Jeudi 30 janvier 2025
- Présidence de M. Bernard Delcros, président -
Matinée de sensibilisation à la simplification des normes pesant sur les collectivités territoriales
M. Rémy Pointereau, premier vice-président délégué, chargé de l'évaluation et de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. - M. Bernard Delcros, président de notre délégation, vous prie de l'excuser : il participe ce matin à la commission mixte paritaire examinant le projet de loi de finances. Je vous donne lecture du discours qu'il avait prévu de prononcer ce jour :
Mes chers collègues,
Comme je vous l'ai indiqué lors de notre précédente réunion, notre délégation va poursuivre en 2025 son action en matière de simplification des normes pesant sur les collectivités territoriales.
Je rappelle que notre délégation a reçu du Bureau du Sénat, en 2014, une compétence spécifique concernant cette mission de simplification. Elle m'a été confiée.
Les élus nous le disent, sondage après sondage : la simplification des normes demeure nettement en tête de leurs priorités. En effet, l'inflation normative complexifie les projets locaux, en retarde la réalisation et en augmente significativement le coût. Nous en sommes toutes et tous convaincus : seule une forte volonté politique permettra d'améliorer la situation. C'est pourquoi, à la suite du rapport sur l'addiction aux normes, signé par Françoise Gatel et moi-même, en janvier 2023, la délégation a organisé les États généraux de la simplification, clôturés par la signature historique, par le Sénat et le Gouvernement, d'engagements communs pour la simplification des normes applicables aux collectivités locales.
Puis la délégation a accueilli au Sénat, le 4 avril 2024, les rendez-vous de la simplification, en présence notamment du Président du Sénat, du Premier ministre, du Conseil d'État, de la secrétaire générale du Gouvernement et du président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN).
Cette impulsion commence à produire des premiers résultats concrets et je veux ici en citer quelques-uns :
- le CNEN est nettement moins saisi en urgence par le Gouvernement ;
- les liens entre le Sénat et le CNEN ont été renforcés, ce qui permet d'améliorer la fabrique de la loi. Ainsi, notre assemblée a créé une fonction de veille et d'alerte au service des commissions permanentes (Cassiopée) et nous insérons désormais l'avis du CNEN dans le dossier législatif du Sénat.
Pour approfondir cette démarche, j'ai souhaité, dès ma prise de fonction comme président, lancer d'importants travaux, en accord avec le Bureau de la délégation :
- nous avons tout d'abord réalisé notre première étude d'options. Elle permet de comparer les mérites de l'intervention d'un texte avec les autres solutions possibles, y compris le maintien du droit en vigueur. Nous avons choisi d'appliquer cette nouvelle méthode à un objet important : la santé scolaire et son éventuel transfert aux départements. Le rapport, signé par notre collège Hervé Reynaud, vient d'être publié ;
- ensuite, nous avons lancé une mission flash sur le pouvoir préfectoral de dérogation. Le rapport de Guylène Pantel et moi-même sera présenté à la délégation le 13 février ;
- parallèlement, la délégation a lancé une consultation, afin de recueillir l'avis des élus locaux sur des propositions concrètes de simplification ;
- enfin, la délégation lancera, dans quelques semaines, une mission sur les surcoûts de construction pour les collectivités territoriales liés aux normes.
Toute cette matière issue du terrain va nous aider à préparer les « Assises de la simplification », qui se tiendront au Sénat, le jeudi 3 avril 2025.
J'insiste sur un point : ce travail doit aboutir à des résultats concrets et nous ne devons pas nous interdire, bien au contraire, de déposer, en bonne synergie avec les commissions, des propositions de loi pour simplifier l'action des collectivités.
Voilà qui suffit, je crois, à planter le décor de nos travaux.
Lecture d'un message de M. Gérard Larcher, Président du Sénat, par M. Rémy Pointereau :
Je regrette de ne pouvoir être parmi vous aujourd'hui et je remercie le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de vous faire parvenir ce message.
La matinée d'aujourd'hui est un rendez-vous important, qui s'inscrit dans le cadre de la charte de simplification que nous avons signée avec le Gouvernement, en partenariat avec le CNEN et l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), le 26 mars 2023.
Je salue d'ailleurs l'important travail de la délégation qui en est à l'origine. La délégation suit particulièrement ce sujet et a publié de nombreux rapports dans ce domaine, dont celui intitulé « Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! » en 2023, avec l'ancienne présidente de la délégation, Françoise Gatel.
Depuis 2023, de nombreuses actions ont été menées par le Sénat, et tout spécifiquement la délégation aux collectivités territoriales, pour diminuer ces normes qui entravent l'action des élus locaux. En effet, il n'est pas un déplacement que je fasse, un congrès auquel je participe, où les élus n'évoquent pas des normes qui s'imposent à eux et les empêchent d'agir.
Des normes toujours plus nombreuses : lors de la signature de la charte en 2023, les exemples donnés par les différents interlocuteurs étaient édifiants : en dix ans, le nombre de mots dans le code de l'urbanisme a augmenté de 40 % ; ceux dans le code général des collectivités territoriales (CGCT) ont triplé en vingt ans ; quant à ceux du code de l'environnement, ils ont été multipliés par dix durant la même période.
Des normes qui sont aussi parfois contradictoires et qui entraînent des injonctions contradictoires chez les élus locaux, qui ne savent plus comment trouver les solutions pour développer leur territoire et répondre aux attentes de leurs concitoyens. Il en est ainsi du Zéro Artificialisation Nette (ZAN), qui entre en opposition avec la volonté de réindustrialiser notre pays ou de répondre aux obligations que les communes ont en matière de construction de logements sociaux.
Des normes également très coûteuses. Le CNEN a ainsi estimé, en 2022 et 2023, à 4,1 milliards d'euros leur application pour les collectivités.
Des normes qui s'immiscent dans tous les domaines : il en est ainsi de nos agriculteurs, de nos entreprises et des particuliers.
Il convient donc de réduire la production normative au moment de la fabrique de la loi - car nous sommes tous responsables de la production de normes : c'est l'enjeu de cette matinée de sensibilisation, afin que chacun d'entre nous prenne conscience des enjeux qui découlent du travail que nous menons.
C'est dans ce but également que la délégation a développé des outils comme Cassiopée, qui permet de relayer et contextualiser les avis négatifs émis par le CNEN sur les projets de textes dont il est saisi. Des avis qui désormais, d'ailleurs, font partie intégrante du dossier législatif lorsqu'un texte est examiné.
Il convient aussi d'aller plus loin et de s'attaquer au stock des normes : des annonces ont été faites par les Premiers ministres successifs. Le contexte national d'instabilité gouvernementale n'a pas permis de les concrétiser. J'espère que nous y parviendrons rapidement.
Tout comme il convient d'adapter les normes aux territoires, car certaines spécificités méritent un regard particulier : c'est tout l'enjeu, d'ailleurs, du pouvoir de dérogation du préfet, que la proposition de loi sénatoriale visant à rendre le pouvoir d'agir aux élus locaux propose d'élargir, et que vous allez aborder ce matin. Je salue la présence du délégué interministériel à la transformation publique, qui interviendra sur ce sujet.
Vous le voyez, la tâche est ardue, mais si nous voulons répondre aux attentes des élus locaux, des acteurs économiques et de nos concitoyens, nous devons en faire le fil rouge de notre action.
