TRAVAUX EN COMMISSION
Audition de Mme Jacqueline Gourault,
ministre de la cohésion des
territoires
et des relations avec les collectivités
territoriales,
et de M. Joël Giraud, secrétaire d'État
chargé de la ruralité
(Mercredi 10 novembre 2021)
Le compte rendu de cette audition est disponible sur le site du Sénat 24 ( * ) .
Examen en commission
(Mardi 16
novembre 2021)
Réunie le mardi 16 novembre 2021, la commission a examiné le rapport pour avis sur la mission « Cohésion des territoires », la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et la mission « Plan de relance » - Crédits « Politique des territoires » du projet de loi de finances pour 2022.
M. Jean-François Longeot , président . - Mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui l'examen de notre premier avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2022, consacré aux crédits relatifs à la cohésion des territoires, rapportés par notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ.
C'est le début d'une séquence qui comprendra l'examen de neuf rapports pour avis, que les rapporteurs budgétaires de notre commission examineront cette semaine et la suivante. Cette année, l'ambition est de traduire budgétairement les engagements pris dans la loi « Climat et résilience », afin de donner aux opérateurs les moyens d'accélérer la transition écologique et d'impulser une trajectoire qui respecte les engagements internationaux de la France. Le budget doit refléter les choix qui ont été pris par le législateur : c'est une nécessité démocratique que d'inscrire les crédits nécessaires à la mise en oeuvre des ambitions environnementales renforcées par nos rapporteurs et le Sénat au cours de l'examen de cette loi et de l'accord obtenu en commission mixte paritaire après neuf heures de débat.
Les rapporteurs pour avis ne manqueront pas de relever si les moyens budgétaires sont bien à la hauteur des ambitions.
La maquette budgétaire devient chaque année plus complexe et rend plus difficile l'analyse budgétaire. Cette année encore, outre la mission « Écologie, développement et mobilité durables », une partie des crédits consacrés à l'écologie sont intégrés au sein de la mission « France relance » et au sein de la mission « Investir pour la France de 2030 », qui remplace la mission « Investissements d'avenir ». Le plan France 2030 a fait couler beaucoup d'encre et résulte d'un amendement surnommé par une députée « l'amendement le plus cher de la Cinquième République ».
Si l'on peut en comprendre la logique, cet éparpillement conduit à une diminution de la lisibilité et de la clarté des crédits consacrés à la transition verte.
Pour la seconde année, le Gouvernement a présenté l'impact environnemental du budget dans le cadre d'un « jaune budgétaire ». Il ressort de cette analyse que moins de 8 % des dépenses ont un impact favorable sur l'environnement et que 2 % d'entre elles ont un impact négatif. Près de 92 % des dépenses sont jugées neutres : cela indique que l'évaluation est encore très lacunaire et que de nombreuses dépenses échappent à la méthodologie et sont jugées neutres ou sans impact. Si cette cotation environnementale est une grille de lecture intéressante, elle demande à être perfectionnée et affinée. C'est d'autant plus important que cette méthodologie pourra être reprise par les collectivités territoriales qui souhaitent mieux évaluer l'impact de leurs dépenses et, ainsi, créer des effets d'entraînement vertueux.
Je vous propose sans plus tarder de laisser la parole à notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ pour qu'il nous présente son rapport pour avis consacré aux politiques des territoires. Je salue la présence de Bernard Delcros, rapporteur spécial de la commission des finances.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ , rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux politiques des territoires de la mission « Cohésion des territoires » et de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » . - Comme chaque année, je vous présente mon rapport sur deux programmes de la mission « Cohésion des territoires », les programmes 112 et 162, et sur le compte d'affectation spéciale (CAS) consacré au « financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (FACÉ), qui est stable, comme les années précédentes, ainsi que sur le programme 119 de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », qui porte les crédits de dotations importantes pour nos territoires, notamment la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).
Cette année, en accord avec le bureau de notre commission, j'ai également inclus dans le champ de mon avis les crédits du programme 122 de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », qui regroupe notamment les crédits dédiés au soutien des collectivités face à des événements climatiques exceptionnels. Une dotation pour faire face aux conséquences de la tempête Alex dans les Alpes-Maritimes figure sur ce programme, à hauteur d'environ 300 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE), qui seront attribués par différents canaux et complétés par des subventions du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) et du fonds de solidarité de l'Union européenne.
Une fois n'est pas coutume, je suis partagé à la lecture du projet de loi de finances pour 2022.
D'un côté, on y trouve des éléments de stabilité. Je pense, pour le programme 112, à la stabilité de la subvention pour charges de service public de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et au maintien de l'enveloppe de 20 millions d'euros dédiés au soutien à l'ingénierie de projet pour 2022. En 2021, l'enveloppe de 20 millions d'euros sera totalement consommée et 750 projets des collectivités ont pu être accompagnés, contre 125 en 2020, avec l'enveloppe de 10 millions d'euros prévue précédemment.
Je pense également à la hausse de 8 millions d'euros pour soutenir le déploiement du programme « France Services », pour un total de 36 millions d'euros en 2022. Il faut également ajouter la contribution des deux fonds nationaux alimentés par les opérateurs du programme - La Poste, Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), Direction générale des finances publiques (DGFIP) ou encore Pôle emploi -, qui conduit peu ou prou à doubler l'enveloppe globale.
Avec 1 800 structures labellisées au 1 er novembre 2021, l'objectif du Gouvernement d'arriver à 2 500 structures labellisées d'ici fin 2022 devrait être atteint : 70 % des maisons France Services se trouvent dans les territoires ruraux et environ 95 % de la population totale en métropole est à moins de trente minutes d'une telle structure - nous espérons que ce taux passera à 100 % fin 2022, conformément à la prévision du Gouvernement. Je pense qu'il faudra poursuivre ce programme et actualiser l'indicateur de performance pour encore rapprocher les services publics de la population.
