des moyens humains nécessaires pour assurer la continuité du service public aux nouveaux exploitants des services de bus sélectionnés par l'autorité organisatrice IDFM, à l'issue des procédures d'appel d'offres.

Pour ce faire, la procédure ad hoc de transfert des contrats de travail des salariés de la RATP aux nouveaux employeurs a été définie en 2019 par l'article 158 de la loi d'orientation des mobilités (LOM)2(*) et précisée par décret3(*). Le législateur avait notamment garanti que « les contrats de travail en cours des salariés concourant à l'exploitation et à la continuité du service public concerné sont transférés au nouvel employeur ».

La LOM s'est notamment attachée à déterminer les modalités d'information des salariés et à mettre un oeuvre le principe d'un « sac à dos social », c'est-à-dire garantir la portabilité de certains droits ou acquis sociaux de haut niveau : garantie du niveau de rémunération annuelle, maintien de la garantie d'emploi et du régime spécial de sécurité sociale dont les salariés transférés bénéficiaient au titre des pensions et prestations de retraite, accès au réseau des centres de santé et aux activités sociales et culturelles du comité social et économique de la RATP.

La loi a en outre prévu que la détermination du nombre de salariés transférés était arrêtée d'un commun accord entre la RATP et IDFM, selon le principe du transfert d'un nombre de salariés strictement nécessaire à l'exploitation du service, à l'échelle de chaque ligne exploitée.

B. Des circonstances imprévisibles, entraînant de profonds bouleversements, qui plaident pour une réévaluation des bénéficiaires du « sac à dos social »

Lors de la préparation de ce processus d'ouverture à la concurrence, IDFM et la RATP ont rencontré des difficultés opérationnelles dans la mise en oeuvre de la procédure de transfert actuellement définie par les textes, tant sur le plan technique que sur le plan social.

Outre ces difficultés, la crise sanitaire a également fortement perturbé les transports publics, avec des effets qui sont encore perceptibles aujourd'hui, qu'il s'agisse de la fréquentation des voyageurs qui n'a pas retrouvé son niveau d'avant-covid, de la baisse des recettes qui a aggravé les difficultés financières des entreprises de transport ou encore des phénomènes de démissions, de pénurie de main d'oeuvre et de tensions de recrutement qui n'ont pas épargné le secteur du transport.

En outre, afin de faciliter la supervision et la régulation du réseau de bus, IDFM a procédé à une nouvelle répartition des lignes entre centres-bus en vue de la future organisation du réseau post-ouverture à la concurrence, ce qui est susceptible d'entraîner une inadéquation entre le nombre d'agents transférés et les besoins de l'exploitation du service. Le transfert des salariés, actuellement fondé sur leur affectation à des lignes de bus, pourrait obliger environ 3 000 salariés sur 18 000 à changer de centre-bus d'affectation lors du transfert, du fait de la réorganisation des lignes mise en oeuvre par IDFM.

L'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024 constitue également, pour les transports publics, un défi organisationnel d'une ampleur inédite, susceptible de générer une hausse de la fréquentation des voyageurs de l'ordre de 20 % et de causer d'importantes perturbations de trafic en raison de la fermeture de certaines zones, de la mise en service des voies olympiques, de la fermeture des ponts parisiens et des déviations non encore connues à ce jour. Pour l'organisation des transports par autobus, la RATP aura à gérer quotidiennement des contraintes de disponibilité de voirie et des modifications d'itinéraires, ce qui nécessitera des renforts conséquents par rapport aux effectifs traditionnellement mobilisés en août.

Face à ces difficultés, une mission confiée à Jean-Paul Bailly et Jean Grosset en janvier 2023 pour faciliter les échanges entre RATP et IDFM a préconisé une réforme en profondeur de la procédure de transfert, pour lever les incertitudes qui inquiètent les salariés et leurs représentants, en clarifiant les modalités de transfert, de rémunération et d'organisation du travail une fois l'ouverture à la concurrence devenue effective.

Cette mission a démontré la nécessité de garantir aux agents affectés à un centre-bus l'absence de mobilité géographique contrainte du fait de la nouvelle répartition des lignes entre les sites retenus par IDFM et de différencier davantage les conditions de transfert en fonction des différentes catégories d'emploi s'agissant notamment des conducteurs de bus Noctilien et des superviseurs, ainsi que du lieu d'exercice des missions, entre les entités mutualisées et les centres-bus.

Parmi les autres difficultés découlant de l'application de la loi actuelle, il est apparu que le maintien de la garantie d'emploi et du régime spécial de retraite RATP s'appliquait aux salariés concernés par le transfert aux nouveaux employeurs, sans que soient prévues expressément les mêmes garanties du « sac à dos social » pour les salariés en cas de reprise par IDFM de missions en régie ou quasi-régie.

De même, le législateur a inclus dans le champ du transfert tous les salariés concourant à la gestion, l'exploitation et la maintenance du réseau de bus, sans distinguer les salariés des structures centrales de la RATP et des fonctions support des entités mutualisées qui ne concourent que très peu au service à l'échelle de chaque entité transférée.

Face à ces impensés, ces limites et ces imprévus, la mission Bailly-Grosset a conclu à la nécessité du recours à un vecteur législatif pour fluidifier l'ouverture à la concurrence et tirer profit de ses bénéfices.

II. Une profonde réforme de la procédure de transfert prévue par la LOM pour fluidifier l'ouverture à la concurrence et éviter un « big bang » organisationnel et social

A. Un texte qui transpose dans la loi les recommandations de la mission confiée à MM. Bailly et Grosset

L'ampleur du défi technique, opérationnel et social que constitue l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP a conduit l'auteur du texte, Vincent Capo-Canellas, à proposer une réforme qui tire les conséquences des constats, unanimement partagés, établis par la mission confiée par IDFM à Jean-Paul Bailly et Jean Grosset.

En conséquence, l'article 1er prévoit en premier lieu le transfert de l'ensemble des salariés des centres-bus, et non plus seulement les salariés concourant à l'exploitation et à la continuité du service public concerné. Il exclut cependant du champ du transfert les salariés concourant aux missions de sécurité et de sûreté, aux missions des structures centrales de la RATP ainsi que certaines fonctions des entités mutualisées : le centre de régulation et d'information voyageurs (CRIV), le nouvel espace de formation (NEF) et les ateliers de Championnet, en charge d'actions de maintenance spécifiques sur le matériel roulant. À cette fin, il modifie l'article L. 3111-16-1 du code des transports.

Cet article garantit également le maintien de l'affectation des salariés au sein de leur site actuel, en vue d'éviter de leur imposer une mobilité géographique contrainte, source d'incertitude et de conflictualité sociale. Le principe du maintien sur site permet de répondre à une inquiétude forte des salariés, qui, en plus de vivre un changement d'employeur, devraient changer de site d'exploitation, avec potentiellement d'importantes conséquences en termes de temps de trajet.

Pour ce faire, l'article 1er de la proposition de loi réécrit l'article L. 3111-16-3 du code des transports pour y prévoir une procédure de calcul du nombre de contrats de travail à transférer, « déterminée par centre bus, par entité mutualisée, par catégorie d'emploi et par poste », pour servir de base objective à la remise des offres des candidats aux procédures d'appel d'offres, dans la mesure où la masse salariale à reprendre est une donnée essentielle pour les candidats aux procédures de la commande publique.

Ce nombre doit correspondre aux effectifs concourant à l'exploitation du service concerné dans les douze mois précédant la date de publication des appels d'offres. Il peut également intégrer une évolution prévisionnelle des effectifs à reprendre jusqu'à la date du changement d'attributaire. Il est arrêté d'un commun accord entre la RATP et IDFM sur la base des éléments transmis par la RATP, dans le respect du secret des affaires. L'article prévoit en outre une procédure d'arbitrage, avec une possibilité de saisine de l'Autorité de régulation des transports en cas de différend entre IDFM et la RATP concernant le nombre de salariés transférés4(*).

Ce transfert à l'échelle du centre-bus, qui devient la nouvelle unité insécable de détermination du nombre de salariés transférés, part du principe que le centre-bus est l'échelle pertinente pour définir le transfert du personnel, car il s'agit de l'entité physique et opérationnelle du réseau, cohérente avec le modèle d'exploitation du réseau. Ce choix repose sur l'idée que la ligne de bus s'avère une unité trop fine pour y rattacher des contrats de travail, car une large majorité des métiers travaillent pour l'ensemble des lignes indistinctement (maintenance, contrôleurs, fonctions supports en centre-bus), d'autant qu'une large partie des conducteurs de bus sont amenés à rouler sur différentes lignes du centre.

