2. L'amélioration des pratiques professionnelles
L'amélioration de la qualité des soins passe par l'amélioration des pratiques professionnelles. Celle-ci revêt deux aspects : le recours aux nouvelles technologies et à une formation médicale continue plus efficace, d'une part, et un encouragement des pratiques innovantes, d'autre part.
a) L'acquisition des nouvelles technologies et des nouvelles pratiques thérapeutiques
Les effets ambivalents des progrès techniques sur les dépenses d'assurance maladie sont connus depuis longtemps sans pouvoir être exactement mesurés. L'amélioration des médicaments et des équipements « s'accompagne en effet de gains de productivité qui expliquent la baisse des prix relatifs de la santé, mais dans le même temps [elle] substitue des thérapeutiques nouvelles, souvent plus coûteuses car plus intensives en main-d'oeuvre et en équipements, tout particulièrement pour les pathologies les plus lourdes » 16 ( * ) . Pour limiter ses effets sur le montant des dépenses d'assurance maladie, la promotion du progrès technique, nécessaire au maintien du meilleur niveau de soins possible, doit donc être orientée et accompagnée. L'impulsion donnée au développement d'outils destinés à réduire les coûts et à améliorer la qualité des soins ainsi que la formation permanente garantissant le bon usage des médicaments et équipements disponibles s'imposent donc comme des nécessités.
A côté de projets d'ampleur, comme la télétransmission des actes remboursables, qui semble en voie d'achèvement, ou le dossier médical personnel, encore inabouti mais dont la relance a été annoncée par la ministre de la santé le 9 avril dernier, le développement de la télémédecine apparaît comme la réponse technologique principale aux problèmes de la démographie territoriale. Le Sénat a déjà eu l'occasion de l'affirmer 17 ( * ) et de regretter le retard pris par la France dans ce domaine. Le principal frein au développement de la télémédecine, identifié par le rapport remis en novembre 2008 par Pierre Simon et Dominique Acker 18 ( * ) , étant l'absence d'une définition claire susceptible de servir de base à des investissements ciblés et de clarifier le régime des responsabilités, il est heureux que celle-ci soit proposée dans le cadre du projet de loi. Il convient également de souligner que la télémédecine est une réponse adaptée à une population aux besoins de soins particulièrement importants : la population carcérale 19 ( * ) .
La formation continue est un accompagnement indispensable au progrès technologique et à l'évolution des pratiques. Or, le caractère insatisfaisant du système de formation actuel, qui repose en large partie sur l'industrie pharmaceutique, a été signalé à de nombreuses reprises, en dernier lieu par le rapport établi par Pierre-Louis Bras et le docteur Gilles Duhamel 20 ( * ) . Le peu d'influence qu'a l'Etat sur le système de formation continue empêche ainsi de lui fixer des orientations de nature à permettre le développement des meilleures pratiques. La juxtaposition de la formation médicale continue, devenue obligation légale en 1996, et de l'évaluation des pratiques professionnelles, placée en 2004 sous l'égide de la Haute Autorité de santé, apparaît aujourd'hui comme une entrave à la mise en cohérence de la formation des praticiens. L'unification des deux approches, préconisée par le rapport et proposée par le projet de loi, constitue une première étape de nature à améliorer la qualité du système de formation continue. Mais la mise en place d'un nouveau système demanderait un suivi régulier, notamment dans le cadre de la loi de finances et amènera sans doute à moyen terme à accorder à la HAS un rôle moteur dans l'orientation de la formation.
b) Les coopérations et l'exercice coordonné des soins
Outre l'acquisition par les médecins, dans le cadre de la formation continue, de connaissances déjà éprouvées, il convient également de promouvoir les pratiques innovantes. En effet, l'amélioration des pratiques est une manière d'améliorer corrélativement, à moyens constants, la qualité des soins sur l'ensemble du territoire. L'importance des expérimentations en matière d'exercice des soins ne doit toutefois pas être surestimée : dans la mesure où elles supposent, par nature, un apport intellectuel fort accompagné d'un engagement collectif durable, il est vraisemblable que, même encouragées par un cadre législatif favorable, elles demeureront peu nombreuses.