Les 19 millions d'euros nouveaux budgétés sur le programme pour la mise en oeuvre de mesures de l'Agenda rural concernant à titre principal le programme « Petites Villes de demain » et les volontariats territoriaux en administration (VTA) et les 9 millions d'euros supplémentaires qui financeront des actions des onze pactes de développement territorial conçus depuis 2019 pour répondre aux difficultés spécifiques de certains territoires - Ardennes, Creuse, Nièvre, Châlons-en-Champagne... - sont également de bonnes nouvelles.
En outre, le déploiement des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) se poursuit : 142 protocoles restent à engager sur les 844 périmètres identifiés en concertation avec les élus. L'enjeu sera ensuite d'assurer une bonne coordination localement avec les crédits des contrats de plan État-région (CPER).
Enfin, les dotations d'investissement que sont la DSIL et la DETR sont stables depuis 2019, à un niveau important d'environ 1,8 milliard d'euros, auxquels s'ajoute une DSIL exceptionnelle de 337 millions d'euros pour 2022 sur le programme 119.
Voilà pour les éléments de stabilité.
D'un autre côté, le niveau du programme 112 pour 2022, avec une hausse des autorisations d'engagement (AE) de 20 % et une hausse de 4 % des crédits de paiement (CP) par rapport à 2021, correspond en fait au rattrapage du niveau de 2020, conformément à l'engagement pris par Mme la ministre.
Il n'y a donc pas de révolution : il s'agit d'une simple priorisation des crédits.
Je regrette encore une fois la disparition de la prime d'aménagement du territoire (PAT). À ce jour, nous manquons de recul pour évaluer l'effet du programme « Territoires d'industrie » par rapport à celui de la PAT. Il faudra s'y pencher lors du prochain budget.
Ensuite, entre les crédits du plan de relance, les transferts en gestion, les fonds de concours, les différents périmètres des CPER et des accords de relance régionaux, il est toujours aussi peu simple de s'y retrouver.
S'agissant de la consommation des crédits du plan de relance, certains ont été « rapatriés » en gestion 2021 et pérennisés au sein des programmes classiques et d'autres demeurent inscrits dans la mission « Plan de relance ». Si l'on ajoute les 115 millions d'euros en AE et 45 millions d'euros de CP qui ont été votés en 2021 dans le cadre du plan de relance et qui alimentent des actions du programme 112, on arrive à une augmentation de 21 % en AE et de 3 % en CP entre 2020 et 2021. Pour 2022, en ajoutant les 100 millions d'euros d'AE et les 76 millions d'euros de CP du plan de relance au programme 112, on parvient à une hausse de 8 % en AE et de 15 % en CP par rapport à 2021 en considérant le même périmètre.
Ce niveau de 315 millions d'euros environ en AE et CP correspondant aux politiques du programme 112, en incluant les crédits du plan de relance, devrait, à mon sens, être le niveau « de croisière » de ce programme, compte tenu de l'importance des politiques financées pour nos territoires.
Par ailleurs, annoncer des montants importants est une bonne chose mais encore faut-il que les crédits soient effectivement consommés. L'État a annoncé qu'il apporterait environ 30 milliards d'euros à la nouvelle génération de CPER, dont 8,5 milliards d'euros au titre du plan de relance mais il faut aussi consommer les crédits restants pour la précédente génération de CPER.
Les restes à payer du programme 112 s'élèvent ainsi à 210 millions d'euros pour les anciens CPER, 60 millions d'euros pour la PAT et 40 millions d'euros pour d'autres dispositifs.
En outre, compte tenu des AE du plan de relance non couvertes à date par des CP, des financements seront nécessaires dans les prochaines années pour achever la relance et nous devrons alors vérifier que ces crédits serviront bien à financer les actions que nous avons validées en 2021 lors de l'examen du premier plan de relance.
La lisibilité est donc difficile à plusieurs égards et les crédits du plan de relance gagneraient à être rapatriés de façon claire sur les programmes de droit commun.
Autre remarque, s'agissant du programme 162, qui connaît une hausse légère, de 5 % en CP et de 18 % en AE, pour un montant global toujours situé entre 40 et 50 millions d'euros par an, je m'interroge encore sur la pertinence du maintien d'un tel instrument autonome, qui regroupe des actions dont le dynamisme est très variable.
Je regrette, à cet égard, que l'action relative à la reconquête de la qualité des cours d'eau en Pays de la Loire ne bénéficie que de 700 000 euros depuis deux ans, alors qu'il faudrait massivement accompagner les agriculteurs dans leur transition et que seulement 11 % des masses d'eau régionales apparaissent en bon état selon les éléments transmis par le ministère de l'intérieur.
L'État attend de la région un effort plus important mais, sur ce sujet difficile, la région des Pays de la Loire a besoin d'être soutenue de façon plus volontariste par l'État.
Le programme 162 offre une souplesse de gestion aux préfectures pour assurer des politiques territoriales ciblées mais sa lisibilité et sa sincérité sont entachées par des transferts en gestion entre plusieurs ministères et par la grande diversité des politiques concernées.
Enfin, si je me réjouis de la stabilité du budget de l'ANCT, je m'inquiète de l'érosion des crédits du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cérema), lequel concourt puissamment à l'efficacité de l'agence, comme nous l'avons rappelé lors de l'audition de madame la ministre. Faire monter en puissance l'ANCT est une bonne chose, mais il faut préserver les financements de ses partenaires, sans quoi son efficacité sera réduite.
Avant de conclure, je souhaite évoquer un sujet cher à notre commission : je veux bien sûr parler des zonages de soutien à l'attractivité et au développement économique de nos territoires ruraux ou en difficulté, en particulier des zones de revitalisation rurale (ZRR).
