Mardi 8 avril 2025

- Présidence de M. Olivier Henno, président -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Audition de M. Antoine Pellion, Secrétaire général à la planification écologique (SGPE)

M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition d'Antoine Pellion qui, jusqu'à la semaine dernière, exerçait les fonctions de secrétaire général à la planification écologique. Le secrétariat général de la planification écologique (SGPE) a pour mission d'assurer la cohérence et le suivi des politiques à visée écologique, d'initier et de piloter la mobilisation des ministères et parties prenantes, de coordonner toutes les négociations et enfin de mesurer la performance des actions menées. Nous pourrons, à l'occasion de cette audition, aborder la question de la place des collectivités territoriales dans cette démarche, ainsi que les moyens qu'elles peuvent, ou devraient, y consacrer.

Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique. Je rappelle qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

M. Antoine Pellion prête serment.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Le Sénat est attaché au rôle que les collectivités territoriales assument à la fois dans la démocratie locale et dans l'action publique. Ces derniers temps, le déroulement des débats budgétaires est déroutant. Alors que des investissements considérables s'annoncent indispensables à la transition écologique, les collectivités sont appelées à y contribuer dans une plus ou moins large part.

Il nous a semblé utile de vous entendre à propos de la stratégie relative à la transition écologique, du niveau de financement à mobiliser et de la contribution attendue des collectivités locales. Peut-être pourrions-nous réfléchir ensemble à la fiscalité susceptible de convenir à la stratégie nationale de planification écologique.

M. Antoine Pellion, Secrétaire général à la planification écologique (SGPE). - J'ai quitté mes fonctions le 31 mars 2025 et suis à présent directeur général adjoint du groupe Idex, qui déploie notamment des réseaux de chaleur et de décarbonation de l'industrie sur les territoires. Je suis également membre du conseil stratégique de la start-up Verdeo, qui s'intéresse au suivi de l'impact environnemental des projets écosystémiques. Enfin, je conseille l'entreprise Energy Pool.

Je vais aborder en guise d'introduction le périmètre des travaux de planification écologique, avant d'évoquer le périmètre des investissements qui se révèleront nécessaires et des efforts de financement à prévoir.

Le périmètre de la planification écologique inclut : la baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) ; la préservation de la biodiversité ; l'adaptation aux effets du dérèglement climatique, un enjeu important que nous parvenons moins bien à chiffrer que les autres ; les sujets de santé environnementale ; sans oublier les enjeux d'accès aux ressources naturelles telles que la biomasse, l'eau ou encore le lithium.

En ce qui concerne les objectifs selon lesquels se structurent les travaux de planification écologique, ceux-ci ont été définis à une échelle à la fois française et européenne. Il est ainsi prévu que les émissions de gaz à effet de serre se réduisent de 55 % à l'horizon 2030 dans l'Union européenne.

En partant de ces objectifs, le SGPE a construit avec l'ensemble des ministères un plan d'action. Ce plan d'action écologique comprend les cinq axes que j'ai précédemment évoqués [baisse des GES ; biodiversité ; adaptation ; santé environnementale ; accès aux ressources]. Par ailleurs, depuis le début, ce plan d'action comporte une dimension économique très structurante, puisqu'il s'intéresse aux filières industrielles et aux enjeux de souveraineté que soulève la transition. Je songe ici à la baisse de la consommation d'hydrocarbures. La facture de la France en énergie fossile intégralement importée se montait à 70 milliards d'euros en 2019. Elle a atteint 130 milliards d'euros en 2023, du fait de la hausse des coûts de l'énergie. Décarboner notre économie nous permettra surtout d'accroître notre indépendance et notre souveraineté. Le plan du SGPE vise une diminution d'un tiers de la consommation d'énergie fossile, tous secteurs confondus, à l'horizon 2030, soit un rééquilibrage de la balance commerciale de 20 à 40 milliards d'euros par an. Une telle somme représente un à deux points de PIB.

La planification tient compte également des enjeux d'emploi. Une cartographie des besoins de formation par territoires a été dressée, s'intéressant à l'évolution de la structure des métiers. Dans ce domaine, nous nous attendons à une transformation réelle, quoique modeste, des volumétries par filières, en particulier dans le bâtiment en lien avec les rénovations énergétiques à mener à bien. Une stabilisation est anticipée dans l'agriculture. Quant à l'industrie, tout dépendra du succès de notre réindustrialisation. De nombreux départs à la retraite auront lieu au cours des années à venir, en particulier dans le monde agricole. De 2019 à 2030, 2,8 millions de personnes devront être formées aux métiers de la transition écologique. Cet enjeu massif se travaille sur le terrain, notamment avec les régions.

Ce plan d'action, qui relève à la fois de l'écologie, de l'économie et de l'emploi, se caractérise enfin par sa dimension progressive. Les objectifs sont ambitieux mais nos travaux, témoignent d'une volonté de n'embarquer que très progressivement les différentes parties prenantes. Il est important de le souligner afin de démentir les contre-vérités qui circulent souvent en matière de transition écologique. À titre d'illustration : le plan vise l'électrification de 15 % des voitures en circulation en 2030, mais il n'y a pas lieu de culpabiliser les 85 % de Français qui auront conservé un véhicule thermique à cette échéance. Le plan cherche à « embarquer » 2 % à 3   de la population française, chaque année, dans des transformations qui seront certes progressives mais réellement structurelles. Notre trajectoire a vocation à être modérée tout en garantissant l'atteinte de nos objectifs. En effet, nous travaillons également en parallèle sur les autres axes du plan comme l'industrie, ce qui permet d'avancer conjointement.

Venons-en aux enjeux de la planification sur les territoires. Nous avons dès le départ conçu la planification à une échelle à la fois nationale et territoriale. Tous les échelons sont concernés par la transition, depuis les communes jusqu'aux régions en passant par les métropoles et les départements. Un travail a dû porter sur l'articulation entre leurs compétences respectives, dont certaines se recoupent. Nous avons ainsi mis en place une démarche de conférences des parties (COP) régionale. Nous avons retenu l'échelle régionale au sens géographique du terme et non au sens purement administratif. Au sein de cette maille géographique de la région, nous nous sommes efforcés de rassembler tous les échelons de collectivités et les acteurs aussi bien économiques que de la société civile. La première année des COP s'est centrée sur des enjeux de baisse des émissions de gaz à effet de serre, de préservation de la biodiversité et d'accès aux ressources. La deuxième année, 2025, s'attachera à explorer davantage le thème de l'adaptation aux effets du dérèglement climatique. Il restera ensuite à examiner le volet de la transition touchant à la santé, qui constitue selon moi un axe trop peu traité.

Dans le cadre des COP ont été identifiés des leviers très concrets en matière de mobilité, de rénovation thermique des bâtiments, ou encore d'agriculture et d'industrie. Nous avons ensuite tenté d'évaluer la part de contribution possible de chaque type d'acteurs : les collectivités, dans leur ensemble mais aussi selon chaque échelon territorial, les entreprises et les services de l'État. Au lancement de chaque COP, en tant que base de discussion, nous avons fourni une proposition tout à fait indicative de répartition possible des contributions selon les acteurs. Cette proposition de feuille de route a été élaborée à la maille de chaque région. J'insiste sur la dimension indicative de ces plans d'action régionaux, car le but des COP est justement que chaque collectivité puisse s'en emparer, l'adapte et le transforme autant qu'elle le souhaite, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales. Toutefois, la contrainte essentielle de l'exercice était la suivante : lorsque l'on additionne l'ensemble des contributions, l'objectif global devait rester atteignable. L'autre contrainte était pour chaque acteur de documenter précisément les trajectoires de leur plan d'action. Il ne suffit pas d'annoncer des objectifs. Encore faut-il déterminer les moyens concrets de les réaliser, c'est-à-dire documenter les plans d'action : les investissements à engager, les acteurs à solliciter, les transformations à réaliser pour atteindre les objectifs par exemple.

La première année de COP a conduit à un travail de « défrichage » des plans d'action. Les collectivités se sont bien sûr très largement appuyées sur les initiatives qu'elles avaient déjà prises indépendamment du SGPE. De premiers éléments de bilan ont été publiés en début d'année 2025

À ce moment-là, il dit qu'il peut nous les adresser à l'issue de l'audition, s'il ne l'a pas fait je suggère qu'on le relance ? Je plussoie

. Toutes les collectivités se sont engagées au moins partiellement dans les actions du plan. Un tiers de l'objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre semblait déjà en bonne voie d'atteinte avant les COP. À l'issue de la première année des COP, des actions ont été identifiées pour atteindre un deuxième tiers de cet objectif, actions largement endossées par les collectivités. Il reste donc à trouver comment parvenir au dernier tiers des baisses d'émissions de GES prévues à l'horizon 2030. De premières pistes s'esquissent, mais cela ne correspond pas à des plans d'actions opérationnels. En l'état actuel des choses, l'atteinte de ces objectifs en matière de GES n'est pour ainsi dire pas sécurisée.

Nous faisons face à des enjeux structurants de coordination et d'allocation entre les différentes échelles. Il y a un large consensus sur l'ensemble des leviers à actionner de manière globale. Le deuxième niveau de discussion correspond à la contribution de chacun des territoires aux objectifs. L'un des constats que nous avons pu faire une fois fourni cet effort de quantification des objectifs à atteindre, c'est que nombre de territoires n'ont pas encore pris la mesure du chemin à parcourir. Une troisième catégorie de sujets concerne la répartition des ressources limitées que constituent la biomasse, l'eau ou l'énergie : en termes de répartition de quantités mesurables, en termes de gouvernance, en termes d'usages. Un travail d'itération reste à conduire entre les différents acteurs au sein des territoires, afin de garantir que la somme des actions individuelles correspondra bien au résultat d'ensemble attendu.

Nous avons mis en place cette démarche et cette expérimentation

15 minutes 27, si jamais vous souhaitez écouter par vous-mêmes ce moment, où il lance une « boutade » aux sénateurs sur le ZAN

, mais l'on ne peut pas encore dire que nous avons trouvé la bonne méthode. Par exemple, si l'on cite l'objectif de réduction de l'artificialisation des sols, il est évident qu'un travail de coordination demeure à réaliser. Nous n'avons pas encore résolu l'équation selon laquelle l'ensemble des travaux à l'échelle territoriale correspondante permettra d'atteindre nos objectifs collectifs.

J'en viens à présent à la question des financements à mobiliser pour garantir l'atteinte de nos objectifs.

À l'échelle nationale, nous avons une idée assez précise de la quantité d'investissements publics et privés indispensables à la réduction des émissions de GES et à la préservation de la biodiversité. Nous ne disposons pas encore d'éléments assez précis sur les financements à mobiliser en matière d'adaptation aux conséquences du réchauffement climatique. En matière d'atténuation du réchauffement climatique, nous disposons des mêmes ordres de grandeur que le rapport Pisani-Mahfouz, selon lequel 60 milliards d'euros de plus qu'en 2022 devraient être investis chaque année, soit une hausse annuelle nécessaire de 50 % des investissements, tous secteurs confondus.

Parmi les travaux du SGPE, qui demeurent à approfondir sur ce point, nous avons travaillé avec la Direction générale du Trésor (DGT) afin d'élaborer une stratégie très utile, la Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (SPAFTE). Le SGPE s'est efforcé de distinguer les investissements selon leur rentabilité économique afin de cerner les besoins en incitations financières complémentaires.

Si l'on prend les réductions de GES attendues à l'horizon 2030, deux tiers de ces baisses attendues sont adossés à un modèle économique rentable. Parmi ces deux tiers, un quart des baisses d'émissions de GES attendues à l'horizon 2030 correspond à ces deux caractéristiques : celles-ci sont à la fois adossées à un modèle d'affaires rentable et ls acteurs qui disposent des leviers d'action dans ce domaine possèdent de capacités techniques et financières suffisantes pour réaliser ces investissements. Cela dépend des secteurs et des types d'acteurs : à titre d'exemple les ménages aisés propriétaires de leur logement ont les moyens de l'équiper d'une pompe à chaleur, qui réduira leur facture d'électricité. Cela correspond à une action rentable sur le plan économique, et ce type d'acteurs a les moyens de réaliser ce type d'investissements. Un autre exemple d'opération qui se révèle rentable sur le plan économique : les collectivités ont un intérêt immédiat à renouveler leur système d'éclairage public avec des équipements à basse consommation.

Si l'on revient aux investissements qui sont en théorie rentables (soit les deux tiers des réductions globales de GES attendues à l'horizon 2030), à l'heure actuelle, les trois quarts de ces investissements ne sont rentables qu'en théorie. Les acteurs dont ils dépendent ne disposent pas de la trésorerie nécessaire, ou bien ne sont pas en capacité technique d'engager cet effort.

En revanche, l'autre tiers restant des réductions de GES attendues à l'horizon 2030 ne repose pas, quant à lui, sur un modèle rentable sur le plan économique, en l'état actuel des dispositifs d'accompagnement et de soutien.

Une telle analyse montre qu'il arrive à l'État d'apporter des soutiens là où la rentabilité est déjà présente. Par exemple, le soutien à la filière électrique automobile, lequel s'explique toutefois par des enjeux industriels. Certains dispositifs rentables manquent en outre d'attractivité, faute d'incitation à s'en servir ou d'obligation législative ou réglementaire en la matière ; ce qui justifie la mise en oeuvre de politiques publiques. Cette situation soulève un questionnement sur les modalités d'intervention à adopter en fonction du degré de rentabilité économique des types d'investissements à réaliser. Là où les subventions n'apparaissent pas indispensables, des dispositifs tels que des avances remboursables, du portage, ou du leasing pourraient suffire. Autre exemple : le dispositif issu de la proposition de loi dite « Cazenave » de 2023 sur le marché global de performance énergétique à paiement différé (MGPEPD) demeure peu utilisé. Par ailleurs, le périmètre de ce dispositif reste limité. Des discussions actuellement en cours au Parlement portent sur son élargissement au photovoltaïque, en autoconsommation ou aux réseaux de chauffage urbain. De manière générale, en ce qui concerne les investissements rentables sur le plan économique, ceux-ci peuvent relever d'acteurs économiques identifiés, tels que des sociétés publiques locales (SPL), des sociétés d'économie mixte (SEM), etc. De nombreux mécanismes de financements sont à mobiliser pour ces investissements-là.

Par conséquent, il convient de concentrer les moyens de subvention sur les initiatives non rentables, afin de compléter les financements privés, notamment en matière d'infrastructures, pour lesquels on peut envisager la création de communs non tarifés, ou encore en matière d'accompagnement des ménages les plus modestes. Le débat sur les subventions n'est pas toujours correctement posé car il ne se concentre pas toujours sur les investissements qui ne sont pas économiquement rentables. Nous considérons qu'un tiers des baisses d'émissions de GES requerra des investissements supplémentaires, répartis à moitié entre les secteurs public et privé. Les investissements publics devraient selon nous provenir de l'État pour un tiers et des collectivités pour les deux tiers restants, au prorata de leurs compétences respectives. De fait, les transports et les bâtiments publics relèvent essentiellement de la compétence des collectivités. Des mécanismes de péréquation entreront cependant en jeu, de sorte qu'une moitié des investissements devrait finalement émaner de l'État. Il y a là des enjeux de redirection des dépenses publiques d'investissement, qui n'ont pas encore été pleinement explorés en raison des gisements d'économies à réaliser. Se posent également des enjeux de ressources à mobiliser, notamment sur le plan des leviers fiscaux. Sur ce sujet-là, il convient de mener la réflexion à son terme ; à titre d'exemple, en matière de versement mobilité, un le pouvoir de taux a été octroyés mais il n'est pas nécessairement utilisé. Le levier fiscal peut faire partie de la solution mais celle-ci ne peut se résumer au sujet de la fiscalité.

