Sommaire
Secrétaires :
M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy.
3. Programme de stabilité et orientation des finances publiques. – Débat organisé à la demande de la commission des finances
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances
M. Claude Raynal, président de la commission des finances
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales
4. Planification écologique et COP régionales : quelle efficacité ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe Les Républicains
M. Fabien Genet ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Cédric Chevalier ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Stéphane Demilly ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Ronan Dantec ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Ronan Dantec.
Mme Marie-Claude Varaillas ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Nathalie Delattre ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Saïd Omar Oili ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Hervé Gillé ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Hervé Gillé.
Mme Christine Lavarde ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Christine Lavarde.
M. Alain Duffourg ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Alain Duffourg.
M. Simon Uzenat ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Rémi Cardon ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Sabine Drexler ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Bruno Rojouan ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Laurent Somon ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
5. Création d’une commission spéciale
6. Candidatures à une commission spéciale
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
7. Hommage à Guy-Dominique Kennel, ancien sénateur
8. Questions d’actualité au Gouvernement
dissuasion nucléaire française et européenne
M. Cédric Perrin ; Mme Patricia Mirallès, secrétaire d’État auprès du ministre des armées, chargée des anciens combattants et de la mémoire ; M. Cédric Perrin.
Mme Patricia Schillinger ; Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
situation à sciences po et dans les universités
Mme Vanina Paoli-Gagin ; Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ; Mme Vanina Paoli-Gagin.
beauvau de la sécurité civile et inquiétudes des sapeurs-pompiers
Mme Guylène Pantel ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole
Mme Catherine Conconne ; Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; Mme Catherine Conconne.
Mme Céline Brulin ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie ; Mme Céline Brulin.
espionnage de parlementaires par la chine
M. Olivier Cadic ; Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; M. Olivier Cadic.
Mme Antoinette Guhl ; Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée du développement et des partenariats internationaux.
M. Thierry Meignen ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; M. Thierry Meignen.
dégradation des infrastructures ferroviaires
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure ; M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.
réforme de la justice pénale pour les mineurs
Mme Agnès Canayer ; Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; Mme Agnès Canayer.
avenir de l’hospitalisation privée
Mme Nadia Sollogoub ; Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; Mme Nadia Sollogoub.
événements à sciences po paris
M. Stéphane Piednoir ; Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ; M. Stéphane Piednoir.
participation des collectivités territoriales à la réduction du déficit
M. Simon Uzenat ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Simon Uzenat.
accords entre syndicats et directions dans le secteur des transports
Mme Pascale Gruny ; M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports ; Mme Pascale Gruny.
diagnostic de performance énergétique et bâti patrimonial
Mme Sabine Drexler ; Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
9. Communication relative à une commission mixte paritaire
10. Ordre du jour
Nomination de membres d’une commission spéciale
compte rendu intégral
Présidence de M. Loïc Hervé
vice-président
Secrétaires :
M. François Bonhomme,
Mme Nicole Bonnefoy.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 18 avril 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour un rappel au règlement.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 35 bis, relatif au respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Dans quelles conditions démocratiques allons-nous débattre cet après-midi ? Les membres des commissions des finances des deux assemblées se sont vu communiquer une note confidentielle datée du 7 décembre 2023 – soit pendant le débat sur le budget – qui mettait en garde les ministres chargés des finances que vous êtes sur l’aggravation de 0,3 point du déficit public, lequel passait à 5,2 % du PIB.
Cette dissimulation, bien que préconisée par l’administration, est de nature à remettre en cause la sincérité du budget adopté à la fin de 2023 à coups de 49.3, sans vote par le Parlement.
Le déficit est finalement de 5,5 % du PIB cette année. La procédure pour déficit excessif, que vous défendez par ailleurs à Bruxelles, pourrait donc s’appliquer à votre politique budgétaire.
Excusez-moi de le dire, messieurs les ministres, mais votre insincérité budgétaire se poursuit dans l’élaboration du programme de stabilité sur lequel nous allons débattre aujourd’hui. Ce document est censé retracer la politique du Gouvernement à court et moyen terme, et il doit être transmis à Bruxelles.
Il est flou et insincère sur la forme : le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) doit contrôler les chiffres transmis ; or, cet organisme a regretté que sa saisine ait été tardive, incomplète et qu’elle ne permette pas d’éclairer précisément les choix faits, alors que les finances publiques de la France sont dans une situation préoccupante.
Ce document est flou et insincère sur le fond. Vous ne documentez rien, pas même les réformes que vous souhaitez mettre en œuvre pour ramener le déficit en deçà des 3 % du PIB à l’horizon de 2027. Sur quelles politiques ont été pris les 10 milliards d’euros rabotés par décret ? Nous attendons toujours de le savoir. Vous prévoyez 27 milliards d’euros d’économies en 2025. Par quelles réformes ? Nous l’ignorons.
Le programme des réformes, transmis en dernière minute, est un texte à trous, indigne d’un débat éclairé. L’insincérité de votre budget est vérifiable ; il nous en faut un nouveau. Un vrai débat démocratique s’impose, et vite ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – MM. Philippe Bas et Jean-Raymond Hugonet applaudissent également.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
3
Programme de stabilité et orientation des finances publiques
Débat organisé à la demande de la commission des finances
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des finances, sur le programme de stabilité et l’orientation des finances publiques.
La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, monsieur le ministre des comptes publics, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver pour présenter ce programme de stabilité, qui définit notre stratégie de rétablissement des finances publiques jusqu’en 2027.
Je souhaite tout de suite combattre le procès en insincérité qui nous est fait, lequel est à la fois faux, injuste et déplacé : depuis sept ans que je suis chargé des finances, nos prévisions en matière de déficit et de croissance ont été vérifiées – à l’exception de la période de crise du covid-19 – avec des écarts dont l’ordre de grandeur était classique. Elles étaient donc justes la plupart du temps. En matière de croissance, la réalité a parfois même été au-delà de ce que le Gouvernement avait anticipé.
Vous viendrait-il à l’idée, monsieur le sénateur, de faire un procès en insincérité à tous les instituts de conjoncture qui avaient prévu une récession en 2023, alors que nous avions annoncé une croissance de 1 %, et que celle-ci a finalement atteint 0,9 % ?
Vous viendrait-il à l’idée de faire un procès en insincérité à tous ceux qui, depuis des semaines, nous expliquent que nous ferons 0 % au premier trimestre 2024, que la croissance est au ralenti, que l’économie française ne tourne pas et que tout va mal ?
Le Gouvernement avait prévu une croissance positive en 2024, l’Insee vient de confirmer que nous ferons 0,2 % au premier trimestre : faites ces procès à ceux qui se sont trompés et non au Gouvernement, dont les prévisions de croissance en 2023 ont été vérifiées, et qui vient de confirmer, avec ces résultats, que l’économie française est solide et se porte bien.
Assez de défaitisme ! Assez de cette manière systématique de peindre en noir la situation de l’économie française, des salariés, des industries et de tous ceux qui travaillent !
Je reconnais bien volontiers, monsieur le sénateur, qu’il s’est produit un accident sur les recettes en 2023, qui n’est pas acceptable et qui ne doit pas se renouveler. (M. le rapporteur général de la commission des finances le confirme.) Pour autant, ne confondons pas un accident avec la situation globale de l’économie française, laquelle est solide et résiste. Elle a enregistré, depuis 2017, de meilleures performances que les économies de tous les grands États européens, qu’il s’agisse de la Grande-Bretagne, de l’Italie ou de l’Allemagne.
Ne vaudrait-il pas mieux adopter un état d’esprit volontariste qu’un état d’esprit défaitiste ? Ne vaudrait-il pas mieux saluer le travail réalisé par les salariés, par nos industriels, par nos chefs d’entreprise, par nos patrons de PME, plutôt que de les accabler systématiquement de reproches et de critiques ?
M. Pascal Savoldelli. J’étais ce matin avec les travailleurs de Sanofi !
M. Bruno Le Maire, ministre. La chronologie de ces sept années se divise en trois temps.
Un premier a été marqué par le rétablissement des finances publiques, de manière à faire revenir le déficit sous les 3 %. Cela requerrait des mesures courageuses, qui ne furent pas faciles à défendre, comme la suppression des emplois aidés : nous avons été bien seuls à les défendre et à les adopter.
Le deuxième temps, j’y reviendrai, fut caractérisé par une crise économique telle que la France et les grands pays développés n’en avaient pas connu depuis 1929. À l’exception des périodes de guerre, il n’était jamais arrivé depuis lors que la richesse nationale s’effondre comme elle l’a fait pendant la période du covid-19. Il a fallu protéger, massivement et efficacement. Si c’était à refaire, je referais exactement la même chose.
Nous avons ensuite subi un niveau d’inflation que nous n’avions pas connu depuis les années 1970. Nous l’avons maîtrisé en deux ans, quand il avait fallu dix ans lors de cette précédente occurrence. Nous avons protégé massivement les Français en limitant leurs factures de gaz et d’électricité. Si c’était à refaire, je referais exactement la même chose.
Nous entrons à présent dans un troisième temps, le plus difficile : il faut revenir sur le chemin du rétablissement des finances publiques. J’ai parfaitement conscience qu’en France, dès lors que des mesures exceptionnelles ont été prises, elles ont tendance à devenir ordinaires. On vous explique alors que la prise en charge des factures d’électricité et de gaz pendant la crise, au fond, n’est pas une mesure de crise, mais doit devenir ordinaire, habituelle. Eh bien, non : ce serait irresponsable !
Si nous voulons que, demain, l’État puisse continuer à protéger en cas de crise, il faut mettre un terme aux dispositifs exceptionnels, relancer la croissance et réduire les dépenses publiques qui ne donnent pas les résultats attendus.
Pendant cette période de crise, en particulier pendant le covid-19, nous avons fait le choix, avec la majorité, de protéger massivement et efficacement. Nous pouvons en être fiers collectivement.
À l’époque, vous poussiez plutôt à la roue et vous me demandiez toujours plus de dépenses supplémentaires : à vos yeux, je ne faisais pas assez pour les restaurateurs, pour les hôteliers, pour les boîtes de nuit, etc. J’ai résisté à certaines demandes, et nous avons apporté les aides qui étaient indispensables.
M. François Bonhomme. Merci !
M. Bruno Le Maire, ministre. Replongeons-nous dans le contexte. À l’époque, Air France était menacée de faillite. Que fallait-il faire ? Abandonner cette compagnie ou lui proposer un prêt de 7 milliards d’euros ? Je suis fier d’avoir apporté cette somme à Air France pour que l’entreprise se redresse et obtienne les résultats que nous constatons maintenant.
M. Albéric de Montgolfier. Et les autres pays n’ont rien fait ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Renault était menacé de disparition ; nous lui avons accordé un prêt garanti par l’État de 5 milliards d’euros qui a sauvé cette entreprise et lui a permis de redémarrer sur des bases saines, avec des ouvriers, des ingénieurs, des techniciens qui font un travail exceptionnel et grâce auxquels ce fleuron de l’industrie automobile se porte bien. Qu’aurait-il fallu faire ? Laisser tomber Renault ?
Nous avons soutenu des petites et moyennes entreprises (PME), des très petites entreprises (TPE), nous avons aidé la filière aéronautique, le secteur de l’hôtellerie, des cafés, de la restauration, de l’événementiel…
Nous avons mis en place des mesures inédites en France, comme la prise en charge massive de l’activité partielle. Il était préférable que l’État le fasse et que nous ne perdions pas les compétences de ces secteurs, plutôt que de laisser tomber des salariés et leurs compétences, au risque de voir disparaître des pans entiers de notre industrie et de notre économie. Les résultats sont là.
Mme Laurence Garnier. Ah oui !
M. Bruno Le Maire, ministre. La France n’a pas connu de récession ; elle a amorti le choc inflationniste ; elle a été la première à retrouver son niveau d’activité d’avant la crise. Je m’étais engagé à donner les chiffres de l’inflation : celle-ci s’établit à 2,2 %.
Maintenant que ces crises ont été maîtrisées, que le covid-19 et l’inflation sont derrière nous, il nous faut revenir sur le chemin du rétablissement des finances publiques, comme nous l’avions fait en 2017, 2018 et 2019. Tel est l’objet de ce programme de stabilité, qui est ambitieux puisqu’il doit nous amener à faire en trois ans ce que nous aurions dû faire en quatre : revenir sous les 3 % de déficit public en 2027.
Plus nous serons nombreux à viser cet objectif – même si nous pouvons évidemment débattre des meilleurs moyens de l’atteindre – plus la France gagnera en crédibilité et en puissance. J’ai la conviction profonde que l’intérêt supérieur de la Nation, qui dépasse de loin les clivages politiques, commande d’y parvenir en 2027.
Comme je l’ai fait à l’Assemblée, je tends la main à toutes les sénatrices et à tous les sénateurs qui partagent avec nous la volonté de faire revenir le déficit public sous la barre des 3 % du PIB en 2027 et de contenir notre endettement.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous vous avons proposé 7 milliards d’euros d’économies dans le projet de loi de finances (PLF)…
M. Bruno Le Maire, ministre. La feuille de route dont vous allez débattre est conforme à cette ambition et repose sur trois piliers crédibles, que les chiffres publiés ce matin viennent à nouveau de renforcer.
Le premier pilier de notre stratégie de rétablissement des finances publiques est la croissance et le plein emploi.
Il se trouve que, contrairement à ce qu’annonçaient les prévisionnistes, la croissance française est solide, puisqu’elle s’établit à 0,2 % au premier trimestre 2024 ; la consommation des ménages augmente de 0,4 % ; l’investissement des entreprises, qui devait soi-disant s’effondrer, a augmenté de 0,5 %, tout comme nos exportations, dont on annonçait également la chute. Je rends hommage à tous les salariés, à tous les entrepreneurs, à tous les secteurs économiques qui ont permis à l’économie française d’enregistrer ces résultats, qu’il nous faut désormais consolider.
La meilleure façon de le faire est de rétablir les finances publiques. Croissance et plein emploi, c’est le premier pilier de notre stratégie. Le jour où la France sera au plein emploi – autour de 5 % de chômage –, une grande partie de ses problèmes de finances publiques seront résolus.
Le deuxième pilier de cette stratégie est constitué par les réformes de structure. Je n’en citerai que deux.
Le projet de loi sur la simplification de la vie économique va être étudié prochainement au Sénat. Le coût de la complexité administrative a été évalué par le Sénat lui-même à 84 milliards d’euros par an ; une proportion importante de notre richesse nationale disparaît donc dans la complexité administrative, les procédures trop lourdes, les délais trop longs. La simplification, c’est de la croissance, de l’activité, de la liberté pour nos PME, pour nos TPE, pour nos artisans, pour nos commerçants, pour tous les secteurs économiques qui animent nos territoires.
La deuxième réforme de structure a été défendue encore récemment par le Premier ministre, c’est la réforme de l’assurance chômage. Celle-ci doit offrir une incitation à retrouver le plus vite possible un emploi. Tel est notre objectif.
Le troisième pilier est évidemment la réduction des dépenses. Certaines dépenses publiques sont efficaces et donnent les résultats attendus, d’autres ne le sont pas, et ne donnent pas de tels résultats. Ces dernières ne doivent pas continuer à être financées par le contribuable et toutes les revues de dépenses publiques que nous faisons visent à y mettre un terme.
Notre stratégie de rétablissement des finances publiques est claire et simple : de la croissance, des réformes de structure, de la réduction des dépenses là où cela est nécessaire parce que les résultats ne sont pas à la hauteur de nos attentes.
Pourquoi est-ce l’intérêt de la France de rétablir nos finances publiques ? Le sujet est disputé, nous l’avons constaté hier encore à l’Assemblée nationale : certains nous expliquaient que, dans le fond, on se moque de la dette et que le déficit n’a pas d’importance. « Laissons filer tout cela », disaient-ils, « ce n’est pas grave. »
Je crois exactement le contraire : le rétablissement des finances publiques est dans l’intérêt supérieur de la Nation comme de nos compatriotes.
Tout d’abord, parce que cela nous permet de rompre avec cette manie très française de considérer toute dépense de crise comme permanente, de confondre l’exceptionnel et l’ordinaire, dans une fuite en avant de la dépense publique dommageable à nos comptes et à notre nation.
Je vois bien, à l’occasion du rétablissement progressif de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), combien cela suscite une levée de boucliers. Je rappelle toutefois que nous ne sommes toujours pas revenus au niveau d’avant la crise. Or il n’est pas illégitime de rétablir ce qui existait alors dès lors que celle-ci est passée. C’est ce que nous faisons, c’est juste et efficace.
La deuxième raison est que cela nous confère des marges de manœuvre pour faire face aux risques de crise et pour financer les investissements indispensables.
Qui ici prendrait le risque de désarmer l’État à un moment où la situation géopolitique peut se dégrader d’un jour à l’autre, et alors qu’une nouvelle pandémie peut toujours survenir ? Certainement pas moi. Ma responsabilité est de remplir les caisses de la Nation pour faire face, dans le cas où une crise surviendrait.
Cela nous offrira, de plus, des marges de manœuvre pour les investissements indispensables dans la défense, dans la sécurité, dans la transition climatique, en évitant des dépenses moins utiles ou moins nécessaires. Le premier des réarmements doit être le réarmement financier.
Enfin, contrairement à ce que prétendent certains, le rétablissement des comptes est bon pour notre croissance et pour notre économie. Je sais que cela est sujet à controverses – c’est d’ailleurs un beau sujet de débat politique. J’entends dire que nous serions tombés, avec ce programme de stabilité, dans l’austérité, au risque de provoquer une récession. C’est tout le contraire.
D’abord, notre niveau de dépenses publiques restera l’un des plus élevés de tous les pays développés. Croyez-moi, nous avons de la marge en la matière avant l’austérité.
Ensuite, le rétablissement des finances publiques entraîne deux conséquences positives majeures, que chacun doit bien comprendre.
La première est le retour de la confiance des ménages et des entreprises, qui sont incités, comme on le constate dans les derniers chiffres, à consommer et à investir. Dès lors que les finances publiques sont bien tenues, les ménages n’épargnent plus. Leur taux d’épargne s’élève à 17 % ; un des enjeux majeurs pour la croissance – cela commence à apparaître dans les chiffres de la consommation des Français – est qu’ils soient convaincus qu’il n’y aura pas d’augmentation d’impôts, et donc qu’ils consomment dès aujourd’hui.
Nous n’augmenterons les impôts ni avant ni après les élections européennes ; sachant cela, les Français pourront consommer, investir et acheter des biens, dans la mesure où ils seront certains de n’avoir pas besoin d’épargner en vue de futures augmentations d’impôts, parce qu’il n’en est pas question. C’est un gage de croissance et d’activité.
Deuxièmement, des comptes publics bien tenus permettent d’obtenir une baisse des taux d’intérêt, qui allège la charge de la dette et soutient la consommation et l’investissement.
Lorsque les agences décident de ne pas dégrader la note de la France, cela permet d’éviter que les écarts de taux entre la France et l’Allemagne ne s’accroissent : ceux-ci se sont réduits depuis cette décision, parce que notre stratégie de finances publiques et de croissance est crédible. Là est notre intérêt collectif, nous pouvons sans doute nous entendre sur ce point.
Comme je l’ai déjà dit, ma porte est ouverte – tout comme celle du ministre chargé des comptes publics – pour discuter des modalités à retenir et des décisions à prendre, mais sur le cap à suivre, une fois encore, je tends la main à tous, car nous avons intérêt à nous rassembler.
Enfin, moins de déficit et moins de dette, c’est évidemment moins d’argent pour les créanciers de l’État et plus pour les Français ; c’est éminemment souhaitable.
Cet objectif est-il hors de portée ? J’entends certains exprimer leur inquiétude, considérant que 2,9 % en 2027 serait un objectif inatteignable. Non, il s’agit seulement d’une affaire de détermination, de conscience et de méthode.
D’autres pays l’ont fait : la Finlande dans les années 1990, la Suède, le Danemark, l’Irlande, le Portugal plus récemment. Ce que tous les autres pays européens ont été capables de faire, pourquoi la France, au nom de je ne sais quelle mauvaise tradition historique, en serait-elle incapable ?
M. François Bonhomme. Il faut le dire !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous le ferons. Ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB en 2027 suppose de la constance et de la détermination ; cela implique de dépasser nos querelles politiques. En ce qui concerne la majorité, le ministre chargé des comptes publics et moi-même y sommes prêts.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de m’adresser à vous, avec Bruno Le Maire, à l’occasion de ce débat sur le programme de stabilité, qui actualise notre trajectoire macroéconomique et de finances publiques.
Cette actualisation fait suite à un ralentissement de l’économie mondiale, que nous avons observé à la fin de l’année 2023, et qui nous a conduits à abaisser notre prévision de croissance pour l’année 2024 de 1,4 % à 1 %, ainsi que l’a annoncé Bruno Le Maire dès le mois de février. Nous ne sommes pas le seul pays européen à avoir agi ainsi.
Malgré cette conjoncture moins favorable, les fondamentaux de notre croissance restent solides, soutenus par les réformes structurelles, les investissements mis en œuvre depuis 2017 et, de façon plus conjoncturelle, par l’accélération de la consommation des ménages permise par la baisse de l’inflation comme de leur taux d’épargne.
Ce matin même, l’Insee a publié son estimation de croissance pour le premier trimestre 2024, qui est de 0,2 %, après 0,1 % au quatrième trimestre 2023. Notre acquis de croissance est donc de 0,5 % pour l’année 2024.
Cette estimation est en ligne avec la prévision publiée par la Banque de France : le 11 avril dernier, celle-ci a en effet indiqué que le PIB était en hausse de 0,2 % au premier trimestre, un chiffre qui n’est, selon elle, « pas incompatible avec une prévision de 1 % sur l’année ».
Dans ce contexte, nous maintenons les grands principes qui ont conduit notre action jusqu’à présent. J’entends ici insister sur deux points.
Premièrement, nous conservons la boussole qui guide notre action en matière de finances publiques : un retour sous la barre des 3 % de déficit à l’horizon 2027. Pour atteindre cet objectif, nous réajustons notre trajectoire, avec une première marche crédible qui tient compte du double effet de l’exécution de 2023 et de la révision de la croissance pour 2024. L’objectif est de ramener le déficit de 5,5 % à 5,1 % en 2024. La suite de la trajectoire est également modifiée pour atteindre 2,9 % en 2027 : nous visons un déficit de 4,1 % en 2025, et de 3,6 % en 2026.
Au début du premier quinquennat du Président de la République, avant les crises, notre politique avait déjà permis de ramener le déficit sous les 3 %, puisque celui-ci atteignait 2,4 % en 2019 ; nous maintenons notre engagement à revenir sous les 3 % d’ici à la fin du quinquennat.
Deuxièmement, nous ne changeons pas une politique économique qui a fait ses preuves. Nous continuons de mener une politique de l’offre, qui soutient la croissance, la création d’emplois et l’activité. Ainsi, depuis 2017, 2,4 millions d’emplois ont été créés ; le taux de chômage est au plus bas depuis quarante ans ; et la réindustrialisation fait aujourd’hui de notre pays l’une des locomotives de l’Europe.
Nous ne prenons pas de tels engagements en matière de finances publiques pour les agences ou pour les investisseurs, nous les prenons afin de préserver des marges de manœuvre qui nous permettent de financer nos priorités et de préparer l’avenir du pays.
Cette trajectoire requiert un effort partagé. Je veux rappeler la décision déjà prise pour tenir notre objectif en 2024, avec le décret d’annulation de février 2024 : 10 milliards d’euros de crédits ont été annulés sur l’ensemble du budget de l’État, dans le cadre prévu par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).
À ceux qui sont tentés de nous accuser d’austérité, je réponds que nous en sommes loin : ces 10 milliards d’euros de crédits représentent moins de 1,5 % des crédits ouverts dans le périmètre de dépenses de l’État. Ces économies ont été fixées en visant les dépenses publiques pilotables en cours d’année, mais aussi celles qui emportent le moins de conséquences sur notre croissance économique. Elles portent notamment sur l’aide publique au développement, sur MaPrimeRénov’ ou sur le compte personnel de formation.
Nous avons également réduit les dépenses de fonctionnement de l’État et des opérateurs, pour un État plus sobre. Ces efforts nous ont déjà conduits à diminuer de 150 millions d’euros la facture énergétique de l’État, à céder pour 280 millions d’euros de biens immobiliers, et à diviser par trois les dépenses de conseil en deux ans. Chaque ministère, en responsabilité, a pu choisir comment affecter cette baisse de crédits dans le budget qu’il gère.
Pour tenir l’objectif de 5,1 % en 2024, nous savons qu’un effort supplémentaire, estimé à 10 milliards d’euros, sera nécessaire ; il devra, lui aussi, être partagé.
Dans le budget de l’État, une part importante des crédits mis en réserve de précaution – soit plus de 7 milliards d’euros – ne sera pas utilisée. Les ministères devront donc, sauf cas exceptionnel, exécuter leur budget dans le cadre des crédits disponibles, sans mobiliser cette réserve. Nous allons piloter la gestion au mois le mois, dépense par dépense, pour garantir que cela sera bien le cas.
En un mot, nous devons tenir les dépenses de l’État en 2024, comme nous l’avons fait en 2023 : grâce à un bon pilotage, celles-ci ont en effet été inférieures de 7 milliards d’euros au budget initial l’année dernière. En 2024, nous appliquerons exactement la même méthode.
Ces mesures ne remettent pas en question les grands équilibres du budget pour 2024 : les dépenses vertes continueront à augmenter, et les budgets de la sécurité intérieure, des armées, de la justice, de l’éducation nationale et de la recherche progresseront encore.
Concernant les collectivités territoriales, nous avons eu l’occasion, avec Bruno Le Maire, Christophe Béchu et Dominique Faure, d’affirmer une fois de plus devant le Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL), le 9 avril dernier, que la maîtrise de nos dépenses publiques restait un effort partagé.
L’objectif pour les prochaines années, conformément à la loi de programmation des finances publiques (LPFP), entre 2024 et 2027, est que les dépenses de fonctionnement progressent un peu moins vite que l’inflation. Il n’a pas varié depuis l’adoption de la LPFP et autorise donc une augmentation de 1,9 % au maximum.
Pour y parvenir, nous devons nous poser la question de l’efficacité de l’action publique, de l’enchevêtrement des responsabilités et des moyens de réduire son coût. Les conclusions qui seront bientôt présentées par Boris Ravignon iront dans ce sens et nous permettront de dégager des pistes de travail, au même titre que la mission menée par le député Éric Woerth.
Je demeure convaincu que c’est par le dialogue que l’État et les collectivités territoriales parviendront ensemble à construire des solutions face à la dégradation de nos finances publiques.
Dans le champ social, nous poursuivrons nos efforts de maîtrise de la dépense, afin de respecter l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), comme ce fut le cas en 2023.
Concernant les recettes, nous avons souffert du ralentissement économique qui s’est produit à l’échelle mondiale en 2023. Au total, nous avons perçu 21 milliards d’euros de recettes en moins par rapport à ce que nous anticipions.
À ceux qui sont tentés par un procès en insincérité, je rappelle, tout d’abord, que ce retournement de la conjoncture et son impact sur nos recettes se sont produits tardivement dans l’année et n’ont été confirmés qu’après l’adoption de la loi de fin de gestion.
En outre, de tels écarts par rapport aux prévisions de recettes se sont déjà produits dans le passé. En 2011, par exemple, le rendement de l’impôt sur les sociétés (IS) a été inférieur de près de 6 milliards d’euros aux attentes ; en 2013, les recettes avaient également chuté, provoquant un écart de plus de 25 milliards d’euros entre l’objectif fixé en PLF et le déficit constaté.
Le ralentissement des recettes observé en 2023 aura donc des répercussions pour 2024. Pour autant, nous n’envisageons pas de changer notre politique fiscale, même si celle-ci pourra prendre en compte des situations exceptionnelles, dans une logique d’efforts partagés.
Comme nous l’avons fait par le passé pour les énergéticiens, les sociétés d’autoroute, les raffineurs de pétrole ou les laboratoires de biologie, des mesures seront prises en 2024, notamment sur la base des travaux des parlementaires, comme le Premier ministre l’a annoncé. Nous nous sommes d’ores et déjà engagés à travailler sur la question des énergéticiens et des rachats d’actions.
J’en viens, pour conclure, à l’année 2025. Nous pourrons compter sur une croissance solide, prévue à 1,4 %, soutenue par la consommation des ménages, par le rebond de l’investissement des entreprises et du commerce extérieur. La croissance et l’emploi sont les meilleurs alliés de nos finances publiques.
Malgré cette croissance solide, nous aurons encore un effort important à produire, prioritairement sur les dépenses, avec pour objectif de ramener le déficit à 4,1 % pour 2025. Pour y parvenir, nous devrons faire des économies dans tous les champs. Le travail est engagé avec les revues de dépenses, en maintenant un haut niveau d’ambition en matière de réformes structurelles ; il est engagé avec vous, parlementaires, grâce au dialogue que nous avons déjà commencé à mener au Sénat comme à l’Assemblée nationale.
Je veux le dire une fois encore devant la représentation nationale : dans la période que nous traversons et face à la conjoncture, cette nouvelle trajectoire reflète la détermination du Gouvernement à maîtriser la dépense publique, à tenir nos objectifs et à préparer l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le programme de stabilité pour la période 2024-2027, qui doit être transmis aujourd’hui à la Commission européenne, est vraisemblablement le dernier dans sa forme actuelle, en raison de la réforme des règles du pacte de stabilité et de croissance.
Peut-être faut-il s’en réjouir, car, je vous l’annonce d’emblée, ce qui nous est présenté me paraît révélateur des errements et des renoncements du Gouvernement en matière de finances publiques.
Revenons d’abord sur les performances économiques de notre pays.
Certes, si l’on se limite à l’année 2023, nous faisons légèrement mieux que la zone euro, avec une croissance de 0,9 %. Reconnaissons-le toutefois, cela est principalement dû à la récession allemande. Je comprends que le Gouvernement utilise largement cette comparaison qui nous est favorable ; pour autant, l’économie italienne a crû l’an dernier au même rythme que la nôtre, et les économies portugaise, grecque et espagnole, par exemple, se montrent particulièrement dynamiques, avec une croissance comprise entre 2,3 % et 2,5 %, nous laissant loin derrière elles.
Si l’on élargit un peu le spectre, on constate que le PIB de la France a progressé d’un point de moins que celui de la zone euro entre la fin de l’année 2019 et la fin de l’année 2023.
Messieurs les ministres, votre optimisme forcené ne saurait masquer le faible dynamisme de notre économie au regard de notre environnement immédiat et le scénario macroéconomique de ce programme de stabilité reflète encore ce biais.
Dès le mois de février, vous aviez annoncé que votre prévision de croissance de 1,4 % pour 2024 était caduque. Vous l’avez révisée à la baisse, à hauteur de 1 %, mais elle demeure plus élevée que toutes les autres prévisions officielles, et elle est d’ailleurs déjà battue en brèche par les principaux instituts de conjoncture.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous verrons bien ! Permettez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, qu’il conviendrait de vous glorifier un peu moins, car selon le consensus des économistes, à ce jour, la croissance devrait plutôt être de 0,7 %.
Je ne sais pas si l’on peut se féliciter de la prévision de croissance de l’Insee pour le premier trimestre 2024, à 0,2 %, après 0,1 % au dernier semestre 2023. Ces chiffres restent faibles – convenons-en – et ne préjugent en rien de la suite. La Banque de France a ainsi précisé que ce taux de croissance était cohérent avec sa propre prévision de croissance annuelle de 0,8 %.
Plus généralement, le scénario du Gouvernement pour la période 2024-2027 n’est pas non plus partagé par les conjoncturistes et me paraît très optimiste. Ainsi, le programme de stabilité anticipe une croissance de 1,5 % par an en moyenne, quand le consensus des économistes s’établit à 1,2 %.
Vous prévoyez une forte reprise de la consommation des ménages, fondée sur une diminution du taux d’épargne que vous n’expliquez pas, et sur un redressement du pouvoir d’achat, lui-même appuyé sur des hypothèses trop optimistes concernant l’emploi.
Sur le début de la période du programme de stabilité, les effets sur l’investissement du resserrement de la politique monétaire opéré entre juillet 2022 et septembre 2023 semblent également fortement sous-estimés, comme je l’avais indiqué dès l’année dernière.