Conformément à l'annonce effectuée par Jacqueline Gourault devant notre commission la semaine dernière et relayée par la presse spécialisée, le Gouvernement a donné un avis favorable à un amendement du groupe Modem qui procède à la prorogation de sept zonages pour un an supplémentaire par rapport au terme prévu par la loi de finances pour 2021, jusqu'au 31 décembre 2023. Cet amendement, qui a été adopté par les députés, constitue désormais l'article 29 D du PLF pour 2022.
Nous l'avons dit, cette prorogation est un motif de satisfaction. D'ailleurs, le Sénat l'a toujours défendue dans son esprit, en sachant pertinemment que le Gouvernement ne proposerait pas de réforme globale du système des zonages, que ce soit sur les critères de classement ou sur les dispositifs financiers associés au bénéfice du classement.
Mais l'espoir était permis, d'autant plus que le Gouvernement disposait des excellentes propositions du rapport fait au nom de notre commission et de la commission des finances par nos collègues Bernard Delcros, Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau.
La prorogation des zonages et en particulier des ZRR est un motif de satisfaction si l'on s'inscrit dans une logique de stabilité mais d'un motif de déception si l'on raisonne en termes d'efficacité, de meilleure prise en compte de la ruralité et de prévisibilité pour nos territoires.
Plus d'une commune sur deux devra encore attendre au moins un, voire deux ans avant de connaître le nouveau cadre dans lequel elle pourra attirer des entreprises et des habitants au service de son développement.
Nous sommes quelque peu démunis aujourd'hui face à la non-action du Gouvernement sur ce sujet, qui renvoie l'aboutissement d'une réforme à la prochaine législature. Et, dans le cas où une réforme serait proposée rapidement après les élections de 2022, le Sénat ne disposerait pas de ses propres éléments et scenarii de réforme pour contre-expertiser et coconstruire la réforme avec le Gouvernement, quel qu'il soit.
Comme nous l'avons déjà évoqué l'an dernier, peut-être pourrions-nous envisager de réaliser une étude sur la seule partie de notre rapport relative aux critères de classement. Ce sujet relève du champ de compétences de notre commission, car ces critères avaient été définis par l'article 52 de la loi de 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, dont le président Larcher était à l'époque le rapporteur au Sénat. Nous pourrons en reparler ensemble quand la poursuite de nos travaux sur l'aménagement du territoire aura été structurée.
En attendant, je soutiens la prorogation qui nous sera proposée dans le PLF 2022 et qui constitue, je le rappelle, le quatrième gel du classement ZRR des communes. Pour la suite, le système du critère principal et des critères secondaires alternatifs proposés par notre rapport me paraît parfaitement adapté à l'objectif d'une réforme des ZRR.
Voici, mes chers collègues, les principaux éléments que je souhaitais partager avec vous sur ce PLF 2022. Je ne vous proposerai pas d'amendement, comme vous pouvez vous y attendre.
Compte tenu de l'ensemble des éléments, réserves et demi-déceptions que je viens d'évoquer tant sur le fond que sur la forme, et malgré des moyens importants pour 2022, je propose à la commission de s'abstenir sur le vote des crédits des programmes 112 et 162 et du CAS « FACÉ » de la mission « Cohésion des territoires », due à la réserve particulière que j'ai exprimée sur le programme 162. Pour les programmes 119 et 122 de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », je vous propose également d'émettre un avis d'abstention.
M. Bernard Delcros , rapporteur spécial de la commission des finances . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur pour avis, je vous remercie de m'avoir associé à cette réunion. Je vais vous apporter le regard de la commission des finances sur les programmes 112 et 162.
Il est vrai que les montants des crédits affectés à ces programmes ne sont pas très élevés : un peu moins de 300 millions d'euros, auxquels s'ajoutent tout de même 931 millions d'euros d'avantages fiscaux, avec notamment les ZRR, et 110 millions d'euros au titre du plan de relance - ces derniers crédits figurent dans la mission « Plan de relance », mais sont en fait gérés par le programme 112, pour des questions de cohérence.
En revanche, ces crédits concernent des sujets centraux pour la ruralité et ont un effet levier sur des crédits inscrits dans d'autres missions.
S'agissant de l'ANCT, dont le montant des crédits est maintenu à 61 millions d'euros, je note une avancée depuis un an ou deux sur la question du soutien à l'ingénierie dans les territoires ruraux, que nous réclamions depuis très longtemps. Aujourd'hui, grâce à l'ANCT, un soutien à l'ingénierie se met progressivement en place dans les territoires. Celui-ci prend deux formes : l'aide fournie par des bureaux d'étude spécialisés, financés par l'État dans le cadre du marché à bons de commande, et l'ingénierie interne, dont je mesure l'importance en tant qu'ancien président d'une petite intercommunalité rurale, à travers les chargés de projet du programme « Petites villes de demain », les conseillers numériques « France Services », les chargés de mission « Fabrique de territoire », les volontaires territoriaux en administration (VTA).
L'ANCT accompagne l'ensemble de ces programmes. Cette avancée importante conforte l'ingénierie des collectivités rurales. En revanche, la question de la pérennité de ces soutiens, qui reposent sur des contrats à durée déterminée, se posera évidemment très rapidement.
Rémy Pointereau, Frédérique Espagnac et moi-même avons demandé une prorogation supplémentaire des ZRR lorsque nous avons rendu notre rapport. Elle était importante, parce que l'on ne saurait décider dans la précipitation du dispositif qui succédera aux ZRR.
Il est nécessaire d'effectuer un travail de fond sur les écarts qui existent souvent entre les objectifs théoriques et la réalité de leur déclinaison dans les territoires, ce qui demande du temps.