Ce choix est cependant susceptible de générer des situations de sous-effectif ou de sureffectif, qu'il convenait de prendre en compte. La direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) a indiqué au rapporteur que « l'impact réel de ces situations potentielles de sureffectif ou de sous-effectif ne serait que marginal en pratique et ne sera pas de nature à freiner la mise en place de l'ouverture à la concurrence ». Pour pallier les difficultés soulevées par ce changement de méthodologie et sécuriser le transfert de l'ensemble des salariés des centres-bus en garantissant leur maintien sur leur lieu de travail actuel, l'article 1er procède à une rédaction nouvelle de l'article L. 3111-16-4 du code des transports, qui prévoit désormais :

- le transfert intégral des salariés des centres-bus sur leur lieu de travail actuel, en précisant que l'ensemble des salariés affectés à un centre-bus sont transférés au nouvel exploitant de ce centre-bus, quelles que soient les lignes de bus qui s'y rattachent ;

- un mécanisme d'appel au volontariat, réalisé à la demande d'IDFM, proposant aux salariés des centres-bus en sureffectif un transfert au sein des centres-bus en sous-effectif, afin de réduire les éventuels déséquilibres liés au principe de maintien dans le centre-bus actuel. Ce mécanisme permettra d'atténuer les effets des sureffectifs ou sous-effectifs résultant du maintien sur site des salariés.

Ce même article affine également les critères législatifs de désignation des salariés à transférer aux nouveaux employeurs :

- pour les conducteurs de bus de nuit : un mécanisme d'appel au volontariat pour proposer aux conducteurs de bus Noctilien (lignes circulant entre 0h30 et 5h30) de suivre leur ligne de nuit au sein d'un autre centre-bus. À défaut, les salariés qui ne se seront pas portés volontaires pour suivre leur service de nuit seront transférés sur un service de jour, selon les nouvelles modalités prévues pour le cas général des centres-bus ;

- pour les entités mutualisées : un mécanisme d'appel prioritaire au volontariat permettant aux salariés des entités mutualisées de se positionner en priorité sur tel ou tel lot auprès de tel ou tel employeur, et à défaut une procédure de désignation dans les différents lots, qui sera principalement fondée sur l'ancienneté ;

- pour la reprise en régie ou quasi-régie par IDFM : le transfert automatique de l'ensemble des salariés affectés aux missions reprises en régie ou quasi-régie. Il s'agit à ce jour uniquement des superviseurs du CRIV, ainsi que l'a rappelé la présidente d'IDFM lors de son audition devant la commission le 11 octobre 2023.

B. Un texte qui élargit le nombre de bénéficiaires au « sac à dos social »

L'auteur de la proposition de loi a été animé du souci de préserver les garanties sociales des salariés dans tous les cas de transfert et de réduire à sa portion congrue les « angles morts » de la procédure législative de transfert. La méthodologie issue de la LOM laissait planer une incertitude sur la possibilité, pour les salariés RATP transférés à l'établissement public IDFM dans le cas d'une reprise de certaines missions en régie ou en quasi-régie, de bénéficier du « sac à dos social ».

Comme indiqué supra, la garantie d'emploi ainsi que la portabilité du régime spécial de retraites RATP ne s'appliquent actuellement aux salariés transférés qu'à la condition que leur contrat de travail continue d'être régi par la convention collective applicable au transport public urbain (CCN TPU) ou par la convention collective des transports routiers et des activités auxiliaires de transport (CCN TR) et qu'ils concourent à des activités de transport de personnes.

Pour y remédier, l'article L. 3111-16-11 du code des transports est modifié pour prévoir que la garantie d'emploi et la portabilité du régime spécial de retraite RATP bénéficient également aux salariés dont le contrat de travail serait régi par les dispositions applicables au sein de l'établissement public IDFM, dans le cas d'une reprise en régie. Île-de-France Mobilités étant un établissement public administratif qui ne relève pas du régime des conventions collectives du transport, il est donc nécessaire de prévoir expressément le bénéfice du « sac à dos social » aux salariés qui y seront transférés.

De plus, les nouveaux employeurs auxquels les salariés RATP seront transférés sont susceptibles d'effectuer des choix d'organisation interne les amenant à filialiser leurs activités en autant d'entités séparées, avec par exemple une filiale pour le service de transport routier et une autre filiale pour les activités de maintenance du matériel roulant. Ces choix d'organisation interne peuvent aboutir à ce que des salariés RATP soient transférés au sein d'un groupe de transport public urbain, mais dans une filiale placée sous le régime d'une autre convention collective que la CCN TPU ou la CCN TR, ce qui les priverait du bénéfice du « sac à dos social ». Pour éviter cet effet de bord non souhaité, l'article L. 3111-16-11 est complété pour mentionner les dispositions applicables au sein des filiales des entreprises de transport public urbain régulier de personnes concourant aux activités de gestion, d'exploitation ou de maintenance de service régulier de transport public afin que l'ensemble des salariés transférés bénéficient du « sac à dos social », indépendamment de la filiale où ils pourraient être amenés à travailler.

Cet article règle également le cas des anciens salariés RATP qui perdraient le bénéfice de ces garanties sociales s'ils souhaitent travailler à nouveau au sein de l'EPIC RATP, du fait de la spécificité de la couverture conventionnelle à la RATP, dont le cadre social particulier est hors champ des conventions collectives. Cette situation soulève une inégalité de traitement et une incohérence pour l'EPIC RATP, car elle empêcherait ses anciens salariés bus transférés dans le cadre de l'ouverture à la concurrence de pouvoir continuer à bénéficier comme actuellement d'un parcours professionnel à la RATP dans le tramway, le métro et le RER sans perte de droit. La modification envisagée de l'article L. 3111-16-11 du code des transports garantit le maintien de cette passerelle, que la perte du « sac à dos social » aurait rendu inattractive.

Enfin, l'article L. 3111-16-12 du code des transports est complété afin de clarifier le fait que les autres droits du « sac à dos social », à savoir le maintien temporaire du cadre social RATP pendant 15 mois, la garantie de rémunération, le bénéfice de l'accès au réseau des centres de santé de la RATP et des activités sociales et culturelles du comité social et économique, bénéficient bien aux salariés transférés en cas de reprise en régie ou quasi-régie par IDFM.

III. Des évolutions indispensables pour faire face aux impensés de la LOM et au changement de circonstances imprévisible

La commission partage le bien-fondé et les modalités de la réforme de la procédure de transfert des salariés de la RATP vers les nouveaux employeurs mise en oeuvre par ce texte, dans la mesure où le socle des bénéficiaires est élargi et l'équité concurrentielle dans le respect des droits sociaux acquis est assurée, condition essentielle d'une ouverture à la concurrence porteuse d'améliorations pour les voyageurs et bénéfique aux salariés.

Les bouleversements induits par le contexte sanitaire, l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques l'été prochain qui sollicitera fortement les capacités des transports publics de voyageurs et le transfert du réseau de bus parmi les plus denses d'Europe (19 000 salariés, 308 lignes de bus, 4 500 bus et 25 centres-bus) sont autant de facteurs qui plaident pour consolider la procédure de transfert des salariés dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, afin de ne pas ajouter aux difficultés opérationnelles une conflictualité sociale qui pourrait désorganiser l'exploitation des lignes nouvellement attribuées aux entreprises attributaires.

Sur proposition du rapporteur, la commission a adopté deux amendements afin d'accroître le délai de transmission des informations aux salariés concernant leur transfert et de fournir aux nouveaux employeurs des données plus récentes concernant le nombre de salariés transférés, afin qu'ils reflètent mieux la réalité de l'exploitation du service et permettent d'anticiper les sureffectifs et sous-effectifs du fait de la possibilité pour les salariés de rester affectés à leur centre-bus de rattachement.

Ainsi, l'amendement du rapporteur COM-1 modifie la période de référence pour la détermination du nombre de salariés transférés aux nouveaux employeurs, en faisant référence à l'année antérieure à la notification du contrat de concession, c'est-à-dire le dernier exercice précédant l'attribution des délégations de service public, plutôt que l'année qui précède la date de publication des avis de concession, afin d'assurer la qualité de l'information aux nouveaux employeurs.

De même, l'amendement COM-2 permet aux salariés d'être informés au moins six mois avant la date prévue du changement effectif d'exploitant du service des conditions du transfert de leur contrat de travail, au lieu du délai de quatre mois qui prévaut actuellement. Cette disposition assure aux salariés un meilleur niveau d'information, afin de leur permettre d'anticiper au mieux cette échéance et de disposer de plus de temps pour se préparer à des changements professionnels qui peuvent être majeurs.