Un autre point intéressant touche à la comptabilisation de ces initiatives. Le plan comptable général s'est structuré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Nous vivons une période comparable, nous obligeant à nous doter d'outils de mesure des flux physiques matériels en complément des flux budgétaires et comptables. Dans ce domaine, nous n'avons pas encore trouvé la méthode, comme l'ont illustré les débats conduits à l'occasion des COP. Le budget vert, dont nous n'avons pas encore exploré toutes les potentialités, y contribuera sans nul doute. Le débat sur la dette publique et la dette verte pourrait amener au décompte séparé de certains investissements, avec toutefois des précautions à prendre pour ne pas que ce dispositif soit dévoyé de ses ambitions initiales. En ce qui concerne cependant la souveraineté, les investissements de décarbonation du mix énergétique, qui seraient à même de se traduire par 20 à 40 milliards d'euros par an d'économies dans notre balance commerciale, pourraient mériter d'être comptabilisés à part. Cette réflexion n'est pas encore arrivée à maturité mais elle présente un potentiel certain.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - D'après les chiffres que vous citez, les collectivités devront engager 20 milliards d'euros d'investissements en plus chaque année afin de garantir le respect de la trajectoire nationale de réduction des émissions de GES. Vous avez mentionné l'existence de gisements de dépenses à redéployer afin de contribuer à cet effort financier, ainsi que la possibilité de mieux cibler les dotations. Cependant, les seules économies qui pourraient être ainsi réalisées ne permettront pas à elles seules d'atteindre les ordres de grandeurs qui caractérisent le mur d'investissements à venir. Les derniers budgets votés me semblent loin d'être compatibles avec le niveau d'investissements à engager. Vous semble-t-il que les moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés par a stratégie nationale bas carbone (SNBC) ainsi que par le Plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) soient suffisants ?

M. Antoine Pellion. - Il convient de distinguer, au sein de l'ensemble des investissements publics à engager, la nature des ressources qu'il sera le plus adapté de mobiliser en fonction de chaque secteur d'intervention. L'investissement public ne passera pas uniquement par des subventions. Par exemple, la part qui touche à la mobilité, à la rénovation énergétique de bâtiments et aux réseaux d'eau est adossée à des recettes ainsi qu'à des économies à réaliser, notamment en matière de sobriété énergétique. Le travail que nous avons engagé, et qui est toujours en cours, consiste précisément à identifier les sources de financement possibles, qu'il s'agisse de recettes ou d'économies à anticiper. Cela nous permettra dans un second temps de lancer la réflexion sur le niveau et la nature des financements à trouver en complément de ces recettes et économies afin d'atteindre nos objectifs. Il convient également d'avoir une réflexion à long terme, ce qui n'est pas forcément le cas à l'heure actuelle. Les investissements dans les infrastructures s'amortissent sur des périodes très longues. Un enjeu est ainsi de tenir compte du lissage, dans le temps, des investissements, lesquels sont comptabilisés de manière annuelle et nous apparaissent donc comme des investissements colossaux ; ce que permet par exemple le financement de projets par le biais de SPL ou de marchés globaux de performance énergétique à paiement différé. Dans ces conditions, lorsqu'on adopte une démarche de lissage dans le temps des investissements, émerge un autre enjeu stratégique qui est celui du coût du financement, afin de garantir que le coût total de l'opération ne dépasse pas un certain montant. Des mécanismes existent dans ce sens, tels que des fonds de garantie.

Par conséquent, je ne suis pas aujourd'hui en mesure de vous indiquer le besoin net de subventions supplémentaires qu'il conviendrait d'engager. En effet, nous n'avons pas terminé ce travail consistant à identifier les différentes sources de financement possibles selon les secteurs d'intervention et à consolider les montants afin de déterminer, une fois que toutes les autres pistes de financement possibles ont été explorées, le niveau de financement résiduel qui devra être réalisé par le biais de subventions pures. Même s'il paraît plus simple pour les parties prenantes de chercher à obtenir une subvention, j'ai l'intuition que de nombreuses sources de financements alternatives restent à explorer.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur les deux grands outils de subventions que constituent le Fonds vert et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ? Le Fonds vert, en dépit des fluctuations qu'il a connues, présente un intérêt certain en tant que guichet pour les collectivités en quête de subventions d'investissement.

M. Antoine Pellion. - En 2022, lors du lancement de la planification, les collectivités locales aspiraient à ce que les demandes de subventions ne passent plus par le dispositif des appels à projets, chronophages et difficiles à pratiquer en termes d'ingénierie. Elles souhaitaient en outre disposer d'une visibilité pluriannuelle sur leurs financements. Surtout, il existait alors une grande diversité de dispositifs complémentaires : le Fonds friches, le Fonds déchets par exemple. La création du Fonds vert devait répondre aux aspirations des collectivités locales, qui souhaitaient à la fois un dispositif de gré à gré et un guichet unique fusionnant les dispositifs en place. À cet égard, ce Fonds vert me paraît une réussite. Il a permis de mobiliser des moyens globalement supérieurs à la situation antérieure, et de concrétiser sur la première année de nombreux projets notamment de réhabilitation de friches ou de rénovation d'écoles dont la conception remontait à quelque temps déjà. Peut-être que le périmètre des projets qui ont bénéficié de subventions était trop large. Ainsi, il ne semblait pas indispensable que l'installation de LED dans les dispositifs d'éclairage public en bénéficie. Il a par la suite été remédié à cet écueil. Le Fonds vert, tel qu'il s'est peu à peu transformé, m'apparaît plutôt pertinent, tant du point de vue de ce qu'il finance que de la manière dont il octroie des financements. Des imperfections demeurent mais, dans sa conception, ce dispositif me paraît être un bon outil.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Qu'en est-il de son pilotage ?

M. Antoine Pellion. - Il ne remplit pas la promesse initiale de pluriannualité, laquelle était pourtant un engagement fort de l'État. Le travail de contractualisation qui s'est développé autour du contrat de relance et de transition écologique (CRTE) doit permettre aux collectivités de se projeter à un horizon de plusieurs années dans le cadre d'un projet donné. Nous sommes actuellement en plein dans la deuxième phase de la contractualisation et le moment paraît opportun pour accroître cette perspective pluriannuelle.

En ce qui concerne le pilotage du Fonds vert, il convient de cibler précisément ce que celui-ci finance pour qu'il ne subventionne plus que les initiatives non rentables sur le plan économique. Il serait aussi judicieux d'en accroître la visibilité.

Je porte le même regard sur les fonds de l'Ademe. La quasi-totalité des crédits de l'Ademe soutient l'investissement des collectivités et des entreprises. Les crédits mal utilisés ne représentent que des montants marginaux. Je dresse pour ma part un bilan positif du soutien apporté par l'Ademe. La Cour des comptes a d'ailleurs salué la remarquable efficacité économique du Fonds chaleur. Ce dispositif a non seulement contribué à la décarbonation des réseaux de chaleur, mais il a également financé les infrastructures industrielles de production d'énergie décarbonée. La pérennisation d'une infrastructure est bien souvent gage de pérennisation d'une activité économique sur le territoire. Ceci entraîne des effets positifs, à long terme, sur la structuration de ce territoire. En somme, si le Fonds vert requiert une vigilance permanente quant au ciblage de son périmètre, ce dispositif n'a aucune raison de se voir remis en cause et ses objectifs sont pertinents.

M. Olivier Henno, président. - S'attacher avant tout à la rentabilité économique des investissements n'induit-il pas leur recentrage sur la décarbonation et la réduction de la consommation d'énergie fossile, au détriment de la préservation de la biodiversité et sur les autres volets de la transition écologique qui ne garantissent pas de retour sur investissements ?

M. Antoine Pellion. - Notre démarche s'articule en deux temps. D'abord, nous évaluons dans leur ensemble les investissements nécessaires à l'atteinte des différents objectifs de la transition écologique. Ensuite, nous analysons des dispositifs à mettre en oeuvre en fonction de leur rentabilité : cela n'a pas pour visée d'exclure les investissements non rentables du plan global de financement mais cela nous permet d'attribuer un ordre de priorité aux subventions ; celles-ci doivent avant tout financer les initiatives non rentables. La biodiversité peut quand même mobiliser des financements privés. Dans le cadre du label bas carbone, les compagnies aériennes et les centrales à charbon sont soumises à des obligations de compensation de leurs émissions supplémentaires de GES. Elles achètent ainsi des « crédits carbone » finançant la protection de la biodiversité. L'on peut également citer d'autres exemples tels que les obligations réelles environnementales (ORE). Certes, une part de soutien public restera nécessaire, et celle-ci existe déjà en partie. Nous abordons là des enjeux de fiscalité complexes, comme par exemple celui des redevances sur l'eau. Le rapport entre les sommes acquittées et les volumes prélevés révèle des inégalités criantes entre secteurs, ce qui ouvre des enjeux complexes de financement.

À titre d'illustration : le système de gouvernance de l'eau en France est cité en exemple dans le monde entier. Ce dispositif, qui fonctionnait plutôt bien dans un contexte d'abondance de la ressource, ne parvient pas à traiter les problèmes posés par sa raréfaction. Nous devons nous attendre à une pénurie d'eau. Quand bien même la pluviométrie ne varierait pas, la hausse des températures moyennes entraînera une plus forte évaporation, à l'origine d'une réduction de 25 % de l'eau utile, soit 50 milliards de mètres cubes. Nous allons perdre dix fois autant d'eau que nous en consommons actuellement et plus que nous n'en prélevons, à savoir 33 milliards de mètres cubes. Les baisses de 15 % des prélèvements prévues à l'horizon 2030 ne compenseront pas la baisse à venir, alors même que ce modeste objectif ne parvient toujours pas à être décliné dans chaque bassin. Cet exemple démontre que les effets du réchauffement climatique ne nous permettent pas de rester sur un statu quo en matière de gouvernance et d'enjeux de financement, selon chaque échelle territoriale, secteur par secteur. Ce travail d'articulation et de coordination recoupe des sujets potentiellement très conflictuels.

Ainsi, notre méthode de territorialisation de la planification écologique vise à susciter la discussion, à créer du consensus à l'échelle de chaque territoire, mais il ne nous permet pas de trancher sur ces sujets difficiles d'allocation des ressources.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Il ne suffit certes pas de partager un même constat quant aux besoins, il convient également de trancher ces sujets de contributions respectives de chaque acteur à l'effort écologique global. Les dispositifs zéro artificialisation nette (ZAN) ou zone à faibles émissions (ZFE) suscitent un peu partout des levées de boucliers. Comment les collectivités ont-elles été associées à l'élaboration de la stratégie dont ces trajectoires résultent et auxquelles on leur demande de contribuer ?

M. Antoine Pellion. - Cette question recoupe plusieurs sujets. En ce qui concerne les objectifs quantifiés, ceux-ci nous sont imposés par la physique et par les engagements que nous avons pris au niveau international. L'objectif d'une réduction de 55 % des émissions de GES découle de lois physiques et correspond à la volonté de limiter la hausse de la température moyenne sur Terre à 1,5°C ou 2°C, conformément aux accords de Paris. La question porte sur les moyens de les atteindre et la répartition des efforts entre les différents acteurs. Les leviers à actionner sont largement connus et font globalement consensus. La grande difficulté sera de déterminer la part respective de contribution de chacun à l'effort. L'association des collectivités à cette discussion a été globalement faite, à tous les niveaux. La nouveauté de notre approche a été d'adopter cette approche quantitative de l'effort auquel chaque territoire devra consentir. Le dispositif ZAN en fournit une bonne illustration, l'exercice devra à présent être conduit pour la gouvernance de l'eau, la qualité de l'air. La méthode employée dans le cadre des COP a le mérite de fournir comme la base d'une discussion ouverte à tous les acteurs une répartition des efforts qui pourrait être envisageable à l'échelle des départements, idéalement à l'échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Les initiatives qui ne s'annoncent pas soutenables devront faire l'objet de discussions avec les territoires voisins dans l'idée qu'ils s'accordent sur des compensations afin que la trajectoire globale soit tenable dans son ensemble. La première phase d'ouvrir la discussion avec des référentiels et des nomenclatures communs et des objectifs partagés a été engagée, il convient par la suite que nous soyons tous très mobilisés pour la conduite de cette discussion et que nous disposions bien pour cela de lieux de discussion. Pour l'heure, chaque acteur tient encore à son autonomie territoriale. Aussi les sujets de partage de contraintes et de ressources à différentes échelles géographiques suscitent-ils des crispations.

M. Olivier Henno, président. - Comment décririez-vous un pays dont l'approche de la transition écologique serait de votre point de vue idéale ?

M. Antoine Pellion. - Ce problème est nouveau pour le monde entier. Chaque pays dispose de ses propres forces et faiblesses. Le sujet de l'isolation des bâtiments a été traité de longue date dans les pays nordiques, mais ils comptent peu d'habitants, concentrés dans des zones réduites.

La France me semble engagée dans la bonne voie si nous nous dotons des bons outils. Toutefois, nous devons relever le défi d'un changement de culture. Les plans d'action à court terme visent l'horizon 2030. Il reste à réinterroger à plus long terme la géographie au sens d'aménagement du territoire et d'usage des sols lorsque nous considérons l'horizon 2040 ou 2050. Nous devrons par exemple réviser l'équilibre actuel entre forêt et terres agricoles.

Mme Marie-Claude Varaillas. - L'inaction climatique coûtera cinq fois plus que l'adaptation aux changements climatiques. Les collectivités territoriales, conscientes du rôle qu'elles ont à jouer au côté de l'État, développent de plus en plus de programmes en ce sens. Mon département est très engagé en matière d'excellence environnementale. Néanmoins, la part du budget consacré à l'écologie dans la loi de finances pour 2025 a diminué de 1,3 milliard d'euros. Cette baisse ne constitue pas un signal encourageant pour les collectivités. Une commune de 1 000 habitants rénovant un bâtiment scolaire dépensera 2 millions d'euros d'investissements, qu'elle ne pourra pas lisser dans le temps.

Les montants alloués à MaPrimeRenov' ont reculé, alors même qu'à chaque euro investi dans la rénovation d'un logement correspondent quatre euros alimentant l'économie locale. Les 38 collèges de mon département servent à la cantine des produits 100 % bio et locaux, mais au prix d'efforts financiers. Les dépenses des EPCI pour l'assainissement s'annoncent colossales. Les réseaux d'évacuation des eaux usées en zone rurale datent d'au moins soixante ans. Nous perdons, chaque année en France, dans nos réseaux d'eau l'équivalent de la consommation de 18 millions d'habitants. L'urgence est là.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Concevez-vous une fiscalité environnementale locale susceptible de répondre aux besoins d'investissement des collectivités ?