Il faudra surtout réaliser des simulations à partir des nouveaux dispositifs, l'application concrète conduisant parfois à des effets contraires aux objectifs recherchés, comme on l'a vu avec l'ancien projet de réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
Quoi qu'il en soit, le dispositif est prorogé par le PLF jusqu'à la fin 2023. C'était nécessaire, d'autant que le travail parlementaire risque d'être assez perturbé en 2022... J'ajoute que la prorogation des ZRR vaut pour les 4 000 communes qui ne remplissent plus les critères définis par la réforme de 2015 : il était important que ces communes qui ne sont plus labellisées « ZRR » puissent continuer à bénéficier des dispositifs en attendant la suite.
Pour ma part, je considère que le programme 162 « Interventions territoriales de l'État » (PITE) reste un bon outil. En menant des contrôles budgétaires sur le terrain, s'agissant des algues vertes en Bretagne et du marais poitevin, je me suis aperçu qu'il permettait de donner au préfet de région des moyens financiers en provenance de différents ministères, à travers une enveloppe identifiée qui lui laisse la main pour organiser une concertation dans des territoires où existent souvent des antagonismes et des conflits d'intérêts extrêmement importants. Cela permet une cohérence dans l'action.
En revanche, je souscris totalement à ce qu'a dit le rapporteur pour avis sur la valeur de l'autorisation parlementaire que l'on donne à ces crédits : elle est tout à fait relative, puisqu'environ la moitié des crédits dépensés proviennent de transferts en gestion en cours d'année - parfois même assez tard dans l'année. C'est regrettable.
Je vais proposer à la commission des finances d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits, les programmes qui nous concernent répondant pour beaucoup aux demandes que nous avions formulées. Cependant restent quelques sujets pour l'avenir.
Quid de la pérennisation de l'ingénierie mise à disposition des territoires ? Si, demain, les territoires que nous avons aidés pendant trois ans sont privés de cette ingénierie, nous régresserons. Ce sujet devra être mis sur la table.
Pour ce qui concerne les maisons « France Services », se posent deux difficultés. Premièrement, l'exécutif a fixé l'objectif d'une maison France Services par canton, mais ce curseur n'est pas forcément le bon, car, avec l'agrandissement des cantons, ces derniers comportent souvent plusieurs bourgs-centres. Ce point mérite d'être étudié. Deuxièmement, 30 000 euros sont alloués chaque année au fonctionnement des maisons France Services, qui connaissent une montée en gamme, mais qui doivent aussi assumer des missions que l'État leur a transférées - je pense notamment à la réforme des trésoreries. Il faudra revenir sur ce transfert de charges.
Enfin, sur les CRTE, je rappelle que le principe d'un contrat est de donner de la visibilité financière aux élus sur la planification des programmes. Or la façon dont ils se déclinent, au moins dans certains départements, ne permet aucune visibilité. Nous devrons y revenir.
Mme Martine Filleul . - Nous voterons contre l'ensemble de la mission « Cohésion des territoires », au regard de la modestie des moyens mis à la disposition des territoires et de l'importance des besoins. Je pense aux maisons « France Services » mais également à l'ANCT : les trois équivalents temps plein (ETP) supplémentaires ne nous semblent pas à la hauteur de la progression que nous attendions de l'agence.
M. Jean-François Longeot , président . - Il me semble difficile, pour ma part, de voter contre les crédits, compte tenu notamment des avancées sur les ZRR, dont la prolongation jusqu'en 2023 n'était pas du tout gagnée, ce qui suscitait de l'inquiétude sur nos territoires.
M. Didier Mandelli . - Nous sommes défavorables à l'adoption des crédits et le groupe Les Républicains souhaite aller au-delà de l'avis d'abstention proposé par le rapporteur pour avis
La commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits des programmes 112 et 162 de la mission « Cohésion des territoires », du compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités rurales », des programmes 119 et 122 de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et des crédits relatifs à la politique des territoires de la mission « Plan de relance ».
Examen en commission
(Mercredi 17 novembre 2021)
Réunie le mercredi 17 novembre 2021, la commission a examiné le rapport pour avis sur la mission « Économie » et la mission « Plan de relance » - Crédits « Aménagement numérique du territoire » du projet de loi de finances pour 2022.
M. Jean-François Longeot , président . - Je demande à présent à Jean-Michel Houllegatte de nous rejoindre pour présenter son avis sur les crédits relatifs à l'aménagement numérique des territoires.
M. Jean-Michel Houllegatte , rapporteur pour avis . - Merci monsieur le Président. Mes chers collègues, je suis heureux de vous présenter ce matin mon avis sur les crédits relatifs à l'aménagement numérique du territoire. Je voudrais en préambule vous livrer une information qui a son importance : la loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique promulguée le 15 novembre est parue hier au Journal officiel . C'est donc désormais la loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021.
Pour en revenir à cet avis budgétaire, je rappelle que ses crédits sont exclusivement inscrits dans le programme 343 « Plan France Très Haut Débit » de la mission Économie, et parallèlement, au sein de la mission consacrée au Plan de relance. Comme l'année passée, mon avis budgétaire porte principalement sur le soutien au déploiement des réseaux fixes. Néanmoins, je ferai un point sur l'avancement du New Deal mobile, qui me semble un sujet essentiel à évoquer dans le cadre des travaux de notre commission, même si le New deal ne fait pas l'objet à proprement parler d'un engagement budgétaire de l'État.
Commençons donc cette intervention par une présentation des crédits associés au déploiement des réseaux fixes sur le territoire.
Ces crédits s'inscrivent dans le cadre du plan France Très Haut Débit lancé en 2013, qui vise la couverture intégrale de la population en très haut débit fixe d'ici 2022, dont 80 % en fibre optique jusqu'au domicile, technologie ayant vocation à être généralisée sur l'ensemble du territoire en 2025. Un objectif intermédiaire de couverture intégrale de la population en « bon » haut débit (supérieur à 8 Mbit/s) a été fixé à la fin d'année 2020.