Les prévisions de niveaux de croissance élevés entre 2024 et 2027 reposent sur l’hypothèse selon laquelle les capacités de rebond de l’économie seraient particulièrement fortes et l’écart de production serait encore loin d’être résorbé. Au regard des difficultés actuelles de recrutement dans beaucoup de secteurs, et des pénuries de travailleurs, il est pourtant permis de douter que notre économie fonctionne actuellement en deçà de ses capacités.
En ligne avec ces hypothèses, vous évaluez la croissance potentielle à 1,35 % par an. Une nouvelle fois, ce scénario très optimiste n’est pas partagé par la plupart des conjoncturistes.
Certes, messieurs les ministres, tout est toujours possible, et l’exercice de prévision économique n’est pas, par nature, une science exacte.
Oubliant que vous avez révisé fortement votre prévision de croissance par rapport à celle qui figurait dans la loi de finances pour 2024 – que le Sénat avait déjà critiquée –, vous vous réjouissez désormais des chiffres du premier semestre.
Cependant, les faits sont têtus : le scénario macroéconomique que vous présentez est assurément trop fragile. Il ne me semble pas sérieux d’utiliser des prévisions non rigoureuses à seule fin d’afficher une copie moins dégradée, alors même que le rétablissement de nos comptes publics nécessite de s’appuyer sur des hypothèses prudentes et consensuelles.
J’en viens à la trajectoire des finances publiques.
Vous avez renoncé à respecter la loi de programmation des finances publiques. Quelques semaines à peine après sa promulgation, celle-ci est caduque, dans la mesure où le déficit s’élève à 5,5 % du PIB en 2023, et non à 4,9 % comme elle le prévoyait.
Alors que l’intérêt d’une loi de programmation est d’offrir de la visibilité sur plusieurs années aux citoyens, aux acteurs économiques, à nos partenaires européens, la nôtre ne dure que quelques semaines. Autant dire qu’elle ne sert à rien.
En matière d’endettement public, les prévisions sont alarmantes : la dette, qui devait progressivement diminuer pour atteindre 108,1 % du PIB en 2027, augmentera finalement sur la période, passant de 110,6 % de PIB en 2023 à 112 % en 2027. Votre perspective change : il ne s’agit plus de désendettement, mais d’un accroissement de l’endettement, selon la trajectoire que vous nous présentez.
À plus court terme, la loi de finances pour 2024 est déjà remise en cause, puisque la prévision de déficit pour cette année est portée de 4,4 % à 5,1 % du PIB. Il s’agit tout de même d’une dégradation de 20 milliards d’euros – ce n’est pas l’épaisseur du trait ! – et nous ne sommes qu’en avril.
Dans ces conditions, messieurs les ministres, il est inacceptable que votre gouvernement et vous-mêmes ayez décidé de ne pas présenter de projet de loi de finances rectificative (PLFR). C’est probablement cela qui est le plus grave : je ne peux que constater votre renoncement à redresser les comptes publics.
Cette situation m’inquiète grandement : l’exécutif méprise le Parlement par un usage extrême de l’article 49.3, par l’absence de prise en compte des votes vertueux et des contributions du Sénat et par la non-présentation d’un projet de loi de finances rectificative, alors qu’il dégrade considérablement l’état budgétaire et financier du pays.
Ce programme de stabilité manque totalement de crédibilité : le scénario d’évolution des finances publiques n’est pas documenté, alors qu’il représente un effort sans précédent, encore accentué par rapport à celui que prévoyait la loi de programmation des finances publiques, dont vous n’avez pourtant pas réussi à respecter la trajectoire prévue pour la première année. Sans vision claire des politiques publiques prioritaires, le chemin sera aussi impraticable qu’inaccessible.
Certes, vous pouvez nous opposer qu’il n’est pas encore temps de détailler toutes les économies qu’il faudra adopter jusqu’en 2027.
Pour autant, même pour 2024, rien n’est clair. Vous avez annoncé 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires, qui s’ajoutent aux coupes sombres du décret de février dernier : 5 milliards d’euros reposeront sur le budget de l’État et 2,5 milliards d’euros sur les dépenses des collectivités, sans documentation.
Quid, par ailleurs, des 16 milliards d’euros de crédits de 2023 reportés sur 2024 ? Ils font plus que compenser les efforts d’économies annoncés. Grâce à ces reports, les crédits disponibles en gestion en 2024 sont encore plus importants que ceux qui figuraient dans la loi de finances initiale : c’est un comble ! Le Gouvernement s’est constitué une grosse cagnotte, ni plus ni moins, qui lui permet de financer ses dépenses sans repasser devant le Parlement. « Heureuse circonstance », direz-vous. Comme par hasard…
Sur l’ensemble de la période, le manque de crédibilité de l’effort affiché est patent. Le programme de stabilité prévoit que le déficit public passerait de 5,1 % du PIB en 2024 à 2,9 % en 2027. En termes structurels, cela représente un ajustement de près de 67 milliards d’euros.
Pour mémoire, à la fin de l’année 2022, le Sénat avait adopté un projet de loi de programmation des finances publiques qui comportait un ajustement structurel inférieur et permettait pourtant d’atteindre une cible plus ambitieuse que celle du Gouvernement – un déficit de 1,7 % du PIB, et non de 2,9 %. Or, à l’époque, nous avions été critiqués pour la brutalité et le caractère déraisonnable des choix que nous proposions.
M. Bruno Retailleau. Je m’en souviens !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Malheureusement, du fait de la dérive des comptes publics que vous avez engagée, ces temps sont révolus.
Au total, nous constatons combien l’effort à fournir est massif et sans précédent en un temps si court. Pourtant, comme l’écrit pudiquement le Haut Conseil des finances publiques, votre « documentation reste à ce stade lacunaire ».
En ce qui concerne les recettes, on observe peu de changements : après des ajustements en 2023 et en 2024, aucune mesure de recettes nouvelles n’est prévue pour les années suivantes.
Pour les collectivités, le dégagement d’un excédent de 0,4 point de PIB à l’horizon 2027 semble ne reposer, en fait, que sur le cycle électoral. Un tel effort me paraît relever plutôt du vœu pieux que d’une réelle volonté de corriger le tir.
La majeure partie de l’effort repose sur la sphère sociale, mais, comme vous l’avez rappelé, il s’agit du seul secteur dont les comptes sont à l’équilibre. (M. le ministre le conteste.) Dans ces conditions, il est un peu abusif de le montrer du doigt, ne serait-ce que pour le prendre à revers.
M. le président. Veuillez conclure mon cher collègue !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. J’ai dressé un constat et j’ai abordé successivement les prévisions de croissance et la trajectoire de finances publiques, les deux étant étroitement liées.
Messieurs les ministres, je regrette le triple renoncement du Gouvernement : à la loi de programmation, à une trajectoire de désendettement, à un redressement des comptes du pays par le biais d’un PLFR. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, commençons par un point de satisfaction, qui sera d’ailleurs le seul : le programme de stabilité a été remis dans les temps. (Sourires.) Tel n’est pas le cas d’habitude.
Passons maintenant à la suite – qui est moins drôle – : le programme de stabilité a été présenté à la suite de la publication du déficit pour 2023, lequel s’élève à 5,5 % du PIB, au lieu des 4,9 % prévus.
Pour l’essentiel, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, cela est dû à la surévaluation des recettes – présentons les choses ainsi ! – de tous les grands impôts.
Le rendement de l’impôt sur le revenu est inférieur de 1,4 milliard d’euros aux prévisions, tout comme celui de la TVA, en raison d’une surévaluation de la consommation et aussi, peut-être, de l’inflation. L’écart concernant l’impôt sur les sociétés (IS) est plus important, de l’ordre de 4,4 milliards d’euros.
Le rendement de cette dernière contribution est sans doute très fortement corrélé au cinquième acompte – vous nous le direz bientôt, monsieur le ministre –, lequel, étant à la main des entreprises, est difficile à estimer. Autrement dit, il convient de toujours faire preuve d’une grande prudence en la matière, ce qui n’a sans doute pas été le cas, en l’occurrence.
Toujours en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, je souhaite revenir sur le cycle que nous avons connu depuis quelques années. Très régulièrement, on nous expliquait que la diminution du taux de l’IS de 33 % à 25 % était compensée, car son produit était désormais supérieur à son niveau précédent.
En la matière, je suis pour la mesure, mon interrogation ne porte donc pas sur ce point. J’ai cependant toujours considéré même que le produit de cet impôt fluctuait et que cela était lié à la manière même dont il était prélevé. Je l’ai vérifié : en 2017, année charnière, le produit de l’IS s’est élevé à 64 milliards d’euros ; cette année, il atteint 56 milliards d’euros, ce qui équivaut, après intégration de l’inflation, à 48 milliards d’euros de 2017. Comme vous le constatez, l’écart correspond exactement à celui qui résulte de la diminution du taux d’imposition de 33 % à 25 %.
Monsieur le ministre, on ne peut donc pas raconter qu’en diminuant le taux, on obtient un rendement supérieur. Nous verrons ce qu’il en sera à l’avenir, mais pour le moment ce n’est pas le cas.
En ce qui concerne les autres recettes, qui restent globalement stables, j’accorderai une « spéciale dédicace » à la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité. (Marie-Claire Carrère-Gée applaudit.) Alors que son rendement avait d’abord été estimé à 12,3 milliards d’euros en loi de finances initiale, puis à 8 milliards d’euros, à 5 milliards d’euros et enfin à 2,7 milliards d’euros en loi de finances de fin de gestion, elle n’a rapporté que 600 millions d’euros. Excusez du peu !
Quand on ne sait pas calculer les recettes d’un nouvel impôt – ce qui était le cas, et nous pouvons le comprendre –, ne vaut-il pas mieux éviter de produire une estimation dès la première année ? Ces 600 millions d’euros auraient pu constituer une bonne surprise de fin d’année… Comment ne pas penser que les 12 milliards d’euros figurant dans la loi de finances initiale constituaient, quant à eux, une réponse plus politique que financière au sujet ?
Si l’on pousse les estimations de façon imprudente en même temps dans tous les domaines, le risque est que, un jour ou l’autre, tous les indicateurs passent au rouge. On obtient alors malheureusement les chiffres d’aujourd’hui.
Ces résultats pour 2023 ne pouvaient pas plus mal tomber : l’annonce de l’augmentation de 12 % du déficit est intervenue après un discours martial – comme souvent, reconnaissons-le – concernant la contrainte budgétaire et après l’adoption d’un projet de loi de finances par le recours au 49.3.
Ils ont été publiés deux mois après l’adoption, toujours grâce au 49.3, d’une loi de programmation des finances publiques. Record battu ! Généralement, les LPFP sont obsolètes au bout de deux ans. Ce n’est pas brillant, mais c’est ainsi. Cette année, deux mois auront suffi.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Contraction du temps !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Quel est l’impact de cette situation ? Notre crédibilité auprès de nos partenaires européens est très largement entamée. Quant à nous, parlementaires, quel crédit pouvons-nous donner aux nouveaux chiffres présentés ? Nous ne pouvons que rester prudents. De même, quelle confiance les Français peuvent-ils accorder à la parole gouvernementale ?
Au moins pourrions-nous espérer que le discours, quelque peu ridicule, convenons-en, sur les baisses d’impôt à venir sera abandonné, mais je n’en suis même pas certain.
Des recettes ciblées complémentaires seront peut-être enfin envisagées. On ne sait trop quelle est la position de la majorité gouvernementale sur ce point : faut-il taxer la rente, les rachats d’actions ? On entend tout dans la majorité présidentielle, maintenant, alors que nous avions nous-mêmes formulé de telles propositions dans un passé récent.
Peut-être pourrons-nous mener une réflexion sur l’impact d’éventuelles diminutions de crédits sur la croissance ? Encore faut-il pour cela disposer des vrais chiffres et savoir comment le Gouvernement établit ses calculs et construit ses estimations. Messieurs les ministres, il ne faut pas être péremptoire, il faut expliquer.
Peut-être, enfin, se rendra-t-on compte que, face à une impasse budgétaire d’une telle ampleur, nous avons besoin d’un débat politique sur les priorités et sur les choix des politiques publiques, et non de manipulations financières, si je puis dire. Dépôt d’un PLFR, débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution, etc. le Gouvernement a le choix des armes à cet égard.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner le programme de stabilité que la France doit adresser à la Commission européenne.
Je dois vous faire part d’une certaine perplexité à ce sujet.
L’année dernière, ce débat s’inscrivait dans un contexte particulier : le projet de loi de programmation des finances publiques avait été rejeté par l’Assemblée nationale, puis adopté, profondément modifié, par le Sénat. Cette année, nous disposons – enfin ! – d’une LPFP, mais la situation est, pourrait-on dire, plus particulière encore que l’an passé : cette loi est déjà caduque, au bout de quelques mois seulement, en l’absence pourtant de crise économique.
Nous ne disposons donc plus, de fait, de LPFP, au moins comme instrument de programmation des finances publiques. Si elle n’est pas remplacée d’ici là par une autre, cette loi pourra toutefois se rappeler à notre bon souvenir chaque mois d’avril au cours des trois prochaines années, si le Haut Conseil des finances publiques finit par considérer que, même en prenant en compte le passage de l’Insee à la base 2020 au début de cette année, le déficit structurel est supérieur de plus de 0,5 point de PIB à ce qu’elle prévoit.
À l’automne dernier, alors même que les prévisions pour 2023 étaient nettement meilleures que ne l’a finalement été l’exécution, je vous avais fait part des doutes de la commission des affaires sociales sur le volet de la LPFP relatif aux finances sociales.
En retenant les hypothèses de croissance du consensus des conjoncturistes, et en ne prenant en compte que les mesures effectivement documentées, la commission parvenait en 2027 à un excédent des administrations de sécurité sociale de seulement 0,2 point de PIB plutôt que de 1 point, comme cela était prévu dans le texte.
L’exécution budgétaire de l’année 2023 confirme malheureusement les doutes que nous avions exprimés cet automne : l’excédent des administrations de sécurité sociale n’a été que de 0,5 point de PIB, et non pas de 0,7 point comme prévu. Je crains que l’objectif d’un excédent de 1 point de PIB en 2027 ne s’éloigne.
Le programme de stabilité qui nous est présenté ne fait qu’accroître nos doutes.
Schématiquement, le Gouvernement a fait le choix de partir du déficit de 2023, nettement supérieur aux prévisions de la LPFP, de conserver son objectif pour 2027, et de tracer un trait entre les deux, s’agissant de l’ensemble des finances publiques comme du cas particulier des finances sociales.
Comment y parvient-on ? Pour reprendre l’expression popularisée par Henry de Montherlant dans sa pièce Demain il fera jour : « Mystère et boule de gomme ! »
Il est vrai que les programmes de stabilité sont, par nature, beaucoup moins précis que les LPFP. Par exemple, les dépenses et les recettes en points de PIB ne sont exprimées que pour l’ensemble des administrations publiques, et non par catégorie, ce qui constitue évidemment une forte limitation en ce qui concerne les administrations de sécurité sociale. On n’y trouve donc pas, a fortiori, ces informations pour la sécurité sociale au sens strict, l’assurance chômage ou les régimes complémentaires de retraite.
Toutefois, comme le souligne le HCFP, ce programme de stabilité pose un problème de cohérence. D’une part, il implique des économies très importantes, qui emporteront inévitablement un impact sur la croissance ; d’autre part, il retient, surtout en fin de période, une hypothèse de croissance supérieure au consensus.
Il n’est donc pas évident de savoir sur quoi nous débattons aujourd’hui. Faut-il comprendre que le Gouvernement veut préserver la croissance, et donc ne pas faire d’économies aussi importantes ? Ou qu’il souhaite vraiment réaliser ces économies, ce qui réduirait immanquablement la croissance ? S’agit-il pour nous de débattre de la nécessité de ramener le déficit sous le seuil des 3 % en 2027, du réalisme de cet objectif ou de la manière d’y parvenir ?
Depuis un quart de siècle, les programmes de stabilité ont tous consisté en de simples projections, reposant sur des hypothèses conventionnelles, systématiquement optimistes. Nous pouvons donc discuter sans fin du réalisme de telle ou telle prévision, mais ce qui importe, en définitive, c’est que les finances publiques soient effectivement pilotées.
Or ce programme de stabilité ne comporte quasiment aucune mesure concrète. Nous nous demandons donc ce qu’il réserve implicitement à la sphère sociale. La LPFP prévoit la réalisation en 2025 – l’année prochaine ! – de 6 milliards d’euros d’économies sur l’ensemble du secteur. Nous comprenons que ce montant atteindrait désormais plutôt 10 milliards d’euros environ. Le Premier ministre a ainsi récemment annoncé une réduction de la durée d’indemnisation du chômage.
Les déclarations publiques suggèrent en outre que le Gouvernement serait favorable à une diminution du coût des indemnités journalières et du transport sanitaire, mais qu’il serait opposé, par exemple, à une réforme du régime des affections de longue durée (ALD) ou à une modulation de la prise en charge des frais de santé en fonction du revenu.
Qu’en est-il vraiment ? Comment le Gouvernement entend-il concrètement atteindre les objectifs du programme de stabilité dans le cas des finances sociales ?
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Nous attendons des réponses sur ce point précis aujourd’hui, messieurs les ministres. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis pour aborder le programme de stabilité budgétaire dans un contexte budgétaire alarmant : la dette publique s’élève à 3 100 milliards d’euros et le déficit budgétaire à 148 milliards d’euros.
Ramener le déficit à 3 % du PIB en 2027 par des revues de dépenses dévoilées au fil de l’eau, sans jamais actionner le levier fiscal, semble irréalisable.
Une fois n’est pas coutume : le HCFP considère que la trajectoire financière que vous nous avez présentée, messieurs les ministres, manque de « crédibilité » et de « cohérence ». Cette même instance, je le rappelle, jugeait votre prévision de croissance trop optimiste et votre prévision de déficit pas assez réaliste. Dans cet hémicycle, nous connaissons tous la suite…
Revenir sous la barre des 3 % de déficit, malgré les dérapages de 2023 et de 2024, nécessitera un « ajustement massif » en quatre ans. La vigie budgétaire indépendante chiffre cet effort à 2,2 points de PIB, soit environ 65 milliards d’euros. Si l’on prend en compte l’augmentation anticipée de la charge de la dette, cette somme atteindrait même plus de 95 milliards d’euros, un montant bien supérieur à ce qui était prévu jusqu’à présent.
Le HCFP souligne surtout qu’une telle prévision « manque de crédibilité ». Pour cause : un tel effort n’a jamais été réalisé dans le passé. De plus, le Gouvernement ne détaille pas comment il compte y parvenir. Pour l’année 2025 seulement, il lui faut trouver la somme de 27 milliards d’euros, un chiffre colossal.
Avec 900 milliards d’euros de dettes supplémentaires en sept ans, le Mozart de la finance semble désormais jouer en ré mineur. Après trois ans de « quoi qu’il en coûte », nous voilà partis pour trois ans de « quoi qu’il en coupe ». (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Politiquement, le Gouvernement se voit placé, une fois de plus, à la merci des Républicains, qui agitent, tel un tigre de papier, le spectre d’une potentielle motion de censure sur le prochain texte budgétaire, que vous vous refusez à soumettre à la représentation nationale.
De l’aveu même du Président de la République, le dérapage du déficit est lié non pas à un excès de dépenses, mais à un problème de recettes. Pourquoi, dès lors, ne pas tirer les conclusions en matière budgétaire des propres constatations du Président ? Si vous ne voulez pas écouter vos oppositions et votre propre majorité, écoutez au moins le Président de la République !
Au final, nous ne pouvons que nous demander qui pilote.
M. Vincent Capo-Canellas. Ça, c’est perfide !
M. Thierry Cozic. Est-ce le ministre Le Maire, qui veut imposer à ses propres partenaires politiques un collectif budgétaire avant les élections européennes ? Est-ce le Président de la République, qui ne veut entendre parler ni de PLFR ni de coupe dans les dépenses, pour ne pas créer une ambiance anxiogène dans le pays ? Est-ce le Premier ministre, qui met en place une task force consacrée à la taxation des rentes ?
Si vous mettiez la même énergie à taxer sérieusement les rentes des profiteurs de crise que celle que vous employez à faire les poches des chômeurs, ces 3 milliards d’euros seraient déjà depuis longtemps dans les caisses de l’État. Mais, une fois de plus, vous comptez faire peser l’effort de redressement des comptes publics sur les mêmes populations.
Fort avec les faibles et faible avec les forts, voilà qui résume bien cyniquement votre doctrine, si l’on en croit la cinquième réforme de l’assurance chômage que vous comptez mener prochainement.
Comme je le disais, plusieurs voix cohabitent, quand elles ne s’affrontent pas, au sommet de l’État. Il est vrai que cela finit par ressembler à une « foire à la saucisse », pour paraphraser celui qui en est le premier responsable.
Je suis au regret de vous dire que vous avez perdu la confiance des Français. J’en veux pour preuve que, en dépit de tous les sondages, leur taux d’épargne s’élève à 18 %, un record hors période du covid-19.
Messieurs les ministres, les Français le sentent : le mur de la dette se rapproche et vous discutez de sa couleur. Pourtant, maîtriser nos finances publiques constitue une nécessité impérieuse pour faire face à la complexité des problématiques contemporaines qui se présentent à nous.
Nos besoins de financement sont colossaux : services publics, armée, transition écologique, décarbonation, gestion du grand âge, etc. Or, à cause de votre impéritie, nous nous trouvons à l’os, face au plus grand plan d’investissement à réaliser depuis la Seconde Guerre mondiale.
Ces investissements nécessiteront la mobilisation de moyens importants, que les leviers fiscaux actuels ne permettent pas de garantir. Nous devons faire le choix d’augmenter le niveau de solidarité pour financer les besoins sociaux, et de ne pas transférer l’intégralité du financement aux individus, au risque d’accroître encore les inégalités.
M. Patrick Kanner. Très bien !
M. Thierry Cozic. Monsieur le ministre, la dépense publique ne saurait être considérée seulement comme un fardeau ; elle doit garder un sens redistributif, et continuer à assurer la gratuité d’accès à l’éducation et à la santé, tout en améliorant sa qualité. C’est fondamental pour contrer la montée du populisme. Sans une telle prise de conscience, vous condamnez notre pays au recul et vous poussez nos concitoyens vers les extrêmes. L’Histoire vous regarde et ne vous oubliera pas. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Messieurs les ministres, je vous ai écoutés avec attention et je trouve que vous ne manquez pas d’aplomb. Vous êtes satisfaits de votre œuvre,…
M. Albéric de Montgolfier. Il n’y a pas de quoi !
M. Bruno Retailleau. … pourtant, la situation budgétaire actuelle se caractérise par trois mots : le décrochage, la dissimulation, mais aussi la démission.
Ces trois mots résument les choix budgétaires irresponsables qui ont été faits ces dernières années et qui resteront, au regard de l’histoire, symbolisés par les 1 000 milliards d’euros d’endettement supplémentaires qu’aura accumulés Emmanuel Macron durant ses deux quinquennats.
Je commencerai par le décrochage.
Les choses sont claires : la France est désormais le pays le plus mal géré d’Europe. Sur le podium des contre-performances, nous sommes médaille d’or pour la dépense publique et médaille d’argent pour les prélèvements obligatoires.
C’est bien simple, notre pays ne brille désormais que par ses inconséquences. Quand on se compare, on se désole systématiquement.
Sur l’endettement, seules la Grèce, qui se relève budgétairement, et l’Italie font désormais moins bien que nous. Emmanuel Macron aura même fait moins bien que ses prédécesseurs. Je me souviens des deux crises survenues pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy : l’endettement avait alors augmenté proportionnellement à la moyenne européenne. Aujourd’hui, l’écart est de plus de vingt points.
Sur le déficit public, nous sommes à l’avant-dernière place, juste devant la Belgique. Vous n’atteindrez pas les objectifs que vous vous êtes fixés, parce que la trajectoire et les hypothèses sur lesquelles ceux-ci se fondent sont malheureusement fausses – j’y reviendrai.
Le problème, mes chers collègues, est que la France présente la particularité d’être le seul pays à cumuler déficit budgétaire et déficit commercial. C’est cela qui, malheureusement, nous singularise : l’État dépense plus qu’il ne gagne, mais le pays consomme plus qu’il ne produit ! Ce sont ce que l’on appelle des « déficits jumeaux » – il faudrait même plutôt parler, dans le cas de la France, de « déficits siamois » – qui se tiennent et s’entretiennent. Une telle conjonction est terrible pour notre nation.
J’ai entendu beaucoup de chiffres – c’est normal, s’agissant d’un débat sur un programme de stabilité des finances publiques –, mais ceux-ci dissimulent une réalité : la France et les Français. Notre pays est désormais menacé dans sa prospérité comme dans sa souveraineté.
Il l’est d’abord dans sa prospérité. On a menti aux Français en leur disant que la dépense publique faisait la croissance et la qualité des services publics. Si cela était vrai, notre pays se trouverait à l’avant-garde du bonheur universel, et nos grands services publics ne seraient pas en train de s’effondrer. Aujourd’hui, ils nous coûtent plus cher que ce qu’ils coûtent en moyenne dans les grands pays européens.
S’il était vrai que la dépense créait de la croissance, nous connaîtrions une parfaite corrélation entre ces deux dynamiques. Or considérons les chiffres, au-delà même des deux quinquennats d’Emmanuel Macron : depuis les années 2000, nous sommes au 168e rang. En d’autres termes, nous sommes les premiers en termes de dépenses publiques et parmi les derniers en matière de croissance, la nôtre étant extrêmement molle.
Pendant ce temps, la France s’appauvrit : c’est le sort d’un pays qui s’endette. En 2027, la seule charge de la dette, c’est-à-dire les intérêts d’emprunt, représentera l’équivalent du produit de l’impôt sur le revenu, et nous levons pratiquement tous les ans désormais près de 300 milliards d’euros sur les marchés.
Les Français s’appauvrissent également, avec un niveau de vie inférieur de moitié à celui des Américains – dans les années 1980, nous étions au même niveau… – et environ 5 000 euros de moins par an et par habitant que les Allemands.
Menacé dans sa prospérité, notre pays l’est évidemment aussi dans sa souveraineté, puisque la moitié de sa dette est détenue par des mains étrangères. Napoléon avait une très bonne formule, malheureusement oubliée : « La main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit. » La France perd sa souveraineté budgétaire et financière ; or un pays qui ne tient pas ses comptes ne tient pas son rang.
Si le discours européen du Président de la République à la Sorbonne a sonné creux, c’est tout simplement en raison de notre rang et de la situation de nos finances publiques. Comment voulez-vous que le cancre de la classe européenne donne des leçons à tous les Français et « en même temps » à tous les pays européens ? C’est d’autant moins crédible qu’une procédure pour déficits excessifs sera engagée contre notre pays dans quelques semaines, après les élections européennes.
Après le décrochage, la dissimulation. Comme l’a souligné Jean-François Husson – je le dirai sans doute avec moins de talent que lui (M. le rapporteur général de la commission des finances s’esclaffe.) – : vous saviez, et vous avez caché la réalité aux Français et au Parlement.
M. Bruno Retailleau. Mais si, vous saviez ! Le Gouvernement savait que nous avions raison lors de l’examen du projet de loi de finances, quand le président et le rapporteur général de la commission des finances soulignaient que ses hypothèses étaient fantaisistes. Les Français ont désormais conscience de cela grâce au travail de la commission, et en particulier du rapporteur général, qui a effectué un contrôle sur place et sur pièces.
Monsieur le ministre, je vous ai bien entendu : vous vous dites ouvert à tous les patriotes et à tous ceux qui veulent relever la France – nous en sommes évidemment. Vous affirmez nous tendre la main, mais nous vous l’avions nous-mêmes tendue au mois de décembre dernier.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous avions proposé 7 milliards d’économies !
M. Bruno Retailleau. Pourquoi ne pas l’avoir saisie lorsque nous vous proposions 7 milliards d’euros d’économies ? Une main tendue, cela doit aller dans les deux sens.
Nous sommes évidemment disponibles pour relever le pays, parce que nous aimons la France. Pour nous, la politique du pire est la pire des politiques. Le problème est que vous persistez dans vos dissimulations et que vous vous défaussez.
Vous vous défaussez quand le Président de la République dit que la France « n’a pas un problème de dépenses excessives, mais un problème de moindres recettes ». Vous avez vous-même convoqué le registre de l’accidentologie, monsieur le ministre.
Comme à son habitude, le Gouvernement nous dit en substance : « Ce n’est pas ma faute ; c’est celle des autres. Nous avons eu un pépin météorologique. Cela nous est tombé du ciel. C’était imprévisible ; d’autres l’avaient prévu, mais pour nous, c’était imprévisible. » Non, ce n’est pas possible ! Ces propos sont la marque de l’imprévoyance et nier la réalité me semble une très mauvaise idée.
En plus d’avoir dissimulé, vous aggravez votre cas puisque vous persistez. Jean-François Husson a évoqué – peut-être cela n’a-t-il pas été suffisamment remarqué ? – les 16 milliards d’euros de reports. Voilà une façon de contourner le Parlement, alors que vous ne présenterez pas de collectif budgétaire à la représentation nationale.
Vous persistez dans des hypothèses dont tout le monde considère qu’elles sont intenables : la Cour des comptes, le Haut Conseil des finances publiques, les deux agences de notation – lisez leurs considérants ! – et même le Fonds monétaire international (FMI) dans son récent rapport.
Vous êtes seuls à y croire ; aucun autre institut ne pense que nous atteindrons l’objectif des 3 % en 2027. Non seulement nous serons le dernier des pays européens, mais, en plus, nous manquerons le but : un effort aussi important que celui que vous prévoyez sur trois ans ne s’est jamais vu au cours de notre histoire.
Après le décrochage et la dissimulation, la démission. Bruno Le Maire a rappelé à juste titre des exemples de pays d’Europe et d’Amérique du Nord qui se sont spectaculairement renforcés et redressés dans les années 1990. Je pourrais évoquer le Portugal, voire la Grèce. Rien n’est donc jamais irréversible. Pour autant, il faut agir avec détermination en actionnant les bons leviers.
Ces deux leviers – vous avez parlé tout à l’heure de « piliers » –, ce sont la création de richesses et la réforme, mais comme vous y allez à petits pas ou en zigzag, cela ne peut pas fonctionner.
En matière de croissance, de création de richesses, le problème français est le déficit de travail. Par rapport à la moyenne européenne, il nous manque trois semaines d’activité dans une année. Comment peut-on, sur cette base, se redresser et financer un modèle social généreux ?
Pourtant, le Premier ministre évoque la semaine de quatre jours pour la fonction publique, et vous accompagnez la SNCF ou les aiguilleurs du ciel dans des accords sociaux absolument scandaleux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Le contrat de travail unique (CTU), promesse présidentielle, dévalorise le travail.
M. Albéric de Montgolfier. En même temps…
M. Bruno Retailleau. Toujours le « en même temps » !
Quant à vos réformes, elles se limitent pour l’instant à la fin de l’École nationale d’administration (ENA) et à la fragilisation du corps préfectoral et du corps diplomatique, que le monde entier nous enviait.
Pour le reste, notre administration est toujours plus nombreuse et, malheureusement, toujours plus paupérisée. Dernièrement, à la suite des travaux de notre commission d’enquête sur le scandale McKinsey, vous avez créé une agence pour conseiller les agences, et recruté – je dis bien « recruté » et non « redéployé » – de nouveaux fonctionnaires pour conseiller les fonctionnaires existants. Telle est la réforme de l’État que le Gouvernement cherche à nous vendre !
Quid, en outre, de celle du modèle social et de la lutte contre le gaspillage ? Nous avons voté ici, il y a deux ans, la carte Vitale biométrique pour éviter les fraudes. Où en sommes-nous ?
Le Premier ministre semblait vouloir nous suivre dans une réforme réglementaire de l’aide médicale de l’État. Aujourd’hui, les Français qui cotisent vont payer plus cher leurs médicaments ; pour les clandestins, ce ne sera pas le cas. N’y a-t-il pas là un problème ? Ne pourrait-on pas répartir un peu mieux l’effort ?
Sur l’assurance chômage – Frédérique Puissat serait mieux placée que moi pour en parler –, la dernière réforme n’est toujours pas appliquée, son dernier décret date, il me semble, du mois de janvier 2023. Or vous nous en promettez une nouvelle, qui entrera en contradiction avec la précédente, laquelle était contracyclique. Comment une politique menée à ce point en zigzags pourrait-elle donner des résultats ? Voilà le problème fondamental d’Emmanuel Macron et du Gouvernement aujourd’hui.