M. Antoine Pellion. - Il a jusqu'ici beaucoup été question d'investissements dans les infrastructures. Ne perdons pas de vue les frais de fonctionnement. Une large part des investissements dans la transition écologique devrait réduire les charges de fonctionnement. Cette réalité reste cependant encore mal prise en compte selon les normes de la comptabilité publique.

Certains investissements représentent en effet des montants colossaux, en particulier pour des collectivités de petite taille. En théorie du moins, celles-ci peuvent recourir à des mécanismes de lissage de leurs investissements. Probablement conviendrait-il de s'appuyer sur des SPL ou des mutualisations à l'échelle d'autres collectivités. Si l'enveloppe consacrée à MaPrimeRenov' a diminué, le tarif unitaire de cette prime a été maintenu, quitte à ce que les montants disponibles se tarissent en cours d'année.

Plus généralement, en matière de sources de financements : le SGPE n'a pas imaginé de nouveau système de fiscalité. Je crois plus à l'octroi d'un pouvoir de taux et à la modulation des dispositifs existants, associés à des dispositifs de portage financier et à la mobilisation de fonds externes. Deux gisements demeurent inexploités, à commencer par celui des assurances. Pour l'heure, les dommages climatiques sont pris en charge par les assureurs pour partie, ou par l'État en dernier recours. Une réflexion doit se développer pour que l'augmentation des risques climatiques ne se traduise pas par une réduction des zones assurées. L'ensemble du système devra évoluer vers une optique de prévention accrue, sous peine de voir certains territoires exclus de toute protection. Un système de péréquation entre assureurs pourrait remédier à cet écueil, ce que nous avons par exemple fait en Normandie

Pas sûre d'avoir bien entendu ici

avec le nouveau dispositif d'assurance récolte.

Autre sujet complexe à explorer : le financement du système de santé dans un contexte de dérèglement climatique. Les frais de dépenses en santé, élevés, s'accroissent encore à cause de facteurs environnementaux, en raison de la pollution atmosphérique, de la dégradation de la qualité de l'eau, ou encore des vagues de chaleur à répétition. Il conviendrait de mobiliser le système de santé pour mieux déployer des actions de prévention.

Enfin, en cas de fort accroissement de la dépense publique globale et de l'endettement, le coût du financement aussi atteindra des sommets. La transition reviendra donc plus cher et les dispositifs rentables a priori ne le seront peut-être plus. Aussi importe-t-il de raisonner en tenant compte de la contrainte budgétaire actuelle. Il reste à chercher de manière exigeante et rigoureuse des solutions alternatives aux subventions, comme les avances remboursables ou les prêts bonifiés. Cela nous permettra de financer davantage de projets.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Pour en revenir au ZAN, les initiatives descendantes donnent assez peu de résultats par rapport aux objectifs annoncés. Vous avez évoqué la possibilité de faire davantage confiance au terrain, et notamment aux collectivités. Le même résultat pourrait-il être atteint en partant de la base, c'est-à-dire du terrain, quitte à mettre en place des contrôles a posteriori ou des accompagnements, plutôt que de fonctionner avec des objectifs contraignants ?

M. Antoine Pellion. - Je pense en effet qu'il vaut mieux partir du terrain, mais en se fondant sur une typologie de leviers claire et opérationnelle, et en procédant à des mesures et décomptes objectifs. Il importe d'admettre que, parfois, le compte n'y est pas, sous peine d'une contestation des cibles chiffrées. Un nouveau contrat reste à conclure autour de ces objectifs quantifiables. Des comptes doivent être rendus, et la trajectoire collective globale doit être respectée.

Je faisais partie de l'équipe de Jean Castex lors de l'élaboration de la loi Climat et résilience de 2021. Nous ne voulions pas d'un dispositif ZAN trop prescriptif. La conférence des SCoT schémas de cohérence territoriale (SCoT) devait délibérer. Lorsqu'il s'agit de discuter et de trancher collégialement, il s'agit toujours de négociations difficiles et d'un moment rugueux mais décisif.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vous avez parlé du mille-feuille des financements de la transition par les collectivités. Nous nous demandons encore quel organisme pourrait coordonner ces financements localement, étant donné qu'une intervention de l'État à cette échelle serait mal perçue et que les COP régionales ne sont pas en mesure d'imposer quoi que ce soit. Il revient aux élus de décider des investissements sur leurs territoires. Il importe de mobiliser et de coordonner l'ensemble des parties prenantes, mais cela s'annonce compliqué en l'absence d'un chef d'orchestre. Y a-t-il des pistes envisagées dans ce sens ?

M. Antoine Pellion. - Je ne crois pas à la possibilité qu'un seul et même pilote puisse être unanimement tenu pour légitime. Les précédentes tentatives en ce sens se sont heurtées à des remises en cause de certaines décisions. Il convient surtout de clarifier les missions des uns et des autres, et la COP est un espace pour que cette discussion se tienne. Peut-être l'échelon régional retenu dans le cadre des COP apparaît-il encore trop éloigné des territoires. Nous avons commencé à décliner cette réflexion à l'échelle du département, et cela apparaît utile ; idéalement, il faudrait mener cet exercice jusqu'à l'échelle de l'intercommunalité, qui constitue la maille la plus opérationnelle. Par ailleurs, l'attribution de financements devrait être conditionnée à l'atteinte de résultats concrets afin de responsabiliser chacun. Nous avancerons peut-être moins vite dans ces conditions, mais nous aboutirons à des transformations plus en profondeur. Cette vision adopte une perspective décentralisée et diffuse, mais elle s'adosse à la colonne vertébrale d'objectif communs centralisés. Quoi qu'il en soit, nous devons anticiper des moments difficiles, mais cette vision centralisée des objectifs permet ce pilotage.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vous avez construit de nombreuses stratégies. Êtes-vous optimiste ?

M. Antoine Pellion. - Je le suis à titre personnel. Beaucoup insistent sur l'inaction plutôt que sur ce qui a été mis en oeuvre. Pourtant, collectivement, nous avons réussi à réduire de 20 % nos émissions de GES depuis 2017. Nous sommes bien engagés en 2024 pour atteindre les objectifs de 2030, même si les prochains paliers seront difficiles à atteindre. De plus, la mobilisation au niveau locale demeure forte. Beaucoup d'acteurs de bonne volonté s'engagent dans des initiatives concrètes.

Je m'inquiète quand même, car, pour investir, de la stabilité est nécessaire, or la situation géopolitique internationale demeure compliquée. Notre intérêt économique n'en reste pas moins de nous préparer sans attendre à la transition énergétique. Les récents chocs qu'a provoqués la hausse des prix de l'énergie sont aussi dus à notre dépendance aux énergies fossiles. La réduire va dans notre intérêt économique.

Enfin, un sujet de pacte social se pose. Nos efforts ne donneront de résultats qu'à condition que chacun en assume sa part. Plus le pacte social est distendu, plus un risque d'immobilisme se fait jour. Il serait donc malvenu que les fractures sociales se creusent encore. Quoi qu'il en soit, il n'est pas trop tard pour atteindre nos objectifs.

M. Olivier Henno, président. - Le discours d'investiture de Donald Trump contenait beaucoup d'éléments choquants. Il a notamment parlé de « forer comme des malades ». De tels propos n'entraînent-ils pas une forme de désespérance mondiale ?

M. Antoine Pellion. - Lorsqu'on se place dans une perspective française ou même européenne, il est dans notre intérêt immédiat, indépendamment des décisions prises par d'autres pays, de nous préparer à la transition, compte tenu des questions de souveraineté que j'évoquais plus tôt. La Chine dispose d'équipements de raffinage de lithium massifs. Notre approvisionnement en hydrocarbures dépend de pays du Moyen-Orient qui financent l'intégrisme islamiste. En somme, nous nous retrouvons, sur le plan économique, entre les mains de puissances étrangères de plus en plus hostiles. Aussi me semble-t-il indispensable de réussir notre transition.

La remarque vaut aussi pour la santé. Si nous voulons préserver notre système de santé publique, là encore, nous devons investir dans la transition écologique.

Enfin, la moindre contribution à la limitation du réchauffement climatique présente un intérêt. Tout centième de degré gagné reste appréciable, compte tenu de l'ampleur des dommages liés à la hausse des températures. Nous devons nous adapter aux changements climatiques pour minimiser l'impact des dommages à venir.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de professeurs de droit - MM. Aurélien Baudu, Professeur à l'Université de Lille, Xavier Cabannes, Professeur à l'Université Paris Cité et Mme Géraldine Chavrier, Professeure à l'Université Paris I - Panthéon Sorbonne

M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de trois universitaires spécialistes des questions d'autonomie financière des collectivités locales.

Mme Chavrier, M. Baudu, M. Cabannes, vous êtes des spécialistes reconnus des finances publiques et des questions relatives à l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Votre expertise nous permettra d'aborder les questions constitutionnelles relatives au principe de libre administration des collectivités territoriales, qui sont au coeur de nos travaux.

Le Sénat a décidé de la Constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.

Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

M. Baudu, M. Cabannes et Mme Chavrier prêtent serment.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Les collectivités revêtent une importance majeure pour le Sénat. Le vote du budget 2025 a donné lieu à des débats particulièrement complexes du point de vue des collectivités, puisque, depuis plusieurs dizaines d'années, elles se voient privées d'une part croissante de leurs ressources propres et de leurs leviers fiscaux. Or elles sont tenues d'investir dans la transition écologique tout en exerçant l'ensemble de leurs compétences sur leurs territoires. Il nous a semblé pertinent de vous entendre à propos de la libre administration des collectivités, telle que la prévoit la Constitution, et son articulation avec leur autonomie financière.

Nous vous invitons à partager votre analyse juridique de ces notions et de leur mise en oeuvre concrète.

Mme Géraldine Chavrier, Professeure à l'Université Paris I - Panthéon Sorbonne. - Je tiens d'abord à déclarer des intérêts : en 2021, j'ai été rémunérée par une association d'élus locaux pour étudier les principes d'autonomie financière et de libre administration, afin de comprendre l'absence de censure constitutionnelle en la matière. Je collabore en outre régulièrement avec diverses associations d'élus et de collectivités territoriales. Je vous garantis cependant l'objectivité de mon propos.

J'ai toujours admis que le droit puisse céder devant les nécessités et que le Conseil constitutionnel joue un rôle d'arbitre au besoin. Les analyses de débats et d'archives que je m'apprête à vous présenter révèlent cependant un scandale et même une forfaiture, tout en expliquant les difficultés financières des collectivités territoriales.

En 2003, le principe d'autonomie financière des collectivités a été inscrit à l'article 72-3 de la Constitution. Il dispose que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources » puis renvoie à une loi organique.

Dans le rapport du Sénat relatif au projet de loi constitutionnelle du 23 octobre 2002, René Garrec explique : « Votre commission des lois considère que l'autonomie locale ne peut se limiter à la liberté de la dépense. Elle exige aussi que les collectivités territoriales aient la faculté de moduler l'évolution de leurs ressources par le vote des impôts locaux dans les conditions prévues par la loi ».

De fait, le 29 octobre 2002, au Sénat, le Garde des Sceaux retient ce principe. Il constate d'abord que le Conseil constitutionnel, en se fondant sur la libre administration, n'a jamais pu s'opposer à la recentralisation financière. Il énumère toutes les suppressions de fiscalité locale, puis déclare : « Le remplacement de ces recettes fiscales par des dotations de l'État a renforcé la dépendance des collectivités à l'égard de ce dernier. La part de la fiscalité locale dans les ressources globales hors emprunt a été réduite. Nous ne pouvons plus nous résoudre à voir les finances locales dépendre toujours davantage de l'État au fil des législations. Il faut donc que la norme suprême consacre en termes précis et opérationnels l'autonomie financière des collectivités ». Le ministre ajoute : « En reconnaissant leurs capacités fiscales, ce projet leur permettra, dans les limites prévues par la loi, de fixer aussi bien le taux que l'assiette des impôts locaux ». Selon le ministre, l'autonomie réside donc dans la maîtrise des taux. Il le rappelle le jour de l'adoption définitive du projet de loi, allant alors jusqu'à parler d'autonomie fiscale.

À l'Assemblée nationale, le président de la commission des lois insiste aussi sur la fiscalité propre : « Nous aurons une base juridique pour mettre un terme à une dérive commencée, voici de nombreuses années, qui s'est accélérée depuis cinq ans, faisant passer la part des ressources propres des collectivités de 52 % à 45 % de leurs ressources totales ». En somme, il considère un taux de fiscalité locale propre de 45 % comme trop bas. Là encore, le garde des Sceaux le rejoint.

La maîtrise locale des taux a donc toujours été au coeur du problème. Patrick Devedjian, en tant que ministre délégué aux libertés locales, a expliqué au Sénat : « Dans le même temps, le gouvernement engagera avec le Comité des finances locales une étude sur la mise en oeuvre de la réforme fiscale. Nous avons exclu un financement par la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), car il est incompatible avec la directive européenne. Le taux ne saurait varier suivant les régions ». La maîtrise locale des taux était alors associée à une promesse de réforme fiscale.

Le garde des Sceaux a expliqué à l'Assemblée nationale que le Sénat avait accepté de renoncer à la notion de part prépondérante des ressources propres sous l'effet de cette promesse. Sans la réforme fiscale, les lois de finances auraient été immédiatement contraires à la Constitution. Le Sénat s'est rabattu sur la part déterminante pour « ne pas hypothéquer la mise en oeuvre de nouveaux transferts de compétences en la subordonnant à la réalisation préalable d'une réforme fiscale, certes nécessaire, mais qui prendra davantage de temps ».

Le 5 novembre 2002, le garde des Sceaux affirme que : « les textes qui vous seront présentés par le gouvernement au début de l'année 2003 contiendront des dispositions modifiant la fiscalité ». Le rapporteur au Sénat, René Garrec ajoute : « D'après les indications fournies par le gouvernement, la loi organique augmentera progressivement, à mesure de l'état d'avancement de la réforme des finances locales, le seuil en dessous duquel les ressources propres des collectivités ne pourront descendre ».

Si la fiscalité d'État transférée sans maîtrise de taux avait été conçue comme des ressources propres, il n'aurait pas été utile de renoncer à la part prépondérante ni de promettre d'augmenter le taux d'autonomie lorsque la réforme fiscale l'aurait permis. Aucune réforme fiscale complexe n'est nécessaire pour transférer un montant d'impôts d'État.

Comment expliquer, dans ces conditions, la quasi-disparition de la fiscalité locale en 2025 ? Deux scandales sont à dénoncer.

D'abord, le ministère de l'Économie a refusé de procéder à une réforme fiscale dont il ne voulait pas, jugée trop complexe, même avec un taux dégradé présenté comme tel par le ministre en 2003. Il a ainsi violé consciemment, et la Constitution, et l'accord passé avec le Parlement. La loi organique de 2004 a inclus dans les ressources propres les transferts d'impôts d'État sans pouvoir de taux, alors que ce transfert devait abonder les ressources totales, selon le rapport de la commission des lois du Sénat du 23 octobre 2002 citant une étude de la Direction générale de la comptabilité publique.