L'approche territoriale de l'organisation des soins suppose que ce soient les acteurs de terrain, plutôt que les instances nationales, qui élaborent les projets de coopération. Ainsi, il est cohérent que les ARS aient compétence pour autoriser les expériences et y mettre fin. Un contrôle national de la qualité des soins offerts est néanmoins nécessaire ; le projet de loi le confie à la HAS. C'est elle, en effet, qui a suivi depuis l'origine la mise en oeuvre des pratiques innovantes reposant sur le transfert de compétence. A ce titre, elle est susceptible de déterminer quels transferts ont un intérêt en termes de soins, et lesquels sont au contraire porteurs d'un risque de moindre prise en charge thérapeutique du patient. Au travers des initiatives régionales et du contrôle de la HAS, c'est la conception même du rôle des professions médicales qui est susceptible d'évoluer. La préservation, parfois jalouse et étroitement identitaire, d'une nomenclature d'actes pratiqués exclusivement par telle ou telle profession cède progressivement la place à une vision des professions médicales comme fondées sur des missions. Ces missions doivent être complémentaires et, une fois mises en oeuvre, permettre la prise en charge globale de la santé des Français.
Cependant, les innovations en matière d'organisation des soins ne reposent pas uniquement sur les transferts de compétence. Les différentes formes d'exercice coordonné des soins offrent la perspective de répondre à une aspiration grandissante des professionnels, exprimée notamment lors des Egos, à rompre avec la tradition de l'exercice solitaire. Cette forme de pratique, qui était vue comme une garantie de l'indépendance, est aujourd'hui considérée comme un isolement susceptible de nuire tant à la qualité de vie des praticiens, qui souhaitent plus qu'hier conjuguer leurs moyens en temps et en investissements 21 ( * ) , qu'à la qualité des soins dispensés. Une approche collective offre en effet une meilleure garantie de permanence des soins, mais également de certitude des diagnostics. L'exercice coordonné va au-delà du simple regroupement au sein d'un cabinet commun, qui n'est qu'une juxtaposition de pratiques dont le regroupement allège les charges de gestion de la clientèle et des frais. L'exercice coordonné s'est développé à partir des années soixante 22 ( * ) et se caractérise par les traits distinctifs suivants : la réunion, en un lieu physique ou par l'intermédiaire d'un réseau, de professions diverses, par opposition aux cabinets mono-professionnels, et surtout l'élaboration d'un projet médical commun qui entraîne un véritable gain en termes de qualité des soins. Ces caractéristiques rendent les modes d'exercice coordonné particulièrement attractifs pour les collectivités locales confrontées à des insuffisances en matière de démographie médicale. Il n'est donc pas étonnant que ce soient les communes, et particulièrement les communes rurales, qui aient été à l'origine des maisons de santé qui constituent l'une des formes d'exercice coordonné les plus dynamiques. La variété des initiatives, des objectifs et des territoires a amené ces dernières années une véritable floraison de types d'exercice coordonné qui tous ont été définis et inscrits dans le code de la santé publique. On distingue ainsi les maisons, les centres, les pôles et les réseaux de santé . Ce foisonnement est bénéfique pour le maintien, voire le développement, de soins de qualité sur l'ensemble du territoire, mais il est vraisemblable que certaines formes d'exercice se révèleront moins dynamiques que d'autres. Il convient à l'heure actuelle de ne se priver d'aucune possibilité de compenser les inégalités démographiques sur le territoire. A moyen terme cependant, une évaluation ainsi qu'une remise à plat des différents dispositifs sera nécessaire pour garantir la plus grande efficacité des fonds publics alloués à leur fonctionnement.
L'amélioration de la qualité des soins doit être le principe organisateur d'une politique territoriale de santé qui vise à garantir à tous le meilleur niveau de soins possible. Cet effort doit reposer sur une organisation renforcée des professions de santé.
* 16 Guillaume Sarlat, « Dépenses et recettes de l'assurance maladie, mythes et réalités », Sève 2004- 3 (n o 4).
* 17 Rapport Sénat n°14 (2007-2008) « Offre de soins : comment réduire la fracture territoriale ? », de Jean-Marc Juilhard, au nom de la commission des affaires sociales.
* 18 « La place de la télémédecine dans l'organisation des soins », direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, conseil général des établissements de santé, mission thématique n° 7.
* 19 Avis n° 222 Sénat (2008-2009) de Nicolas About, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur le projet de loi pénitentiaire.
* 20 Formation médicale continue et évaluation des pratiques professionnelles des médecins, inspection générale des affaires sociales, novembre 2008.
* 21 Cette tendance a été décrite par Jean-Marc Juilhard dans son rapport précité.
* 22 Il s'est notamment appuyé sur le développement des techniques managériales popularisé par l'américain William Edwards Deming. Cf. «L'exercice coordonné et protocolé en maisons de santé, pôles de santé et centres de santé », HAS, novembre 2007.