N° 788

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2022,

Par M. Christian KLINGER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

1268, 1302 et T.A. 126

Sénat :

705 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Le Gouvernement a déposé au Sénat, le 7 juin dernier, le premier projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, qui concerne l'année 2022, après son rejet par l'Assemblée nationale. Au regard des sommes importantes concernées par ce texte et de la part des finances sociales dans nos finances publiques, la commission des finances s'en est saisie pour avis.

I. EN 2022, UN IMPORTANT DÉFICIT TOUTEFOIS EN RÉSORPTION, DANS UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE INCERTAIN

A. L'EXERCICE 2022 EST MARQUÉ PAR UNE RÉSORPTION DU DÉFICIT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, QUI DEMEURE IMPORTANT

En 2022, le déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (ROBSS) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est élevé à 19,6 milliards d'euros (0,7 point de PIB), soit une réduction de 4,7 milliards d'euros par rapport à l'exécution 2021.

La branche maladie porte, à elle seule, un déficit de 21 milliards d'euros, équivalent à lui seul au déficit de l'ensemble de la sécurité sociale (21 milliards également).

Solde de la sécurité sociale en 2022

(en milliards d'euros)

B. UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE MAL APPRÉHENDÉ PAR LE GOUVERNEMENT, QUI EXPLIQUE D'IMPORTANTS ÉCARTS PAR RAPPORT AUX PRÉVISIONS ET INQUIÈTE QUANT AUX EXERCICES FUTURS

Le solde est en amélioration de 1,8 milliard d'euros par rapport à la prévision initiale de la LFSS pour 2022 (- 21,4 milliards d'euros), mais en légère détérioration par rapport aux dernières prévisions figurant en loi de financement rectificative pour 2023 (- 18,9 milliards d'euros). Les données les plus récentes, celles de l'Insee reprises dans le programme de stabilité 2023-2027 (PSTAB), estiment la croissance du PIB en 2022 à 2,6 %, l'inflation à 5,3 % et la croissance de la masse salariale à 8,7 % pour 2022.

Le Gouvernement peine en effet à appréhender convenablement le contexte économique. Le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis sur les prévisions économiques du PSTAB, a ainsi indiqué que les prévisions du Gouvernement « semblent optimistes ». Le Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) a également relevé que les prévisions du Gouvernement se démarquent par leur trop grand optimisme. Le PLFSS 2022 prévoyait ainsi 1,6 % de croissance pour 2023 ; les prévisions du FMI, de l'OCDE, de la Banque de France et de la Commission européennes, qui prévoient respectivement 0,7 %, 0,6 %, 0,5 % voire 0,4 % de croissance, apparaissent plus réalistes. Ces erreurs de prévision, déjà marquées en 2022, inquiètent pour les exercices futurs.

II. LA PROGRESSION DES RECETTES, PORTÉE PAR LA CONJONCTURE, PEINE À COMPENSER UNE HAUSSE MAL MAÎTRISÉE DES DÉPENSES

A. DES RECETTES EN PROGRESSION PAR RAPPORT À LA PRÉVISION, SOUTENUES PAR L'EMPLOI ET L'INFLATION

Les recettes des ROBSS et du FSV se sont élevées à 572,0 milliards d'euros en 2022. La Cour des comptes note que leur progression de 6,3 % par rapport à 2021 et de 4,2 % par rapport à la prévision a surtout reposé sur une « évolution très favorable » de la masse salariale. En effet, les ressources des ROBSS reposent à 81,1 % sur le facteur travail. La situation économique générale, marquée par la poursuite de la croissance économique (+ 2,6 %), la bonne tenue de l'emploi (+ 2,7 %) et les effets de l'inflation sur le salaire moyen (+ 5,8 %), expliquent également cette progression inédite des ressources.

Le caractère conjoncturel de cette hausse des recettes implique qu'elle ne saurait se maintenir sur le long-terme. Il s'agit donc d'une progression temporaire, dont le ralentissement est prévisible.

B. DES DÉPENSES MAL MAÎTRISÉES, TIRÉES À LA HAUSSE PAR LES REVALORISATIONS DES PRESTATIONS ET LE « SÉGUR »

Les charges nettes des régimes obligatoires de base et du FSV se sont élevées en 2022 à 591,6 milliards d'euros, en augmentation de 24,3 milliards d'euros par rapport à 2021 (+ 4,3 %) et de 21,0 milliards d'euros par rapport aux prévisions de la loi de financement initiale. Comme en 2021, les effets de la crise sanitaire ont été plus importants qu'initialement attendu. En outre, les prestations en espèces des différentes branches ont toutes été revalorisées de 4 % le 1er juillet 2022 pour prévenir les effets de l'inflation sur le pouvoir d'achat des bénéficiaires.