Dans la mesure où, en application de l'article R. 3111-36-6 du code des transports, le cédant est tenu de transmettre sans délai au cessionnaire la liste des salariés ayant accepté leur transfert, avec leur répartition par catégorie d'emplois et par poste, cet amendement a également pour effet de permettre aux futurs opérateurs de disposer d'un délai supplémentaire pour organiser les services dont ils assureront l'exploitation.

Le choix d'opérer les transferts à l'échelle du centre-bus est en effet générateur de complexités de gestion plus grandes que dans une situation où les transferts sont organisés ligne par ligne. Le délai de deux mois supplémentaires proposé par cet amendement est ainsi une mesure visant à assurer l'équité concurrentielle de l'ouverture à la concurrence.

La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2

Personnel d'IDFM et dialogue social

Cet article vise à élargir les possibilités de recrutement d'Île-de-France Mobilités afin d'accompagner l'évolution des missions de cet établissement public du fait de l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP, en prévoyant notamment le recrutement de salariés de droit privé, régis par le code du travail.

La commission a adopté l'article 2 modifié par un amendement de coordination qui corrige une incohérence au sein de l'article.

I. Des règles de recrutement et des modalités de dialogue social sui generis, mais proches de celles des syndicats mixtes

La qualification juridique d'Île-de-France Mobilités, autorité organisatrice de la mobilité pour la région Île-de-France, a été définie par le législateur à l'article L. 1241-8 du code des transports : IDFM est un « établissement public, constitué entre la région Île-de-France, la Ville de Paris, les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, de l'Essonne, des Yvelines, du Val-d'Oise et de Seine-et-Marne, chargé de l'organisation du transport public de personnes en Île-de-France ».

La partie règlementaire du code des transports précise qu'IDFM est un établissement public à caractère administratif. Le juge administratif a statué en 2010 sur le statut juridique précis dont relève IDFM - à l'époque encore dénommé le Stif. Il a considéré qu'il résultait des dispositions de l'ordonnance du 7 janvier 1959 que cet établissement « est un groupement de collectivités locales  ; que la circonstance qu'en vertu des dispositions de l'article 1er du décret susvisé du 10 juin 2005 le Syndicat des transports d'Île-de-France soit administré par un conseil de 29 membres comprenant notamment un représentant de la chambre régionale de commerce et d'industrie d'Île-de-France est, à cet égard, sans influence5(*) ».

Il s'ensuit que les règles constitutives et de fonctionnement d'Île-de-France Mobilités sont similaires à celles d'un groupement de collectivités territoriales, ce qui place l'établissement dans la catégorie des syndicats mixtes ouverts restreints. Le caractère sui generis de cet établissement entraîne une gouvernance singulière et des règles de fonctionnement spécifiques, fixées par la loi et précisées par voie règlementaire.

Ces règles sont définies à la section 4 du chapitre Ier du titre IV du livre II du code des transports, aux articles L. 1241-8 à L. 1241-20. Parmi les plus significatives, mentionnons le fait que la région Île-de-France dispose de la majorité des sièges et que le syndicat est présidé par le président du conseil régional d'Île-de-France - c'est le cas actuellement - ou par un élu du conseil régional qu'il désigne parmi les membres du conseil d'administration.

En matière de personnel, les agents recrutés par IDFM pour assurer ses missions d'autorité organisatrice de la mobilité sont soumis aux dispositions applicables aux agents des syndicats mixtes6(*). À ce titre, cet établissement public est fondé à recruter des fonctionnaires relevant du statut de la fonction publique territoriale et des agents contractuels de droit public, conformément au droit commun de la fonction publique territoriale7(*) : création d'emplois par l'organe délibérant de l'établissement public, précision du grade correspondant à l'emploi créé, nature et durée des fonctions le cas échéant et si l'emploi peut également être pourvu par un agent contractuel. Dans ce dernier cas, IDFM doit indiquer le motif invoqué, la nature des fonctions, les niveaux de recrutement et de rémunération de l'emploi créé.

Depuis 2014, date de sa désaffiliation du centre interdépartemental de gestion de la grande couronne8(*), Île-de-France Mobilités a internalisé la gestion des carrières de ses agents, en organisant ses propres commissions administratives paritaires. La chambre régionale des comptes d'Île-de-France relève en 2019 que « Île-de-France Mobilités, du fait de la spécificité de ses missions, emploie 173 contractuels, soit 48 % de son effectif permanent. Les contractuels ont même été majoritaires jusqu'en 20139(*) ».

IDFM emploie notamment des contractuels recrutés avant la décentralisation, dont la gestion repose sur des règles dérogatoires au droit commun de la fonction publique. Sur le fondement d'un arrêté du 23 février 199010(*), les règles de rémunération et d'avancement des agents de la RATP leur sont applicables. La chambre régionale des comptes relève que ce dispositif, qui a vocation à s'éteindre progressivement, ne concernait en 2018 plus que 8 % des agents. Depuis l'entrée en vigueur du nouveau plan de gestion le 1er juillet 2006, les agents contractuels sont recrutés par IDFM selon les procédures de droit commun.

II. L'élargissement des possibilités de recrutement d'IDFM, une des conditions de la réussite de l'ouverture à la concurrence

Fort du constat que les missions d'Île-de-France Mobilités sont amenées à s'enrichir substantiellement à l'approche, pendant et à la suite de l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP, l'auteur de la proposition de loi a souhaité élargir les possibilités de recrutement, en permettant à IDFM de recruter en contrat de droit privé de futurs superviseurs.

La présidente d'IDFM, Valérie Pécresse, a en effet indiqué, devant la commission lors de son audition du mercredi 11 octobre 202311(*), que l'établissement public avait en effet vocation à récupérer « certaines missions stratégiques du réseau de bus : cela concernera la supervision du trafic et la coordination opérationnelle des opérateurs en cas d'incident, ce qui représente le transfert de la RATP à IDFM d'environ une trentaine d'agents ».

Outre ces missions essentielles au bon fonctionnement d'un réseau de bus aussi dense que celui de l'Île-de-France, le passage d'un opérateur unique à plusieurs sociétés opératrices générera pour IDFM des charges de régulation et d'unification de l'offre de transport par autobus, notamment en termes de billettique, de gestion des recettes - ce qui impliquera la mobilisation d'importantes ressources comptables -, de coordination de l'information aux voyageurs et de gestion des incidents complexifiée par la multiplicité des opérateurs.

C'est la raison pour laquelle cet article insère, dans le code des transports, un nouvel article L. 1241-13-1 précisant que le personnel d'IDFM comprend, comme c'est le cas actuellement, des fonctionnaires et des agents contractuels de droit public relevant à la fois du statut particulier d'avant 2006 et du statut de droit commun (cf. supra), mais également des salariés régis par le code du travail, c'est-à-dire relevant du droit privé.

Cet élargissement des statuts de recrutement vise à apporter la souplesse nécessaire à IDFM pour faire face à l'accroissement et à la diversification de ses missions d'autorité organisatrice de la mobilité du fait de l'ouverture à la concurrence.

En conséquence, l'article 3 crée un comité social unique, compétent pour l'ensemble des personnels d'IDFM, agents de droit public comme salariés de droit privé, dont la composition et les modalités de fonctionnement sont précisées par décret en Conseil d'État. Ce comité social unique exerce les compétences attribuées aux comités sociaux territoriaux.

Le comité social, une innovation chargée de favoriser une vision intégrée
des politiques de ressources humaines et des conditions de travail

Les instances de dialogue social ont évolué conformément aux modifications issues de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, avec la fusion du comité technique et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail en une instance unique, le comité social.

Ce comité a vocation à examiner les questions collectives et les conditions de travail : à ce titre, il est notamment consulté sur les projets relatifs au fonctionnement et à l'organisation des services et sur les règles relatives au temps de travail et au compte épargne-temps de ses agents publics.

Le comité social débat en outre chaque année sur le bilan de la mise en oeuvre des lignes directrices de gestion, l'évolution des politiques des ressources humaines, la création des emplois à temps non complet, le bilan annuel de la mise en oeuvre du télétravail, etc12(*).

Afin d'accompagner l'évolution des emplois au sein d'IDFM et de sécuriser juridiquement le recours à des salariés régis par le code du travail, cet article confie à un décret en Conseil d'État le soin d'établir « les types d'emplois nécessaires à l'exercice de l'ensemble des missions de l'établissement et détermine les catégories de personnel, de droit public et de droit privé, ayant vocation à les occuper ».

Dans la mesure où cette évolution entraîne pour IDFM de nouvelles charges de gestion des ressources humaines, du fait de la coexistence de deux statuts d'emplois fortement différenciés, le législateur donne compétence à l'autorité règlementaire pour fixer les règles et les conditions du recours aux salariés de droit privé.