Le 3 avril prochain, à l'occasion des deux ans de la charte de simplification, une matinée de travail en présence, je l'espère, du Premier ministre, permettra d'annoncer des mesures concrètes de simplification.
M. Gilles Carrez, président du CNEN. - J'aimerais tout d'abord vous dire à quel point je suis heureux d'être parmi vous ce matin. Le CNEN oeuvre en relation étroite avec le Sénat, le plus efficacement possible. Mon prédécesseur à la présidence du CNEN, Alain Lambert, était d'ailleurs sénateur. Je m'efforce, depuis un an, d'obtenir des avancées en matière de lutte contre l'inflation des normes, à l'Assemblée nationale, mais sa dissolution y a rendu tout travail extrêmement difficile. De fait, aucune charte de simplification ou de lutte contre l'inflation des normes n'y a été signée. Ceci renforce, par contraste, l'importance du travail mené au Sénat.
Le CNEN a vu le jour, en 2009, en tant que simple commission au sein du comité des finances locales, que je présidais. Alain Lambert y a conduit, à sa présidence, un travail tellement convaincant que cette commission a été érigée en conseil autonome, en 2013. Un débat a porté à l'époque sur sa constitution en tant qu'autorité indépendante ou en tant qu'instance de coopération et de dialogue entre les élus locaux et l'État. Je ne vois pas très bien comment aurait pu fonctionner une autorité indépendante. Il importe de saisir à bras-le-corps le sujet de la production excessive de normes dans le cadre d'un dialogue entre les élus et l'État. Cette concertation a lieu au sein du Conseil national, dans une assemblée de trente-six membres, composée de neuf représentants de l'État, quatre parlementaires (deux sénateurs et deux députés) et vingt-trois élus locaux - essentiellement des maires ou présidents d'intercommunalités, mais aussi des représentants des régions et des départements. Tous oeuvrent dans un esprit convergent. Le CNEN assume un rôle purement consultatif. Les trois quarts des avis qu'il rend sont favorables, quoique parfois assortis de réserves, éventuellement prises en compte.
L'origine de l'inflation normative est d'abord législative. Les lois et textes d'application de ces lois créent le corpus de normes. Les décrets autonomes ne représentent plus que 2 % des décrets. Or le principe selon lequel la promulgation d'un décret suppose l'abrogation de deux autres ne s'applique qu'à cette faible minorité de décrets autonomes.
Nous sommes confrontés au problème suivant : les lois deviennent de plus en plus longues et détaillées. Le Gouvernement en est responsable, car lui-même propose des textes de loi excessivement longs et détaillés. Leur volume double ou triple ensuite en proportion des amendements proposés par le Sénat ou l'Assemblée nationale. La loi ALUR, la loi ELAN ou encore la loi Climat et résilience en fournissent de parfaites illustrations. À titre d'exemple, la loi Climat et résilience détermine le nombre d'arbres à planter sur la moindre aire de stationnement ou, à défaut, les caractéristiques des ombrières artificielles à y installer. Nous voilà bien loin des intentions de la loi telle que la concevait Portalis en 1804.
Nous devons nous astreindre à construire des lois plus sobres. 40 % de la production normative annuelle concerne les collectivités territoriales. En 2023 ou 2024, ce pourcentage correspondait à 200 à 230 textes, contre 300 à 350 à l'époque où Alain Lambert présidait le CNEN. Nous devons nous montrer plus restrictifs dans l'approche de la loi.
Une chose m'étonne : une réforme constitutionnelle a introduit, en 2003, le pouvoir réglementaire local dans le domaine des compétences décentralisées telles que l'urbanisme ou encore le logement. Or pas un seul texte, depuis vingt ans, n'a prévu des applications en termes de pouvoir réglementaire local. Les dispositifs réglementaires demeurent ainsi extrêmement centralisés. La propension du législateur à vouloir tout détailler vient de sa crainte de ne pas voir pris en compte les problèmes auxquels il s'efforce de remédier.
J'attire votre attention sur l'absence de tout garde-fou contre l'empiétement du législatif sur le réglementaire. Au sein du Parlement lui-même, les présidents de commission répugnent à refuser l'amendement d'un collègue, au motif que cet amendement est réglementaire. Jean-Louis Debré n'hésitait pourtant pas à en refuser, à l'époque où il présidait l'Assemblée nationale. Les temps ont changé.
En tant que président de la commission des finances, je me suis appuyé sur l'article 40 pendant cinq ans. Ne pourrions-nous pas recourir à cet article pour éliminer les amendements ayant des incidences financières, directes ou indirectes, sur les collectivités locales ? Le Conseil constitutionnel est devenu expert en matière de cavalier législatif. Pas un seul n'échappe à son attention. En revanche, il laisse passer les amendements réglementaires. Pire encore, il a produit, à propos de la question des compétences, une jurisprudence négative, relevant les cas où le législateur aurait dû s'emparer du sujet, notamment en matière de fiscalité, alors que cela n'a pas été le cas.
Mon discours comporte une part d'autocritique. Un certain climat de défiance se fait jour, vis-à-vis de l'administration. Nous touchons là à un autre sujet. J'ai été maire de 1992 à 2016. J'ai noté une dégradation de la relation des maires à l'État. Au début de mon mandat, je réglais les problèmes touchant au Plan d'Occupation des Sols (POS) avec le préfet. Puis, celui-ci s'est peu à peu défaussé sur des directions régionales ne dépendant pas de lui, sur lesquelles il n'exerce aucune autorité. Quand il s'agit d'interpréter un détail, le préfet sollicite à présent une autorisation auprès du préfet de région, qui s'adresse à l'administration centrale, de sorte que, six mois plus tard, le problème n'est toujours par résolu.
Monsieur Pointereau a souligné l'importance de passer à des mesures concrètes. Le CNEN oeuvre dans un esprit de partage, refusant toute centralisation supplémentaire. Nous nous préoccupons de l'applicabilité des textes sur le terrain. À titre d'exemple, nous avons récemment rendu un avis défavorable sur un texte touchant à la digitalisation de certaines autorisations de construction, inapplicable dans beaucoup de petites communes. Il importe de prendre en compte l'immense diversité de nos territoires. Une nouvelle approche intéressante consisterait à laisser le pouvoir réglementaire local se développer en promulguant des lois qui se contenteraient d'énoncer des principes généraux. Le CNEN éprouve une grande méfiance à l'encontre des normes nationales.
Je me suis toujours battu, en tant que rapporteur général, contre le zonage du Prêt à Taux Zéro (PTZ), bien qu'il présente un intérêt manifeste pour l'accession à la propriété sur des terrains peu onéreux. Dans de petites communes, le PTZ ne sert pratiquement à rien, si ce n'est à entretenir l'inflation par un déséquilibre entre offre et demande. Traitons tous les territoires de la même manière et laissons le pouvoir local apprécier chaque situation. Je ne sais quand sera adoptée une politique de décentralisation du logement, bien qu'elle me semble indispensable pour résoudre les problèmes dans ce domaine.