D'une ampleur particulière, les dépenses relevant de l'ONDAM se sont établies à 247,2 milliards d'euros en 2022, contre un objectif initial en LFSS pour 2022 de 236,8 milliards d'euros, soit un dépassement de 4,4 %. Ce dépassement résulte du cumul de dépenses supplémentaires de différentes natures, représentées dans le graphique ci-après.

Évolution des dépenses d'ONDAM en 2022

(en milliards d'euros)

La situation des différentes branches est contrastée. Les dépenses induites par le « Ségur de la santé » ont poursuivi leur montée en charge, passant de 9,9 milliards d'euros en 2021 à 12,7 milliards d'euros en 2022 pour l'ensemble des branches. Outre la branche maladie, dont le déficit élevé est toutefois en diminution du fait du reflux des dépenses liées à la crise sanitaire (passées de 18,3 milliards en 2021 à 11,7 milliards d'euros en 2022), la branche vieillesse connait un déficit de - 3,8 milliards d'euros que ne compense pas l'excédent d'1,3 milliard d'euros dégagé par le FSV : les revalorisations des prestations ont en effet été particulièrement dynamiques.

Les trois autres branches enregistrent de modestes excédents, qui risquent fort de n'être qu'éphémères : la branche famille maintient un excédent (1,9 milliard d'euros), mais la progression constante de ses dépenses (+ 5,1 % entre 2021 et 2022) du fait d'importantes revalorisations des prestations. La jeune branche autonomie enregistre un court excédent de 0,2 milliard d'euros mais le perdrait en 2023, du fait d'une progression des dépenses plus rapide que celle de ses recettes. Seule la branche accidents du travail - maladies professionnelles (AT-MP) bénéficie d'excédents solides (1,7 milliard d'euros).

Enfin, l'exercice 2022 est marqué par le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la branche famille et de la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), qui avaient toujours été certifiés - bien qu'avec réserves en 2021 - depuis 2014. Ce refus est dû à la persistance d'erreurs non corrigées et de la faiblesse des contrôles (un quart des montants versés au titre de la prime d'activité est affectées d'erreurs non corrigés neufs mois après leur paiement). La nécessité de mieux lutter contre la fraude sociale s'en trouve réaffirmée.

III. LA DETTE SOCIALE ATTEINT EN 2022 UN PIC INÉDIT

Le besoin de financement de l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) a connu une forte réduction en 2022. En application des modalités de gestion de la dette sociale arrêtées en 2020, l'Acoss a reçu de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) 20 milliards d'euros en 2020, 40 milliards d'euros en 2021 et à nouveau 40 milliards d'euros en 2022. Ces transferts se poursuivront, pour porter le montant transféré à la Cades à 136 milliards d'euros, ce qui réduit mécaniquement le besoin de financement de l'Acoss.

En outre, la Cades a procédé à deux transferts vers l'Acoss de fonds destinés à l'investissement et au désendettement hospitalier : 5 milliards d'euros en 2021 et à nouveau en 2022, un versement de 3 milliards d'euros étant prévu en 2023. Les versements de la Cades ayant été plus rapides que les reversements de l'Acoss aux hôpitaux, la situation de l'Acoss s'en trouve artificiellement améliorée.

Le plafond de recours à l'endettement de l'Acoss a été fixé à 65 milliards d'euros en LFSS pour 2022 et le point bas a atteint - 58,0 milliards d'euros en mars 2022. Le solde de trésorerie de l'Acoss s'est établi à - 12,5 milliards d'euros fin 2022 après reprise de dette par la Cades.

La Cades a quant à elle amorti 19 milliards d'euros en 2022 ; la dette restant à amortir atteignant 136,2 milliards d'euros en 2022. La dette sociale (dette de la Cades + cumul des déficits de l'Acoss) atteint donc 161,1 milliards d'euros, un pic inédit. La diminution programmée de ses ressources prévue pour 2024 (diminution du produit de la CSG et du versement du Fonds de réserve pour les retraites), la remontée inquiétante des taux d'intérêt en 2022 (0,465 % payé par la Cades en janvier, 2,995 % en novembre) et la probabilité grandissante qu'il soit procédé à de nouveaux transferts de passifs au vu de la situation de certains régimes, indiquent qu'un nouvel allongement de la durée de vie de la Cades au-delà de 2033 n'est pas à exclure.

Évolution de la dette reprise par la Cades depuis sa création

(en milliards d'euros, montants cumulés)

Sur proposition du rapporteur, la commission a émis un avis défavorable à l'adoption du projet de loi.

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