Ensuite, le juge constitutionnel aurait dû censurer la loi organique. Or, il l'a validée en la sachant non conforme à la Constitution. Il l'admet d'ailleurs, puisqu'il considère que « la définition donnée par l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel comprend une formule déroutante en première approche ». Il précise qu'assimiler les ressources propres à celles dont les collectivités territoriales peuvent elles-mêmes fixer le montant semble « plus conforme à l'idée naturelle de ressources propres ». Il y renonce toutefois « en raison de l'extrême difficulté politique et technique de créer de nouveaux impôts locaux ».

Alors que la révision visait à donner au Conseil constitutionnel le pouvoir de censurer le démantèlement de la fiscalité locale, celui-ci, faute de réforme fiscale, ne veut pas se trouver en situation de censurer les lois de finances. Il se fonde sur l'extrême difficulté politique et technique de créer de nouveaux impôts locaux. Il ne s'agit plus d'un contrôle de constitutionnalité, mais d'un déni de justice. Le Conseil constitutionnel aurait pu émettre une réserve d'interprétation sur le caractère temporaire de la solution avant une réforme fiscale. En fait, ses membres, et en particulier son président, se sont comportés en anciens ministres soucieux des difficultés rencontrées par leurs collègues.

Ceci explique que le Conseil constitutionnel ne censure jamais des baisses de ressources sur le fondement du principe de libre administration. Ce principe ne vise plus l'origine des ressources, mais le caractère suffisant de leur montant pour faire face à l'ensemble des compétences des collectivités. Or, pour financer la transition énergétique, celles-ci doivent principalement relever le défi d'un manque de ressources. Même les membres du Conseil constitutionnel s'en sont émus, comme en attestent les archives de 1990, relevant maintes réductions successives des ressources locales des collectivités. En juillet 1991, la grande majorité des membres du Conseil a voulu censurer une mesure défavorable aux départements. Selon le rapporteur : « le système adopté ne donne aucune garantie sérieuse de ne pas affecter gravement, dans un nombre de cas non négligeables, les ressources fiscales de certains départements ». Le gouvernement et le ministre de l'Économie évoquent eux-mêmes « une contrainte budgétaire insupportable ».

Le président du Conseil constitutionnel s'y est tout de même opposé. Maurice Faure a déploré l'impossibilité qui en résulterait, pour les départements, d'investir. Le président s'est adressé à lui en ces termes : « Monsieur Faure, j'en appelle à l'ancien ministre. Quelle est votre réponse ? (...) Fixez les règles concernant les taux en vertu de l'article 34. Telle est la prérogative du Parlement. » Le Conseil constitutionnel ne semble plus composé de juges, mais d'anciens ministres. Son président conclut : « Je n'ai pas d'état d'âme. Le domaine où nous devons faire preuve d'une vigilance extrême est celui des droits fondamentaux. Quand il s'agit des ressources des collectivités locales, les exigences ne se situent pas au même niveau. En la matière, laissons Parlement et gouvernement ajuster les choses ».

En conclusion, il n'existe pas de principe constitutionnel d'autonomie financière. Cela ne serait pas si grave si les collectivités disposaient de ressources stables et prévisibles. Le principe de libre administration, garantissant un montant suffisant de ressources pour faire face aux défis futurs, n'est pas non plus reconnu, malgré son inscription dans la Constitution. En réalité, il est laissé à l'appréciation du Parlement.

M. Aurélien Baudu, Professeur à l'Université de Lille. - Votre initiative répond aux préoccupations croissantes des élus locaux concernant la fragilité de l'autonomie financière des collectivités, dues aux réformes récentes de la fiscalité locale et que les difficultés financières actuelles exacerbent encore. En février dernier, la Cour des comptes a relevé un dépassement des dépenses locales d'environ 10 milliards d'euros par rapport aux prévisions initiales du projet de loi de finances pour 2024.

Mon collègue Xavier Cabannes et moi-même avons souligné ces difficultés financières locales dans plusieurs travaux scientifiques. Nous avons notamment organisé, à l'automne 2023, un colloque au Sénat, en partenariat avec la délégation aux collectivités territoriales, sur les règles de financement des transferts de compétences aux collectivités locales et les controverses juridiques qui en découlent. Nous avons également piloté plusieurs dossiers publiés dans diverses revues juridiques, traitant des difficultés financières des collectivités territoriales.

Dès janvier 2023, nous déplorions une forme de recentralisation financière, caractérisée par l'usage récurrent de l'outil fiscal de l'État en substitution de l'instrument fiscal local. Nous avions intitulé un article paru en 2023 dans la revue actualité juridique droit administratif (AJDA) : La TVA : un édifice qui s'émiette, un pouvoir fiscal local qui s'effrite. Le Conseil des prélèvements obligatoires a rendu un rapport en février 2023 sur la TVA, appelant à recentrer cet impôt sur son objectif de rendement pour les finances publiques. Ce rapport est longuement revenu sur l'usage qu'en fait l'État, depuis plusieurs années, pour financer les collectivités locales en substitution des impôts dont elles avaient le pouvoir d'établir le taux. La Cour des comptes appelait à limiter l'usage de la TVA dans le financement des collectivités locales - point de vue que nous défendions dans notre article.

La complexité graduelle du schéma de financement public des collectivités territoriales, par le partage et l'émiettement de l'impôt, m'a incité à écrire un ouvrage sur le droit de la fiscalité locale, dont la deuxième édition est parue en 2022. Ce travail vise à clarifier et rendre intelligible un système fiscal local devenu particulièrement complexe tant pour les élus que pour les citoyens.

La suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales en 2023, les assouplissements de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont la suppression a été repoussée à 2030, et la dynamique moindre des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), bien que la loi de finances 2025 ait autorisé les départements à en relever le plafond d'un demi-point, du 1er avril 2025 au 30 avril 2028, ont profondément modifié le paysage fiscal local. Ces changements, combinés à la perte de ressources fiscales due à la crise de l'immobilier, à des charges croissantes liées à l'inflation, au vieillissement de la population, à l'excès de normes et à la précarité croissante de la population, alourdissent considérablement les budgets locaux.

Il importe de noter que le Conseil constitutionnel n'a jamais consacré le principe d'autonomie fiscale pour les collectivités métropolitaines. Nous renvoyons au rapport de la Cour des comptes de 2013 sur l'autonomie fiscale en outremer. La perte du pouvoir fiscal des collectivités locales depuis la loi du 10 janvier 1980, leur accordant la liberté de voter les taux des quatre taxes locales directes en vigueur à l'époque, conduirait, selon de nombreux observateurs, à une recentralisation croissante des décisions budgétaires, plaçant les collectivités dans une dépendance accrue vis-à-vis de l'État.

Autrement dit, nous n'assistons pas à une métamorphose du système fiscal local français, mais plutôt à une forme d'immobilisme de la matrice fiscale locale originelle, qu'il serait impossible de faire évoluer, malgré son effritement inévitable.

Nous voyons, dans la mutation de la fiscalité locale française, des évidences incertaines, un cadre constitutionnel et organique renouvelé en matière fiscale, un pouvoir fiscal des collectivités territoriales ébranlé, mais surtout des incertitudes évidentes, liées à l'abandon d'une fiscalité foncière locale stable et assurée, ainsi qu'au manque de lisibilité de la réforme fiscale territoriale.

Cette situation n'est-elle pas contraire aux articles 72 et 72-2 de la Constitution, qui garantissent la libre administration et l'autonomie financière des collectivités territoriales ? La définition même des « ressources propres » reste un sujet de débat, oscillant entre une interprétation étroite fidèle à la loi de 1980 et une définition plus large - celle du législateur organique, en 2004 - incluant la fiscalité transférée et partagée.

M. Xavier Cabannes, Professeur à l'Université Paris Cité. - Lorsque j'ai commencé ma carrière d'universitaire en 1998, des discussions portaient déjà sur l'autonomie financière des collectivités locales. La réforme constitutionnelle de 2003 a suscité des incompréhensions, des malentendus et peut-être quelques tromperies. Avant de les examiner, partons d'un constat que partageront tous les élus. D'abord, l'État a transféré ou continue de transférer de nombreuses compétences vers les collectivités territoriales ; or les assumer comporte un coût. Ensuite, ces collectivités voient leurs compétences en matière fiscale de plus en plus restreintes, à mesure que s'accroît la part des impôts partagés dans leurs ressources. Enfin, le système fiscal local est marqué par une instabilité. Il ne cesse de changer depuis un quart de siècle. Il devient de plus en plus illisible.

J'ai relevé quatre incompréhensions autour de ce système.

L'autonomie financière des collectivités territoriales, une fois constitutionnalisée, a cessé de correspondre aux discours politiques. D'un point de vue pragmatique, cette autonomie était définie, jusqu'en 2003, par la nécessité pour les collectivités de disposer de ressources propres, pour lesquelles elles disposaient d'un pouvoir décisionnel. Ces ressources propres devaient suffire pour qu'elles assument leurs compétences et en usent librement, sous réserve de quelques interdictions ou obligations fixées par la loi. La révision constitutionnelle de 2003, complétée par la loi organique de juillet 2004, a juridicisé la notion d'autonomie financière, bien que l'article 72-2 de la Constitution n'emploie pas le terme d'autonomie financière. Le Conseil constitutionnel, alors même qu'il ne tire pas de ce principe les conséquences qu'il devrait, y fait régulièrement référence.

Deux alinéas de l'article 72-2 sont à l'origine d'incompréhensions. L'alinéa 3 précise que les ressources propres des collectivités territoriales doivent représenter une part déterminante de leurs ressources. Il en résulte une difficulté à définir ce qu'il faut entendre par « ressources propres », une autre difficulté à établir leur part déterminante, puis une autre encore touchant au pouvoir de décision des collectivités en matière fiscale. L'alinéa 4 affirme que tout transfert ou extension de compétences doit donner lieu à une compensation. Or le système de compensation financière en place reste imparfait.

Une deuxième source de difficultés vient du fait que l'autonomie financière ne recoupe pas l'autonomie fiscale. L'article 72-2 de la Constitution ne comporte à tout prendre qu'un alinéa intéressant de notre point de vue : l'alinéa 2 précisant que la loi peut autoriser les collectivités territoriales à fixer l'assiette et le taux des impositions de toute nature dans les limites qu'elle détermine. Cet alinéa 2 attribue une compétence fiscale aux collectivités territoriales, quoique dans le prolongement de l'article 34 de la Constitution, selon lequel le Parlement a le monopole de la question fiscale, encore qu'il soit autorisé à déléguer aux collectivités territoriales ses compétences en la matière. L'alinéa 2 s'est donc contenté d'inscrire dans la Constitution des dispositions déjà en vigueur, sans apporter de protection aux collectivités en matière fiscale. Il n'empêcherait nullement que les collectivités se retrouvent dans l'incapacité de voter le moindre taux d'imposition. Le Conseil constitutionnel le confirme par ses décisions.

La loi organique de 2004 a inclus dans les ressources propres des collectivités des impositions à propos desquelles elles n'ont pas leur mot à dire. La notion extensible de ressources propres constitue ainsi une troisième source de malentendus.

Enfin, plus de vingt années après la réforme de 2003, il apparaît que le principe d'autonomie financière n'est pas plus protecteur en matière de finances que le principe de libre administration. Tant que le Conseil constitutionnel ne pouvait s'appuyer que sur ce principe, il s'assurait que chaque suppression, par le législateur, d'un impôt local dont le taux était laissé à la libre appréciation des collectivités, était remplacée par une dotation d'un montant à peu près équivalent. Une fois établi le principe d'autonomie financière, le Conseil constitutionnel, au lieu de changer d'approche, s'est contenté d'appliquer l'article 72-2. Quand il a eu à trancher sur la compatibilité du dégrèvement puis de la suppression de la taxe d'habitation en 2018 avec le principe d'autonomie financière des collectivités, il a reporté sa décision à l'examen d'un rapport à venir sur les ratios d'autonomie financière, encadrés par la loi organique.

En conclusion, tous s'accordent à juger le système actuel insatisfaisant. La seule question qui se pose touche aux moyens d'y remédier.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Nous avons nous aussi dressé ce constat à l'examen des jurisprudences et des budgets successifs. Existe-t-il un seuil au-delà duquel le Conseil constitutionnel pourrait reprocher à l'État son retrait de dotations aux collectivités ?

Mme Géraldine Chavrier. - Selon la loi organique de 2004, les ressources fiscales des collectivités ne devaient pas aller à l'encontre du principe de leur libre administration. Le Conseil constitutionnel a toutefois jugé incertaine la portée normative de la libre administration. Je ne crois donc pas à l'existence d'un seuil qui déclencherait une censure du Conseil constitutionnel, à moins qu'il ne change de cap, sachant qu'une révision constitutionnelle n'est pas à l'ordre du jour.

Il est ici question de budgets, de compétences et de ressources qui s'additionnent ou se soustraient. Or le Conseil constitutionnel a-t-il déjà consenti à un effort de comptabilisation ? Quand il lui arrive de chercher des informations, il s'adresse au secrétariat général du gouvernement, ou au ministère de l'Économie. Il ne procède donc pas de manière objective. À plusieurs reprises, il a été saisi pour des baisses de ressources fiscales ou des compensations insuffisantes. De fait, la réduction des ressources fiscales est censée ne pas dépasser 2 % des recettes réelles de fonctionnement. Seulement, le Conseil constitutionnel ne tient pas compte du cumul des baisses au fil du temps. Il ne s'est pas doté de moyens pour évaluer les incidences du transfert de compétences et, partant, se prononcer sur une éventuelle dénaturation du principe de libre administration des collectivités.

La suppression de la vignette automobile a entraîné une réduction de 22 % des recettes fiscales des régions, soit 2 % des recettes réelles. Ce pourcentage a été considéré comme admissible, car il n'a pas été tenu compte des réductions antérieures. La libre administration n'est soumise qu'à un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, à la différence de la liberté d'entreprendre, désormais soumise à un contrôle de proportionnalité. Pour que la jurisprudence du Conseil constitutionnel évolue, une réforme de la Constitution serait nécessaire. À défaut, il faudrait que le Conseil prenne conscience de ses responsabilités.

M. Aurélien Baudu. - Le Conseil constitutionnel n'a pas varié dans sa jurisprudence depuis 1991. La remarque vaut aussi pour le Conseil d'État. Dans sa jurisprudence du 4 avril 2012 impliquant la communauté de communes du pays de Cunlhat, il s'appuie sur une interprétation similaire à celle du Conseil constitutionnel. La liste des dispositions ne constituant pas une atteinte au principe de libre administration des collectivités s'avère bien plus longue que celle des dispositions constituant une telle atteinte. De plus, depuis la jurisprudence du 27 décembre 2019 sur la loi de finances pour 2020, aucune exigence constitutionnelle n'impose de compenser la suppression ou la réduction d'une recette fiscale.

M. Xavier Cabannes. - Le Conseil constitutionnel n'a jamais délimité de seuil au-delà duquel la suppression de ressources fiscales remettrait en cause le principe de libre administration des collectivités, car il prend ses décisions au fur et à mesure qu'il est saisi. Quoi qu'il en soit, son rôle n'est pas de censurer une disposition législative au prétexte qu'elle fait suite à des suppressions de recettes fiscales antérieures.