Les déploiements s'effectuent selon deux grandes zones :
- d'une part, la zone d'initiative privée, qui comprend la zone très dense, fixée par l'Arcep, et une zone moins dense dans laquelle l'initiative privée a été jugée suffisante à la suite d'appels à manifestations d'intérêt d'investissement (AMII) lancés par la puissance publique ;
- et, d'autre part, la zone d'initiative publique qui correspond à des territoires plus ruraux dans lesquels les déploiements sont réalisés par les collectivités dans le cadre de Réseaux d'initiative publique (RIP) ou par des opérateurs privés - en association avec les collectivités - dans les zones dites AMEL.
Au moment de son lancement en 2013, le plan France Très Haut Débit ne disposait malheureusement que de 3,3 milliards d'euros dédiés au déploiement des RIP via le Guichet « France Très Haut Débit ». Ces moyens étaient clairement insuffisants pour atteindre les objectifs du plan : en 2019, 6 ans après l'ouverture du guichet, 25 départements n'avaient pas encore finalisé leur plan de financement. En février 2020, le Gouvernement avait annoncé une enveloppe complémentaire de 280 millions d'euros constituée de crédits « recyclés » à partir des premiers déploiements. Là encore, les moyens n'étaient pas à la hauteur des attentes : notre commission, appuyée par l'ensemble du Sénat, a régulièrement alerté le Gouvernement sur la nécessité de prévoir des autorisations d'engagement supplémentaires afin de couvrir les besoins de financement estimés à l'époque à 500 millions d'euros.
La crise sanitaire a marqué un tournant : les demandes émanant des territoires ont enfin trouvé un écho. D'une part, à l'initiative du Sénat, une rallonge de 30 millions d'euros a été adoptée dans le projet de loi de finances rectificative n° 3 pour 2020. Surtout, le plan de relance a prévu 240 millions d'euros supplémentaires. En cumulé, en ajoutant à ces moyens les 300 millions d'euros correspondant à des crédits dégagés sur les RIP antérieurs, ce sont 570 millions d'euros supplémentaires qui ont été mis à disposition du plan France Très Haut Débit.
Tout cela a porté ses fruits : aujourd'hui, l'ensemble des départements - je parle au conditionnel - seraient en passe de compléter leur plan de financement pour la généralisation de la fibre d'ici 2025. Je me félicite de cette évolution qui constitue une avancée pour le développement de nos territoires et une victoire politique pour notre assemblée, engagée depuis de nombreuses années en faveur de la couverture numérique.
Je souhaite malgré tout dresser un état des lieux des déploiements et partager avec vous certaines préoccupations.
Tout d'abord, les résultats en cette fin d'année 2021 du déploiement de la fibre et du « bon » haut débit semblent satisfaisants :
- En 2020 et en 2021, le déploiement de la fibre a été marqué par un dynamisme « record » : entre 2020 et 2021, 6,2 millions de locaux ont été rendus raccordables à la fibre optique, portant à 74 % la part des locaux raccordables à cette technologie. La zone RIP a en particulier bénéficié de cette dynamique, ce qui témoigne des résultats positifs du plan FTHD. À cette tendance très positive s'ajoute un rythme soutenu d'abonnement à la fibre : 1 million d'abonnements supplémentaires ont été contractés rien qu'au cours du deuxième semestre 2021. 2021 a d'ailleurs marqué un point de bascule : pour la première fois, le nombre d'abonnements au très haut débit a dépassé celui des abonnements au haut débit, type ADSL.
- S'agissant du « bon » haut débit, l'échéance de couverture intégrale fixée à fin 2020 semble globalement respectée : selon l'ANCT, à la fin du mois de décembre 2020, la couverture en bon haut débit a atteint « quasiment 100 % des foyers et entreprises ». Comme l'année passée, je regrette toutefois l'absence d'outil de suivi dédié à cet objectif, même si la mise en ligne par l'Arcep en avril dernier de la plateforme « Ma connexion internet » - qui met à la disposition du public le débit accessible à une adresse donnée - constitue une avancée.
En revanche, les retards de déploiement persistent dans la zone AMII : je rappelle qu'il s'agit d'une zone peu dense, dans laquelle certains opérateurs avaient pris des engagements contraignants de couverture intégrale avant la fin 2020. D'après les informations que j'ai pu rassembler au cours des auditions, l'objectif n'a pas été tenu : Orange n'a rendu raccordables que 81 % des locaux des communes sur lesquelles la société s'était engagée, et ce taux est de 90 % pour SFR.
Par ailleurs, les inquiétudes que j'avais exprimées l'an dernier sur les zones très denses se confirment : le rythme des déploiements y demeure insuffisant. Un écart continue à se creuser entre des villes comme Paris et Lyon (pour lesquelles il y a une appétence des opérateurs à déployer car il y a véritablement un marché) dans lesquelles la couverture en fibre est assurée à 95 %, et d'autres comme Lille et Marseille, où la couverture n'est que, respectivement, de 53 % et 69 %, soit un niveau très inférieur à la couverture moyenne des zones très denses qui s'établit à 86 %. Je rappelle que dans ces zones, conformément à la logique établie en 2013, l'intervention financière des pouvoirs publics n'est pas permise. J'invite toutefois les pouvoirs publics à une vigilance extrême, afin que ces disparités ne se traduisent pas par de nouvelles fractures numériques dans nos territoires, et en particulier dans les territoires denses pour lesquels on considère que le problème est réglé.