Je vous le dis solennellement à cette tribune : votre trajectoire est fausse et vous ne redresserez pas les comptes. Vous avez creusé le déficit et la dette ; ce faisant, vous avez plombé l’avenir.
Balzac avait une très belle phrase ; monsieur le ministre, vous êtes un littéraire, vous l’apprécierez : « Une génération n’a pas le droit d’en amoindrir une autre. »
Vous plombez notre avenir, car nous sommes face à des chocs, à de grands défis démographiques et géopolitiques, au changement climatique. Il nous faut mobiliser des ressources, mais nous n’avons plus de marges de manœuvre. Face à de tels défis, il faudrait beaucoup plus qu’un programme de stabilité appuyé sur des hypothèses macroéconomiques hasardeuses et des promesses d’économies budgétaires totalement vaporeuses.
Nous avons besoin d’une rupture totale avec un modèle qui est désormais complètement dépassé, qui fonctionne comme un anti-modèle et qui est en train d’appauvrir les Français.
Certes, je me réjouis de l’absence de dégradation, car vous avez raison, nous ne saurions souhaiter le pire pour le pays. Si les taux d’intérêt s’étaient envolés, les Français auraient dû payer.
Je conclurai en rappelant le constat de Lawrence Summers, excellent secrétaire d’État du Trésor des États-Unis. Il remarquait qu’en matière d’économie, les choses vont beaucoup plus lentement qu’on ne le pense, mais que, quand les crises démarrent, elles vont toujours plus vite que ce que l’on croit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après sept ans de pouvoir, nous voilà à l’heure des comptes. Étonnamment, ceux-ci ne sont pas bons.
La France apparaît comme l’homme malade de l’Europe, au niveau de l’Italie et de la Grèce. Nous sommes devant le mur : il vous faut trouver 95 milliards d’euros pour faire d’un déficit abyssal un déficit seulement catastrophique d’ici à l’alternance de 2027. Autant dire que la mission est impossible avec votre prisme idéologique.
Aurez-vous le courage d’énoncer votre projet devant la représentation nationale ? Singulièrement, assumerez-vous devant le Sénat de diminuer encore les maigres subsides accordés aux collectivités ?
Certes, dans ce domaine, comme dans d’autres, des économies sont possibles, mais après les contrats de Cahors et autres inventions technocratiques, allez-vous restreindre une autonomie financière déjà fantomatique, ou limiter toujours plus la capacité d’investissement des collectivités, qui assurent pourtant 60 % de l’investissement public total et dont le rôle est central pour la transition écologique qui est sur toutes les lèvres ?
Plus grave encore, vous publiez des chiffres au mieux optimistes, au pire mensongers. Désormais, ni les agences, ni les institutions financières du pays, ni les marchés ne vous croient plus. Vous projetez une croissance de 1 % après l’avoir attendue à 1,4 %, quand l’OCDE l’estime à un faible 0,7 % pour 2024.
Le Sénat se souvient encore avec effarement combien, lors des débats sur le projet de loi de finances, vous vous étiez accroché à vos perspectives de croissance, dont tout le monde savait alors qu’elles étaient illusoires. Pour essayer de redresser la barre de ce Radeau de la Méduse, vous publiez en catimini un programme de stabilité et un plan de réformes particulièrement plat, répondant ainsi à des obligations européennes, lesquelles remettent par ailleurs en cause notre souveraineté nationale.
Comment vous faire confiance quand vous appliquez des méthodes qui ont abouti à 1 000 milliards d’euros de dettes supplémentaires, dont 700 milliards d’euros dus à la mauvaise gestion structurelle de nos comptes ?
Vous préparez ainsi une cure d’austérité souterraine. Quand vous attaquerez-vous enfin aux dépenses indues causées par l’immigration, par la fraude fiscale ou par la surcontribution au budget de l’Union européenne, au lieu de remettre systématiquement en cause les rares dispositifs efficaces créés lors de ce mandat, comme le compte personnel de formation (CPF) ?
Enfin, la situation appelle une prise de responsabilité politique. Les oppositions sont majoritaires au Parlement, nous attendons que les députés Les Républicains se décident, au risque d’être emportés dans la débâcle du pouvoir. Dans tous les cas, il nous faudra revenir aux urnes. Nous y sommes prêts.
D’ici là, il faudra à tout le moins présenter un projet de loi de finances rectificative. (M. Aymeric Durox applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en matière d’économie, il y a deux excès à éviter : le premier, c’est l’excès d’optimisme ; le second, c’est l’excès de…
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Modération ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Emmanuel Capus. … pessimisme.
L’excès d’optimisme consiste à considérer que tout va toujours pour le mieux, que l’avenir est radieux et qu’il le sera toujours. On y cède lorsque l’on se focalise sur les bonnes nouvelles et que l’on néglige les mauvaises. Il s’agit d’une forme d’irénisme qui peut se révéler coupable. On s’y complaît lorsque l’on manque de lucidité, lorsque l’on refuse de regarder un danger en face ou lorsque l’on ferme les yeux sur les causes de ce danger.
L’excès de pessimisme est l’inverse : il consiste à tout voir sous un angle négatif, à tout critiquer par principe. C’est faire du mauvais temps une ligne de conduite. Ceux qui le pratiquent régulièrement ne savent plus comment réagir face à une bonne nouvelle : ils n’y voient même pas une éclaircie passagère, mais l’annonce d’une prochaine tempête, d’un désastre à venir.
L’excès d’optimisme trahit une confiance aveugle en l’avenir, l’excès de pessimisme, une forme de défiance. Ces deux excès nuisent à la confiance, qui est la base de l’économie. Pas de commerce, pas d’investissements, pas de recrutement sans confiance en l’avenir.
Or l’excès d’optimisme, comme l’excès de pessimisme, n’inspire pas confiance. Au contraire : les responsables politiques qui s’y adonnent risquent le discrédit ; parce qu’ils font la part belle à l’idéologie plutôt qu’au pragmatisme, ils manquent en fait de lucidité. Il est difficile de gagner la confiance lorsque l’on perd prise avec le réel.
Vendredi dernier, les agences de notation Moody’s et Fitch ont finalement maintenu la note de la France. C’est une mauvaise nouvelle pour ceux qui se réjouissaient par avance à l’idée de fustiger de nouveau la politique du Gouvernement. Pour notre groupe, c’est une bonne nouvelle : une dégradation aurait pu alourdir la charge de la dette, qui est toujours la pire des dépenses publiques. C’est, à mon sens, le sentiment qui devrait prédominer au Sénat.
Je vous rassure : il ne s’agit pas de considérer les agences de notation comme les juges ultimes de nos politiques économiques ; en revanche, on peut raisonnablement considérer qu’elles ne cèdent ni à l’excès d’optimisme ni à l’excès de pessimisme.
Elles ne notent pas l’état de nos finances publiques, qui résulte de décennies de laxisme budgétaire ; elles se prononcent non pas sur le passé, mais sur l’avenir. Vendredi, elles ont estimé que la France pourra rembourser sa dette. Pas plus, pas moins.
Le programme de stabilité trace un chemin dans cette direction. Comme notre rapporteur général, je trouve que le rythme de réduction du déficit n’est pas assez rapide.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit !
M. Emmanuel Capus. En la matière, on va rarement plus vite que ce que l’on a annoncé ; souvent, on va plutôt plus lentement. Alors, autant faire preuve d’ambition !
Je crois tout de même que ce programme de stabilité ne pèche ni par excès d’optimisme ni par excès de pessimisme. Certes, la prévision de croissance est supérieure à ce que nous avons connu lors des dernières années, mais je note qu’elle est inférieure au rythme que connaissait notre pays en la matière entre 2017 et 2019, sous le gouvernement d’Édouard Philippe.
Cette hypothèse de croissance, qui sous-tend l’ensemble du programme, est donc réaliste. Bien entendu, elle dépend largement des événements géopolitiques, en Ukraine, au Proche-Orient et particulièrement en Arménie – je reviens d’un déplacement dans ce dernier pays avec une délégation du groupe d’amitié présidé par Gilbert-Luc Devinaz.
Pour autant, le Gouvernement aurait sans doute versé dans l’excès de pessimisme s’il avait retenu l’hypothèse d’un embrasement généralisé menant à une troisième guerre mondiale.
L’important, selon nous, est de garder un cap clair : baisser les dépenses publiques pour réduire le déficit et amorcer le désendettement de la France. Notre groupe a fait plusieurs propositions en ce sens, que nous continuerons à défendre. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite faire rapidement passer quelques messages.
À l’instar d’autres orateurs, j’aimerais souligner la difficulté extrême face à laquelle nous nous trouvons : nous constatons un dérapage de nos finances publiques, clairement documenté, avec une dette pour 2023 supérieure à la prévision de 0,9 point de PIB, et nous avons un problème de crédibilité, que le Haut Conseil des finances publiques a illustré.
Cela ne date pas d’aujourd’hui. Depuis vingt ans, il me semble qu’aucune loi de programmation des finances publiques n’a été respectée. Fort heureusement, les marchés achètent notre dette, qui reste un bon placement, mais cela ne pourra pas durer éternellement et la charge de la dette va devenir notre premier poste de dépenses.
Nous avons un problème de crédibilité à propos de l’horizon des 3 % en 2027, qui paraît difficilement atteignable : nous n’avons jamais baissé la dépense publique de 0,5 point de PIB par an. Nous voyons mal comment assurer le réglage entre les coupes budgétaires, le soutien à la croissance, le maintien d’une trajectoire pro-business, l’équité sociale et territoriale et la stabilité fiscale. C’est sans doute la quadrature du cercle.
La recherche de ce bon réglage doit nous mobiliser, notamment pour ce qui concerne les coupes budgétaires nécessaires et le maintien d’un certain niveau de croissance.
Augmenter le taux d’activité est évidemment la clé ; des progrès ont été réalisés à cet égard, il convient de les saluer. Il est nécessaire d’avancer dans cette voie, laquelle relève, à mon sens, du long terme.
Il est illusoire de penser que nos problèmes ne se régleront qu’avec de la croissance, comme de considérer que tout se résoudra avec des baisses de dépenses. Certes, on peut réduire quelques flux, fermer des robinets, mais de tels choix sont aussi récessifs, et leurs effets ne sont sans doute pas à l’échelle nécessaire.
Une redéfinition des missions de l’État, des choix de politique publique s’impose. Certains opérateurs de l’État y sont parvenus, nous devons nous en inspirer.
À court terme, il nous faut évidemment baisser nos dépenses, mais aussi augmenter un certain nombre de recettes. Outre la croissance, des mesures sont aujourd’hui sur la table, concernant la rente inframarginale de la production d’énergie – M. le ministre l’a évoquée tout à l’heure –, la taxe sur les rachats d’actions, voire sur un certain nombre de surprofits liés à la crise.
Nous devrons également nous poser la question de l’étalement de certaines baisses d’impôts en direction des entreprises comme des ménages. Certes, c’est douloureux, mais il devient difficile d’accroître soi-même la baisse de ses propres recettes !
Tout cela intervient, en outre, à un moment où nous devons investir dans l’innovation, dans l’intelligence artificielle, dans la transition écologique, dans la défense, dans la santé et dans le bien-vieillir, ce qui ajoute une grande difficulté.
Sur l’innovation, la transition écologique et l’intelligence artificielle, l’Union européenne doit sans doute prendre sa part : elle ne saurait être uniquement prescriptive.
La situation n’est donc pas facile. À la veille du scrutin européen, nous devons faire preuve d’un esprit de responsabilité. Faut-il déboucher sur une crise politique ? À mon sens, non. Je mesure que l’absence de majorité à l’Assemblée nationale rend le dialogue difficile ; il l’est nécessairement avec nous, car le Gouvernement a été conduit à agir par voie réglementaire. Un tel procédé nous heurte et n’est pas de nature à assurer la crédibilité des engagements pris.
Il revient au Gouvernement, selon moi, de créer les conditions pour dépasser une telle situation, car aller vers une crise politique qui s’ajouterait aux difficultés actuelles serait prendre un bien grand risque : les marchés financiers détestent ce genre d’incertitudes.
Nous devons sans doute concentrer l’action des pouvoirs publics autour de quelques priorités, parmi lesquelles le redressement des finances publiques.
Il convient également d’adapter la méthode, car nos concitoyens sont à juste titre inquiets quand ils mettent la somme des prélèvements fiscaux en regard de l’inefficacité de l’État sur bien trop de sujets.
Le groupe Union Centriste reste une force de proposition, mais ne peut pas masquer ses graves inquiétudes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Ghislaine Senée. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui du programme de stabilité qui présente les prévisions de croissance et la trajectoire des finances publiques que le Gouvernement s’est fixée à l’horizon 2027, conformément aux obligations du pacte de stabilité et de croissance de 1997.
Rappelons-le, ce pacte prévoit que la dette représente moins de 60 % du PIB, avec un déficit annuel inférieur à 3 %.
Pour nous, écologistes, ce pacte européen est obsolète à bien des égards. D’abord, cela fait maintenant vingt-cinq ans que la France n’a pas été en mesure de le respecter. Ensuite, et surtout, dans le calcul des déficits, les investissements verts, qui préparent l’avenir et nous protègent, et les investissements bruns, qui accélèrent les crises climatique et sociale et menacent notre capacité à vivre, sont malheureusement mis sur le même pied.
Dans ce contexte, que dire de la feuille de route du Gouvernement présentée dans ce programme de stabilité ?
L’analyse économique du Haut Conseil des finances publiques, déjà abondamment citée, est sans appel : votre trajectoire pour nos finances publiques n’est ni crédible ni cohérente et vos prévisions sont si déraisonnablement optimistes que personne ne croit sérieusement que le déficit de la France passera sous le seuil des 3 % du PIB en 2027.
Cela pose question quant à l’application du pacte récemment réformé et voté par la majorité européenne, sans les voix écologistes, lequel fixe un nouvel impératif de 1,5 % pour les États, dont la France, ayant une dette supérieure à 60 % du PIB. Ce nouvel objectif apparaît comme totalement hors de portée.
Pour réduire les déficits, vous disposez de deux leviers directs : baisser les dépenses ou augmenter les recettes.
Depuis sept ans, vous décidez de priver le budget de l’État de milliards d’euros de recettes, en accordant des cadeaux fiscaux aux entreprises et aux plus aisés : suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), exonérations de cotisations, niches fiscales, suppressions d’impôts et de taxes… De tels choix politiques emportent des dépenses fiscales considérables.
Aussi, pour donner l’illusion d’une bonne gestion face à la Commission européenne et pour satisfaire les agences de notation, que vous chérissez particulièrement, vous n’actionnez qu’un unique levier : la réduction des dépenses publiques.
Il s’agit de l’option la plus inégalitaire, celle qui paupérise les plus précaires de nos concitoyens, en prévoyant un coup de rabot dans les politiques redistributives, lesquelles fondent notre pacte républicain, et dans les services publics, dont la qualité faisait jadis notre fierté.
De plus, ce choix sacrifie le climat, la biodiversité et la lutte contre les dérèglements climatiques, dont les effets sont exacerbés par le fonctionnement néolibéral prédateur des grandes entreprises du CAC 40. Depuis sept ans, ces dernières voient leurs impôts et leurs cotisations fondre, pendant que les aides directes qu’elles reçoivent pleuvent, encore et toujours, sans contrepartie.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué tout à l’heure votre soutien à l’entreprise Renault. Comment votre gouvernement peut-il s’en réjouir, alors que la nouvelle Twingo électrique, qui devait être produite à Flins-sur-Seine, serait finalement fabriquée en Slovénie ? Cela provoquerait une dégradation sans commune mesure dans le monde de la sous-traitance et dans nos territoires. Des milliers d’emplois vont disparaître.
Quelles coupes soutenables dans les dépenses vous reste-t-il aujourd’hui ? La représentation nationale l’ignore : vous avez omis, jusqu’à ce matin, de nous transmettre le programme de réformes assorti au programme de stabilité. De plus, le document que nous avons reçu est pour le moins lacunaire : vingt-cinq pages, contre 247 l’an dernier, présentant un cap unique et inchangé : la « continuité des réformes réalisées depuis 2017 ».
Vous devez pourtant la vérité aux Français. Où allez-vous faire ces nouvelles économies ? Nous le savons déjà : ce sera probablement sur les prestations sociales : retraites, assurance chômage, minima sociaux ou allocations logement. Depuis sept ans, votre créativité antisociale n’a aucune limite. Cela concernera certainement aussi les 5,7 millions d’agents de la fonction publique. Licencierez-vous encore des enseignants, des militaires, des policiers, des personnels hospitaliers, des agents communaux ?
Nous pouvons jouer sur les mots, mais vous prévoyez bien une cure d’austérité, au risque d’annihiler la croissance de l’économie, déjà faible, et d’aggraver la situation, déjà bien dégradée.
Ainsi que les écologistes et d’autres forces politiques vous l’ont demandé lors des dialogues de Bercy, quand allez-vous tirer les conséquences de vos errements ? Quand allez-vous sortir de vos dogmes ? Quand allez-vous cesser d’asphyxier nos finances publiques et enfin apporter une réponse budgétaire fiable et responsable ? (M. le ministre pousse un soupir.) Vous pouvez souffler, monsieur le ministre, mais c’est la réalité : nous sommes nombreux dans cet hémicycle à vous le rappeler ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, un gouvernement qui décide seul devrait assumer seul !
Cette décision solitaire s’est manifestée par la multiplication des 49.3 sur les projets de lois de finances et de loi de programmation des finances publiques. Les oppositions avaient raison : cette programmation était caduque avant même son adoption, elle est désormais dans un carton à Bercy ; toutes les projections macroéconomiques et les trajectoires de réduction de déficits qu’elle comportait ont volé en éclats.
Décider seul, c’est aussi refuser de reconnaître que la politique de l’offre est une impasse.
Les entreprises sont abreuvées d’argent public ; les dépenses de l’État ont progressé de 100 milliards d’euros depuis 2019 ; la croissance est atone ; les chiffres de l’emploi sont artificiellement gonflés par le million d’apprentis subventionnés ; la réindustrialisation serait à l’œuvre, mais la balance commerciale ne cesse de dévisser.
Les entreprises se gavent de crédit d’impôt recherche, l’une des 465 niches fiscales – leur montant total est de 94,2 milliards d’euros pour les finances publiques –, mais Sanofi a supprimé dix mille postes depuis 2018, dont trois cent trente dans la recherche.
En 2024, vous créez un crédit d’impôt pour l’industrie verte – dont acte ! –, mais, si l’entreprise Systovi menace de mettre la clé sous la porte, ce n’est pas la fiscalité qui est en cause. Une niche fiscale supplémentaire ne lui apportera donc pas de réponse.
La fin de la concurrence mondiale, la mise en place de barrières douanières européennes, de clauses de réciprocité, de protections, en somme, la fin du libre-échange débridé, voilà les attentes des entreprises.
Serons-nous un jour « compétitifs », pour reprendre vos termes, face à la Chine ? Cela ne nous empêche pas d’être plus intelligents.
Cette année, 100 000 emplois devraient disparaître, avec la fin de la conjoncture post-covid ; 68 000 défaillances d’entreprises sont attendues, alors que la marée des prêts garantis par l’État se retire. Le taux de chômage devrait s’établir à 8,4 % en fin d’année, alors qu’il est à 6 % dans l’Union européenne. La politique de l’offre n’ouvre décidément aucune perspective.
Décider seul, c’est croire, enfin, que les finances publiques pourront se redresser sans améliorer les recettes publiques. Vous avez repoussé toutes nos mesures d’économies sur les niches des plus riches comme toutes nos mesures fiscales pour rétablir de l’équité.
Nous proposons de taxer les superdividendes. Une mesure en ce sens a été adoptée en projet de loi de finances, mais a reçu une fin de non-recevoir du ministre Bruno Le Maire. Selon lui, il faut faire attention en augmentant l’imposition sur les dividendes, car on aurait le sentiment de frapper les riches alors que l’on toucherait les salariés actionnaires. Il est même allé jusqu’à parler de « supercherie ».
Rétablissons les faits : les 2,6 millions de salariés actionnaires perçoivent en moyenne un peu plus de 1 000 euros en dividendes par an. Ils ne seraient donc pas concernés. En revanche, selon France Stratégie, 0,78 % des Français raflent 94 % de l’ensemble des 63 milliards d’euros de dividendes distribués.
Nous proposons de taxer les rachats d’actions. Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky a fait adopter au Sénat, avec le groupe Union Centriste, un amendement à cette fin lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, que vous avez également balayé, monsieur le ministre. Mais voilà que le Premier ministre annonce, quelques mois après cette fin de non-recevoir, qu’il est envisageable de taxer ce type d’opérations !
Vous voulez décider seul contre les oppositions, en feignant d’organiser des « dialogues de Bercy », des comités de concertation… Mais le débat parlementaire se tient ici, dans les hémicycles des assemblées, à visage découvert, là où chacun peut prendre ses responsabilités.
Allons vers un projet de loi de finances rectificative et nous verrons qui propose quoi, qui vote quoi. Vous voulez éviter le débat avec les parlementaires ; vous avez si peur d’avoir raison avec nous que vous préférez avoir tort seul. Alors vous prévoyez, dans le programme de stabilité, des économies de 27 milliards d’euros en 2025, que vous n’avez pas étayées, qui sont d’une brutalité inouïe et dont personne ne veut, car la confiance est rompue.
Nous ne vous en accordions guère, quant à nous, mais même votre partenaire s’impatiente. Un des symptômes de cette situation est bien que le ministre chargé des finances et le Président de la République débattent dans la presse, l’un préférant considérer le niveau des dépenses, l’autre les recettes en diminution.
M. le ministre Bruno Le Maire, en présentant en septembre dernier le projet de loi de finances pour 2024, annonçait vouloir réduire la dépense publique de 16 milliards d’euros et décidait en même temps – dans le même texte ! – d’emprunter 285 milliards d’euros sur le marché financier privé, un montant historique. Cette année, nous paierons d’ailleurs aux acteurs financiers concernés 52 milliards d’euros d’intérêts !
L’urgence, messieurs les ministres, est de rétablir la souveraineté fiscale et budgétaire de notre République ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « instabilité », ce terme eût été mieux choisi pour qualifier le programme dont nous débattons, tant la trajectoire que nous suivons depuis un certain temps déjà se caractérise par l’incertitude des prévisions de croissance, par l’insécurité géopolitique et par la fragilité économique de nombreux ménages.
Au fond, le principal problème de ce programme est qu’il n’a pas été écrit à partir de la réalité économique, mais à partir d’objectifs, ceux de Maastricht, vers lesquels nous entendons converger.
Je ne me fais guère d’illusions sur l’utilité de ce débat non plus que sur sa capacité à infléchir les choix du Gouvernement. Néanmoins, je le crois important, car mon groupe politique est très attaché au projet européen, aussi perfectible soit-il dans sa traduction concrète.
Je le crois important, également, à un moment où l’état de nos finances publiques prend une dimension politique qui dépasse largement les seules controverses des économistes.
Le coût exorbitant de la crise sanitaire, les révélations sur le déficit de 2023 – avec 21 milliards d’euros de recettes en moins –, les prévisions de croissance invraisemblables et finalement fausses, la dette publique en passe de devenir le premier poste de dépenses de l’État : dans un tel contexte, l’inquiétude et le sentiment d’insécurité des Français ne sauraient être négligés.
Ce que nous attendons du dialogue – sincère, pour le coup ! – que vous devriez avoir avec la représentation nationale, c’est la démonstration que l’orientation de nos finances publiques n’est pas un exercice comptable, mais bien un projet politique pour la Nation. Quel sens prendront la revue des dépenses ou la recherche de nouvelles recettes ?
Bien sûr, le groupe RDSE se réjouit que la note de la France n’ait pas été dégradée par les agences Fitch et Moody’s. Force est de constater que la politique de soutien à l’activité a porté ses fruits et l’honnêteté intellectuelle, au vu des chiffres, commande de reconnaître que le chômage est au plus bas depuis quarante ans et que la réindustrialisation du pays a commencé.
Pour autant, le projet politique que nous attendons désormais est celui du redressement et de la consolidation de notre modèle social et républicain, lequel est, ne l’oublions pas, un facteur majeur de notre résilience économique. Ce n’est pas moi qui le dis, mais des chefs d’entreprise de mon département.
Ce modèle rassure les investisseurs et donne de la stabilité – c’est bien le mot ! – à notre économie. La crise sanitaire l’a d’ailleurs illustré.
Cette consolidation pose évidemment la question des réformes et celle de l’efficacité de nos politiques publiques, car la dépense ne résout pas tout.
La trajectoire des finances publiques que nos concitoyens attendent, toutefois, c’est celle qui va redresser l’école de la République, qui va redonner accès aux soins à tous les Français, qui va sauver l’hôpital de la faillite ou encore qui va rétablir la justice fiscale.
En résumé, messieurs les ministres, vous nous présentez un itinéraire bis : même cap, même destination, mais la pente promet d’être raide. Vous comptez sur une croissance du PIB supérieure à celle que projettent tous les prévisionnistes réunis. Cette ambition n’est pas hors d’atteinte, selon le Haut Conseil des finances publiques, mais elle est optimiste.
Vous misez sur le recul de l’inflation pour relancer la consommation des ménages. Je m’inquiète, pour ma part, du cap du million d’interventions pour impayés de factures d’électricité, franchi en 2023 : le médiateur national de l’énergie nous alerte sur le doublement de ses interventions pour ce motif depuis 2019. Dans ces conditions, je ne suis pas certain que la confiance des ménages soit acquise.
Par ailleurs, vous pariez sur la relance des investissements des entreprises, à l’heure où de nombreuses PME peinent à rembourser leur prêt garanti par l’État. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, au début du mois de janvier, votre ministère leur a permis de repousser leurs échéances, à l’amiable.
Reste, enfin, que les économies engagées par les annulations de crédits et le gel des réserves de précaution ne constituent pas une réforme structurelle, mais s’apparentent plutôt à un tour de vis dans le fonctionnement des ministères. Il s’agit d’une solution d’urgence et non d’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce début d’année 2024 nous a apporté son lot de mauvaises nouvelles économiques et budgétaires : une croissance pour 2023 légèrement plus faible que prévu – 0,9 % – et, surtout, un déficit budgétaire pour 2023 plus important que prévu – 5,5 % du PIB –, poussant notre dette à 110,6 % du PIB.
Paradoxalement, cette dégradation du déficit public est en partie liée à une bonne nouvelle : le reflux de l’inflation. En effet, ce n’est pas un dérapage des dépenses publiques qui en est à l’origine, mais principalement une moindre rentrée de recettes fiscales, directement liée à une baisse de l’inflation plus forte qu’anticipée.
Autrement dit, les cordons de la bourse sont tenus, mais les revenus sont trop dépendants d’aléas conjoncturels. Ainsi, les recettes des prélèvements obligatoires accusent une moins-value de 21 milliards d’euros par rapport aux prévisions.
Monsieur le ministre, l’objectif reste le même : le retour à un déficit budgétaire sous la barre des 3 % du PIB à l’horizon de 2027. Cependant, la tâche s’annonce ardue et les équilibres à maintenir, fragiles.
Dès février, constatant la dégradation des comptes publics, vous avez annoncé 10 milliards d’euros d’économies dans le budget de cette année et 20 milliards d’euros pour l’année prochaine.
Le budget dédié aux outre-mer a été, comme les autres, mis à contribution à hauteur de 79 millions d’euros de crédits annulés. Pour autant, et je m’en félicite, il reste en forte hausse de 14 % sur un an avec 380 millions d’euros supplémentaires.
Ces économies sont nécessaires pour éviter un dérapage plus important et montreront à nos partenaires européens, à la Commission européenne, aux marchés financiers et aux grandes agences de notation notre volonté de responsabilité budgétaire.
Elles ne seront pourtant pas neutres économiquement : elles amputeront la croissance de 0,2 point de PIB en 2024, d’après l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), et de 0,6 point en 2025.
Ainsi, l’équilibre entre responsabilité budgétaire et soutien à la croissance sera au cœur de nos préoccupations dans les prochaines années. C’est pourquoi il me semble opportun d’œuvrer en parallèle, comme vous l’avez annoncé, à recouvrer les recettes fiscales escomptées initialement.
Par exemple, la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité, prévue pour rapporter 3 milliards d’euros en 2023, n’en a finalement rapporté que 300 millions. Monsieur le ministre, vous vous êtes exprimé sur le sujet et avez affirmé que le Gouvernement était prêt à améliorer le dispositif pour le rendre plus efficace dès cette année, à la hauteur des attentes. C’est une bonne chose.
La hausse des prix de l’énergie ces deux dernières années, notamment de l’électricité, a fortement contribué à la dégradation de l’économie ; elle a eu un impact sur le pouvoir d’achat de nos compatriotes, sur la compétitivité de nos entreprises et, in fine, sur le budget de l’État, en raison du coût des mécanismes de compensation et d’amortissement mis en place pour protéger les Français et les entreprises. Il est donc juste que ceux qui ont bénéficié de marges excessives au moment où les prix atteignaient des sommets participent au financement de ces compensations.
Par ailleurs, la réforme du marché européen de l’électricité, en cours d’adoption, sans découpler complètement les prix de l’électricité et du gaz, devrait nous permettre de ne plus revivre à l’avenir ce genre de situation.
Plus généralement, une meilleure évaluation de la dépense fiscale pourrait offrir des marges de manœuvre. Les outre-mer ont déjà fait cet effort dans la loi de finances pour 2024 : certains dispositifs de défiscalisation les concernant ont été réévalués pour en améliorer l’efficacité et en diminuer les effets d’aubaine.
Les revues de dépenses publiques prévues par la loi de finances pour 2024 devraient nous permettre d’effectuer une large remise à plat des dépenses budgétaires et fiscales de l’État. Les documents budgétaires affichent à ce titre une grande ambition, puisque ces procédures devraient permettre de dégager 6 milliards d’euros d’économies annuelles à partir de 2025.
Un mot sur la dette. Si l’objectif de déficit à moins de 3 % est maintenu pour 2027, il n’en va pas de même en ce qui la concerne, puisque ce programme de stabilité prévoit une dégradation de l’objectif à 112 % au lieu de 108,1 %.
Il s’agit évidemment d’une mauvaise nouvelle, mais celle-ci doit s’apprécier au regard de notre situation et de cette ambition tout à la fois d’assainissement et de soutien aux investissements stratégiques, qui s’inscrit dans la logique des nouvelles règles budgétaires européennes, car notre économie peut supporter ce niveau de dette. D’ailleurs, nous pouvons constater que les agences de notation n’ont pas abaissé la note de la France.
Les négociations à venir avec la Commission européenne et leurs conséquences posent plus de questions. Une procédure pour déficit excessif sera-t-elle ouverte ? Nous pouvons regretter que la réforme des règles budgétaires de l’Union européenne adoptée en début d’année ne permette pas de sortir les investissements pour la transition écologique du calcul de la dette. Certains pays, comme l’Allemagne, placent ces budgets dans des fonds spéciaux non comptabilisés dans leur dette. À la fin de 2022, ceux-ci recelaient 522 milliards d’euros de dette publique, selon la Cour des comptes allemande.
La priorité doit aller à la croissance, à l’emploi et au pouvoir d’achat. C’est notamment ce qui a justifié la politique du « quoi qu’il en coûte » ou la mise en place du bouclier tarifaire énergétique.
En la matière, la politique du Gouvernement est une réussite : le taux de chômage est au plus bas et le taux d’emploi n’a jamais été aussi élevé. Le signe le plus évident de cette situation est la disparition du chômage des principales préoccupations des Français.
La politique conduite depuis 2017 porte ainsi ses fruits. La France est devenue la nation la plus attractive d’Europe pour les investissements étrangers, elle connaît une croissance positive, hors le trou d’air de 2021. Les créations d’entreprises sont au plus haut – 400 000 par an – et nous avons créé 2 millions d’emplois, dont 100 000 emplois industriels. Nous assistons au retour de l’industrie dans le paysage économique français, avec six cents usines ouvertes.
Il ne faudrait pas qu’une politique budgétaire et fiscale trop restrictive vienne compromettre ces bons résultats. C’est en cela que la trajectoire présentée dans ce programme de stabilité est cohérente et réaliste. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le programme de stabilité budgétaire que nous examinons aujourd’hui intervient tout juste un mois après l’annonce du dérapage inédit du déficit public pour l’année 2023.