Mme Géraldine Chavrier. - Le principe de libre administration implique qu'au-delà d'un certain seuil, les ressources des collectivités ne leur suffisent plus à faire face à leurs charges. Autrement dit, le Conseil constitutionnel est tenu de juger si la dernière goutte d'eau fait ou non déborder le vase. Il dispose d'une large marge d'appréciation.

Aucun reproche ne méritait de lui être adressé jusqu'en 2003, car il ne disposait pas d'outils adaptés. Il n'en va plus ainsi depuis la révision de 2003. Tous - du pouvoir exécutif jusqu'à la direction générale de la comptabilité publique - s'accordent sur le fait que l'autonomie financière des collectivités passe par des ressources propres impliquant la maîtrise de taux d'imposition.

M. Xavier Cabannes. - Le Conseil constitutionnel apprécie l'autonomie financière des collectivités à un instant donné. Il évalue les conséquences de la dernière réforme fiscale en date sur la libre administration des collectivités territoriales sans se préoccuper de ce qu'il s'est passé auparavant.

Mme Marie-Claude Varaillas. - La libre administration des départements est aujourd'hui un vain mot, un concept vidé de sa substance.

Mme Géraldine Chavrier. - Certains courent à la faillite. Pour autant, formellement, ils disposent de 76 % d'autonomie financière.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Les départements ne disposent plus que de recettes aléatoires et des dotations que l'État daigne leur attribuer.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Le fait qu'une collectivité dispose ou non de ressources propres est étranger à la question de son autonomie financière. Pour juger de celle-ci, seule est prise en compte la proportionnalité de ses ressources avec les compétences qu'elle doit assumer.

M. Aurélien Baudu. - Il appartient au législateur organique d'établir les conditions selon lesquelles les ressources propres des collectivités représentent une part déterminante de leurs ressources. Le regard critique porté par la doctrine sur la loi organique du 29 juillet 2004 fait consensus. La définition des ressources propres apparaît beaucoup trop large. Ces ressources n'incluent pas uniquement le produit des impositions de toute nature, mais aussi la fiscalité transférée, comme la TVA au taux déterminé par l'État ou la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dont les collectivités ne sont autorisées à moduler le taux que très marginalement. Ceci explique que les ratios d'autonomie financière des collectivités ne cessent de progresser. Celui des régions est même passé de 40 % à 70 % en l'espace de vingt ans, alors que leur pouvoir fiscal s'est considérablement réduit. La perte du pouvoir de fixation du taux des impositions de toute nature ne constitue donc pas un grief opérant selon le Conseil constitutionnel.

M. Xavier Cabannes. - À mon sens, le problème est insoluble. Si demain, le législateur organique décidait de modifier la définition des ressources propres, pour en exclure les impositions partagées, qu'adviendrait-il ? Une révision du système fiscal s'imposerait. La restitution à l'État des impositions partagées obligerait à rééquilibrer la balance par la création d'une multitude d'impôts générant 70 milliards d'euros de recettes locales. Pareille mesure serait politiquement inenvisageable. La seule solution consisterait à ne plus se concentrer sur la part des ressources propres des collectivités dans leurs recettes, mais à s'assurer, d'abord, que ces recettes, peu importe leur provenance, leur permettent de faire face à leurs dépenses et, ensuite, qu'elles leur laissent une marge de manoeuvre pour exercer leur pouvoir de libre administration. Je vous renvoie à la thèse de doctorat de Matthieu Rouveyre, intitulée Contribution à une redéfinition de l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Mme Géraldine Chavrier. - Je ne crois plus du tout au principe d'autonomie financière. Il est trop tard pour mettre en place des impôts locaux. Il ne reste plus qu'à mener un travail sur la qualité de la compensation. Les collectivités auraient intérêt à disposer de ressources stables et prévisibles. Il serait opportun que les transferts donnent lieu à des compensations glissantes, avec une évaluation, tous les sept ans, du manque à gagner dans le cadre d'une clause de revoyure.

Mme Isabelle Briquet. - Ne vaudrait-il pas mieux tenir compte des charges des collectivités que de leurs dépenses proprement dites ?

La situation des départements apparaît critique. Une catastrophe se profile dès 2025. Faut-il attendre que les collectivités se retrouvent sous tutelle pour que le Conseil constitutionnel réagisse ?

M. Xavier Cabannes. - Vous avez raison : il pourrait être opportun de s'attacher à l'autonomie des collectivités en matière de dépenses ou au niveau de leurs charges.

M. Aurélien Baudu. - La question du seuil d'autonomie financière au-delà duquel le Conseil constitutionnel devrait censurer une loi en se fondant sur le principe de libre administration se posait déjà à la veille de la révision constitutionnelle de 2003.

Mme Géraldine Chavrier. - Je ne m'attends pas à ce que le Conseil constitutionnel soit un jour en mesure de censurer une loi sur le fondement du principe d'autonomie financière des collectivités territoriales. En revanche, il pourrait être saisi pour violation du principe de libre administration, dans l'éventualité où une loi restreindrait à l'excès les ressources des collectivités.

Si le Conseil constitutionnel n'avait pas estimé, à tort, que les lois successives ne restreignaient pas les ressources des collectivités au point d'entraver leur libre administration, nous n'en serions pas arrivés à la situation actuelle, où les départements se retrouvent bel et bien entravés. Il subsiste un espoir : celui que le Conseil constitutionnel combine ses différentes jurisprudences. Selon certaines, la libre administration des départements implique qu'ils exercent des compétences effectives. Or, pour beaucoup, celles-ci se limitent désormais aux dépenses sociales, par manque de ressources.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Les articles de la Constitution que vous citez comportent tous la formule : « dans les conditions prévues par la loi ». Je comprends dès lors votre défaitisme. J'ai le sentiment que toutes les forces politiques partagent une même volonté d'en finir avec les communes et les départements, privés de la moindre dynamique fiscale. Les communes, pour leur part, ne peuvent plus s'appuyer que sur la taxe foncière. Quant aux intercommunalités, elles ne sont pas considérées comme des collectivités de plein exercice - d'où leur lutte pour le devenir. Le Conseil constitutionnel prend des décisions essentiellement politiques, bafouant l'esprit du constituant.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Les dispositifs que vous évoquez, tels que l'instauration d'une clause de revoyure à sept ans, pourraient-ils absorber des chocs à venir comparables à la crise sanitaire, sachant que l'éventualité de tels chocs n'est malheureusement jamais prise en compte ?

Mme Géraldine Chavrier. - Le Conseil constitutionnel adopte une position politique, non pas au sens de la politique partisane, mais dans la mesure où, lorsque la majorité de ses membres se sont montrés favorables à une censure, son président en a interpellé l'un d'eux en sa qualité d'ancien ministre d'État. Ce Conseil doit se rendre compte que la situation a changé par rapport à 1982, depuis la révision constitutionnelle de mars 2003.

L'article 34 de la Constitution dispose que les lois organiques peuvent compléter la liste des compétences des collectivités territoriales. Il convient d'adopter une loi organique qui complète le principe de libre administration des collectivités. Une telle loi préciserait bon nombre de points relevant d'un accord de la représentation nationale sur ce que doit être la décentralisation. Les seules mesures de sauvegarde de l'autonomie financière des collectivités consistent en des fonds d'urgence, lorsque ces collectivités ne parviennent pas à l'équilibre budgétaire.

Mme Marie-Claude Varaillas. - L'État ne rembourse aux départements que 40 % des allocations individuelles de solidarité (AIS). Est-il normal qu'une collectivité porte à elle seule des charges relevant de la solidarité nationale ? À titre d'illustration, en Dordogne, le nombre d'enfants dont s'occupe l'aide sociale à l'enfance (ASE) et passé de 700 à 1 700 en dix ans, sachant que chacun coûte 60 000 euros par an.

M. Aurélien Baudu. - Nous en revenons au problème évoqué lors du colloque sur les transferts de compétences : celui de la compensation à date. Il est souvent reproché à l'État de ne transférer aux collectivités que des compétences auxquelles il consacrait des sommes notoirement insuffisantes. Aussi les collectivités font-elles face à des difficultés lorsqu'elles veulent recruter des agents pour exercer pleinement ces compétences.

Je suis plus réservé en ce qui concerne les compensations glissantes. Je ne pense pas que nous y parviendrons à droit constant. L'article 34 de la Constitution a été remanié : y est désormais inscrit un objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a évolué sur ce point, depuis 2018. Celui-ci examinera désormais les évolutions normatives au regard de cet objectif.

M. Xavier Cabannes. -Le constat d'un problème vis-à-vis de l'autonomie financière des collectivités dépasse les clivages politiques. Il revient au Parlement de s'en saisir. Il suffirait d'une réforme en profondeur de la loi organique de juillet 2004. Il me semble paradoxal que le Parlement se demande comment le Conseil constitutionnel pourra venir au secours des collectivités.

Mme Géraldine Chavrier. - La loi organique de 2004, en son état actuel, ne nous est d'aucune aide. Le taux d'autonomie financière des collectivités locales se monte déjà à 76 %. Il faudrait changer la notion de ressources propres, mais cela n'arrivera pas. Il ne reste plus qu'à contraindre l'État dans ses transferts et compensations. La charte européenne de l'autonomie locale présente la diversité des financements des collectivités comme une garantie de leur indépendance. Une solution consisterait, comme je le mentionnais, à adopter une loi organique relative à la libre administration des collectivités.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 30.

Mercredi 9 avril 2025

- Présidence de M. Olivier Henno, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Boris Ravignon, président d'Ardenne Métropole, maire de Charleville-Mézières et vice-président chargé des finances d'Intercommunalités de France

M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Boris Ravignon, président d'Ardenne Métropole, maire de Charleville-Mézières et vice-président chargé des finances d'Intercommunalités de France.

Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales ainsi que sur le financement de services publics de proximité et de la transition écologique. Ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique.

Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Boris Ravignon prête serment.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Cette commission d'enquête aborde une thématique qui se trouve au coeur des travaux du Sénat ; elle est inspirée par les nombreux débats budgétaires qui ont eu lieu tant cette année que l'année dernière à propos de l'amputation des ressources fiscales propres des collectivités territoriales. Cette situation engendre de l'inquiétude quant au respect du principe de libre administration des collectivités et se heurte à leur besoin d'investissement massif dans la transition écologique. Vous avez remis un rapport sur le millefeuille territorial qui devrait nous apporter un éclairage particulier sur notre sujet.

M. Boris Ravignon, vice-président chargé des finances d'Intercommunalités de France. - Je vous remercie de permettre à Intercommunalités de France de faire valoir son point de vue sur ce sujet.

L'histoire récente de la fiscalité locale est assez mouvementée, même si les collectivités n'ont pas voulu ces mouvements, mais les ont largement subis. On peut citer trois évolutions très significatives : la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, l'abaissement d'un quart du taux de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la réforme des bases « usines » des impôts fonciers des entreprises. À ce propos, on peut partager le souhait de moins taxer l'industrie, qui est exposée à la concurrence internationale, mais cela crée un manque à gagner pour les collectivités.

Même si ces réformes ont été compensées, il en résulte un bouleversement considérable d'un montant de 38,5 milliards d'euros en 2023, selon le calcul de la Cour des comptes. C'est tout sauf un petit sujet !

Cela emporte des conséquences qui nous préoccupent, à Intercommunalités de France. La suppression de la taxe d'habitation pose la question du lien entre la citoyenneté et le fait d'être contribuable. Ne sont plus contribuables que les propriétaires, et non une majorité des résidents, comme auparavant. Nous sommes passés de 85 % d'assujettis - en tenant compte des exonérations - à 60 %, soit un quart de contribuables en moins. Ceux-ci peuvent se demander s'il y a des limites à ce qu'ils peuvent demander à la collectivité, puisqu'ils n'y contribuent pas. Même si l'on ne rencontre pas ce phénomène sur le terrain, cet étirement du lien « je réside, je paye des impôts locaux » est regrettable.

Nous avons également regretté les modalités de compensation : la descente vers les communes de la taxe foncière des départements se fait au prix d'un coefficient correcteur extrêmement complexe qui aboutit dans la plupart des cas à prélever des sommes sur les zones rurales pour les renvoyer vers les zones urbaines, ce qui est discutable. Il n'y a pas eu de perte financière, mais ces modalités ont des conséquences négatives.

Sur la fiscalité économique, je serai plus prudent, parce qu'au sein d'Intercommunalités de France, nous avons des positions différentes selon que l'on vienne d'un territoire dynamique ou non. Au regard de la situation de ma collectivité, je ne regretterai pas la CVAE, dont le rendement, dans mon territoire en difficulté, était inférieur en 2022 à ce qu'il était en 2014. De surcroît, c'était un impôt dont le produit était très difficile à anticiper, avec des mouvements assez erratiques : on peut avoir une très bonne année économique nationalement, et même localement, et une CVAE qui baisse. Son remplacement par une fraction de TVA, dont la dynamique paraissait plus régulière dans le temps si on met de côté l'année 2025, pouvait être vu positivement. Cela a néanmoins suscité un avis majoritairement défavorable au sein d'Intercommunalités de France, sauf pour les territoires les plus en difficulté.

La réforme affectant les bases de la taxe foncière des entreprises a entraîné une compensation figée qui, sans revalorisation, crée un manque à gagner au niveau des intercommunalités, même s'il n'y a pas eu de réduction de recettes.

L'autonomie fiscale n'en est pas moins touchée. Les réformes de ces dernières années n'ont pas impacté le seul bloc communal, mais également les autres niveaux.

Le sens de l'autonomie fiscale réside dans la possibilité de disposer d'un pouvoir de taux. Les dépenses pour favoriser l'implantation d'entreprises ou la construction de logements généraient une forme de retour par la fiscalité. Avec une fraction de TVA, la situation est très différente, car le montant est calculé à un instant t qui dépend de paramètres totalement extérieurs. Nous n'avons la main ni sur la base ni sur le taux.

L'autonomie fiscale s'est donc réduite pour les intercommunalités. Elle demeure importante pour les communes. Elle a quasiment disparu pour les départements et les régions. Je fais le lien avec le rapport sur le coût du millefeuille administratif que j'ai remis au Gouvernement : cela pose une vraie difficulté aux départements. Longtemps, ils parvenaient, grâce à cette autonomie, à prendre en charge le différentiel entre l'augmentation des charges sociales et l'absence de dynamisme de leurs recettes. Cette disparition les place dans une situation difficile.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Quel peut être le rôle des intercommunalités à un moment où le bloc communal, tributaire de décisions budgétaires qui le contraignent, doit investir dans la transition écologique ? Lors d'une précédente audition, nous nous demandions qui pourrait piloter les différentes stratégies de transition qui sont souvent verticales et descendantes. Certains investissements nécessitent une forme de mutualisation. L'échelon intercommunal est-il le plus pertinent ?

M. Boris Ravignon. - Nous le pensons, parce qu'un certain nombre de responsabilités et de compétences sont effectivement placées à ce niveau-là : la gestion des déchets dépend des intercommunalités, sinon de syndicats qui les regroupent ; les communautés d'agglomérations, mais aussi les communautés de communes qui ont choisi cette compétence sont autorités organisatrices de la mobilité (AOM) en ce qui concerne la mobilité urbaine ou périurbaine ; les compétences « eau » et « assainissement » ont été transférées aux intercommunalités, même si, dernièrement, la dernière étape de ce transfert a été suspendue s'agissant des communautés de communes - nous espérons qu'il ne s'agit que d'une suspension.