Ce point sur l'avancée des déploiements étant fait, je souhaite que nous tracions des perspectives allant au-delà des strictes échéances de couverture territoriale. À mon sens, deux thématiques sont appelées à devenir prioritaires : d'une part, la qualité des raccordements et, d'autre part, la lutte contre l'exclusion numérique qui constitue d'ailleurs un volet du plan de relance.
Commençons par les raccordements : il s'agit d'un enjeu croissant. On pourrait dire que la loi de Pareto s'applique, la fameuse loi des « 80/20 » : il va rester 20 % de déploiements à faire soit à peu près 12 millions de locaux à fibrer, mais ce ne sont pas les réseaux les plus faciles. Même si à travers les RIP, les collectivités ont une stratégie de déploiement qui prévoit la complétude et qui ne s'intéresse pas à la « taille du marché », un certain nombre de problèmes vont se poser notamment sur la question de la qualité de l'exploitation des services numériques. Si je devais utiliser une métaphore tirée du secteur du bâtiment, je dirais que la hausse des moyens relatifs au déploiement des réseaux nous a permis de réaliser le gros oeuvre. Il nous reste désormais à effectuer les finitions. Sur cette problématique, je souhaite aborder trois points en particulier :
- premièrement, les raccordements finaux jusqu'à l'abonné : le recours à la sous-traitance par les opérateurs d'immeubles et parfois même à une cascade de sous-traitants serait responsable d'une dégradation importante de la qualité des raccordements finaux. Les remontées de terrain font état d'importants désordres (tels que la fixation chaotique de boîtiers ou encore des débranchages injustifiés...) qui ne sont pas acceptables compte tenu des importants moyens mobilisés et des attentes de nos concitoyens. Nous avons alerté là-dessus la Fédération française des télécoms, qui travaille à l'élaboration de nouveaux contrats de sous-traitance comportant des possibilités de mise en demeure et de sanction à l'encontre des sous-traitants peu scrupuleux responsables de ces malfaçons. C'est un sujet extrêmement important et sensible ;
- deuxièmement, j'ai quelques inquiétudes sur le financement des raccordements à la fibre dits « complexes », notamment en milieu rural lorsque les locaux ne sont pas à proximité immédiate des voies publiques. Le Gouvernement a proposé 150 millions d'euros pour les prochaines années : l'Avicca estime cette somme insuffisante, et souhaite que des moyens pérennes soient prévus à plus long terme, car la problématique des raccordements complexes ne s'éteindra pas en deux ans ;
- enfin, la question du bon adressage demeure préoccupante dans nombre de territoires ruraux et peut constituer un frein à la commercialisation des réseaux. Je souhaite que le programme « Bases Adresses Locales » lancé par l'ANCT permette rapidement d'outiller les communes dans la production de bases d'adresses précises et fiables, qui facilitent le travail des opérateurs et la vie de nos concitoyens.
À ces trois points, on peut ajouter des difficultés en matière de recrutement de main-d'oeuvre qualifiée : même si des efforts en matière de formation ont été faits il y a une situation de pénurie de ceux qu'on appelle les « plombiers du numérique ». On peut dire que le plan FTHD ne peut être un succès total qu'à la condition de réussir l'étape du raccordement, dernier maillon de la chaîne du déploiement.
Enfin, alors que les déploiements avancent à bon train, il me semble que l'attention des pouvoirs publics devrait progressivement se porter également sur la question de l'inclusion numérique.
250 millions d'euros sont prévus dans le Plan de relance pour cette question, à travers trois dispositifs. L'un d'entre eux me semble particulièrement complémentaire des questions d'aménagement numérique, j'ai donc souhaité en faire un axe de mon rapport : il s'agit de l'objectif de recruter et déployer sur l'ensemble du territoire 4 000 conseillers numériques d'ici fin 2022, afin de former les personnes rencontrant des difficultés dans l'utilisation des outils numériques. Le déploiement de ces conseillers suit son cours, sous l'égide de l'ANCT : 3 732 ont déjà été recrutés ou sont en cours de recrutement ; parmi eux, 1 789 sont en cours de formation et, enfin, 590 seraient déjà en service sur le terrain. Cette dynamique est positive. Néanmoins, la lutte contre l'illectronisme nécessite des moyens pérennes, aussi je souhaite que le Gouvernement dote cette politique d'une trajectoire financière allant bien au-delà du plan de relance.
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, je donnerai donc un avis favorable aux crédits du projet de loi de finances relatifs à l'aménagement numérique du territoire.
Enfin, après avoir abordé les sujets relatifs aux réseaux fixes, il me semble nécessaire, dans un dernier temps de mon propos, de faire un point rapide sur la mise en oeuvre du New Deal mobile, bien que ce programme de déploiement des réseaux mobiles ne fasse pas l'objet d'un soutien budgétaire.
Je rappelle que notre commission a eu un rôle moteur dans la conclusion du New Deal mobile en 2018, par la pression récurrente qu'elle a exercée sur le Gouvernement sur ce sujet.
Concernant le dispositif de couverture ciblée pour lutter contre les zones blanches et la généralisation de la 4G, les résultats apparaissent très positifs :
- pour la couverture ciblée, près de 96 % des sites du premier arrêté avaient été livrés au 30 juin dernier. Quelques retards persistent, mais les résultats globaux sont en phase avec les objectifs du New Deal mobile ;
- s'agissant de la généralisation de la 4G également, les résultats sont plutôt probants : si l'objectif de couverture intégrale fin 2020 n'a pas été parfaitement tenu, on estime qu'entre 97 % et 99 % des sites mobiles sont désormais équipés en 4G. Le basculement de la 3G vers la 4G se poursuit donc, conformément aux objectifs.
Concernant le troisième axe relatif à la couverture des axes routiers prioritaires, l'objectif de couverture intégrale pour la fin 2020 semble globalement atteint : l'Arcep indique que 99 % des axes routiers prioritaires sont désormais couverts en très haut débit mobile.