Enfin, cet article dispose que le conseil d'administration d'IDFM établit chaque année les orientations en matière de recrutement pour l'exercice des nouvelles missions et précise les prévisions de recrutement d'emploi dans les différentes catégories de personnel.

Grâce à cette gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, IDFM pourra piloter plus facilement ses emplois et ses recrutements en visant une adaptation au plus près des besoins et tenant compte de l'évolution des missions amenée à se poursuivre ces prochaines années, en vue de l'ouverture à la concurrence du tramway, prévue au plus tard pour le 31 décembre 2029, et du métro, avant le 31 décembre 203913(*).

III. Une évolution nécessaire qui confortera IDFM dans l'exercice de missions de plus en plus nombreuses et complexes

La commission, suivant l'analyse du rapporteur, a estimé que l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP conduirait nécessairement à des charges de gestion et de fonctionnement nouvelles pour IDFM et que l'évolution proposée par ce texte était souhaitable.

La spécialisation des métiers, la technicité requise par les missions de supervision et de régulation ainsi que la coordination de l'offre du fait d'une multiplicité d'opérateurs plaident pour une plus grande diversité de profils professionnels au sein de l'établissement public, au-delà des possibilités actuelles de recrutement.

En adoptant l'amendement COM-3 du rapporteur, la commission a procédé à une coordination en unifiant la référence à la nouvelle instance de dialogue créée au sein d'IDFM, le comité social unique.

La commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.

Article 3

Délai d'arbitrage des différends par l'ART

Cet article fixe à trois mois le délai dans lequel l'Autorité de régulation des transports se prononce lorsqu'elle est saisie d'un différend entre IDFM et la RATP sur le nombre de salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès d'un nouvel opérateur dans le cadre de l'ouverture à la concurrence.

La commission a adopté l'article 3 modifié par un amendement qui ouvre la possibilité pour l'ART, sur décision motivée, de prolonger ce délai pour une durée pouvant aller jusqu'à trois mois.

I. L'Autorité de régulation des transports, arbitre des litiges relatifs au nombre de salariés transférés

En matière d'ouverture à la concurrence des services réguliers de transport public routier urbain de voyageurs en Île-de-France, le législateur a pris soin de ménager une voie de droit spécifique pour trancher le contentieux entre l'autorité organisatrice de transport et le cédant quant au nombre de salariés dont le contrat de travail est transféré en cas de changement d'exploitant.

L'article 158 de la loi d'orientation des mobilités (LOM) du 24 décembre 2019 a confié l'arbitrage des différends susceptibles d'advenir entre Île-de-France Mobilités et la RATP à l'Autorité de régulation des transports (ART).

En désignant cette autorité pour régler ces différends, le législateur lui a confié l'exercice d'une compétence quasi-juridictionnelle, en lieu et place du juge judiciaire de première instance, en précisant que « la décision de l'Autorité de régulation des transports s'impose aux parties14(*) ». Procéduralement, une décision prise dans le cadre d'un règlement de différend peut faire l'objet d'un recours, non suspensif, devant la Cour d'appel de Paris dans un délai d'un mois à compter de sa notification.

En ces matières, l'ART est tenue de se prononcer « dans un délai de trois mois suivant la réception de la demande15(*) » lorsqu'elle est saisie d'un différend en matière de transport ferroviaire ou de transport routier de personnes. Ce délai peut être prorogé d'un mois en cas de demande de pièces complémentaires, sous réserve de ne pas dépasser le délai de douze mois.

II. Une modification formelle sans conséquence sur le délai dans lequel l'ART est appelée à se prononcer

La proposition de loi n'apporte pas de modification de fond au délai dans lequel est appelée à se prononcer l'ART en cas de litige sur la détermination du nombre de salariés dont le contrat de travail est transféré aux nouveaux employeurs, qui reste fixé à trois mois suivant la réception de la demande.

Cet article, de coordination, tire la conséquence de la réécriture, à l'article 1er de la proposition de loi, de l'article L. 3111-16-3 du code des transports qui constitue le fondement juridique du recours à l'arbitrage de l'ART en matière d'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP.

Il conduit à distinguer, à l'article L. 1263-1 du même code, le délai dans lequel l'autorité se prononce pour trancher les litiges sur le nombre de salariés transférés en matière de transport ferroviaire de voyageurs du délai spécifique au transport public routier urbain de voyageurs en Île-de-France.

III. Un aménagement du délai, sur décision motivée de l'ART, destiné à favoriser un arbitrage de qualité

L'autorité a indiqué au rapporteur, en audition, n'avoir encore jamais exercé cette compétence arbitrale. Elle a exprimé à cette occasion des craintes quant à sa capacité à trancher efficacement et dans les délais prescrits les litiges susceptibles de survenir à la suite d'un changement de délégataire, au regard de sa connaissance lacunaire de l'organisation du service dans les centres-bus franciliens de la RATP et de ses moyens humains et budgétaires inadéquats, qui contraignent sa capacité à mobiliser un nombre suffisant d'experts sectoriels.

Le rapporteur, conscient des difficultés concrètes et opérationnelles que soulève le contexte d'ouverture à la concurrence et le transfert potentiel des salariés employés dans 25 centres-bus, a été sensible au risque d'encombrement contentieux de l'ART et de ses capacités à exercer efficacement cette compétence de règlement des différends.

Fort de ce constat, la commission, sur proposition de son rapporteur, a adopté l'amendement  COM-5, qui ouvre la possibilité à l'ART, sur décision motivée, de prolonger le délai de règlement des différends d'une durée pouvant aller jusqu'à trois mois supplémentaires.

Cet aménagement du délai dans lequel l'autorité se prononce en cas de litige sur le nombre de salariés transférés permet de limiter le risque d'un effet d'éviction susceptible de découler de saisines simultanées de l'ART, qui réduirait, à effectifs constants, sa capacité à mener à bien les autres missions confiées par le législateur dans ses six secteurs de compétence16(*).

La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.

Article 4

Possibilité pour IDFM d'échelonner pendant deux ans la date d'ouverture
à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP

Cet article permet à IDFM de séquencer, pendant une durée maximale de deux ans après la date initialement fixée par le législateur, la procédure d'ouverture à la concurrence des réseaux de bus de la RATP à Paris et en petite couronne. Il garantit ainsi que cette procédure ne menacera pas la continuité du service et ne portera pas atteinte à l'équité entre les candidats aux différents appels d'offres, tout en se conformant à la trajectoire fixée par le droit européen.

La commission a adopté l'article 4 sans modification.

I. Un calendrier initial d'ouverture à la concurrence fondé sur une date unique

A. La situation originelle : un monopole légal de la RATP en Île-de-France faisant figure d'exception dans un paysage concurrentiel

Depuis la loi du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs, les services de transports terrestres de voyageurs sont soumis au principe de libre concurrence sur l'ensemble du territoire national. Cette loi a notamment disposé que « la politique des transports de personnes [...] établit les bases d'une concurrence loyale entre les modes de transport et entre les entreprises, notamment en harmonisant leurs conditions d'exploitation et d'utilisation ».

La région Île-de-France relève cependant d'une organisation spécifique dérogatoire, centrée sur un exploitant historique, la Régie autonome des transports parisiens (RATP). Depuis la loi du 21 mars 1948 relative à la réorganisation et à la coordination des transports de voyageurs dans la région parisienne17(*), la RATP s'est vue conférer un droit exclusif, sans limitation de durée, à l'exploitation des réseaux et des lignes de transport en commun de voyageurs en Île-de-France.

B. Une impulsion concurrentielle issue du droit de l'Union européenne : le règlement « OSP »

Le 23 octobre 2007 a été publié au Journal officiel de l'Union européenne le règlement relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route (dit règlement « OSP18(*) »). Ce texte européen, d'application directe, contrairement à la directive qui suppose un véhicule législatif pour le transposer, a fixé un nouveau cadre pour ces secteurs, en exigeant notamment que les autorités organisatrices de transport recourent, pour l'exploitation des réseaux routiers et ferroviaires, à des « contrats de service public » conclus soit :

- avec un opérateur interne19(*) ;

- ou avec un ou plusieurs opérateurs désignés à l'issue d'une procédure de mise en concurrence équitable, ouverte à tout opérateur, respectant les principes de transparence et de non-discrimination.

L'article 8, paragraphe 2, du règlement prévoit que les contrats de service public de transport doivent être attribués après mise en concurrence à partir du 3 décembre 2019. Au cours de cette période transitoire, charge aux États membres de prendre des mesures pour se conformer progressivement à cette échéance « afin d'éviter de graves problèmes structurels concernant notamment les capacités de transport ».

