EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Chaque année, des élus locaux sont contraints de quitter l'ensemble de leurs mandats à la suite d'une condamnation en première instance à une peine complémentaire d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire, en application du quatrième alinéa de l'article 471 du code de procédure pénale. Or, certains d'entre eux sont par la suite relaxés en appel. Leur éviction, bien que juridiquement réversible, produit néanmoins des conséquences irréversibles sur leur parcours électoral, en les privant injustement et souvent définitivement de leurs fonctions électives.
Introduite par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II », la possibilité donnée au juge d'ordonner l'exécution provisoire visait à renforcer la transparence et la moralisation de la vie publique. Dans le régime antérieur, l'inéligibilité n'était pas systématiquement assortie de l'exécution provisoire, laissant aux élus condamnés la possibilité d'exercer leurs mandats jusqu'à l'épuisement des recours.
Exception au régime commun du droit pénal prévoyant qu'une condamnation pénale ne produit ses effets qu'à compter du moment où elle devient définitive, la peine d'inéligibilité assortie d'exécution provisoire déroge au caractère suspensif de l'appel ( article 506 du code de procédure pénale).
Sous l'empire de la loi « Sapin II », le juge a ainsi la possibilité d'assortir la peine complémentaire d'inéligibilité de l'exécution provisoire afin de favoriser l'exécution de la peine et de prévenir la récidive. Une fois la peine prononcée en première instance, le préfet compétent est par la suite tenu de déclarer comme démissionnaire d'office l'élu condamné (pour un exemple, voir notamment TA de Toulouse, 16 février 2024, n° 2400891, point 3).
Si le requérant condamné en première instance interjette appel et que le juge d'appel confirme le sens du jugement de première instance tout en supprimant l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité, l'effet suspensif du pourvoi en cassation subséquent entraîne le maintien de l'exécution provisoire ordonnée en première instance (Cass. crim. 28 septembre 1993, n° 92-85.473 ; J. BORE, L. BORE, « La cassation en matière pénale », 5e édition, mars 2024). Le Conseil d'État l'a aussi rappelé à l'occasion de recours en excès de pouvoir visant les arrêtés préfectoraux prenant acte de la peine d'inéligibilité avec effet provisoire imputée à un élu local (CE, 10e chambre, 20 décembre 2019, n° 432078, inédit au recueil Lebon).
Saisie à plusieurs reprises de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) sur ce dispositif, la Cour de cassation a toujours refusé de renvoyer la question aux juges de la rue Montpensier, jugeant que l'exécution provisoire n'était pas contraire aux principes constitutionnels (voir par exemple Cass. crim. 4 avril 2018, n° 17-84.577 QPC) ou aux principes tirés de la Déclaration européenne des droits de l'homme (voir par exemple Cass. crim. 8 octobre 1997, n° 96-86.350).
Examinant une QPC portant sur l'alinéa 4 de l'article 471 du code de procédure pénale, la Cour affirmait que l'absence de caractère suspensif de l'appel interjeté à l'encontre d'un jugement de première instance prononçant une peine d'inéligibilité assortie d'exécution provisoire « assur[ait] une juste conciliation entre, d'une part, les principes [constitutionnels des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif], d'autre part, les objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de bonne administration de la justice » (Cass. Crim. 21 septembre 2022, n° 22-82.377).
L'appréciation de la Cour de cassation pour les élus locaux n'est pas la même que celle du Conseil constitutionnel pour les élus nationaux. En effet, les parlementaires bénéficient, jusqu'à l'échéance de leur mandat, d'une certaine protection (Cons. const. 16 juin 2022, n° 2022-27 D). Cette différence de traitement en défaveur des élus locaux est injustifiée au regard du principe d'égalité de traitement, qui a valeur constitutionnelle.
Dès lors, ce dispositif nous semble ainsi porter atteinte à plusieurs principes fondamentaux de notre droit : le droit au recours effectif garanti par la Convention européenne des droits de l'homme, la règle à valeur constitutionnelle de l'égalité de traitement ainsi que la présomption d'innocence.
Selon ce dernier principe, nul ne peut être considéré comme coupable tant qu'une décision de justice définitive ne l'a pas reconnu comme tel. Or, dans le cadre actuel, un justiciable exerçant des fonctions électives locales et faisant l'objet d'une condamnation en première instance perdra l'ensemble de ses mandats si la peine d'inéligibilité prononcée à son encontre est assortie d'exécution provisoire.
Une telle situation conduit à ce qu'un élu, susceptible d'être ultérieurement relaxé ou de voir sa condamnation annulée, soit néanmoins démis de ses fonctions. Dans ce cas de figure, une personne finalement reconnue innocente aura malgré tout subi les effets d'une sanction, équivalente à une peine, sans qu'aucune décision définitive ne l'ait justifiée.
L'exemple de la maire de Montauban illustre cette dérive : bien qu'ayant perdu ses mandats à la suite d'une condamnation en première instance, elle a été relaxée par la suite par la Cour d'appel de Toulouse.
Ainsi, l'article unique de la présente proposition de loi instaure une exception au quatrième alinéa de l'article 471 du code de procédure pénale en supprimant la possibilité donnée au juge de prononcer l'exécution provisoire de la peine complémentaire d'inéligibilité tirée de l'exercice d'un mandat électif public local et découlant des articles 432-10 à 432-15 du code pénal.
Mesdames, Messieurs, vous aurez compris que cette proposition de loi ne fait ni le procès de la peine complémentaire d'inéligibilité ni celui de son exécution provisoire. À l'heure où la Nation débat depuis plusieurs jours de la pertinence de cet outil judiciaire au regard de notre conception de la justice, la présente proposition de loi s'attache à l'apporter devant la représentation nationale afin que nous puissions nous prononcer, ensemble, sur la pertinence de ce dispositif.