Enfin, le dernier axe relatif au déploiement des solutions de 4G fixe constitue un sérieux bémol : sur les 510 sites déjà ciblés par arrêté, seuls 75 étaient en service fin juin 2021. Je rappelle que les services de 4G fixe permettent d'offrir une connexion non filaire aux territoires qui ne bénéficieront pas immédiatement de la fibre. En ce sens, leur déploiement est essentiel et indissociable de l'objectif de « bon » haut débit pour tous fixé par le plan France Très Haut Débit et je souhaite que les opérateurs remplissent les engagements pris auprès de l'Arcep.
Voici mes chers collègues, les grandes lignes de mon avis sur l'aménagement numérique du territoire. Je vous propose donc donner un avis favorable aux crédits du plan France Très Haut Débit et aux crédits du Plan de relance relatifs au numérique.
M. Jean-François Longeot , président . - Merci monsieur le rapporteur, je cède la parole à Bruno Belin.
M. Bruno Belin . - Merci monsieur le Président et un coup de chapeau au rapporteur pour cette présentation fluide et très claire. Est-ce que le compte des 5 000 pylônes annoncés y est ? Sur la fibre, sait-on si on peut avoir un avancement différencié sur les territoires ? Dans le débat sur les déserts médicaux, une des solutions avancées est celle de la télémédecine. Mais pour que cela fonctionne, il faut que la fibre soit présente sur les territoires concernés. Peut-on avoir des engagements différenciés selon les territoires ? En tout cas, merci pour cette présentation très claire sur un sujet essentiel en matière d'aménagement du territoire.
M. Jean-François Longeot , président . - Je donne à présent la parole à Martine Filleul.
Mme Martine Filleul . - Je voudrais également remercier Jean-Michel Houllegatte pour la qualité de son rapport. J'ai tout compris, ce qui est vraiment une belle performance ! Mais je voudrais insister sur la dimension « exclusion numérique » pour que nous prenions vraiment conscience de la catastrophe sociale que représente l'illectronisme : un Français sur deux ne se sent pas à l'aise avec les démarches numériques. On ne mesure pas assez combien de Français se sentent abandonnés du fait de la numérisation des services publics. Et je pense que la manière dont le Gouvernement s'est emparé de cette question n'est pas complètement satisfaisante : au-delà de la question des conseillers numériques, on voit bien que la stratégie des « pass numériques », des Hubs numériques, ne répond pas à l'attente des personnes qui ont besoin qu'on aille vers eux pour les former, les sensibiliser au numérique et pour faire en sorte qu'il y ait encore un lien entre les Français et les services publics. Il faut absolument que dans notre mission d'aménagement du territoire, on prenne en compte cette mission de l'inclusion numérique.
M. Jean-François Longeot , président . - Merci, je donne la parole à Gilbert Favreau.
M. Gilbert Favreau . - On vient de parler de l'illectronisme, mais il y a un autre sujet qui préoccupe beaucoup les territoires qui ne sont pas fibrés : c'est le maintien en état du réseau cuivre d'Orange. C'est un véritable problème qui concerne la France entière : aujourd'hui, il semble qu'Orange joue un peu la montre et, que ce soit sur les réseaux que cet opérateur utilise ou ceux loués à d'autres opérateurs, il y a un déficit d'entretien majeur sur l'ensemble du réseau cuivre qui pose d'énormes problèmes dans les zones rurales où les utilisateurs n'ont ni internet ni téléphone. Il est particulier d'évoquer cette question dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, néanmoins on ne peut laisser de côté cette préoccupation majeure de nos territoires ruraux.
M. Jean-François Longeot , président . - La parole est à Stéphane Demilly.
M. Stéphane Demilly . - Je vais reprendre les propos de Martine Filleul, avec des mots un peu différents pour parler de l'aménagement tant internet que téléphonie mobile. Quand on dit qu'il y a 98 % ou 99 % des habitants qui sont desservis par la téléphonie mobile, je suis extrêmement sceptique. Il faudrait peut-être qu'un jour, nous recevions l'Arcep pour comprendre ce qu'on entend par « desserte ». Lorsque j'étais à l'Assemblée nationale, je me souviens être allé dans des villages que l'Arcep considérait comme desservis par la téléphonie mobile, pourtant je n'avais pas de possibilité de téléphoner : s'il faut monter en haut d'un escabeau dans un grenier pour considérer qu'on est desservi par la téléphonie mobile, je trouve que ce n'est pas le bon critère d'analyse. Il serait bon qu'on puisse recevoir l'Arcep pour évoquer cette situation sur le territoire. Et le deuxième sujet qui me paraît important : c'est celui qui a été évoqué par le rapporteur, qui concerne la mutualisation. Quand un village est desservi, malheureusement, dans 95 % des cas il n'y a qu'un seul opérateur. La fameuse technique du « roaming » est plus dans la théorie que dans la pratique.
M. Jean-François Longeot , président . - Je donne la parole au rapporteur.
M. Jean-Michel Houllegatte , rapporteur pour avis . - En ce qui concerne le New Deal , c'est vrai qu'il y a de l'inertie. Il faut savoir que les premiers arrêtés ont été pris en 2018 : sur ces premiers arrêtés, visiblement il n'y a pas eu de grosse difficulté dans les deux ans. Il y a eu d'autres arrêtés en 2019, 2020 et 2021. On est à l'heure actuelle, sur les 5 000 sites prévus, à environ 3 000 sites identifiés. Les arrêtés de 2019 doivent arriver à échéance au 31 décembre 2021. Les opérateurs nous font part parfois de difficultés. On a débattu récemment sur un phénomène nouveau de spéculation sur les infrastructures qui apparaît. La proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique a permis d'avancer, sa promulgation est une bonne chose : des opérateurs d'infrastructures qui veulent acquérir un terrain aux fins d'y installer un pylône devront, à présent, être mandatés par un opérateur de téléphonie. Autre problématique : on constate à l'heure actuelle des pylônes qui fonctionnent avec des groupes électrogènes parce qu'ils ne sont pas raccordés au réseau électrique, c'est une aberration. Cela veut dire qu'il y a des retards considérables de la part d'Enedis pour pouvoir viabiliser ces pylônes.