Le CNEN a engagé un travail, qui s'annonce difficile, sur l'urbanisme et le logement. Il consiste à identifier les passages du code susceptibles d'être supprimés. Une première étape passera par une saisine, par le Premier ministre, du Conseil d'État, afin d'identifier les parties du code à examiner dans cette optique d'élagage, à propos du Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT), du POS ou encore de procédures complexes de ZAC (Zones d'Aménagement Concerté). Le Conseil d'État lancera alors une sorte de mission flash de deux à trois mois. Fort de son expérience en tant qu'organe d'avis pour le Gouvernement, il énoncera des propositions de simplification, que reprendront le CNEN, des associations d'élus et des délégations parlementaires, selon une approche réglementaire consistant à fusionner ou supprimer certaines dispositions. Une deuxième approche de délégalisation la complétera. Le Conseil constitutionnel, quand il examine la loi, n'a pas le temps de s'intéresser à tout ce qui touche au réglementaire. Les procédures de délégalisation passent par un examen du Conseil d'État, à l'initiative du Gouvernement, qui s'adresse ensuite au Conseil constitutionnel. Celui-ci s'y montre extrêmement réactif et réceptif. Depuis 1958, il a donné son accord à 90 % des centaines de procédures de délégalisation qu'il a examinées. Repartir vers un dispositif législatif manquerait en revanche d'efficacité. Nous dresserons un bilan de nos démarches dans six mois.
À vrai dire, nous sommes en proie à une sorte de schizophrénie. Dans nos discours, nous préconisons une lutte contre l'inflation normative, mais, dans la pratique, les normes ne font que proliférer.
M. Rémy Pointereau. - Il me revient de présenter les résultats de la consultation portant sur la simplification des normes pesant sur les collectivités territoriales. Cette consultation a eu lieu entre novembre et décembre 2024. Nous avons recueilli 2 600 réponses. La prolifération des normes est avant tout d'origine législative. Aussi, en tant que parlementaires, en sommes-nous responsables. Notre souci d'entrer dans les détails dans la rédaction des lois pose un réel problème. Le pouvoir de dérogation aux normes accordé au préfet me semble une bonne solution pour s'adapter aux territoires.
Les élus sont environ 60 % à ressentir une aggravation de la complexité des normes depuis trois ans. Ce chiffre est évidemment préoccupant. L'ancienneté du mandat n'y change rien. Une lueur d'espoir se fait toutefois jour : lors de la précédente consultation, ce pourcentage atteignait 80 %. La perception de la complexité s'est donc quelque peu estompée. Je ne sais s'il faut attribuer ce recul à la charte signée par le Sénat et le Gouvernement.
La machine à produire des normes ne s'est pas arrêtée pour autant, comme l'illustre l'inflation des codes de l'environnement et de l'urbanisme. Quelques paroles d'élus, recueillies lors de la consultation, illustrent leur exaspération. Deux tiers des répondants estiment que les normes ont eu des conséquences négatives sur les projets locaux, tels que des surcoûts, des modifications, des reports, voire des abandons purs et simples. Les élus s'estiment assez mal accompagnés par l'État pour résoudre les difficultés qu'ils rencontrent. Sans doute la situation varie-t-elle d'un département à l'autre. Quoi qu'il en soit, le droit de dérogation aux normes du préfet apparaît insuffisamment utilisé.
À l'instigation de notre collègue Didier Mandelli, nous avons demandé aux élus s'ils étaient favorables à la mise en place, à la Préfecture, d'un guichet unique. Près de 80 % ont répondu par l'affirmative. Ce point fait écho à un sujet souvent évoqué par notre délégation. L'article 72 de la Constitution stipule que : « dans les collectivités territoriales, le préfet représente chacun des membres du gouvernement ». Le préfet doit ainsi, en principe, superviser les services déconcentrés. Des pans importants de l'action de l'État lui échappent malgré tout, tels que la santé, dévolue aux Agences régionales de santé (ARS) ou les finances publiques, gérées par les directions régionales ou départementales relevant du ministère des finances, ou encore l'action éducatrice, confiée au rectorat ou aux académies. Ainsi, le préfet n'a pas son mot à dire à propos de fermetures d'écoles.
Le rôle du préfet est aussi limité par la multiplication, dans les territoires, des agences et opérateurs, comme l'a relevé le rapport de nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche, intitulé « À la recherche de l'État dans les territoires ». Les champs d'intervention de ces agences recoupent d'importants secteurs de compétence des collectivités territoriales. Ainsi, à titre d'exemple, les ARS occupent une place importante dans l'organisation des soins sur le territoire. Là encore, le préfet n'a pas son mot à dire en ce qui concerne la fermeture d'une maternité. Dans le domaine de l'écologie et du développement durable, nous avons affaire aux agences de l'eau ou à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).
Nous avons demandé aux élus s'ils trouvaient pertinent d'obliger les communes à une vidange complète des bassins de piscine, une fois par an, même avec une qualité de l'eau satisfaisante. 88 % d'entre eux ont répondu par la négative. Interpellé à ce propos, Boris Ravignon avait déclaré absurde de jeter de l'eau propre dans le tout-à-l'égout de la ville.
Venons-en au pouvoir de dérogation aux normes du préfet. Avec Guylène Pantel, nous menons une mission flash intitulée « Le pouvoir préfectoral de dérogation, un outil au service des territoires ». L'adaptation des normes aux réalités locales constitue l'objectif constant de notre délégation. Nous présenterons nos conclusions le 13 février. Notre rapport est d'autant plus attendu que les élus nous demandent d'aller de l'avant sur ce sujet, afin de débloquer des projets locaux et de faciliter l'action publique des collectivités.
À propos de la dérogation aux normes, quatre enseignements ont été tirés de la consultation :
- 80 % des élus déclarent ne pas connaître la procédure de dérogation aux normes. Cette méconnaissance correspond à ce que nous avons perçu lors des auditions ;
- parmi ceux qui connaissent ce droit, 86 % ne l'ont jamais utilisé ;
- 75 % des élus qui ont utilisé cette procédure la jugent efficace ;
- la consultation souligne les fortes attentes des élus dans les domaines de la construction, du logement et de l'urbanisme. Or ces domaines ne concernent actuellement qu'environ 3 % des arrêtés de dérogation. Pourquoi un tel décalage entre les attentes des élus et l'usage effectif du pouvoir de dérogation ?
Dans les départements ruraux, un agriculteur souhaitant construire sa résidence à proximité de bâtiments d'exploitation n'y est pas autorisé par la loi, sauf dans le cas d'une obligation de service, c'est-à-dire si ces bâtiments d'exploitation abritent des animaux d'élevage. Une autre exception concerne la culture du safran. Lundi dernier, nous avons examiné un texte sur les entraves à l'agriculture. J'ai déposé un amendement pour mettre fin à l'interdiction pour les agriculteurs de construire leur résidence à proximité d'un bâtiment d'exploitation. L'article 45 de la Constitution n'a pas permis à mon amendement d'être retenu dans la mesure où il a été jugé trop éloigné de l'objet du texte.
Le préfet ne peut déroger qu'à des normes réglementaires et non des dispositions législatives. Encore faut-il que ces normes relèvent de sa compétence ; or l'urbanisme relève avant tout de la compétence du maire. La direction départementale des territoires (DDT) instruit les dossiers de PLU (Plan Local d'Urbanisme). Or les élus reprochent à la DDT de leur avoir forcé la main dans l'élaboration de ces PLU. Il faudrait renforcer le pouvoir réglementaire local.
Mme Guylène Pantel. - La consultation confirme nos observations dans le cadre de la mission flash que nous menons avec Rémy Pointereau sur le pouvoir de dérogation aux normes.