Comme cela a été abondamment évoqué lors des interventions précédentes, ce programme a fait l’objet de vives critiques de la part du Haut Conseil des finances publiques.
Non seulement la trajectoire budgétaire prévue n’est pas considérée comme crédible à court terme, mais elle s’avère surtout non soutenable à moyen terme et elle ne permettra pas de mobiliser les financements indispensables pour répondre aux enjeux de notre pays : la transition écologique et la réindustrialisation.
En réalité, monsieur le ministre, tant que vous persisterez dans cette politique de désarmement fiscal, votre trajectoire budgétaire ne sera qu’un mirage qui abîmera encore davantage l’état de nos finances publiques.
Il semble que vous n’avez toujours pas tiré les leçons de vos erreurs passées, alors que vos choix politiques sont responsables des déséquilibres actuels et des pertes de recettes : suppressions de l’ISF, de la taxe d’habitation et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), baisse de l’impôt sur les sociétés…
Pourtant, vous persistez et vous signez : vous présentez une nouvelle trajectoire budgétaire envisagée sous le seul angle de la réduction des dépenses.
Que nous dit la littérature économique à ce sujet ? Que la réduction de la dépense publique peut avoir un effet récessif. Selon l’OFCE, l’annulation de 10 milliards d’euros de crédits budgétaires cette année retirerait 0,2 point de PIB. Les 20 milliards d’euros prévus pour l’an prochain pourraient, eux, impacter la croissance de 0,6 point.
Cela est d’autant plus préjudiciable que la bonne santé de nos recettes est étroitement liée à la croissance, socle fondamental du financement de notre modèle social.
La « voie française » que vous dessinez est une impasse. Écoutez donc les économistes, les institutions qui suggèrent d’explorer de nouvelles pistes, comme l’OFCE, qui recommande une augmentation de la fiscalité, en veillant bien sûr à ne pas alourdir le fardeau pour les classes moyennes et les plus modestes de nos concitoyens.
Comment ne pas être convaincu de cette nécessité, quand le taux effectif d’impôt sur le revenu des trente-sept ménages les plus aisés de France se limite à 0,26 % seulement, selon l’économiste Gabriel Zucman ?
L’évidence est de retrouver des marges fiscales, de réintroduire un impôt sur la fortune, d’instaurer une taxe sur les rachats d’actions. Il est indispensable de mettre en place une véritable taxe sur les superprofits et de rééquilibrer enfin la fiscalité entre travail et capital.
En ce qui concerne les dépenses, vous avez l’embarras du choix. Nous vous présentons quelques pistes : réduire les dépenses considérées comme antiécologiques, supprimer certains allégements fiscaux ou encore reconsidérer des décisions politiques inutiles – je pense en particulier au service national universel (SNU) ou à l’uniforme en classe.
Que faites-vous en réalité ? Vous choisissez de vous en prendre à la sphère sociale et, encore une fois, aux collectivités territoriales.
Des solutions existent, mais, comme d’habitude, vous décidez seul et vous méprisez le Parlement. À cet égard, le Gouvernement n’a toujours pas répondu à la demande du groupe socialiste d’un débat, au titre de l’article 50-1 de la Constitution, portant sur un budget pour protéger les Français et préparer l’avenir.
Comme d’habitude, les premières victimes de vos politiques budgétaires seront la transition écologique et les classes moyennes et, comme d’habitude, vous contribuerez à nourrir la défiance des Français à l’égard de l’impôt, avec les risques démocratiques que cela comporte.
Ce programme de stabilité porte en lui, en réalité, tous les risques : déstabilisation de l’économie, injustice sociale et renoncement aux ambitions environnementales. Il nous conduira certainement à de l’injustice sociale supplémentaire, sans doute à de l’instabilité budgétaire, et il ne nous empêchera pas d’être le cancre de la zone euro. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes amenés aujourd’hui à examiner le programme de stabilité et d’orientation des finances publiques des années 2024 à 2027 présenté par le Gouvernement. À l’examen de ce document, que constatons-nous ?
La trajectoire est étonnamment différente de celle qu’a présentée le Gouvernement, par la voix du même ministre, dans la loi de programmation des finances publiques promulguée il y a à peine quatre mois.
La trajectoire de croissance est revue fortement à la baisse ; la prévision du déficit public est portée à 5,1 % du PIB en 2024, soit une augmentation de plus de 20 milliards d’euros par rapport à celle qui prévalait il y a seulement quatre mois.
Comment ne pas s’étonner d’un tel réajustement ? Comment ne pas mettre en doute la crédibilité des prévisions du Gouvernement, voire leur sincérité, dès lors que celui-ci semble avoir été informé dès le 7 décembre dernier que le déficit public pourrait s’élever à 5,2 % et non plus à 4,9 % ?
Si la trajectoire est revue, les conjoncturistes ne partagent pas davantage ce scénario que les précédents.
Ainsi, le Haut Conseil des finances publiques considère que la trajectoire retenue pour le PIB potentiel est surévaluée. Il y a donc, selon lui, « un risque important que l’évaluation soit révisée nettement plus à la baisse et donc que la part structurelle du déficit soit à la hausse ». Il estime par ailleurs que la France restera parmi les trois pays les plus endettés de la zone euro.
L’ensemble de la stratégie d’amélioration des comptes publics défendue par le Gouvernement repose donc sur des hypothèses qui ne sont ni documentées ni partagées par la vingtaine d’instituts composant le Consensus Forecast.
Le maintien d’un objectif de retour – même de justesse – du déficit sous la barre des 3 % en 2027 relève – vous le savez, monsieur le ministre – de l’incantation, de la communication et de la méthode Coué.
Le Haut Conseil considère, en effet, que l’atteinte de cet objectif « manque de crédibilité », car elle « supposerait un ajustement structurel massif » qui nécessiterait « un effort d’économies » qui n’a « jamais été réalisé par le passé » et « la mise en place d’une gouvernance rigoureuse », condition « qui n’est pas réunie aujourd’hui ». Je crois que tout est dit !
Pour tout vous dire, messieurs les ministres, je suis certain que vous-même ne croyez pas un instant à l’atteinte de cet objectif et je suis prêt à parier aujourd’hui qu’il ne sera pas tenu.
Monsieur le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, comme vous l’a rappelé le Président de la République, vous avez la charge de nos finances depuis maintenant sept ans. Pourquoi nous alimenter en permanence de prévisions qui ont prouvé qu’elles n’étaient pas crédibles ?
Pourquoi avoir fait adopter une loi de programmation des finances publiques et un budget dont nous avions souligné l’absence de crédibilité ?
Pourquoi avoir refusé les économies – 7 milliards d’euros ! – et les recettes supplémentaires proposées par le Sénat ?
Pourquoi, malgré la situation, le Gouvernement continue-t-il chaque semaine d’annoncer des mesures qui aggravent notre déficit public ?
Pourquoi continuer à vouloir réduire les recettes de l’État ? Tout récemment encore, le Premier ministre a confirmé qu’une baisse d’impôts de 2 milliards d’euros serait appliquée en 2025 pour les ménages. Pour mémoire, la suppression de la taxe d’habitation, celle de la contribution à l’audiovisuel public et la baisse de la CVAE coûtent déjà 35 milliards d’euros par an à l’État.
Pourquoi ne jamais reconnaître vos erreurs ?
Pourquoi ne pas vous attaquer réellement à la baisse des dépenses publiques ?
Pourquoi faire semblant de croire qu’il s’agit d’un simple problème de recettes qui seraient conjoncturellement moins importantes que prévu ?
Pourquoi vouloir faire peser sur les collectivités locales une partie des conséquences de cette situation, alors que celles-ci n’en sont absolument pas responsables ?
Pourquoi refuser que le Parlement soit saisi de ces questions essentielles ?
Voilà, messieurs les ministres, quelques interrogations sur lesquelles nous aimerions obtenir des réponses ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord de la qualité de ce débat sur le programme de stabilité et notre trajectoire financière jusqu’en 2027.
Je commencerai par répondre au rapporteur général de la commission des finances sur les performances économiques 2017-2024. Je ne suis pas spécialement optimiste, j’essaie seulement d’être réaliste et de rendre à la France et aux Français ce qui leur appartient : leur résultat économique.
Il se trouve que la croissance cumulée de la France sur la période 2017-2023 est la plus forte parmi toutes les grandes nations européennes : la croissance cumulée de l’Allemagne de 2017 à 2023 est de 3,7 %, celle du Royaume-Uni de 5,6 %, celle de l’Italie de 5,8 % et celle de la France de 6,9 % – près de 7 %.
Ce n’est pas un hasard si la France est devenue en quelques années, depuis la mise en place de la politique économique menée sur l’initiative du Président de la République, la nation la plus attractive pour les investissements étrangers en Europe. (M. Alain Duffourg marque sa désapprobation.) C’est la première fois que cela se produit, ce qui est la preuve de l’efficacité de notre politique économique, qui apparaît également dans les chiffres de croissance.
Vous évoquez certains conjoncturistes. Vous avez beau jeu de taxer le Gouvernement d’insincérité, alors même qu’il tient ses prévisions de croissance, mais il convient peut-être de s’intéresser à ce qui se passe de leur côté !
L’un d’entre eux, connu et respecté, qui fait référence, ne cesse de proclamer depuis des semaines et des semaines que la France fera 0,5 % de croissance en 2024. Il l’assène sur tous les plateaux, dans tous les journaux, sur tous les canaux de télévision.
Or nous avons fait 0,2 % au premier trimestre, nous avons donc déjà 0,5 % d’acquis de croissance pour 2024. Ainsi, s’il a raison, nous ferons 0 % de croissance au deuxième, au troisième et au quatrième trimestre, ce qui n’est ni souhaitable ni plausible.
C’est pourquoi je souhaite que nous élargissions notre regard aux fausses prévisions réalisées par certains experts. C’est d’ailleurs le même prévisionniste qui avait prévu avec beaucoup d’assurance et de détermination une récession pour 2023. Il était entendu que la France passerait par cette case : nous avons fait 0,9 % de croissance – pas très loin des 1 % prévus par le Gouvernement.
Je ne dis pas tout cela pour le Gouvernement, mais pour les Français qui travaillent, pour les entrepreneurs, pour les PME, pour les industriels. Cessons de dévaloriser systématiquement les capacités économiques de notre pays qui, dans un environnement difficile, est l’un de ceux qui ont le mieux résisté économiquement et qui continue à apporter la preuve de son efficacité et de son volontarisme !
Le vrai sujet – vous l’avez évoqué, monsieur le rapporteur général – est la productivité européenne. Je vous rejoins totalement sur la nécessité d’un débat sur ce thème.
Notre problème n’est pas la croissance française : celle-ci se tient, elle est solide, grâce à l’activité de nos entreprises, mais bien la croissance européenne, qui est un point ou un point et demi derrière celle des États-Unis, parce que, depuis des années, l’Union européenne, au lieu de se consacrer à l’innovation et à la recherche, au lieu de prendre des risques, multiplie les normes, les règles et la complexité administrative.
Il faut libérer la croissance européenne ; c’est ce que nous essayons de faire avec le Président de la République. Là est le vrai débat ; là est le vrai enjeu.
Monsieur Raynal, je partage ce que vous avez dit sur les recettes, notamment sur la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité. Et je suis, comme toujours, sincère et honnête : nous avions envisagé 3 milliards d’euros de recettes issues de cette contribution, notamment de la part des énergéticiens, nous en avons obtenu 300 millions, c’est un échec. Nous ne pouvons pas en rester là, il nous faut corriger ce dispositif et nous le ferons pour obtenir les recettes attendues.
Madame Doineau, j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur les économies et la croissance. Contrairement à ce que disent beaucoup de personnes, il ne me semble absolument pas qu’augmenter toujours plus la dépense publique, les déficits et la dette soit bon pour la croissance. Je tiens au contraire que des comptes bien tenus sont le gage d’une croissance solide : cela restaure la confiance des entreprises et des ménages, qui, dès lors, libèrent leur épargne et investissent au lieu de garder de l’argent de côté.
Monsieur Cozic, vous nous accablez sur le mur de la dette, mais vous ne me semblez pas proposer quoi que ce soit pour le faire tomber, sinon des dépenses nouvelles et de nouveaux impôts. Notre stratégie est différente : nous refusons les augmentations d’impôt et nous croyons à la croissance, aux réformes et aux réductions de dépenses.
Monsieur le président Retailleau, vous avez eu des mots durs pour le Gouvernement : nous ne manquerions pas d’air, nos choix seraient irresponsables, il y aurait un décrochage, des mensonges… Vous n’y êtes pas allé avec le dos de la cuiller, mais, au fond – c’est en tout cas ainsi que je le comprends –, qui aime bien châtie bien ! (Sourires.)
Je voudrais simplement, en réponse, faire un peu d’histoire sur le niveau de la dette française. Bien entendu, celle-ci est trop élevée ; c’est vrai, mais cela remonte à quelques années, pour ne pas dire à quelques décennies.
Le premier décrochage a eu lieu pendant la crise financière de 2008-2010, avec vingt-six points de dette supplémentaires. Cependant, tandis que, au lendemain de la crise financière, tous nos partenaires européens ont cherché à retrouver leur niveau d’endettement antérieur, la France a poursuivi dans la même direction, si bien que, lorsque nous sommes arrivés aux affaires en 2017, la dette française approchait déjà les 100 % du PIB – 97,5 %, pour être exact.
Ensuite est venue une nouvelle crise, celle du covid-19, pendant laquelle, en effet, nous avons consenti quinze points de dette supplémentaires, dans la moyenne haute des pays européens ; je le reconnais volontiers, car, en dépensant plus, nous avons mieux protégé.
C’est dans ce contexte que se noue l’enjeu, essentiel, de notre débat, car c’est maintenant que tout se joue : soit la France retombe dans ses vieux travers, en considérant que les dépenses exceptionnelles deviennent des dépenses ordinaires, comme un acquis social, auquel cas on les perpétue, en continuant de laisser filer le déficit et la dette ; soit, au contraire, pour la première fois depuis trois décennies, nous rétablissons les comptes, en estimant que les dépenses exceptionnelles doivent le rester, qu’il faut réduire les dépenses et relancer la croissance pour reconstituer des réserves qui nous serviront en cas de nouvelle crise. Tel est le choix politique fondamental qui se joue maintenant ! Vous aurez compris que le nôtre est fait : c’est de rétablir les comptes publics.
Pour ce qui concerne ces quinze points de dette, oserai-je rappeler que vous avez, vous aussi, participé à ces dépenses de protection ? Je salue la sollicitude dont vous avez fait preuve pendant la crise du covid-19 à l’égard d’un certain nombre de professions ; vous m’avez ainsi écrit, à plusieurs reprises, pour me demander plus d’aides pour les masseurs-kinésithérapeutes, pour les commerces de gros, pour les entreprises de voyage, pour les discothèques, pour les entreprises industrielles de services textiles, et pour d’autres encore…
M. Bruno Retailleau. Je n’ai jamais contesté le bouclier pendant la crise !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je salue donc votre sollicitude pour tous ces secteurs d’activité, mais vous avouerez, monsieur le président Retailleau, que si elle est à votre honneur, elle est aussi à votre débit, ou à tout le moins à celui des comptes de la Nation.
Quoi qu’il en soit, je vous rejoins totalement quand vous déclarez que le pire de la politique, c’est la politique du pire, et que le choix fondamental, dans la situation actuelle, se joue entre laisser filer et rétablir, entre renouer avec nos vieux démons et essayer d’inventer un nouveau chemin.
Pour ma part, je propose que nous inventions, ensemble, ce nouveau chemin, celui d’une France capable de dépenser quand c’est nécessaire et d’économiser lorsque la situation s’est améliorée. Le covid-19 est derrière nous, l’inflation est derrière nous ! Nous avons réussi à maîtriser le covid-19, nous avons réussi à relancer l’économie ; nous devons en être fiers. Nous avons réussi à maîtriser en deux ans une crise inflationniste qui avait duré dix ans dans les années 1970 ; nous y sommes parvenus grâce à l’euro et à la protection qu’apporte la Banque centrale européenne. Eh bien, maintenant, rétablissons les comptes ! C’est le chemin que je vous propose.
Vous évoquez un déficit de travail : oui, c’est bien pour le résorber que nous avons réformé l’assurance chômage, les retraites et l’apprentissage. Le travail, le plein emploi, un taux d’activité plus élevé : voilà, bien entendu, la première réponse au déficit et à la dette, nous pouvons nous rejoindre sur ce point.
Vous invitez à mobiliser des ressources pour investir : vous avez raison également, c’est pourquoi nous proposons de mettre en place l’union des marchés de capitaux, afin que nos entreprises puissent grandir. Rejoignez-nous sur ce point aussi ; il me semble que nous avons suffisamment de points communs dans les choix stratégiques pour ne pas nous opposer sur des choix anecdotiques.
Monsieur Szczurek, vous faites de l’immigration la source de tous nos maux financiers. Hélas ! j’ai bien peur que toutes nos difficultés ne puissent être résolues par ce biais-là uniquement.
Monsieur Capo-Canellas, merci d’avoir salué l’efficacité d’Édouard Philippe dans le rétablissement des comptes publics. Je partage cette appréciation, d’autant que son ministre des finances était celui-là même qui occupe ce poste actuellement… (Sourires.)
Madame Senée, vous évoquez des cadeaux fiscaux qui auraient été faits aux entreprises. Je voudrais en la matière faire justice à notre politique fiscale et économique : il s’agit non pas de faire des cadeaux aux entreprises, mais tout simplement de leur permettre d’avoir la compétitivité nécessaire pour investir dans un monde qui ne fait pas de cadeaux !
Vous parlez de Renault ; mais si l’on veut que la nouvelle Renault 5 soit fabriquée à Douai plutôt qu’en Slovénie, en République tchèque, ou je ne sais où encore, il faut garantir à ce groupe des conditions de compétitivité satisfaisantes. C’est ce que nous faisons, et ce n’est nullement, comme vous l’affirmez, un comportement néolibéral et prédateur ; c’est tout simplement un comportement responsable et compétitif, pour que nos ouvriers gardent leurs emplois, dans nos villes et nos territoires.
M. François Patriat. Bravo !
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Bocquet, je veux vous rassurer : nous ne décidons pas seuls contre les oppositions. La qualité du débat que nous avons cet après-midi le prouve d’ailleurs ; je tiens à en remercier le Sénat. Ainsi, vous avez proposé une taxation des rachats d’actions ; le Premier ministre s’est montré ouvert à ce sujet.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Trois ans après !
M. Bruno Le Maire, ministre. Certes, mais ce n’est pas à vous, monsieur le président Raynal, que je vais apprendre qu’il faut forcer des portes en politique et que, parfois, la porte s’ouvre ! Tel est bien le cas ici : cette porte s’ouvre, de manière à garantir la justice fiscale à laquelle je sais que M. Bocquet est attaché.
Monsieur Daubet, vous nous invitez à mener un dialogue sincère avec la représentation nationale. Oui, bien sûr, c’est ce que nous faisons ! Merci d’avoir salué les fruits de notre politique de soutien à l’activité. Je remercie aussi Georges Patient de l’avoir relevé.
Madame Blatrix Contat, il faudrait selon vous augmenter massivement les impôts pour retrouver de la marge fiscale. Pour ma part, j’estime que les premiers qui doivent retrouver de la marge fiscale, ce sont nos compatriotes et certainement pas la puissance publique. Ceux qui travaillent doivent en avoir pour leur argent, ils doivent avoir le sentiment que tout ce qu’ils gagnent ne part pas dans des impôts ou des taxes. Rappelons qu’en France 10 % des contribuables paient 72 % de l’impôt sur le revenu ; il me semble qu’aller au-delà serait déraisonnable et injuste.
Enfin, monsieur Maurey, j’ai avant tout été heureux de voir un Eurois conclure ces interventions ! Je crois à l’atteinte de nos objectifs de déficit et de croissance, tout simplement parce que, les années passées, à l’exception des années de crise, nous les avons atteints. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Nous en avons fini avec le débat sur le programme de stabilité et l’orientation des finances publiques.
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Planification écologique et COP régionales : quelle efficacité ?
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Planification écologique et COP régionales : quelle efficacité ? »
Dans le débat, la parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la demande du groupe Les Républicains, nous nous penchons cet après-midi sur l’efficacité de la planification écologique et des COP régionales.
Une fois n’est pas coutume, commençons par un certain nombre de points, dont nous conviendrons, madame la ministre, qu’ils sont positifs.
Oui, le changement climatique rapide que nous vivons impose une évolution forte de notre économie, de notre agriculture, de nos partis pris d’aménagement du territoire, ainsi que de nos habitudes de vie et de consommation, sachant que le coût d’un changement climatique subi, sans réaction ni anticipation, serait colossal – jusqu’à 10 % du PIB en 2100 selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) –, sans compter les déstabilisations humaines et géopolitiques qui l’accompagneraient.
Oui, vous avez publié en septembre 2023 un document de planification nationale, qui offre une stratégie cohérente et une méthode générale indispensables face à ce défi.
Oui, enfin, certaines initiatives ou propositions récentes, même si nous en prenons un peu trop souvent connaissance au hasard des publications dans la presse, constituent des avancées intéressantes : je pense aux fonds d’indemnisation de la sécheresse de 2022 ou aux événements de retrait-gonflement des sols argileux (RGA), aux conclusions du rapport sur l’évolution de nos assurances en matière de catastrophes naturelles, aux réflexions qui semblent en cours sur le recul du trait de côte et enfin, bien évidemment, à la reprise de notre programme nucléaire.
Malheureusement, madame la ministre, la liste de ces satisfecit ne pourra guère être allongée davantage… En effet, ici comme ailleurs, le Gouvernement ne démord pas d’une démarche qui nous semble centralisatrice et bureaucratique, une approche sans doute d’un autre âge, d’autant que l’État n’en a pas, ou plus, les moyens ! Et c’est là, bien évidemment, que se pose la question de l’efficacité, c’est-à-dire de l’adéquation entre les objectifs posés et les résultats obtenus.
En effet, qui dit efficacité dit clarté sur les objectifs, sur le pilotage, sur les moyens et sur les méthodes. Nous craignons, madame la ministre, d’en être encore loin !
Efficacité sur les objectifs, disais-je en premier lieu : sauf erreur de ma part, le Parlement n’a jamais été saisi d’un texte cohérent et ordonné sur la planification écologique, c’est-à-dire sur les objectifs et les mesures envisagées en matière d’atténuation préventive du changement climatique, sur l’adaptation inévitable de notre pays à celui-ci, sur les énergies, sur la protection de nos paysages et de nos biodiversités, ou encore, entre tant de sujets, sur les évolutions nécessaires du traitement de nos déchets.
Il semblerait qu’il existe, ici ou là, sous forme de circulaires, de présentations PowerPoint – on n’en manque pas ! – ou de projets d’arrêté, un plan sur ceci, un schéma national sur cela, une stratégie générale sur le reste…le tout avec, bien entendu, les sigles et acronymes technocratiques qui vous passionnent : Pnacc3, SNB, PPE, Écophyto, SNBC… Force sigles, certes, mais aucune vision d’ensemble présentée à la représentation nationale !
Efficacité sur le pilotage, ensuite : là encore, comme trop souvent avec ce gouvernement, les pilotes, co-pilotes et presque-pilotes se croisent et s’entrecroisent : le Premier ministre et le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, le commissariat général au développement durable (CGDD), le Haut-Commissariat au plan – dont on n’a toujours pas compris, même après un récent débat dans cet hémicycle, à quoi il servait –, les ministères de l’agriculture et de la santé, le Conseil national de la transition écologique, et vous-même madame la ministre… Mais qui fait quoi, en fin de compte, au sein de l’État central, sur ce sujet majeur ? Par ailleurs, n’oublions pas que beaucoup des domaines traités relèvent en réalité des compétences des collectivités locales.
Efficacité sur les moyens et les méthodes, enfin. Le constat est ici bien plus simple encore : en réalité, madame la ministre, vous n’avez aujourd’hui ni les moyens législatifs ni, a fortiori, les moyens financiers de mettre en œuvre la planification écologique nécessaire à notre pays. Pas de majorité, pas de loi… Il n’y a d’ailleurs pas d’accord au sein même de votre majorité relative sur un grand nombre de sujets touchant à la planification écologique.
Certes, nous connaissons tous le montant de la dette et du déficit. Il n’y a donc, de toute évidence, pas de moyens d’agir. Même les mesures ponctuelles les plus concrètes, comme l’aide à l’achat de véhicules électriques pour les Français les plus modestes ou le soutien à la rénovation des logements, ne trouvent plus de supports budgétaires à la dimension voulue. Vous êtes tout de même membre d’un gouvernement qui lance des mesures un 1er janvier pour les stopper net, du fait de caisses vides ou d’un imbroglio bureaucratique, dès le 15 février de la même année…
Quant à la méthode, le précédent du ZAN, le « zéro artificialisation nette » – il me faudrait quarante-cinq minutes pour traiter vraiment de ce sujet –, n’a visiblement pas servi de leçon : comme le Président de la République se refuse obstinément depuis 2017 à ouvrir une vraie négociation, en responsabilité, avec les collectivités locales, à conclure de vrais contrats d’engagement réciproque, vous vous retrouvez – nous nous retrouvons, sur le terrain – à devoir gérer tant bien que mal des « COP ».
Cet ersatz de dialogue commence par un tableau à la Mondrian – c’est très beau, bien entendu, mais on n’y voit que des chiffres tombés de Paris, censés éclairer les objectifs à atteindre localement. Il se poursuit avec des questionnaires dignes de Kafka, envoyés par mail à toutes les collectivités, et se terminera à coup sûr, comme vous le savez, par des demandes de contributions financières adressées aux collectivités sur des actions dont nous aurons à peine discuté et qui seront, en fait, sélectionnées à Paris.
En matière de planification écologique comme dans d’autres domaines, nous parlons de décentralisation et de responsabilités partagées quand vous parlez de « déclinaison » et de « mise en œuvre » locales.
En conclusion, madame la ministre, je voudrais vous adresser plusieurs questions relatives aux COP régionales et en particulier au ZAN, l’un des chapitres de la sobriété foncière. Sur ce point, ce sont les indicateurs de performance qui nous inquiètent, puisqu’il nous apparaît que l’État pourrait, en s’appuyant sur les régions, gouverner par le biais de ces intermédiaires : à ces dernières de veiller au respect parfait de ces indicateurs par les élus locaux. On est loin de la territorialisation que nous défendons ici sans relâche, car c’est à nos yeux la seule méthode qui permettrait d’atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette ! Nous aurons ce débat dans les prochaines semaines.
Mes questions sont simples, mais je conçois, madame la ministre, qu’elles puissent vous sembler délicates. Des réponses que vous leur apporterez dépend toutefois l’efficacité de notre adaptation nationale au changement climatique.
Premièrement, quand le Parlement sera-t-il enfin saisi, comme dans une démocratie normale, d’un texte complet, cohérent et précis traitant des différents sujets de la planification écologique – atténuation, adaptation, énergie, modes de production, déchets, agriculture, biodiversité – et détaillant nos objectifs et les contraintes et incitations nouvelles que le Gouvernement juge nécessaire d’instaurer pour les mettre en œuvre ?
Deuxièmement, quand le Parlement sera-t-il saisi d’une programmation financière claire et réaliste sur la planification écologique nécessaire à notre pays ? L’effort à accomplir est estimé à 100 milliards d’euros supplémentaires d’investissement chaque année pour les dix ans à venir. Combien mettra l’État, c’est-à-dire le contribuable ? Combien mettront nos entreprises, c’est-à-dire les consommateurs ? Combien mettront nos banques, c’est-à-dire nos épargnants ? Combien mettront nos collectivités locales, c’est-à-dire nous tous ? Ce débat sera douloureux, mais il est incontournable, et c’est au Parlement de statuer.
Troisièmement, à court terme, comment allons-nous financer, selon vous, les indemnités RGA, le rachat des biens touchés par le recul du trait de côte, et les mesures d’adaptation des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) ou des bâtiments scolaires, sachant que le fameux fonds vert, déjà sollicité, mais en même temps raboté de toutes parts, ne représente qu’un volume très marginal de la réalité de terrain de ces sujets ?
Enfin, après les COP, quand engagerez-vous un vrai dialogue, une vraie négociation avec les collectivités locales sur un partage des objectifs, des priorités, des calendriers et des financements – bref, un dialogue moderne et normal dans une République décentralisée face à un enjeu national ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier de l’organisation de ce débat. La planification écologique et les COP régionales étant des sujets importants pour le Gouvernement, il est toujours bon de pouvoir les évoquer devant la représentation nationale.
Je vous demande de bien vouloir excuser le ministre Christophe Béchu, retenu à Turin par une réunion des ministres du G7 sur la transition écologique et énergétique.
Notre pays a traversé récemment des épisodes climatiques extrêmes, qui manifestent plus que jamais la réalité et l’intensité du dérèglement climatique que nous traversons. Du Pas-de-Calais aux Alpes-Maritimes, nos concitoyens et les élus locaux ont subi de plein fouet ses conséquences. Nous pouvons aujourd’hui avoir, ensemble, une pensée pour eux.
L’État est, bien sûr, à leurs côtés pour les aider à reconstruire, il est à leurs côtés pour les aider à adapter leur territoire à ce type d’événements, mais il est aussi pleinement engagé pour que nous puissions atteindre nos objectifs de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990.
Cet engagement de baisse de nos émissions est fondamental pour préparer un avenir habitable, non pas pour les générations futures – nous n’en sommes plus là ! –, mais pour nous-mêmes et pour nos enfants. La bonne nouvelle est que nous avons fait la moitié du chemin. Le défi qui se présente à nous maintenant est de diminuer autant nos émissions en sept ans qu’en trente-trois ans.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous rappeler l’origine de la démarche de planification écologique. Celle-ci est issue de la volonté du Président de la République, exprimée dans son discours de Marseille du 16 avril 2022. Elle est mise en œuvre depuis le mois de septembre 2023, par la Première ministre Élisabeth Borne, puis par le Premier ministre Gabriel Attal, en lien très étroit avec le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, et avec l’appui du secrétariat général à la planification écologique.
Grâce à cette démarche inédite dans le monde nous pourrons identifier tous les leviers qui nous permettront, secteur par secteur, de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre avec la bonne intensité.
Les COP régionales sont tout simplement la déclinaison territoriale de la planification écologique. Elles doivent permettre de mettre en œuvre de manière effective, dans les territoires, les objectifs que nous nous sommes donnés nationalement et sur lesquels la France s’est engagée internationalement.
Les COP régionales sont donc l’incarnation de la philosophie adoptée par le Gouvernement : une écologie proche des territoires, une écologie qui laisse aux acteurs du terrain la responsabilité d’identifier les leviers d’action et de s’organiser en conséquence – en somme, une écologie de cohérence.
Les COP sont une nouvelle façon d’organiser collectivement la transition écologique dans les territoires. Elles visent à créer un cadre commun qui permette un dialogue articulé entre les niveaux nationaux, régionaux, départementaux, intercommunaux et municipaux. Leur but est de faire émerger des actions qui relèvent des compétences des collectivités territoriales, mais aussi de valoriser les actions déjà engagées, car nous savons que les collectivités sont extrêmement actives en faveur de la transition écologique. L’objectif est que le territoire s’empare de la planification écologique.
Il s’agit, je le redis, d’un dispositif inédit : les COP, coanimées par le préfet de région et le président du conseil régional, permettent de faire discuter tous les échelons de nos collectivités et de les engager collectivement et localement.
Nous en attendons trois points de sortie : d’abord, un alignement des parties prenantes sur les objectifs de la planification écologique à l’échelle de la région ; ensuite, un état des lieux partagé du territoire sur les dynamiques en cours et les programmes déjà engagés ; enfin, un plan d’action cohérent et pragmatique qui tienne compte des initiatives prises par l’ensemble des collectivités et qui complète les actions éventuellement déjà engagées. En outre, tous les sujets ne pouvant pas être parfaitement traités en une seule fois et en un an, la liste des sujets à évoquer lors de la prochaine COP et les modalités de suivi devront en émerger.
J’ai évoqué le pourquoi et le comment ; permettez-moi désormais de vous faire un état des lieux du calendrier.