L'article 8, paragraphe 3, de ce règlement dispose néanmoins, à titre transitoire, que les contrats -- au sens du règlement « OSP »20(*) -- conclus avant le 26 juillet 2000 peuvent se poursuivre jusqu'à leur terme. Cependant, les actes normatifs attribuant à la RATP l'exploitation exclusive des réseaux routiers et ferroviaires de la petite couronne parisienne n'ont pas prévu d'échéance explicite.

Anticipant cette situation, le règlement a précisé que les contrats en cours ne pourraient pas se poursuivre « au-delà de trente ans ». La computation de cette période de 30 ans a commencé le 3 décembre 2009, date d'entrée en vigueur du règlement OSP définie à son article 12. Tout doute à ce sujet a été levé par la Cour de Justice de l'Union européenne dans un arrêt de la dixième chambre du 19 mars 2020, en réponse à une question préjudicielle d'un juge espagnol21(*).

Par ailleurs, l'article 5, paragraphe 5, du règlement « OSP » a prévu les circonstances susceptibles d'autoriser les autorités nationales à aménager ce calendrier : « en cas d'interruption des services ou de risque imminent d'apparition d'une telle situation, l'autorité compétente peut prendre une mesure d'urgence » pouvant notamment consister en une « prorogation d'un contrat de service public » qui « ne dépasse pas deux ans ».

C. La réponse du législateur français : la loi « ORTF »

Tirant la conséquence de ce règlement européen, la loi dite « ORTF » du 8 décembre 200922(*) a fixé le calendrier de l'ouverture à la concurrence dans le secteur des transports publics de voyageurs.

Les services de transports publics réguliers de personnes en Île-de-France créés avant le 3 décembre 2009 pour une durée illimitée, desservant Paris et la petite couronne, sont ainsi désormais régis par l'article L. 1241-6 du code des transports. Cet article précise que ces services se poursuivent dans le cadre des conventions en cours et se terminent :

- le 31 décembre 2024 pour les services réguliers de transport routier, c'est-à-dire les autobus gérés par la RATP à Paris et en petite couronne ;

- le 31 décembre 2029 pour les services réguliers de transport par tramway ;

- le 31 décembre 2039 pour les autres services réguliers de transport guidé, c'est-à-dire les métros et les RER.

En parallèle, le 1er janvier 2021, une première mise en concurrence a eu lieu en grande couronne. Les lignes de bus y étaient alors exploitées par de nombreuses compagnies regroupées au sein l'association « Optile », qui avaient chacune signé un contrat de gré à gré avec Île-de-France Mobilités.

II. Une possibilité de report de l'ouverture à la concurrence respectueuse du droit européen

A. Le séquençage de l'ouverture à la concurrence pour une durée maximale de deux ans

L'article 4 de la présente proposition de loi ouvre à IDFM la possibilité d'échelonner la date de l'ouverture à la concurrence des réseaux de bus de la RATP en petite couronne à une date de son choix, comprise entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026.

Cette latitude laissée à l'appréciation de l'autorité organisatrice vise non seulement à assurer la continuité du service, mais également à garantir la qualité et l'équité du processus de mise en concurrence. En laissant à l'autorité organisatrice des mobilités le soin de fixer la durée de cet aménagement de calendrier, le législateur s'assure ainsi que le processus d'ouverture à la concurrence permettra d'atteindre ces deux objectifs dans les meilleurs délais.

B. Une mesure nécessaire pour tenir compte des risques avérés de rupture de la continuité du service

Cet aménagement est rendu nécessaire par les évolutions, à la fois contextuelles et structurelles, qui sont intervenues depuis la fixation initiale du calendrier. De nombreuses difficultés opérationnelles sont apparues depuis le début du processus de préparation et d'adaptation au régime concurrentiel. Le bon sens plaidait pour un échelonnement de l'ouverture à la concurrence de la totalité du réseau de bus exploité par la RATP : basculer, en une seule fois et d'un jour à l'autre, 19 000 salariés, 308 lignes et 4 500 bus vers des opérateurs privés représente une gageure qui fait peser un risque majeur pour la continuité du service.

La complexité des procédures de transfert de personnel, modifiées par la présente proposition de loi, plaide également pour laisser à IDFM un temps supplémentaire pour éviter une interruption de service. S'abstenir d'agir aurait pu mener à des conflits sociaux longs et de forte ampleur, sources de rupture de la continuité du service, mais également à des difficultés opérationnelles indépendantes de ces conflits.

À titre d'exemple, la réorganisation des transferts du personnel à l'échelle de chaque centre-bus prévue par la présente proposition de loi, qui ne pourra se déployer que lorsque les appels d'offres auront été conclus, exige une longue durée de préparation pour être mise en place de façon efficiente. Des procédures trop rapides et en décalage avec les aspirations du personnel auraient pu mener à de nombreux départs volontaires, qui, dans un contexte durable de difficultés de recrutement et de pénurie de main d'oeuvre, auraient fragilisé la continuité de service.

Qui plus est, les jeux olympiques et paralympiques à l'été 2024 solliciteront de manière inédite les pleines capacités de transport public de la région Île-de-France. À calendrier inchangé, les salariés auraient pu être informés des conditions de leurs transferts aux nouveaux opérateurs durant l'organisation des jeux paralympiques, qui se tiendront du 28 août au 8 septembre 2024. Il aurait pu en résulter des mouvements sociaux liés aux opérations de repositionnement des personnels RATP, avec des risques de troubles à l'ordre public, susceptibles de provoquer des interruptions de service au sens du règlement « OSP ».

En outre, les appels d'offres pour les treize lots ont pris un retard considérable, ainsi que l'illustre le tableau prévisionnel d'attribution des lots ci-après.

Source : DGITM, d'après des indications fournies par IDFM

Or, il est nécessaire de laisser aux candidats un temps minimum pour se préparer aux appels d'offres. Dans le cas contraire, il est probable que, dans certains cas, la RATP aurait pu apparaître comme l'unique candidat à même d'assurer le service dans les conditions définies par lesdits appels d'offres. La mise en concurrence, formellement maintenue en 2024, aurait donc pu n'être pas pleinement équitable.

Par conséquent, le maintien d'une date butoir au 31 décembre 2024 aurait obligé IDFM à choisir entre deux solutions peu opportunes :

- soit la continuité du service n'est pas assurée si les appels d'offres ont lieu dans des délais tels que les concurrents de la RATP n'auraient ni le temps ni les moyens d'y répondre convenablement ;

- soit la mise en concurrence est marquée par une « prime au sortant » afin d'assurer la continuité du service.

III. Un aménagement bienvenu pour garantir la fluidité du processus concurrentiel

La commission a adopté l'article sans modification, considérant que les nombreuses difficultés rencontrées dans le cadre de la procédure de mise en concurrence pourraient menacer la continuité du service si le transfert des salariés et l'attribution des lots avaient lieu en une seule fois.

Ces difficultés sont en outre de nature à entraîner des distorsions de concurrence entre les candidats, au premier rang desquels le risque de rupture d'égalité. L'histoire économique démontre qu'une mise en concurrence ne saurait produire pleinement ses effets qu'à la condition de reposer sur un processus équitable, transparent et non-discriminatoire.

La commission a ainsi considéré qu'il était essentiel qu'IDFM puisse mener, dans les meilleures conditions possible et dans l'intérêt partagé des usagers des transports collectifs, des salariés et des opérateurs de transport, ce chantier complexe à mettre en oeuvre d'un point de vue technique, organisationnel et social.

Sans remettre en cause le principe de l'ouverture à la concurrence des lignes de bus, son étalement calendaire pour une durée de deux années supplémentaires permet d'éviter une réorganisation intégrale au 1er janvier 2025.

En s'assurant de la qualité du processus de mise en concurrence, la présente proposition de loi fait oeuvre utile non seulement en matière de continuité du service, mais améliore également la qualité de l'offre et des services aux clients.

La commission a adopté l'article 4 sans modification.

Article 5

Report de l'application de certaines dispositions
du cadre social territorialisé

Cet article vise à reporter l'entrée en vigueur du cadre social territorialisé aux conducteurs de bus de la RATP à compter de l'ouverture effective à la concurrence et à différer partiellement son application pour une période transitoire inférieure à 15 mois pour permettre aux nouveaux employeurs de s'adapter à certaines de ses modalités.

La commission a adopté l'article 5 sans modification.

I. Un cadre social territorialisé dont la mise en oeuvre dès l'ouverture à la concurrence risque de générer de sérieuses difficultés d'organisation pour les nouveaux opérateurs

La loi d'orientation des mobilités (LOM) du 24 décembre 2019, outre le fait d'avoir profondément réformé le cadre général des politiques de mobilités, s'est attachée à mettre en oeuvre le volet social de l'ouverture à la concurrence des réseaux de transport public urbain par autobus de la RATP.