C'est aussi le cas de l'habitat : à travers des outils un peu plus anciens comme les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah), ou, de plus en plus, du cadre proposé par l'État, le service public de la rénovation de l'habitat, le SPRH, les intercommunalités constituent l'échelon de premier recours des citoyens qui se tournent vers les pouvoirs publics, pour être renseignés sur les moyens d'opérer des rénovations. Nous les orientons vers MaPrimeRénov' et vers les outils locaux ou régionaux lorsqu'ils existent.

Les deux transitions énergétique et écologique sont largement portées au quotidien par les intercommunalités de France.

La question des investissements est sensible. La mutualisation de l'ingénierie nous permet d'accompagner les communes pour l'isolation de leurs bâtiments et des logements dont elles peuvent disposer. Une ingénierie est toujours proposée par les départements, qui ont remplacé celle de l'État, mais dans les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) plus intégrés, une ingénierie intercommunale s'est mise en place. C'est un des axes importants pour apaiser les tensions : les intercommunalités démontrent leur utilité en recrutant des techniciens et des ingénieurs dont une commune ne pouvait pas recruter une fraction.

Sur la question du financement...

M. Thomas Dossus, rapporteur. - ...et de la prévisibilité.

M. Boris Ravignon. - L'évaluation des investissements à réaliser diffère selon qu'on se réfère à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) ou au rapport de l'inspection générale des finances (IGF) : ils se chiffreraient entre 12 milliards et 20 milliards d'euros par an. C'est considérable et cela vient s'ajouter au reste. Je pense - sans discuter bien sûr de sa pertinence - à la problématique de l'accessibilité, depuis la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005 et ses prolongements. Il y a des agendas d'accessibilité programmée (Adap) partout, qui sont autant d'épées de Damoclès, car ils ne sont que partiellement mis en oeuvre : cela crée une dette morale à l'égard d'engagements nationaux sur le handicap.

S'y ajoutent les investissements verts. Comment y faire face ? Cela nous conduit à souhaiter la plus grande visibilité possible sur nos ressources : c'est fondamental pour investir.

Même si l'on peut partager la préoccupation face à l'urgence financière, supprimer pour une année la dynamique de TVA sur laquelle on pouvait légitimement compter - même si elle est rétablie ensuite - procède d'une méthode par à-coups qui n'est pas souhaitable.

J'expose aussi dans mon rapport que notre fonctionnement collectif, en l'absence de clarté sur les responsabilités des uns et des autres, suscite des coûts de coordination élevés.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Les avez-vous chiffrés ?

M. Boris Ravignon. - Pour les collectivités, nous les avons chiffrés à au moins 6 milliards d'euros. Mais nous n'avons pas pu aller regarder les interactions au sein du bloc communal ni avec tous les opérateurs de l'État. Nous nous sommes concentrés sur les services de l'État.

Or les interactions avec les opérateurs peuvent être nombreuses : j'évoquais tout à l'heure la politique de rénovation de l'habitat, qui provoque des interactions avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ou l'Agence de la transition écologique (Ademe). Dans d'autres cas, c'est avec l'Office français de la biodiversité (OFB) ou avec les agences de l'eau.

Il est impossible de supprimer toutes les interactions. Des coûts de coordination subsisteront, mais une clarification du rôle des acteurs devrait nous permettre de dégager des gains d'efficience

Toutes les économies en fonctionnement sont bonnes à prendre. Il y a peut-être des modalités d'organisation, des corpus de normes, sur lesquels il faut se réinterroger.

On peut s'interroger sur le traitement comptable et sur le portage des investissements de transition énergétique. Ils permettent en effet un amortissement et un taux de rendement interne plutôt bons. C'est donc une dette différente des autres, puisqu'elle permet de générer des économies, même en ayant des prévisions conservatrices sur le coût de l'énergie.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Cela n'est pas assez pris en compte dans la comptabilité ?

M. Boris Ravignon. - Ce n'est pas du tout pris en compte : tous les investissements sont mélangés. Quand on construit des pistes cyclables, c'est utile pour la décarbonation des mobilités, mais le rendement est faible, voire négatif pour les finances locales : moins de voitures en ville, cela représente moins de recettes de fonctionnement. En revanche, lorsque vous rénovez l'éclairage public ou isolez votre parc immobilier, il y a un rendement. Je trouve injuste que cette dette soit traitée comme une autre.

On observe aussi un phénomène qui, à mon avis, est appelé à s'amplifier : la création de structures pour déconsolider une partie de la dette liée à la transition. Si vous créez une société publique locale (SPL) ou une société d'économie mixte (SEM) pour gérer des investissements, la dette afférente ne sera pas consolidée dans le budget de la collectivité. Même si cela me paraît pertinent dans un certain nombre de cas, il faudrait éviter que cela constitue une dette verte cachée qui se développe de manière anarchique.

Mme Corinne Féret. - Les transferts de compétences au fil des ans, avec parfois des allers-retours, ont eu des conséquences non seulement organisationnelles, mais aussi budgétaires. Selon vous, ont-ils accru la perte d'autonomie fiscale ou est-on resté à une situation identique ? La compensation de l'État est insuffisante, avec un manque à gagner qui s'accroît année après année. Ces transferts ont-ils néanmoins donné un peu d'air, si j'ose dire, aux intercommunalités ?

M. Olivier Henno, président. - Lorsque la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite loi Chevènement, et la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, dite loi Voynet, ont été votées en 1999, il était question de créer des emplois dans les intercommunalités en les supprimant dans les communes ; mais je n'ai pas vu beaucoup de ces suppressions, même en étant maire d'une commune de 20 000 habitants pendant vingt ans.

L'autonomie fiscale me semble difficile à garantir aux quatre niveaux de collectivités. Quel niveau privilégiez-vous ? Je n'imagine pas qu'il puisse y avoir quatre impôts différents... Comment envisagez-vous les choses, dans l'idéal ?

M. Boris Ravignon. - La prise de compétence par une intercommunalité est financée sur le papier : les communes qui transfèrent une compétence doivent aussi transférer les ressources qu'elles y consacraient.

Cela peut parfois être plus compliqué. Prenons l'exemple presque anecdotique d'une fourrière intercommunale. L'État ne force pas les communes à respecter la réglementation : avant le transfert de cette compétence, elles n'y consacraient pas un euro. Un transfert a donc plutôt tendance à peser sur le budget de l'intercommunalité qu'à le favoriser. Dans les commissions locales d'évaluation des charges transférées (CLECT), les maires sont vigilants à ce qu'on ne transfère pas plus qu'il ne le faut.

Le transfert d'un stade comme le très beau stade de Sedan, par exemple - 23 500 places pour un club qui joue aujourd'hui en Régional 2 -, représente un coût certain. C'est incontestablement un équipement d'intérêt communautaire, mais lors du transfert, nous avons demandé à la commune de Sedan de nous verser au moins ce qu'elle y consacrait, et même un peu plus, pour tenir compte du fait qu'il y avait des travaux à effectuer.

Il y a des compétences imposées par la loi, comme la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi). L'État a trouvé une solution : les collectivités peuvent lever une taxe, ce que beaucoup d'entre elles ont fini par faire. À Ardenne Métropole, nous avons mis cinq ou six ans à nous y résoudre. Je ne crois donc pas que les transferts aient enrichi les intercommunalités. On se passerait volontiers du cadeau consistant à dire : « Vous pouvez lever une taxe de plus. »

La Cour des comptes a critiqué les intercommunalités à propos de la compétence développement économique, mais il y avait un défaut à la base. Prenez une communauté de communes regroupant quarante communes rurales : aucune d'entre elles n'y consacrait aucun moyen. Transférer à l'intercommunalité le développement économique implique la création d'au moins un ou deux postes. On passe donc de quarante communes à zéro poste à une communauté de communes à un ou deux postes. Multipliez cela par toute la série de compétences pour lesquelles les intercommunalités ont essayé de faire leur travail !

C'était cela l'idée de départ : ces compétences parfois un peu fictives que nous ne pouvons pas exercer parce que nous sommes trop petits ou trop pauvres, mettons-les en commun pour les exercer. Il n'y a donc pas d'optimisation.

En revanche, les intercommunalités permettent la mutualisation d'un certain nombre de fonctions supports. À Ardenne Métropole, les services des ressources humaines, des finances, des systèmes d'information, de la commande publique, des bâtiments et - dernier en date - de l'énergie ont été mutualisés.

Ces mutualisations nous ont permis de réaliser quelques gains et de recruter plus facilement des compétences rares. Par exemple, il est plus facile de recruter un ingénieur réseau dans un service qui travaille pour une intercommunalité que dans une petite structure au sein d'une seule commune.

On nous accuse souvent de créer trop facilement des emplois au niveau des collectivités. Mais il y a peut-être des politiques qui ne sont pas exercées de manière satisfaisante. Par exemple, nous avons fortement développé l'emploi local dans le domaine de la sécurité, avec la croissance des polices municipales. Mais il faudrait se poser la question de savoir pourquoi le bloc communal a eu besoin de créer autant de postes de policiers municipaux ou de policiers intercommunaux pour répondre à une situation qui, à mon avis, était difficile sur le plan démocratique à l'échelon local.

Pour revenir sur l'autonomie fiscale, il faut rappeler qu'il y avait initialement quatre vieilles taxes et que le découpage en lanières n'était pas optimal. Rappelez-vous, les taxes d'habitation étaient perçues à trois niveaux, chacun votant un bout du taux. Le système était difficile à comprendre pour les contribuables. Nous sommes sortis de cette situation et je ne sais pas s'il faut la regretter. Il me semble qu'il faudrait recréer une autonomie fiscale en redonnant un pouvoir de taux aux départements et aux régions. C'est une idée qui figurait dans le rapport remis au Président de la République par Éric Woerth en juin 2024 et que je trouve intéressante.

En effet, il semble difficile de recréer des impôts dans notre pays tant le taux de prélèvement est élevé. En revanche, on pourrait redonner un pouvoir de taux aux collectivités en découpant une partie de nos impôts nationaux. C'est d'ailleurs ce que l'on a commencé à faire en 2025 pour les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en ce qui concerne les départements et pour le versement mobilité en ce qui concerne les régions.

Si l'on réfléchit de manière structurelle, il n'y a rien d'incohérent à ce que les départements puissent faire bouger le curseur sur un point de contribution sociale généralisée (CSG) qui serait à leur main, en l'assumant vis-à-vis des contribuables. Cela correspondrait à la finalité sociale de la CSG et à la logique du financement des dépenses sociales.

On pourrait également imaginer qu'une partie de l'impôt sur les sociétés (IS)soit décidé au niveau régional. En effet, cela correspondrait aux compétences économiques des régions, qui pourraient ainsi avoir des ressources dont elles assumeraient la responsabilité vis-à-vis des entreprises contribuables et grâce auxquelles elles pourraient financer des politiques volontaires et partagées dans les secteurs du sport, de la culture et de la jeunesse. Même si la loi NOTRe de 2015 a retiré la clause de compétence générale aux départements et aux régions, elle ne leur a pas retiré la possibilité d'avoir des politiques partagées.

M. Christian Redon-Sarrazy. - En ce qui concerne l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) dont les modalités sont en débat, quelle position défendez-vous ?

Une des compétences majeures des intercommunalités est le développement économique. Dans cette période où l'État sera sans doute conduit à territorialiser sa politique industrielle, croyez-vous que les intercommunalités auront les moyens de répondre à cet enjeu ? Et que devraient-elles faire pour assumer leur rôle de fer de lance en la matière ?

M. Boris Ravignon. - L'Ifer a été créée lors de la réforme de la taxe professionnelle, comme un élément de compensation de la suppression de cette taxe. C'est un élément de la contribution économique territoriale (CET). Comme nous avons pu le constater ces dernières années, il n'y a pas grand-chose d'intangible en matière de fiscalité : tout peut être revu et modifié. L'idée d'avoir une taxation sur des équipements de cette nature a remis en question certaines impositions antérieures comme la taxe sur les pylônes, mais n'a pas eu d'effet perturbateur car les activités soumises à une concurrence internationale sont restées peu concernées. Il s'agissait donc d'une base utile pour procurer des ressources aux communes et intercommunalités, compensant ainsi la suppression de la taxe professionnelle.

Le plus souvent, l'Ifer est évoquée à l'échelon local dans le cadre des projets éoliens, car la question du partage est un enjeu important dans la mesure où cela peut générer une ressource considérable dans certains territoires. La perspective de cette compensation a permis d'apaiser les débats sur l'implantation d'éoliennes, qui auraient été encore plus houleux sans cela.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Les opérateurs télécoms semblent vouloir rediscuter la distribution, voir les bases de l'Ifer. Vous n'avez pas d'inquiétude à ce sujet ?

M. Boris Ravignon. - Il n'est pas surprenant que ceux qui sont assujettis à cette taxe cherchent à l'éluder le plus possible... Nous avons un édifice qui menace ruine, de sorte qu'il semble difficile d'en saper un peu plus les fondements. L'Ifer pèse sur l'ensemble des opérateurs télécoms en France et cela n'empêche pas, manifestement, la concurrence entre eux. Je ne sais pas s'il faut s'en plaindre.

Avons-nous les moyens de réussir notre réindustrialisation ? Pour répondre à cette vaste question, nous devons réfléchir aux éléments dont nous avons besoin.

Nous avons besoin d'espace, autrement dit la sobriété foncière est un enjeu.

Nous avons besoin de compétences, notamment de techniciens et d'ingénieurs, car les entreprises peinent parfois à trouver ceux dont elles ont besoin. Si les usines devaient prendre de l'ampleur, il faudrait dès aujourd'hui savoir si nous pourrions répondre aux besoins de main-d'oeuvre qualifiée.

Nous devons également nous demander si nous investissons suffisamment dans la recherche et développement (R&D), notamment dans le secteur privé. En effet, notre R&D reste à un niveau plutôt faible et dépend surtout du secteur public, malgré la mise en place de dispositifs comme le crédit d'impôt recherche (CIR). Nous soutenons l'investissement privé, mais il faudrait sans doute aussi mieux accompagner l'innovation.

Tous ces sujets sont traités dans le cadre de politiques nationales, qui peuvent éventuellement être soutenues et travaillées à l'échelon local avec plus ou moins d'intensité, mais le couple formé par l'EPCI et la région ne pourra pas agir seul ; il faut que l'État s'investisse.

En ce qui concerne l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), nous travaillons à l'échelle des EPCI sur la disponibilité foncière et la reconversion de friches. Dans le Grand Est, nous avons un potentiel de friches à reconvertir qui est assez considérable. Si nous nous en donnons les moyens, les questions de sobriété foncière ne seront pas premières.

Quant à la formation, le sujet implique non seulement les EPCI et les régions, mais aussi l'État.

M. Olivier Henno, président. - Nous vous remercions de ces échanges éclairants.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 25.