Pour en revenir à la question sur l'inclusion numérique de Martine Filleul : premièrement, la technologie ne va pas régler le problème. Le problème est culturel. Il y a un piège dans lequel il ne faut pas tomber : c'est de dire que les conseillers numériques seront placés chez France Services. Généralement, ce ne sont pas les gens les plus éloignés du numérique qui s'y rendent. Il va falloir que les conseillers numériques aillent vers les personnes en difficulté. Il y a déjà des initiatives qui sont prises : des conseillers vont par exemple sur les marchés. L'autre problème sera bien évidemment celui de la pérennisation.
Concernant la question de Gilbert Favreau : sur le cuivre, je crois que vous avez tout à fait raison de citer cela. L'État a souhaité que l'effacement du cuivre, qui est prévu, se fasse selon une expérimentation. Une expérimentation se déroule dans les Yvelines dans la commune de Lévis-Sain-Nom. Au regard de cette expérience, des protocoles vont être mis en place. Peut-être que des injonctions seront également à adresser à Orange, pour rappeler que le réseau cuivre a toute son utilité et qu'il est important de continuer à s'y intéresser.
Concernant la question de Stéphane Demilly : le sujet est compliqué. L'Arcep a mis en place le site « Monréseaumobile.fr » qui permet de tester la connexion. Ensuite, il y a des technologies « in door » qui ne sont pas employées : si vous avez une box internet, et un téléphone pas forcément « dernier cri », vous avez une option permettant de téléphoner par le biais de la box. Ce n'est peut-être pas satisfaisant, mais c'est une possibilité. Les gens ne le savent pas parce que ce n'est pas activé automatiquement sur le téléphone. Ensuite, par rapport au New Deal et à l'objectif des 5 000 pylônes : peut-être faudra-t-il, une fois l'objectif atteint et après avoir fait des progrès de mutualisation - ce qui n'est pas toujours facile, il faut que les pylônes puissent être adaptés à cette mutualisation de façon à ce qu'il n'y ait pas de redondance - prévoir de nouveaux sites ou des technologies particulières pour traiter les zones blanches restantes.
M. Jean-François Longeot , président . - Merci monsieur le rapporteur. La parole est à Éric Gold.
M. Éric Gold . - Pour compléter les propos du rapporteur et des intervenants, on peut tous être d'accord sur l'importance du numérique pour l'aménagement des territoires. Je pense qu'il faut insister sur un point qui est important pour les élus locaux : la lisibilité en matière de couverture numérique. Quand un administré vient voir un élu pour demander quand il sera fibré, on est dans l'incapacité souvent de pouvoir lui répondre et cela génère une frustration sur les territoires. En matière d'illectronisme, il ne faut pas penser que l'illectronisme est un manque de couverture numérique. Il y a un coût du matériel, un problème de formation. Dans le cadre d'une mission d'information mise en place il y a quelque temps à l'initiative du groupe « Rassemblement démocratique et social européen », nous avons entendu parler d'expériences très innovantes. On pourrait auditionner des territoires qui ont des expériences à partager, notamment en relation avec le groupe d'études « Numérique » qui est présidé par notre ancien collègue Patrick Chaize.
M. Jean-Michel Houllegatte , rapporteur pour avis . - Je voudrais compléter un point : en général dans les RIP, il y a une vision prospective et une programmation technique. C'est compliqué d'installer un réseau : il y a d'abord ce qu'on appelle un « back bone », qui constitue le réseau en dur. Ensuite, ce réseau a des ramifications, ce qu'on appelle les réseaux de collecte ou de desserte. Il faut être attentif à ce que, lorsqu'il y a un raccordement à un abonné, il y ait une architecture permettant la complétude. Que le réseau soit bien dimensionné pour, à terme, servir tout le monde. Les collectivités ont bien pris conscience de tout ça, ce n'était pas le cas au début. Normalement, dans le cadre des RIP, les calendriers de programmation de travaux sont faits, on a des cartes de déploiement des réseaux. Même si parfois, à côté, des opérateurs déploient aussi leurs propres réseaux, s'ils constatent qu'il y a un marché avec les entreprises.
M. Jean-François Longeot , président . - La parole est à Patricia Demas.
Mme Patricia Demas . - Merci monsieur le Président. Je voulais attirer votre attention sur la résilience des réseaux, alors que les opérateurs ont parfois à faire à de grands nombres de sous-traitants en cascade ce qui met les maires en première ligne sur la qualité des travaux réalisés dans leur commune et sur la résilience des réseaux à terme. Y a-t-il un moyen de réguler ou d'avoir une charte de qualité par rapport à cette cascade de sous-traitants ?
M. Jean-Michel Houllegatte , rapporteur pour avis . - Deux choses : la première, on incite fortement l'Arcep à jouer son rôle de gendarme. On constate que l'Arcep est un peu trop conciliante. C'est une impression personnelle, mais il me semble que nous sommes désormais dans une phase de conciliation. La deuxième : les opérateurs savent que c'est leur talon d'Achille, ils ont donc fait un peu le ménage chez eux en éditant un guide de bonnes pratiques avec des protocoles. Mais on n'échappe pas à la loi du marché qui conduit à des cascades de sous-traitants.
La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 343 de la mission « Économie » et des crédits relatifs à l'aménagement numérique de la mission « Plan de relance ».
* 24 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20211108/atdd.html#toc2.