Son article 158 prévoit notamment les dispositions applicables aux salariés en cas de changement d'exploitant, dans le but d'accompagner le transfert des contrats de travail, de garantir la portabilité de certains droits sociaux et de fluidifier une transition professionnelle qui peut être source d'incertitude et d'anxiété pour les agents.

Afin de préciser son intention, le législateur a tenu à ce que soient fixées par décret les règles de temps de travail et de repos applicables aux salariés concernés par l'ouverture à la concurrence des services de bus de la RATP. C'est l'objet du décret du 16 avril 202123(*), dit « décret CST », qui rend applicables aux salariés de la RATP affectés aux activités de gestion, d'exploitation et de maintenance des services réguliers de transport par autobus les règles de temps de travail et de repos d'ores et déjà applicables pour les services de bus dans le reste de la France.

Ce même décret prévoit également des règles spécifiques de temps de travail pour les conducteurs de bus ou d'autocar dont le parcours est majoritairement effectué dans la zone dense urbaine francilienne, du fait des contraintes spécifiques d'exploitation de cette zone : c'est l'objet du cadre social territorialisé (CST).

Il assure aux conducteurs des garanties sociales renforcées au regard des contraintes spécifiques d'exploitation pesant sur eux dans le périmètre de 100 communes de la zone urbaine dense francilienne : fréquentation annuelle, congestion et densité du trafic, conditions de sûreté et d'exposition aux violences et agressions, exigences particulières en matière de desserte du fait des intervalles entre deux passages de bus, etc.

Dans la mesure où les particularités d'exploitation de la zone dense urbaine francilienne peuvent exiger, pour répondre aux impératifs de continuité du service public, de travailler sur des durées plus longues et selon une organisation plus souple du temps de travail, des garanties en termes de repos et de congés et un encadrement de l'élaboration des tableaux de marche ont été prévus, afin de s'assurer que ceux-ci imposent des rythmes de travail raisonnables. La principale disposition relative au temps de travail des conducteurs d'autobus est celle qui précise que la durée de l'amplitude quotidienne de travail des conducteurs relevant du CST ne peut, en principe, excéder 11 heures.

Cette disposition est cependant génératrice de complexité pour le transfert des salariés aux futurs opérateurs, car l'amplitude horaire quotidienne maximale de travail actuellement en vigueur à la RATP est de 13 heures24(*). Selon les estimations fournies au rapporteur par le président-directeur général de la RATP, Jean Castex, lors de son audition, il en résulte, si la règle du CST des 11 heures entrait en vigueur dès le changement d'exploitant comme prévu actuellement par la loi, un besoin immédiat d'environ 500 à 700 conducteurs supplémentaires pour compenser la baisse de l'amplitude horaire maximale journalière de deux heures.

Ainsi, un conducteur de bus qui faisait à la RATP un service en deux parties aux heures de pointe, de 8 heures à 11 heures puis de 18 heures à 21 heures, soit une amplitude de 13 heures, ne pourrait plus effectuer ce même service chez le nouvel exploitant, qui devra réorganiser les horaires de service et embaucher des conducteurs supplémentaires pour effectuer les deux heures manquantes en dépassement de l'amplitude de 11 heures.

Les autres dispositions principales du CST sont le nombre de jours de repos annuel - 115 dans le CST, 104 dans le droit commun -, la limitation de la durée journalière du service direct à 7h20 et l'encadrement des services avec coupure - pas de service en 3 fois et limitation du nombre de services en 2 fois.

En l'état du droit, ce décret entrera en vigueur lorsque se termine l'exécution de chaque service régulier de transport public par autobus créé avant le 3 décembre 2009, c'est-à-dire à l'expiration de l'exploitation par la RATP de chacune des lignes.

La règle d'amplitude maximale de 11 heures prévue par le CST étant plus favorable que celle de 13 heures en vigueur à la RATP, elle a vocation à s'appliquer immédiatement lors du changement d'exploitant, et non à l'issue de la période de survie temporaire du cadre social et des usages de la RATP ayant pour effet d'accorder un avantage à tout ou partie des salariés, prévue à l'article L. 3111-16-6 du code des transports.

Cette situation est non seulement source de complexité pour la gestion des ressources humaines des nouveaux opérateurs, mais constitue également un motif de distorsion d'équité concurrentielle entre les exploitants.

II. Un report d'application de l'amplitude horaire maximale du CST pour assurer la continuité de service et garantir l'équité concurrentielle

Afin de tirer les conséquences de l'article 4 qui permet à IDFM d'échelonner le calendrier d'ouverture à la concurrence pour une durée maximale de deux ans par rapport à la date initialement fixée par le législateur au 31 décembre 2024, cet article clarifie tout d'abord la date d'effet du cadre social territorialisé, en précisant qu'il n'entre en vigueur qu'à compter de l'ouverture effective à la concurrence, lors du changement d'exploitant.

Ainsi, les dispositions du CST en matière de temps de travail et de repos applicables aux conducteurs de bus franciliens soumis à des contraintes spécifiques d'exploitation entreront en vigueur au plus tôt à compter du 1er janvier 2025, à l'échelle de chaque lot mis en concurrence, dès lors que celui-ci aura été attribué à un nouvel opérateur. En cas d'ouverture à la concurrence postérieure au 1er janvier 2025, le CST ne s'appliquera aux conducteurs de bus qu'après leur transfert aux nouveaux employeurs et non s'ils sont encore salariés de la RATP pendant la période d'ouverture progressive à la concurrence.

De plus, cet article aménage une période transitoire ne pouvant excéder 15 mois pendant laquelle la règle RATP d'amplitude maximale de 13 heures peut continuer à s'appliquer de manière dérogatoire, s'agissant d'une règle moins favorable que le CST, auprès des nouveaux exploitants. Il convient de noter qu'il s'agit de la seule règle du CST visée par la période transitoire.

Cette durée retenue de 15 mois fait référence à la durée maximale de survie du cadre social de la RATP - conventions et accords collectifs, décisions unilatérales et usages de la RATP, hors statut - chez les nouveaux employeurs : il s'agit du délai de droit commun de survie des conventions et accords collectifs en cas de changement de situation juridique de l'employeur25(*).

III. Une mesure équilibrée au bénéfice des voyageurs et des nouveaux employeurs favorisant la continuité du service public

La commission, estimant que cette disposition est de nature à assurer la continuité du service public au bénéfice des usagers au moment charnière de l'ouverture effective à la concurrence, n'a pas apporté de modification à cet article.

Ce dispositif permet de lever l'importante difficulté pratique pour les nouveaux employeurs résultant de l'application immédiate des règles spécifiques du cadre social territorialisé, en leur laissant le temps d'adapter les horaires de service et de recruter des conducteurs supplémentaires pour compenser la baisse de l'amplitude horaire maximale journalière de deux heures.

Cette période transitoire contribuera par ailleurs à réduire les tensions sur la réalisation des services au moment de l'ouverture effective à la concurrence, dans un contexte de difficulté de recrutement et de pénurie de main d'oeuvre, afin de ne pas perturber les habitudes des usagers des lignes concernées.

La commission a adopté l'article 5 sans modification.

Article 6

Prorogation du mandat des représentants du personnel de la RATP

Cet article vise à proroger le mandat des représentants du personnel de la RATP jusqu'à l'attribution du dernier contrat de concession, à l'issue de l'ouverture effective à la concurrence de l'ensemble des réseaux de bus opérés par la RATP à Paris et en petite couronne.

La commission a adopté l'article 6 sans modification.

I. La durée peu opportune du mandat actuel des membres du comité social et économique de la RATP du fait du calendrier de l'ouverture à la concurrence

Le mandat actuel des membres élus au Comité social et économique de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) doit prendre fin au 1er janvier 2025. Le transfert des salariés de la RATP aux nouveaux opérateurs implique de droit la cessation du mandat des représentants du personnel transférés, y compris les représentants susceptibles d'être transférés à RATP Cap Île-de-France, filiale créée par la RATP pour participer aux appels d'offres.

Or, de nombreux transferts de ce type se produiront pendant toute la période d'ouverture progressive à la concurrence, nécessitant l'organisation de nouvelles élections pour des mandats de quelques mois seulement, avant le changement d'employeur.

Il en résulterait une dégradation de la continuité et de la qualité du dialogue social au sein de la RATP, pourtant essentiel dans cette période pour le personnel de l'établissement public. Le bon fonctionnement du Comité social et économique serait fortement perturbé, ce qui est susceptible d'affecter profondément le climat social de l'entreprise.