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Audition de M. François de Mazières, Maire de Versailles, Président de la communauté d'agglomération Versailles Grand Parc et membre de France Urbaine

M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de l'association France Urbaine, représentée par François de Mazières, maire de Versailles et président de la communauté d'agglomération du Grand Parc de Versailles, et par François Claeys.

Le Sénat a décidé de constituer une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement des services de proximité et de la transition écologique. Ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique.

Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main et en disant « Je le jure ». Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêt.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François de Mazières prête serment.

Je vais donner la parole à notre collègue rapporteur Thomas Dossus, qui va vous présenter les axes de travail de notre commission d'enquête. Ensuite, vous aurez la parole, suivie des questions des collègues et du rapporteur. Je vous remercie.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Nous avons constitué cette commission d'enquête autour de la libre administration des collectivités et des financements des services publics et de la transition écologique, afin de donner une suite aux débats budgétaires de ces dernières années, qui ont été très animés et parfois complexes. Il ressort de ces discussions que les différentes réformes fiscales ont progressivement privé les collectivités de leurs ressources propres, qui sont désormais compensées par l'État, ce qui, en quelque sorte, traduit une forme de recentralisation. En tout cas, c'est ce que l'on pourrait en déduire.

Nous sommes confrontés à une double injonction : d'une part, les collectivités doivent assurer une bonne tenue de leurs comptes ; d'autre part, elles ont des besoins d'investissement qui s'annoncent massifs. C'est ce que les auditions conduites par notre commission ont démontré, en particulier dans le cadre de la transition écologique. Nous aimerions avoir vos retours, en tant que représentant de France urbaine, puisque nous auditionnons toutes les strates de collectivités. Nous sommes intéressés par votre regard sur les réformes successives, leurs impacts sur les finances des collectivités que vous représentez, et vos éventuelles propositions en la matière.

M. François de Mazières, maire de Versailles, Président de la communauté d'agglomération Versailles Grand Parc et membre de France Urbaine. - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, vous posez un problème que tous les élus locaux connaissent bien. Il s'agit du sentiment de perdre leur autonomie et, par conséquent, de perdre ce qui constitue le fondement même de la décentralisation. Il me semble que ce sentiment est partagé de manière quasi unanime.

Pourquoi ? Parce que nous avons le sentiment d'être au bout de la chaîne institutionnelle, et c'est particulièrement le cas du bloc communal. Nous observons une série de désengagements, qu'il s'agisse de l'État ou, parfois, des régions ou des départements, qui sont confrontés à des difficultés financières ce qui finit par avoir des répercussions sur le bloc communal.

Cela entraîne une augmentation des charges, qui peuvent être explicites ou indirectes. Je pense, par exemple, aux dépenses de police souvent évoquées, qui augmentent de façon significative. Je pense également, dans une période de crise sociale, aux dépenses d'accompagnement social. Si les départements sont particulièrement touchés, les communes et les intercommunalités sont également concernées.

Et tout ceci se produit alors que nos recettes et notre autonomie diminuent. La même logique se reproduit sans cesse. Depuis 17 ans en tant que maire, puis président d'une intercommunalité, je constate que c'est un système de compensation. Cela passe évidemment par la « moulinette bercyenne ». La fonction de cette « moulinette », c'est chaque année, d'essayer de récupérer l'argent, et on pense évidemment en récupérer aussi sur les collectivités territoriales.

Prenons l'exemple de la dotation globale de fonctionnement (DGF), dont chacun connaît le principe. Cela correspondait à des compensations suite à des opérations de décentralisation. Et le résultat, c'est que ma commune percevait 20 millions d'euros au titre de la DGF il y a 17 ans, contre moins de 9 millions d'euros aujourd'hui. Le cas de ma commune est loin d'être isolé.

Peut-être me retorquera-t-on que cette situation est également le résultat de la péréquation horizontale. Je ne suis pas opposé à la péréquation dans son principe, mais il y a un moment où, chaque année, une somme nous est attribuée selon une méthode que seule la direction générale des collectivités locales (DGCL) est capable de décrypter. Comment ne pas se sentir déresponsabilisé ? Nous sommes dépossédés de la gestion de nos communes.

La réforme de la taxe d'habitation illustre cette situation, nous subissons des réformes qui réduisent notre capacité d'agit en tant qu'élus locaux. Et ce sentiment de dépossession est très profondément ancré chez les élus locaux. Votre commission d'enquête est une bonne chose pour mettre à plat ces éléments-là.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vous avez évoqué la question des compensations, notamment à travers le sujet de la DGF et de son évolution. D'une certaine manière, cette recentralisation vous a-t-elle vraiment privé d'une prévisibilité dans la conduite de vos finances par rapport aux investissements à venir ? Nous avons constaté que, dans la dernière loi de finances, certains curseurs ont été modifiés, ce qui a engendré des tensions.

M. François de Mazières. - Il est certain que le dernier exercice budgétaire a engendré des tensions avec les collectivités territoriales. En tant que trésorier de France Urbaine, j'ai ressenti personnellement cette tension. Deux projets de loi de finances (PLF) ont été présentés. Le premier a été perçu comme un coup de massue extrêmement violent, avec le sentiment que ce sont toujours les mêmes acteurs qui en subissent les conséquences, notamment les très grandes villes et les intercommunalités.

Ensuite, nous avons travaillé intensément à France Urbaine et au Sénat pour plaider en faveur d'une répartition plus équitable. J'ai eu l'occasion de discuter personnellement avec le président du Sénat, Gérard Larcher, pour défendre une autre approche et une autre répartition de l'effort budgétaire. La seconde version était plus acceptable, mais elle avait tout de même un impact important. Certaines communes, comme Toulouse, ont par exemple vu leur allocation passer de 40 millions d'euros à zéro.

Dans mon intercommunalité, considérée comme aisée, nous avons vu le nombre de communes mises à contribution passer de deux à la totalité des 18 communes, alors que je n'avais estimé ce chiffre qu'à 15. Même si tout n'était pas idéal, il y avait une répartition un peu plus équitable de l'effort de contribution.

La préparation de la loi de finances 2025 a été particulièrement difficile en raison de l'urgence et de la nécessité de revoir les budgets déjà établis. Certes, l'État a découvert un déficit abyssal imprévu. En réaction, l'État a demandé aux collectivités locales de s'adapter, ce qui a été vécu comme une mesure violente. En effet, les communes ne peuvent pas construire un budget en déficit, ce qui constitue une différence notable avec l'État, et doivent gérer leurs finances de manière responsable, car les électeurs ne comprendraient pas une gestion différente. D'autant plus que, désormais, seuls les propriétaires de foncier sont imposables.

Ce sujet, que vous abordez à l'occasion de vos travaux, est pour nous un sujet de préoccupation majeure. Dans certaines communes, plus de 60 % de la population n'est plus en lien direct avec les collectivités. Nous avons tous organisé un nombre significatif de réunions publiques. À chaque fois, nos échanges avaient la même teneur : nos électeurs nous faisaient part de leurs souhaits, et nous ne pouvions pas faire autrement que de les mettre en garde, ces demandes devraient nécessairement être financées par une hausse de la fiscalité. Désormais, cet argument est privé de sa portée, car nous savons qu'il y n'aura peut-être, dans certaines villes, que 50 % de nos électeurs qui seront imposables. Dans d'autres villes, il n'y aura peut-être que 30 % de personnes qui vont être concernées. En termes de déresponsabilisation, cela est tout de même majeur.

Que peut-on dire pour répondre à la demande de création ou d'extension de tout type de services publics ? Cela n'a plus de conséquences fiscales sur notre électorat, ce qui nous renvoie à notre impuissance. Je me souviens que lors des premières campagnes électorales que j'ai eu à mener, des tableaux comparatifs nous permettaient de savoir si nous étions un bon gestionnaire ou un mauvais gestionnaire. Les critères retenus étaient les suivants : en premier lieu, avez-vous augmenté la fiscalité ? Et deuxièmement, avez-vous augmenté votre endettement ? C'étaient les deux critères de comparaison qui faisaient toujours l'objet d'une analyse. Au contraire, avec le système actuel, nous nous trouvons déresponsabilisés puisque le lien entre les élus et les contribuables locaux s'est distendu et que pleuvent sur nous une série de contraintes. La multiplication des normes, on en parle tout le temps, mais c'est notre quotidien.

Nous ressentons profondément le fait de ne plus être en mesure d'être évalués sur nos actions, ce qui m'est personnellement très désagréable. Alors que je prends des risques - j'entreprends la construction d'un équipement municipal -, je suis quasiment jugé sur autre chose que sur mon bilan.

D'ailleurs, nombre de mes collègues ont essayé de ne plus construire de nouveaux équipements. Comment voulez-vous financer une telle opération ? Quel en est l'intérêt aujourd'hui ? Si vous faites construire de nouveaux équipements municipaux, vous ne faites que des mécontents. D'un côté, nos concitoyens ne veulent plus avoir d'immeubles en face de chez eux. Il y a une politique nationale que l'on partage, qui prend en compte les préoccupations liées à l'écologie, assortie d'une revendication très ancrée pour limiter les constructions. De l'autre côté, il y a des besoins : il faut créer des places en crèche, il faut créer de nouveaux services.

Et nous n'avons plus aucune source de financement en face. C'est quelque chose qui a été dramatique. La perte de la taxe d'habitation est un vrai problème, tout de même, cela fait consensus auprès de tous les élus locaux.

Nous essayons de trouver des solutions. France Urbaine avait fait des propositions pour essayer de résoudre ce problème, mais cela nous conduit à créer des montages encore plus complexes. En effet, il faut que nous trouvions des alternatives fiscales qui ne sont pas des prélèvements sur le budget de l'État. Nous sommes donc dans une situation paradoxale où nous risquons de paralyser nous-mêmes notre propre capacité d'action. En fin de compte, nous sommes dans une situation délicate.

M. Olivier Henno, président. - Si le rétablissement de la taxe d'habitation est inenvisageable, quelles sont les autres pistes possibles pour rétablir un impôt local ?

M. Thomas Dossus, rapporteur. - J'aimerais vous interroger sur l'évolution possible du rapport entre l'État et les communes ou les autres collectivités. L'État a beaucoup récupéré, notamment sur les compensations. Si l'on devait faire évoluer ce rapport, quelle forme cela pourrait-il prendre ? Nous avons également le mauvais souvenir des contrats de Cahors et de cette forme de contractualisation qui n'en était pas vraiment une. Comment pourrait-on améliorer les relations entre l'État et les collectivités, notamment sur les questions financières, qui sont encore bloquées ?

M. François de Mazières. - Il faut que ce cadre soit plus transparent et plus simple. Aujourd'hui, les systèmes de péréquation sont totalement opaques. La péréquation doit faire l'objet d'une évaluation du point de vue de la redistribution qu'elle permet. Aucune analyse de ce type n'est menée aujourd'hui.

J'ai proposé, dans le cadre de l'Observatoire des Finances et de la gestion publique locales (OFGL), d'entamer une réflexion sur le système de péréquation, proposition qui a été approuvée par l'ensemble de mes collègues. Parce qu'il me paraît acceptable d'être prélevé, sur une période de deux ou trois ans, au profit d'autres collectivités bénéficiaires. Mais lorsque cette contribution se prolonge sur plus de dix ans, cela me paraît plus contestable. La péréquation a tout de même, au fil du temps, permis une redistribution : il convient donc d'évaluer l'efficacité et l'éventuel effet de correction qu'elle a permis. Il me semble injuste que la péréquation conduise à restreindre les investissements des collectivités contributrices.

La première des choses, c'est la simplicité. La simplicité, cela signifie éviter de toujours repasser par la « moulinette » de l'État qui va décider pour les autres, parce qu'en réalité, c'est toujours ce qui se passe. L'État a créé un comité auquel participent des élus ce qui lui permet de dire que « cela a été fait en concertation avec les collectivités territoriales ». Pour participer efficacement à ce comité, il faut y passer du temps. Vous savez ce que c'est que la vie d'un élu local. On a un nombre très élévé de dossiers à gérer et donc une disponibilité réduite. Et en plus, si on n'est pas sur le terrain, on est un mauvais élu. Donc, il y a un moment, il faut ralentir le rythme des réformes et faire le choix de la simplicité. Et ce qui est dommage dans la taxe d'habitation, c'est qu'elle était simple. C'était quelque chose de connu depuis des décennies. Et finalement, dans un temps bref et sans véritable concertation, on supprime 60 milliards de recettes que l'on va retrouver finalement dans le déficit de l'État.

Si les élus locaux pratiquaient une gestion de la sorte de leurs collectivités, ils pourraient difficilement espérer être réélus. La difficulté majeure provient aujourd'hui de l'accumulation ininterrompue des réformes. Il nous faut de la stabilité ; les élus doivent être traités en tant que personnes responsables et les ajustements du point de vue des ressources ne doivent intervenir qu'à la marge.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Concernant la transition écologique, les stratégies de l'État sont parfois construites en association avec des interlocuteurs locaux, et prévoient des investissements massifs de la part des collectivités. Les chiffres varient, mais les estimations des besoins en investissement pour la transition écologique se situent entre 12 et 20 milliards d'euros par an. Cela correspond à un doublement des investissements dans ce secteur pour les collectivités. Comment, à France Urbaine, envisagez-vous de relever ce défi en termes d'investissement et comment construisez-vous des perspectives à cet égard pour y parvenir en termes de prévisibilité budgétaire ?

M. François de Mazières. - D'après les statistiques nationales, le montant des investissements atteint environ 8 milliards d'euros, alors que le rapport Pisani-Ferry fait état d'un besoin à hauteur de 19 milliards d'euros. L'écart est important et, en l'état, nous ne sommes pas en mesure d'atteindre cet objectif. Je dirais que nous serons encore moins en mesure de fournir l'effort nécessaire en 2025-2026 qu'aujourd'hui. En effet, alors que nous sommes confrontés à un mur de dépenses et que nous avons éprouvé des difficultés pour terminer l'exercice 2025, les décisions nationales sont venues amoindrir notre capacité d'autofinancement.

Dans ma ville, on essaie depuis des années de ne pas augmenter la fiscalité. Nous essayons de valoriser au maximum notre patrimoine. Lorsque je vois la gestion du patrimoine de l'État, je suis consterné. Je visitais encore hier un bien de l'État laissé à l'abandon pendant 15 ans. La logique du ministère des Finances consiste à vendre le plus cher possible des biens qui se trouvent dans un état dégradé. J'ai dû mener plusieurs opérations de conservation du patrimoine en tant que maire ; aussi, nous estimons ne pas avoir de leçons à recevoir en la matière.

Pour financer ce mur d'investissements auquel nous devons faire face, alors que notre capacité d'autofinancement est en train de diminuer, il n'y a aura pas de miracle, sauf à ce qu'il y ait une reprise économique, que l'on peine à voir advenir.

Les départements doivent parallèlement faire face à une chute vertigineuse des recettes provenant des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Si dans ma ville, ces recettes sont passées de 10 à 5 millions d'euros par an, c'est aussi en raison de la politique en matière de logement qui, en imposant une accumulation de contraintes diverses et variées, a découragé la construction. J'ai reçu des témoignages de plusieurs de mes collègues en ce sens. Pour permettre de nouvelles rentrées fiscales via les DMTO, il faut que le secteur du logement redevienne dynamique, ce qui implique une reprise économique.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur les outils que l'État a mis en place à cet effet, par exemple le Fonds vert ?

