II. LE RETOUR DE LA SURPOPULATION CARCÉRALE PÈSE SUR LES CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE DÉTENTION
L'augmentation des moyens et des emplois dans l'administration pénitentiaire n'a pas eu tous les effets positifs escomptés en raison d'une surpopulation carcérale redevenue préoccupante après l'accalmie due à la crise sanitaire.
A. UNE POPULATION CARCÉRALE PROCHE DE SON PLUS HAUT NIVEAU HISTORIQUE
Si le nombre de personnes incarcérées avait déjà nettement augmenté en 2021, les huit premiers mois de l'année 2022 sont venus confirmer cette tendance : au 1 er octobre 2022, le nombre de personnes écrouées détenues atteignait 72 350, soit un niveau proche du record historique de 72 575 détenus observé en mars 2020, à la veille du premier confinement. Au cours de la seule année écoulée, le nombre de personnes détenues a encore progressé de 4,6 %.
Après être passé sous le seuil des 100 % durant la pandémie, le taux d'occupation des prisons s'est inscrit, pour la deuxième année consécutive, en forte augmentation, pour atteindre 119,2 % au début du mois d'octobre 2022 et 141,5 % dans les maisons d'arrêt . Le nombre de matelas au sol est logiquement en hausse, passant de 1 408 à 2053, soit une augmentation de 46 % en un an.
Source : statistiques mensuelles de l'administration pénitentiaire
Dans 57 établissements, le taux d'occupation dépasse 150 % et trois établissements présentent même une densité carcérale supérieure à 200 % : les maisons d'arrêt de Carcassonne (220,3 %), de Nîmes (215 %) et de Bordeaux-Gradignan (207,7 %). Durant son audition, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simmonot, a attiré l'attention du rapporteur sur les conditions d'incarcération dégradées dans ce dernier établissement, que ses services ont visité en en juin dernier. Il a été relevé que 145 cellules étaient alors triplées avec un matelas au sol et qu'un incendie en cellule avait provoqué le décès d'une personne détenue. Le 11 octobre dernier, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a enjoint la maison d'arrêt de Bordeaux-Gradignan de mettre en oeuvre neuf mesures d'urgence pour faire cesser les atteintes aux droits des détenus, afin notamment d'améliorer la luminosité des cellules, de changer les fenêtres, réparer les lits, mieux répartir la nourriture et distribuer des produits d'hygiène.
À court terme, l'administration pénitentiaire n'envisage pas de résorber la surpopulation carcérale puisque le projet annuel de performance anticipe encore un taux d'occupation dans les maisons d'arrêt de 131 % en 2023, puis de 133 % en 2024 et de 134,6 % en 2025.
Un nouveau report de l'application du principe de l'encellulement individuel
Sur proposition du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté un amendement portant article additionnel, rattaché aux crédits de la mission « Justice », tendant à reporter du 31 décembre 2022 au 31 décembre 2027 l'application du principe de l'encellulement individuel.
Affirmé dès 1875, confirmé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le principe de l'encellulement individuel figure désormais aux articles L. 213-2 et L. 213-3 du code pénitentiaire, respectivement pour les personnes prévenues et pour les personnes condamnées. L'article L. 213-4 du même code permet cependant de déroger à ce principe « lorsque la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application ». Ce dernier article est en vigueur jusqu'au 31 décembre 2022. En l'absence d'une intervention du législateur, le principe de l'encellulement individuel devrait donc s'appliquer dans toute sa rigueur à compter de l'année prochaine.
Le taux d'occupation observé dans les maisons d'arrêt fait à l'évidence obstacle à cette application, ce qui conduit la commission à se prononcer en faveur du report demandé. Il ne paraît pas opportun de consacrer dans la loi un principe qui ne serait pas respecté dans les faits, au risque d'affaiblir l'autorité de la loi et de susciter du contentieux.
L'administration pénitentiaire doit également composer avec la hausse du nombre de personnes écrouées mais non détenues : au 1 er octobre, 14 648 personnes faisaient l'objet d'une mesure de placement sous surveillance électronique ou de placement à l'extérieur, soit une augmentation de 6 % en un an. Parallèlement, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) suivaient à la même date 178 245 en milieu ouvert, contre 162 519 en octobre 2021, soit une augmentation de 10 %. Au total, les services de l'administration pénitentiaire ont ainsi à leur charge plus de 260 000 personnes.