II. Garantir les conditions de la poursuite du dialogue social à la RATP pendant la période d'ouverture à la concurrence des réseaux de bus

L'article 6 de la proposition de loi dispose que le mandat des représentants du personnel de la RATP est prorogé pendant toute la période d'ouverture progressive à la concurrence, afin de permettre aux membres du CSE dont le mandat devait prendre fin au 1er janvier 2025 de rester en place pendant toute la période d'ouverture progressive à la concurrence, jusqu'à ce que chacun voit son contrat de travail transféré.

Cette disposition garantit une stabilité de la représentation du personnel de la RATP pendant toute la période et assure ainsi que le Comité social et économique pourra pleinement veiller aux droits du personnel et assurer l'information aux salariés dans une période de forte incertitude professionnelle.

III. La position de la commission : une disposition bienvenue

La commission a adopté l'article sans modification, considérant cette disposition nécessaire pour garantir un dialogue social de qualité au sein de la RATP et assurer une représentativité des salariés cohérente et stable pendant et à l'issue de cette période de transition professionnelle pour l'ensemble des salariés.

La commission a adopté l'article 6 sans modification.

Article 7

Modalités de reprise par IDFM des biens mutualisés

Cet article vise à préciser la date de transmission par la RATP des biens de retour et de reprise n'ayant pas vocation à être répartis entre les différents lots constitués dans les appels d'offres, afin de garantir leur mise à disposition par IDFM à l'ensemble des opérateurs du réseau de bus.

Il précise que cette reprise par IDFM aura lieu au plus tard à la date d'entrée en vigueur du premier contrat d'exploitation consécutif à l'ouverture à la concurrence.

La commission a adopté l'article 7 sans modification.

I. Un régime de remise à IDFM des biens de retour et des biens de reprise qui prévoit une date unique de transmission

A. Les dispositions juridiques concernant les biens de retour

L'article L. 2142-8 du code des transports, qui opère la codification de l'article 5 de la loi dite « ORTF26(*) », organise les modalités de transfert des biens de retour27(*) de la RATP à IDFM. En matière de transport public de voyageurs, ces biens sont définis comme l'ensemble des biens réalisés ou acquis par la RATP ou qui lui ont été remis et qui sont nécessaires pour assurer l'exploitation des services.

Un bien de retour conserve cette qualité tout au long de l'exécution du contrat et doit revenir à la personne publique concédante en fin de concession28(*). Cette qualification vise à simplifier le retour des ouvrages en fin de concession : Île-de-France Mobilités a ainsi vocation à entrer immédiatement en possession de ces biens dès leur achèvement ou leur acquisition, à l'expiration des contrats d'exploitation des services concernés et se trouve, à cette date, subrogé dans tous les droits et obligations de la RATP afférents à ces contrats.

Il s'agit notamment des matériels roulants et des matériels d'entretien du matériel roulant. D'autres biens, indispensables à l'exploitation, ne peuvent être rattachés à un seul lot et sont dès lors mutualisés. Ce sont notamment :

- les systèmes permettant d'assurer la continuité de service : c'est le cas du système d'aide à l'exploitation et à l'information voyageur (SAEIV), le système de télécommunication dédié au réseau Bus, ainsi que les logiciels embarqués dans les bus, qui sont connectés au même système d'aide à la conduite et d'information voyageurs pour assurer la régulation des lignes ;

- les infrastructures présentes sur la voie publique et susceptibles d'être utilisées dans le cadre de plusieurs délégations de service public : les espaces de vie bus (EVB) dans les terminus de gares routières, les points d'arrêt sur le réseau, etc ;

- les équipements et systèmes billettiques affectés à l'exploitation des services de bus (concentrateurs, système WIFI, automates, etc).

B. Les dispositions relatives aux biens de reprise

L'article L. 2142-9 du code des transports porte sur les biens de reprise29(*). Ce sont les biens affectés à l'exploitation des services de transport gérés par la RATP qui ne sont ni les biens de retour, nécessaires pour assurer l'exploitation des services, ni les biens constitutifs de l'infrastructure de métro et de RER. Sans être nécessaires pour assurer l'exploitation des services, ils peuvent être utiles. Ceux-ci sont propriété de la RATP.

Selon les précisions fournies au rapporteur par la direction générale des infrastructures des transports et des mobilités, il s'agit notamment des centres de remisage et d'entretien des bus et des ateliers de réparation des matériels roulants.

Ils peuvent être repris par Île-de-France Mobilités à l'expiration des contrats d'exploitation s'il estime qu'ils peuvent être utiles à l'exploitation des services en cause, moyennant une indemnité correspondant à la valeur vénale des biens repris.

II. Le dispositif envisagé : une date de reprise définie par IDFM, au plus tard à la date d'entrée en vigueur du premier contrat d'exploitation

Le dispositif prévu à l'article 7 de la proposition de loi concerne à la fois les biens de retour (premier alinéa) et les biens de reprise (second alinéa) qui, une fois propriété d'IDFM, ne peuvent être répartis à l'échelle d'un seul lot parce qu'ils ont vocation à être mutualisés entre les différents opérateurs du réseau.

Le simple renvoi à « l'expiration des contrats d'exploitation des services » aux articles L. 2142-8 et L. 2142-9 du code des transports dans leur rédaction actuelle n'assure pas un régime sécurisé de transfert de ces biens mutualisés, du fait de l'attribution des lots aux nouveaux opérateurs à des dates différentes, par suite de l'échelonnement de l'ouverture à la concurrence prévu à l'article 4 de la présente proposition de loi.

Pour pallier cette difficulté, cet article dispose qu'IDFM puisse reprendre ces biens au plus tard à la date d'entrée en vigueur du premier contrat d'exploitation consécutif à l'ouverture à la concurrence, afin d'en assurer leur mise à disposition aux différents exploitants de façon équitable.

Cet article prévoit également une date alternative de reprise de ces biens si IDFM décide de fournir lui-même l'un de ces services ou une partie des missions exercées au sein de ces services. Si une telle décision est prise avant la date d'entrée en vigueur du premier contrat d'exploitation issu d'un appel d'offres, la reprise se fera au plus tard à ce moment-là.

Le texte proposé porte sur les biens de retour et de reprise relatifs à l'ensemble des transports publics exploités par la RATP, et non uniquement les bus. À ce titre, cette proposition de loi, en répondant aux difficultés rencontrées en amont de l'ouverture à la concurrence des réseaux de bus, permet d'ores et déjà de répondre aux difficultés qui pourraient se poser à l'occasion de l'ouverture à la concurrence des réseaux de tramways, d'ici le 31 décembre 2029, et de métros et de RER, d'ici le 31 décembre 2039.

III. La position de la commission : une précision bienvenue et source de sécurité juridique

La commission a adopté cet article sans modification, considérant que cette précision quant aux modalités de remise à Île-de-France Mobilités des biens de retour et des biens de reprise est bienvenue dans la mesure où elle garantit leur mise à disposition à l'ensemble des opérateurs du réseau et assure la nécessaire égalité de traitement entre eux.

À ce titre, elle clarifie utilement les modalités du processus d'ouverture à la concurrence des réseaux de bus de la RATP, en permettant aux parties prenantes de s'accorder sur la date exacte de remise des biens tout en prévoyant une date butoir de remise.

La commission a adopté l'article 7 sans modification.

Article 8

Représentation des entreprises au conseil d'administration
d'Île-de-France Mobilités

Cet article vise à faire évoluer la composition du conseil d'administration d'Île-de-France Mobilités en permettant la représentation des organisations représentatives des entreprises en son sein.

La commission a adopté l'article 8 modifié par un amendement qui expurge la loi d'une disposition de nature réglementaire.

I. Les entreprises, principaux contributeurs au financement des transports publics en Île-de-France, ne participent que marginalement à leur gouvernance

A. Le rôle essentiel des entreprises dans le financement des transports publics en Île-de-France

Les entreprises assurent près de la moitié des financements d'Île-de-France Mobilités, à hauteur de 48 %. Ce financement se fait au travers de deux mécanismes distincts :

- le versement mobilité, défini aux articles L. 2531-2 à L. 2531-11 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Il s'agit d'un prélèvement obligatoire versé par les entreprises de plus de dix salariés, correspondant à un pourcentage de leur masse salariale. L'article L. 2531-4 du CGCT précise que le plafond de ce taux, exprimé en pourcentage des salaires, correspond à :

. 2,95 % à Paris et dans le département des Hauts-de-Seine de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne ;

. 2,01 % dans les communes, autres que Paris et les communes des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, dont la liste est arrêtée par décret en Conseil d'État, en tenant compte notamment du périmètre de l'unité urbaine de Paris telle que définie par l'INSEE ;

. de 1,6 % dans les autres communes de la région d'Île-de- France ;

- le remboursement des frais de transport aux salariés prévu à l'article L. 3261-2 du code du travail. Les entreprises sont tenues de rembourser à hauteur de 50 % les titres de transport de leurs salariés et peuvent augmenter leur participation jusqu'à 75 %.