M. François de Mazières. - S'agissant du Fonds vert, nous avons tous été déçus par l'écart entre les sommes annoncées, de l'ordre de 2,5 milliards d'euros, et l'abondement auquel nous avons abouti aujourd'hui, qui s'établit à 1 milliard d'euros seulement. Nous fondions pourtant beaucoup d'espoir sur cet instrument, en faveur duquel nous avions beaucoup plaidé.

Au niveau de France urbaine, nous cherchons à dégager des priorités, notamment s'agissant des écoles. Les écoles sont des gouffres financiers en matière d'investissement si l'on veut les mettre aux normes environnementales. Parce que de nombreuses écoles datent des années 1970 et sont un peu des « passoires thermiques ». Ma ville compte 35 écoles et je ne suis pas en mesure de procéder à toutes les rénovations nécessaires.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Le fait de les rénover amortit également une certaine dépense.

M. François de Mazières. - Cela ne suffit pas. L'amortissement s'effectue sur le très long terme ; or nous avons des échéances et nous sommes jugés sur le niveau d'endettement. Je suis sceptique quant à l'injonction à s'endetter pour financer ces dépenses, car l'endettement nous coûte cher et réduit encore notre capacité d'autofinancement. Pour ma part, j'évite de faire une politique similaire à celle de l'État, en acceptant un fort endettement au prétexte des recettes futures qu'il pourra générer. Ce n'est pas ainsi qu'on gère une ville, nous le savons bien.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Lorsque les communes ou les départements ont inscrit toutes leurs dépenses incompressibles - si l'on tient compte de la baisse des dotations de l'État, de l'inflation et de tout ce qui s'y est greffé -, elles dégagent une épargne nette qui est nettement en baisse par rapport à tout ce que l'on a pu connaître. C'est un fait.

Et donc, s'il y a moins d'épargne nette, il y a moins d'investissement. Et s'il y a moins d'investissement, c'est toute l'économie locale qui s'en ressent. Il est encore difficile de franchir le cap de la transition écologique.

Vous évoquiez la rénovation des bâtiments scolaires. Nous savons que la rénovation d'un bâtiment scolaire coûte au minimum 2 millions d'euros, tandis que le retour sur investissement n'est pas immédiat. Mais l'investissement, il faut le faire aujourd'hui, même s'il y a un différé possible.

La situation des départements est particulièrement préoccupante : aujourd'hui, ils ne dégagent plus du tout d'épargne nette et vont devoir rembourser leurs emprunts. Un investissement va amortir le capital de leurs emprunts avec des emprunts. Cela s'appelle de la cavalerie...

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur la DGF ? Faut-il la réformer ?

M. François de Mazières. - Comme je vous l'indiquais, nous avons l'impression d'être lésés par les règles d'attribution de la DGF : le montant qui nous est attribué annuellement baisse inexorablement parce que la part de la péréquation augmente.

D'autres élus ont des expériences différentes, mais la plupart font le même constat : leur DGF baisse inexorablement. Il y a donc un vrai malaise à ce sujet.

Le sentiment est que les engagements initiaux ont disparu. Et chaque fois que l'on voit finalement la substitution d'un impôt directement géré par les collectivités, où les taux sont déterminés par les élus, par une part de TVA, on constate que c'est la même mécanique.

Alors que nous étions censés bénéficier de la dynamique de cet impôt, la loi de finances a gelé le montant de recettes de TVA versées aux collectivités. Cette mesure ne correspond pas aux engagements initiaux.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Ce que vous dites, c'est que l'État est incapable de tenir ses engagements ?

M. François de Mazières. - Nous le savons, surtout dans une période de crise.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - C'est évident. Nous avons aujourd'hui de nombreuses strates de collectivités en France, avec un millefeuille de plus en plus complexe, et des compétences qui se croisent.

Si vous deviez désigner un échelon qui remplirait un rôle de stratège ou d'organisateur des investissements dans la transition écologique, cela serait l'intercommunalité, la commune ou la région ? Quel regard portez-vous sur ces investissements-là ?

M. François de Mazières. - Nous sommes une association du bloc communal. Les régions, surtout depuis la réforme portant création des grandes régions, connaissent, semble-t-il, une vraie difficulté à avoir une fine connaissance des problématiques de l'ensemble des communes.

Le niveau communal et intercommunal se prête mieux à cela. Tout dépend de la logique dans laquelle on se situe, que ce soit celle du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) ou du plan local d'urbanisme (PLU) communal, car cela influe grandement sur la situation.

Personnellement, j'ai privilégié cette approche, car chaque localité a sa propre vision des choses, qui diffère grandement selon que l'on se trouve dans une région rurale où les petites communes ont une capacité d'action effective. Dans ce cas, l'intercommunalité paraît être l'échelon le plus adapté.

Dans une intercommunalité comme la mienne, composée de 18 communes avec des communes charpentées, nous sommes restés dans la logique du PLU. Il est clair que cette approche est étroitement liée à la gestion de l'urbanisme.

Je privilégierais donc vraiment le niveau communal. Et lorsque l'on a un PLUi, je privilégierais plutôt le niveau intercommunal. Je tiens à préciser que je ne parle pas au nom de mon intercommunalité, car nous n'en avons pas discuté ensemble. Je parle au nom de ma propre expérience.

- Présidence de Mme Corinne Féret, vice-présidente -

Mme Corinne Féret, présidente. - Je voudrais vous interroger sur les services publics de proximité. On observe, dans certains domaines, notamment celui de la santé, qui était une compétence exclusive de l'État, que l'État s'est désengagé de nos établissements de santé et, surtout, de l'accès aux soins. De plus en plus de collectivités s'engagent, notamment les intercommunalités, en créant des pôles de santé ou des maisons de santé.

Dans ma région, elles investissent un euro quand l'État fait de même, et pour les grosses structures, la région participe également à cet investissement. Comment voyez-vous les choses ? Je vous cite cet exemple en matière de santé. Mais quel serait, selon vous, l'échelon le plus adéquat pour prendre en charge ce que l'État ne prend plus en charge et intervenir au niveau des services publics ?

M. François de Mazières. - La décentralisation a été réussie pour les lycées et les collèges : la répartition entre les régions et les départements est claire, nette. Finalement, ces collectivités ont investi parce qu'elles se sentent directement responsables. C'est un exemple intéressant, car c'est une vraie réforme de décentralisation. Et elle est presque le contre-exemple de ce qui se passe actuellement et de ce qu'il faut faire.

Aujourd'hui, tout le monde intervient sur tout. Cette situation est totalement déresponsabilisante. La question de la santé que vous évoquez illustre bien ce phénomène, cette logique de concurrence, et je trouve cette tendance très inquiétante.

La politique de la petite enfance m'inquiète beaucoup. Alors même que nous nous trouvons dans une situation extrêmement délicate aujourd'hui financièrement, l'État décide de la création d'un service public de la petite enfance. Les crèches privées sont en difficulté ; elles étaient pourtant considérées comme un moyen de pallier le problème du coût des crèches.

Si un service public de la petite enfance est localisé sur la ville, est-ce qu'on va bien avoir toutes les ressources ? Mais c'est un service public, débrouillez-vous. Je fais le parallèle avec le domaine de la santé ; nous avons le sentiment que nos responsabilités ne font que s'accroitre alors que nos moyens de les exercer se réduisent.

Ce phénomène de concurrence est également perceptible en matière de police.

Mme Marie-Claude Varaillas. - On ressent davantage les problèmes de santé dans la ruralité, notamment dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), où un praticien qui s'installe perçoit 50 000 euros. Il est clair que cela crée une sorte de conflit entre les communes. La commune située en ZRR pourra accueillir le médecin, tandis que les autres ne le pourront pas.

Tous ces transferts de compétences n'ont pas été voulus par les collectivités locales. Les départements, les communes et les intercommunalités créent des centres de santé ou des maisons de santé en raison de la carence de l'État, et non parce qu'elles ont réclamé cette compétence.

Dans mon département, 23 000 personnes n'ont plus de médecin traitant. Les médecins actuels ne prennent plus de nouveaux patients. Les collectivités sont ainsi sommées par la population de prendre des mesures. Partagez-vous ce constat ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - Pour compléter, il y a une différence fondamentale entre ce que vous avez évoqué, à savoir le transfert des lycées et des collèges, qui a été réalisé à l'époque avec les moyens afférents, et la situation actuelle, où l'on transfère discrètement la charge.

J'ai reçu hier un courrier d'une commune du département voisin, de la part d'un médecin qui part à la retraite et qui met en cause l'équipe municipale. Il estime que les élus sont responsables de la pénurie d'offres de soins en raison, peut-être, de réajustements de loyers. Il est clair que, vis-à-vis de la population, ce sont les élus qui sont responsables de cette pénurie. Vous rendez-vous compte ? Pourtant, à la base, c'est la responsabilité de l'État qui est en cause.

Je reviens sur le sujet de la fiscalité, notamment des dynamiques fiscales qui sont désormais quasi exclusivement liées au foncier. Comment voyez-vous évoluer, notamment dans les zones urbaines, la politique de logement et la politique d'urbanisme ? Comment voyez-vous l'évolution des recettes potentielles, qui sont aujourd'hui quasiment corrélées au foncier, hormis les révisions de base qui ont été réalisées et qui ont apporté un peu d'air à beaucoup de communes ? Quels outils imagineriez-vous ? Il y a une réflexion autour notamment du ZAN et de son évolution. D'ailleurs, le volet fiscal n'a pas été traité. Il est en suspens, alors que c'est sans doute le nerf de la guerre des prochains mois.

M. François de Mazières. - Il s'agit effectivement d'une vraie préoccupation que nous avons. Je perçois une évolution très dangereuse en matière de logement. Il y a ce double phénomène de « on ne veut plus de logement » et « il n'y a plus d'incitation ». Nous sommes dans une logique de valorisation, notamment dans les villes, qui nous amène à ne plus vouloir de logement. Nous avons en outre une justification : il faut réduire la pollution.

Nous avons également une vraie préoccupation s'agissant des diagnostics de performance énergétique (DPE). Ces DPE ont, en quelque sorte, abouti à sacrifier des centaines de milliers de logements. Dans ma ville, c'est très clair, car il y a un risque de voir le locataire se retourner vers le propriétaire en lui reprochant de lui avoir loué un logement qui n'est pas conforme à ces normes. Aujourd'hui, dans ma commune, les syndics conseillent aux propriétaires de ne pas louer, ce qui accroît le nombre de logements vacants. Cela se produit parce qu'on n'a pas pris en compte le fait qu'un logement ancien est parfois très bien adapté aux problèmes de la lutte contre le réchauffement climatique, mieux que des logements contemporains. Mais comme le mode de calcul ne l'intègre pas du tout, il s'agit d'un type de réformes dont on ne voit pas immédiatement l'impact. Si on avait pris en compte, dès le départ, que les logements anciens nécessitent une approche différente pour évaluer les DPE, ces effets de bord auraient sans doute été moins nombreux. La situation est aujourd'hui très tendue. L'accumulation de ce type de réformes bien intentionnées brise peu à peu la logique, la dynamique de construction.

Un élément de réponse et de simplification réside peut-être dans une meilleure prise en compte de la réalité : on n'estime pas le patrimoine ancien avec les mêmes DPE. On est en train de s'en rendre compte, mais deux ans plus tard. Le ministère de la culture a publié une circulaire pour autoriser des dérogations, notamment, par exemple, dans tous les espaces patrimoniaux. Un autre point concerne le fait que 70 % des Français veulent de l'habitat individuel. Cette demande ne peut pas être balayée d'un revers de la main au motif qu'elle aurait des conséquences en termes d'étalement urbain. Il s'agirait là d'un raisonnement un peu simpliste.

Il est possible de construire de l'habitat en bande, qui peut prendre la forme de maisons. L'Angleterre est spécialisée dans ce domaine. La densité n'est pas si mauvaise que cela. On plaque ainsi des raisonnements qui aboutissent à sacrifier une dynamique. Si on prenait le temps de la réflexion, on n'aurait peut-être pas brisé la dynamique de la construction et on l'aurait adaptée. Chaque ville étant différente, chaque ville a plus ou moins une obligation de densification. Évidemment, si on est au coeur d'une ville, on va construire des immeubles. Mais si on est à la proximité, on n'est pas soumis à cette nécessité. C'est ce type d'approche qui me paraît la plus pragmatique par rapport à votre question.

Pour finir, je considère les prêts à taux zéro comme un bon dispositif. Car, au fond, le prêt à taux zéro correspond bien aux aspirations des Français, qui est de devenir propriétaire et d'accéder à la propriété. Il s'agit d'une réforme qui peut avoir un levier, car elle génère in fine des recettes fiscales.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Nous avons évoqué l'urbanisme et donc les objectifs d'artificialisation. Concrètement, à quel stade êtes-vous par rapport aux 50 % dans votre ville ?

M. François de Mazières. - Nous sommes dans une situation assez particulière, car nous sommes une zone ultra protégée. La présence du château de Versailles fait l'objet d'une dérogation législative, ce qui confère une protection particulière à 5 000 mètres carrés autour du château. Lorsque nous avons été chargés de réaliser ces calculs très complexes, qui ont pris un temps considérable, nous nous sommes aperçus qu'il y avait énormément de zones qui étaient déjà totalement protégées d'une façon ou d'une autre. Nous avons donc pu les réaliser sans trop de difficultés. C'est très différent, je le sais, dans d'autres endroits.

Mme Corinne Féret, présidente. - Il me reste à vous remercier. Votre conception de l'équilibre entre l'urbain et le rural m'intéresse.

M. François de Mazières. - J'ai eu l'occasion de travailler sur les questions d'architecture et de patrimoine, notamment en présidant la Cité de l'architecture et du patrimoine à Paris. Actuellement, j'organise une grande biennale d'architecture et de paysage. La troisième biennale, principale manifestation française sur ces thématiques, se tiendra à partir du mois de mai à Versailles, ville où se conjuguent construction et préservation de l'environnement. C'est dans l'ADN de notre ville.

Je pense que l'urbain a un rôle de centralité, mais le rural a un rôle tout aussi essentiel, notamment pour nourrir la ville. Il faut garder à l'esprit cette dimension. Lorsque j'ai organisé des expositions, j'ai demandé à Alexandre Chemetoff, grand paysagiste, de mettre en valeur la dimension de la terre nourricière à l'extérieur des villes. C'est ainsi que je conçois l'articulation entre ville et monde rural. C'est ce que nous essayons de faire dans mon intercommunalité, en préservant des terres, comme le grand projet de Saclay, qui est à la fois passionnant et situé sur des terres parmi les plus riches de France. Un texte législatif a préservé 2 400 hectares pour éviter le grignotage.

Je trouve cette approche intéressante, qui consiste à concilier un grand projet urbain avec la préservation des terres. Même si le projet de Saclay est intéressant, avec la concentration de grandes universités et écoles, il fallait préserver ces terres. Pour répondre à votre question, c'est un rapport indissociable entre la ville et le monde rural, et il faut que les deux s'épaulent.

Mme Corinne Féret, présidente. - Je vous remercie pour votre intervention.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 20.