Nous avons commencé nos travaux par un déplacement très intéressant dans le Cher, le 13 janvier. Nous avons rencontré le préfet, ses services, puis des élus locaux. Nous irons à nouveau à la rencontre d'acteurs locaux, cette fois en Lozère, les 6 et 7 février.
J'insisterai sur deux points qui ressortent de presque toutes nos auditions.
D'abord, il apparaît essentiel d'associer étroitement les élus locaux au droit de dérogation. En effet, 90 % des arrêtés de dérogation concernent les collectivités territoriales et leurs groupements. Dans ce cadre, la création, dans chaque département, d'une conférence de dialogue prendrait tout son sens. Je rappelle que Rémy Pointereau porte ce sujet au Sénat depuis des années. Il est toutefois impératif de mieux faire connaître ce pouvoir de dérogation aux élus, puisque 80 % ont déclaré ne pas connaître cette procédure.
Ensuite, le droit de dérogation doit servir de signal d'alerte à propos de certaines normes trop complexes ou inefficaces. Si les préfets dérogent souvent à certaines normes, n'est-ce pas le signe qu'il faut alléger, voire supprimer ces normes ? Nous sommes tous conscients que certains décrets s'avèrent trop bavards, apportant des précisions que le législateur ne souhaitait pas.
À ce stade, nous n'avons encore mis au jour que des pistes de travail. Notre réflexion doit se poursuivre. Voilà pourquoi nous serions heureux de recueillir votre avis sur ce sujet de la simplification des normes.
Mme Pauline Martin. - Vous nous suggérez de créer une conférence du dialogue. Ne vaudrait-il pas mieux balayer devant notre porte en rattachant une telle entité aux compétences de la Préfecture ? La création d'une instance supplémentaire pourrait bien aggraver l'embolie au lieu de la soulager.
M. Cédric Chevalier. - J'aimerais rebondir sur les propos de Gilles Carrez. Pourquoi les lois sont-elles de plus en plus détaillées ? Il ne suffit pas de simplifier les normes. Il faut surtout éviter qu'elles continuent de proliférer. J'ai l'impression que plus personne ne veut assumer de responsabilités. Les textes s'efforcent de protéger les acteurs à tous les niveaux décisionnels. En tant que maires, il nous arrive de faire un pas de côté par rapport à la réglementation, faute de quoi certains projets n'aboutiraient jamais. Il m'est arrivé, en matière d'aménagement du territoire, de délivrer un permis de construire dans une zone inadaptée, quitte à me voir ensuite attaqué en justice. Des dérogations accordées au maire ou, plus généralement, à l'exécutif permettraient d'aller plus loin. Le fond du problème vient de ce que nous avons peur de notre ombre et des contentieux. Or le risque zéro n'existe pas.
M. Laurent Burgoa. - Je remercie M. Carrez pour ses propos. Ne croyez-vous pas que les gouvernements successifs tendent à privilégier des procédures accélérées sur les textes ? Ces procédures ne laissent pas le temps au Parlement de légiférer comme il le devrait. Les textes issus de la commission mixte paritaire, que nous souhaiterions conclusifs, souffrent du manque de temps laissé aux législateurs. S'ils étaient moins pressés, sans doute éviteraient-ils d'empiler les normes, les unes sur les autres. En somme, la procédure accélérée me semble contre-productive.
M. Pierre Barros. - Je remercie M. Carrez pour la solidité de ses propos, fruits de son expérience en tant que parlementaire, mais aussi élu local. La responsabilité de l'inflation des normes est partagée. À chaque événement dramatique dont se saisissent les médias, une loi est promulguée. Ceci permet d'occuper le terrain médiatique, quitte à générer de la complexité.
À une certaine époque, le Sénat n'était plus en capacité de proposer des lois ; cette prérogative revenant alors uniquement à l'Assemblée nationale et au Gouvernement. La loi produit du règlement. Ceci pose la question du volume des lois à gérer en flux continu. Beaucoup ici sont des élus locaux. Ils voient la promulgation d'une nouvelle loi comme une contrainte supplémentaire à subir.
Les conditions d'application de la loi s'avèrent extrêmement hétérogènes en fonction des territoires et des moyens à la disposition des collectivités. Ceci constitue un vrai sujet. Le coût d'application de la loi dépend de la structuration de la collectivité qui la met en oeuvre.
La société se judiciarise, notamment en matière d'urbanisme. Les contentieux dans ce domaine se sont multipliés au cours des dernières années. Les statistiques en attestent. La loi enfle pour s'efforcer de répondre à ces problématiques. Quels outils mettre en place pour éviter une inflation législative dans ce contexte ? Sur le terrain, les services de l'État font leur possible à l'aide des moyens dont ils disposent. Du fait de la réforme générale des politiques publiques, il n'est pas simple de trouver des personnes compétentes, tant dans les collectivités que les préfectures. Un problème d'attractivité des emplois publics se pose.
M. Cédric Vial. - Je rejoins Laurent Burgoa à propos de la fabrication de la loi : les procédures accélérées conduisent à une mauvaise écriture de la loi, parfois trop bavarde ou ne prenant pas assez en compte d'autres textes dont elle pourrait influencer l'application.
Ensuite, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le Conseil d'État peut accompagner les parlementaires. Aujourd'hui, les propositions de loi (PPL) sont de plus en plus nombreuses, à l'inverse des projets de loi. Or les PPL ne sont pas soumises à l'avis du Conseil d'État. Le Gouvernement a de plus en plus recours à des parlementaires pour adopter les PPL, par souci de rapidité. La consultation du Conseil d'État ne pourrait-elle pas être rendue obligatoire en cas de procédure accélérée, pour éviter une écriture de la loi trop bavarde ?
De plus, les normes trop nombreuses constituent un moyen pour l'administration de reprendre la main sur le législateur, quitte à contredire son intention. Prenons l'exemple de la loi confiant à l'État la prise en charge des enfants en situation de handicap durant le temps méridien. Le ministère de l'Éducation nationale, à travers sa direction de l'enseignement scolaire, a produit une circulaire d'application de huit pages, pour éviter la mise en oeuvre concrète de cette loi, qu'il ne souhaitait pas. Dans le cadre de leur suivi et de leur contrôle de l'action du Gouvernement, les parlementaires ne pourraient-ils pas déposer un recours contre les circulaires mal adaptées à l'intention du législateur, voire non conformes à l'esprit de la loi ?
Enfin se pose la question de la responsabilité derrière la norme. Il faudrait accorder plus de liberté a priori et instaurer plus de contrôle a posteriori. Des expérimentations de suppression des normes ne pourraient-elles pas avoir lieu dans un champ, quel qu'il soit ? Il incomberait alors au préfet ou au maire de procéder à des contrôles.
Mme Ghislaine Senée. - Le code de l'environnement a décuplé de volume de 1980 à 2023. Des vides juridiques subsistent malgré tout dans le champ de l'environnement ou du numérique, que les législateurs doivent s'efforcer de combler, même s'ils ne sauraient tout contrôler.