À l’heure actuelle, les COP ont été lancées dans toutes les régions, à l’exception de la Guyane et de Mayotte, avec des calendriers qui respecteront notre objectif de disposer de feuilles de routes d’ici à l’été prochain, ou juste après. Je me félicite que le calendrier de lancement ait préservé des temps de concertation en amont de la réunion des COP pour s’assurer de la bonne prise en compte des spécificités de chaque territoire.
Pour tenir ce calendrier, nous avons également déployé un accompagnement spécifique par les services de l’État, qui a pris plusieurs formes comme le recrutement de secrétaires généraux de COP dans chacune des régions concernées et la mise à disposition d’outils en support de la méthodologie.
Les résultats de la phase de diagnostic sont par ailleurs encourageants ; il est fait état d’une forte mobilisation des collectivités. Je crois que cela témoigne parfaitement de l’intérêt des élus pour la démarche. À ce jour, sept régions ont déjà clôturé le recueil des retours des collectivités pour leur phase de diagnostic, et plus de 70 % des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), conseils départementaux et conseils régionaux ont répondu.
Cette phase a permis à chaque territoire de disposer d’une vue concrète et structurée du type d’actions mises en œuvre ; on a ainsi embarqué les collectivités dans les COP en leur permettant d’exprimer leur point de vue, ou encore d’identifier les thématiques clés à mettre en débat.
Pour la suite du processus, chaque région a préparé sa phase de débat en associant toutes les parties prenantes. À ce jour, plus de 120 groupes de travail ont été mis en place dans toutes les régions, avec plus de 160 heures d’échanges. Ces débats ont été ouverts à tous les acteurs de la société civile, des professions agricoles aux associations de consommateurs, en passant par le personnel hospitalier, les associations de protection environnementale, les chambres consulaires ou encore les syndicats forestiers.
Ces débats se sont structurés autour des six thématiques de France Nation verte : mieux se loger, mieux se nourrir, mieux se déplacer, mieux consommer, mieux produire et mieux préserver et valoriser nos écosystèmes. Dans certaines régions, des groupes de travail transverses complémentaires ont également été mis en place pour traiter, par exemple, de l’adaptation au changement climatique ou encore des enjeux d’emploi et de santé.
À la suite de ces débats, l’État accompagnera la mise en place opérationnelle des feuilles de route au travers des contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Ces contrats, cruciaux pour la réussite de la transition écologique, font l’objet d’une nouvelle circulaire, signée en avril dernier ; ils sont le cadre idéal pour mettre en œuvre les ambitions fixées par les COP à l’échelle de chaque bassin de vie. Les CRTE ont vocation à devenir le cadre de travail de droit commun entre l’État et les collectivités, sous la forme d’un contrat chapeau qui rassemble les programmes d’appui territorialisés comme Villages d’avenir, Territoires d’industrie ou encore Petites Villes de demain.
Je terminerai mon propos en rappelant, même si vous le savez déjà, que la mobilisation des collectivités est absolument essentielle à la réussite de la planification écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Madame la ministre, mes chers collègues, afin de ne pas retarder la tenue des questions d’actualité au Gouvernement, prévues à 17 heures 15, je demande à chaque orateur de bien vouloir respecter scrupuleusement son temps de parole et de faire autant que possible un effort de concision, qu’il s’agisse de la question, de la réponse, ou des éventuelles répliques.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Fabien Genet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. Fabien Genet. Mon collègue Jean-Baptiste Blanc a très bien exposé notre soutien à une vraie feuille de route en matière de transition écologique, ainsi que nos réserves quant à la planification très verticale mise en place par votre gouvernement.
Concernant les COP régionales, je dois avouer que les réunions organisées par le préfet de Saône-et-Loire et le sous-préfet de Charolles ont eu le mérite d’informer le parlementaire que je suis de la stratégie du Gouvernement, puisqu’aucune présentation formelle n’en a été faite au Sénat et que notre Haute Assemblée attend toujours de pouvoir auditionner Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique.
Cela étant dit, je souhaite vous faire part de plusieurs alertes sur les enjeux agricoles liés à cette démarche, dans sa dimension territoriale. En effet, il est essentiel de permettre à l’agriculture de prendre toute sa place dans l’atteinte des objectifs de décarbonation, de préservation de la biodiversité et de production d’énergies renouvelables.
À titre d’exemple, le secteur de l’élevage, très présent dans mon département de Saône-et-Loire, a déjà contribué, du fait de la décapitalisation à l’œuvre depuis plusieurs années, à une réduction des émissions de gaz à effet de serre correspondant à la moitié de l’objectif fixé.
Derrière ce qui pourrait sembler une bonne nouvelle se cache une vraie crainte. Chercher à décarboner le secteur de l’élevage par une réduction de la production sur notre territoire serait à coup sûr une grave erreur, car cela induirait une augmentation parallèle des importations de viandes.
Madame la ministre, quelle avancée pour le climat produiraient une diminution de notre souveraineté alimentaire, une délocalisation des émissions de gaz à effet de serre en dehors de nos frontières et une réduction de nos surfaces en prairies ?
La profession agricole mène actuellement un travail fin sur la gestion des troupeaux, l’alimentation des animaux, la diminution de la fertilisation azotée et la réduction des consommations d’énergie, qui est en mesure d’accélérer la voie de la décarbonation pour atteindre les objectifs de baisse d’émissions de gaz à effet de serre sans diminution du cheptel.
Par ailleurs, l’entretien des prairies et des haies joue un rôle fondamental dans la préservation de la biodiversité et les 13 millions d’hectares de prairies et parcours sur lesquels pâturent les bovins constituent des puits de carbone irremplaçables. L’élevage bovin français est non pas un problème, mais une solution pour l’environnement et le climat.
Madame la ministre, la territorialisation de la planification écologique permettra-t-elle de relever ce défi ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Genet, la réponse est oui ! Si nous n’en étions pas convaincus, je ne serais pas là, non plus que Christophe Béchu. La méthode est la bonne : elle est innovante et vise tout simplement à embarquer toutes les collectivités locales sur le sujet prégnant que vous évoquez.
La raison pour laquelle Christophe Béchu n’est pas venu vous présenter un projet de loi est simple : les textes sont déjà là. Cet engagement du Président de la République est porté par le SGPE ; nous le déclinons par un travail de concertation de six mois. Ici ou là, des sénateurs y ont été associés, ainsi que les associations d’élus, de manière à travailler ensemble à la mise en œuvre opérationnelle, dans les territoires, de ces objectifs nationaux.
J’en viens plus particulièrement à l’agriculture et à l’élevage, qui font l’objet de votre question. Les leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole permettront de réduire ses émissions directes de 18 % entre 2019 et 2030, ce qui représente un effort deux fois inférieur à l’objectif national, car la baisse des émissions agricoles est un processus qui prend beaucoup de temps.
Pour atteindre cet objectif, nous avons identifié trois leviers : premièrement, les changements de pratiques de fertilisation azotée, avec pour cible une baisse de 30 % de l’usage d’azote minéral entre 2020 et 2030 ; deuxièmement, la promotion de l’élevage durable, qui doit se faire en maintenant les effectifs bovins actuels, ceux-ci ayant déjà beaucoup baissé ; troisièmement, la décarbonation des bâtiments et machines agricoles, par exemple les serres.
S’y ajoutent les leviers d’augmentation de la capacité des sols à capturer le carbone, que ce soit par le développement de haies, le maintien des prairies ou le déploiement de pratiques de stockage.
Enfin, il faut mentionner les leviers de préservation de la biodiversité et de la santé, à savoir essentiellement le développement de l’agriculture biologique et la réduction de l’usage de produits phytosanitaires.
On pourrait débattre plus longuement de ces questions, mais le temps nous est compté et je pense avoir fourni quelques éléments de réponse à votre question.
M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Cédric Chevalier. Madame la ministre, je suis fier que ma région, le Grand Est, ait été la première à territorialiser la COP, avec son dispositif Grand Est Région Verte, dont l’objectif était d’impliquer l’ensemble des territoires et acteurs locaux dans la planification et l’accélération de la transition écologique. En contribution à ce vaste chantier, la collectivité a adopté une feuille de route ambitieuse proposant quarante-cinq mesures d’adaptation au changement climatique.
Par la suite, la région a voulu, en lien avec le secrétariat général à la planification écologique, demander des autodiagnostics aux collectivités territoriales, quelle que soit leur taille, afin de repérer notamment les consommations actuelles et à venir de gaz à effet de serre ou encore les actions envisagées sur les ressources naturelles.
Or les questionnaires du SGPE, conçus par des acteurs très éloignés du terrain – c’est le moins que l’on puisse dire ! –, ont largement découragé les collectivités de s’investir dans le processus. Ils étaient d’un accès trop difficile et n’ont pas rencontré leur public.
Je rappelle que, en novembre dernier, lors d’un débat sur le thème de la déclinaison territoriale de la planification écologique, j’interpellais déjà le ministre de la transition écologique sur la nécessité de simplifier les démarches pour les collectivités, notamment pour les candidatures au fonds vert.
Une fois les constats dressés et les projections réalisées, nous avons besoin de financements. Si, comme d’autres régions peut-être, elle entend bien y prendre sa part et cofinancer, la région Grand Est ne peut pas tout prendre en charge.
Le Gouvernement a indiqué que le fonds vert serait abondé à cette fin ; or celui-ci sort plus que jamais amoindri de la « déforestation » budgétaire de Bercy. (Sourires.)
Aussi, madame la ministre, comment simplifier pour faire adhérer les collectivités et avec quels moyens ? C’est de ces réponses claires que dépend la réussite de la planification écologique régionalisée. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur, vous avez résumé la méthode qui a été la nôtre pour territorialiser notre planification écologique.
Pourquoi les questionnaires ne sont-ils pas plus simples ? Pour ma part, j’ai constaté que de nombreuses collectivités y avaient répondu avec beaucoup de plaisir et de bonheur.
Vous trouvez ce questionnaire trop technocratique. Ce n’est pas ce que j’ai entendu.
Vous affirmez qu’il est très aride et que les concertations n’ont pas rencontré leur public. (M. Cédric Chevalier acquiesce.) Les résultats sont là : plus de 70 % des EPCI et des départements qui ont été interrogés ont d’ores et déjà répondu, ce dont nous sommes très heureux et très fiers.
Pour autant, je ne peux pas dire non plus qu’il n’est pas possible de simplifier encore le questionnaire. Toutefois, au regard des réponses que nous avons reçues et de l’adhésion que ce dernier a suscitée, le verre nous apparaît plutôt plein.
J’en viens au financement. Vous nous dites que Bercy a taillé dans le fonds vert. J’aurai peut-être l’occasion d’y revenir tout à l’heure, mais je rappelle que si les collectivités ont bénéficié au cours des dix dernières années d’un investissement d’environ 2 milliards d’euros – DSIL (dotation de soutien à l’investissement local) et DETR (dotation d’équipement des territoires ruraux) réunies –, ce gouvernement a décidé dans le projet de loi de finances pour 2023 de porter le budget du fonds vert à 2 milliards d’euros et, dans le projet de finances pour 2024, à 2,5 milliards d’euros.
Reste que, cette année – et seulement cette année –,…
M. Rémi Cardon. Ah !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. … compte tenu des résultats de la fin de l’année, il a été décidé de réduire la voilure. Nous ne touchons ni à la DSIL, ni à la DETR, ni à la DGF, mais, oui, nous ramenons le budget du fonds vert à 2 milliards d’euros.
Certes, je comprends votre demande ; pour autant, 2 milliards d’euros en 2024, c’est un signal fort pour la transition écologique dans les territoires.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Stéphane Demilly. Madame la ministre, les COP régionales ont été lancées à la fin de l’année 2023. Territorialiser la planification écologique est une très bonne idée sur le papier, mais les derniers signaux envoyés par le Gouvernement sur les questions écologiques n’invitent pas à l’optimisme.
En témoigne la baisse de 1,4 milliard d’euros du budget du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, laquelle se traduit par une baisse – une déforestation, pour reprendre le terme utilisé précédemment (Sourires.) – de 400 millions d’euros du fonds vert.
Les régions s’inquiètent à juste titre de cette potentielle pénurie de moyens. Cela vient renforcer un sentiment d’incompréhension déjà très présent chez nos élus, un sentiment qui s’aggrave face à la mise en pratique de certaines politiques environnementales.
Je veux bien sûr parler de l’objectif ZAN, omniprésent – et c’est peu de le dire ! – dans les discussions que j’ai avec les maires chaque semaine. J’imagine qu’il en est de même pour vous, à une autre échelle, madame la ministre.
Les premières COP régionales ont bien évidemment fait remonter ce sujet déterminant.
Personne ne remet en cause le bien-fondé de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, mais attention aux mesures de modération de la construction, qui ne sont à ce jour ni adaptées, ni égalitaires, ni pertinentes pour nos territoires.
En effet, trois ans après le vote de la loi, nous sommes toujours en train d’affiner les modalités de calcul de l’artificialisation des sols, nous sommes toujours en train de défendre des projets d’envergure nationale et européenne, pour lesquels l’enveloppe foncière est souvent insuffisante, et nous sommes toujours en train de dénoncer des modalités de calcul de consommation foncière qui ne prennent en compte ni la taille des communes ni les projets territoriaux… Bref, il est vraiment temps de stabiliser les règles du jeu.
Madame la ministre, je vous poserai deux questions.
Malgré les coupes budgétaires, les COP régionales permettront-elles de faire entendre les inquiétudes de nos territoires ou est-ce un « machin » de plus ?
Quelles mesures vont être prises pour répondre aux difficultés rencontrées par nos communes dans l’application de l’objectif ZAN ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Demilly, vous demandez que nous stabilisions les règles du jeu. Pour ma part, je les trouve extrêmement stables.
Je reconnais que, sur le terrain, j’ai les mêmes échanges que vous concernant le ZAN, mais les règles sont bien stabilisées. Il faut maintenant laisser un peu de temps à nos élus locaux pour voir comment, à l’échelle d’une intercommunalité, ils parviendront à agir, à reprendre espoir et à développer leurs projets à l’horizon de 2030.
Au cours des cinq visites officielles que j’ai effectuées en dix jours, j’ai rencontré environ 400 maires. Oui, je suis d’accord avec vous : de nouveau, de l’inquiétude se fait sentir à propos du ZAN. Je vous assure que, après des discussions avec le préfet et les présidents d’intercommunalité, on trouve à chaque fois des moyens d’avancer. Il faut laisser un peu de temps au temps : d’ici à 2030, nous atteindrons les objectifs fixés.
Par ailleurs, vous affirmez que les fonds se font toujours attendre. Une telle remarque m’étonne. En effet, nous avons lancé les COP régionales à l’automne dernier ; Christophe Béchu a fait le tour de quasiment toutes les régions et a fixé les objectifs main dans la main avec les présidents de région et les préfets. Moins de six mois après, l’état des lieux issu des questionnaires est en passe d’être finalisé. Il le sera d’ici à un mois, ce qui nous permettra d’établir la feuille de route. Dans mon propos introductif, j’ai parlé de cet été ; ce sera sans doute plutôt septembre prochain.
Vous m’interrogez sur l’efficacité de ce processus – c’est d’ailleurs l’intitulé de ce débat. Nous venons de lancer les COP régionales. Nous y voyons, nous, des signaux très positifs. Il ne s’agit aucunement d’un « machin » de plus ; c’est au contraire une méthode efficace, élaborée par le secrétariat général à la planification écologique, dans laquelle les préfets, les régions et toutes les collectivités sont en train d’embarquer.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Madame la ministre, je vais peut-être doucher votre enthousiasme sur la capacité à respecter les délais de la concertation en faisant référence à l’article du journal Ouest-France intitulé « Pourquoi la COP régionale va rallonger la concertation en Pays de la Loire ».
Si la COP régionale des Pays de la Loire a d’ores et déjà décidé de retarder la concertation du grand public, c’est que les élus locaux ne sont pas venus aux ateliers du mois d’avril dernier, pourtant lancés par Christophe Béchu, qui jouait à domicile en lançant cette COP régionale voilà quelques semaines. (Sourires.)
On a donc un véritable problème. D’ailleurs, madame la ministre, je vous rejoins sur le fait que nous ne tiendrons pas nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation sans les territoires, sans les régions et leur capacité de planification et sans le bloc communal. Encore faut-il leur envoyer des signaux tangibles ; il ne suffit pas de répéter que l’on a besoin d’eux. Ils attendent aussi des signaux concrets qui les amèneraient à se mobiliser.
Je prends deux exemples.
D’une part, nous attendons toujours les décrets d’application relatifs au partage de la valeur sur les énergies renouvelables que le Sénat a voté ; il s’agit pourtant d’un signal extrêmement important pour les collectivités. M. Didier Mandelli, qui a été le rapporteur du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, vient de l’indiquer à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
D’autre part, nous ne connaissons toujours pas la manière dont les 250 millions d’euros d’accompagnement des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), que le Sénat a votés et que Christophe Béchu a confirmés, seront déployés dans les territoires.
Ma question est extrêmement précise, madame la ministre. La circulaire du mois d’avril sur les CRTE intègre-t-elle les critères d’attribution de ces 250 millions d’euros ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Dantec, je ne peux que me réjouir de sentir, au travers de toutes les questions qui me sont posées à l’occasion de ce débat, votre impatience et votre envie de voir cette planification écologique aboutir et s’ancrer dans les territoires. Je partage cette volonté.
Pour autant, monsieur le sénateur, j’en appelle à votre connaissance de notre pays et de l’hétérogénéité des territoires. Je n’ai pas lu la presse quotidienne régionale, j’ignorais donc la situation que vous avez exposée. Certes, je l’ai déjà dit, certains territoires ne se sont pas encore saisis des COP, mais la région Aura (Auvergne-Rhône-Alpes) a conduit un certain nombre de concertations dès le mois d’avril et toutes les dates sont planifiées au mois de mai. Il en est de même pour la région Bourgogne-Franche-Comté : les concertations ont été tenues en mars et en avril et sont aujourd’hui finies.
Certes, la région des Pays de la Loire connaît peut-être des difficultés – vous me l’apprenez. Il s’agit non pas de susciter des doutes dans les territoires, mais d’admettre les difficultés que certains d’entre eux rencontrent. Nous comptons sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour accélérer.
Les critères d’attribution figurent-ils dans la circulaire ? À votre question très concrète, la réponse est non. La circulaire flèche, indique, oriente ; le fléchage des fonds pour les PCAET et les CRTE sera fixé dans le courant de l’été, m’a indiqué Christophe Béchu.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.
M. Ronan Dantec. Madame la ministre, reconnaissez qu’il est dommage de publier une circulaire sur les CRTE en avril et de prévoir la contractualisation – il s’agit tout de même d’une enveloppe de 250 millions d’euros – à l’été. On aurait sans doute pu tout faire en même temps.
Si l’on n’envoie pas ces signaux très précis aux territoires, ils ne feront pas leur part et nous ne tiendrons pas nos objectifs sur le climat.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la ministre, la question posée par ce débat est celle de l’efficacité des COP régionales, dont l’objectif est de prendre en compte les spécificités de chaque territoire à l’échelle des bassins de vie en matière de transition écologique.
Pour répondre à cette question, deux conditions essentielles me paraissent devoir être remplies.
En premier lieu, la gouvernance des COP revenant conjointement aux préfets et aux présidents de région, il est impératif de rappeler la nécessité d’impliquer et d’associer tous les échelons de collectivités et de veiller à la solidarité entre les territoires qui, pour la plupart, ont déjà établi des feuilles de route – je pense notamment aux PCAET et aux PAT.
Nombreux sont les élus locaux qui déplorent la période de concertation accélérée. Celle-ci rend en effet difficile l’intégration des enjeux de nos territoires ruraux dans les documents stratégiques et leur fait craindre qu’il en soit de même pour l’intégration du ZAN.
En second lieu, il est difficile de ne pas évoquer les récentes coupes budgétaires annoncées par le Bruno Le Maire, qui sont incohérentes avec nos obligations de réduction de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 : réduction de plus de 400 millions d’euros du fonds vert, ponction de 1 milliard d’euros sur le budget de MaPrimeRénov’, baisse du budget de la mission « Cohésion des territoires » de plus de 700 millions d’euros.
Ces coupes contrastent avec les propos du Président de la République, qui, lors de l’élaboration du budget pour 2024, a affirmé que le virage écologique ne pouvait plus attendre, ainsi qu’avec le rapport Pisani-Ferry chiffrant à 34 milliards d’euros annuels les besoins en financement public de la transition écologique.
Dans ces conditions, madame la ministre, comment comptez-vous répondre à l’urgence climatique, alors que l’État a été rappelé à l’ordre à plusieurs reprises sur ses obligations climatiques ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Varaillas, vous en appelez à une large concertation dans les territoires. C’est notre volonté pleine et entière et c’est ce qui est en train de se passer, malgré une certaine hétérogénéité – j’ai eu l’occasion de l’évoquer. Tous les territoires n’avancent pas à la même vitesse, ce que l’on peut regretter.
Pour autant, la méthode que nous avons adoptée – il s’agit d’un dispositif inédit – fait de tous les échelons des collectivités des maillons essentiels de la territorialisation. Il n’est qu’à voir à quel point le tableau sur les leviers de décarbonation prend en compte l’industrie, le tertiaire, le logement… Tous ces paramètres ont été fournis aux collectivités locales – non seulement les régions, mais aussi les départements et intercommunalités – par le secrétariat général à la planification écologique pour que celles-ci soient en mesure de partir d’un diagnostic proposé. On ne peut pas dire qu’elles ne sont pas accompagnées ni associées.
Madame la sénatrice, vous avez évoqué le financement. Pour compléter ce que j’ai déjà indiqué voilà quelques instants et que je ne répéterai pas, je précise que l’État accompagne aujourd’hui fortement l’investissement des collectivités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les uns après les autres, vous citez les baisses récentes liées au déficit budgétaire de 5,5 % du PIB en 2023. Oui, des mesures ont été prises. Je comprends que vous m’interrogiez sur ce sujet, mais quoi de plus légitime que d’avoir baissé la dépense de l’État en 2024 sans baisser celle des collectivités ? En 2024, celles-ci percevront 11 milliards d’euros de soutien via les dotations d’investissement, le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) et le fonds vert, qui est maintenu à son niveau de 2023.
Je le dis partout où je me rends : malgré des situations hétérogènes, la situation financière des collectivités est globalement saine et propice aux investissements, et l’endettement est globalement très bien maîtrisé.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la ministre, vous le savez bien : plutôt que de réduire les dépenses, il nous faut trouver des recettes.
Les plus hauts revenus, qui sont souvent les plus pollueurs, doivent participer à cet effort et les aides publiques aux grandes entreprises, qui représentent quelque 200 milliards d’euros dans le budget de l’État, doivent être assorties d’une écoconditionnalité.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Madame la ministre, le 28 septembre 2023, lors de la création des conférences des parties régionales, les fameuses COP, le Gouvernement a reconnu à raison le rôle essentiel joué par les collectivités territoriales dans la planification écologique.
Celle-ci devait s’appliquer et s’ancrer dans les réalités du terrain. Sa réussite devait dépendre, en grande partie, de l’acceptabilité des mesures proposées. Il en était de même de l’identification des spécificités de chaque territoire régional au regard des défis de décarbonation, de protection et de restauration de la biodiversité.
Depuis, nos régions s’inquiètent du manque de perspective et de cohérence des messages envoyés par le Gouvernement sur les questions écologiques.
Suppression du ministère de la transition énergétique, coupe budgétaire de plus de 2 milliards d’euros de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », dont 500 millions d’euros pour le seul fonds vert, qui est quasiment le seul soutien financier de la transition écologique des collectivités territoriales, déjà touchées par la diminution des fonds DETR et DSIL.
Voilà qui s’inscrit dans une logique inverse aux attentes de nos territoires, lesquels espéraient, plutôt sereinement compte tenu des enjeux et défis climatiques actuels, que leur panoplie d’actions serait élargie, notamment sur la restauration de nos réseaux d’eau potable, dont les fuites occasionnent chaque année la perte de 1 milliard de mètres cubes d’eau, soit l’équivalent de la consommation de quelque 19 millions d’habitants.
Que nenni donc, alors que la plupart des COP en sont à l’élaboration de leur diagnostic et à l’identification des thématiques sur lesquelles faire porter les efforts, notamment financiers.
Madame la ministre, il est donc légitime de vous demander en leur nom quelles mesures et quels moyens concrets, notamment financiers, permettront la réalisation de notre trajectoire de planification écologique territoire par territoire.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Delattre, les régions s’inquiètent, dites-vous.
M. Rémi Cardon. C’est vrai !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. J’en appelle encore une fois à votre connaissance de nos territoires : très probablement, quelques régions s’inquiètent, mais d’autres avaient déjà mis en œuvre des politiques en faveur de la décarbonation bien avant que nous ne leur demandions, en lien avec le secrétaire général à la planification écologique, de travailler sur le sujet. Certaines régions ne s’inquiètent pas : elles ont déjà avancé sur plusieurs sujets.
J’entends que vous parlez au nom de celles qui s’inquiètent. Je ne répète pas à quel point, avec 2 milliards d’euros pour le fonds vert en 2024, comme en 2023, le signal me paraît fort. Certes, il l’est moins qu’avec une dotation de 2,5 milliards d’euros : oui, nous avons opéré des baisses dans les dépenses de l’État, mais nous les assumons. Je ne répéterai pas quelles en sont les raisons.
Madame la sénatrice, vous abordez un sujet important, voire crucial, à savoir les besoins d’investissement dans les réseaux d’eau potable. Cela concerne d’autres budgets : ceux des agences de l’eau. En Nouvelle-Aquitaine, si c’est à cette région que vous pensez, les besoins sont importants et il s’agit d’une question évidemment prégnante. Nous devons y travailler avec l’agence de l’eau concernée.
M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili.
M. Saïd Omar Oili. Madame la ministre, face à l’urgence climatique, la France s’est donné pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. La stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui est notre feuille de route nationale sur le sujet, fixe également un objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 1990. Cet objectif doit d’ailleurs être révisé par la nouvelle SNBC pour s’aligner sur l’objectif européen du Fit for 55 : une baisse de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.
L’ampleur du défi est considérable, quel que soit le domaine concerné – transport, énergie, agriculture, rénovation thermique…
Pour atteindre nos objectifs, le Président de la République a lancé le 25 septembre 2023 un appel aux collectivités territoriales, les invitant à occuper un rôle central dans la mise en œuvre de la planification écologique. En première ligne de la transition écologique, elles ont un rôle essentiel à jouer dans ladite planification qui doit s’appliquer et s’ancrer dans les réalités propres à chaque territoire.
Nous saluons en ce sens l’investissement et l’ensemble des travaux du secrétariat général à la planification écologique.
Toutefois, alors que quatorze COP régionales ont déjà lancé la phase de diagnostic, quatre régions n’ont pas encore engagé de travaux. L’objectif d’un plan d’action pour cet été est-il toujours réaliste ?
De plus, au regard des remontées de terrain qui seront faites, cela supposera dans de nombreux cas un fort investissement régional. Quels moyens seront alloués aux COP régionales pour traduire ces remontées de terrain ? Peut-on envisager davantage de décentralisation sur certains sujets ?
Enfin, madame la ministre, nous demandons qu’un bilan spécifique soit établi dans les territoires d’outre-mer.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Omar Oili, seules deux régions, Mayotte et la Guyane, et non pas quatre, n’ont pas encore lancé leur COP.
Je vous assure que les collectivités d’outre-mer bénéficieront d’un traitement spécifique. Je me suis récemment rendue en Guadeloupe et en Martinique et nous avons travaillé sur ces sujets. Je ne suis pas encore allée dans tous les territoires ultramarins, mais je m’engage à ce que Christophe Béchu, ses services et moi-même tenions compte de leurs spécificités.
Sur l’accompagnement de l’investissement des collectivités, je ne peux rien vous dire de plus que ce que j’ai déjà indiqué à vos collègues : près de 11 milliards d’euros par an de soutien via toutes les dotations d’investissement. Je comprends l’inquiétude qui s’exprime, mais saisissons-nous d’abord des milliards d’euros que nous injectons, soyons sûrs qu’ils seront consommés, ou du moins engagés avant la fin de l’année, avant de craindre que les montants alloués ne soient pas suffisants.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hervé Gillé. Madame la ministre, s’il est encore trop tôt pour juger de l’efficacité du dispositif des COP régionales, l’injonction contradictoire quand nous parlons de transition écologique est particulièrement contre-productive. Voilà cinq mois était organisé au Sénat, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, un débat en séance publique sur le thème : « Déclinaison territoriale de la planification écologique : quel rôle et quels moyens pour les collectivités locales ? Quel accompagnement du citoyen ? » Le ministre Christophe Béchu était présent.
Depuis, nous avons assisté, impuissants, à la remise en cause de certaines avancées écologiques : d’abord, sur le terrain de la biodiversité et de la santé publique avec des annonces sur les produits phytosanitaires ; ensuite, sur l’abandon du projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat, définitivement enterré la semaine dernière, alors même qu’il s’agit d’une demande de nombreuses collectivités territoriales, convaincues que la souveraineté énergétique ne pourrait passer que par un effort de programmation, d’économies d’énergie et d’investissements dans les renouvelables ; enfin, sur les coups de rabot budgétaires non concertés.
Il s’agit donc bien d’une injonction contradictoire pour les régions : toutes soulignent que les leviers identifiés par le secrétariat général à la planification écologique doivent s’appuyer sur les stratégies régionales déjà mises en œuvre et ayant fait l’objet d’une concertation avec les acteurs des territoires.
L’injonction contradictoire est ici frappante. Les COP régionales sont un outil limité aux collectivités. Sur le terrain, cela ne peut constituer un effet d’entraînement puisque les ménages, les acteurs socio-économiques et les acteurs de la société civile en sont écartés.
Madame la ministre, ma question est simple : les COP régionales sont-elles toujours une priorité ? Le temps investi par les collectivités territoriales sera-t-il vain ? Quelle traduction concrète peut-on envisager à l’issue des COP régionales ? Pourquoi l’association des parlementaires se fait-elle à géométrie variable, en fonction des préfets ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Gillé, je ne partage pas votre point de vue : on ne peut nous accuser d’adresser des injonctions contradictoires en matière de transition écologique.
Conduire des politiques publiques à l’échelle d’une commune, d’une intercommunalité, d’un département, d’une région, de l’État, revient très souvent, et je suis sûre que vous le savez, à se trouver sur un chemin de crête. Oui, des arbitrages ont été opérés. Pour autant, et je prendrai votre exemple du coup de rabot, je pense que la politique que nous conduisons en matière de transition écologique est très cohérente.
Vous me demandez si cette COP est un effet de mode ou une véritable méthode pour cranter et ancrer la planification écologique dans les territoires. Aujourd’hui, personne ne m’a dit que cette méthode n’était pas la bonne ni que l’État n’était pas aux côtés des régions, des départements ou des intercommunalités pour avancer. (M. Hervé Gillé manifeste sa désapprobation.)
Comme vous, je salue le travail du secrétariat général à la planification écologique. Je salue également le travail de Christophe Béchu et de ses équipes. Pour ma part, je vois de la cohérence, une vraie volonté avec, de-ci de-là, des arbitrages que l’on aurait préféré éviter. La vie est faite de surprises et de difficultés, qui nous obligent à arbitrer.
En revanche, je m’inscris en faux contre vos derniers propos. J’ai assisté à deux COP – je crois que toutes étaient du même modèle. À chaque fois, les associations et les citoyens ont été impliqués. Christophe Béchu a lui-même animé le lancement des COP et a organisé, après les moments institutionnels où toutes les parties prenantes – y compris les associations environnementales – étaient associées, un moment dédié à la concertation avec les citoyens.
Pourquoi les parlementaires ne sont-ils pas systématiquement associés localement ? Je peux en parler aux préfets, si vous le souhaitez. (M. Hervé Gillé acquiesce. – M. Rémi Cardon s’exclame.) Cela peut être organisé.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Madame la ministre, pour parler de planification, il faut de la lisibilité budgétaire dans le temps. Il ne faut pas que la planification écologique s’évapore face à cette incertitude budgétaire. C’est absolument essentiel.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Madame la ministre, je reviens sur la circulaire du 4 avril et – un peu d’histoire – sur celle du 28 décembre 2023, qui reprenait la philosophie de l’amendement adopté ici même à l’unanimité et tendant à prévoir un financement des PCAET par une enveloppe du fonds vert.