B. Des entreprises peu représentées au sein du conseil d'administration d'Île-de-France Mobilités

En dépit de leur rôle essentiel dans le financement des transports publics en Île-de-France, les entreprises sont peu représentées au sein du conseil d'administration d'Île-de-France Mobilités, autorité organisatrice de la mobilité dans la région.

En application de l'article L. 1241-9 du code des transports, IDFM est administré par un conseil assurant la représentation des collectivités territoriales qui en sont membres, de la chambre régionale de commerce et d'industrie d'Île-de-France, des associations d'usagers et des présidents des établissements publics de coopération intercommunale.

Les entreprises ne sont donc représentées qu'à travers la chambre régionale de commerce et d'industrie d'Île-de-France, c'est-à-dire un membre sur les 31 que compte le conseil d'administration, sans proportion avec la part de financement qu'elles apportent au service public de transport de voyageurs en région capitale.

II. Un conseil d'administration dont la composition reflète mieux le poids contributif des entreprises aux transports en Île-de-France

Afin d'assurer une meilleure représentation des entreprises au sein du conseil d'administration d'Île-de-France Mobilités, cet article prévoit qu'un représentant des entreprises, désigné parmi les organisations représentatives, devienne membre du conseil d'administration d'IDFM.

Cette disposition permet d'associer plus étroitement les entreprises à la gouvernance de la mobilité en Île-de-France, région qui représente plus de 30 % du PIB français, du fait notamment de la densité du tissu entrepreneurial et de la concentration des sièges de grandes entreprises.

La qualité et l'efficience des transports publics ont des effets concrets sur la productivité des entreprises : celles-ci sont donc concernées au premier chef par la stratégie de développement et d'évolution des mobilités mise en oeuvre par l'autorité organisatrice.

III. Une disposition bienvenue, sécurisée juridiquement par la commission

Comme indiqué précédemment, les entreprises assurent près de la moitié du financement d'Île-de-France Mobilités. À ce titre, il est justifié qu'elles soient mieux représentées au sein de son conseil d'administration. Une association plus étroite des employeurs à la gouvernance d'Île-de-France Mobilités est par ailleurs de nature à renforcer leur consentement au versement mobilité.

En revanche, si le législateur est fondé à déterminer les catégories de membres dont la représentation est assurée au sein du conseil d'administration d'Île-de-France-Mobilités, la fixation de leur nombre précis ne relève pas de la loi, mais du domaine réglementaire

Ce principe se déduit de la décision n° 59-1 L du 27 novembre 1959 du Conseil constitutionnel. Celle-ci portait sur le conseil d'administration de la RATP, qui était alors un établissement public. Selon le Conseil, « la Régie autonome des Transports parisiens constitue une catégorie particulière d'établissement public sans équivalent sur le plan national » si bien « qu'au nombre des règles qui régissent cet établissement et qui sont du domaine de la loi (...) doit être comprise celle prévoyant la présence de représentants des collectivités locales au sein du Conseil d'administration ». En revanche, la détermination du nombre total de membres et de représentants des collectivités locales qui en font partie ne relève pas, dans les circonstances de l'espèce, du domaine de la loi.

Conformément à cette jurisprudence constitutionnelle, c'est l'article R. 1241-2 du code des transports qui fixe le nombre de membres catégoriels au sein du conseil d'administration d'IDFM, et non la loi.

La commission, suivant l'analyse du rapporteur, a adopté l'amendement  COM-6 afin de confier au pouvoir réglementaire le soin de fixer le nombre de représentants des associations représentatives des employeurs au conseil d'administration d'Île-de-France Mobilités, le présent article n'en déterminant que le principe.

La commission a adopté l'article 8 ainsi modifié.


* 1 Cf. le commentaire de l'article 4 qui détaille le contexte de l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP.

* 2 Codifié aux articles L. 3111-16-1 et suivants du code des transports.

* 3 Décret n° 2021-1027 du 30 juillet 2021 relatif à l'information, à l'accompagnement et au transfert des salariés de l'établissement public à caractère industriel et commercial de la Régie autonome des transports parisiens en cas de changement d'exploitant d'un service régulier de transport public par autobus ou autocar en Ile-de-France, dont les dispositions ont été codifiées aux articles R. 3111-36-1 et suivants du code des transports.

* 4 Cf. à cet égard le commentaire de l'article 3 qui détaille la procédure.

* 5 Tribunal administratif de Paris, 13 avril 2010, n° 0613061/2, Syndicat des transports d'Île-de-France.

* 6 En application de l'article R. 1241-14 du code des transports.

* 7 À l'article L. 313-1 du code de la fonction publique.

* 8 Délibération n° 2013/377 du 9 octobre 2013 relative au retrait de l'affiliation au centre interdépartemental de gestion de la grande couronne.

* 9 Consultable à l'adresse : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/syndicat-des-transports-dile-de-france-stif-ile-de-france-mobilites

* 10 Arrêté du ministre de l'équipement, du logement et de la mer du 23 février 1990 relatif au personnel du Syndicat des transports parisiens (ancienne dénomination du STIF, qui deviendra par la suite IDFM).

* 11 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20231009/atdd.html#toc6

* 12 Le décret n° 2021-571 du 10 mai 2021 relatif aux comités sociaux territoriaux des collectivités territoriales et de leurs établissements publics précise, à son article 55, l'ensemble des débats devant avoir lieu chaque année au sein du comité social.

* 13 Conformément à l'article L. 1241-6 du code des transports.

* 14 Disposition codifiée à l'article L. 3111-16-3 du code des transports.

* 15 En application de l'article L. 1263-1 du code des transports.

* 16 Le secteur ferroviaire, le secteur autoroutier concédé, le secteur du transport routier interurbain de voyageurs, le secteur aéroportuaire, les activités de gestionnaire d'infrastructure et de sûreté exercées par la RATP, le contrôle de l'ouverture des données de mobilité et aux services numériques de mobilité.

* 17 Dont les dispositions ont été reprises dans l'ordonnance n° 59-151 du 7 janvier 1959 relative à l'organisation des transports de voyageurs en Île-de-France.

* 18 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32007R1370

* 19 Cet opérateur interne ne pouvant pas lui-même participer « à des mises en concurrence concernant la fourniture de services publics de transport de voyageurs organisés à l'extérieur de la zone pour laquelle le contrat de service public a été attribué » selon l'article 5.1 du règlement « OSP ».

* 20 L'attribution unilatérale par des actes législatifs et réglementaires à la RATP de l'exploitation des réseaux routiers et ferroviaires franciliens est assimilable, au sens du règlement OSP, à un contrat selon l'article 5.1 du règlement « OSP ».

* 21 « doit être interprété en ce sens que la durée maximale de 30 ans prévue à cette disposition, pour les contrats visés à l'article 8, paragraphe 3, premier alinéa, de ce règlement, commence à courir à la date d'entrée en vigueur dudit règlement ».

* 22 Loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports

* 23 Décret n° 2021-465 du 16 avril 2021 modifiant le décret n° 2000-118 du 14 février 2000 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport public urbain de voyageurs afin de déterminer les règles relatives à la durée de travail des conducteurs des services réguliers de transport public par autobus ou par autocar à vocation non touristique dont le parcours est majoritairement effectué dans les communes d'Île-de-France présentant des contraintes spécifiques d'exploitation.

* 24 Conformément à l'accord collectif portant sur l'organisation et le temps de travail des machinistes-receveurs et des personnels d'encadrement du département réseau de surface signé le 6 janvier 2023.

* 25 Durée prévue par l'article L. 2261-14 du code du travail : 12 mois à compter de l'expiration du délai de préavis de 3 mois prévu à l'article L. 2261-9 du même code.

* 26 Loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports.

* 27 En droit de la commande publique, les biens de retour sont les biens, meubles ou immeubles, qui résultent d'investissements du concessionnaire et sont nécessaires au fonctionnement du service public.

* 28 La jurisprudence administrative a ainsi déterminé que dès lors qu'un bien, acquis ou créé par le concessionnaire, a été nécessaire au fonctionnement du service public concédé, à un moment quelconque de la convention, il acquiert dès ce moment la qualité de bien de retour et ne peut pas la perdre, même si après ce moment il cesse d'être nécessaire au service public concédé (Conseil d'État, 26 février 2016, n° 384424, Syndicat mixte de chauffage urbain de la Défense).

* 29 En droit de la commande publique, les biens de reprise sont les biens, meubles ou immeubles, qui ne sont pas remis au concessionnaire par l'autorité concédante de droit public et qui ne sont pas indispensables au fonctionnement du service public