Depuis la décentralisation, l'État continue à vouloir tout régir. Les maires le constatent : malgré le transfert de compétences aux régions, l'État s'évertue à maîtriser au mieux les décisions prises localement. Ceci révèle une défiance de la part de l'État vis-à-vis des autorités locales. Un débat a ainsi porté, lors de l'examen du budget, sur l'octroi, aux autorités organisatrices de transport de mobilité, de la possibilité d'augmenter le taux de Versement Mobilité (VM). Les acteurs locaux sont pourtant les mieux à même de prendre des décisions à l'échelon de leur territoire, qu'ils connaissent le mieux. Un élu local n'augmente jamais les taxes par plaisir, mais par nécessité de développer un service public local. Face à l'évolution de plus en plus rapide de la société s'impose la nécessité d'adapter la loi. La multiplication des textes n'en interroge pas moins sur leur raison d'être. Peut-être une réflexion devrait-elle porter sur le bien-fondé de certaines PPL. Des instances de discussion entre parlementaires pourraient déterminer les champs prioritaires sur lesquels légiférer.
M. Gilbert Favreau. - J'ai en mémoire le temps béni où les préfets avaient du pouvoir et où des subdivisionnaires de l'équipement, sur place, pouvaient prendre des décisions en son nom. La décentralisation, depuis, a transféré ce pouvoir des préfets au niveau régional, dans le domaine de la santé ou encore de l'éducation. À mon sens, la décentralisation a éloigné de l'échelon local le pouvoir des préfets comme des élus.
M. Gilles Carrez. - Il est en effet très difficile de bien légiférer dans le cadre d'une procédure accélérée, car il n'est pas aisé d'aller à l'essentiel en se limitant au strict nécessaire du point de vue législatif. Les procédures accélérées simplifiaient quand même l'examen des lois de finances, à l'époque où j'étais rapporteur du budget avec Philippe Marini : nous travaillions en concertation et en liaison constante entre Sénat et Assemblée nationale. Ce travail collégial remédiait en partie aux défauts liés à la rapidité de la procédure. Il me semblerait en réalité plus raisonnable de produire moins de lois et d'aller au fond des choses.
Le vide juridique et la question des responsabilités touchent à des points essentiels. Là résident, selon moi, toutes les difficultés. Le vide juridique fait horreur, tout comme la nécessité d'adapter à des conditions locales des textes législatifs ou réglementaires. Les juges administratifs préfèrent des textes détaillés auxquels se référer pour trancher les contentieux.
Une autre difficulté touche au pénal. Avant la loi de M. Fauchon, des cas aberrants se présentaient. Il arrivait que des élus ou même des préfets se retrouvent condamnés au pénal. En 2000, au lendemain de la mise en place des plans de prévention du risque inondation (PPRI), une zone d'aménagement concerté (ZAC) de 450 logements devait voir le jour au Perreux-sur-Marne, en zone inondable, à proximité de la station de RER. Pour éviter l'abandon de ce projet, j'ai échangé des courriers avec le préfet et nous avons pris les précautions nécessaires pour que la ZAC soit construite. Aujourd'hui, une telle prise de responsabilité conjointe du représentant de l'État et du maire ne serait plus possible.
La loi Carrez devait être facile à comprendre et tenir en une page. J'ai eu la chance que le rapporteur au Sénat, M. Blaizot, soit ingénieur des poids et des mesures. J'ai demandé un vote conforme à l'Assemblée nationale. Cette loi ne devait pas intégrer tous les cas de figure. La jurisprudence a été du ressort des juges. À date, son application est stabilisée. Face aux contentieux et surtout au risque pénal, la situation des élus locaux devient difficile. Il leur faut un minimum de protection.
En 2008 ou 2009, alors que j'étais rapporteur du budget, il arrivait que l'administration fiscale ne produise pas les décrets ou qu'elle produise des circulaires allant à l'encontre de nos intentions. Nous, parlementaires, ne sommes pas toujours assez vigilants quant à l'application de nos lois. Nous devrions plus nous intéresser aux circulaires. Nous avons décidé, avec Didier Migaud, de produire chaque année, en juillet, un rapport d'application de la loi fiscale (RALF). Selon moi, le problème essentiel n'est toutefois pas là.
Les événements médiatiques sont redoutables. Un drame s'est produit, en 2021, dans une crèche privée. Les médias s'en sont aussitôt emparés. Les journalistes ont reproché aux élus et à l'État de ne pas imposer de normes assez sûres. Une inspection s'en est aussitôt suivie, concluant à la nécessité de promulguer une loi. Au même moment, le livre de Victor Castanet sur les EHPAD est paru. Le Premier ministre a intégré le contrôle des crèches à une loi sans rapport, sur l'emploi. Depuis, quatre ou cinq décrets obligent les communes à conclure des conventions pluriannuelles d'accueil de la petite enfance et à renforcer les encadrements des crèches malgré les difficultés persistantes à recruter du personnel. Tout le monde est responsable de l'inflation des normes - réponse à une demande sociale.
Nous n'avons pas évoqué la demande sociale des corporations. Dans le cadre de la loi Carrez, les géomètres tenaient à s'arroger le droit de mesurer la superficie d'un logement. Il a fallu résister à leurs exigences. Selon nous, l'acquéreur et le vendeur, tous deux de bonne foi, devaient pouvoir s'accorder sur le calcul des mètres carrés. Aujourd'hui, tout acte de vente d'un bien immobilier suppose de réaliser 2 000 à 3 000 euros de diagnostics, sans même compter les frais liés au diagnostic de performance énergétique (DPE). La simplification, dans une société où les contentieux et la méfiance vont croissant, requiert de protéger les décideurs qui s'exposent à des risques. Voilà dans quel état d'esprit nous devons envisager les dérogations.
Auparavant, en Île-de-France, nous étions, en tant qu'élus locaux, directement en contact avec le préfet et ses services. Il n'en va plus ainsi. Voici deux ans qu'au Perreux-sur-Marne, mon successeur à la mairie peine à signer un contrat de mixité sociale, car la Préfecture du département doit le relire, or le préfet n'a pas autorité sur les services régionaux comme la direction régionale et interdépendante de l'hébergement et du logement (DRIHL).
M. Rémy Pointereau. - Nous gagnerions à nous inspirer de l'exemple des pays voisins et notamment du Nationale Normenkontrollrat (NKR) ou Conseil national de contrôle des normes allemand ; d'autant que l'arrivée de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis se traduira par une libéralisation de l'économie et une simplification des règles, qui ne manqueront pas de se ressentir en Europe.
Audition de M. Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique, sur le sujet du pouvoir préfectoral de dérogation aux normes
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - M. Lambert, votre audition nous permettra d'évoquer l'importante circulaire Barnier du 28 octobre 2024, qui s'inscrit dans une double logique de déconcentration et de différenciation, principes auxquels notre assemblée est attachée, dans le respect de l'unité de la République.
Au-delà de la simplification qu'elle opère sur la procédure applicable au pouvoir de dérogation aux normes, cette circulaire porte, plus généralement, une ambition et une méthode que notre délégation ne peut que saluer en leur principe.
L'ambition concerne la simplification de l'action publique et l'accompagnement des projets locaux, trop souvent entravés par les normes.
La méthode consiste, elle, à faire remonter du terrain des projets locaux enlisés afin d'identifier les points de blocage. Ces projets (trois à cinq par départements) doivent ensuite être instruits par la Direction interministérielle de la Transformation publique (DITP) et France simplification, chargés de proposer des solutions. Ces dernières peuvent recourir aux possibilités prévues par le droit commun, telles que, précisément, le droit de dérogation, ou modifier des dispositions législatives ou réglementaires, si cette modification s'avère pertinente au-delà du cas d'espèce.
Monsieur Lambert, vous nous indiquerez où en est l'instruction des projets locaux bloqués, que les préfets ont identifiés à l'automne.
M. Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique. - Le mot-clé me semble ici celui de confiance. En tant que Saint-Cyrien, je juge essentiel d'accorder confiance aux officiers et sous-officiers sur le terrain pour y appliquer l'intention du haut commandement en décidant des manoeuvres les plus appropriées. Au cours des premiers mois de formation à Saint-Cyr, nous apprenons que c'est le terrain qui commande. Le lien entre une intention claire et la confiance en la compétence des agents revêt une importance cruciale. Aux sujets de normes s'ajoutent ainsi des sujets de réorganisation, d'ingénierie et de processus. Il faut réarmer le territoire à l'échelle départementale.
Par ailleurs se pose la question des Conseils nationaux de la refondation (CNR). Ils ont été mis en place afin de résoudre des problèmes concrets à partir du terrain, dans un état d'esprit de construction avec les élus locaux. La ville de Grigny-sur-Rhône, près de Givors, manquait de médecins. Une équipe d'élus locaux, le préfet, l'ARS et l'assurance maladie se sont mis en ordre de bataille contre une série de contraintes et d'obligations s'opposant à l'installation de médecins. Il a suffi de sortir du cadre réglementaire et de faire confiance à ceux qui connaissent le mieux le terrain pour que quatre médecins s'installent finalement à Grigny-sur-Rhône.
Tous, dans les services de l'État comme dans les collectivités locales, ont le sens du service public et s'efforcent de remplir leurs missions au mieux. Tous souhaitent réussir. Pour cela s'impose une mise en commun de l'intelligence de chacun, et de sa capacité à remettre en cause les acquis. La même remarque vaut pour l'installation de sites industriels. L'exemple du Havre le montre. Le sous-préfet y a organisé tous les services de l'État pour lever les obstacles qui empêchaient de grandes entreprises d'investir massivement. Le recteur lui-même a été mobilisé pour modifier la carte des formations afin que les entreprises désireuses de s'implanter au Havre disposent de personnel qualifié.
En réalité, nous en arrivons à un point d'impuissance acquise. Même ceux qui sont chargés d'appliquer la loi ne la connaissent plus intimement, tant elle est pléthorique. Un tel nombre de contraintes s'ajoutent les unes les autres que plus personne n'a d'intérêt à prendre des initiatives. France simplification est parfois interrogée à propos de la possibilité de prendre telle ou telle mesure ou de réaliser telle ou telle action non prévue par la loi. Si la loi ne l'interdit pas, alors l'action ou la mesure en question est autorisée. Par souci d'efficacité de l'action publique, il importe de lutter contre l'impuissance qui tend à se généraliser. De ce point de vue, la crise sanitaire, certes terrible, nous a apporté une lueur d'espoir. Le couple préfet/maire a été mis en avant, à ce moment-là, par le Premier ministre Jean Castex. Des acteurs sur le terrain ont pris des initiatives, en l'absence d'instructions du pouvoir central. Ceci prouve qu'il reste des énergies à libérer.
France simplification ne relève pas d'un dispositif conceptuellement nouveau, puisqu'il a d'abord été utilisé pour les entreprises. En 2015 ou 2016 a ainsi vu le jour France expérimentation, par suite du constat d'un retard de la réglementation, par rapport aux innovations portées par les entreprises. Ce dispositif a servi de terrain d'expérimentation aux entreprises pour mettre en oeuvre des processus nouveaux dans un cadre sécurisé. France expérimentation est devenu depuis un outil permettant aux entreprises de challenger l'État à propos de certaines normes. Ainsi, à Novo Nordisk, entreprise qui investit beaucoup en France, et notamment à Chartres, se posait un problème de récupération des stylos injecteurs d'insuline. L'applicateur en plastique, qui n'est jamais en contact avec le patient, n'avait, selon l'entreprise, pas à être brûlé, comme l'imposait cependant la réglementation, pour des raisons de santé publique. Grâce à l'appui de la direction générale de la santé et du ministère de la transition écologique, la réglementation a été modifiée pour autoriser Novo Nordisk à recycler le plastique des applicateurs pour en faire des chaises.
Comme France expérimentation produisait des résultats encourageants, nous avons songé à appliquer le même principe aux administrations. Le dispositif autorisant les acteurs de terrain à challenger les services de l'État n'a toutefois pas bien fonctionné, sans que les raisons en soient claires. Michel Barnier a décidé, au travers de sa circulaire, de passer à la vitesse supérieure en matière de simplification. Au-delà des revues de codes annoncées aux maires, il est apparu judicieux de s'attaquer d'abord à ce qui gênait vraiment les collectivités locales et territoriales ainsi que les services de l'État eux-mêmes sur le terrain. Pour réduire la complexité des normes, il convient de lever méthodiquement les blocages, les uns après les autres, à partir de projets concrets.
Depuis le lancement de France simplification, le 28 octobre, 426 sollicitations nous sont parvenues. Nous avons déjà répondu à 85 d'entre elles. Une trentaine seront bientôt soumises à arbitrage en réunion interministérielle à Matignon, tandis que 119 sont en cours d'instruction dans les ministères.
Sur l'île d'Oléron, la communauté de communes n'était pas en mesure de joindre ses forces en vue d'un projet d'autoconsommation collective. Le préfet, à la demande des élus, a sollicité France simplification et obtenu, du ministère de la transition écologique, une modification de l'arrêté qui entravait le projet.
Pourquoi un EHPAD relevant d'une collectivité territoriale ne peut-il pas appliquer les mêmes règles en matière d'emploi de soignants que d'autres EHPAD relevant, eux, de la fonction publique hospitalière (FPH) ? Des injonctions contradictoires génèrent un sentiment d'impuissance. Le pouvoir de dérogation des préfets demeure limité. Surtout, le préfet se prononce sur des cas individuels. L'intérêt du dispositif France simplification réside dans son absence de limitation. Des réglementations européennes peuvent lui être soumises. Surtout, une fois actée une solution, celle-ci devient applicable sur tout le territoire, de sorte que France simplification ne règle pas que des situations individuelles. Enfin, la cellule au coeur du dispositif, transversale, est rattachée au Premier ministre. Elle ne reçoit que des demandes filtrées par le préfet, par ailleurs signataire des arrêtés de décision proposés par les services déconcentrés, et détenteur d'un pouvoir d'impulsion au niveau local.
France simplification a surtout affaire à des dossiers relevant du ministère de la transition écologique. Un tiers d'entre eux portent sur l'urbanisme, un autre tiers sur la transition écologique et 7 % sur le logement. France simplification oeuvre main dans la main avec le ministère de la transition écologique pour lever les blocages à l'aide de décisions concrètes, parfois pédagogiques. Certaines consistent à rappeler aux préfets leur pouvoir de dérogation.
Il arrive à France simplification de challenger les administrations centrales, à l'origine d'injonctions contradictoires. Le traitement, par France simplification, d'un nombre croissant de dossiers lui permettra d'étalonner les pratiques administratives. Des enseignements généraux en seront tirés. Pourquoi ne pas faire plus confiance au terrain pour prendre des décisions ? De nos travaux résultera un catalogue de bonnes pratiques à l'aide duquel nous corrigerons le stock, avec une détermination partagée par François Bayrou. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a évoqué France simplification, en soulignant l'intérêt de ce dispositif. Il convient d'accroître la capacité à décider sur le terrain. France simplification incarne la volonté de l'administration centrale de s'en remettre aux acteurs en première ligne. Les préfets doivent devenir de grands acteurs de la simplification, comme le voulait déjà Michel Barnier.