Dans cette dernière circulaire, ladite enveloppe était de 250 millions d’euros. Dans celle du 4 avril dernier, elle n’est plus que de 200 millions d’euros. Surtout, je lis un changement de philosophie : « Compte tenu du plan d’économies nationales, l’enveloppe qui sera dédiée à ces actions sera de 200 millions d’euros. Elle servira, selon les besoins remontés des territoires à l’issue des COP régionales, soit à renforcer les actions prioritaires du fonds vert, soit à cofinancer de nouvelles actions proposées par les territoires et ayant un impact écologique fort. »
Cette alternative montre un changement par rapport à ce qui a été voté : aucune conditionnalité n’était prévue, il fallait des projets exposés.
Madame la ministre, je vous interrogerai sur le calendrier. Aujourd’hui, comme vous l’avez indiqué, deux COP n’ont toujours pas été lancées. Dans ces conditions, comment prévoir des modalités d’application ?
Par ailleurs, je m’inquiète : on constate déjà une baisse de 20 % des crédits. À la fin de l’année, cette baisse sera-t-elle de 100 %, faute d’avoir pu attribuer le moindre crédit aux collectivités ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Lavarde, vous évoquez les circulaires du 28 décembre 2023 et du 4 avril dernier et vous vous inquiétez de voir que l’enveloppe dédiée aux actions a été réduite à 200 millions d’euros compte tenu du plan d’économies national.
Cette enveloppe servira selon les besoins qui seront remontés des territoires à l’issue des COP régionales. Certes, l’on peut toujours s’inquiéter. Toutefois, nous sommes à la fin du mois d’avril et cette enveloppe n’est toujours pas dépensée.
Comme je l’ai indiqué aux orateurs précédents, lorsque les 200 millions d’euros seront consommés à la fin de l’année, nous saurons comment financer les autres investissements si les 50 millions d’euros manquants venaient à poser un réel problème.
Aujourd’hui, il est urgent que vous nous aidiez – si vous le voulez bien – à cranter et à accélérer la prise en compte par les collectivités locales de cette planification écologique plutôt que de s’alarmer en répétant que le budget a été ramené à 200 millions d’euros. Dans 70 % des cas, tout se passe bien ; dans d’autres, c’est plus lent.
Nous allons remettre au goût du jour la contractualisation, parce que de nombreux élus nous en ont parlé. La dernière circulaire mentionne en effet les CRTE et les PCAET. Les modalités figureront dans les documents que Christophe Béchu diffusera cet été.
En ce qui concerne le calendrier, nous relâchons quelque peu les délais : la feuille de route devait être élaborée avant l’été ; elle le sera plutôt après, pour répondre à certaines régions qui ont demandé deux mois supplémentaires. Au mois de septembre prochain, nous y verrons plus clair, nous connaîtrons les projets qui seront remontés et nous saurons si l’enveloppe de 200 millions d’euros est excessive ou insuffisante. Tout cela, nous le verrons ensemble et c’est ensemble que nous dresserons le constat.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. Alors que ce que nous avions collectivement décidé était très simple, puisque la contractualisation existe déjà pour les CRTE et les PCAET et que ces documents ont déjà été validés par les collectivités, on crée une machine administrative pour pondre un dispositif qui sera complètement inapplicable au regard du calendrier.
Quand ce débat a commencé, il était question d’une feuille de route avant l’été ; maintenant, on parle de la fin de l’été. Autant vous dire qu’aucun dossier ne pourra être financé sur cette ligne de crédit avant la fin de l’année.
Par conséquent, vous auriez pu complètement raboter la ligne budgétaire dès la circulaire du 4 avril et la représentation nationale aurait ainsi constaté qu’elle a voté une loi de finances qui n’est pas appliquée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Ronan Dantec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Duffourg.
M. Alain Duffourg. Madame la ministre, il est fait état de nombreux problèmes concernant les COP régionales. Tous les acteurs économiques y sont sensibles : une concertation aura lieu sur le sujet dans mon département du Gers, le 16 mai prochain.
La région Occitanie est la première région de France en matière d’agriculture biologique et de production viticole. Les acteurs de la viticulture ont connu des difficultés à la suite des diverses intempéries qui sont survenues ces dernières années – les calamités naturelles sont de plus en plus fréquentes.
Que compte faire le Gouvernement en matière de stockage de l’eau, notamment sur les retenues collinaires ? J’ai beaucoup parlé de ce sujet avec des conseillers ministériels, entre autres, et j’ai formulé des propositions qui n’ont pas été retenues. C’est pourquoi je souhaite enfin connaître votre position.
Par ailleurs, quelles mesures entendez-vous prendre pour l’agriculture dans son ensemble, qu’elle soit biologique ou conventionnelle, notamment pour renforcer le dynamisme des circuits courts, dont nous avons besoin pour approvisionner la restauration collective ?
Enfin, le décret sur l’agrivoltaïsme a été publié, mais nous attendons toujours les arrêtés permettant sa mise en œuvre. Quand seront-ils pris ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Duffourg, nous sommes très mobilisés sur le sujet des retenues d’eau. Une partie du projet de loi d’orientation agricole, sur lequel le Parlement aura à se prononcer prochainement, vise précisément à les sécuriser.
Par ailleurs, les COP régionales, qui s’attachent principalement à la baisse des émissions de CO2, vont aussi s’articuler de façon cohérente avec le plan Eau annoncé par le Président de la République au printemps dernier. La plupart des cinquante-quatre mesures qui ont été définies ont déjà été engagées.
Nous pouvons être fiers d’être tous deux issus d’une région qui a embarqué ses treize départements sur le navire de la planification écologique. Onze d’entre eux ont déjà prévu de tenir leur première réunion départementale au cours des quinze premiers jours de mai. C’est la preuve que la région Occitanie avait commencé à travailler sur ces sujets bien avant que nous ne lancions la déclinaison d’une planification écologique dans les territoires.
Si je n’ai pas complètement répondu à votre question, monsieur le sénateur, mes services et moi-même restons à votre disposition pour tout complément d’information.
M. le président. La parole est à M. Alain Duffourg, pour la réplique.
M. Alain Duffourg. Je sais que vous connaissez très bien ce sujet, madame la ministre. Le problème de l’eau me tient tout particulièrement à cœur. Cela fait longtemps que nous l’évoquons ; or il aura fallu la grogne paysanne pour que le Président de la République s’en préoccupe et admette qu’il s’agit bien d’une réalité.
Cela fait des années – voire des décennies – que le problème de l’eau se pose de façon récurrente en France. Nous avons besoin d’eau dans les régions méridionales et centrales. Aussi, la décision qui s’impose en la matière doit être prise dans les meilleurs délais.
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat. (M. Hervé Gillé applaudit.)
M. Simon Uzenat. En 2024, face à l’urgence climatique, qui ne fait plus débat, un seul mot compte : agir.
Très majoritairement, les élus locaux, dans toute leur diversité politique et territoriale, et les acteurs du monde économique en sont conscients. Aussi sont-ils pleinement déterminés à agir sans relâche pour préserver nos territoires, nos écosystèmes et notre planète. Encore faut-il qu’ils en aient les moyens.
Se réunir, échanger et réfléchir sont autant d’intentions louables, mais légèrement décalées, alors que les constats sont partagés, les solutions identifiées et les concertations déjà mises en œuvre dans de nombreuses régions, comme l’ont rappelé plusieurs de nos collègues. En témoigne la BreizhCop, mise en place en Bretagne dès 2017. Rappelons aussi que 57 % des EPCI bretons sont couverts par un PCAET, ce qui est bien au-dessus de la moyenne nationale.
Aujourd’hui, 50 % de la baisse des émissions de gaz à effet de serre sont entre les mains des entreprises. Reste que ces dernières ont besoin d’accompagnement. Une mission d’information est d’ailleurs conduite par le Sénat sur ce sujet. Dans une circulaire du 29 septembre dernier, la Première ministre encourageait simplement à intégrer dans la COP les acteurs du monde économique, ce qui nous semble être leur point faible. Concernant les collectivités, la Première ministre, toujours par voie de circulaire, appelait à une accélération des efforts nécessaires.
Thomas Cazenave affirmait voilà quelques instants que les dépenses vertes continueraient d’augmenter. Or les chiffres parlent d’eux-mêmes : les crédits du fonds vert diminuent de 20 % et, selon une circulaire, toutes les actions entreprises dans ce cadre seront concernées par la baisse ; la mesure Territoires d’industrie en transition écologique voit sa dotation baisser de 30 % ; quant à l’enveloppe dédiée à l’accompagnement des PCAET, elle est réduite de 20 %.
Les projets les plus importants seront soutenus, ce qui pénalise les petites communes.
La vraie question qui se pose est celle des moyens, madame la ministre. Toutes les collectivités font face à un mur d’investissement.
Dès lors, quels moyens budgétaires, fiscaux ou en ressources propres entendez-vous leur donner ? Dans le livre blanc des Services express régionaux métropolitains (Serm), le ministre des transports appelle à mobiliser toutes les ressources. Dans ce cadre, quelles réponses pouvez-vous apporter ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Vous avez raison, monsieur le sénateur Uzenat : nous devons faire collectivement des efforts budgétaires. Toutefois, mettre de l’ordre dans les comptes n’est pas forcément synonyme de baisse de nos ambitions climatiques.
Notre trajectoire et notre ambition restent inédites avec une progression des dépenses en faveur de la transition écologique de 8 milliards d’euros. Nous avons pour objectif l’efficacité, afin que chaque euro dépensé donne des résultats pour l’environnement.
Notre action repose sur trois principes.
Premièrement, concernant MaPrimeRénov’, nous avions déjà anticipé une sous-exécution budgétaire en raison d’une montée en charge très progressive des rénovations d’ampleur. Nous avons donc pris acte du fait que les dépenses seront lissées entre 2024 et 2025.
Deuxièmement, je rappelle que les crédits du fonds vert n’ont pas diminué par rapport à 2023,… (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Elle a raison !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. … mais uniquement par rapport à ce qui était prévu dans le projet de loi de finances.
Christophe Béchu a personnellement œuvré pour la création du fonds vert en 2023 en vue de soutenir les collectivités territoriales dans leur transition écologique. Il sera encore abondé à hauteur de 2 milliards d’euros, ce qui était inespéré en 2022.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est une DETR bis !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Troisièmement, les recrutements au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires ont été sanctuarisés. Christophe Béchu s’est battu pour que l’on embauche, en 2024, 760 équivalents temps plein (ETP) dans les directions du ministère et les services déconcentrés de l’État, après de nombreuses années de déflation des effectifs.
Je pense que nous pouvons nous féliciter des moyens que l’État déploie dans les territoires pour assurer la planification et la transition écologiques.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Tout à fait !
M. le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Oui, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre, préserver la biodiversité et réduire les conséquences du changement climatique. Mais de nombreux services y travaillent déjà. Faut-il ajouter une énième couche ? Comment définir une place opportune pour les COP régionales ? Comment ne pas lasser les élus de ces partenariats changeants, sans fin et souvent sans bilan, alors qu’ils sont en train de s’engager pour définir une ligne d’investissements au travers de la DETR, de la DSIL et du fonds vert et que leur mandat arrive à échéance dans moins de deux ans ?
Les collectivités sont en première ligne de la transition écologique ; elles n’ont pas attendu l’État pour agir au travers du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), des PCAET, des plans locaux d’urbanisme (PLU), des premiers CRTE et des schémas de cohérence territoriale (Scot).
Comment intégrez-vous concrètement le travail déjà accompli ? Comment pouvez-vous garantir la réelle fonction intégratrice de la seconde génération de CRTE avec des moyens financiers et d’ingénierie nécessaires, sans accumulation d’obligations réglementaires ?
Une approche transversale des différentes politiques publiques est nécessaire, mais trop de couacs demeurent. Par exemple, la COP régionale des Pays de la Loire, dont la grande dominante est le transport – soit le secteur le plus émetteur –, est déjà largement bornée par le contrat de plan État-région (CPER). De plus, elle ne s’est pas souciée de faire le bilan des émissions des gaz à effet de serre, en dépit des objectifs que nous devons atteindre d’ici à 2030.
Les choix retenus de covoiturage, de réticence au renforcement des dessertes par car et de lente croissance des dessertes par train semblent davantage liés à la volonté de respecter un cadre financier prédéfini qu’à un objectif de baisse des émissions polluantes.
Il faut répondre de manière pragmatique aux spécificités et besoins locaux : comment comptez-vous y parvenir ?
Par ailleurs, comment allez-vous garantir les aménités rurales, alors que le fonds vert a été amputé de 430 millions d’euros et que vous avez renoncé à une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ? Ces coupes franches n’obèrent-elles pas de facto l’efficacité promise des COP régionales ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. J’entends ce que vous dites, monsieur le sénateur de Nicolaÿ. Certains élus ont sans doute du mal à comprendre tous les exercices et les travaux qui leur sont demandés en faveur de la transition écologique.
Toutefois, les choses sont franchement claires pour qui veut s’y intéresser : tous les volets de la planification écologique sont compris dans la stratégie France Nation verte, le plan Eau, le plan de rénovation énergétique des bâtiments scolaires, le plan visant à identifier des zones d’accélération de production d’énergie renouvelable (ZAER) et la révision des documents stratégiques de façade. Ces plans visent bien à accompagner les initiatives de nos élus locaux.
Dans le cadre des COP, il s’agit non pas de repartir de zéro, mais de tenir compte des démarches existantes dans chaque territoire, en particulier lors de la phase de diagnostic, qui est en train de se terminer. L’objectif est d’identifier les actions déjà réalisées et de mesurer le chemin parcouru depuis 2019.
Les débats tenus lors des COP régionales ont du sens en ce qu’ils permettent justement d’identifier les freins à la mise en œuvre de certaines actions déjà programmées ou à trouver des solutions collectives pour accélérer la transition écologique dans les territoires.
La dotation pour les aménités rurales reste inchangée : elle est passée de 40 millions d’euros à 100 millions d’euros – nous n’y avons pas touché. Vous appelez à faire preuve de pragmatisme, monsieur le sénateur, et je vous rejoins sur ce point. Simplement, considérez que les COP doivent se nourrir des travaux issus de la planification écologique et de sa déclinaison territoriale.
M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon.
M. Rémi Cardon. La transition écologique et énergétique de notre pays est probablement le défi principal de notre génération. Pourtant, au regard des 10 milliards d’euros d’économies que vous avez décidées, en particulier sur MaPrimeRénov’ et le fonds vert, il y a de quoi se poser des questions.
C’est à une dérive climatique de plus de 4 degrés Celsius d’ici à 2100 que nous devons aujourd’hui nous préparer.
La planification écologique et les COP régionales, mises en place depuis six mois dans notre pays, vont plutôt dans le bon sens en ce qu’elles permettent l’intégration et l’implication de bon nombre d’acteurs dans nos collectivités locales, afin que chacun essaie de contribuer à un avenir plus vivable, pour nous-mêmes et pour nos enfants.
Comment pouvez-vous lancer de telles initiatives de dialogue territorial pour construire des objectifs régionaux et, dans le même temps, raboter les crédits du fonds vert et de MaPrimeRénov’ ?
M. Hervé Gillé. Exactement !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. On n’a pas oublié le rabot de la DGF sous Hollande !
M. Rémi Cardon. Sans manquer de vous contredire, vous avez affirmé avoir raboté MaPrimeRénov’, car ce dispositif était sous-utilisé. Le fonds vert, quant à lui, est surutilisé, mais vous le rabotez tout de même !
Il serait bon que vous fassiez preuve de clarté, madame la ministre. Je m’attendais à une planification écologique ; or tout ce que je vois au travers de votre stratégie, c’est une déstabilisation écologique – en espérant qu’elle ne connaîtra pas le même sort que votre stratégie en matière d’énergie, pour laquelle le Gouvernement a légiféré par décret…
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Cardon, je partage l’entièreté de vos propos introductifs : il est absolument nécessaire que nous nous mobilisions face à la menace d’un réchauffement climatique de 4 degrés Celsius d’ici à 2100. En revanche, par la suite, vous avez formulé des critiques infondées. (M. Jean-Baptiste Lemoyne renchérit.)
En effet, MaPrimeRénov’ est un succès, qui a permis de rénover plus de 2 millions de logements depuis 2020. Toutefois, compte tenu des résultats de l’année 2023, Christophe Béchu a engagé une réflexion sur le dispositif, à la fois pour le simplifier et pour ajuster les crédits.
Il vous est loisible de regarder le verre à moitié vide et de considérer que nous pouvons toujours faire mieux. Mais le verre est bien plein, monsieur le sénateur. J’y insiste, MaPrimeRénov’ a servi à rénover plus de 2 millions de logements.
Ensuite, je ne vois aucune contradiction dans mes propos sur le fonds vert. Celui-ci fonctionne très bien, tout comme la DETR. Toutefois, comme notre pays doit assumer une dette de 3 000 milliards d’euros et des frais financiers de 40 milliards d’euros par an, nous avons pris la décision, au début de l’année, de réduire nos dépenses.
Depuis deux ans, l’État double les sommes versées aux collectivités locales. Vous regrettez que nous procédions à des coupes budgétaires, et je respecte votre position. Pour ma part, je suis fière d’appartenir à un gouvernement qui décide de réduire la dépense publique compte tenu du niveau d’endettement et de frais financiers que nous connaissons.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Évidemment !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Du reste, le ministre Béchu mène des consultations et travaille à un troisième plan national d’adaptation au changement climatique, qui sera présenté dans les prochaines semaines. À cet égard, vous êtes tout à fait fondé à lui soumettre des propositions, qu’il lira avec attention.
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. L’une des priorités qui ressort des diagnostics réalisés dans le cadre de la COP régionale du Grand Est est la préservation de la qualité de l’eau et la reconquête des milieux dégradés, qui ont ou auront des effets négatifs sur la biodiversité.
Stocamine, dans le Haut-Rhin, aura un impact négatif – certainement plus tôt que prévu – sur la biodiversité et nous divergeons encore sur les moyens à mettre en œuvre pour éviter une contamination future de la nappe d’Alsace. Ici, au Sénat, nous craignons que les travaux prévus et déjà engagés ne servent qu’à retarder cette contamination, sans en réduire le risque. En actant cette situation, nous ne ferions que léguer le problème aux générations futures.
On a récemment découvert l’état dégradé des puits de la mine, du fait de la corrosion très avancée de leur cuvelage. En outre, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) m’a adressé une réponse, le 17 avril dernier, à la suite de mon interrogation sur une erreur manifeste de son étude sur la tenue des puits. Nous savons désormais que les modélisations réalisées dans le cadre des études diligentées ces dernières années sont caduques, que les cuvelages vont céder prochainement et que la mine sera rapidement noyée.
Cette réponse alarmante, nous l’appréhendions, ici, au Sénat. C’est la raison pour laquelle j’avais fait voter des crédits dans la loi de finances pour 2024, afin de réaliser une étude hydraulique sur les conséquences prévisibles de la rupture des cuvelages. Malheureusement, ils ont été supprimés par le 49.3.
Madame la ministre, les COP régionales ont été mises en place pour planifier des politiques publiques. Planifier, c’est prévoir, mais c’est aussi anticiper. Aussi, je souhaiterais savoir quels moyens seront alloués au dossier Stocamine dans le cadre de la COP Grand Est et quand seront réalisées les études prenant en compte la rupture des cuvelages et ses conséquences sur la durée de l’ennoyage, puis sur la nappe.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Drexler, vous m’interrogez sur un sujet que nous connaissons tous : Stocamine, soit une installation de stockage souterrain de déchets dangereux située dans un massif salifère de votre département.
À son arrivée au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu s’est saisi du dossier sans aucun a priori. Il a veillé à la plus grande transparence sur les informations dont il disposait afin d’aider à la décision. Les trois réunions qu’il a tenues avec les élus et les parlementaires locaux, en mars, en juillet et en septembre 2023, ont permis de partager et d’échanger sur ces informations.
Le ministre a donc décidé, en septembre dernier, de confiner la mine sans opération de déstockage partiel. Pour ce faire, il s’est appuyé sur 134 études conduites par 46 bureaux et 123 experts internationaux établissant des éléments factuels. Christophe Béchu vous a dit à deux reprises exactement la même chose. L’année 2027 est une échéance impérative. Déstocker les déchets avant le confinement ferait peser un risque inacceptable pour les personnels humains devant intervenir dans la mine.
Le délai de confinement est de quarante-deux mois, sans aléas de chantier. L’hypothèse d’un retrait partiel de certains fûts, compte tenu de délais incompressibles, aurait permis de ne déstocker qu’une quinzaine desdits fûts, ce qui aurait retardé les choses.
Confiner dès à présent Stocamine est une décision qui s’impose à tous pour ne pas compromettre la santé des générations futures. S’il est légitime de la regretter, la remettre en question reviendrait à jouer avec le feu. De plus, le ministre a travaillé avec les élus locaux sur un plan de confinement permettant d’assurer la protection des générations futures dans le cadre de ce confinement et de poser dès à présent les bases nécessaires pour mettre en œuvre la réversibilité, c’est-à-dire le déstockage futur de la mine, voulue par les collectivités.
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan.
M. Bruno Rojouan. Madame la ministre, alors que nous avons besoin d’une simplification des comités et des multiples dispositifs environnementaux existants, il est légitime de s’interroger sur l’efficacité des nouvelles COP régionales que vous avez mises en place.
Les collectivités territoriales sont en première ligne pour la transition écologique et jouent un rôle essentiel dans la planification, qui doit s’ancrer dans les réalités du terrain. L’acceptabilité des mesures est primordiale et les COP régionales ne seront utiles que si elles aboutissent à une adaptation des objectifs nationaux au tissu local.
Reste un sujet incontournable : le mur d’investissement qui se dresse devant les collectivités locales et les particuliers. Aujourd’hui, le financement de la planification écologique pose question. Des territoires ont calculé que, pour remplir les engagements de la stratégie nationale bas carbone à l’échelle locale, il faudrait multiplier par trente les financements de leur agglomération et par trois les engagements de l’État. Or les financements publics et privés, prévus à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros, restent insuffisants au regard de l’ampleur de la transition à effectuer.
Les récentes annonces de coupes dans le budget de l’État et de votre ministère mettent en cause la capacité du Gouvernement à financer une transition que les collectivités ne peuvent en aucun cas supporter seules.
La lisibilité de l’action publique et la sécurisation des investissements nécessitent une programmation pluriannuelle des financements : c’est un outil essentiel pour les élus locaux. Pouvez-vous nous assurer que vous travaillez à une loi de programmation des financements accompagnant la planification écologique ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Vous avez parfaitement raison, monsieur le sénateur Rojouan : l’efficacité des COP sera étroitement corrélée à l’appropriation par les collectivités locales des travaux et de la nouvelle méthode mise en place.
Comme de très nombreux sénateurs, vous m’interrogez sur les financements qui accompagneront les COP. J’ai déjà largement répondu à cette question, mais je rappellerai tout de même que 200 millions d’euros seront fléchés au sein du fonds vert pour les PCAET et les CRTE.
Tout comme vous, j’appelle de mes vœux une loi prévoyant la pluriannualité des financements au profit des collectivités locales. Sachez que j’y travaille actuellement avec Thomas Cazenave.
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon.
M. Laurent Somon. Madame la ministre, territorialiser la planification écologique via les COP régionales : voilà l’articulation opérationnelle de la loi Climat et Résilience et de la SNBC, une doctrine nationale dont les débats sur les objectifs et l’évolution sont occultés à l’échelon parlementaire et dont l’évaluation annuelle est jugée par la Cour des comptes, dans son rapport de mars dernier, comme impossible, les conditions n’étant pas réunies.
Les objectifs régionaux sont réclamés, comme l’indique d’ailleurs le rapport d’information de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation de mars dernier. Le fait de guider l’action avec des tableaux Excel où le relief des écrans informatiques s’est rapidement heurté à la déclinaison opérationnelle, donc territoriale, sans oublier son volet budgétaire. Comme le souligne la Cour des comptes, la transition écologique devra mobiliser des ressources publiques et privées ; les ménages, les entreprises et les collectivités territoriales supporteront une part importante des dépenses.
Face au cadencement désordonné de textes de loi relatifs à différents sujets – nous sommes amenés à discuter de nucléaire et d’énergies renouvelables avant le débat sur la PPE – et à une visibilité budgétaire chaotique, les collectivités attendent que leur rôle et la déclinaison des Sraddet et des PCAET soient bien clarifiés, sachant que nombre de leviers dépendent d’acteurs privés et que les besoins de financement sont importants.
L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) évalue à 14 milliards d’euros par an les investissements que doivent réaliser les collectivités territoriales en matière de climat. Bref, passer d’une abstraction digne de Mondrian à l’action se révèle un challenge ambitieux dans un cadre de contraintes sociales et budgétaires.
Madame la ministre, pour que la planification s’opère concrètement, les communes, qui sont l’échelon de l’action, doivent être associées et disposer d’une réelle capacité d’agir, d’autant qu’elles pilotent un grand nombre de sujets.
Pouvez-vous clarifier les livrables, les feuilles de route, les plans d’action et les cadres de contractualisation avec les territoires, comme la circulaire CRTE ? Pouvez-vous préciser les moyens que l’État compte mettre en œuvre pour accompagner les collectivités territoriales et les acteurs privés ?
Pouvez-vous garantir, tant du point de vue du fond que de la méthode, que l’exercice est en parfaite adéquation avec les stratégies déjà en place localement, comme dans la région Hauts-de-France, par exemple, avec la politique Rev3, engagée depuis 2016 ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Vous me posez trois questions, monsieur le sénateur Somon : quels sont les livrables ? quels sont les moyens de l’État ? quelles sont les garanties ?
Concernant les livrables, il existe un état des lieux partagé du territoire sur les dynamiques en cours et les programmes déjà engagés, avec une mobilisation forte de l’ensemble des collectivités. En outre, un plan d’action cohérent et pragmatique tenant compte des initiatives lancées dans chaque collectivité a été mis en place. Encore une fois, l’objectif de ce plan sera tenu juste après l’été.
Vous m’interrogez aussi sur les moyens de l’État. Les moyens financiers, nous les connaissons : ce sont les 2 milliards d’euros engagés au travers du fonds vert, dont 200 millions d’euros seront fléchés en faveur des PCAET et des CRTE afin de financer ces plans d’action. Je tiens ensuite à citer un outil original, que je n’ai pas encore évoqué : un simulateur de gaz à effet de serre sera mis à disposition, notamment pour des besoins de méthodologie. Enfin, tous les services déconcentrés de l’État qui travaillent aux côtés des collectivités locales seront accompagnés.
En ce qui concerne les garanties, sachez que le lancement de chaque COP s’est fait après un travail de concertation entre préfectures et conseils régionaux, et ce dans chacune des régions. C’est la garantie que tout ce qui a été accompli par les conseils régionaux est bien pris en compte.
Bref, qu’il s’agisse du fond ou de la méthode, l’adéquation entre cet exercice et les stratégies existantes nous paraît bonne.
Conclusion du débat
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème « Planification écologique et COP régionales : quelle efficacité ? ».
Je tiens à remercier M. Didier Mandelli, qui a renoncé à son intervention finale, afin de nous permettre de tenir les délais d’examen des points inscrits à l’ordre du jour.
5
Création d’une commission spéciale
M. le président. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 16 bis, alinéa 2, du règlement, la proposition de création d’une commission spéciale en vue de l’examen du projet de loi de simplification de la vie économique.
Je soumets cette proposition au Sénat.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
6
Candidatures à une commission spéciale
M. le président. En application de l’article 8 bis, alinéa 3, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes pour cette commission ont été publiées.
Elles seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure suivant cette publication.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
7
Hommage à Guy-Dominique Kennel, ancien sénateur
M. le président. Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès de Guy-Dominique Kennel, qui fut sénateur du Bas-Rhin de 2014 à 2020 et secrétaire du Sénat. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, se lèvent.)
Je veux saluer aujourd’hui la mémoire d’un grand homme politique alsacien, engagé et profondément attaché à son territoire. Fervent défenseur du conseil unique d’Alsace, il avait soutenu ce projet avec passion en 2013, souhaitant que l’Alsace « prenne son destin en main ».
C’était un élu de terrain. Comme beaucoup d’entre nous, il était entré en politique en devenant conseiller municipal, avant de devenir maire de Preuschdorf en 1989. Pendant vingt ans, il resta à la tête de sa commune. Parallèlement, il entra au conseil général du Bas-Rhin en 1992 et en devint le président en 2008, et ce jusqu’en 2015. Depuis 2021, il était conseiller régional de la région Grand Est.
Au Palais du Luxembourg, Guy-Dominique Kennel fut élu en 2014. Il siégea à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, où il s’intéressa surtout aux questions ayant trait à l’enseignement scolaire, lui, l’ancien enseignant de formation et inspecteur de l’éducation nationale. Il fut également un membre assidu et actif de la délégation sénatoriale aux entreprises.
Chacun garde le souvenir de cet homme pas très grand, au sourire malicieux et à l’immense gentillesse. Guy-Dominique Kennel était attentif aux autres, ouvert, tolérant, et il savait partager.
Ayant appris la maladie qui l’avait frappé subitement, j’ai échangé avec lui au téléphone. Je ressens, comme tous ceux qui l’ont connu ici, une émotion particulière.
Au nom du Sénat tout entier, je veux assurer son épouse, ses enfants, sa famille et ses proches de notre sympathie et leur dire que nous pensons à eux.
Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous propose d’observer quelques instants de silence à la mémoire de celui que nous surnommions tous ici affectueusement « Guy-Do ». (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, observent un moment de recueillement.)
8
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Avant toute chose, je veux excuser l’absence de M. Premier ministre, qui est retenu à l’Élysée.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau, j’appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
dissuasion nucléaire française et européenne
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin. Ma question s’adressait à M. le Premier ministre.
Une nouvelle fois, des propos du Président de la République en matière de défense suscitent la polémique. Nous n’avions pas besoin de cela, surtout en un moment où les tensions géopolitiques sont à leur comble.
Il y a quelques mois, nous débattions ici même du projet de loi de programmation militaire 2024-2030. Dans un contexte marqué par la montée des périls, le Gouvernement écartait les demandes du Sénat de réfléchir au format des armées. Le ministre des armées répétait alors que le problème de la masse de forces conventionnelles ne se posait pas pour nous, puisque nous disposions de la dissuasion nucléaire.
Or voilà qu’au détour d’une interview le Président de la République tient le discours inverse, affirmant qu’il faut « tout mettre sur la table » : le conventionnel, la défense antimissile, les missiles de longue portée – desquels parlait-il exactement ? – et l’arme nucléaire.
La dissuasion, c’est l’assurance vie des Français ; c’est aussi le fruit de leurs impôts depuis soixante-dix ans, depuis que le général de Gaulle a souhaité que la France acquière son indépendance stratégique.
Si le débat mérite certainement d’être ouvert, on ne peut lancer une telle idée dans la presse, sans avoir expliqué au préalable avec qui et comment nous irions vers un tel changement, ni qui paiera et décidera.
Ce sujet ne souffre pas l’improvisation et mérite davantage qu’une petite phrase évasive. Quelles sont les prochaines étapes envisagées par le Gouvernement après ce ballon d’essai ? Que compte-t-il dire à nos partenaires, et avec quels objectifs concrets ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des anciens combattants et de la mémoire.
Mme Patricia Mirallès, secrétaire d’État auprès du ministre des armées, chargée des anciens combattants et de la mémoire. Monsieur le président Perrin, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Sébastien Lecornu, qui se trouve actuellement auprès de nos forces armées et qui m’a chargé de vous répondre.
Il convient tout d’abord de rappeler deux points essentiels.
En premier lieu, la stratégie nucléaire française a toujours garanti une pleine compatibilité entre l’indépendance de la dissuasion française et la volonté de préserver en toutes circonstances la liberté d’action du Président de la République, d’une part, et l’appartenance européenne, associée à la solidarité inébranlable qui en découle, de l’autre.
En second lieu, notre dissuasion nucléaire s’est vu conférer, depuis la fin de la guerre froide, un rôle européen qui n’est pas limité au seul cadre de l’Union européenne.
Permettez-moi ensuite de répondre à vos interrogations sur les récentes déclarations du Président de la République.
Le contexte impose une réflexion collective sur la stratégie de défense de l’Europe. Or la dissuasion française fait partie de l’équation. Elle est au cœur de la défense de notre pays : elle est donc par essence un élément incontournable de la défense européenne.