Mme Marie Mercier. - L'esprit de la loi ne correspond pas toujours à l'attitude de ceux qui la font appliquer. Lors de la pandémie de Covid, l'État s'est retrouvé dépassé. Les soignants et les maires ont dû se débrouiller sur le terrain. Faute de foncier disponible dans ma commune, il n'est pas possible d'y construire de logements sociaux. Sur un terrain qui devait en accueillir, une espèce protégée de grenouilles a été identifiée, de sorte que le projet de construction a dû être abandonné. Du temps où les maires pouvaient encore échanger avec la DDT et le préfet, de telles situations se débloquaient. Il n'en va plus ainsi maintenant. Le droit de préemption urbain (DPU) a été retiré au maire. Pour en revenir aux logements sociaux de ma commune, le DPU a finalement été remis à l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Il importe de faire confiance aux acteurs de terrain. L'État doit les aider et ne pas toujours s'efforcer de l'emporter face à ces corps intermédiaires qui constituent la richesse de notre République.
M. Thierry Lambert. - La confiance me paraît essentielle. Telle est d'ailleurs la position que défend le Gouvernement. Une équipe de sciences comportementales de cinq personnes travaille sur le sujet à la DITP. Les comportements résultent d'incitations et d'encouragements. Face aux risques, de plus en plus lourds, qu'implique la moindre initiative, la tentation de l'inaction gagne en force. Voilà ce qui m'inquiète. Quoi qu'il en soit, je ne crois pas à la fatalité. Un changement de posture s'impose. Il passera par un travail managérial, appuyé par un message clair du Gouvernement.
Mme Guylène Pantel, rapporteure. - J'ai deux questions. D'abord, la mise en oeuvre du droit de dérogation peut-elle conduire à mettre en jeu la responsabilité pénale des préfets ? Nous avons constaté, dans le cadre de notre mission, qu'aucune action pénale n'a été engagée à l'encontre des préfets, sur 800 arrêtés de dérogation, depuis 2020. Toutefois, plusieurs préfets que nous avons entendus ont exprimé le besoin d'une sécurisation pénale dans le cadre de l'exercice de leur droit de dérogation. Pensez-vous qu'il faudrait prévoir, par exemple, que le préfet ne soit pas responsable, pénalement, s'il a violé de façon manifestement délibérée les conditions de recours à cette dérogation, c'est-à-dire dans les cas extrêmes ?
Ensuite, pourquoi ne pas prévoir l'aménagement, à l'échelle locale, par le Préfet, de certains principes de lois, en fonction de circonstances locales et après concertation des élus locaux ? Dans mon département, j'ai été saisie du cas d'un moulin à eau produisant de la farine, en fonction depuis quatre cents ans. La préfecture veut appliquer à ce moulin des prescriptions très lourdes, alors qu'il est utilisé à raison de deux cents heures par an seulement. Les travaux demandés par le préfet en application de la réglementation, tels que l'installation d'une grille à poissons, s'avèrent, soit impossibles à réaliser, soit onéreux au point de ne pouvoir être assumés par l'exploitant du moulin, au vu de son chiffre d'affaires annuel. La loi ne devrait-elle pas permettre au préfet de déroger aux règles dans un cas comme celui-là, compte tenu de l'impact environnemental manifestement dérisoire du moulin ? Le principe de proportionnalité ne devrait-il pas s'appliquer ?
M. Gilles Carrez. - Comment France simplification compte-t-elle s'y prendre pour obtenir des modifications de la loi, dans le cas de remontées convergentes des acteurs locaux ?
M. Cédric Chevalier. - Je voudrais tout d'abord louer la générosité de M. Thierry Lambert. Les élus locaux sont des femmes et des hommes de bonne volonté. Il est déjà compliqué de les réunir quand aucun problème de moyens ni de turnover ne se pose, or de tels problèmes existent bel et bien. Je vous rejoins à propos de l'impuissance acquise. Les services de l'administration font leur travail. Seulement, un sujet de management et d'organisation se pose. L'interprétation des textes varie d'un département à l'autre. Il conviendrait de mieux former les agents en vue d'une harmonisation des pratiques.
Tôt ou tard, il faudra se poser la question des moyens et du recours à l'intelligence artificielle (IA), non pas pour remplacer des agents, mais pour gagner du temps. France simplification s'attache à des problèmes locaux, signalés par les préfets. Certaines de ses décisions se traduisent dans le droit applicable. Ne craignez-vous pas qu'une confusion en résulte ? Il me semble que des dérives sont à craindre. Il ne servirait à rien de multiplier les dispositifs et les dispositions au point que s'impose au final la nécessité d'une nouvelle simplification.
Mme Pascale Gruny. - Si je me fie à mon expérience professionnelle, chaque fois qu'il est question de simplification, la situation empire. Je garde confiance dans le bon sens paysan. L'exercice du pouvoir de dérogation accordé au préfet dépend de la personne qui assume cette fonction. Tous ne se montrent pas aussi ouverts à la discussion. Certains s'en tiennent à une application rigide de la loi.
Quoi qu'il en soit, je préconise un retour à l'esprit de la loi. À propos de la loi pour le plein emploi, nous nous sommes battus avec le ministre à propos des crèches, sachant que la plupart des maires s'étaient déjà préoccupés du sujet au niveau des EPCI.
Par ailleurs, la dématérialisation réclame trois fois plus de travail aux agents. Autrefois, ceux-ci traitaient des dossiers d'une vingtaine de pages. Désormais, ils en comptent cent cinquante. La dématérialisation constitue donc un point d'attention, dans le sens où elle impose du travail supplémentaire aux agents.
M. Daniel Fargeot. - Simplifier les normes suppose de faire confiance aux élus en leur laissant la main sur la gestion de leur collectivité. Simplifier les normes consiste aussi à faciliter l'administration des collectivités, notamment leurs projets d'investissement, via le guichet unique dont il a déjà été question. Gardez à l'esprit que l'empilement des procédures administratives entraîne un coût significatif pour les collectivités. Il importe de sécuriser quelques principes de bon sens dans l'intérêt des élus locaux. La tâche de France simplification s'annonce ardue. Libérez l'énergie des élus locaux et nous avancerons déjà considérablement.
M. Thierry Lambert. - Les déclarations du Gouvernement ne disent pas l'inverse : il faut accorder plus de confiance au terrain pour trouver des solutions au bénéfice des Français. Jean Castex était déjà de cet avis, avant Michel Barnier puis François Bayrou. L'appel à l'intelligence collective des territoires doit permettre de répondre aux problèmes concrets des Français et de leur redonner confiance dans l'action publique. L'exécution du programme de transformation que nous portons ne s'annonce toutefois pas aisée. Il convient de rester humble. Il nous faudra une énergie considérable pour aligner les administrations centrales et déconcentrées en obtenant le soutien des ministres.
Je reste convaincu que créer une structure pour répondre à un problème concret est une mauvaise idée. Autant vous rassurer : France simplification ne correspond pas à une entité créée de toutes pièces. Nous n'avons pas eu droit au moindre ETP supplémentaire. France simplification emploie des agents mis à disposition de la DTIP, dont deux préfets chargés de remonter les besoins des administrations et des collectivités territoriales. France simplification n'est pas là pour créer de nouvelles normes, mais pour en supprimer en vue d'une meilleure adaptation au terrain. Certains préfets se retrouvent entravés par des arrêtés ou des circulaires péchant par excès de précision.
À titre d'exemple, le ministre de l'intérieur a imposé l'installation de plots de sécurité devant les gares, en contradiction avec la réglementation sur l'accès des gares aux personnes en situation de handicap, comme l'a dénoncé le maire de Bourg-en-Bresse dans les médias, récemment. Les acteurs de terrain ne sont pas des automates. Ils doivent faire preuve de jugement dans l'application des lois et des normes. Emmanuel Macron le disait déjà dans son discours aux préfets de 2017.
Le Premier ministre, dès qu'il constatera le besoin de réviser une loi, pourra inclure la modification qui s'impose dans son agenda législatif ou proposer aux parlementaires de s'en saisir. Avec le secrétaire général aux affaires européennes, nous pourrons appuyer des propositions de simplification de la réglementation européenne.
La création d'un guichet unique a été annoncée. Une mission d'inspection est en cours sur le sujet. Des questions d'opérateurs et de processus subsistent toutefois.
Les Américains assimilent la charge administrative à un impôt déguisé, dans le sens où les moindres démarches prennent du temps. Il importe en tout cas de prendre conscience de la création de toute nouvelle charge administrative. L'administration française est capable de s'améliorer. Je crois les Français contents de ce qu'a mis en place la direction générale des impôts. Le prélèvement à la source est le fruit d'un travail de longue haleine, entamé voici quinze ans à travers des fusions de systèmes d'information. En ce moment, un travail dans le secteur social porte sur le calcul et l'octroi de prestations en fonction des revenus, grâce à un meilleur échange de données. Un tel dispositif soulève bien entendu des questions de libertés publiques. Peut-être le recours à des outils nouveaux nous permettra-t-il de mettre en évidence les points de contact entre diverses procédures, ce qui éviterait de demander à plusieurs reprises à un contribuable de produire les mêmes pièces justificatives. Cela dit, les banques obéissent à un fonctionnement encore plus redondant.
L'administration dispose évidemment de moins de ressources que les grandes entreprises internationales capables d'investir des millions dans l'amélioration de l'expérience client. Quoi qu'il en soit, les particuliers apprécient la dématérialisation. Aujourd'hui, 572 millions de démarches impliquant les grands réseaux de service public, soit 82 % du total, s'effectuent en ligne. Sur les 200 millions à peine de contacts entre agents et usagers, seuls 15 % passent par un échange face à face. Autrement dit, les pratiques évoluent. Il faut des services numériques qui rendent l'utilisateur autonome. Les services dématérialisés ne sont cependant pas faits pour tout le monde - et surtout pas pour ceux qui en ont le plus besoin.
Le ministre de l'action publique suit maintenant les taux de décroché de chaque service public. Des indicateurs détailleront bientôt l'efficacité du moindre point de contact. Il importe de responsabiliser en matière de qualité de service, étant entendu que la responsabilisation n'implique pas seulement un risque de sanction. Les politiques publiques s'incarnent dans les contacts avec les services publics sur le terrain. Un profond travail de transformation sur les modes de contact est en cours. Il vise à mettre fin aux asymétries historiques entre administration et usagers, et progresse plus vite dans certains services, comme celui des impôts, que dans d'autres. Je conserve une attitude positive, car il importe de valoriser les agents de terrain et de les remercier pour leur travail de qualité, au service de leurs concitoyens.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Nous avons dû légiférer, en France, pour qu'aboutissent tous les grands projets de ces dernières années, comme les Jeux olympiques et paralympiques. Nous avons réussi à reconstruire Notre-Dame-de-Paris en cinq ans, à l'encontre de tous les pronostics, parce que nous sommes parvenus à lever des contraintes normatives. Nous venons de voter un texte à propos de Mayotte dans l'idée d'accélérer la reconstruction de l'île. En somme, à chaque fois, une loi s'impose pour surmonter des obstacles. Nous sommes à présent au pied du mur, compte tenu du contexte géopolitique mondial. Comment parvenir encore à lever des contraintes pour faire face à ce qui nous attend ?
M. Thierry Lambert. - À propos des lois d'exception, le Premier ministre a déclaré qu'il faudrait multiplier l'exemple de Notre-Dame à petite échelle sur les territoires. Il a été nécessaire de déroger à des dispositions législatives à travers des lois d'exception. La question se pose : ces exceptions n'auraient-elles pas intérêt à se généraliser ? Il convient quand même de conserver des règles, en matière de marchés publics, par exemple. De telles règles ont leur raison d'être. Elles garantissent une égale concurrence. Se pose néanmoins la question de leur proportionnalité. Les collectivités territoriales doivent adapter l'esprit de la règle aux réalités locales.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - De grands projets ont pu être menés à bien grâce à un changement de la loi, mais il ne sera pas possible de la modifier pour permettre à chaque projet local d'aboutir.
M. Thierry Lambert. - France simplification a pour mission de repérer les problèmes généraux. Le droit de dérogation s'applique aux cas particuliers.
M. Cédric Chevalier. - Vous avez parlé tout à l'heure de management positif. J'apprécie votre volonté de valoriser le travail des agents. La simplification passe parfois par les agents eux-mêmes en capacité de faire évoluer la pratique de leur métier. En tenez-vous compte dans vos réflexions ? Parfois, les agents détiennent eux-mêmes des solutions.
M. Thierry Lambert. - Les problèmes qui nous sont signalés n'ont pas pu se régler grâce aux seules compétences des équipes. Le ministère de la transition écologique a organisé une collecte de propositions de simplification émanant de ses équipes. Dans le même ordre d'idées, les agents de France services apparaissent les mieux placés pour repérer ce qui ne fonctionne pas dans les démarches demandées aux usagers.
Mme Pascale Gruny. - Autrefois, nous avions confiance dans les services, parce que nous connaissions leurs agents. Je tenais à ce que des inspecteurs des impôts restent basés à Saint-Quentin, la ville de l'Aisne qui compte le plus d'entreprises. Ce n'a pas été le cas. Les agents de France services sont censés répondre à toutes les demandes. Pourtant, eux-mêmes n'arrivent pas toujours à joindre les interlocuteurs qu'il faut. Nous sommes tous d'accord sur la pertinence de l'objectif assigné à France services, mais il faut voir comment le dispositif fonctionne sur le terrain. Pour en revenir au prélèvement à la source, quel en a été le coût pour les entreprises ? Certes, il y a lieu de s'en féliciter. Cela dit, les Français assimilent aujourd'hui leur rémunération à la somme virée sur leur compte bancaire, qu'ils jugent insuffisante. Il en résulte des problèmes sociaux dans les entreprises.
M. Thierry Lambert. - Il reste à améliorer la productivité en back office, pourquoi pas grâce à l'IA, afin d'affecter plus de ressources aux relations avec les usagers, en apportant plus d'humanité et de proximité aux services publics. Le numérique nous permet, malgré les contraintes budgétaires qui s'imposent à l'administration, de mieux allouer le temps des agents en les déchargeant des tâches sans valeur ajoutée. La confiance reste au coeur du problème. L'enjeu qu'elle présente a été identifié par le Parlement et le Gouvernement dans la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC). Lors de mes déplacements sur le terrain, je rencontre des agents qui peuvent se targuer de réussites incroyables, grâce au pouvoir d'agir qui leur a été laissé.