Dans un discours prononcé en 2022 à l’École militaire, le Président de la République avait déjà affirmé la dimension européenne de nos intérêts vitaux. Ce lien entre notre dissuasion nucléaire et l’Europe n’est pas nouveau. En 2006, le président Chirac avait déjà fait le constat que la dissuasion française, par sa seule existence, était un élément incontournable de la sécurité du continent. Le président Mitterrand l’avait également énoncé.
En clair, le Président de la République a rappelé que les intérêts vitaux de la France ont une dimension européenne, ce qui n’a rien de nouveau.
La dissuasion nucléaire française est pleinement souveraine. Le Président de la République est le seul à décider de sa mise en œuvre ; la décision ne sera partagée avec personne. Par sa dissuasion, la France contribue à la crédibilité de la défense de l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour la réplique.
M. Cédric Perrin. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État, mais ce débat souhaité par le Président de la République est-il vraiment la priorité en ce moment ?
Le problème se pose moins sur le fond que sur la forme. Ne devrions-nous pas commencer par nous préoccuper des difficultés actuelles de nos armées ?
Quarante ans de désindustrialisation nous empêchent aujourd’hui de produire comme nous devrions le faire, la faiblesse de notre production étant due notamment au manque de commandes. Nos armées ont par ailleurs du mal à recruter et souffrent de l’insuffisance de nos moyens, qui, certes, progressent, mais pas aussi vite que les besoins.
Mme Patricia Mirallès, secrétaire d’État. Et le doublement du budget prévu par la loi de programmation militaire ?
M. Cédric Perrin. Madame la secrétaire d’État, tous vos ballons d’essai ne constituent malheureusement pas une stratégie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
contexte universitaire actuel
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la ministre, ces derniers jours, des groupes d’étudiants et de militants ont manifesté dans l’enceinte de Sciences Po ou aux abords de la Sorbonne, en soutien à la Palestine. Ces protestations ont entraîné des blocages, ainsi que plusieurs occupations de sites universitaires, avec le seul et unique objectif de contester, non de dialoguer.
Un retour au calme était nécessaire, alors que les étudiants passent des examens dans quinze jours. Les cours ayant repris hier, je tiens à saluer l’engagement du Gouvernement, qui a permis aux élèves de reprendre le travail.
Si ce mouvement a pour le moment été circonscrit à quelques campus, il faut nous interroger sur les causes de ces manifestations, ainsi que sur la méthode employée par ces groupes, qui n’ont de cesse de mettre la pression sur les autorités en recourant à des procédés discutables.
L’université est un lieu essentiel pour la construction intellectuelle des jeunes et le développement de leur pensée critique. En son sein, il est donc possible de discuter, d’argumenter, d’être en désaccord, de faire valoir ses idées et d’en débattre, et même – qui sait ? – de changer d’avis.
M. François Bonhomme. Pas quand tout est bloqué !
Mme Patricia Schillinger. Pour autant, il est inacceptable de voir des groupes minoritaires tenter de bâillonner et d’exclure de leurs réunions des personnes ayant des opinions différentes des leurs.
Aidés de leurs soutiens politiques de La France insoumise, lesquels sont venus les saluer pour attiser les flammes de la haine et de l’intolérance, certains manifestants se sont permis de stigmatiser une partie des étudiants. Dans un pays qui a érigé la liberté d’expression en liberté fondamentale, ce n’est pas tolérable !
Ma question, madame la ministre, est donc la suivante : au-delà des mouvements de ces dernières semaines sur les campus de Sciences Po, comment accompagner les universités pour que ces dernières restent des lieux d’apprentissage, de partage des opinions et de débat et ne deviennent pas des espaces de censure ou le lieu d’une pensée unique, comme certains le souhaitent ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice Patricia Schillinger, comme vous l’avez dit, nous devons garantir à nos étudiants, non seulement de bonnes et sereines conditions d’études, comme il en existe dans nos écoles et nos universités, mais aussi le respect d’un cadre à la fois démocratique et républicain.
M. François Bonhomme. C’est raté !
Mme Sylvie Retailleau, ministre. Ma position, qui est également celle de M. le Premier ministre, est simple et très claire : oui au débat quand il est respectueux et se déroule dans un cadre républicain ; non, toujours non, au blocage ! Je tenais à le redire.
Je regrette comme vous que certains irresponsables soufflent sur les braises et instrumentalisent le conflit israélo-palestinien. Ils utilisent les étudiants en appelant au soulèvement, ce qui est très grave. Je crois que nous devrions tous le condamner fermement.
L’outrance et la surenchère ne font pas de bien à notre démocratie. Cela suffit !
M. Roger Karoutchi. Avec ce genre de propos, nous ne sommes guère avancés !
Mme Sylvie Retailleau, ministre. Il faut que tout cela cesse.
On a comparé un président d’université à un nazi. Aussi ai-je porté plainte pour injure publique à un agent public.
Vous m’interrogez sur notre capacité à rétablir un environnement favorable à la fois aux études et au débat d’idées, y compris contradictoire, dans nos établissements. Cette exigence est aussi la mienne.
Aussi, au regard du contexte actuel, j’ai souhaité réunir rapidement les présidents d’université. Jeudi prochain, je les rassemblerai pour que chacun puisse exprimer ses positions et, surtout, pour que nous réfléchissions à l’élaboration de mesures concrètes selon un calendrier que nous fixerons.
Nous appelons tous de nos vœux la préservation de la construction et de la transmission des savoirs comme mission première de nos universités, ainsi que le maintien d’un cadre propice aux études et à un débat serein, dans le respect de la loi et des règlements intérieurs des campus.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas le cas !
Mme Sylvie Retailleau, ministre. Les personnels, les étudiants de nos universités et de nos écoles méritent de travailler et d’étudier dans de bonnes conditions. Nous ne transigerons pas sur ce point, fidèles à la ligne que nous avons toujours appliquée, et cela dans le respect du cadre républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Marques de scepticisme sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la ministre, à mon tour, je souhaite vous interroger sur la situation à Sciences Po et dans les universités, ce qui atteste tant de la prégnance que de la gravité du sujet.
Nous assistons avec consternation et inquiétude à des opérations de manipulation de la part de pseudo-mouvements étudiants au sein de nos universités. En première ligne, Sciences Po et la Sorbonne, temples de la connaissance et du pluralisme des idées,…
M. Laurent Burgoa. Ça, c’est fini !
Mme Vanina Paoli-Gagin. … sont prises en otage par une minorité radicale.
Cette mobilisation a pris des proportions dangereuses à Paris comme dans le reste de notre pays. Nous ne pouvons tolérer l’occupation de locaux universitaires ni l’instrumentalisation politique des étudiants, et encore moins la profération d’appels à la haine antisémite.
Au fil des années, on a baissé la garde sur la défense du pacte républicain. Aujourd’hui, cette situation désastreuse a pris une tournure très politique, puisque les étudiants à l’origine des mouvements de blocage sont soutenus activement par l’extrême gauche, dont le naufrage se profile un peu plus de jour en jour.
M. Roger Karoutchi. Ça, c’est sûr !
Mme Vanina Paoli-Gagin. Nous assistons à une dérive idéologique croissante au sein d’établissements pensés – rappelons-le – pour former nos élites républicaines.
Ces lieux devraient être consacrés à la confrontation des idées, au débat raisonné, à la transmission éclairée. Nous faisons face à une forme de négationnisme intellectuel – j’ose l’expression –, diamétralement opposé à l’esprit des Lumières. Dans ces établissements, tout tend ainsi à devenir opinion.
Comme cela a été dit, la polarisation et l’outrance n’ont jamais permis de trouver un point d’équilibre. Face à la radicalisation, refusons la capitulation intellectuelle et restons fermes !
Madame la ministre, que pouvons-nous faire de plus pour que notre université renoue avec son universalité ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, tout d’abord, je vous remercie d’avoir rappelé, car c’est important, le rôle et les missions des universités et de tous nos établissements d’enseignement supérieur.
Il faut le répéter, le débat et la liberté d’expression respectueuse, maîtrisée et cadrée constituent l’une des vocations des universités. Les blocages et, surtout, les intimidations, c’est non ! A fortiori, nous refusons les incitations à la haine et les appels au soulèvement ou même, j’ose le dire, à l’insurrection. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
C’est pourquoi nous restons très fermes et vigilants. Il est de notre responsabilité, je dirais même de notre responsabilité collective, de veiller au respect du cadre républicain, ainsi qu’à la sécurité des biens et des personnes, et de faire en sorte que l’on retrouve cette objectivité, cette maîtrise, cet équilibre et ce cadre.
Permettez-moi de le rappeler, aucune sanction contre les auteurs de faits graves, comme des actes d’antisémitisme, ne sera abandonnée, ni aujourd’hui ni demain. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Vous êtes aveugle !
Mme Sophie Primas. Et sourde !
Mme Sylvie Retailleau, ministre. Honte à ceux qui choisissent de souffler sur les braises, de diffuser de fausses informations et d’attiser les haines ! Honte à ceux qui instrumentalisent ces conflits et qui utilisent notre jeunesse et, ici, nos étudiants ! C’est tout simplement irresponsable et dangereux.
Permettez-moi aussi de m’associer à vos propos sur la nécessité du débat d’idées, du débat contradictoire et de la controverse. Je l’ai dit, je rencontrerai prochainement les présidents d’université, en vue de mettre rapidement en place des actions concrètes.
Les déchaînements de haine, les appels à l’insurrection, la reprise d’odieux symboles, c’est non ! Les universités sont des lieux d’études. Leur mission est trop importante et trop précieuse pour que l’on piétine leur image et que l’on empêche leur bon fonctionnement, en tentant d’importer cette mobilisation des États-Unis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Mickaël Vallet. Et le budget des universités ?
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Je vous remercie, madame la ministre.
Nous comptons vraiment sur votre action (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) pour protéger de la tentation du rejet de toute altérité notre jeunesse, qui est parfois instrumentalisée par des forces obscures étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
beauvau de la sécurité civile et inquiétudes des sapeurs-pompiers
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Guylène Pantel. En l’absence de M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer, ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Madame la ministre, les « Beauvau » s’enchaînent. Après le Beauvau de la sécurité et le Beauvau des polices municipales, votre ministère lançait mardi dernier celui de la sécurité civile, afin de faire le bilan du modèle français et de donner des perspectives.
En parallèle, une intersyndicale représentant neuf organisations de sapeurs-pompiers appelle à une mobilisation nationale le 16 mai prochain.
Il ne fait aucun doute que cet appel sonne comme un avertissement : il faut des réponses concrètes et efficaces aux carences financières et humaines que l’on observe dans nos départements respectifs.
Comme cela a été dit ces derniers temps, l’un des éléments ayant mis le feu aux poudres au sein de la profession est la publication du rapport commun de l’inspection générale de l’administration et de l’inspection générale de la sécurité civile sur l’activité des sapeurs-pompiers volontaires, qui recommande notamment la réduction du nombre d’heures de gardes postées, remettant en cause la notion d’engagement citoyen librement consenti qui caractérise cette activité.
Une telle évolution pourrait amputer les capacités opérationnelles, donc la réponse de nos services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), puisque leurs effectifs sont, dans une large majorité, des volontaires, notamment en zone rurale et hyperrurale, comme dans mon département de la Lozère.
C’est pourquoi la profession, faisant preuve d’un sens aigu de l’intérêt général, fait part de son refus de toute application de la directive européenne de 2003 sur le temps de travail aux sapeurs-pompiers volontaires.
Les diverses prises de parole du ministre de l’intérieur à ce sujet se veulent plutôt rassurantes : M. Darmanin s’est en effet engagé à ne pas appliquer les recommandations du rapport précité.
Pour autant, de nombreuses interrogations demeurent.
Comment comptez-vous répondre aux besoins de recrutement ? Quand comptez-vous publier le décret relatif à la bonification des trimestres de retraite des sapeurs-pompiers volontaires ? Enfin, quelles mesures envisagez-vous de prendre pour rétablir les capacités budgétaires des Sdis, en termes tant d’investissement que de fonctionnement ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Pantel, notre modèle français de sécurité civile est solide, agile et résilient. Nous sommes tous ici très attachés à nos pompiers.
Depuis de nombreuses années, ce modèle a fait la preuve de sa capacité à proposer des réponses rapides et adaptées à des sollicitations opérationnelles toujours croissantes.
Toutefois, vous avez raison, il faut regarder la réalité en face et reconnaître que ce modèle est sous tension. Il doit aujourd’hui faire l’objet d’une adaptation en profondeur, afin qu’il soit en mesure de faire face aux enjeux à venir, en particulier ceux qui résultent des évolutions sociétales et du changement climatique.
Les près de 500 000 acteurs de la sécurité civile et les quelque 255 000 sapeurs-pompiers sont tous indispensables à notre dispositif de secours. C’est pourquoi nous devons être attentifs à leurs inquiétudes, que vous avez extrêmement bien exprimées.
Le Président de la République, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin et moi-même avons souhaité lancer la démarche que vous avez citée, une démarche absolument inédite et qui fonctionne.
Nous avons ainsi engagé une vaste concertation nationale destinée aux policiers municipaux, que nous avons baptisée « Beauvau de la sécurité civile ».
Durant toute l’année 2024, un certain nombre de rencontres auront lieu : elles permettront de faire le point sur l’ensemble des difficultés que la profession rencontre – notamment celles que vous avez citées –, et de recueillir toutes les idées. Nous allons écouter et étudier les propositions, puis réfléchir à la meilleure manière de façonner la sécurité civile de demain aux côtés des sapeurs-pompiers volontaires, professionnels ou militaires, des bénévoles des associations agréées, des pilotes, des démineurs, mais aussi des élus locaux et nationaux.
Au travers de ces échanges, nous aurons l’occasion d’aller sur le terrain, au plus près des réalités, à la rencontre de tous, de sorte que chacun puisse participer. Nous avons en outre publié une enquête en ligne qui permettra à ceux qui le souhaitent d’exprimer leurs opinions et leurs idées.
C’est à l’occasion de ces cinq Beauvau – deux se tiendront avant l’été, trois après – que les sujets que vous avez cités seront traités. Vous y serez naturellement conviée, madame la sénatrice.
M. Mickaël Vallet. Et le décret ?…
projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Catherine Conconne. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui est malheureusement absent.
Le 28 février dernier, en marge du salon de l’agriculture, le Président de la République a tenu à faire savoir à la profession agricole de ladite outre-mer que cette dernière n’avait pas été oubliée par l’État dans les négociations qui ont suivi la crise de ce début d’année.
Selon le Président de la République, « la souveraineté alimentaire française passe aussi par cette ferme outre-mer. […] Au cœur de nos paysages, de nos territoires, avec des spécificités propres à chacun, il y a un projet à bâtir et des défis parfois plus importants ». Présente lors de la réunion, je l’ai moi-même entendu tenir ces propos.
Or nous sommes aujourd’hui forcés de constater la criante absence de ces spécificités et de ces défis dans le projet de loi d’orientation agricole présenté il y a un mois.
Je le rappelle, l’agriculture de nos dits pays d’outre-mer représente près de 40 000 emplois, dont une part non négligeable est occupée par des actifs vivant sous le seuil de pauvreté. Elle correspond à près de 60 % du total des emplois salariés dans nos territoires ultramarins, essentiellement au sein de la filière agro-alimentaire. Dans les outre-mer, on dénombre plus de 25 000 exploitations, qui occupent près d’un cinquième de leur superficie totale.
Le sort d’une politique publique aussi essentielle, surtout quand il est question d’autonomie alimentaire, doit-il être réglé une fois de plus à coups d’ordonnances ou dépendre du vote aléatoire d’amendements au Parlement ?
Les travaux engagés par le comité interministériel des outre-mer (Ciom) il y a de cela un an avaient permis à nos territoires de retrouver l’espoir et de renouer une relation de confiance avec les services de l’État. J’invite le Gouvernement à poursuivre dans cette voie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice Conconne, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Mme la ministre Agnès Pannier-Runacher, qui est retenue en ce moment même par une audition et qui m’a chargée de vous répondre.
Oui, le projet de loi d’orientation agricole que nous défendons affirme avec force l’impératif de souveraineté alimentaire et la dimension stratégique de notre agriculture, partout, sur tous nos territoires.
Il vise trois objectifs, qu’il est important de rappeler ici.
Le premier est d’assurer le renouvellement des générations, car, sans forces vives, il n’y a pas de souveraineté alimentaire. Nous devons être capables de former les nouvelles générations aux métiers de notre agriculture, pour produire davantage dans un contexte climatique exigeant.
Le deuxième objectif est de donner un nouveau souffle à notre politique d’installation et de transmission des exploitations, car, sans cela, il n’y aura pas non plus de souveraineté alimentaire.
Le troisième et dernier objectif est de sécuriser, simplifier et libérer, car il ne peut y avoir de souveraineté alimentaire sans suppression des contraintes inutiles.
Comme vous le savez, l’élaboration de ce texte repose sur de larges concertations, qui ont duré plus de six mois et qui se sont déroulées dans chacune de nos régions métropolitaines comme en outre-mer.
J’entends parfaitement votre préoccupation et le signal d’alerte que vous lancez, et je puis vous assurer ici que les ministres Agnès Pannier-Runacher et Marc Fesneau se tiennent à votre disposition pour étudier en détail les autres dossiers que vous voudrez bien leur soumettre.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour la réplique.
Mme Catherine Conconne. Non, madame la ministre, il n’y a pas eu de larges concertations !
Je prends donc la balle au bond et j’attends avec impatience la concertation que vos deux collègues du ministère de l’agriculture, Marc Fesneau et Agnès Pannier-Runacher, sont censés engager. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
groupe exxonmobil
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Céline Brulin. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie.
Monsieur le ministre, malgré près de 92 milliards de dollars de bénéfice net en deux ans et des dividendes faramineux, ExxonMobil annonce vouloir mettre fin à ses activités chimiques à Port-Jérôme-sur-Seine, en Seine-Maritime, et vendre sa raffinerie de Fos-sur-Mer, ainsi que des dépôts de carburant.
Dans mon département, 647 emplois directs sont en jeu, voire plusieurs milliers si l’on tient compte des entreprises sous-traitantes et de l’ensemble du tissu économique touché.
Les ressources des communes du bassin d’emploi et de l’agglomération Caux Seine seraient elles aussi considérablement affectées.
Le Gouvernement et même le Président de la République doivent faire pression sur le groupe. Comment accepter que celui-ci continue d’avoir accès aux marchés français et européen, alors qu’il tire un trait sur la mobilisation, quatre-vingt-dix ans durant, de tout un territoire, ainsi que sur l’engagement et le savoir-faire de milliers de salariés et de dizaines de PME ?
Le vapocraqueur doit être pérennisé. Moyennant un certain nombre d’investissements, il peut produire des plastiques recyclés et contribuer à la décarbonation.
L’unité de polypropylène, qui peut fonctionner en autonomie en étant alimentée par TotalEnergies Normandie, doit être préservée.
Enfin, vous devez empêcher ExxonMobil d’imposer son calendrier et son plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) au mépris de ses obligations légales.
Le site de Port-Jérôme-sur-Seine contribue à la fabrication de plastiques qui sont indispensables, que ce soit dans les domaines médical et pharmaceutique ou dans l’industrie automobile. L’abandonner ferait perdre un peu plus de souveraineté encore à la France. Cela mettrait notre pays à la merci de productions issues de gaz de schiste américains ou venues d’Asie, dans les conditions environnementales et sociales que l’on sait.
Monsieur le ministre, à quand la souveraineté en actes ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Madame la sénatrice Céline Brulin, comme vous l’avez dit, ExxonMobil a annoncé le 11 avril dernier la fermeture de plusieurs activités chimiques à Gravenchon, dans la commune de Port-Jérôme-sur-Seine, mais aussi la vente d’une raffinerie à Fos-sur-Mer.
J’ai bien sûr pris contact immédiatement avec la direction française d’ExxonMobil, ainsi qu’avec le siège de l’entreprise à Houston, aux États-Unis, pour leur signifier mon mécontentement et ma déception vis-à-vis de cette décision et pour les interroger sur les raisons qu’ils mettent en avant pour la justifier.
Ils soulignent que le vapocraqueur est bien plus petit que celui de ses concurrents et souffre ainsi d’un déficit de compétitivité, qui est d’ailleurs en partie dû à un manque d’investissement ces dernières années.
M. Fabien Gay. Et c’est aux salariés de trinquer !
M. Roland Lescure, ministre délégué. En effet, cette activité est déficitaire en France depuis de nombreuses années.
Nous avons également rencontré immédiatement le repreneur de la raffinerie de Fos-sur-Mer. Je m’éloigne quelque peu de votre question, mais il était important de nous assurer que les 300 salariés concernés conserveraient leur emploi dans le cadre de la reprise par l’entreprise Rhône Énergies, laquelle a véritablement la volonté d’investir dans la raffinerie.
En ce qui concerne le site de Port-Jérôme-sur-Seine, la reprise s’accompagnera en effet malheureusement d’un PSE. Nous serons intraitables avec ExxonMobil, pour que cette société respecte ses obligations légales, et même, au-delà, pour qu’elle fasse preuve de responsabilité d’un point de vue social, vis-à-vis tant des salariés que du territoire, ces usines étant présentes dans la région depuis plus de quatre-vingt-dix ans.
Nous sommes en contact avec les représentants de l’entreprise. Nous le sommes aussi avec les élus : j’ai rencontré la vice-présidente de région et une députée, et mon cabinet vous transmettra, s’il ne l’a pas déjà fait, des dates pour fixer le rendez-vous que vous avez sollicité, afin que nous suivions ce dossier ensemble.
Cette décision est triste. Il s’agit d’une mauvaise nouvelle, qui intervient dans un territoire en développement, au sein duquel existent des perspectives d’emploi et d’investissement, y compris de la part de grandes entreprises américaines. Nous suivrons ce dossier de très près, en collaboration avec les élus locaux et, bien sûr, nationaux. (M. Ludovic Haye applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, nous attendons plus que des regrets. Nous parlons d’activités stratégiques. Le Gouvernement, qui s’y refusait jusqu’à présent, semble examiner la possibilité de reprendre les activités stratégiques d’Atos. Pourquoi ne pas le faire également dans ce cas ?
Pourquoi ne pas étudier la création d’un pôle pétrochimique ancré en France, en partenariat avec TotalEnergies, plutôt que de laisser ce dernier s’expatrier et entrer en bourse à Wall Street ?
Nous avons besoin de maintenir ces activités, qui ont des débouchés dans les industries pharmaceutique, médicale et automobile. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adressait à M. le ministre des armées.
Cela a fait la une à l’international : en janvier 2021, quelque 116 parlementaires issus de 15 pays ont été ciblés par une cyberattaque parrainée par l’État chinois. J’ai appris officiellement hier que je faisais partie des 7 parlementaires français concernés, aux côtés de nos collègues sénateurs Isabelle Florennes et Bernard Jomier, de la députée Anne Genetet et de nos anciens collègues André Gattolin et André Vallini.
Ces parlementaires ont tous été membres de l’Alliance interparlementaire sur la Chine, l’Ipac (Inter-Parliamentary Alliance on China), qui suit attentivement les actions de Pékin et du parti communiste chinois.
Les investigations du FBI ont formellement attribué ces cyberattaques au groupe de hackers APT31, associé au renseignement chinois. Ces hackers font nommément l’objet d’un acte d’accusation du ministère de la justice américain depuis le 25 mars dernier.
Il s’agit clairement d’un acte de cyberguerre, commis par une dictature 2.0. À moins d’une semaine de la venue en France du président Xi Jinping, nous sommes confrontés à une manifeste ingérence étrangère d’envergure de la part de la Chine, qui utilise les moyens de la guerre hybride pour attaquer des parlementaires.
Quelles mesures le Gouvernement a-t-il prises pour contrer les attaques du groupe APT31 ? Attribuerez-vous formellement ces attaques à ce groupe, comme l’ont fait d’autres pays, et demanderez-vous l’ouverture d’une enquête ?
Prévoyez-vous de renforcer l’assistance aux parlementaires, pour les protéger des États qui ne tolèrent pas la liberté d’expression et qui les menacent ouvertement ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Cadic, vous mentionnez des cyberattaques ayant visé les membres de l’Ipac, dont vous faites partie.
Vous le savez, le suivi de la menace cyber fait l’objet d’une extrême vigilance de la part des services de renseignement et de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), d’autant plus à l’approche des jeux Olympiques et Paralympiques.
Nous détectons et déjouons des centaines d’attaques cyber chaque année. Aussi le mode opératoire de l’APT31 fait-il l’objet d’un suivi particulier par l’Anssi, qui a publié des recommandations pour y faire face.
En lien avec nos partenaires européens et de manière bilatérale, nous exprimons dans le cadre approprié nos préoccupations concernant les cyberattaques qui visent nos intérêts. Ces dernières font l’objet d’investigations au plan national, y compris d’un point de vue judiciaire.
Si le Gouvernement n’exclut pas d’attribuer publiquement ces cyberattaques à un groupe donné, vous comprendrez que nous ne puissions pas, à ce stade, communiquer davantage sur ce sujet.
Plus généralement, nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour contrer ces menaces.
Mme Sophie Primas. Nous voilà rassurés… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour la réplique.
M. Olivier Cadic. Je vous remercie de cette réponse, même si je ne suis pas sûr, en effet, qu’elle soit de nature à nous rassurer…
M. Roger Karoutchi. En somme, il faut vous débrouiller !
M. Olivier Cadic. Il semblerait que l’information soit arrivée à nos services depuis 2022, donc je comprends que vous travaillez sur cette question depuis déjà un petit moment… Nous attendons impatiemment de nous sentir rassurés. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes GEST et SER.)
visite d’état du président de la république en chine et prochaine visite d’état en france du président de la république populaire de chine
M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Antoinette Guhl. La semaine prochaine, le Président de la République recevra le président chinois, Xi Jinping.
Je fais l’impasse sur la balade bucolique dans les Hautes-Pyrénées sur le chemin des souvenirs d’enfance d’Emmanuel Macron, qui est prévue au programme de cette visite d’État. Ce qui nous importe, c’est que cette visite officielle ne soit pas perçue par le président chinois comme une caution de la France sur Taïwan, sur notre sécurité ou encore sur les Ouïghours.
La semaine dernière, Joe Biden a promulgué un plan d’aide de 7,7 milliards d’euros pour contrer l’influence militaire de la Chine et soutenir Taïwan. Il s’agit d’un engagement clair de la part des États-Unis. Quelle est la position française ?
En ce qui concerne notre sécurité, l’espionnage chinois – c’est-à-dire une ingérence étrangère – s’invite dans notre hémicycle et dans la campagne des élections européennes, ce qui constitue une menace réelle pour la souveraineté et l’intégrité de l’Europe. Est-ce au programme des discussions ?
Enfin, les atrocités commises contre les Ouïghours exigent une action immédiate de la part de la communauté internationale. Le peuple ouïghour continue, au vu et au su du monde entier, de subir la répression et l’exploitation. Je veux parler un instant des femmes, qui en sont les premières victimes en subissant viols, stérilisation et tortures.
Nos penderies, nos voitures, nos téléphones, nos ordinateurs : toute notre économie est complice de ce crime étouffé, que commet le gouvernement chinois sur son peuple. Nous devons accroître la pression sur la Chine pour mettre fin à ces violations, pour garantir l’accès à des observateurs indépendants et pour poursuivre les responsables.
Comment le Gouvernement va-t-il, lors de cette visite du président chinois, réaffirmer les grandes valeurs de la France et son engagement envers les droits humains, la protection de notre démocratie et les droits fondamentaux des Ouïghours ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du développement et des partenariats internationaux.
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée du développement et des partenariats internationaux. Madame la sénatrice Guhl, vous évoquez la visite d’État du président Xi Jinping en France les 6 et 7 mai prochains.
Cette visite s’inscrit dans le cadre du soixantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine. Elle doit nous permettre d’évoquer tous les sujets : les défis mondiaux, les enjeux globaux, les irritants commerciaux et la protection des droits de l’homme.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Bien sûr… On y croit ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État. Tout d’abord, les crises internationales doivent être abordées, car nous avons des attentes fortes vis-à-vis de la Chine, qui doit agir sur la situation en Ukraine, mais aussi au Proche-Orient, pour parvenir à une sortie de crise.
Ensuite, nous chercherons à obtenir de nouvelles avancées sur les enjeux globaux, après celles qui ont été acquises l’année dernière lors de la visite du Président de la République en Chine. Nous proposerons à la Chine des actions communes en matière de décarbonation, de protection de la biodiversité et de financement du développement.
Sur les sujets difficiles, nous assumons d’entretenir un dialogue politique exigeant avec la Chine. Nous exprimerons clairement le caractère insoutenable du déficit commercial bilatéral et notre détermination à défendre nos industries et nos emplois. Par ailleurs, nous aborderons la situation des droits de l’homme en Chine.
Enfin, je souligne que nous travaillons étroitement avec nos partenaires européens sur l’ensemble de ces sujets. La présidente de la Commission européenne, qui avait accompagné le Président de la République en Chine, en avril 2023, sera ainsi en France pour cette visite d’État.
situation du groupe atos
M. le président. La parole est à M. Thierry Meignen, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Thierry Meignen. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Le groupe Atos englobe une myriade d’activités dites sensibles, et pas seulement dans le domaine de la défense. Or il fait face à des difficultés vitales, et vos annonces récentes, mais tardives, monsieur le ministre, ne répondent pas aux questions suivantes : quelle est la stratégie du Gouvernement ? Qu’avez-vous fait depuis que le groupe est en difficulté, et avec qui ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. (Ah ! sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le sénateur, le groupe Atos est un groupe privé. Un tel groupe se gère lui-même, mais l’État intervient quand il y a des difficultés.
Dès que ce groupe a rencontré des difficultés, nous sommes intervenus, et nous continuons de le faire depuis plusieurs mois. J’ai immédiatement chargé le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) de suivre le dossier, de participer à la restructuration de la dette et d’apporter son conseil. Un mandataire ad hoc a été nommé ; je l’ai reçu.
Dès que les difficultés de ce groupe, qui compte 10 000 salariés et exerce des activités stratégiques, se sont renforcées, nous avons sollicité de potentiels repreneurs, en particulier Airbus. Naturellement, nous avons laissé l’entreprise Airbus poursuivre les discussions avec Atos pour étudier cette solution.
Lorsque cette piste a été abandonnée, l’État a pris ses responsabilités.
Tout d’abord, il a pris part au tour de table avec les autres financeurs en débloquant 50 millions d’euros pour sécuriser Atos. (M. Fabien Gay ironise.)
Ensuite, il a mis en place une action de préférence, pour s’assurer qu’aucun repreneur étranger ne puisse prendre le contrôle de l’entreprise.
Nous avons pris toutes nos responsabilités vis-à-vis d’Atos.
M. Fabien Gay. On verra !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le week-end dernier, j’ai déposé une offre d’intention pour acheter l’intégralité des activités stratégiques d’Atos et éviter que la moindre d’entre elles, que ce soit dans les supercalculateurs, dans la cybersécurité ou dans les transmissions sécurisées, notamment pour la défense, ne puisse passer sous un contrôle étranger.
L’État a pris toutes ses responsabilités : il protège Atos et ses activités stratégiques, il a pris la décision de faire une offre d’intention sur les activités stratégiques et il élargit maintenant le tour de table. Nous travaillons sur le dossier depuis des mois.
Monsieur le sénateur, ce n’est pas parce que nous faisons les choses discrètement (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE-K.) que nous ne les faisons pas efficacement.
Ce n’est pas parce que nous travaillons dans le silence que nous ne prenons pas nos responsabilités. Il vaut mieux traiter certaines affaires discrètement, pour prendre les décisions au bon moment, comme nous l’avons fait. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Meignen, pour la réplique.
M. Thierry Meignen. Monsieur le ministre, c’est bien tard et c’est beaucoup trop peu ! Vous ne pouvez pas nous parler d’intérêt vital et de souveraineté et regarder passer les trains depuis le début des difficultés du groupe.
Les rapporteurs de la mission d’information sur la situation d’Atos ne peuvent que constater les dégâts de la politique que vous menez et de l’intervention tardive et insuffisante de l’État. J’en profite pour saluer mes collègues rapporteurs Sophie Primas, Jérôme Darras et Fabien Gay.
Nous regrettons que l’hypothèse du maintien du groupe dans son entier ne soit presque jamais envisagée par les services de l’État et nous considérons que la solution proposée par le Gouvernement ne réglera pas la question de la soutenabilité de la dette et de l’avenir du groupe.
Il nous apparaît indispensable d’éviter une procédure de sauvegarde qui signerait le début d’une vente à la découpe de l’entreprise et entraînerait un pillage de technologies stratégiques essentielles à notre souveraineté, alors qu’il est nécessaire de maintenir nos capacités de recherche et développement.
Par ailleurs, cela ferait la part belle à des groupes comme celui de Daniel Kretinsky, dont nous connaissons les méthodes et avec qui vous travaillez.
Nous sommes d’avis que l’État doit garantir l’ensemble des contrats publics du groupe Atos, afin de ne pas pénaliser encore davantage son activité.
Enfin, nous demandons que l’État s’engage, au nom de la souveraineté, à renforcer le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France par le biais de sociétés, de fonds et de banques, en envisageant de restreindre, voire d’interdire, la vente à découvert sur les entreprises cotées ayant des activités souveraines. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
dégradation des infrastructures ferroviaires
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le ministre, quand vous vivez dans un territoire oublié de la ligne à grande vitesse (LGV), à Gourdon, à Vierzon, à Argenton-sur-Creuse ou à Clermont-Ferrand, le train ne vous inspire plus qu’un sentiment de régression, d’abandon et d’exclusion.
Quand la SNCF vous annonce, pour justifier un retard ou une annulation, l’absence d’agent d’astreinte, un vent trop fort, la présence de givre, de sangliers ou de feuilles sur les voies, vous n’êtes plus vraiment surpris par ces situations qui frôlent l’absurde. (C’est vrai ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
La réalité, monsieur le ministre, c’est que nos Intercités, ces trains du quotidien qui ont longtemps incarné l’aménagement équilibré du territoire, sont malades. Ils souffrent d’un sous-investissement chronique depuis plusieurs décennies.
La colère gronde sur toute la ligne, et nos territoires risquent de dérailler. Face aux galères de la SNCF et à défaut de pouvoir prendre le train, plusieurs de nos entreprises locales ont menacé de prendre le large.
Dans ce contexte dégradé, les travaux de régénération et la mise en circulation des nouvelles rames Oxygène auraient pu redonner une bouffée d’air au matériel roulant à bout de souffle des lignes Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt) et Paris-Clermont-Ferrand.
Or la nouvelle est tombée en fin de semaine dernière : le constructeur nous informe d’une défaillance technique qui reporte la livraison au premier trimestre 2027. Ce matériel nous a initialement été promis pour 2022. Avez-vous la garantie que ce nouveau délai sera respecté ?
Toute la transparence doit être réalisée sur la responsabilité de chacun. Pourquoi avoir choisi un constructeur qui n’a pas l’habitude de travailler avec la SNCF et qui proposait un matériel sur plan, dont aucune des composantes n’avait été éprouvée ?
Le sort s’acharne sur nous, puisque la SNCF envisage, semble-t-il, de suspendre le trafic de jour sur la ligne Polt entre Paris et Orléans d’août 2025 à janvier 2026 : confirmez-vous ce scénario inacceptable ? (M. Gérard Lahellec applaudit.)
Enfin, le Gouvernement a-t-il prévu de replacer ce dossier en haut de la pile pour sauver nos trains d’équilibre du territoire et promouvoir le moyen de transport le plus décarboné qui existe à ce jour ? Comment leur redonnerez-vous la fiabilité, la rapidité et l’intérêt qu’ils méritent ?
Monsieur le ministre, combien de temps encore allez-vous nous laisser sur le bord du quai ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – M. François-Noël Buffet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Monsieur le sénateur Vayssouze-Faure, vous l’avez dit, des décennies de sous-investissement dans l’entretien du réseau ferroviaire national expliquent la situation que vous décrivez.
Cette situation découle sans doute aussi d’un choix : celui de privilégier, pendant des décennies, le TGV au détriment de notre réseau ferroviaire du quotidien, que d’aucuns nomment le « hors du tout-TGV ». Cela fait notre fierté nationale, et nous sommes heureux d’aller de Paris à Bordeaux en deux heures, mais notre réseau national en pâtit.
C’est la majorité actuelle qui a décidé d’enclencher le rattrapage. Le contrat entre l’État et SNCF Réseau qui a été signé en 2022 prévoit d’investir trois milliards d’euros par an dans la régénération ferroviaire, un montant – écoutez-moi bien ! – trois fois plus important qu’au milieu des années 2000.
Nous nous engageons à porter ce montant à 4,5 milliards d’euros par an à la fin du quinquennat. Concrètement, grâce à cet effort qui excède l’investissement consacré à toute la France au milieu des années 2000, seront injectés 1,6 milliard d’euros pour rénover la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse et 760 millions d’euros pour rénover la ligne Paris-Clermont-Ferrand. Et j’ajoute à ces chiffres les 800 millions d’euros qui seront consacrés au matériel roulant.
Comme vous, j’ai été consterné lorsque j’ai appris le nouveau retard affiché par CAF, cette fois pour un problème de freins et de moteur. Je puis vous dire que, lorsque j’ai rencontré le PDG, je lui ai demandé de faire preuve d’une totale transparence à l’égard non seulement des élus locaux, mais aussi des associations d’usagers, et d’être systématiquement présent aux réunions.
J’ai également enjoint à CAF de garantir le calendrier qu’il a indiqué, prévoyant une échéance au début de 2027.
En tout cas, je tenais à vous dire que la remise en route du réseau ferroviaire se ferait sur le temps long…
M. le président. Il faut conclure !
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. … et que vous pouvez compter sur moi pour mettre sur le haut de la pile les dossiers des lignes Paris-Orléans-Limoges-Toulouse et Paris-Clermont-Ferrand. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
réforme de la justice pénale pour les mineurs
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Ma question s’adressait à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Samedi dernier, la mort à Châteauroux de Matisse, 15 ans, poignardé par un autre mineur qui était déjà poursuivi pour des actes de violences avec armes, a montré l’incapacité de la justice pénale à répondre à l’ultraviolence chez les plus jeunes.
Toutes mes pensées, auxquelles j’associe Nadine Bellurot, sénatrice de l’Indre, vont à la famille du jeune Matisse, à ses amis, ainsi qu’aux habitants et aux élus de Châteauroux qui ont été touchés par ce nouveau drame. Celui-ci s’ajoute à une liste déjà bien trop longue de meurtres avec violence commis ces dernières semaines par des mineurs.
L’enquête est en cours, la justice fait son travail, mais il apparaît d’ores et déjà que les juges ne disposaient pas de moyens suffisants pour prévenir une récidive rapprochée et engager la responsabilité éducative des parents. Le code de la justice pénale des mineurs ne permettait pas aux magistrats d’apporter une réponse rapide et efficace pour éviter ce nouveau drame.
Aussi, madame la ministre, qu’entend faire le Gouvernement pour éviter qu’une telle tragédie ne se reproduise ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, oui, une partie de notre jeunesse glisse, dérive, défie les règles, bafoue l’autorité et sombre parfois dans la violence, voire dans l’ultraviolence, comme vous venez de le souligner.
Permettez-moi d’adresser moi aussi mes pensées, au nom du Gouvernement, aux élus, à la famille et aux amis du jeune qui est décédé.
Le Premier ministre l’a rappelé lors de son discours de politique générale, mais aussi lors de son discours à Viry-Châtillon : nous devons travailler ensemble à un sursaut d’autorité, car, comme vous l’avez dit, l’heure est non pas à réflexion, mais bien à l’action.
Ainsi, un texte sur la justice pénale des mineurs est en cours de préparation et traitera de la responsabilité parentale et de la réponse pénale en matière de délinquance des mineurs.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Chiche !
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée. Il comprendra plusieurs mesures, qui ont déjà été annoncées.
En ce qui concerne la responsabilité des parents, nous réprimerons plus largement et plus sévèrement les manquements des parents qui faillissent à leurs obligations. Nous sanctionnerons ceux qui ne répondent pas aux convocations du juge des enfants. Enfin, lorsqu’un jeune commet des dégâts, nous irons chercher les deux parents pour payer les réparations.
Pour répondre à la délinquance des mineurs, nous permettrons au juge des enfants de prononcer une amende à titre de sanction contre un mineur, sans qu’un tribunal ait à se réunir.
Nous créerons une composition pénale simplifiée, c’est-à-dire une procédure rapide pour les petits délits, qui ne nécessitera plus la validation par un juge comme c’est actuellement le cas. Des travaux d’intérêt général (TIG) pourront être prononcés à titre de peine complémentaire pour les délits de dégradation de bien.
En parallèle, le Premier ministre a annoncé des mesures pour accompagner les parents dépassés et prévenir la délinquance. C’est le sens des internats qui ont été créés, mais aussi celui d’autres mesures d’intérêt éducatif pour les plus jeunes.
Face à tout cela, oui, nous devons continuer de travailler ensemble. Des concertations sont ouvertes, et le Premier ministre et tous les ministres concernés y prennent toute leur part. Je sais pouvoir également compter sur votre démarche et votre action en ce sens. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. Je vous remercie, madame la ministre, mais le 11 janvier dernier, M. le Premier ministre promettait « de l’action, de l’action, de l’action ». Aujourd’hui, les mots ne suffisent plus : il faut réellement agir !
Voilà huit mois que nous attendons le projet de loi sur la responsabilité parentale et sur la réponse pénale en matière de délinquance des mineurs, dont vous venez de nous décrire les grands traits, et nous ne voyons toujours rien venir.
Plusieurs fois inscrit à l’ordre du jour, l’examen de ce texte a été reporté sine die. Le Sénat a pris toute sa part de responsabilité en formulant des propositions dès 2022, et la commission des lois engagera bientôt une réflexion sur l’exécution des peines, à commencer par les courtes peines.
Madame la ministre, pour prévenir la violence, seule une réponse pénale ferme et rapide, exécutée dans des conditions adaptées aux mineurs, limitera la récurrence de l’horreur que nous avons connue à Châteauroux. Aussi, agissez, et le Sénat sera au rendez-vous ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
avenir de l’hospitalisation privée
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
Mme Nadia Sollogoub. Ma question s’adressait à M. le ministre délégué chargé de la santé. J’y associe Jocelyne Guidez et de nombreux autres collègues de tous les territoires.
La Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), en coordination avec l’ensemble des syndicats de médecins libéraux, annonce une grève totale à compter du 3 juin prochain. Cette situation grave et inédite est la conséquence des arbitrages de la campagne tarifaire de 2024.
Ma question est simple : par quoi est motivée la stratégie consistant à augmenter les ressources de l’hôpital public de 4,3 % et à faire stagner celles du privé en les augmentant de seulement 0,3 % ?
S’agit-il d’affaiblir le secteur privé en espérant ainsi renforcer l’hôpital public ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Sophie Primas applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, vous interrogez le Gouvernement sur l’avenir de l’hôpital privé dans le contexte des réactions du secteur privé aux annonces des tarifs hospitaliers pour l’année 2024.
Les établissements de santé privés ont bien évidemment toute leur place dans l’offre, pour répondre aux besoins des patients et des Français. C’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix d’une campagne tarifaire équilibrée, qui repose sur les mêmes principes et sur les mêmes paramètres pour tous.
La prolongation du mécanisme de sécurisation des recettes s’appliquera au secteur public comme au secteur privé. Certaines activités, comme les maternités, bénéficieront d’une revalorisation plus importante de leurs tarifs, dans le public comme dans le privé.
Les tarifs des établissements de santé privés sont d’ailleurs en hausse : ils ont augmenté de 5,3 % en 2023 et de 0,5 % pour les activités de médecine, de chirurgie et d’obstétrique.
Par ailleurs, je rappelle que les établissements privés ont bénéficié en 2023 d’une enveloppe de soutien exceptionnel de 500 millions d’euros, sans compter les 2,2 milliards d’euros versés par l’assurance maladie, après les 450 millions d’euros de compensation de l’inflation qui ont été versés en 2022.
Personne ne peut contester que nous avons apporté un soutien financier important aux cliniques privées, comme aux autres établissements de santé d’ailleurs, et nous continuerons de le faire, car nous avons besoin de la mobilisation de tous pour répondre aux enjeux de santé.
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.
Mme Nadia Sollogoub. Madame la ministre, cette campagne tarifaire prétendument équilibrée me pose problème, car ses critères sont obscurs.
La campagne tarifaire de 2023 avait accordé une augmentation de 6,9 % au public, contre 5,3 % au privé, ce qui semblait plus homogène et plus logique, car tous les établissements subissent la même inflation et les mêmes hausses de charges.
Ce n’est pas clair. Nous avons l’impression, quand nous lisons dans la presse les propos du ministre Frédéric Valletoux, ce que j’ai fait longuement, qu’une enveloppe fermée oblige à répartir les financements de façon déséquilibrée, alors qu’il n’y a pas de vases communicants entre les deux systèmes.
Dans les territoires, nous avons un besoin vital de chaque heure d’offre de soin. Nous avons un seul devoir, celui de défendre le patient. Et c’est ce que nous faisons. En fragilisant le système privé, nous ne ferons que perdre des heures de soins et diminuer l’offre de soins.
Ainsi, nous vous demandons instamment de reprendre les négociations, afin d’éviter une grève totale du système privé. Le blocage de ce dernier aurait des conséquences absolument dramatiques sur une situation qui est déjà très grave. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
événements à sciences po paris
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la ministre, Sciences Po n’en finit plus de sombrer dans une dérive idéologique, très loin de l’idéal de son fondateur, qui voulait en faire un lieu d’excellence et d’accès au « culte des choses élevées », comme il disait.
Depuis les attentats du 7 octobre, on ne compte plus les incidents, les conférences annulées et les blocages de site. On a même assisté à l’exclusion d’une étudiante juive, préfiguration d’une nouvelle forme d’apartheid dans le microcosme de la rue Saint-Guillaume.
Vendredi dernier, après l’occupation du site de Paris, la direction a failli. Elle a cédé face à 200 agitateurs convaincus d’être dans le camp du bien, mais nullement représentatifs des quelque 15 000 étudiants de l’institution.
Elle a abdiqué devant une poignée de jeunes qui n’hésitent pas à afficher leur soutien aux terroristes du Hamas et qui brandissent leurs mains rouges en hommage aux bourreaux des soldats israéliens de Ramallah.
Elle s’est soumise, enfin, au diktat d’un comité d’ultragauche, dont elle a d’ailleurs repris le verbatim importé des États-Unis, en acceptant une amnistie honteuse, signant ainsi la fin du retour de l’autorité décrété par le Premier ministre.
Compte tenu de cette situation, quelles mesures envisagez-vous de prendre en tant que ministre de tutelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Stéphane Piednoir, je veux le dire une nouvelle fois : le débat doit avoir lieu et la liberté d’expression s’exercer (M. Roger Karoutchi s’exclame.), car c’est la vocation, parmi d’autres, des universités.
Cependant, et vous avez raison, cela n’autorise pas tout, en particulier les blocages et les intimidations.
Il est impossible qu’une minorité puisse faire subir cette situation à 15 000 étudiants, en tentant d’importer cette mobilisation américaine. C’est pourquoi nous avons été vigilants et fermes, et nous continuerons de l’être, cependant que les chefs d’établissement prennent leurs responsabilités en exerçant, je tiens à le dire, leur pouvoir de police.
C’est pourquoi des campus sont évacués lorsqu’ils sont bloqués. Je voudrais citer l’évacuation de la Sorbonne hier, celle du campus Saint-Thomas de Sciences Po mercredi dernier, et encore, aujourd’hui, celle du campus de Saint-Étienne.
C’est pourquoi, aussi, des réunions publiques sont parfois interdites, lorsqu’elles présentent un risque de trouble à l’ordre public.
Vous m’interrogez sur le communiqué interne de Sciences Po, qui mérite largement, en effet, d’être clarifié sur plusieurs points.
Tout d’abord, et bien évidemment, la direction n’a pas donné suite à cette revendication, illégitime et dangereuse, d’une suspension des partenariats avec les universités israéliennes. Elle organise un débat cadré, dans des conditions très strictes – nous y veillerons.
Ensuite, je tiens à le redire, aucune sanction pour des faits graves, comme les signalements d’antisémitisme au cours de la journée du 12 mars, ne sera abandonnée. Jamais !
Enfin, le retour au calme était nécessaire en raison des examens de la semaine prochaine, qui doivent se tenir sereinement, tandis que les cours doivent reprendre dès lundi. Dès le lendemain de ces événements, la bibliothèque a d’ailleurs ouvert sans incident.
Le rétablissement d’un climat serein et, surtout, le respect des principes de la République font partie des priorités que l’État a fixées à l’administration provisoire de Sciences Po. Ce sera un point important du contrat qu’il négocie actuellement avec l’établissement.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.
M. Stéphane Piednoir. Madame la ministre, nous refusons de participer à la fable de la grenouille ébouillantée. À chaque fois, à chaque nouvel incident, on s’indigne, on s’émeut, on condamne, on promet même des sanctions. Et, en définitive, on se félicite du retour au calme.
Je vous le dis : il faut que cela cesse. Et je vous le demande : qu’y a-t-il derrière la ligne rouge ? Moi, je vous le dis : en France, on ne dialogue pas avec les terroristes ni avec leurs soutiens ; on n’ouvre pas de débat avec ceux qui veulent déconstruire nos valeurs et nos principes, avec ceux qui promeuvent l’islamo-gauchisme dans nos universités, avec ceux qui agitent le feu et la haine dans une résurgence de l’antisionisme, ce faux nez de l’antisémitisme.
Il est temps d’identifier, de condamner et de bannir les véritables ennemis de la République. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
participation des collectivités territoriales à la réduction du déficit
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Simon Uzenat. Monsieur le ministre Thomas Cazenave, depuis plusieurs semaines, les Français prennent conscience que les Mozart autoproclamés de la finance ne maîtrisent pas le solfège. (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Les avances et les hypothèses brutales concernant la réduction des dépenses publiques se succèdent et font saigner d’inquiétude les oreilles de nos concitoyens, des élus locaux et des hommes et des femmes qui travaillent dans la fonction publique territoriale.
Pourtant, la part des dépenses des collectivités françaises est nettement inférieure à la moyenne européenne.
Pourtant, nos collectivités sont exemplaires, qu’il s’agisse de la dette, de l’investissement ou des services publics.
Les nuages s’accumulent à la suite de vos décisions : la quasi-disparition de l’autonomie financière et fiscale ; la compression des dépenses de fonctionnement de 0,5 point, en dessous de l’inflation ; les transferts de charges nets ; les transferts de compétences et de recettes qui ne sont que partiellement couverts, à l’image de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – 800 millions d’euros perdus pour les collectivités ; les charges des normes – 2,5 milliards d’euros en 2022, soit un triplement depuis 2019 ; le fonds vert en baisse ; le programme de stabilité qui révise à la baisse la croissance de la fraction de TVA allouée aux collectivités territoriales ; et je n’oublie pas l’augmentation des dépenses contraintes en lien avec les besoins sociaux, lesquels s’accroissent chaque jour – l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (Unccas) sonne d’ailleurs l’alerte à ce sujet.
Face à cela, l’inspection générale des finances (IGF) publie un rapport dans lequel elle insiste sur la mutualisation, alors que nous prônons les uns et les autres la libre administration des collectivités, préconise le télétravail, alors que nous défendons le lien humain, qui est absolument indispensable, encourage les fermetures d’école, alors que nous défendons les services publics, et, enfin, évoque la sobriété foncière, ignorant le coût de la densification et du renouvellement urbains.
Monsieur le ministre, ma question est simple : quel sort le Gouvernement entend-il réserver aux collectivités territoriales ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, l’État et les collectivités territoriales partagent bien des choses, notamment les finances publiques.
J’en veux pour preuve que, au cours des crises que nous avons traversées, l’État a toujours soutenu les collectivités territoriales (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.), par des fonds exceptionnels, par le filet de sécurité inflation, par le fonds vert, que vous avez évoqué et qui n’existait pas avant le début de cette mandature. De fait, nous avons toujours été aux côtés des collectivités territoriales.
Aujourd’hui, que leur dit-on, en responsabilité ? Que nous devons, ensemble, redresser les finances publiques. (Mme Sophie Primas s’exclame.) C’est l’intérêt de l’État, c’est l’intérêt des collectivités territoriales et c’est l’intérêt de la sécurité sociale.
Les finances publiques sont un objet commun ! Nous ne disons pas aux collectivités de réduire leurs dépenses ; nous leur demandons de faire en sorte que leurs dépenses de fonctionnement augmentent un peu moins vite que l’inflation. (Mme Sophie Primas proteste.)
M. François Bonhomme. Vous leur faites les poches !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Tel est l’accord que nous devons trouver avec elles. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Une partie de cet hémicycle nous demande de faire plus d’économies, tout en nous reprochant de dire aux collectivités d’essayer de ralentir leurs dépenses ! J’y vois une légère contradiction…
Pour répondre à votre question, monsieur le sénateur, je vous indique que, avec Bruno Le Maire, Christophe Béchu et Dominique Faure, j’ai réuni le Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL). La feuille de route qui y a été tracée, ce n’est pas celle des contrats de Cahors : nous avons simplement demandé aux collectivités s’il était possible de s’accorder sur des économies qui seraient bonnes à la fois pour elles et pour nous.
Le maire de Charleville-Mézières, Boris Ravignon, s’est vu confier une mission destinée à identifier, collectivement, les pistes d’économies possibles. Le député Éric Woerth, quant à lui, a été chargé par le Président de la République de proposer une clarification des compétences, de manière à faire plus simple et moins coûteux.
Je suis convaincu que nous parviendrons à trouver cette ligne de crête. Aux côtés de Dominique Faure, de Bruno Le Maire, de Christophe Béchu et de l’ensemble des associations d’élus locaux, j’y suis engagé.
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.
M. Simon Uzenat. Monsieur le ministre, vous n’avez pas pris position sur le rapport de l’inspection générale des finances : j’en déduis que vous en partagez les orientations.
Nous le disons et redisons à chaque séance : les élus locaux ont besoin de visibilité pour leurs finances et pour leur budget. C’est un impératif démocratique, au niveau local comme au niveau national. Cela passe par un projet de loi de finances rectificative, par un débat, comme l’a demandé le président de notre groupe, en application de l’article 50-1 de la Constitution. Vous le devez aux Français.
Aller chercher des recettes, c’est possible. Mise en place d’un ISF climatique, taxation des superprofits, révision des niches : il existe de nombreux leviers. Les élus locaux nous attendent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
accords entre syndicats et directions dans le secteur des transports
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
Mme Pascale Gruny. Ma question s’adressait à M. le Premier ministre.
« Travailler moins pour gagner plus » : voilà ce qui semble être le nouveau slogan du Gouvernement. Depuis lundi dernier, les cheminots, qui, déjà, partent à la retraite plus tôt que les autres salariés, savent qu’ils pourront toucher pendant quinze mois 75 % de leur salaire sans travailler.
Les contrôleurs aériens, quant à eux, ont obtenu des jours supplémentaires de récupération placés sur un compte épargne-temps, utilisable pour partir en préretraite avant 59 ans.
Le chantage a donc payé. Face aux menaces de grève des syndicats à l’approche des jeux Olympiques, la SNCF et la direction générale de l’aviation civile (DGAC) ont préféré capituler en achetant la paix sociale.
En plus de dénaturer complètement l’esprit de la réforme de 2023, qui a relevé l’âge de départ à la retraite à 64 ans, ces accords conclus entre syndicats et directions auront un coût qui, comme toujours, sera supporté par les clients et les contribuables.
Monsieur le Premier ministre, alors que vous demandez aux Français de travailler plus et plus longtemps pour redresser nos comptes publics, comment pouvez-vous accepter que des entreprises publiques, sous votre contrôle, prennent le chemin inverse ?
Quand allez-vous mettre fin au chantage inacceptable des syndicats et soutenir les deux propositions de loi, celle de Bruno Retailleau et celle d’Hervé Marseille, qui visent à instaurer un véritable service minimum dans les transports publics ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Madame la sénatrice Gruny, je veux tout d’abord vous répondre sur l’accord qui a été signé à la SNCF, comme je l’ai fait tout à l’heure devant l’Assemblée nationale.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas gagné…
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. Le régime spécial des retraites qui existait à la SNCF a-t-il été supprimé ? Oui, et par cette majorité ! La réforme des retraites s’applique-t-elle à la SNCF ? Oui, et les cheminots travailleront plus longtemps !
Une entreprise ne peut-elle signer un accord d’entreprise ? La SNCF, comme toute entreprise en France, peut le faire. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.) La question – c’est celle que vous posez, madame la sénatrice – est la suivante : qui le finance ?
M. Christian Cambon. Les usagers, via le prix des billets !
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. Vous le savez, à la suite de la réforme de 2018, la SNCF a été transformée en société ; elle est désormais soumise à la concurrence. Aussi, le contribuable ne versera pas un centime pour financer cet accord. Pas un centime ! Vous avez l’engagement du Gouvernement.
M. Bruno Retailleau. Trois milliards d’euros !
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. La fin du monopole a mis un terme aux apports budgétaires pour combler les déficits.
Dans le cadre de ce régime concurrentiel, les clients que sont, par exemple, les régions peuvent choisir un autre opérateur. Ainsi, la région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur a choisi Transdev plutôt que la SNCF. (Mme Sophie Primas proteste.)
Aussi, du fait du jeu de la concurrence, c’est en interne que la SNCF devra trouver des gains de productivité pour financer cet accord. Je le répète : ce ne sera ni au contribuable ni à l’usager de le faire.
J’en viens maintenant à l’accord trouvé entre les contrôleurs aériens et la DGAC.
La volonté du Gouvernement était d’améliorer en France le contrôle aérien, qui, tout le monde en convenait, était moins performant que celui de nos voisins. C’est à cette fin que nous avons engagé une réforme, donc discuté de son accompagnement social.
Aux termes de cet accord, tout le monde est gagnant.
L’usager est gagnant, car, une fois que cette réforme du contrôle aérien aura abouti, ce sont probablement un million de minutes de retard en moins qui seront enregistrées.
Les compagnies aériennes, quant à elles, sont satisfaites de cet accord, qu’elles financent, parce qu’elles réclamaient un contrôle aérien plus performant.
Évidemment, les salariés…
M. le président. C’est terminé, monsieur le ministre délégué. Pour ma part, je suis contrôleur du temps de parole ! (Sourires.)
La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.
Mme Pascale Gruny. Puisque tout est normal, monsieur le ministre, pourquoi n’avez-vous rien fait auparavant ? Vous attendez le chantage des grèves pour agir.
Je me permets de vous dire que l’État finance à hauteur de 3 milliards d’euros les retraites de la SNCF.
Mme Pascale Gruny. Bien sûr, bien sûr…
La loi de réforme des retraites a certes supprimé le régime spécial, mais voilà qu’on en crée un autre ! (M. le ministre délégué le conteste.) Franchement, qu’en est-il du principe d’égalité ?
Monsieur le ministre, je ne sais pas si vous rencontrez les mêmes Français que moi, mais sachez que l’on nous parle sans cesse, précisément, de ces régimes spéciaux. Les Français en ont assez !
Je vais vous confier quelque chose : la politique, ce n’est pas le renoncement ; la politique, c’est le courage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
diagnostic de performance énergétique et bâti patrimonial
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour le groupe Les Républicains.
Mme Sabine Drexler. Ma question s’adressait à Mme la ministre de la culture, qui, au Sénat, le 12 mars dernier, a eu des mots de nature à redonner de l’espoir aux défenseurs du patrimoine, aux défenseurs du beau.
Sur quelque travée que nous siégions ici, nous travaillons tous sans relâche pour alerter les ministères concernés sur l’inadaptation du diagnostic de performance énergétique (DPE), qui pénalise gravement le bâti ancien, par essence écologique et durable, en conduisant les propriétaires à effectuer des travaux de rénovation énergétique inadaptés, voire à délaisser ou à démolir leur bien.
En France, environ 33 % des logements relèvent de ce bâti ancien, qui, une fois qualifié de « passoire thermique », risque de tomber en déshérence et de sortir du parc locatif.
À l’heure où notre pays connaît une grave crise du logement, peut-on vraiment se le permettre ? C’est un autre sujet.
Le 12 mars dernier, donc, Mme la ministre de la culture a évoqué la piste d’une norme énergétique applicable, dans très peu de temps, au bâti ancien. Inutile de vous dire que, au vu des dégâts déjà visibles consécutifs à l’application du DPE, celle-ci est très attendue.
Même si l’on sent une volonté d’avancer sur ce sujet, certains enjeux fondamentaux restent en suspens : la création d’un DPE spécifique, qui ne concernerait que le bâti patrimonial et qui reconnaîtrait enfin ses qualités ; l’évolution de la liste des travaux éligibles aux aides, primes et dispositifs fiscaux, afin que les travaux respectueux du bâti ancien soient mieux et davantage pris en compte ; enfin, un meilleur accompagnement technique et financier des collectivités territoriales dans l’identification de leur bâti patrimonial, notamment de celui qui ne bénéficie pour l’instant d’aucune forme de protection.
J’aurais souhaité demander à Mme la ministre ce qu’elle pense pouvoir mettre en œuvre pour que le petit patrimoine, celui qui a traversé les siècles et résisté à tous les aléas, celui qui raconte tant de notre histoire et de nos savoir-faire, ne fasse pas les frais de la transition énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Laurent Lafon applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme la ministre de la culture, qui tenait d’ailleurs à vous remercier personnellement de votre engagement sur le sujet que vous soulevez.
Vous avez raison, le DPE ne prend pas suffisamment en compte les matériaux anciens dans les modalités de calcul de la performance énergétique. C’est la raison pour laquelle la ministre de la culture travaille en étroite collaboration avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires pour un meilleur accompagnement et une meilleure formation des diagnostiqueurs.
Aujourd’hui, le bâti patrimonial fait partie de l’examen théorique de sélection. Ce n’était pas le cas auparavant. Le temps de formation initiale a plus que doublé et comporte une session spécifique pour le bâti ancien.
En dépit des études montrant que les matériaux sont vertueux, avec notamment une meilleure inertie, ainsi qu’un confort d’été et une résistance thermique souvent sous-estimés, les immeubles construits avant 1948 restent souvent mal pris en compte par le DPE.
La ministre de la culture entend bien évidemment, comme vous l’avez souligné, que cela change. C’est ce qu’elle a rappelé tant devant votre commission, ici au Sénat, que devant celle de l’Assemblée nationale.
Ses services et ceux du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires travaillent à l’établissement, dans les prochains mois, de valeurs de référence qui soient conformes à la réalité pour que le bâti ancien ne soit plus pénalisé.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 15 mai 2024, à quinze heures.
Madame la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement, je vous demande très officiellement de veiller, avec M. le Premier ministre, à ce que les ministres concernés soient présents lors des prochaines séances de questions au Gouvernement.
J’y insiste tout particulièrement : c’est une marque de respect qui est due au Parlement. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI.)
9
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 7 mai 2024 :
À neuf heures trente :
Questions orales.
À quatorze heures trente :
Proposition de loi portant statut de personne morale de droit public à statut particulier à l’Académie nationale de chirurgie, présentée par Mme Pascale Gruny et M. Alain Milon (texte de la commission n° 566, 2023-2024).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures cinquante.)
nomination de membres d’une commission spéciale
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.
Commission spéciale sur le projet de loi de simplification (trente-sept membres)
M. Pierre Barros, Mmes Marie-Jeanne Bellamy, Nadine Bellurot, MM. Yves Bleunven, Jean-Luc Brault, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Christophe Chaillou, Mmes Catherine Conconne, Nathalie Delattre, Catherine Di Folco, MM. Thomas Dossus, Alain Duffourg, Mme Françoise Dumont, MM. Sébastien Fagnen, Fabien Gay, Mmes Pascale Gruny, Nadège Havet, MM. Christian Klinger, Martin Lévrier, Mmes Audrey Linkenheld, Anne-Catherine Loisier, Pauline Martin, MM. Michel Masset, Serge Mérillou, Stéphane Piednoir, Rémy Pointereau, Mme Raymonde Poncet Monge, MM. André Reichardt, Hervé Reynaud, Olivier Rietmann, Mme Anne-Sophie Romagny, MM. David Ros, Stéphane Sautarel, Laurent Somon, Mme Dominique Vérien et M. Michaël Weber.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER