N° 878

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la situation institutionnelle, la justice et la sécurité en Guadeloupe, en Martinique, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin,

Par MM. François-Noël BUFFET, Philippe BONNECARRÈRE, Mmes Marie-Pierre de LA GONTRIE, Cécile CUKIERMAN
et M. Henri LEROY,

Sénateurs et Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

LISTE DES PROPOSITIONS

I. DES TERRITOIRES ANCRÉS DANS LA RÉPUBLIQUE QUI LEUR DOIT TOUTE SON ATTENTION

A. N'envisager des évolutions statutaires qu'après un bilan des dispositions existantes

Proposition n° 1 : Ne procéder à de nouveaux ajustements statutaires qu'après une évaluation de la mise en oeuvre des possibilités d'action spécifiques existantes.

Proposition n° 2 : Réunir, de toute urgence, le Comité Interministériel des Outre-mer (CIOM) pour examiner les propositions d'ajustements statutaires présentées par les collectivités antillaises et s'assurer de la nécessité d'une évolution législative pour y procéder.

B. Adapter les normes aux circonstances locales

Proposition n° 3 : Indépendamment d'évolutions statutaires, adopter une démarche systématique de la part de l'État pour adapter les normes et référentiels, y compris existantes (en matière technique notamment), afin de prendre pleinement en considération les circonstances locales.

C. Se donner les moyens de mieux garantir la sécurité

Proposition n° 4 : Renforcer urgemment les moyens nautiques et héliportés des forces de sécurité intérieure pour lutter efficacement contre la criminalité inter-îles, en particulier au sein de l'antenne de l'OFAST de Fort-de-France.

Proposition n° 5 : Renforcer la coopération avec les îles avoisinantes en matière de sécurité et de renseignement, en systématisant les coopérations bilatérales visant à l'échange d'informations et à la formation de personnels des forces de sécurité intérieure comme avec Sainte-Lucie ou la partie hollandaise de Saint-Martin.

Proposition n° 6 : Garantir, par la consolidation des relations diplomatiques existantes, l'effectivité des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre des ressortissants des îles avoisinantes.

Proposition n° 7 : Développer les contrats locaux en matière de sécurité afin de mieux coordonner les actions des différents acteurs de la lutte contre la délinquance.

Proposition n° 8 : Donner aux personnels de la gendarmerie nationale, chargés du contrôle aux frontières à Saint-Barthélemy, accès dans les meilleurs délais au fichier des titres électroniques sécurisés.

D. Adapter les moyens de la justice

Proposition n° 9 : Mener à leur terme dans les délais prévus la restructuration et la réhabilitation des locaux de la cour d'appel et du tribunal judiciaire de Basse-Terre.

Proposition n° 10 : Conduire une réflexion sur la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin.

Proposition n° 11 : Améliorer la coopération en matière judiciaire, par la nomination de magistrats de liaison, notamment à Sainte-Lucie, et le développement d'accords judiciaires bilatéraux pour lutter plus efficacement contre les trafics internationaux d'armes et de drogue.

Proposition n° 12 : Moduler le montant de la rétribution des avocats au titre de l'aide juridictionnelle pour prendre en considération la double insularité de la Guadeloupe.

II. L'INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DU CONTEXTE CARIBÉEN

A. Renforcer l'insertion des collectivités antillaises et la présence française dans l'environnement régional

Proposition n° 13 : Renforcer la présence de la France au sein des organisations de coopération régionales économiques comme culturelles, en associant les collectivités antillaises volontaires et en les accompagnant dans leur démarche d'association, en particulier la CARICOM.

Proposition n° 14 : Faciliter l'usage par les collectivités antillaises des possibilités existantes de proposer et de négocier des accords internationaux avec des pays tiers ou des organisations régionales.

Proposition n° 15 : Affecter auprès de chaque préfet un conseiller diplomatique, chargé de l'intégration régionale dans le territoire et ensemblier des actions de coopération au sein de l'environnement caribéen.

B. Dépasser la relation auto-centrée et exclusive collectivité-hexagone

Proposition n° 16 : Encourager et accompagner le développement de coopérations « de projets » sur les enjeux prioritaires des collectivités antillaises, en particulier la gestion des Sargasses, la prévention des risques naturels majeurs ou le développement d'échanges culturels et éducatifs.

Proposition n° 17 : Prendre pleinement en compte la spécificité de la présence hollandaise à Saint-Martin en facilitant le déploiement d'accords locaux de gestion de certains équipements entre les deux parties de l'île, à l'initiative de la collectivité et avec l'accompagnement de l'État (aéroports, ports, routes, production et distribution d'eau).

Proposition n° 18 : Permettre, sur le modèle de la Polynésie française ou de la Nouvelle-Calédonie, aux collectivités antillaises volontaires de disposer de représentants au sein des organisations régionales de coopération.

Proposition n° 19 : Initier une réflexion sur l'ouverture d'une faculté de négociation d'arrangements administratifs avec les administrations de tout État ou territoire de la Caraïbe, en vue de favoriser le développement économique, social et culturel des collectivités antillaises.

III. ASSURER, EN PRIORITÉ, L'EFFICIENCE DE L'ACTION PUBLIQUE LOCALE

A. Développer les compétences au service de l'action locale

Proposition n° 20 : Développer une offre locale de formation aux métiers du secteur public, par exemple par la création d'un Institut régional d'administration pour les Antilles-Guyane.

Proposition n° 21 : Encourager le recours aux programmes du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et la conclusion de partenariats entre les centres de gestion ultramarins et hexagonaux pour améliorer la formation des personnels des collectivités.

Proposition n° 22 : Au-delà de la réalisation de projets ponctuels, utiliser l'assistance technique assurée par l'État, y compris par Expertise France, pour former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire au plein exercice de leurs missions.

Proposition n° 23 : Faciliter la mobilité de fonctionnaires d'origine antillaise vers leur territoire d'origine.

Proposition n° 24 : Développer l'offre du service militaire adapté au profit des jeunes Saint-Martinois dans la perspective de la reconstruction de l'île après l'ouragan Irma.

B. Faciliter le recours à l'ingénierie de l'État

Proposition n° 25 : Développer la logique d'ingénierie « sur-mesure » et systématiser le principe du « aller vers » au sein des services et agences de l'État pour accompagner les collectivités antillaises et déployer des mesures de soutien pleinement adaptées aux réalités locales.

Proposition n° 26 : Généraliser les plateformes d'ingénierie d'appui aux collectivités territoriales, sur le modèle de celle mise en place en Guyane, tout en respectant les spécificités de chaque territoire, en les dotant des moyens humains et financiers correspondants.

Proposition n° 27 : Permettre aux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution d'adhérer au Cerema et de bénéficier, pour la conduite de leurs projets, de son expertise et accompagnement.

C. Restaurer les capacités financières locales

Proposition n° 28 : Élargir le dispositif COROM, en adaptant les critères d'éligibilité et les modalités de soutien à la diversité des situations observées aux Antilles, augmenter les crédits qui y sont alloués afin d'en faire bénéficier un nombre plus important de communes et garantir la présence d'assistants techniques, y compris lors de la préparation du contrat.

Proposition n° 29 : Veiller à faciliter la consommation des crédits inscrits au titre des contrats de convergence et de transformation (CCT) qui seront conclus pour la période 2024-2027 en assouplissant les possibilités de fongibilité des crédits prévus et en intégrant de nouvelles thématiques notamment l'ingénierie et la gestion de projets.

Proposition n° 30 : Améliorer le financement des collectivités antillaises par un renforcement de la lisibilité des crédits disponibles au titre du fonds exceptionnel d'investissement dans chaque territoire et, plus généralement, des dotations de l'État.

Proposition n° 31 : Systématiser les partenariats permettant de fiabiliser les comptes des collectivités antillaises.

D. Faciliter le développement de projets locaux

Proposition n° 32 : Transformer l'avis conforme des CDPENAF ultramarines en un avis simple, alignant ainsi ce régime sur celui de droit commun applicable dans l'Hexagone afin de faciliter le développement des projets des maires dans ces territoires.

Proposition n° 33 : Prévoir l'adoption par les collectivités antillaises d'une programmation pluriannuelle des projets structurants afin de donner aux entreprises locales et aux co-financeurs de la prévisibilité sur les appels d'offre et les besoins des collectivités.

Proposition n° 34 : Conforter l'État dans son rôle de régulateur et d'ensemblier de l'action des collectivités territoriales pour la gestion d'enjeux transversaux et interterritoriaux, sur le modèle du Plan Sargasse.

E. Apporter une réponse efficace et concrète aux sujets primordiaux pour chaque territoire

Proposition n° 35 : Développer des outils concrets et opérationnels, dotés en moyens humains et financiers adaptés, avec les collectivités antillaises pour résoudre des défis structurants propres à chaque territoire nécessitant un accompagnement spécifique de l'État, notamment :

- doter le SMGEAG des moyens humains et financiers pérennes, nécessaires à l'accomplissement de ses missions et opérer un suivi qualitatif et quantitatif de ses réalisations ;

- permettre à la collectivité de Martinique et aux collectivités guadeloupéennes de conduire une politique active d'incitation au retour des jeunes martiniquais partis en formation dans l'hexagone ou à l'étranger ;

- conforter la collectivité de Saint-Barthélemy dans son rôle de régulateur s'agissant du logement ;

- parachever l'effort de reconstruction entrepris après le passage de l'ouragan Irma et consolider les dispositifs de prévention et de gestion de crise entre l'État et la collectivité mais également avec la partie hollandaise de l'île.

L'ESSENTIEL

Attentive à la situation des outre-mer, la commission des lois du Sénat a effectué un déplacement du 10 au 18 avril 2023 dans les quatre collectivités françaises des Antilles - la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin - afin d'y examiner la situation institutionnelle et administrative, de la justice et de la sécurité.

Ces quatre territoires, qui connaissent avec l'hexagone une histoire commune depuis le milieu du XVIIème siècle, présentent entre eux une profonde diversité, que la réforme constitutionnelle de 2003 a permis de traduire juridiquement en ouvrant les possibilités de statuts différenciés pour prendre en considération leurs caractéristiques et leur identité propre.

Pour autant, au-delà de cette diversité, une unité forte demeure entre ces territoires, situés à près de 7 000 km de l'hexagone.

Tous quatre ont été forgés par une identité caribéenne revendiquée, et une histoire dont ils gardent chacun les stigmates. Cette unité découle également d'un besoin d'adaptation marqué de leur environnement juridique et administratif, et dont les élus locaux se font l'écho. Enfin, ces territoires ont besoin d'une action forte de l'État, qui doit accompagner leur développement, en veillant à laisser toute sa place à l'expression de leur identité.

Au terme de leurs déplacements, de leurs échanges avec les élus locaux et les parlementaires, des entretiens menés avec les représentants des services de l'État, du monde judiciaire et des acteurs socio-économiques, les rapporteurs affirment que la République doit toute son attention à chacun de ces territoires, en tenant pleinement compte de leur environnement caribéen. Dans cet accompagnement, la question institutionnelle est majeure, mais elle ne doit pas occulter la nécessité de renforcer, par d'autres actions, l'efficacité de l'action publique locale au bénéfice des citoyens.

Ils formulent 35 propositions pour ces territoires de la République dans la Caraïbe.

I. DES TERRITOIRES ANCRÉS DANS LA RÉPUBLIQUE QUI LEUR DOIT TOUTE SON ATTENTION

A. DES REVENDICATIONS AUTONOMISTES VOIRE INDÉPENDANTISTES, MAIS UN ATTACHEMENT À LA RÉPUBLIQUE ET À LA PRÉSENCE EFFECTIVE DES SERVICES DE L'ÉTAT

Les collectivités antillaises restent fortement marquées par le traitement qui a été infligé à leurs populations dans le cadre de la traite négrière et de l'esclavage. Cette part sombre de l'histoire de France altère encore aujourd'hui les relations d'une partie de la population et d'une partie de la classe politique avec l'État - et ses représentants - qui est ainsi parfois présenté comme une puissance arrêtant unilatéralement et autoritairement des décisions, sans prendre suffisamment en considération les besoins exprimés par ces territoires. Ce sentiment prégnant de défiance est aggravé par le scandale du chlordécone, et n'est sans doute pas étranger aux tensions majeures survenues dans le cadre de la lutte contre la covid-19.

Cette méfiance généralisée d'une partie de la population face à l'action de l'État a pour effet de renforcer le discours autonomiste, voire indépendantiste, dans une partie de la classe politique ou syndicale. Toutefois, quelles que soient la méfiance vis-à-vis de l'État et l'insuffisante action de ce dernier, les quatre territoires souhaitent résolument inscrire leur avenir dans la République.

C'est le sens de l'Appel de Fort-de-France signé en mai 2022 par les présidents de sept collectivités ultramarines, dont celles de Guadeloupe, de Martinique et de Saint-Martin. Cet Appel, loin d'un refus d'appartenance à la République, traduit au contraire la volonté de conserver l'ancrage des collectivités signataires dans la République française, mais dans une relation renouvelée qui tienne davantage compte qu'aujourd'hui de la nécessité d'adapter leur modèle à leurs spécificités et leur identité propre.

Loin d'une remise en cause de la présence de la République, les rapporteurs ont pu constater que les critiques nourries à l'endroit de l'État appellent, au contraire, à un renforcement de son agilité et à l'exercice effectif de ses missions régaliennes. Dès lors, la question statutaire bien qu'elle soit majeure, ne doit pas occulter les demandes, plus urgentes, d'adaptation des normes et d'amélioration des actions de l'État sur ces territoires portées par les élus locaux.

Il apparaît donc nécessaire de n'envisager des évolutions statutaires qu'après un bilan des dispositions existantes et de répondre à l'urgence statutaire première : celle de l'adaptation des normes. Plus qu'ailleurs, il faut faire vivre, dans ces territoires, la politique de différenciation. Les rapporteurs appellent en conséquence, l'État, indépendamment d'évolutions statutaires, à adopter une démarche systématique d'adaptation des normes et référentiels pour prendre pleinement en considération les circonstances locales.

B. DES MISSIONS RÉGALIENNES DE L'ÉTAT QUI DOIVENT ÊTRE PLEINEMENT EXERCÉES AVEC LES MOYENS JUSTIFIÉS PAR LA SITUATION

Aussi, la mission n'a pu que constater que le manque d'État, souvent déploré au quotidien, se manifeste particulièrement dans la demande relayée par l'ensemble des acteurs, politiques, économiques, sociaux ou culturels, d'une meilleure sécurité au quotidien et d'un traitement judiciaire plus rapide et efficace pour que la promesse républicaine se matérialise en actes concrets y compris à des milliers de kilomètres de l'hexagone.

En effet, les rapporteurs ont pu constater combien la défiance affichée s'accompagnait - sans que cela soit jugé contradictoire - d'un désir de voir l'État plus présent au quotidien sur ses missions régaliennes. Sur ce point, force est de constater que: plus que dans d'autres collectivités de la République, la présence de l'État déconcentré dans les départements et collectivités de la Caraïbe se caractérise par la faiblesse de ses moyens.

En matière de sécurité, si l'engagement de l'ensemble des forces de sécurité intérieure et des agents des douanes doit être signalé, les rapporteurs soulignent qu'ils font face à une situation sécuritaire particulièrement dégradée. Celle-ci s'explique par trois principaux éléments :

- la situation insulaire des collectivités rend leur territoire particulièrement poreux aux influences extérieures, d'autant que certaines îles voisines sont connues pour abriter des organisations criminelles qui projettent leurs actions dans les îles françaises ;

- les collectivités antillaises se situent dans une zone particulièrement exposée au trafic international de stupéfiants en provenance d'Amérique du Sud ;

- à l'exception notable de Saint-Barthélemy, les territoires des Antilles sont touchés par une violence de plus en plus marquée au quotidien, présente dans l'ensemble de la zone Caraïbe et qui s'explique par une circulation d'armes particulièrement importante.

Pour faire face à cette situation, les forces de sécurité intérieure sont à la peine :

- d'une part, des escadrons de gendarmerie mobile doivent en permanence être stationnés dans ces territoires, et renouvelés tous les trois mois (deux en Guadeloupe « continentale » et une dans les « îles du nord » ; deux en Martinique) et font en réalité davantage de la sécurité publique que du maintien de l'ordre ;

- d'autre part, ils disposent d'équipements qui ont unanimement été décrits comme inadaptés à ces enjeux. À titre d'exemple, les forces de sécurité ont déploré manquer de moyens matériels pour contrôler l'ensemble des installations aéroportuaires, principales comme secondaires, et n'être pas en mesure d'assurer de réelles surveillances périmétriques de ces îles.

L'indigence de ces moyens obère toute capacité de réaction efficace des forces de sécurité intérieure face aux mouvements criminels entre les îles, c'est pourquoi la mission préconise de renforcer urgemment les moyens, singulièrement nautiques et héliportés, des forces de sécurité intérieure, en particulier au sein de l'antenne de l'OFAST de Fort-de-France.

L'importance des faits de violence en Guadeloupe, en Martinique et à Saint-Martin induit une forte activité pénale des juridictions, visitées par la mission, qui s'illustrent par la vétusté de leurs locaux et le manque de personnels pour y faire face. La commission des lois sera vigilante au plein déploiement des recrutements rendus possibles par le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, actuellement en navette, mais aussi au respect des délais prévus pour les opérations de réhabilitation des locaux de la cour d'appel et du tribunal judiciaire de Basse-Terre.

En outre, au regard du volume du contentieux traité à Basse-Terre lié à des faits commis à Saint-Martin et Saint-Barthélemy - de l'ordre de 40 % du volume contentieux total du tribunal judiciaire - la mission estime que la question de la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin doit être posée.

Enfin, il convient de renforcer la coopération avec les îles avoisinantes dans l'ensemble des matières régaliennes. Si forces de sécurité intérieure et acteurs judiciaires ont déjà initié des coopérations bilatérales, il convient de prolonger cet effort en systématisant l'échange d'informations et la formation des personnels des forces de sécurité intérieure et en améliorant la coordination judiciaire, notamment par la nomination de magistrats de liaison et le développement d'accords judiciaires bilatéraux pour lutter plus efficacement contre les trafics internationaux d'armes et de drogue. Ces coopérations en matière régalienne apparaissent d'autant plus nécessaires compte tenu de l'instabilité de certains pays dans l'environnement proche de ces territoires, à l'exemple d'Haïti.

II. L'INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DU CONTEXTE CARIBÉEN

A. RENFORCER L'INSERTION DANS L'ENVIRONNEMENT RÉGIONAL

L'action de l'État aux Antilles s'inscrit dans un contexte éloigné de l'hexagone et particulièrement spécifique. Ces territoires représentent une chance pour le rayonnement et l'implantation de la France dans la région. Or, cette réalité semble aujourd'hui ignorée : la spécificité caribéenne de ces territoires demeure un angle mort des politiques conduites par l'État dans ces territoires.

Il est, dès lors, indispensable de renforcer l'insertion de ces collectivités et la présence française dans la Caraïbe, par trois principales actions.

En premier lieu, constatant que la France s'était, pendant de trop nombreuses années, tenue éloignée des organisations de coopération régionales économiques ou culturelles, la mission estime indispensable de renforcer la présence française en leur sein et d'y associer pleinement les collectivités antillaises volontaires. Sur ce point, la demande de la collectivité territoriale de Martinique d'être associée à la CARICOM mérite d'être entendue et accompagnée par l'État.

Il est également nécessaire de doter les préfets de Martinique et de Guadeloupe d'un conseiller diplomatique - ceux-ci étant les seuls préfets en poste outre-mer à ne pas en bénéficier - afin de disposer d'un « ensemblier » de la coopération à l'échelle de chacun des quatre territoires.

Enfin, la mission rappelle que le renforcement de la coopération régionale ne saurait se faire sans les collectivités territoriales qui ont toutes formulé des demandes en ce sens. Elle appelle en conséquence l'État à faciliter l'usage par les collectivités antillaises des possibilités préexistantes de proposer et de négocier des accords internationaux avec des pays tiers ou des organisations régionales.

B. DÉPASSER LA RELATION EXCLUSIVE ENTRE COLLECTIVITÉS ET HEXAGONE

La mission a, également, entendu les appels des élus locaux suggérant de « décentrer » la vision de l'État vers la Caraïbe, et estime, en conséquence, indispensable de dépasser la relation exclusive collectivité-hexagone pour l'enrichir d'initiatives locales de coopération avec les îles avoisinantes.

Il est ainsi nécessaire, à titre principal, de développer des coopérations de « projets » initiées par les collectivités et visant à répondre concrètement à des problématiques affectant l'ensemble de la région, telles que les sargasses, ou la prévention des risques naturels majeurs, comme les épisodes cycloniques.

En second lieu, il convient de permettre aux collectivités antillaises volontaires, sur le modèle polynésien ou calédonien, de disposer de représentants au sein des organisations de coopération régionales et d'initier une réflexion sur l'ouverture d'une faculté de négociation d'arrangements administratifs avec les administrations de tout État ou territoire de la Caraïbe.

En dernier lieu, s'agissant spécifiquement de Saint-Martin, sa spécificité d'île binationale justifie la conclusion d'accords locaux de gestion de certains équipements utiles aux saint-martinois issus des deux parties de l'île, à l'exemple des installations aéroportuaires ou de la gestion de l'eau potable : de tels accords doivent être facilités tant par une implication volontariste de l'État que par leur reconnaissance juridique.

III. ASSURER, EN PRIORITÉ, L'EFFICIENCE DE L'ACTION PUBLIQUE LOCALE

A. UNE ACTION LOCALE GREVÉE PAR LA FAIBLESSE DES RESSOURCES FINANCIÈRES ET D'INGÉNIERIE

Les quatre collectivités antillaises disposent en droit de possibilités d'action relativement étendues. La distinction entre le régime juridique applicable à chacune d'elles ne fait d'ailleurs pas de différence significative : qu'elles soient régies par l'article 731(*) de la Constitution ou son article 74, chacune de ces collectivités dispose d'attributions étendues.

Néanmoins, dans les faits, cette capacité d'action est concrètement entravée : d'une part, en raison de la situation financière très dégradée de la plupart des collectivités, abstraction faite de Saint-Barthélemy, en particulier en raison de la sous-consommation majeure de crédits pourtant ouvert, d'autre part, car les collectivités connaissent une pénurie de personnels qualifiés, en raison de la structure de l'emploi public - les emplois de catégorie C y étant surreprésentés - et de l'étroitesse du bassin d'emploi de ces territoires.

B. DÉVELOPPER LES COMPÉTENCES AU SERVICE DE L'ACTION LOCALE

Face à cette pénurie de personnel qualifié, il apparaît en premier lieu nécessaire de répondre à la revendication, plusieurs fois formulée au cours des entretiens conduits par la mission, que l'État local puisse être davantage administré par des agents originaires des territoires ultramarins et que des dispositifs facilitant le retour des agents partis exercer leurs fonctions dans l'hexagone ou dans d'autres collectivités ultramarines soient mis en place de manière effective.

Plus largement, l'offre locale de formation, insuffisante et, en tout état de cause, globalement inadaptée aux besoins doit être renforcée. La mission propose en conséquence la création d'un institut régional d'administration pour la zone Antilles-Guyane, et de développer l'offre du service militaire adapté au profit des jeunes Saint-Martinois dans la perspective de la reconstruction de l'île après l'ouragan Irma. Des partenariats avec les centres de gestion hexagonaux et un recours accru aux programmes du centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) permettraient également aux fonctionnaires territoriaux de ces collectivités de monter en compétence. De la même manière, au-delà de la réalisation de projets ponctuels, l'assistance technique assurée par l'État - notamment par l'entremise de l'Agence française de développement ou Expertise France - devrait être utilisée pour former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire au plein exercice de leurs missions.

C. UN ACCOMPAGNEMENT SPÉCIFIQUE À RENFORCER

Face aux difficultés que rencontrent les collectivités antillaises, l'État a déployé des dispositifs spécifiques d'accompagnement, qui peuvent encore être améliorés. Ceux-ci offrent un soutien en matière d'ingénierie, dont le recours devrait être facilité.

En premier lieu, au-delà de la réalisation de projets ponctuels, l'assistance technique assurée par l'État - notamment par l'entremise de l'Agence française de développement - devrait être utilisée pour former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire au plein exercice de leurs missions.

En second lieu, le recours à l'ingénierie de l'État doit être facilité. À cet égard, la mission propose que soient généralisées, au sein des collectivités antillaises, les plateformes d'appui en ingénierie aux collectivités territoriales, sur le modèle de celles mises en place en Guyane. Naturellement celles-ci devraient être dotées des moyens humains et financiers nécessaires à l'exercice de leurs missions. Par ailleurs, les rapporteurs ont constaté avec étonnement qu'il n'est pas permis aux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution d'adhérer au Cerema pour bénéficier de son expertise dans la conduite de leurs projets ; cet oubli du législateur, qui pénalise sans raison Saint-Martin et Saint-Barthélemy au sein des collectivités antillaises, doit être réparé.

En dernier lieu, il est urgent de restaurer les capacités financières locales. L'État en est capable, comme le montre le dispositif COROM2(*), qui participe sans conteste à créer une dynamique de réformes favorable. Il convient dès lors de l'élargir et d'augmenter les crédits qui y sont alloués afin d'en faire bénéficier un nombre plus important de communes. De même, si les contrats de convergence et de transformation (CCT) et le fonds exceptionnel d'investissement sont aussi des mesures d'accompagnement pertinentes pour les collectivités, il est nécessaire pour les premiers de faciliter la consommation des crédits qui seront ouverts pour la période 2024-2027, en assouplissant les possibilités de fongibilité, et, pour le second, d'accroître la lisibilité des crédits disponibles dans chaque territoire, en envisageant une territorialisation plus marquée de ces derniers.

D. FAVORISER L'ADAPTATION AUX SPÉCIFICITÉS DE CHAQUE COLLECTIVITÉ

Au terme de ses travaux, la mission estime indispensable, comme le réclame l'Appel de Fort-de-France, d'adapter davantage les référentiels nationaux pour mieux épouser les réalités locales.

D'une part, le développement des projets locaux doit être facilité. L'État a toute sa place en la matière et doit être conforté dans son rôle de régulateur et d'ensemblier de l'action des collectivités territoriales pour la gestion d'enjeux transversaux ou interterritoriaux, à l'exemple du plan « Sargasses ». Les collectivités antillaises ont également tout leur rôle à jouer, notamment par l'adoption d'une programmation pluriannuelle des projets structurants, afin de donner aux entreprises locales et aux co-financeurs de la prévisibilité sur les appels d'offres et les besoins de chacune d'entre elles. Elles doivent néanmoins disposer des moyens, y compris juridiques, pour ce faire : à cet égard, l'avis conforme des CDPENAF ultramarines devrait être un avis simple, comme dans l'hexagone, pour faciliter le développement de projets des maires dans ces territoires.

D'autre part, chacun de ces quatre territoires doit voir une réponse efficace et concrète apportée par l'État aux défis structurants qui l'affectent :

- l'eau en Guadeloupe : le SMGEAG doit être doté de moyens humains et financiers pérennes et un suivi qualitatif et quantitatif de ses réalisations doit être conduit ;

- le vieillissement en Martinique : la collectivité territoriale doit disposer des moyens de conduire une politique active d'incitation au retour des jeunes martiniquais partis en formation dans l'hexagone ou à l'étranger ;

- le logement à Saint-Barthélemy : la collectivité territoriale doit être confortée dans son rôle de régulateur ;

- la reconstruction consécutive au passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin : l'effort en la matière doit être parachevé et devrait s'accompagner d'une consolidation des dispositifs de prévention et de gestion de crise entre l'État, la collectivité mais également la partie hollandaise de l'île.

GUADELOUPE, MARTINIQUE, SAINT-BARTHÉLEMY
ET SAINT-MARTIN :
QUATRE TERRITOIRES DE LA RÉPUBLIQUE
DANS LA CARAÏBE

Attentive à la situation des outre-mer, la commission des lois du Sénat consacre chaque année des travaux d'information et de contrôle aux collectivités ultramarines, sur les questions qui relèvent de son champ de compétences : l'organisation institutionnelle et administrative, la sécurité et la justice3(*). Elle a choisi en 2023 d'effectuer un déplacement du 10 au 18 avril dans les quatre collectivités françaises des Antilles : la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Ces quatre territoires, qui connaissent avec l'hexagone une histoire commune depuis le milieu du XVIIe siècle, présentent entre eux une profonde diversité, que la réforme constitutionnelle de 2003 a permis de traduire juridiquement en ouvrant les possibilités de statuts différenciés pour prendre en considération leurs caractéristiques et leur identité propres.

Plus grand archipel des Petites Antilles, avec une superficie de 1 702 km² et 380 000 habitants, la Guadeloupe, ainsi que la Martinique, qui accueille 370 000 habitants sur un territoire de 1 128 km², bénéficient chacune d'une taille et d'un potentiel de nature à leur conférer un rôle majeur dans l'arc antillais. Elles connaissent néanmoins aujourd'hui des difficultés pour mettre en valeur leurs richesses et appuyer leur développement.

Saint-Martin, qui s'étend sur 53 km² et concentre environ 40 000 habitants, façonnée par sa frontière poreuse avec la partie néerlandaise de l'île, Sint-Maarten, est encore meurtrie par l'ouragan Irma et doit trouver le chemin d'un nouveau modèle de croissance.

La collectivité de Saint-Barthélemy, grande de seulement 21 km² et qui compte moins de 10 000 habitants, marquée par la présence suédoise pendant près d'un siècle, a quant à elle construit un modèle de développement atypique et quasi-autosuffisant.

Pour autant, au-delà de cette diversité, une unité forte demeure entre ces quatre territoires, situés à près de 7 000 km de l'hexagone.

Tous quatre ont été forgés par une identité caribéenne revendiquée, et une histoire dont ils gardent chacun les stigmates. Cette unité découle également d'un besoin d'adaptation marqué de leur environnement juridique et administratif, et dont les élus locaux se font l'écho. Enfin, ces territoires ont besoin d'une action forte de l'État, qui doit accompagner leur développement, en veillant à laisser toute sa place à l'expression de leur identité.

Au terme de leurs déplacements, de leurs échanges avec les élus locaux et les parlementaires, des entretiens menés avec les représentants des services de l'État et avec les représentants des acteurs socio-économiques, les rapporteurs affirment que la République doit toute son attention à chacun de ces territoires, en tenant pleinement compte de leur environnement caribéen. Dans cet accompagnement, la question institutionnelle est majeure, mais elle ne doit pas occulter la nécessité de renforcer, par d'autres actions, l'efficacité de l'action publique locale au bénéfice des citoyens.

I. DES TERRITOIRES ANCRÉS DANS LA RÉPUBLIQUE QUI LEUR DOIT TOUTE SON ATTENTION

A. MALGRÉ DES REVENDICATIONS INDÉPENDANTISTES, UN ATTACHEMENT À LA RÉPUBLIQUE ET À LA PRÉSENCE EFFECTIVE DES SERVICES DE L'ÉTAT

1. Un discours ambivalent sur la relation à l'État
a) Un ressentiment qui nourrit la volonté autonomiste
(1) La « dette » de l'esclavage

Les collectivités des Antilles françaises restent fortement marquées par le traitement qui a été infligé à leurs populations dans le cadre de la traite négrière et de l'esclavage.

Le passé d'esclave ou d'affranchi d'un ancêtre, ou à l'inverse de descendant de colons européens, reste une donnée très présente au sein des populations martiniquaise et guadeloupéenne. Il constitue à cet égard une clé d'explication à certains mouvements politiques, sociaux, culturels ou plus largement d'opinion qui regardent l'État et son action avec méfiance, malgré l'abolition généralisée et définitive de l'esclavage en 1848 et l'affirmation des « quatre vieilles » colonies françaises d'Amérique comme des départements d'outre-mer en 1946, marquant l'égalité juridique de ces territoires avec ceux de l'hexagone.

Les rapporteurs ont pu constater lors de leur déplacement que cette part sombre de l'histoire de France altère encore aujourd'hui les relations d'une partie de la population et d'une partie de la classe politique avec l'État et ses représentants.

L'État, qui décide d'un certain nombre de politiques publiques sur le territoire des collectivités et qui apporte des financements selon les modalités qu'il établit, est ainsi parfois présenté comme une puissance arrêtant unilatéralement et autoritairement des décisions, sans prendre suffisamment en considération les besoins exprimés par les institutions locales et leurs représentants, ainsi que les populations elles-mêmes. Si cette situation n'est guère différente dans sa nature de celle que rencontrent nombre de collectivités territoriales dans d'autres parties du territoire de la République, elle y est incontestablement plus mal vécue qu'ailleurs du fait du legs de l'histoire.

À cela s'ajoute le nombre des fonctionnaires venus de l'hexagone, sans attache familiale particulière avec les territoires concernés, pour exercer des fonctions dans l'administration de l'État, souvent à des postes d'encadrement. Cette situation est dénoncée par certains habitants comme la poursuite d'une administration sinon coloniale, du moins extérieure et, de ce fait, déconnectée de la société locale.

Dans un contexte marqué par un phénomène structurel de départs de la jeunesse antillaise pour l'hexagone, voire en Amérique du nord, il en découle une revendication, plusieurs fois formulée au cours des entretiens, que l'État local puisse être davantage administré par des agents originaires des territoires ultramarins et que des dispositifs facilitant le retour des agents partis exercer leurs fonctions dans l'hexagone ou dans d'autres collectivités ultramarines soient mis en place de manière effective.

À titre d'exemple, la présidente du tribunal judiciaire de Fort-de-France, Clarisse Taron, et la procureure de la République, Karine Gonnet, ont évoqué à cet égard les différents tags présents sur les bâtiments de la juridiction et les propos - parfois outrageants - à leur endroit dénonçant « une justice coloniale », des « juges blancs » ou encore leur méconnaissance de la langue créole.

(2) L'« effet » chlordécone

Ce sentiment prégnant de défiance est aggravé par le scandale du chlordécone. Les effets toxiques de cette molécule, connus depuis 1975, n'ont en effet conduit à l'interdiction de son utilisation dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe qu'en 1993, alors même que son usage était interdit sur le territoire hexagonal dès 1990. Ce décalage est regardé par de nombreux acteurs locaux comme une faute majeure de l'État et la marque d'une déconsidération de ces territoires et de leur population par rapport à l'hexagone.

De même, les actions entreprises par l'État pour remédier à la situation sanitaire ainsi créée sont souvent jugées à la fois trop tardives et inefficaces, alors même que, dans son discours à Morne-Rouge le 27 septembre 2018, le Président de la République avait fait de la lutte contre ce phénomène et la réparation des conséquences qu'elle a engendrées un axe majeur de la politique de l'État dans ces collectivités.

Comme l'ont montré les récents travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), cette question de politique sanitaire a renforcé une défiance face à l'État désormais ancrée dans le débat public. Le rapport de l'Office évoque ainsi des témoignages soulignant un « sentiment de colère, d'injustice, de défiance » parmi la population antillaise, tandis que la perception de l'État serait passée d'« une sorte de thaumaturge générateur de liberté et d'égalité dans le prolongement de l'abolition de l'esclavage » à « un organe étranger, avec lequel les populations antillaises entretiennent un rapport plus que jamais ambivalent »4(*).

Sur ce point, les magistrats rencontrés à Fort-de-France ont fait part à la délégation de la méconnaissance, par un nombre important de justiciables martiniquais, de l'absence de compétence du tribunal judiciaire local s'agissant des affaires pénales et civiles ayant un lien avec l'utilisation du chlordécone traitées par le pôle spécialisé « santé » du Parquet de Paris.

(3) La gestion de la covid-19

Ce terreau n'est sans doute pas étranger aux tensions majeures survenues en 2020 et 2021, dans le cadre de la lutte contre la covid-19, du fait des obligations de confinement, de l'instauration du passe sanitaire puis de l'obligation vaccinale dans les territoires antillais, principalement en Guadeloupe et Martinique.

Imposer, pour des raisons de santé publique, la vaccination obligatoire des soignants a été notamment perçu par certains comme une atteinte portée par l'État à leur intégrité physique, et comme une nouvelle illustration des risques sanitaires que prenaient les autorités de l'État à imposer aux populations des traitements qui n'avaient pas fait l'objet d'une étude complète de leur innocuité à moyen ou long terme.

Le taux de vaccination contre la covid-19 dans les collectivités antillaises est ainsi resté bien plus faible que dans d'autres endroits du territoire national5(*). Et le refus de se soumettre aux règles sanitaires imposées par l'État a participé - même si elle n'en était pas la seule cause - à installer en novembre et décembre 2021 une situation quasi-insurrectionnelle, en Martinique mais surtout en Guadeloupe, dont la violence a fortement marqué les représentants des forces de sécurité rencontrés par la délégation de la commission des lois.

(4) La montée du discours indépendantiste et les revendications statutaires afférentes

Cette méfiance généralisée d'une partie de la population face à l'action de l'État a pour effet de renforcer le discours autonomiste, voire indépendantiste, dans une partie de la classe politique ou syndicale.

Ainsi, en Martinique, les formations autonomistes ont, par leur poids politique et à la suite d'une approbation par la majorité des Martiniquais, obtenu une première évolution statutaire par l'institution d'une collectivité unique se substituant à la région et au département de Martinique sur le territoire de l'île, afin de mieux s'adapter aux réalités locales, en particulier l'étroitesse de la circonscription régionale et départementale.

La collectivité territoriale de Martinique : l'aboutissement d'une volonté politique et populaire pour adapter la structure institutionnelle locale
aux réalités martiniquaises

Comme le permet l'article 73 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle de 2003, la collectivité territoriale unique de Martinique (CTM) s'est substituée au département et à la région le 1er janvier 2016, en application de la loi du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique. Cette transformation fait suite au référendum du 24 janvier 2010 - qui a donné lieu à 68,30 % de « oui » à la fusion du département et de la région. Ce référendum intervenait après celui du 10 janvier 2010 qui avait vu la proposition d'une transformation de la Martinique en collectivité régie par l'article 74 de la Constitution rejetée à 79,31 %.

Depuis la création de la collectivité territoriale de Martinique au 1er janvier 2016, celle-ci a pour organe délibérant l'assemblée de Martinique qui remplace le conseil régional et le conseil général. Elle règle par ses délibérations « les affaires de la collectivité territoriale de Martinique » et a compétence pour « promouvoir la coopération régionale, le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la Martinique et l'aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des communes ». Elle peut également engager des actions complémentaires de celles de l'État ainsi que des communes et de leurs groupements.

Doté de 51 membres élus pour six ans au cours du renouvellement des conseils régionaux, l'assemblée de Martinique est dirigée par son président accompagné de quatre vice-présidents. Elle siège à l'hôtel de la collectivité territoriale de Martinique et se réunit, à l'initiative de son président, au moins une fois par trimestre. Elle peut également être réunie à la demande du conseil exécutif ou du tiers de ses membres. L'Assemblée de Martinique a une fonction délibérante et élit parmi ses membres le conseil exécutif de la Martinique.

Aujourd'hui, ces mêmes formations autonomistes, notamment le Parti progressiste martiniquais, emmené par Serge Letchimy, président de la collectivité territoriale de Martinique (CTM), ainsi que de la sénatrice Catherine Conconne, et les formations indépendantistes, en particulier le Mouvement indépendantiste martiniquais d'Alfred Marie-Jeanne, allié à Jean-Philippe Nilor, dominent le paysage politique depuis les dernières élections territoriales. Le président de la CTM a exprimé, devant la délégation, une volonté forte d'évolution statutaire, non seulement pour gommer les insatisfactions organisationnelles existantes, mais surtout pour doter l'assemblée de Martinique d'un véritable pouvoir normatif autonome dans plusieurs domaines, notamment s'agissant de l'autonomie alimentaire et énergétique ou de la réglementation sur les produits utilisés pour l'agriculture - en particulier le chlordécone.

En Guadeloupe, les élections départementales ont consacré la montée de la coalition des mouvements régionalistes et autonomistes, réunis dans la liste « NOU », conduite par Ronald Selbonne. Tandis qu'au niveau syndical, la principale organisation guadeloupéenne de travailleurs - l'Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG) - affiche la « décolonisation » de l'île comme l'objectif ultime de son action, comme l'affirment régulièrement les résolutions adoptées par ses congrès6(*).

Guy Losbar, président du conseil départemental, s'est ainsi montré, lors de ses échanges avec la délégation, très favorable à la création d'une collectivité unique de Guadeloupe, à titre principal pour réduire le millefeuille administratif et l'enchevêtrement de compétences, mais qui serait aussi dotée de prérogatives importantes et d'une autonomie plus forte que celle préexistante. Toutefois, les rapporteurs ont constaté que si les élus locaux étaient ouverts à des évolutions statutaires, en particulier relatives à la suppression des deux régimes constitutionnels existants (articles 73 et 74 de la Constitution), celles-ci n'emportaient pas un plein consensus local. Si une telle évolution statutaire suscite de nombreuses réserves parmi la classe politique locale, cela s'explique aisément par le rejet, déjà nettement exprimé en 2003, des citoyens guadeloupéens d'une collectivité unique.

À Saint-Martin, les élections territoriales ont conduit à la présidence de la collectivité Louis Mussington qui, lors de son entretien avec la délégation, a souligné la nécessité d'aller encore plus loin dans l'autonomie, avec un statut proche de celui de la Polynésie française, qui permettrait selon lui de conduire une coopération beaucoup plus importante avec Sint-Maarten et d'« harmoniser les législations » des deux côtés de la frontière. La collectivité de Saint-Martin dispose déjà, en application de l'article 74 de la Constitution et des lois organiques n° 2007-223 du 21 février 2007 et ordinaire n° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, de l'autonomie fiscale et d'importantes compétences par rapport aux collectivités de droit commun, notamment en matière d'urbanisme et de développement économique. S'ajoutent à cela les transports routiers et la desserte maritime d'intérêt territorial, la voirie, l'environnement, l'accès au travail des étrangers, l'énergie, le tourisme.

Saint-Barthélemy reste toutefois en marge de ce mouvement, son histoire en décalage avec celles des autres îles, sa situation de très grande autonomie depuis 2007 et les problématiques économiques et sociales qui lui sont propres l'expliquant aisément. Ce splendide isolement conduit le président de cette collectivité, Xavier Lédée, à ne formuler que de simples demandes d'ajustements, notamment en matière sanitaire, afin de réduire la dépendance de l'île aux évacuations sanitaires vers Saint-Martin et la Guadeloupe aujourd'hui difficilement praticables la nuit, et en matière de séjour et de travail des étrangers, compétences déjà dévolues à la collectivité. Son attachement à la République n'est en rien contesté localement.

b) Un manque d'État souvent déploré au quotidien...
(1) Une demande de plus d'État... pour compenser sa dette historique

La faiblesse, avérée, de l'État déconcentré apparaît ainsi d'autant plus mal vécue par ceux qui estiment avoir subi son oppression et est présentée par certains acteurs politiques ou syndicaux comme une nouvelle preuve d'un traitement dégradé, sinon d'un rabaissement, des collectivités françaises de la Caraïbe par rapport à l'hexagone.

La demande d'une présence plus importante de l'État est donc aussi perçue comme l'accomplissement d'un devoir moral de ce dernier et comme la juste réparation de ce que les territoires des Antilles et leurs habitants ont eu à subir du fait de l'histoire.

Lors de leurs échanges sur place, les membres de la délégation ont constaté combien la défiance affichée s'accompagnait ainsi, sans que cela soit jugé contradictoire, d'un désir de voir l'État plus présent au quotidien. La défiance est aussi nourrie par un sentiment d'abandon de l'État, qui ne ferait pas assez pour aider des populations et des collectivités qui, mis à part le cas très particulier de Saint-Barthélemy, connaissent de fortes difficultés économiques et sociales.

Ainsi, en Guadeloupe, selon les estimations de l'Insee, le taux de chômage s'est inscrit en augmentation en 2022, à 18,6 %,7(*) tandis que le taux de chômage en Martinique s'est élevé en 2022 à 10,3 %, taux qui restent sensiblement plus importants que dans l'Hexagone (7,2 %).8(*) Par ailleurs, selon la préfecture de la Guadeloupe, le taux de pauvreté avoisine 19 % de la population et, rapporté au niveau de vie médian national, s'élève à 33 %. De la même manière, Lucien Sablier, président de l'assemblée de Martinique, a indiqué qu'en Martinique plus de 27 % de la population se situait sous le seuil de pauvreté, et que moins de 40 % des ménages fiscaux étaient imposés, faute de revenus suffisants.

Dans ce contexte, l'État est donc regardé comme le garant d'un certain nombre de droits sociaux, venant compenser les situations de précarité des sociétés antillaises générées par des handicaps structurels liés à leur insularité et leur faible superficie, et par un phénomène de « vie chère » dans des proportions inconnues des territoires métropolitains.

Ce besoin d'un État déconcentré plus fort, avec un préfet qui aurait la main sur l'action de certains opérateurs, comme, par exemple, l'agence régionale de santé, et qui soit davantage à l'écoute des besoins des territoires, est également exprimé par les acteurs économiques rencontrés par la délégation, qui y voient un levier du développement social et économique.

(2) Une demande d'État plus efficace... pour répondre aux défis régaliens sur ces territoires

Lors de leurs travaux, les rapporteurs ont constaté combien la défiance affichée s'accompagnait - sans que cela soit jugé contradictoire - d'un désir de voir l'État plus présent au quotidien, en particulier sur ses missions régaliennes.

Ce sentiment se manifeste particulièrement dans la demande unanimement relayée par l'ensemble des acteurs, politiques, économiques, sociaux ou culturels, d'une meilleure sécurité au quotidien et d'un traitement judiciaire plus rapide et efficace pour que la promesse républicaine se matérialise en actes concrets, y compris à des milliers de kilomètres de l'hexagone.

Sur ce point, force est de constater que, plus que dans d'autres collectivités de la République, la présence de l'État déconcentré dans les départements et collectivités de la Caraïbe se caractérise par la faiblesse de ses moyens.

Celle-ci se conjugue à leur inadaptation, comme l'illustre parfaitement l'absence de conseiller diplomatique affecté aux préfets de Martinique et de Guadeloupe pour l'exercice de leurs missions, à la différence des autres préfets postés outre-mer.

(3) Une demande d'État plus agile... pour mieux épouser les réalités locales et répondre aux besoins spécifiques des territoires antillais

Nombreux sont les acteurs rencontrés par la mission à avoir formulé la demande d'un État plus agile, tant normativement que budgétairement, afin de mieux épouser les réalités locales et de répondre aux besoins spécifiques des territoires antillais.

Lors du déplacement, les rapporteurs ont pu mesurer les situations ubuesques résultant d'un défaut d'adaptation ainsi que la légitimité des demandes des élus pour qu'il soit mis fin à l'application uniforme de certaines normes imposées par les administrations centrales.

À Saint-Barthélemy et Saint-Martin, l'attention a été attirée sur les critères nationaux retenus pour la potabilité de l'eau qui, appliqués dans ces collectivités qui ne bénéficient d'aucune ressource en eau autre que la désalinisation, constituent une difficulté majeure. L'eau de pluie, même après traitement, de même que l'eau en provenance de la partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin, ne sont pas considérées comme conformes aux normes par l'agence régionale de santé. Elle implique que les capacités actuelles de dessalement sont insuffisantes ou vétustes, et conduisent notamment à des travaux d'ampleur pour réhabiliter l'usine vétuste de Galisbay.

À Saint-Martin, a également été souligné par les élus de la collectivité territoriale le manque d'adaptation aux caractéristiques du territoire du plan de prévention des risques naturels (PPRN) et, de ce fait, leur souhait que la compétence « environnement » qui relève toujours de l'État et le conduit à imposer un PPRN, soit attribuée à la collectivité elle-même, par une modification de sa loi organique statutaire. De fait, prenant en considération les submersions liées à l'ouragan Irma, les services de l'État ont fortement limité la constructibilité près des côtes, et rendu ainsi inconstructibles de nombreux terrains qui gardent les ruines d'anciennes constructions. Si les services de l'État ont fait valoir que le PPRN institué à Saint-Martin était d'ores et déjà moins contraignant que dans l'hexagone, afin de prendre en compte la faible surface de territoire, les rapporteurs estiment que des marges d'évolution pourraient encore être trouvées, dans le respect de la sécurité des populations.

De manière générale, dans les collectivités visitées comme dans le reste des outre-mer, l'on constate une insuffisante prise en considération des circonstances locales dans le cadre des normes en matière de construction9(*), comme en matière de logement.

Ainsi, en Martinique, tant Lucien Saliber, président de l'assemblée de Martinique, que Serge Letchimy, président de la collectivité de Martinique, ont déploré l'inadaptation du dispositif de la « ligne budgétaire unique » (LBU) pour le logement dont les objectifs de construction et les concours financiers afférents sont décidés « depuis Paris alors qu'ils devraient être décidés ici en tenant compte des risques climatiques spécifiques et adaptés aux réalités notamment sismiques ».

En effet, si l'ensemble des territoires ultramarins ont besoin d'investissements massifs en faveur du logement, ceux-ci sont particulièrement hétérogènes et dépendent largement des caractéristiques de l'habitat sur leur territoire. Ainsi, Saint-Barthélemy fait face à une grave crise du logement empêchant les travailleurs saisonniers comme les fonctionnaires, notamment hospitaliers, de s'installer sur le territoire, compte tenu des coûts prohibitifs des locations de logements. A l'inverse, en Guadeloupe comme en Martinique, l'impératif de production de nouvelles constructions se conjugue à des besoins importants de réhabilitation du parc existant, en particulier du fait des conditions climatiques particulières et des fortes contraintes parasismiques pesant sur les habitations, sans recueillir le plein assentiment des élus rencontrés quant à leur adaptation aux risques.

La « LBU »

L'action n° 1 du programme 123 « conditions de vie outre-mer » de la mission budgétaire « outre-mer » est couramment appelée « ligne budgétaire unique » (LBU). Celle-ci regroupe les crédits finançant la politique du logement dans les cinq collectivités d'outre-mer régies par l'article 73 de la Constitution (La Réunion, Guadeloupe, Martinique, Guyane et Mayotte), qui sont directement pilotés par le ministère des outre-mer depuis 1997.

Après s'être établie autour de 270 millions d'euros annuels de 2010 à 2014, la LBU a vu ses crédits diminuer, une tendance à laquelle la sous-consommation des crédits n'était pas totalement étrangère. Ils se sont ainsi établis en 2022 à un peu moins de 250 millions d'euros. Enfin, en 2018 et 2019, la LBU a été repositionnée à environ 215 millions d'euros en AE.

Les rapporteurs partagent pleinement le constat récent de la délégation sénatoriale aux outre-mer : « toutes les personnes entendues (exécutifs ultramarins, maires, acteurs économiques) se rejoignent sur le constat d'une adaptation insuffisante des politiques publiques aux spécificités de chaque territoire ultramarin. Il y a un consensus sur cette question. L'inadaptation concerne aussi bien la conduite des politiques publiques que le cadre normatif. Le besoin d'une différenciation renforcée est affirmé avec la même force par les collectivités de l'article 73 ou de l'article 74 »10(*).

2. Des territoires qui souhaitent inscrire leur avenir dans la République
a) L'Appel de Fort-de-France, demande d'une « nouvelle étape » dans la République

Le 16 mai 2022, les présidents de sept collectivités ultramarines11(*) signaient « l'Appel de Fort-de-France », afin que puisse s'ouvrir « une nouvelle étape de l'Histoire des pays d'outre-mer au sein de la République ».

Appel de Fort-de-France

« Les populations de Martinique, de Guyane, de La Réunion, de la Guadeloupe, de Saint-Martin, de Mayotte, expriment chaque jour el besoin que les politiques publiques redeviennent des leviers de changement d'un quotidien fait d'inégalités sociales et économiques, d'une vie chère sur laquelle les populations n'ont aucune prise et de problématiques d'accès à des besoins essentiels comme la santé, l'éducation, l'emploi, le logement, etc.

« Nos territoires des outre-mer vivent aujourd'hui une situation de mal-développement structurel à l'origine de ces inégalités de plus en plus criantes qui minent le pacte social.

« Ces urgences et nos défis ne peuvent plus attendre. Le statu quo n'est plus acceptable.

« L'heure est venue d'ouvrir ensemble une nouvelle étape de l'Histoire des pays d'outre-mer au sein de la République

« En effet, une prise de conscience politique est nécessaire à tous les niveaux pour répondre aux légitimes attentes de justice sociale, mettre en oeuvre une égalité républicaine respectueuse des différences et ouvrir de nouvelles perspectives d'avenir pour notre jeunesse. C'est pourquoi, nous souhaitons dans le cadre général de la politique de différenciation prônée au plus haut niveau de l'État :

« - Refonder la relation entre nos territoires et la République par la définition d'un nouveau cadre permettant la mise en oeuvre de politiques publiques conformes aux réalités de chacune de nos régions,

« - Conjuguer la pleine égalité des droits avec la reconnaissance de nos spécificités, notamment par une réelle domiciliation des leviers de décision au plus près de nos territoires,

« - Instaurer une nouvelle politique économique fondée sur nos atouts notamment géostratégiques et écologiques.

« Nous ne voulons plus être mis dans la position de subir des politiques publiques inadaptées à nos réalités, alors que l'enjeu pour nos territoires est d'instaurer une nouvelle politique économique pour lutter contre le mal-développement dont nos peuples vivent les conséquences au quotidien.

« Dans le «pays natal » d'Aimé Césaire, 76 ans après la loi du 19 mars 1946 et à la veille des 40 ans de la création des Régions d'outre-mer, il nous revient d'exiger que soit installé un nouveau cadre d'action à la hauteur de notre temps et des enjeux qui sont les nôtres.

« Cet appel de Fort-de-France est donc un défi à agir sans délai et à ouvrir de nouvelles perspectives, en concertation avec nos populations.

« Notre mobilisation conduit nécessairement à réclamer un dialogue exigeant et responsable avec le Président de la République qui doit prendre conscience de la gravité et de l'urgence de la situation afin d'aborder l'ensemble des questions économiques, sociales et institutionnelles qui se posent à chacun de nos territoires, pour le présent et pour l'avenir. »

Cet appel fait écho, plus de vingt ans après, à la Déclaration de Basse-Terre du 1er décembre 1999, dans laquelle les présidents des régions Martinique, Guadeloupe et Guyane, décidaient « d'unir leurs efforts afin de bâtir un projet de développement économique social et culturel impliquant la prise en compte des identités propres à chaque Région ». Cet acte politique a donné un nouvel élan à la prise en compte des spécificités des départements et régions d'outre-mer et a permis d'inscrire dans la Constitution, en 2003, la possibilité d'une différenciation plus grande des statuts et des institutions des collectivités ultramarines.

Pour les collectivités françaises de l'arc antillais, elle a conduit à la tenue de référendums le 7 décembre 2003 sur l'évolution institutionnelle ou statutaire de la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. À cette occasion, la Guadeloupe (par 72,98 % de « non ») et la Martinique (par 50,48 % de « non ») ont rejeté le projet de réforme institutionnelle qui leur était présenté portant création d'une collectivité unique se substituant aux départements et régions, dans le cadre du régime d'assimilation législative prévu à l'article 73 de la Constitution. En revanche, les électeurs de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, avec respectivement 95,51 % et 76,17 % de « oui », ont massivement choisi de transformer ces communes de la Guadeloupe en des collectivités d'outre-mer soumises à l'article 74 de la Constitution.

Puis, à l'issue de la consultation tenue le 24 janvier 2010, les électeurs de Martinique se sont prononcés (à 68,30 % des voix mais une participation de 35,81 %) pour la création d'une collectivité territoriale unique, régie par l'article 73 de la Constitution, en lieu et place possible de la région et du département12(*).

Plus de vingt ans après la déclaration de Basse-Terre, l'Appel de Fort-de-France réaffirme donc le besoin d'attention de la République envers les territoires ultramarins.

À cet égard, l'appel du 16 mai 2022, loin d'un refus d'appartenance à la République, traduit au contraire la volonté de conserver l'ancrage des collectivités signataires dans la République française, mais dans une relation renouvelée qui tienne davantage compte qu'aujourd'hui de la nécessité d'adapter leur modèle à leurs spécificités et leur identité propre.

Ainsi, plutôt qu'une remise en cause de la présence de la République, les rapporteurs ont pu constater que les critiques nourries à l'endroit de l'État appellent, au contraire, à un renforcement de son agilité et à l'exercice effectif de ses missions régaliennes. Dès lors, la question statutaire bien qu'elle soit majeure, ne doit pas occulter les demandes, plus urgentes, d'adaptation des normes et d'amélioration des actions de l'État sur ces territoires, portées par les élus locaux.

Il apparaît donc nécessaire de n'envisager des évolutions statutaires qu'après un bilan des dispositions existantes et de répondre à l'urgence statutaire première : celle de l'adaptation des normes.

Proposition n° 1 : Ne procéder à de nouveaux ajustements statutaires qu'après une évaluation de la mise en oeuvre des possibilités d'action spécifiques existantes.

De surcroît, les travaux de la mission s'étant déroulés dans la phase de préfiguration du comité interministériel pour les Outre-mer (CIOM)13(*), l'ensemble des élus locaux rencontrés ont fait part à la mission des demandes qu'ils avaient formulées au Gouvernement après, généralement, des actions de concertation locale.

Ainsi, la collectivité territoriale de la Martinique a annoncé aux rapporteurs avoir formulé plusieurs dizaines de propositions concrètes de modifications législatives ou organiques, afin de traduire les projets du territoire en réalités, en particulier s'agissant de l'agriculture et de l'énergie. Les élus guadeloupéens ont quant à eux initié un processus en trois phases visant à l'émergence de propositions consensuelles et partagées à l'échelle du territoire. De la même manière, Louis Mussington a fait état auprès des rapporteurs des demandes que le conseil territorial de Saint-Martin avait entendu porter dans des domaines variés tels que l'éducation, l'urbanisme, l'environnement ou le développement économique. Enfin, le président de la collectivité de Saint-Barthélemy a fait de même en dévoilant aux rapporteurs les « fiches CIOM » rédigées en ce sens.

Les rapporteurs appellent donc de leurs voeux une réunion de toute urgence du CIOM pour examiner les propositions d'ajustements ainsi présentées par les collectivités antillaises et de s'assurer de la nécessité d'une évolution législative pour y procéder, préalable indispensable.

Proposition n° 2 : Réunir, de toute urgence, le comité interministériel des Outre-mer (CIOM) pour examiner les propositions d'ajustements statutaires présentées par les collectivités antillaises et s'assurer de la nécessité d'une évolution législative pour y procéder.

b) Le désir de trouver une place spécifique dans la République
(1) Un besoin d'adaptation des référentiels pour mieux épouser les réalités locales

Au-delà même de la question de l'adaptation institutionnelle des collectivités territoriales des Antilles14(*), la question des normes édictées par le législateur ou le pouvoir réglementaire national et de leur insuffisante adéquation aux spécificités des territoires y est une problématique récurrente, comme dans le reste des outre-mer.

Comme le souligne l'Appel de Fort-de-France, la situation des outre-mer appelle à faire vivre, dans ces territoires, la politique de différenciation. Or, ainsi que l'a récemment rappelé la délégation sénatoriale aux outre-mer, « les lois et décrets peinent encore à intégrer la dimension ultramarine et la disparité des territoires », l'inadaptation concernant tant la conduite des politiques publiques que le cadre normatif15(*).

Sur ce plan, le Sénat milite depuis longtemps pour que la logique de différenciation prenne toute sa dimension, notamment dans les collectivités situées dans les Antilles, et vient de le réaffirmer dans le cadre du groupe de travail sur la décentralisation présidé par Gérard Larcher16(*).

À l'issue de leurs travaux, la conviction de rapporteurs s'est trouvée confortée : plus qu'ailleurs, il faut faire vivre, dans ces territoires, la politique de différenciation. Ils appellent en conséquence l'État, indépendamment d'évolutions statutaires, à adopter une démarche systématique d'adaptation des normes et référentiels pour prendre pleinement en considération les circonstances locales.

Cette « révolution des méthodes » a déjà fait l'objet d'une demande réitérée et insistante de la délégation sénatoriale aux outre-mer, qui a récemment rappelé la nécessité que « l'État réinterroge son organisation sur les territoires, sa stratégie, sa capacité à déroger et ses méthodes d'élaboration des lois et décrets pour les adapter aux outre-mer »17(*). La mission fait siennes ses recommandations en la matière, spécifiquement pour les territoires antillais.

Révolutionner sans délai les méthodes : cinq recommandations
de la délégation sénatoriale aux outre-mer

« Quelle que soit l'issue des réflexions en cours sur une révision constitutionnelle ou une évolution statutaire de certains outre-mer, une révolution des méthodes demeure plus que jamais indispensable, afin de mettre les outre-mer au coeur de la fabrique de la loi et des politiques publiques. La délégation émet [5] recommandations principales :

« - renforcer la prise en compte des outre-mer dans la phase des études d'impact, en prévoyant une consultation des outre-mer pour avis au stade de leur élaboration et en imposant aux études d'impact de justifier l'absence d'adaptations des normes aux caractéristiques et contraintes des outre-mer ;

« - faire de la contractualisation et de la territorialisation le principe d'action de l'État dans les outre-mer, en s'appuyant sur une déconcentration massive de l'organisation de l'État autour du préfet ;

« - lancer une revue générale des normes outre-mer, code par code ;

« - prévoir un accompagnement de l'État dans la mise en oeuvre des procédures d'habilitation de l'article 73 de la Constitution ;

« - renforcer les moyens de la DGOM pour qu'elle joue son plein rôle de pilotage et d'évaluation des politiques publiques outre-mer. »

Source : rapport précité, annexe 1.

La mission appelle donc l'État à poursuivre ses efforts pour adopter une démarche systématique d'adaptation des normes et référentiels en matière technique notamment, afin de prendre pleinement en considération les circonstances locales

Proposition n° 3 : Adopter une démarche systématique de la part de l'État pour adapter les normes et référentiels, en matière technique notamment, afin de prendre pleinement en considération les circonstances locales.

(2) Le besoin de reconnaissance d'une situation géographique et historique singulière

Les collectivités antillaises signataires voient dans leur appartenance à la Caraïbe une appartenance commune, liée à une culture partagée avec les autres îles des Petites Antilles.

Cette problématique est particulièrement marquée à Saint-Martin, compte tenu de sa frontière avec la partie hollandaise de l'île, avec laquelle les mouvements et les échanges sont quotidiens. Mais elle innerve également les autres îles françaises des Caraïbes. Lors de la XVIème Conférence de coopération régionale Antilles-Guyane, organisée en Guadeloupe en mars 2023, Serge Letchimy, président de la collectivité territoriale de Martinique, évoquait ainsi un « double positionnement » : « Français dans la République, et Européens » mais aussi dans une « proximité humaine et géographique avec la Caraïbe, la maison commune ».

Il s'ensuit le besoin de « penser » les DROM et collectivités des Antilles comme des collectivités de pleine appartenance à la République, comme toute collectivité de l'hexagone, mais également comme des entités ayant des spécificités géographiques fortes - et très diverses les unes des autres - par rapport aux territoires de France métropolitaine ainsi que des liens historiques, culturels, économiques et sociaux avec les autres îles caribéennes et au-delà. De ce point de vue, les élus locaux appellent à « décentrer » la vision de l'État vers la Caraïbe, pour tirer toute la richesse de cet environnement.

Paradoxalement, si les quatre territoires des Antilles françaises souhaitent voir s'inscrire leur avenir dans la zone caribéenne, les rapporteurs ont eu le sentiment qu'elles-mêmes n'entretenaient pas de synergies réelles entre elles, alors qu'elles pourraient sans doute davantage s'appuyer les uns sur les autres pour leur propre rayonnement local.

De fait, si les quatre îles partagent une histoire et une géographie communes, elles portent chacune une identité différente, qu'elles cultivent les unes par rapport aux autres, sans nécessairement souhaiter assurer certaines mutualisations entre elles qui pourraient pourtant s'avérer profitables. Au contraire, on assiste du fait de la réforme constitutionnelle de 2007 et de l'érection en collectivités de plein exercice des « îles du nord » de la Guadeloupe - Saint-Barthélemy et Saint-Martin - à une autonomisation grandissante des territoires les uns par rapport aux autres, chacun poursuivant son chemin dans la Caraïbe sans considération réelle des autres territoires.

Les rapporteurs estiment néanmoins que ces territoires ont un destin commun dans la République qu'ils gagneraient à développer davantage.

B. DES MISSIONS RÉGALIENNES DE L'ETAT QUI DOIVENT ÊTRE PLEINEMENT EXERCÉES AVEC LES MOYENS JUSTIFIÉS PAR LA SITUATION

Plus que dans d'autres collectivités de la République, la présence de l'État déconcentré dans les départements et collectivités de la Caraïbe se caractérise par la faiblesse de ses moyens, qui s'explique dans une certaine mesure par l'existence de territoires insulaires distincts, éloignés de plusieurs dizaines de milles les uns des autres, et parfois avec une « double insularité », selon l'expression souvent utilisée en Guadeloupe pour évoquer, outre la Basse-Terre et la Grande-Terre, les îles de Marie-Galante ou des Saintes.

Compte tenu des champs de compétences de la commission des lois, et conformément à l'objet de la mission, les rapporteurs ont, au cours de leur déplacement, concentré leurs travaux sur la situation des services publics de la sécurité ainsi que de la justice.

1. Une situation sécuritaire dégradée
a) Une délinquance spécifique
(1) Des territoires très poreux aux influences criminelles extérieures

La situation insulaire des collectivités rend leur territoire particulièrement poreux aux influences extérieures, d'autant que certaines îles voisines sont connues pour abriter des organisations criminelles qui projettent leurs actions dans les îles françaises des Antilles.

Ainsi, le général commandant la gendarmerie de Guadeloupe a évoqué au cours des entretiens avec les rapporteurs l'existence de plusieurs débarquements quotidiens, de jour comme de nuit, en provenance de La Dominique, pour apporter des armes, de la drogue ou de l'argent. De même, il est établi que de nombreux vols privés, qui atterrissent sur des aéroports secondaires non surveillés par la police aux frontières ou la gendarmerie, participent également à des trafics, notamment de stupéfiants, avec les autres îles.

À Saint-Martin, le principe de libre passage de la frontière terrestre avec la partie néerlandaise favorise les trafics, notamment du fait d'une certaine impunité laissée aux trafiquants. Le port de Saint-Martin apparaît quant à lui insuffisamment contrôlé, et de nombreuses embarcations en partent avec des cargaisons douteuses à travers la Caraïbe, notamment à destination des collectivités françaises.

La Martinique, de par sa situation géographique - elle est à la hauteur du Venezuela et à quelques kilomètres de Sainte-Lucie -, est devenue un nouveau hub du trafic de cocaïne et de rebond des mules guyanaises transitant par Fort-de-France avant de rejoindre l'Europe. Les agents de l'OFAST rencontrés par la mission ont également insisté sur l'importance du trafic d'armes et sur la particulière dangerosité des armes en circulation sur l'île. Les frontières côtières de l'île apparaissent comme particulièrement poreuses au débarquement de navires de toutes tailles en provenance de Sainte-Lucie et de conteneurs transitant depuis des États particulièrement faillis comme le Venezuela qui ne peuvent être réellement contrôlés faute de radars au sein du port maritime de Fort-de-France et de moyens de surveillance périmétrique de l'ensemble de l'île.

Si elle est très préservée, Saint-Barthélemy n'est pas pour autant à l'abri de telles influences extérieures, d'autant que les conditions du contrôle aux frontières apparaissent défaillantes. Lors du déplacement, a notamment été évoquée l'impossibilité technique des forces de gendarmerie nationale, chargées à Saint-Barthélemy des missions de police aux frontières, d'accéder au fichier des titres électroniques sécurisés (TES) lors de leurs contrôles.

Cette situation est d'autant plus problématique que l'article 5 du décret n° 2016-1460 du 28 octobre 2016 autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d'identité indique que, « pour les besoins exclusifs de l'accomplissement de leurs missions, les personnels chargés des missions de recherche et de contrôle de l'identité des personnes, de vérification de la validité et de l'authenticité des passeports et des cartes nationales d'identité au sein des services de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes peuvent accéder aux données enregistrées » dans ce fichier.

Les rapporteurs estiment que l'efficacité de l'action de la gendarmerie nationale appelle une évolution rapide pour que cesse ce dysfonctionnement, qui résulte simplement du fait que seule la police aux frontières est aujourd'hui habilitée à consulter le fichier TES...

Proposition n° 8 : Donner aux personnels de la gendarmerie nationale, chargés du contrôle aux frontières à Saint-Barthélemy, accès dans les meilleurs délais au fichier des titres électroniques sécurisés.

(2) Le poids du trafic de stupéfiants

Les territoires français des Antilles se situent dans une zone particulièrement concernée par le trafic de drogue international, en provenance d'Amérique du sud. La partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin, via notamment l'aéroport de Juliana, a été plusieurs fois présentée au cours des auditions comme le « hub logistique » de la cocaïne dans la région.

La drogue est en effet très présente dans les territoires, transitant par avion, par bateaux18(*) ou par voie postale (avec un « pic » en fin d'année !). En revanche, contrairement à d'autres territoires, comme la Guyane, le phénomène des mules reste encore peu développé, malgré l'essor depuis quelque temps de mules originaires du Nigéria, la Martinique ou la Guadeloupe n'étant aujourd'hui concernées qu'en tant que trajectoires de « rebond » pour déjouer les contrôles systématiques entre Cayenne et Paris ou Amsterdam.

Le trafic de stupéfiants est le fait d'organisations criminelles non seulement internationales mais aussi issues de l'hexagone, qui trouvent dans la population des soutiens logistiques. De l'aveu des forces de sécurité intérieure, l'importance des gains générés par ce trafic donne une capacité de corruption de plus en plus importante, et permet un recrutement de soutiens sur place.

Les agents de l'OFAST rencontrés en Martinique ont ainsi fait état d'une internationalisation des réseaux de trafics de stupéfiants sur l'île, accroissant leurs capacités organisationnelles et financières et leur permettant de recruter nombre d'informateurs et de complices au sein des installations aéroportuaires, mais également à proximité des sites de débarquement des marchandises illicites (sur les plages reculées ou au sein des quartiers surplombant le port de Fort-de-France, par exemple) ou de transformation des produits illégalement importés.

En Martinique, en 2022, les saisies de cocaïne sur terre et dans les eaux territoriales se sont élevées à 3,3 tonnes, tandis qu'en mer, les forces armées aux Antilles ont saisi plus de 5 tonnes de produits stupéfiants. En Guadeloupe, la douane avait saisi plus d'une tonne de cocaïne et 1,2 tonne de tabacs.

(3) Une violence de plus en plus marquée

À l'exception notable de Saint-Barthélemy, les territoires des Antilles sont touchés par une violence de plus en plus marquée au quotidien, qui est présente dans l'ensemble de la zone Caraïbe. Celle-ci s'explique par une circulation d'armes particulièrement importante, les représentants de la DTPN de Guadeloupe évoquant ainsi la prise de 140 armes en 2022 lors de simples contrôles routiers et un « usage débridé » des armes. Selon les informations recueillies, ces armes seraient en provenance d'Amérique du Sud, mais aussi des États-Unis, transitant depuis Miami via Sainte-Lucie.

En Guadeloupe, selon la préfecture, 80 % des fermetures d'établissements recevant du public (ERP) seraient liées à l'usage des armes. Face à cette situation, le préfet de la Guadeloupe a ainsi interdit en mai 2023 la vente et la détention ainsi que le port et le transport des armes de catégorie C3 (armes de poing non létales) et D (armes historiques ou de collection). Dans cette collectivité, en zone gendarmerie, qui représente 75 % de la population, le taux de criminalité s'élevait à 47 %o, tandis qu'en zone police - qui concentre 25 % de la population en zone urbaine -, ce taux s'élevait à 69 %o. Le taux de criminalité de sang varie, selon les années, de 4,5 à 8 %o, contre 1 %o dans l'hexagone.

Selon les représentants de la police et de la gendarmerie nationales, on assiste en Guadeloupe à une « professionnalisation » des gangs présents notamment dans les parties les plus urbanisées (Pointe-à-Pitre, Les Abymes), qui prospèrent sur des jeunes en déshérence. Cette professionnalisation apparaît directement liée au trafic de stupéfiants.

La délinquance violente apparaît majoritairement le fait d'auteurs provenant de La Dominique, la République dominicaine ainsi que d'Haïti.

Une situation quasi-insurrectionnelle en Guadeloupe
en novembre et décembre 2021

Lors des entretiens, ont été rapportés les détails de la situation quasi-insurrectionnelle qu'a connue la Guadeloupe en novembre et décembre 2021.

Pendant plusieurs jours, les zones urbanisées ont fait l'objet d'attaques contre les forces de l'ordre, à balles réelles, avec la mise en place de barrages pour les empêcher d'intervenir pendant que des pillages systématiques de commerce étaient pratiqués.

Les violences ont atteint leur paroxysme le 15 novembre 2021, avec la présence de six escadrons de gendarmerie mobile en plus des unités présentes de la police nationale et de la gendarmerie départementale. 63 gendarmes ont été blessés dans cette seule journée, dont 7 en état grave et deux par armes à feu.

Selon la préfecture de Guadeloupe, ces violences ont occasionné plus de 15 millions d'euros de préjudice.

Pour autant, l'accroissement des violences au quotidien ne semble pas faire l'objet d'une réelle prise en considération politique localement. Par exemple, les exactions commises en novembre et décembre 2021 semblent avoir été peu condamnées lors des prises de parole politique locales. La situation apparaît néanmoins préoccupante, même si, selon les représentants de l'autorité judiciaire rencontrés lors du déplacement, cette violence est essentiellement le fait d'une minorité agissante, visible et médiatisée.

En Martinique, selon les chiffres donnés par la préfecture pour 2022, 28 homicides ont été perpétrés, dont 18 en zone gendarmerie (en augmentation de + 125 % par rapport à 2021), ce qui en fait l'année la plus criminogène.

La situation, marquée par une hausse de + 4,08 % de la délinquance par rapport à 2021, se caractérise notamment par son important degré de violence. C'est notamment le cas en zone gendarmerie, où la délinquance générale progresse significativement (+ 7,42 %), avec une augmentation considérable des atteintes aux biens - cambriolages (+ 17,26 %) - et à l'intégrité physique - les vols violents à main armée croissant de 45,95 % - progressent fortement. Les violences intrafamiliales (VIF) sont également en augmentation : + 8,35 % en zone gendarmerie, et + 7,52 % en zone police.

À Saint-Martin, les représentants des forces de sécurité intérieure rencontrés ont fait état de violences avec arme supérieures à quatre fois la moyenne nationale et des vols à mains armées représentant plus de 18 fois la moyenne nationale. Les refus d'obtempérer sont quotidiens.

b) Des services de sécurité intérieure à la peine
(1) Des forces en place insuffisantes

Si les forces de gendarmerie en Guadeloupe, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy s'élèvent à 700 personnels militaires et 50 civils, il faut souligner que trois escadrons de gendarmerie mobile sont en permanence stationnés dans ces territoires et renouvelés tous les trois mois (deux en Guadeloupe « continentale » et une dans les « îles du nord »).

En Martinique, outre 600 militaires et administratifs affectés sur le territoire, un escadron de gendarmerie mobile est en renfort permanent. Depuis la fin novembre 2022, un groupe tactique de gendarmerie et un second escadron de gendarmerie mobile ont été déployés pour mieux faire face à des phénomènes de violences graves qui s'accentuent.

La Guadeloupe et la Martinique ont été pionnières dans la réorganisation des services de la police nationale, l'organisation en direction territoriale de la police nationale (DTPN) y ayant été mise en place dès le 1er janvier 2022.

La réforme de la DTPN : une préfiguration outre-mer avant une généralisation du dispositif à l'hexagone

Dans le prolongement des recommandations du livre blanc de la sécurité intérieure, le ministère de l'intérieur a engagé à partir de la fin 2019 un projet d'unification des différentes entités de la police nationale à l'échelle départementale, jusqu'alors bâties en silos, autour d'une logique de filières métiers.

En substance, il s'agissait de rassembler dans de nouvelles « directions départementales de la police nationale » (DDPN) la plupart des services opérationnels de la police nationale, à savoir les services de la sécurité publique, de la police judiciaire, de la police aux frontières et du renseignement.

À l'échelle de la police nationale, cette réforme vise à mettre fin au cloisonnement entre les filières et à assurer une meilleure circulation de l'information au niveau local entre les différents métiers de la police nationale. À l'échelle de la police judiciaire, cette réforme vise à créer une nouvelle filière investigation unifiée, rassemblant au sein d'une même direction l'ensemble des services exerçant des missions de police judiciaire.

La préparation du projet de réorganisation de la police nationale s'est constituée autour de quatre vagues successives d'expérimentation dans sept territoires d'outre-mer et huit départements hexagonaux.

Si les premières DTPN ont été créées il y a trois ans en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, celles des Antilles ont vu leur déploiement anticipé à la fin de l'année 2021 du fait du conflit social en cours.

En Guadeloupe, la DTPN représente environ 1 000 fonctionnaires, répartis, pour la sécurité publique, en trois circonscriptions sur les zones les plus urbanisées du territoire : Pointe-à-Pitre sur 3 communes, Basse-Terre, Capesterre-Belle-Eau. Les effectifs de la police aux frontières sont présents au Grand port maritime de Jarry, à l'aéroport de Guadeloupe Pôle Caraïbes et au centre de rétention administrative (CRA) situé aux Abymes.

En Martinique, la DTPN est présente dans les communes de Fort-de-France et du Lamentin. Elle compte un effectif global de 800 agents.

Les effectifs de police municipale, peu développés et disposant de peu de moyens, ne sont pas suffisamment à même d'épauler suffisamment les forces de sécurité de l'État dans leurs missions quotidiennes de sécurité publique. Des actions en vue de développer leur complémentarité avec les forces de sécurité étatique sont toutefois initiées.

Un exemple d'action contractuelle à valoriser : le contrat territorial de sécurité

Un contrat territorial de sécurité (CTS) est en cours d'élaboration en Martinique. Il a vocation à associer l'ensemble des services de l'État, les communes, les EPCI et la Collectivité territoriale de Martinique. Selon la préfecture, le contrat devrait se décliner en 5 axes opérationnels :

- un volet « sécurité périmétrique » de la Martinique visant à associer activement les communes littorales au dispositif de lutte contre les trafics inter-îles (et notamment les trafics de stupéfiants et d'armes) ;

- un volet « prévention » ;

- un volet « formation » des polices municipales, visant à favoriser l'interopérabilité, le continuum de sécurité et la formation ;

- un volet « professionnalisation » visant la sécurité privée, en lien avec le conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) ;

- un volet « judiciaire », en lien avec le parquet.

Compte tenu du niveau de violence, une coopération de l'ensemble des acteurs de la sécurité apparaît essentielle. Aussi les rapporteurs recommandent-ils le renforcement des contrats de sécurité, pour coordonner les actions de lutte contre la délinquance.

Proposition n° 7 : Développer les contrats locaux en matière de sécurité afin de mieux coordonner les actions des différents acteurs de la lutte contre la délinquance.

En matière judiciaire, les services d'enquête apparaissent sous-dimensionnés, conduisant à l'accumulation d'un stock massif d'affaires. Ainsi, les représentants du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre ont fait état d'un stock de 19 000 procédures en cours en police judiciaire19(*), et d'une difficulté de priorisation des dossiers par les enquêteurs. Comme constaté dans d'autres travaux de la commission des lois, la qualité technique des enquêtes a été évoquée, en partie due à un manque d'encadrement intermédiaire dans les services de police judiciaire20(*). *

Le manque d'effectifs handicape également fortement la possibilité de mener des enquêtes d'initiative.

(2) Des équipements inadaptés aux enjeux

Les rapporteurs ont pu constater la faiblesse des équipements mis à disposition des forces de sécurité, alors que le flux de personnes, d'armes et de stupéfiants entre les îles de la Caraïbe est parfaitement connu et documenté.

Lors de sa visite des locaux de l'OFAST en Martinique, la mission a pu constater la faiblesse des moyens nautiques et aériens alloués à la lutte contre les trafics de stupéfiants. En effet, les forces de l'ordre entendues ont déclaré ne pas disposer des moyens d'assurer la pleine et totale surveillance périmétrique de l'île et n'avoir toujours pas pu installer de radars au sein du port maritime de Fort-de-France pour contrôler les cargaisons des navires entrants et sortants du port.

Lors du déplacement de la délégation à Saint-Martin, au coeur de la route des stupéfiants vers l'Europe - par voiliers21(*) - ou vers les États-Unis, via les îles Vierges ou Porto-Rico - par go-fast -, la seule vedette de la douane était immobilisée pour panne depuis plusieurs semaines et la perspective d'une réparation estimée à plusieurs mois, tandis que la brigade nautique de la gendarmerie nationale comporte un seul bateau, embarquant quatre personnels, pour sécuriser les deux îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Chargée par les textes d'assurer l'action de l'État en mer, la Marine nationale ne déploie quant à elle, au bénéfice de la gendarmerie maritime, qu'un patrouilleur côtier pour les quatre collectivités.

En moyens héliportés, la gendarmerie nationale ne dispose en Guadeloupe que d'un engin pour faire des rotations entre les îles, immobilisé au moins 20 % du temps et qui, au surplus, ne peuvent voler de nuit.

Les rapporteurs considèrent que l'indigence de ces moyens obère toute capacité de réaction efficace des forces de sécurité intérieure face aux mouvements criminels entre les îles. Ils appellent à une mobilisation forte pour que la douane et la gendarmerie nationale soient dotées de moyens d'intervention à la hauteur des enjeux.

Proposition n° 4 : Renforcer urgemment les moyens nautiques et héliportés des forces de sécurité intérieure pour lutter efficacement contre la criminalité inter-îles, en particulier au sein de l'antenne de l'OFAST de Fort-de-France.

La vidéoprotection reste peu développée dans les collectivités visitées et est aujourd'hui inexistante à Saint-Martin. Les rapporteurs relèvent néanmoins que le contrat de sécurité intégrée (CSI) concernant Fort-de-France, signé le 17 mars 2022, prévoit la mise en place de 35 caméras supplémentaires de vidéoprotection dans la commune.

2. Une justice qui doit être mise à niveau
a) Le fonctionnement de la justice
(1) Une justice judiciaire en phase de rattrapage

La cour d'appel de Fort-de-France regroupe dans son ressort, outre la cour d'appel, le tribunal judiciaire de Fort-de-France.

L'effectif total de magistrats localisés est de 72 dont 52 au siège et 20 au parquet. Au 1er septembre 2022, l'effectif réel était de 67 dont 48 au siège et 19 au parquet.

Juridictions

Siège

Parquet

Total

Postes vacants/Surnombres*

Effectifs

localisés

Effectifs

Réels

Effectifs

localisés

Effectifs

réels

Effectifs

localisés

Effectifs

réels

Siège

Parquet

CA Fort-de-France

13

13

6

6

19

19

0

0

TJ de Fort-de-France

39

35

14

13

53

48

4

1

Total

52

48

20

19

72

67

4

1

*Au 1er septembre 2022. Sources : ministère de la justice.

L'effectif de fonctionnaires localisé dans les juridictions de Martinique s'élève à 179, avec un surnombre de 10 agents au 1er septembre 2022.

Le ressort de la cour d'appel de Basse-Terre comprend, outre la cour, le tribunal judiciaire de Basse-Terre et celui de Pointe-à-Pitre ainsi que le tribunal de proximité de Saint-Martin. L'effectif total de magistrats localisés s'élève à 83, dont 62 au siège et 21 au parquet. Au 1er septembre 2022, l'effectif réel est de 81, dont 60 au siège et 21 au parquet.

Juridictions

Siège

Parquet

Total

Postes vacants/Surnombres*

Effectifs

localisés

Effectifs

réels

Effectifs

localisés

Effectifs

réels

Effectifs

localisés

Effectifs

réels

Siège

Parquet

CA Basse-Terre

16

17

6

5

22

22

-1

1

TJ Basse-Terre

16

16

5

6

21

22

0

-1

TJ Pointe-à-Pitre

30

27

10

10

40

37

3

0

Total

62

60

21

21

83

81

2

0

*Au 1er septembre 2022. Sources : ministère de la justice.

Les fonctionnaires localisés dans les juridictions étaient, au 1er septembre 2022, au nombre de 206. Lors des entretiens, les représentants des juridictions ont souligné que le nombre de greffiers était trop réduit pour permettre un traitement efficace du volume contentieux.

Les juridictions devraient bénéficier, dans des proportions qui ne sont néanmoins pas encore annoncées officiellement, des recrutements rendus possibles par le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2024-2027, actuellement en cours de navette.

L'importance des faits de violence en Guadeloupe induit une forte activité pénale des juridictions. Ainsi, au regard des 34 homicides et des 132 tentatives d'homicides commis en 2022, la cour criminelle départementale et la cour d'assises de Basse-Terre siègent de façon permanente.

La lutte contre les violences intrafamiliales : l'exemple de la Guadeloupe

La lutte contre les violences intrafamiliales (VIF) fait l'objet d'une priorité des parquets de Basse-Terre et Pointe-à-Pitre, une chargée de mission spécialisée dans ce type de violences ayant été recrutée.

Les VIF présentent une particularité car la proportion des femmes victimes est sensiblement inférieure à l'hexagone (70 % des VIF contre 90 % en France métropolitaine) et sont présentes dans la famille élargie, au-delà du couple, notamment à l'égard des ascendants. En revanche, le taux de féminicides est inférieur au taux national.

Les déferrements sont importants. En 2022, 300 déferrements ont été ordonnés à Pointe-à-Pitre et 112 à Basse-Terre. Lors du déplacement de la délégation, 45 « téléphones grave danger » étaient actifs dans le ressort de la cour d'appel. En revanche, le recours au bracelet anti-rapprochement (BAR) est inefficace dans le ressort du tribunal de Basse-Terre car, compte tenu de la géographie des lieux, il n'est pas matériellement possible d'éviter que la personne sous BAR passe à proximité de la victime22(*).

Rencontrées par la mission, la présidente du tribunal judiciaire de Fort-de-France, Clarisse Taron, et la procureure de la République, Karine Gonnet, ont signalé l'importance de l'activité pénale de leur juridiction et le niveau de gravité particulièrement élevé des infractions commises par des majeurs comme des mineurs. À titre d'exemple, le tribunal pour enfants de Fort-de-France se réunit une fois par semaine.

De la même manière, elles ont fait valoir trois indicateurs permettant de mesurer l'importance de l'activité judiciaire sur les magistrats affectés au tribunal judiciaire de Fort-de-France. Si ces magistrats ne sont que 35 au siège, elles ont estimé, en appliquant la méthodologie développée par la Conférence des procureurs généraux, à 47 le nombre d'ETP nécessaires pour faire face au stock, ce chiffre s'établissant à 65 ETP en application des critères fixés par la commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l'Europe, qui tient compte de la qualité de la justice et des délais de traitement des affaires. Enfin, selon les chiffres communiqués aux rapporteurs, le ratio service/magistrats s'établit à 1,39 ETPT sur le tribunal, illustrant le nombre d'heures supplémentaires effectuées par le personnel de la juridiction.

Au surplus, le tribunal judiciaire de Fort-de-France dispose de la compétence JIRS couvrant les territoires des Antilles-Guyane, dont l'activité est particulièrement soutenue puisqu'elle mobilise trois juges judiciaires à temps plein une semaine par mois tant les affaires sont longues et difficiles à poursuivre du fait des difficultés de coopération avec les pays tiers.

Le bâtonnier de la Guadeloupe a fait état des difficultés liées à la double insularité de ce territoire, qui impliquait notamment que, compte tenu du montant de l'aide juridictionnelle (AJ), les avocats rétribués à ce titre n'étaient pas en mesure de se déplacer à Saint-Martin, ni même dans les commissariats des Saintes ou de Marie-Galante en cas de garde à vue. Il a, de ce fait, souligné la demande du Conseil national des barreaux de revaloriser spécifiquement le montant de l'AJ en Guadeloupe pour prendre en considération la géographie locale, sur le modèle de ce qui est pratiqué en Polynésie française. Les rapporteurs ont été sensibles à cette demande, compte tenu des difficultés d'accès à certaines parties de ces territoires.

Proposition n° 12 : Moduler le montant de la rétribution des avocats au titre de l'aide juridictionnelle pour prendre en considération la double insularité de la Guadeloupe.

Au regard de cette même problématique géographique, la question de la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin doit être posée. Actuellement, le territoire abrite un tribunal de proximité, doté de quatre magistrats du siège et deux magistrats du parquet affectés, accompagnés de dix fonctionnaires.

Il résulte des entretiens menés que près de 40 % du contentieux du tribunal judiciaire de Basse-Terre proviennent de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, avec un contentieux pénal important pour la première et un contentieux civil lourd pour la seconde, notamment sur les questions foncières et familiales. Or, le coût des liaisons aériennes pour acheminer les membres du tribunal à Marigot ainsi que les temps et effectifs consacrés aux escortes grèvent fortement l'organisation de la juridiction.

Les rapporteurs invitent donc le ministère de la justice à conduire une réflexion sur la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice dans cette collectivité.

Proposition n° 10 : Conduire une réflexion sur la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin.

(2) Un immobilier judiciaire en souffrance

L'attention des rapporteurs a été attirée sur la vétusté des locaux abritant la cour d'appel et le tribunal judiciaire de Basse-Terre, au sein du palais de justice de Basse-Terre, édifié en 1934 et classé aux monuments historiques. Selon le ministère de la justice, un vaste projet d'extension du tribunal et de réhabilitation des locaux historiques a été décidé, pour un montant global est de 77,2 M€ avec une livraison échelonnée entre 2027 pour l'extension et 2029 pour la réhabilitation du palais historique.

Les locaux actuels apparaissent en effet inadaptés à une justice moderne et les rapporteurs insistent pour que les projets soient bien menés à leur terme dans les délais prévus, tant pour assurer un accueil adapté des justiciables que pour offrir un cadre de travail décent aux personnels, magistrats comme fonctionnaires, des juridictions.

Proposition n° 9 : Mener à leur terme dans les délais prévus la restructuration et la réhabilitation des locaux de la cour d'appel et du tribunal judiciaire de Basse-Terre.

Quant à eux, les locaux du tribunal judiciaire de Fort-de-France s'avèrent être particulièrement inadaptés aux conditions climatiques auxquelles ils doivent faire face : importantes chaleurs au sein des salles et des bureaux, moisissures affectant les murs, sols et plafonds en raison de la porosité des matériaux aux pluies tropicales. En outre, les magistrates auditionnées ont alerté les membres de la mission sur les difficultés rencontrées dans la sécurisation des locaux du tribunal judiciaire qui le rendent poreux aux intrusions et aux dégradations volontaires, menaçant la sécurité des personnels judiciaires ainsi que des victimes, mis en cause, détenus et forces de sécurité intérieure.

En tout état de cause, au regard de la faiblesse des infrastructures judiciaires actuelles, les rapporteurs se félicitent de l'annonce faite par le garde des Sceaux, en mai dernier, de l'affectation dès septembre 2023 d'un coordinateur pour la zone Antilles, rattaché au secrétaire général du ministère de la justice, en matière de ressources humaines, de gestion des moyens techniques, logistiques et numériques ainsi que de l'immobilier judiciaire.

(3) Une justice administrative embolie

Si, en Guadeloupe, la juridiction administrative bénéficie de locaux neufs et, de ce fait, fonctionnels, l'attention de la délégation a été attirée sur les difficultés de recrutement pour pourvoir les postes au tribunal administratif de Basse-Terre.

Il est fait état d'une croissance, dans les dernières années, de 10 % par an des référés libertés en matière de contentieux des étrangers, qui constitue près du tiers de l'activité du tribunal23(*), du fait de l'immigration essentiellement haïtienne. Le président du tribunal s'est à cet égard interrogé, en termes d'impact sur l'immigration irrégulière, sur la pertinence des dispositions spécifiques à la Guadeloupe24(*) qui prévoient que le recours contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) n'est pas suspensif d'exécution et rendent ainsi nécessaire l'introduction d'une demande tendant à obtenir le sursis à l'exécution de la mesure d'OQTF.

b) La question carcérale
(1) Sur-occupation et indignité chroniques des établissements

La situation pénitentiaire dans les territoires des Antilles se caractérise de longue date par une sur-occupation chronique des établissements et, jusqu'à récemment, par des structures de détentions indignes.

Lors de son déplacement en Guadeloupe, la délégation s'est rendue au centre pénitentiaire de Baie-Mahault. L'établissement, livré en 1996, connaissait alors un taux d'occupation de 140 %, avec 684 détenus pour une capacité théorique de 491 places. En revanche, ce taux était, pour le quartier maison d'arrêt, de 149 % avec 173 détenus pour 116 places25(*). Pour autant, un seul recours pour indignité des conditions de détention a été introduit sur le fondement de la loi n° 2021-403 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.

Comme dans d'autres centres pénitentiaires, la violence est présente, liée au racket, à la présence de stupéfiants, et à la cohabitation de représentants de bandes rivales. Selon la direction, l'équipe locale de sécurité pénitentiaire est ainsi amenée à intervenir au moins une fois par mois. Malgré les équipements déployés et le glacis autour de l'établissement, les projections sont nombreuses et des livraisons de drogue par drones ont été recensées, conduisant à la mise en place d'un système antidrone pour 140 000 euros.

Si l'établissement essaie de développer l'offre de formation aux détenus, en lien avec le conseil départemental, il ne propose pas l'exercice d'activités en ateliers, aucune entreprise n'étant présente sur le site. Le bâtonnier de la Guadeloupe a, de son côté, fait valoir l'indigence des services pénitentiaires d'insertion et de probation dans ce territoire, qui privait d'accompagnement les détenus en fin de peine.

Lors de son déplacement en Martinique, la mission s'est rendue au centre pénitentiaire de Ducos dont la construction des différents sites n'a pas été linéaire, multipliant les difficultés de sécurisation et d'aménagement des locaux pénitentiaires. L'établissement connaissait alors un taux d'occupation de 120 % avec 975 détenus pour une capacité théorique de 736 places. Malgré ce taux d'occupation carcéral élevé, aucun contentieux lié aux conditions de détention n'a été introduit à l'exception d'un référé contestant les premières mesures appliquées pour faire face à la pandémie de la covid-19 en avril 2020 imposant à l'ensemble des détenus - comme des personnels pénitentiaires - le port du masque.

Auditionné par la mission, le directeur de l'établissement pénitentiaire s'est fait l'écho des difficultés à installer durablement des activités et des formations au sein de ce centre pénitentiaire. En effet, en raison de l'éloignement du centre des installations industrielles, il est très difficile de trouver des concessionnaires pour permettre l'emploi des détenus : lors de la visite, seuls huit détenus étaient ainsi employés au sein du centre pénitentiaire, soit moins d'1 % de la population carcérale. Celui-ci a également alerté les rapporteurs sur le nombre croissant de détenus particulièrement signalés et dangereux, qui s'établit autour d'une quarantaine de profils, généralement des étrangers issus de gangs particulièrement dangereux issus du Venezuela, de Colombie et de Sainte-Lucie. Il a, à titre d'exemple, signalé que la seule évasion réussie depuis l'établissement a été commanditée par un gang particulièrement violent du Venezuela qui a fait usage d'armes lourdes pour contraindre les forces de sécurité à libérer le prisonnier.

Lors de son audition, le bâtonnier de Fort-de-France a estimé que l'une des raisons de cette surpopulation carcérale provenait d'une tendance des magistrats en Martinique à prononcer des peines aggravées par rapport à l'hexagone, alors même que cette île ne comporte ni centre de semi-liberté, ni centre éducatif fermé, ni mesures d'accompagnement à la sortie de prison. Selon lui, cette politique pénale serait en outre de nature à favoriser la récidive. Sans aller jusqu'à partager cette conclusion, le directeur du centre pénitentiaire de Ducos a fait part des mêmes difficultés dans le déploiement de peines alternatives et de mesures d'accompagnement à la sortie de détention. Il a, par exemple, signalé aux rapporteurs l'absence de desserte du centre pénitentiaire par des transports publics collectifs empêchant nombre de détenus de bénéficier de formations ou d'emplois situés en dehors des locaux pénitentiaires auxquels ils sont pourtant éligibles.

(2) Des réalisations en cours ou en projet

Face à la surpopulation chronique et à la vétusté du parc pénitentiaire, le ministère de la justice a engagé depuis plusieurs années des moyens importants pour une remise à niveau des établissements présents en Martinique et Guadeloupe.

En Martinique, l'établissement de Ducos a récemment fait l'objet d'une double extension : 160 places ont été livrées en 2016, suivies de 80 places en 2017. Le réaménagement de l'unité sanitaire et du service médico-psychologique régional a donné lieu à une étude de faisabilité. En outre, la construction d'une structure d'accompagnement vers la sortie (SAS) de 120 places - dont 30 places de semi-liberté - est lancée : le marché a été notifié pour une livraison prévue en 2024.

La Guadeloupe devrait connaître deux réalisations majeures dans les prochaines années :

- la démolition de la très vétuste maison d'arrêt de Basse-Terre et sa reconstruction sur le même site - contigu à la cour d'appel - devraient intervenir, selon la direction de l'administration pénitentiaire, à l'horizon 2025. La nouvelle maison d'arrêt devrait être dotée d'une capacité de 200 places, accueillant seulement des détenus hommes majeurs. 178 de ces places seraient affectées au régime maison d'arrêt, 12 places en quartier arrivants et 10 places en semi-liberté ;

- le centre pénitentiaire de Baie-Mahault devrait faire l'objet d'une extension majeure, avec la création de 300 nouvelles places réparties en deux quartiers maison d'arrêt, un quartier d'accueil et d'évaluation et un quartier de semi-liberté ainsi que la reconstruction du quartier disciplinaire et du quartier d'isolement. Le garde des Sceaux a posé la première pierre de cette extension le 17 mai dernier. Dans un second temps, une réhabilitation des bâtiments abritant les fonctions supports existantes devrait être réalisée pour répondre aux besoins liés à l'accroissement de capacité du centre.

La collectivité de Saint-Martin réclame la présence sur l'île d'une prison, au regard du nombre de Saint-Martinois sous écrous à Baie-Mahault, qui ne peuvent recevoir la visite de leur famille compte tenu des frais de déplacement vers la Guadeloupe.

II. L'INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DU CONTEXTE CARIBÉEN

L'action de l'État aux Antilles s'inscrit dans un contexte éloigné de l'hexagone et particulièrement spécifique : l'arc Caribéen. Ces territoires représentent une chance pour le rayonnement et l'implantation de la France dans la région. Or, cette réalité semble aujourd'hui largement ignorée : la spécificité caribéenne de ces territoires demeure un angle mort des politiques publiques que l'État y conduit.

La Caraïbe : un ensemble régional vaste et très hétérogène

L'espace Caraïbe est un ensemble formé de 38 pays et territoires s'étendant sur plus de 5,2 millions de km² (soit dix fois la superficie de la France métropolitaine). La population s'élève à près de 250 millions d'habitants, soit environ 4 % de la population mondiale.

Carte de l'espace caribéen (avec un focus sur les Petites Antilles)

Source : Rapport d'information sénatorial, 200926(*)

Elle comporte des territoires d'une grande diversité culturelle, linguistique, politique et économique et dont la géographie est particulièrement morcelée.

En effet, la contrainte insulaire explique en large partie ce morcellement. À l'exception des grandes îles d'Hispaniola (environ 75.000 km²) et de Cuba (de l'ordre de 11.000 km²), l'archipel des Caraïbes regroupe une multitude d'îles de petite voire très petite taille historiquement relativement pauvres. Avec près de 10 millions d'habitants chacun, Cuba, la République dominicaine et Haïti concentrent sur deux îles les ¾ de la population.

Au plan politique, la Caraïbe se partage entre 14 États majoritairement indépendants (des États insulaires de petite taille ou des États continentaux comme le Mexique), auxquels s'ajoutent 17 territoires rattachées à d'autres États extra-caribéens (collectivités d'outre-mer françaises, néerlandaises et britanniques mais également territoires insulaires non indépendants comme Porto Rico). Le régime démocratique est très majoritaire, que ce soit sous sa forme républicaine (Haïti, La Dominique) ou monarchique (ainsi les monarchies constitutionnelles de Grenade, Jamaïque, Sainte-Lucie ou des Bahamas). Certains de ces territoires sont des régions ultramarines périphériques de l'Union européenne (Guadeloupe, Martinique, Guyane et Saint-Martin) et d'autres sont des pays et territoires d'outre-mer de l'Union européenne (PTOM) (principalement les territoires ultramarins néerlandais, et singulièrement Saint-Barthélemy). De ces statuts et processus historiques différents découlent aujourd'hui des systèmes juridiques, des normes et des règlementations différentes qui sont autant de freins au développement de l'intégration régionale.

En outre, cet espace est profondément marqué par une grande hétérogénéité des situations économiques qui implique de fortes conséquences sur le développement social de ces territoires. Ainsi cohabitent au sein d'un même espace régional des États parmi les plus pauvres du monde, à l'exemple de Haïti classé 163ème pays mondial en matière d'indice de développement humain (IDH) et disposant d'un PIB/habitant de 1 815 USD (soit environ 1 620 euros), et Porto Rico, classé 63ème sur l'IDH et disposant d'un PIB/habitant de 32 290 USD (soit environ 28 800 euros), soit près de 18 fois supérieur à celui d'Haïti27(*).

Sur ce point, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Saint-Martin dont les PIB/habitant respectifs sont 23 200 euros, 24 400 euros, 15 100 euros et 16 572 euros, se situent dans la fourchette haute de ces classements pour la Caraïbe28(*).

En outre, un fond identitaire commun rassemble la zone Caraïbe. Il se lit non seulement dans l'usage très largement majoritaire de la langue espagnole, mais également dans un style de vie commun ou dans le fort métissage des populations, lié à la fois à la colonisation et à l'importation d'esclaves en provenance d'Afrique. Toutefois une grande diversité linguistique se fait jour sur ces territoires, puisque cinq aires linguistiques principales peuvent être distinguées : un espace hispanophone, un espace anglophone, un espace néerlandophone, un espace lusophone et enfin, un espace francophone.

La mission a, également, entendu les appels des élus locaux suggérant de « décentrer » la vision de l'État vers la Caraïbe, et estime, en conséquence, indispensable de dépasser la relation exclusive collectivité-hexagone pour l'enrichir d'initiatives locales de coopération avec les îles avoisinantes.

Forte de ces constats, la mission est ainsi convaincue que le renforcement de l'insertion des collectivités antillaises au sein de leur environnement régional répond à la fois à l'intérêt des collectivités concernées et à celui de la République dans son ensemble. Elle appelle donc à son renforcement concret et pragmatique tant par des actions résolues et adaptées des services de l'État que par le soutien d'initiatives locales prometteuses.

A. DÉPASSER LA RELATION AUTO-CENTRÉE ET EXCLUSIVE COLLECTIVITÉ-HEXAGONE

Si les collectivités des Antilles françaises, en dépit de leur éloignement géographique, entretiennent des liens étroits avec l'hexagone, leurs relations avec les pays et territoires voisins demeurent assez limitées. Or, l'ensemble des acteurs rencontrés, qu'ils soient politiques, économiques, culturels ou sociaux, ont fait valoir les bénéfices importants qu'une meilleure insertion des Antilles françaises pourrait apporter tant du point de vue économique que dans des domaines comme la protection de l'environnement - avec l'exemple des sargasses -, la lutte contre les trafics internationaux de stupéfiants ou d'armes, ou encore en matière culturelle.

1. Une insertion régionale largement décidée et mise en oeuvre par l'hexagone

Si, depuis près de deux décennies, des efforts ont sans conteste été déployés pour mieux insérer les collectivités antillaises dans leur environnement géographique immédiat, force est de constater que leur insertion régionale est encore non seulement perfectible mais surtout largement décidée et mise en oeuvre par l'hexagone. Cela tient très largement à la nature des outils et instruments juridiques de coopération existants.

Historiquement, du fait du principe de souveraineté et d'unité de l'État, celui-ci a été réticent à permettre aux collectivités territoriales de s'engager juridiquement et diplomatiquement dans la voie d'accords interétatiques ou bilatéraux. En l'occurrence, les articles 52 et 53 de la Constitution reconnaissent une compétence exclusive au Président de la République en matière de négociation et de ratification des traités ainsi qu'au Gouvernement pour approuver et signer les accords internationaux en forme simplifiée. Par ces mêmes articles, est reconnue une compétence exclusive du législateur s'agissant de la ratification et de l'approbation des accords internationaux. C'est pourquoi, l'ancien article L. 1112-5 du code général des collectivités territoriales disposait jusqu'en 2000 qu'« aucune convention, de quelque nature que ce soit, ne peut être passée entre une collectivité territoriale et un État étranger ».

Toutefois, face aux demandes des exécutifs locaux et aux coopérations de fait existant entre les territoires ultramarins, l'insertion des collectivités ultramarines dans leur environnement régional est récemment devenue une préoccupation du législateur comme de l'État. Ainsi, la première loi ayant renforcé et adapté les instruments juridiques de coopération régionale pour les territoires ultramarins est la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer, dite loi « DOM ». Les innovations prévues en la matière par cette loi sont de trois ordres :

- en premier lieu, la possibilité de conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux dans leur environnement régional ;

Ont ainsi été introduits dans le code général des collectivités territoriales (CGCT) plusieurs articles29(*) offrant, dans certains cas, aux collectivités ultramarines ainsi qu'à leur président des attributions nouvelles en matière de négociation et de signature d'accords entre la République et les États, territoires ou organismes régionaux voisins.

Ainsi, l'article L. 3441-3 du CGCT permet, en son premier alinéa, aux autorités de la République de délivrer pouvoir aux présidents des conseils généraux des départements d'outre-mer pour négocier et signer des accords dans les domaines de compétence de l'État avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux voisins, y compris ceux dépendant des institutions spécialisées des Nations unies.

Dans le cas où il n'est pas fait application de ces dispositions, le président du conseil départemental ou régional (ou son représentant) peut être associé, ou participer au sein de la délégation française, aux négociations sur ces accords.

En outre, en application des articles L. 3442-4 et L. 4433-4-3 du CGCT, le conseil départemental et le conseil régional de Guadeloupe peuvent, respectivement dans les domaines de compétence du département et dans ceux de la région, demander aux autorités de la République d'autoriser leur président à négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République, des accords avec des États, territoires ou organismes régionaux voisins.

Ces différentes prérogatives, reconnues jusqu'en 2015 au conseil départemental et au conseil régional de Martinique ou à leurs présidents ont été conférées, selon le cas, à l'assemblée de Martinique ou au président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique30(*) ;

- en deuxième lieu, la nomination d'un ambassadeur chargé de la coopération régionale dans le bassin Atlantique et de la représentation de la République au sein des différentes instances de coopération régionale.

Pour animer cette coopération, a été créée une instance de concertation des politiques de coopération régionale dans la zone Antilles-Guyane, par l'article L. 4433-4-7 du CGCT. Composée de représentants de l'État, des conseils régionaux et départementaux et des représentants de chaque collectivité, cette instance est présidée par un ambassadeur chargé de la coopération régionale dans le bassin Atlantique. Ce dernier a également la charge de représenter la République au sein des différentes instances de coopération régionale, singulièrement la CARICOM - Communauté des Caraïbes - et l'Association des États de la Caraïbe ;

- en dernier lieu, la mobilisation d'instruments financiers spécifiques.

Pour financer les actions régionales de coopération, il existe depuis la loi « DOM » précitée, des fonds de coopération régionale (FCR), créés dans chaque région d'outre-mer sur le fondement de l'article L. 4433-4-6 du code général des collectivités territoriales.

Abondés par l'État, ces fonds interviennent en co-financement des projets initiés par des acteurs publics ou des personnes privés et peuvent également recevoir des dotations du département, de la région ou de toute autre collectivité ou organisme public. Les projets sont préalablement soumis à un comité de gestion, composé du préfet de région, de trois représentants de l'État, de deux représentants de la région et de deux représentants du conseil départemental.

Ces instruments ont, par la suite, été améliorés et renforcés par la loi dite « Letchimy » de 2016 qui a permis, à titre principal, aux collectivités ultramarines, dans certains cas, d'adhérer ou d'entrer au capital de banques régionales de développement ou d'institutions financières dont la France est membre et d'affecter des agents territoriaux auprès des représentations diplomatiques ainsi que, sous certaines conditions, de leur donner accès à des privilèges et immunités nécessaires à leurs fonction.

Les lois dites « DOM » et « Letchimy » ont donc constitué, à cet égard, des ruptures majeures et des avancées historiques pour faciliter la coopération régionale, notamment des collectivités antillaises au sein de l'arc Caribéen.

Toutefois, bien que l'ensemble de ces instruments aillent dans le sens favorable d'une meilleure intégration des collectivités ultramarines dans leur environnement, les rapporteurs notent que l'ensemble de ces instruments est aujourd'hui particulièrement médié par l'hexagone dans leur utilisation concrète. Les instruments juridiques existants dépendent en effet largement de l'accord exprès des autorités de l'État mais également de leur bonne volonté dans la coopération.

De fait, si les dispositions de la loi dite « DOM » ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, cela n'a été possible qu'au prix de quatre réserves d'interprétations, confortant le principe d'unité de la République et les compétences des autorités nationales en matière diplomatique :

« le législateur a pu, sans porter atteinte ni à l'exercice de la souveraineté nationale ni aux prérogatives réservées à l'État par le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, autoriser les présidents des conseils généraux des départements d'outre-mer et des conseils régionaux de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de la Réunion à négocier et signer des accords dans les domaines de compétence de l'État, dès lors que, pour ce faire, le président du conseil général ou celui du conseil régional doit avoir expressément reçu des autorités de la République les pouvoirs appropriés et que ces accords demeurent soumis aux procédures prévues par les articles 52 et 53 de la Constitution » ;

- « que, lorsqu'ils négocient ou signent les accords en cause, les présidents des conseils généraux ou des conseils régionaux agissent comme représentants de l'État et au nom de la République française ; qu'ils doivent, dans l'exécution de leur mandat, mettre en oeuvre les instructions qui leur sont données par les autorités de la République compétentes ; que ces mêmes autorités restent libres de délivrer pouvoir à d'autres plénipotentiaires ou de ne délivrer pouvoir aux présidents des conseils généraux ou régionaux que pour l'une seulement des phases de négociation et de signature ; qu'elles peuvent retirer à tout moment les pouvoirs ainsi confiés » ;

- qu'ils doivent « négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République, des accords avec des États, territoires ou organismes régionaux voisins ; »

- et « que les autorités compétentes de la République ont un pouvoir discrétionnaire d'appréciation et de décision quant à la mise en oeuvre [de ces dispositions et qu'elles] conservent toute liberté pour donner pouvoir, aux fins de signature de l'accord, à la personne de leur choix, y compris aux présidents des conseils généraux ou régionaux intéressés [indépendamment de l'avis émis par les assemblées délibérantes des collectivités précitées] »31(*).

Au surplus, les représentants des collectivités d'outre-mer rencontrés semblent se heurter dans ce domaine à une faible voire mauvaise volonté des services de l'État, et en particulier du Quai d'Orsay, ainsi qu'à une certaine inertie de l'administration. Ainsi, Serge Letchimy, président de la collectivité territoriale de Martinique, a fait valoir que sur ce sujet « l'infantilisation des collectivités ultramarines par l'État était à son comble ».

Auditionné par la mission, l'ambassadeur en charge de la coopération du bassin Atlantique a justement fait valoir que la pandémie de la covid-19 a considérablement ralenti les échanges politiques et diplomatiques dans cette région, aboutissant par exemple au report pendant près de trois années de la réunion annuelle de la conférence Antilles-Guyane.

L'ensemble de ces éléments conduit les acteurs politiques locaux à s'insérer avec difficultés dans leur environnement régional immédiat alors même que leurs revendications vont grandissantes en la matière.

2. L'affirmation d'une « culture caribéenne » et la volonté de tisser des liens avec des partenaires naturels et voisins

L'Appel de Fort-de-France est éclairant quant à la volonté des collectivités ultramarines, singulièrement antillaises, de voir leur spécificité caribéenne mieux reconnue. S'y exprime le besoin de reconnaissance d'une situation géographique et historique singulière, notamment par la reconnaissance « des réalités de chacune de nos régions » et des « atouts notamment géostratégiques et écologiques »32(*).

Comme Serge Letchimy, président de la collectivité territoriale de Martinique, qui évoquait un « double positionnement » des populations antillaises, Guy Losbar, président du conseil départemental de Guadeloupe, a rappelé aux rapporteurs la nécessité de penser les collectivités françaises comme des « territoires frontaliers de la Caraïbe » et d'un « archipel dans l'archipel France ». De même, à Saint-Martin, le président de la collectivité, Louis Mussington, a souligné lors de son audition le nombre important de jeunes saint-martinois dont l'anglais était la langue principale suivie du français créolisé.

À Saint-Barthélemy, le président de la collectivité, Xavier Lédée, sans aller jusqu'à revendiquer un héritage caribéen, a rappelé aux rapporteurs le bassin économique et touristique dans lequel le territoire se situe et pointé la spécificité de cette île française dans un environnement caribéen très américanisé.

Pour rendre concrète cette affirmation d'une culture caribéenne propre, les RUP françaises ont entamé depuis quelques années des démarches spécifiques en vue d'adhérer aux organisations régionales et s'inscrivent dans une démarche proactive de renforcement de leurs liens et interactions avec certains des États et territoires de l'espace de coopération.

Ainsi, depuis 2017, la Martinique et la Guadeloupe ont formulé leur candidature à l'adhésion à la CARICOM et, en 2019, la Guadeloupe est devenue membre associé et Saint-Martin membre observateur de l'Organisation des États de la Caraïbe Orientale (OECO). La Martinique est membre associée de l'OECO depuis 2015.

3. Entre nécessité économique et intérêts réciproques : les enjeux majeurs de la coopération

La politique d'insertion régionale présente des intérêts potentiels diversifiés et majeurs pour les collectivités ultramarines et, plus largement, pour la République.

En premier lieu, comme l'a fait valoir Serge Letchimy, président de la collectivité territoriale de Martinique, lors de son audition par la mission, l'insertion des Antilles françaises au sein de leur environnement régional est d'abord une nécessité économique : elle permettrait de renforcer la consommation de produits locaux et de spécialiser les différentes îles de la Caraïbe dont la taille n'est pas assez critique pour leur permettre de développer l'ensemble des activités économiques et agricoles nécessaires aux besoins des populations. Il a indiqué aux rapporteurs que près de 80 % des produits consommés en Martinique étaient importés, et que 83 % de ceux-ci étaient originaires d'Europe. En outre, bien que les économies caribéennes soient globalement ouvertes au commerce international, les échanges intra régionaux comptent pour seulement 13 % des échanges commerciaux totaux, et seuls 1,5 % de l'investissement direct étranger (IDE) est régional.

Les rapporteurs ont ainsi trouvé leur conviction renforcée sur ce point par leurs différentes auditions : une véritable intégration économique régionale serait de nature à renforcer considérablement le développement économique des collectivités ultramarines. Ce constat, partagé par le président du conseil départemental de la Guadeloupe, Guy Losbar, s'appuie sur une réalité économique : la zone Caraïbes-Guyane représente un vaste marché potentiel de 250 millions d'habitants.

En deuxième lieu, le renforcement de la coopération régionale répond également aux intérêts communs des collectivités antillaises françaises et des pays et territoires voisins.

Qu'il s'agisse de l'énergie, des transports, de l'environnement et de la protection civile ou de la santé, des mutualisations et des projets conjoints seraient dans l'intérêt de toutes les parties. Deux exemples, de nature très différente, méritent d'être soulignés à cet égard :

- d'une part, comme l'ont fait valoir les acteurs locaux rencontrés par la mission, la gestion des sargasses, spécifiquement par la Guadeloupe qui est à l'initiative du plan régional Sarg'Coop, ne peut se résumer à un plan applicable sur les seuls territoires français tant cet enjeu est régional par ses conséquences et procède de changements environnementaux diffus et multiples ;

- d'autre part, l'emploi de travailleurs saisonniers, en particulier à Saint-Barthélemy, originaires d'Antigua ou d'Anguilla, mais également en Guadeloupe, pourrait être facilité par des dispositifs spécifiques et régionaux. Cet exemple a été, à plusieurs reprises, évoqué tant par des acteurs politiques que des acteurs économiques particulièrement confrontés à des difficultés de main d'oeuvre saisonnière qui pourraient trouver une solution dans l'environnement régional immédiat de ces collectivités françaises.

En troisième lieu, le développement de trafics internationaux criminels, principalement liés à la circulation et au commerce de stupéfiants et d'armes, pose avec une acuité particulièrement la nécessité de coopérations étroites avec les autres États caribéens dans les matières régaliennes.

Ainsi, une coopération étroite avec Sainte-Lucie et La Dominique est une nécessité pour la Martinique et la Guadeloupe, étant donné que ces territoires sont situés à quelques miles nautiques de distance, rendant poreuses les frontières entre ces différents territoires.

En dernier lieu, le renforcement de l'insertion régionale des régions d'outre-mer permettrait d'accroître l'influence politique et stratégique de la France dans cette région, qui pourrait également être la porte d'entrée de l'Europe dans l'arc Caribéen, en particulier depuis la sortie du Royaume-Uni et de ses territoires ultramarins de l'Union européenne entraînant, par suite, la perte de leur statut de RUP.

À cet égard, l'on peut souligner l'atout que représente, pour la République, la francophonie fortement présente dans la région.

4. La spécificité de Saint-Martin

Comme l'ont constaté les rapporteurs lors de leur déplacement, la double nationalité de l'île de Saint-Martin, sans que la frontière soit matérialisée entre les parties française et néerlandaise, est au coeur de son équilibre économique et social.

L'île de Saint-Martin est une île binationale de 87 km² partagée politiquement entre côté français au nord (56 km²) et côté hollandais au sud (34 km²), avec une population, multinationale, multiethnique et multiculturelle.

Carte de l'île de Saint-Martin

Source : dossier territorial de la préfecture

Pour autant, les rapporteurs ont pu le constater lors de leur déplacement : l'existence de cette frontière administrative n'est pas un élément tangible à l'échelle du territoire tant les flux et les interdépendances sont nombreux.

Démarcation de la frontière entre Saint-Martin et Sint-Maarten
par un simple panneau de signalisation

Source : Guadeloupe la 1ère

Aujourd'hui encore en vigueur, le traité dit de Concordia, du 23 mars 1648 organise le partage de Saint-Martin entre la France et les Pays-Bas, assure une libre circulation des biens et des personnes, et implique une obligation d'entraide entre les deux parties de l'île.

La coexistence de deux collectivités de nationalités et de statuts européens différents sur un même territoire insulaire, mais avec la libre circulation des habitants, rend nécessaire une coopération très resserrée.

Sint-Maarten : un territoire néerlandais très avancé dans l'autonomie

Territoire néerlandais des Antilles ayant le statut de « pays », Sint-Maarten bénéficie d'un haut degré d'autonomie interne. La Constitution de Sint-Maarten a été adoptée le 21 juillet 2010. Le territoire dispose d'un Parlement démocratiquement élu et de son propre gouvernement compétent pour élaborer la législation relative aux affaires internes. Sint-Maarten dispose de son propre ministère de la justice et d'une banque centrale commune avec Curaçao, l'unité monétaire étant le Florin caraïbe. En outre, comme Saint-Barthélemy, Sint-Maarten constitue un PTOM.

L'exécutif du Royaume des Pays-Bas est représenté par un gouverneur. À ses côtés, existe une représentation des Pays-Bas où tous les ministères néerlandais sont représentés, à l'exception de la défense et des affaires étrangères, matières qui demeurent de la compétence du Royaume. Les Pays-Bas coopèrent avec les autorités de Sint-Maarten en matière de justice, de lutte contre la corruption et la criminalité internationale, ainsi que pour le maintien de l'ordre public.

Rendue difficile par les différences de statut et l'instabilité des gouvernements de Sint-Maarten (dix gouvernements en dix ans), cette coopération n'est pas aujourd'hui à la hauteur de ces enjeux. Sur ce point, le rapport du préfet Philippe Gustin (2017) incite à rééquilibrer les relations entre les parties française et néerlandaise de Saint-Martin en renforçant la coopération bilatérale, par exemple via la relance du forum de dialogue dit « Q4 » qui regroupe les gouvernements français et néerlandais, la collectivité de Saint-Martin et le gouvernement de Sint Maarten.

En octobre 2020, la Première ministre de Sint-Maarten et l'ancien président du conseil territorial de Saint-Martin, Daniel Gibbs, ont marqué leur volonté d'accélérer les démarches pour la création du United Congress, qui serait un organe institutionnel conjoint. Celles-ci n'ont toutefois, à la connaissance des rapporteurs, pas abouti à ce jour.

Dans ce contexte particulier, la coopération entre les deux territoires est, selon les rapporteurs, une nécessité et représente un défi majeur. Ils soulignent d'ailleurs à cet égard qu'a pu être surmontée récemment une difficulté relative au tracé de la frontière, à Oyster Bay, montrant la qualité de la coopération diplomatique tant au niveau des États français et néerlandais que des collectivités de Saint-Martin et Sint-Maarten33(*).

En effet, la petite taille de l'île appelle à la construction de réponses conjointes à des problématiques auxquelles le territoire et ses habitants sont confrontés, qu'ils se situent dans la partie néerlandaise ou française.

À titre d'exemple, certaines infrastructures nécessaires au développement économique et à la vie quotidienne des deux parties de l'île sont réparties de part et d'autre de la frontière : il en va ainsi de l'aéroport international Princesse Juliana qui se situe sur la partie hollandaise de l'île, de même que du port autonome de Marigot et de la Marina de Fort Louis qui sont, quant à eux, sous pavillon français.

En outre, les risques naturels majeurs susceptibles de survenir à Saint-Martin rendent particulièrement indispensables le développement de réponses coordonnées en cas d'évènement majeur comme l'ouragan Irma qui a dévasté l'île en 2017.

B. UNE INSERTION DANS L'ENVIRONNEMENT RÉGIONAL À RENFORCER

Convaincue que la position géographique de ces territoires représente une chance pour le rayonnement et l'implantation de la France dans la région comme pour les populations des territoires ultramarins, il apparaît indispensable à la mission de renforcer l'insertion de ces collectivités et la présence française dans la Caraïbe, y compris sur des matières régaliennes, par trois principales actions.

Les rapporteurs soulignent que cette nécessité avait déjà été amplement soulignée par le Sénat en 200934(*) et regrettent que les progrès accomplis au cours des quinze dernières années aient été si modiques. Ils appellent donc à une prise de conscience réelle en la matière permettant des actions concrètes.

1. Une coopération nécessaire avec les îles avoisinantes dans le domaine de la justice, de la sécurité et de l'immigration pour l'État et ses services

Il convient, en premier lieu, de renforcer la coopération avec les îles avoisinantes dans l'ensemble des matières régaliennes.

Les forces de sécurité intérieure comme les acteurs judicaires de Guadeloupe et de Martinique ont indiqué, à la mission, avoir initié des coopérations bilatérales, en particulier avec Sainte-Lucie et La Dominique, sur le modèle des coopérations existantes entre la France et l'Espagne en matière de terrorisme et de criminalité organisée.

Selon les rapporteurs, cet effort devrait être prolongé par deux moyens :

- d'une part, en systématisant l'échange d'informations et la formation des personnels des forces de sécurité intérieure avec Sainte-Lucie, La Dominique, Antigua ou encore la partie hollandaise de Saint-Martin ;

- d'autre part, en améliorant la coopération judiciaire, notamment par la nomination de magistrats de liaisons et le développement d'accords judiciaires bilatéraux pour lutter plus efficacement contre les trafics internationaux d'armes et de drogue. À cet égard, les rapporteurs se félicitent de l'annonce faite par le garde des sceaux, en mai dernier, de l'installation d'un magistrat de liaison à Sainte-Lucie, qui permettra d'assurer une coopération opérationnelle effective dans le cadre notamment de la convention d'entraide judiciaire et de la convention d'extradition conclues en 2016 avec le gouvernement de Sainte-Lucie.

Proposition n° 11 : Améliorer la coopération en matière judiciaire, par la nomination de magistrats de liaison, notamment à Sainte-Lucie, et le développement d'accords judiciaires bilatéraux pour lutter plus efficacement contre les trafics internationaux d'armes et de drogue.

Ces coopérations en matière régalienne apparaissent d'autant plus nécessaires compte tenu de l'instabilité de certains pays dans l'environnement proche de ces territoires sont relativement instables.

Si la pression migratoire qui s'exerce sur les territoires français des Antilles semble aujourd'hui, au plan strictement quantitatif, plus limitée qu'il y a quelques années, comme l'a montré le taux d'occupation réduit du centre de rétention administrative des Abymes en Guadeloupe, seul centre des Antilles, lors de la visite de la mission sur place - de l'ordre de 60 % de la capacité d'occupation maximale avec 22 places pour les hommes et 18 pour les femmes - la situation peut en effet être amenée à changer.

Ainsi, l'attention des rapporteurs a été, à plusieurs reprises, attirée sur la situation d'Haïti. En effet, compte tenu de l'état de décrépitude de l'État d'Haïti et du séisme régional que pourrait produire l'implosion de ce territoire très peuplé en comparaison des autres îles de la Caraïbe, souligné par de nombreux acteurs auditionnés, celui-ci doit être surveillé de près et accompagné par des coopérations efficaces tant il pourrait être « une bombe à retardement » pour les Antilles françaises.

C'est pourquoi, les rapporteurs appellent le Gouvernement à consolider les relations diplomatiques existantes avec les pays voisins, singulièrement Haïti, pour garantir l'effectivité des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre des ressortissants des îles avoisinantes.

Proposition n° 5 : Renforcer la coopération avec les îles avoisinantes en matière de sécurité et de renseignement, en systématisant les coopérations bilatérales visant à l'échange d'informations et à la formation de personnels des forces de sécurité intérieure comme avec Sainte-Lucie ou la partie hollandaise de Saint-Martin.

Proposition n° 6 : Garantir, par la consolidation des relations diplomatiques existantes, l'effectivité des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre des ressortissants des îles avoisinantes.

2. L'intégration aux structures de coopération régionales à renforcer

Constatant que la France s'était, pendant de trop nombreuses années, tenue éloignée des organisations de coopération régionales économiques ou culturelles, la mission estime indispensable de renforcer la présence française en leur sein et d'y associer pleinement les collectivités antillaises volontaires.

Les différentes organisations régionales dans la zone Antilles-Guyane

1°) La Communauté des Caraïbes (CARICOM)

Créée en août 1973, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) réunit 15 États et territoires associés. Si elle a pour premier objectif la création d'une zone de libre-échange, ses missions comportent également la coordination des politiques dans le domaine des transports, du financement, du développement industriel et régional, ainsi que de la collecte des statistiques. Le 30 janvier 2006, à Kingston, en Jamaïque, a été inauguré le marché unique de la CARICOM, le CARICOM single market and economy (CSME), entre six pays (la Barbade, le Belize, le Guyana, la Jamaïque, le Surinam et Trinité-et-Tobago), rejoints le 30 juin 2006 par les pays de l'Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO).

Le CARIFORUM (forum des États ACP de la région Caraïbe), créé en 1992, est composé des membres de la CARICOM auxquels s'ajoutent Cuba et la République dominicaine. L'objet de l'organisation est de rassembler les pays ACP de la région en vue des négociations commerciales avec l'Union européenne.

Un accord de partenariat économique (APE) entre le CARIFORUM et l'Union européenne, paraphé le 16 décembre 2007, a été officiellement signé le 15 octobre 2008. Il couvre les échanges commerciaux de marchandises et de services et contient des accords relatifs aux domaines touchant au commerce et à la coopération au développement.

2°) L'Organisation des États de la Caraïbe Orientale (OECO)

L'Organisation des États de la Caraïbe Orientale a été créée en 1981 pour succéder au Marché commun des Antilles orientales mis en place en 1968. Cette organisation se compose de :

- 7 membres fondateurs, membres de plein droit : Antigua et Barbuda, le Commonwealth de la Dominique, Grenade, Montserrat, Saint-Kitts et Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent et les Grenadines ;

- et 4 membres associés : les Îles Vierges britanniques, Anguilla, la Martinique (depuis février 2015) et la Guadeloupe (depuis mars 2019).

Elle a pour objectif de développer la croissance de la région et d'aider ses membres à formuler et à mettre en oeuvre des politiques cohérentes en vue de favoriser leur insertion dans l'économie régionale et mondiale. En 1983, l'OECO s'est dotée d'une monnaie unique, le dollar de la Caraïbe orientale, et en 1991 elle a mis en place un marché unique (« OECS Single Market »). Le 30 juin 2006, l'OECO a rejoint le marché unique de la CARICOM (« Caribbean Single Market and Economy »).

Le Traité de Basseterre révisé, signé le 18 juin 2010, a institué l'Union économique de la Caraïbe orientale. Entré en vigueur en 2011, il renforce la libre circulation des personnes, des biens et services et des capitaux dans les États membres de plein droit de l'OECO.

3°) L'Association des États de la Caraïbe (AEC)

L'Association des États de la Caraïbe (AEC) a été mise en place le 24 juillet 1994 à Carthagène, en Colombie, dans le but de promouvoir la consultation, la coopération et l'action concertée entre tous les pays de la Caraïbe. Elle compte 25 États membres et plusieurs membres associés France: dont la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

L'AEC a pour objet de renforcer le processus régional de coopération et d'intégration afin de créer un espace économique élargi dans la région, de préserver l'intégrité environnementale de la mer des Caraïbes et de promouvoir le développement durable de la Grande Caraïbe.

Les projets de coopération technique régionale développés par l'AEC se concentrent sur quatre domaines d'action prioritaires : le commerce, les transports, le tourisme durable et la prévention des catastrophes naturelles.

Un certain nombre d'accords, de protocoles et de conventions sont sur le point d'être ratifiés : l'accord pour la coopération régionale en matière de catastrophes naturelles ; le protocole sur les privilèges et immunités ; la convention pour la création de la zone de tourisme durable de la Grande Caraïbe ; le protocole à la convention pour la création de la zone de tourisme durable de la Grande Caraïbe et l'accord sur le transport aérien. Ainsi pourrait être institué un cadre politique et légal de coopération régionale dans la Grande Caraïbe.

Source : Programme Interreg

Sur ce point, la demande de la collectivité territoriale de Martinique et de la région de Guadeloupe d'être associées à la CARICOM mérite d'être entendue et accompagnée par l'État.

Proposition n° 13 : Renforcer la présence de la France au sein des organisations de coopération régionales économiques comme culturelles, en associant les collectivités antillaises volontaires et en les accompagnant dans leur démarche d'association, en particulier la CARICOM.

Les rapporteurs soulignent que le renforcement de la coopération régionale ne saurait se faire sans les collectivités territoriales qui ont toutes formulé des demandes en ce sens. Ils appellent en conséquence l'État à faciliter l'usage par les collectivités antillaises des possibilités préexistantes de proposer et de négocier des accords internationaux avec des pays tiers ou des organisations régionales.

Le premier élément du renforcement de la coopération régionale réside inévitablement dans la meilleure utilisation de l'ensemble des potentialités déjà offertes par les dispositions du code général des collectivités territoriales en matière de conclusion d'accords internationaux.

Proposition n° 14 : Faciliter l'usage par les collectivités antillaises des possibilités existantes de proposer et de négocier des accords internationaux avec des pays tiers ou des organisations régionales.

Il est également nécessaire de doter les préfets de Martinique et de Guadeloupe d'un conseiller diplomatique - ceux-ci étant les seuls préfets en poste outre-mer à ne pas en bénéficier - afin de disposer d'un « ensemblier » de la coopération à l'échelle de chacun des quatre territoires.

Comme l'a récemment fait valoir un rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer, « l'appui d'un conseiller diplomatique affecté auprès de chaque préfet en outre-mer, en complément des trois ambassadeurs à la coopération régionale, constituerait un atout » pour renforcer et approfondir la coopération régionale entre les territoires des Antilles françaises et leurs voisins mais aussi contraindre l'État et ses services à un nécessaire aggiornamento dans leur approche de ces territoires français et caribéens35(*).

Proposition n° 15 : Affecter auprès de chaque préfet un conseiller diplomatique, chargé de l'intégration régionale dans le territoire et ensemblier des actions de coopération au sein de l'environnement caribéen.

3. La volonté de développer une coopération au niveau des autorités locales par des outils de coopération diversifiés

La mission, convaincue par les appels des élus locaux à « décentrer » la vision de l'État vers la Caraïbe, estime en conséquence indispensable de dépasser la relation exclusive collectivité-hexagone pour l'enrichir d'initiatives locales de coopération avec les îles avoisinantes.

Il est ainsi nécessaire, à titre principal, de développer des coopérations de « projets » initiées par les collectivités et visant à répondre concrètement à des problématiques affectant l'ensemble de la région, telles que les sargasses, ou la prévention des risques naturels majeurs, comme les épisodes cycloniques.

Convaincus que l'insertion régionale ni ne se décrète ni ne se limite à la participation à des instances régionales, les rapporteurs insistent sur la nécessité d'approfondir la coopération régionale par des projets concrets dans des domaines structurants pour les populations des territoires concernés.

À cet égard, le plan Sarg'Coop développé par les collectivités guadeloupéennes, avec l'appui des services préfectoraux, mérite d'être citée en exemple d'une coopération politique, diplomatique, économique, sociale et environnementale prometteuse et qui doit bénéficier du plein soutien de l'État. Pour la mission, ce type d'initiative mériterait d'être généralisé.

Le plan Sarg'Coop : un plan ambitieux et d'initiative locale
de coopération régionale centré sur la gestion des sargasses

Dans le cadre de la lutte contre les nuisances liées aux échouages des algues sargasses dans la Caraïbe, le conseil régional de la Guadeloupe a conçu un projet régional appelé Sarg'Coop. Il vise à renforcer la préparation des territoires caribéens et leur résilience face aux catastrophes naturelles et en l'occurrence l'invasion d'algues sargasses. Il est doté d'un budget de 3 062 254 euros financé à 57 % par le FEDER.

Pour ce faire, sont menées des actions consistant à renforcer la coopération caribéenne en créant des instances et outils facilitant le partage des connaissances et des savoir-faire en matière de gestion des échouages des algues sargasses.

Il vise par ailleurs à développer un réseau d'observation, de surveillance et d'alerte ainsi qu'un réseau pluridisciplinaire de professionnels en créant un Centre d'alerte et de surveillance caribéen en charge de la télédétection et de la mesure de la qualité de l'air.

Pour atteindre ces objectifs, le conseil régional de la Guadeloupe a mis en place quatre groupes de travail sectoriels :

- mise en place d'un portail et animation du réseau ;

- télédétection pour instituer un réseau mutualisé de surveillance des algues par satellite ;

- qualité de l'air et santé ; et

- internationalisation du programme.

Source : conseil régional de Guadeloupe

Proposition n° 16 : Encourager et accompagner le développement de coopérations « de projets » sur les enjeux prioritaires des collectivités antillaises, en particulier la gestion des sargasses, la prévention des risques naturels majeurs ou le développement d'échanges culturels et éducatifs.

En second lieu, les rapporteurs préconisent de permettre aux collectivités antillaises volontaires, sur le modèle polynésien ou calédonien, de disposer de représentants au sein des organisations de coopération régionales et d'initier une réflexion sur l'ouverture d'une faculté de négociation d'arrangements administratifs avec les administrations de tout État ou territoire de la Caraïbe.

En effet, la Polynésie française comme la Nouvelle-Calédonie disposent, du fait de leur autonomie particulièrement avancée, de prérogatives plus importantes et moins médiées par l'hexagone en matière de coopération régionale et internationale.

Ainsi, en complément aux dispositifs applicables à l'ensemble des collectivités ultramarines, la Polynésie française peut, en application des articles 15 à 17 de la loi organique régissant son organisation36(*) :

- « disposer de représentations auprès de tout État ainsi que l'une de ses entités territoriales ou territoire reconnu par la République française ou de tout organisme international dont cette dernière est membre ou tout organisme international du Pacifique. Le président de la Polynésie française négocie l'ouverture de ces représentations et nomme les représentants » et en informe, simplement, les autorités de la République ; et

- « négocie[r], dans le respect et pour l'application des engagements internationaux de la République, des arrangements administratifs avec les administrations de tout État ou territoire du Pacifique, en vue de favoriser le développement économique, social et culturel de la Polynésie française » et doit simplement transmettre ces protocoles signés au Haut-commissaire de la République antérieurement à leur entrée en vigueur.

Des dispositions similaires ont été adoptées pour la Nouvelle-Calédonie37(*).

Ces instruments, utilisés par ces deux collectivités depuis plus d'une dizaine d'années, ont fait la preuve de leur utilité et pourraient être utilement octroyés aux collectivités antillaises volontaires afin de leur permettre de bénéficier de l'ensemble des outils de coopération régionale existants. Si ces outils ont initialement été confiés aux deux collectivités ultramarines les plus avancées dans l'autonomie, cette différence de statut ne semble aujourd'hui plus justifiée tant l'insertion dans l'environnement régional immédiat bénéficie aux territoires concernés comme à la République dans son ensemble.

C'est pourquoi, les rapporteurs préconisent de permettre aux collectivités antillaises volontaires, sur le modèle polynésien ou calédonien, de disposer de représentants au sein des organisations de coopération régionales et d'initier une réflexion sur l'ouverture d'une faculté de négociation d'arrangements administratifs avec les administrations de tout État ou territoire de la Caraïbe.

Proposition n° 18 : Permettre, sur le modèle de la Polynésie française ou de la Nouvelle-Calédonie, aux collectivités antillaises volontaires de disposer de représentants au sein des organisations régionales de coopération.

Proposition n° 19 : Initier une réflexion sur l'ouverture d'une faculté de négociation d'arrangements administratifs avec les administrations de tout État ou territoire de la Caraïbe, en vue de favoriser le développement économique, social et culturel des collectivités antillaises.

En dernier lieu, s'agissant spécifiquement de Saint-Martin, sa spécificité d'île binationale justifie la conclusion d'accords locaux de gestion de certains équipements utiles aux saint-martinois issus des deux parties de l'île, à l'exemple des installations aéroportuaires ou de la gestion de l'eau potable : de tels accords doivent être facilités tant par une implication volontariste de l'État que par leur reconnaissance juridique.

En effet, lors de leur déplacement, les rapporteurs ont été alertés par le président de la collectivité Louis Mussington sur les difficultés d'approvisionnement en eau potable de l'île, accentuées par des normes sanitaires françaises plus contraignantes à celles prévues dans la partie hollandaise. Ainsi, si les usines de production d'eau potables situées en partie française se conforment à des normes plus strictes, les usines hollandaises continuent de produire de l'eau selon des normes différentes, empêchant ainsi l'interconnexion des réseaux - alors que les outils d'interconnexion existent - sans pour autant empêcher les saint-martinois d'origine française d'acheter de l'eau produite selon les normes applicables en partie hollandaise dans les supermarchés hollandais.

Face à cette situation ubuesque et compte tenu des importants investissements devant être réalisés ces prochaines années pour améliorer la distribution de l'eau potable sur l'île, la collectivité entend renforcer la coopération en matière d'eau avec la partie hollandaise. Les rapporteurs préconisent, dès lors, de faciliter cette coopération et d'harmoniser rapidement, éventuellement au bénéfice d'un alignement sur la législation applicable à Sint-Maarten, les normes applicables, tant cette ressource est essentielle pour l'ensemble des saint-martinois.

Proposition n° 17 : Prendre pleinement en compte la spécificité de la présence hollandaise à Saint-Martin en facilitant le déploiement d'accords locaux de gestion de certains équipements entre les deux parties de l'île, à l'initiative de la collectivité et avec l'accompagnement de l'État (aéroports, ports, routes, production et distribution d'eau).

III. ASSURER EN PRIORITÉ L'EFFICIENCE DE L'ACTION PUBLIQUE LOCALE

A. LE CONSTAT : DES POSSIBILITÉS D'ACTION SPÉCIFIQUES INSUFFISAMMENT MISES EN oeUVRE EN RAISON DES FAIBLESSES DE L'INGÉNIERIE ET DES FINANCES LOCALES

Les quatre collectivités antillaises disposent en droit de possibilités d'action relativement étendues. La distinction entre le régime juridique applicable à chacune d'elles ne fait d'ailleurs pas de différence significative : qu'elles soient régies par l'article 7338(*) de la Constitution ou son article 74, chacune de ces collectivités bénéficie d'attributions étendues.

Deux régimes constitutionnels distincts pour les collectivités ultramarines
mais offrant des potentialités quasi-identiques : les articles 73 et 74

D'une part, sont régis par l'article 73 de la Constitution les départements et régions de la Guadeloupe et de La Réunion, les collectivités uniques de Guyane et de Martinique depuis décembre 2015 et, depuis mars 2011 du Département de Mayotte.

Une collectivité régie par l'article 73 de la Constitution se voit appliquer le principe de l'identité législative : sauf disposition contraire expresse, les lois votées pour l'hexagone s'appliquent sans modification sur son territoire. Si les lois et les règlements y sont applicables de plein droit, leurs dispositions peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, ces adaptations peuvent être décidées par les collectivités elles-mêmes, sur habilitation législative, soit dans les matières où s'exercent leurs compétences, soit dans un nombre limité de matières relevant du domaine de la loi, à l'exception de La Réunion (un amendement du sénateur Jean-Paul Virapoullé l'ayant exclue de ce dispositif).

Aussi, ces collectivités peuvent faire l'objet de dispositions spécifiques quant à leur organisation ; il en va ainsi de l'institution d'une assemblée délibérante unique pour un département et une région d'outre-mer ou du remplacement de ces deux collectivités par une collectivité unique, comme dans les cas de la Guyane et de la Martinique. Elles peuvent également être transformées en collectivités d'outre-mer relevant de l'article 74 de la Constitution. Dans tous les cas, ces modifications sont soumises au consentement des électeurs.

D'autre part, sont régies par l'article 74 de la Constitution les collectivités d'outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon, des îles Walis et Futuna, de la Polynésie française et, depuis 2007, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

Au sein de l'article 74, les collectivités sont quant à elles soumises au principe de la spécialité législative : dans ces territoires, les lois et règlements ne s'appliquent que sur mention expresse et dans les conditions prévues par le statut de la collectivité. Le régime de l'article 74 permet en définitive un éventail très large de combinaisons, allant d'une très grande proximité avec le droit applicable dans l'hexagone à une quasi-autonomie normative, qu'il appartient au statut de chaque collectivité concernée de préciser.

Fixé par une loi organique adoptée après avis de leur assemblée délibérante, le statut est très variable d'une collectivité à l'autre et tient compte des intérêts propres de chacune d'entre elles au sein de la République. Il fixe notamment les compétences de la collectivité, les règles d'organisation et de fonctionnement de ses institutions ainsi que le régime électoral de son assemblée délibérante. Celles de ces collectivités qui sont dotées de l'autonomie (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre et Miquelon, Polynésie française) ont la compétence pour fixer des règles dans des domaines qui, en métropole, relèvent de la loi.

Le statut peut également déterminer les conditions dans lesquelles :

- le Conseil d'État exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certains actes de l'assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu'elle exerce dans le domaine de la loi ;

- l'assemblée délibérante peut, après saisine du Conseil Constitutionnel, modifier une loi promulguée postérieurement à l'entrée en vigueur du statut de la collectivité et intervenue dans le domaine de compétence de celle-ci ;

- la collectivité peut prendre en faveur de sa population des mesures justifiées par les nécessités locales, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ;

- la collectivité peut participer, sous le contrôle de l'État, à l'exercice des compétences qu'il conserve, dans le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques.

Enfin, si les collectivités d'outre-mer sont dotées d'un statut particulièrement dérogatoire par rapport au droit commun, ces dérogations restent soumises à des limites qui visent à préserver les principes d'indivisibilité de la République et d'égalité devant la loi.

Toutefois, la distinction entre ces deux régimes a aujourd'hui perdu de sa pertinence tant les régimes se sont rapprochés. La révision constitutionnelle de 2003 a réduit les différences existant entre le régime de l'article 73 et celui de l'article 74. La Constitution aménage désormais un large éventail de solutions qui tendent toutes à reconnaître de manière plus ou moins marquée les spécificités locales de chacune des collectivités ultramarines :

- au sein des collectivités régies par l'article 74 en effet, tant les compétences que l'organisation institutionnelle diffèrent en fonction de chaque territoire ;

- au sein de l'article 73, les possibilités dont disposent les collectivités de se voir habiliter « à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire » viennent réduire la différence avec l'article 74, de même que les possibilités d'adaptation tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités.

Dès lors, la distinction entre les collectivités territoriales régies par l'article 73 de la Constitution et celles régies par l'article 74 ne correspond plus aujourd'hui qu'aux conditions d'application locale des lois et règlements adoptés par le Parlement ou le Gouvernent : une application de plein droit pour les premières, une application seulement sur mention expresse pour les secondes. Mais, entre les deux catégories, la substance même des règles qui s'appliquent n'est souvent guère différente : en pratique, dans certaines de ces collectivités, le droit « local » reste la copie, à quelques exceptions près, du droit hexagonal.

La différence la plus significative entre les deux catégories porte davantage sur la reconnaissance, pour les collectivités relevant de l'article 74, de larges domaines où elles disposent d'une compétence exclusive pour adopter des règles applicables localement, qui relèvent dans les autres territoires de la loi ou du règlement, et ce sans que le législateur ou le pouvoir réglementaire national ne puisse plus intervenir. L'étendue de cette compétence normative varie toutefois considérablement selon les collectivités.

En outre, plusieurs dispositifs en vigueur permettent aux collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution de bénéficier d'attributions élargies :

- l'article 73 prévoit une procédure d'habilitation, par la loi ou le règlement, permettant aux collectivités ultramarines, selon les cas, de fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement. La collectivité de Martinique a ainsi bénéficié à ce jour de cinq procédures d'habilitation dans des domaines variés ayant trait à l'organisation des mobilités ainsi qu'à l'énergie ;

- l'article 74 permet quant à lui la participation des collectivités à l'exercice des compétences de l'État. Cet article permet au législateur organique de prévoir qu'une collectivité d'outre-mer « peut participer, sous le contrôle de l'État, à l'exercice des compétences qu'il conserve, dans le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques ». Suivant une procédure fixée par la loi organique, l'assemblée délibérante peut adopter des projets d'actes locaux pour fixer des règles dans les domaines de compétence de l'État. Si ces projets d'actes locaux sont approuvés par les organes de l'État, ils peuvent être définitivement adoptés par la collectivité et entrer en vigueur sur son territoire. Dès sa création, le conseil territorial de Saint-Barthélemy s'est ainsi vu confier par le législateur organique la faculté de participer à l'exercice des compétences relevant de l'État en matière de droit pénal, en vue de la répression des infractions aux règles qu'elle fixe dans le cadre des compétences normatives qui lui sont transférées.

Néanmoins, dans les faits, cette capacité d'action est concrètement entravée : d'une part, en raison de la situation financière très dégradée de la plupart des collectivités, abstraction faite de Saint-Barthélemy, en particulier en raison de la sous-consommation majeure de crédits pourtant ouvert, d'autre part, car les collectivités connaissent une pénurie de personnels qualifiés, en raison de la structure de l'emploi public - les emplois de catégorie C y étant surreprésentés - et de l'étroitesse du bassin d'emploi de ces territoires.

1. Une situation financière fortement grevée ne permettant ni l'investissement local ni le plein emploi des crédits budgétaires alloués aux collectivités ultramarines

La première difficulté résulte de la situation financière très dégradée de la plupart des communes, abstraction faite de Saint-Barthélemy.

Les dépenses réelles de fonctionnement des communes d'outre-mer se situent, en moyenne, à 1 270 euros par habitant en 2021 contre 971 euros pour les communes de métropole hors Paris.

La part des dépenses de personnel dans le total des dépenses réelles de fonctionnement y est sensiblement plus élevée que dans les communes de l'hexagone. Ainsi, en Guadeloupe, elles représentent près de 70 % de ces dépenses et 64,5 % en Martinique, contre 56,4 % au niveau national, obérant ainsi les marges de manoeuvre financières.

Les services de la Direction régionale des finances publiques (DRFIP) de Guadeloupe ont indiqué, lors des entretiens avec la délégation, que 29 des 32 communes et deux des six intercommunalités du département étaient en état d'alerte financière. La situation ne provient pas d'une insuffisance de recettes, garanties par l'octroi de mer et la taxe sur les carburants, mais d'une incapacité à assurer leur recouvrement : les produits à recouvrer par les collectivités s'élèveraient ainsi à 1 milliard d'euros.

De plus, bien que les collectivités reçoivent de l'État comme de l'Union européenne des aides financières importantes, celles-ci se heurtent à un phénomène de sous-consommation majeur qui obère leur capacité d'action, comme le relève régulièrement Thani Mohamed Soilihi dans le cadre des avis budgétaires rendus au nom de la commission des lois39(*).

Il en résulte des situations financières particulièrement préoccupantes. Ainsi, en Guadeloupe, les communes de Basse-Terre et de Pointe-à-Pitre connaissent des déficits respectivement de 55 millions et 32 millions d'euros. L'an dernier, la chambre territoriale des comptes a fait l'objet de 23 saisines, pour des situations de déficit ou d'insincérité budgétaire. Une situation similaire est observée en Martinique puisque onze collectivités sont placées sous plan de redressement en 2022 et que la commune de Fort-de-France connaît un déficit de près de 62 millions d'euros.

Ainsi, selon des chiffres transmis par la chambre territoriale des comptes, au 31 décembre 2021, 38 structures publiques étaient placées sous plan de redressement, dont la mise en oeuvre est suivie dans les avis budgétaires successifs sur le ressort Antilles-Guyane.

Nombre de communes et de groupements de collectivités sous plan
de redressement au 31 décembre 2021 dans la zone Antilles-Guyane

Source : bilan annuel de la CRTC Antilles-Guyane.

La seconde difficulté tient à l'incapacité des collectivités ultramarines, y compris antillaises, à utiliser l'ensemble des crédits budgétaires alloués par l'État aux territoires ultramarins.

Comme l'a relevé Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois pour la mission « outre-mer » du projet de loi de finances pour 2023, « comme les années précédentes, la gestion de la mission « Outre-mer » s'est caractérisée en 2021 [par] une sous-exécution des crédits votés en loi de finances ».

De surcroit, il indiquait que « les nombreux mouvements de crédits (transferts, reports, ouvertures et annulations) témoignent d'une gestion encore trop complexe des crédits de la mission outre-mer qui semble aujourd'hui encore difficile à justifier par des considérations opérationnelles, ce que regrette la commission tant cette gestion obère l'exécution de crédits pourtant votés en loi de finances initiale ».

Parallèlement à la sous-exécution chronique des concours financiers de l'État qui interrogent quant à leur pilotage, certains outils budgétaires mobilisés pour les seules collectivités ultramarines ne semblent ni à la hauteur de leurs promesses ni adaptées aux besoins locaux.

Ainsi, d'un constat partagé avec Thani Mohamed Soilihi, la mission « ne peut que relayer les inquiétudes, partagées par la Cour des comptes et les collectivités ultramarines, quant à l'avenir des contrats de convergence et de transformation censés arriver à échéance en 2022 » et « constate, à regret, que les outils de contractualisation ne permettent pas de pallier aux difficultés de sous-consommation des crédits budgétaires. Ainsi qu'illustrée par le graphique ci-dessous, la faiblesse des montants engagés et consommés au 31 décembre 2021 par rapport aux montants contractualisés dans les CCT pour la période 2019-2022 est particulièrement alarmante et fait craindre une importante sous-consommation pour l'ensemble des collectivités concernées. Les dernières prévisions disponibles font état d'un taux de consommation qui s'établirait à 41 % des montants contractualisés à fin 2022 ».40(*)

Consommation des montants contractualisés dans le cadre des CCT
sur la mission « Outre-mer » entre 2019 et 2022 en millions d'euros

Source : avis budgétaire 2023, commission des lois41(*)

Ainsi, s'agissant plus spécifiquement des territoires antillais, moins de 3 millions d'euros par territoire ont été exécutés en crédits de paiement depuis 2019 au titre des CCT, alors que les montants contractualisés sur cette période oscillaient entre 23,23 et 39 millions d'euros pour la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Martin.

En conséquence, la mission considère qu'au regard de la sous-exécution chronique des crédits alloués aux outre-mer et des échecs du déploiement de certains dispositifs budgétaires spécifiques à ces territoires, l'État doit, comme l'appellent de leurs voeux les élus locaux, réexaminer les concours financiers et les outils budgétaires qu'il utilise outre-mer.

2. Une structuration de l'emploi des collectivités peu tournée vers une politique de projets

Or, pour faire face à ces difficultés, les collectivités connaissent une pénurie de personnels qualifiés.

Cette pénurie provient en premier lieu de la structure de l'emploi public dans les collectivités, composé dans de très fortes proportions d'emplois de catégorie C. De fait, dans certaines communes, comme à Sainte-Rose, par exemple, les agents de catégorie C représentent 89 % des personnels. Comme l'évoquait le président de l'Association des maires de la Guadeloupe, Jocelyn Sapotille, dans certaines communes, le recrutement a fait office d'amortisseur social lors de la crise de la canne à sucre, ce qui explique en grande partie la physionomie actuelle de l'emploi public.

En outre, les collectivités sont confrontées à des difficultés de recrutement des personnels d'expertise ou d'encadrement, notamment sur des thématiques telles que la passation des marchés publics ou les fonctions budgétaires et comptables. Le bassin d'emploi des collectivités s'avère en effet souvent trop étroit pour recruter des personnels avec un profil pertinent. De ce point de vue, l'offre de formation locale apparaît insuffisante et, en tout état de cause, globalement inadaptée aux besoins.

3. Des difficultés à maintenir les personnels dans leur emploi

Les quatre territoires antillais connaissent par ailleurs des difficultés dans le maintien sur le territoire des personnels en emploi.

Les facteurs sont à cet égard multiples : l'éloignement géographique de l'hexagone, dans lequel certains agents ont souvent le siège de leurs intérêts moraux et familiaux ; les conditions de vie, qui peuvent être différentes et parfois plus difficiles que dans l'hexagone ; les stratégies de mobilité des agents concernés, pour lesquels une affectation outre-mer peut ne constituer qu'une étape dans la carrière, etc.

La mission a globalement pu constater que ces constats, vérifiés dans l'ensemble des outre-mer, ne sont pas démentis dans les collectivités antillaises. Elle a néanmoins relevé la situation de Saint-Barthélemy, qui fait figure d'exception. En effet, le coût de la vie sur ce territoire est tel qu'il peut être difficile, pour certains agents, de s'y installer même provisoirement. La mission rejoint en cela les constats déjà formulés par Valérie Boyer dans son récent rapport sur la proposition de loi organique visant à permettre à Saint-Barthélemy de participer à l'exercice de compétences de l'État, qui relevait que « les services de soins peinent aujourd'hui à fidéliser les praticiens hospitaliers sur le territoire, du fait d'une attractivité grevée du territoire en raison, d'une part, des contraintes d'exercice sur ce territoire (notamment, une pratique isolée et des équipes médicale trop restreintes) et, d'autre part, du coût exorbitant des logements pour ces derniers42(*). »

B. LA SOLUTION : UN ACCOMPAGNEMENT DÉDIÉ POUR ALLER VERS UNE AUTONOMIE RÉELLE DANS LE PORTAGE DES PROJETS LOCAUX

1. Développer les compétences au service de l'action locale

Face à cette pénurie de personnel qualifié, il apparaît en premier lieu nécessaire de répondre à la revendication, plusieurs fois formulée au cours des entretiens conduits par la mission, que l'État local puisse être davantage administré par des agents originaires des territoires ultramarins et que des dispositifs facilitant le retour des agents partis exercer leurs fonctions dans l'hexagone ou dans d'autres collectivités ultramarines soient mis en place de manière effective.

Plus largement, l'offre locale de formation, insuffisante et, en tout état de cause, globalement inadaptée aux besoins doit être renforcée.

À cet égard, la délégation a pu mesurer ce qu'une structure comme le Service militaire adapté (SMA) peut procurer aux territoires ultramarins. Implantés en Martinique et en Guadeloupe notamment, les régiments du SMA sont des réussites majeures pour l'insertion sociale des jeunes en difficulté dans le marché du travail. Au RSMA de Guadeloupe, visité par la délégation, 640 stagiaires de 18 à 25 ans sont ainsi pris en charge dans le cadre d'une formation professionnelle rémunérée qui amène, au bout de 8 à 12 mois, 8 stagiaires sur 10 à un emploi.

À l'heure où Saint-Martin doit tourner la page de l'ouragan Irma, qui nécessite des efforts majeurs en termes de formation pour des emplois dans le secteur du BTP et, par la suite dans celui de l'hôtellerie-restauration qui est l'axe unique de développement de l'île, une plus grande ouverture du RSMA aux jeunes Saint-Martinois serait une chance pour la collectivité. Les rapporteurs souhaitent que le potentiel de ce dispositif soit véritablement utilisé au profit de l'île.

Proposition n° 24 : Développer l'offre du service militaire adapté au profit des jeunes Saint-Martinois dans la perspective de la reconstruction de l'île après l'ouragan Irma.

Déjà confrontées à la difficulté de recruter localement, les collectivités connaissent également certains obstacles au recrutement de personnels extérieurs aux territoires. Bien que les fonctionnaires bénéficient de la majoration de leurs traitements lorsqu'ils sont affectés dans les collectivités des Antilles43(*), les collectivités dans lesquelles le coût du logement est considérable, comme à Saint-Barthélemy44(*) ou Saint-Martin, peinent à pourvoir les postes ouverts, tandis que, plus généralement, se pose un problème de fidélisation des personnels au-delà de quelques années.

Dans le même ordre d'idée, il serait souhaitable de développer localement les compétences des jeunes pour l'exercice des métiers dans le secteur public dont l'État déconcentré a besoin et qui pourraient, le cas échéant par la voie des passerelles entre les versants de la fonction publique, par la suite exercer leurs missions au sein des collectivités elles-mêmes. Pourrait par exemple être envisagée la création d'un institut régional d'administration pour les Antilles-Guyane.

Proposition n° 20 : Développer une offre locale de formation aux métiers du secteur public, par exemple par la création d'un Institut régional d'administration pour les Antilles-Guyane.

Aussi, les services préfectoraux, singulièrement ceux de Saint-Martin et de la Guadeloupe, ont souligné lors de leurs auditions, le manque de formation et les inégales compétences des élus locaux comme des fonctionnaires territoriaux, notamment au niveau de certaines communes, sur des domaines à forts enjeux pour leurs territoires, notamment l'urbanisme ou la sécurité civile à Saint-Martin et la passation des marchés publics ou la gestion des budgets locaux en Guadeloupe.

Face à ces difficultés, les rapporteurs soulignent la pertinence de la signature de partenariats des centres de gestion ultramarins avec les centres de gestion (CDG) hexagonaux dont le premier a été signé en mai 2023 entre le CDG du Rhône et celui de Guadeloupe. Ces initiatives bénéfiques à la structure des centres ultramarins et à la diffusion de pratiques déjà éprouvées devraient, aux yeux des rapporteurs, être systématisées.

En outre, les rapporteurs déplorent la méconnaissance ainsi que la trop faible utilisation des ressources mises à disposition par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) qui permettraient aux fonctionnaires territoriaux comme aux élus des collectivités ultramarines de monter en compétences.

En effet, le CNPFT, établissement public unique paritaire déconcentré assure des missions de formation et d'emploi à destination des collectivités territoriales et de leur 1,9 million d'agents territoriaux tout au long de leur carrière et indépendamment de leurs catégories.

S'il n'est implanté que dans les collectivités ultramarines régies par l'article 73 de la Constitution, le CNFPT s'appuie sur des délégations ultramarines, notamment celle d'Antilles-Guyane, chargées d'adapter et de développer des actions de formation cohérentes et pertinentes avec les besoins du territoire. Ainsi, la délégation Antilles-Guyane a-t-elle développé des formations suivies à distance et en ligne afin de permettre aux fonctionnaires et aux élus des communes, mêmes isolées comme à Marie-Galante ou aux Saintes, de bénéficier des mêmes opportunités qu'il convient de saluer.

En outre, les rapporteurs insistent sur l'intérêt de développer et d'animer régulièrement des actions de formation et des conférences thématiques sur les politiques publiques d'actualité afin de permettre la mise à niveau rapide des cadres ultramarins sur des sujets tels que le « Zéro artificialisation nette » (ZAN) ou encore les évolutions des documents d'urbanisme et des normes de construction (production obligatoire d'un diagnostic de performance énergétique, introduction de nouvelles normes parasismiques).

En résumé, la mission souhaite encourager le recours aux programmes du CNFPT et la conclusion de partenariats entre les centres de gestion ultramarins et hexagonaux pour améliorer la formation des personnels des collectivités.

Proposition n° 21 : Encourager le recours aux programmes du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et la conclusion de partenariats entre les centres de gestion ultramarins et hexagonaux pour améliorer la formation des personnels des collectivités.

De manière générale, les rapporteurs sont convaincus de la nécessité de renforcer l'aide technique apportée par l'État et ses opérateurs aux collectivités et à leurs établissements publics.

Il importe toutefois que cette assistance technique ne porte pas seulement sur la réalisation de projets ponctuels, mais aussi à plus long terme, permettent de former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire à l'exercice de leurs missions. En effet, les assistances techniques ponctuelles ne pourront à elles seules résoudre les difficultés et fragilités structurelles de la fonction publique territoriale aux Antilles et ne peuvent, à elles seules, se substituer aux lacunes des administrations notamment communales. C'est pourquoi, les rapporteurs préconisent de développer des formations, au-delà de ces assistances ponctuelles, visant à renforcer durablement les compétences internes des collectivités antillaises et à structurer durablement leurs équipes et projets afin d'assumer pleinement les compétences étendues qui leur ont été confiées au gré des vagues de décentralisation.

À cet égard, l'assistance technique ponctuelle existante notamment dans les dispositifs « COROM » devrait permettre non seulement la réalisation des objectifs fixés par les programmes - à savoir l'apurement et le redressement des comptes publics - mais également la formation des personnels des collectivités ultramarines et la structuration des services afin qu'au départ des « sucres rapides » que représente cette aide technique, les personnels locaux aient suffisamment gagné en compétence pour déployer eux-mêmes, dans la durée, les bonnes pratiques acquises.

En outre, les rapporteurs considèrent que le mécénat de compétences gagnerait à être davantage utilisé pour favoriser la montée en compétences des collectivités antillaises.

De la même manière, au-delà de la réalisation de projets ponctuels, l'assistance technique assurée par l'État - notamment par l'entremise de l'Agence française de développement ou Expertise France - devrait être utilisée pour former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire au plein exercice de leurs missions.

En effet, comme l'a justement appelé un récent rapport de l'Assemblée nationale sur l'ingénierie des collectivités ultramarines : « la DGOM  milite  pour la création de plateformes d'ingénieries permanentes, armées par les assistantes techniques d'Expertise France. Cette option qui pourrait  être expérimentée pendant 3 ans  est aujourd'hui discutée entre les différents ministères tutelles de l'AFD.  Expertise France, dont c'est le coeur de métier, pourrait en effet intervenir dans ces territoires pour des opérations de renforcement de capacités, sur le modèle qu'elle a développé dans les pays émergents  »45(*).

Proposition n°22 : Au-delà de la réalisation de projets ponctuels, utiliser l'assistance technique assurée par l'État, y compris par Expertise France, pour former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire au plein exercice de leurs missions.

Enfin, les règles de mobilité au sein de la fonction publique d'État rendent généralement difficile le retour pérenne de fonctionnaires antillais vers leur territoire d'origine, alors même qu'ils pourraient constituer une ressource précieuse pour celui-ci.

Cette difficulté n'est d'ailleurs pas propre aux seuls territoires antillais. Le cas de Mayotte, qui fournit notamment une part importante du personnel de surveillance pénitentiaire dans l'hexagone sans que ces agents ne disposent nécessairement d'une solution de retour à court ou moyen terme, est ainsi bien connu.

Dans le respect de l'égalité de traitement qu'impose l'emploi public, il convient ainsi de faciliter la mobilité de fonctionnaires d'origine antillaise exerçant dans l'hexagone vers leur territoire d'origine. À titre d'exemple, il pourrait être envisagé que, dans le cas d'emplois rencontrant des difficultés particulières de recrutement, il puisse être dérogé, sous conditions, aux règles de mobilité régissant certains corps afin de pourvoir un emploi qui ne serait autrement, notamment en raison des sujétions qu'implique l'éloignement de l'hexagone, que difficilement pourvu.

Proposition n° 23 : Faciliter la mobilité de fonctionnaires d'origine antillaise vers leur territoire d'origine.

2. Un accompagnement spécifique à renforcer

Face aux difficultés que rencontrent les collectivités antillaises, l'État a déployé des dispositifs spécifiques d'accompagnement, qui peuvent encore être améliorés.

a) Faciliter le recours à l'ingénierie de l'État

Les dispositifs d'ingénierie de l'État sont relativement adaptés à la situation des collectivités antillaises : celles-ci disposent ainsi d'interlocuteurs dédiés, qui n'interviennent pas dans l'hexagone, et destinés à leur dispenser un accompagnement spécifique. Néanmoins, le recours à ces dispositifs demeure difficile. Il convient dès lors de rendre ce soutien, crucial et pourtant sous-employé, davantage accessible.

Un tel effort pourrait être conduit d'autant plus aisément que l'expertise et la qualité des interlocuteurs de l'État à même d'offrir un soutien en ingénierie aux collectivités sont généralement reconnues par ces dernières. Ainsi, le concours apporté par l'Agence française de développement (AFD) au soutien des collectivités ultramarines est ancien et apprécié. Par ses antennes locales, l'AFD assure un accompagnement stratégique des élus locaux.

L'AFD, un partenaire de confiance pour les collectivités antillaises

Par les prêts qu'elle accorde, le cas échéant sur des périodes allant jusqu'à 25 ans, l'AFD permet d'encourager et d'accélérer les actions en faveur de l'atténuation et de l'adaptation au changement climatique, de la biodiversité et de l'adaptation aux risques naturels majeurs. À ce titre, en 2021, elle a par exemple accordé 25 millions d'euros à la région Guadeloupe et 40 millions à la collectivité territoriale de Martinique.

Son action de préfinancement des subventions accordées par l'Union européenne, l'État, la région ou le département contribue à favoriser l'investissement local. Ce préfinancement, sur une période de cinq ans maximum et garanti par des cessions Dailly, peut aller jusqu'à 80 % du montant des subventions pour les dépenses d'infrastructure et 100 % pour les dépenses de matériels.

Ses aides en ingénierie locale offrent aux collectivités la possibilité d'effectuer des diagnostics financiers, organisationnels ou en matière de ressources humaines assurant un meilleur fonctionnement et une capacité de projets. Lors de l'entretien mené par la délégation à l'antenne de Guadeloupe, l'exemple de la commune de Saint-Anne a été évoqué, qui en l'espace de trois ans, a pu retrouver une capacité de dépense d'investissement.

Alors même que l'expertise de l'AFD est reconnue, les collectivités antillaises, en particulier les communes de petite taille en Martinique et en Guadeloupe, peuvent avoir des difficultés à apprécier concrètement le bénéfice qu'elles peuvent tirer d'une collaboration avec cet organisme, comme l'ont fait valoir les acteurs de l'antenne Antilles-Guyane de l'AFD rencontrés par la délégation. Plus généralement, à l'image de ce que nombre de collectivités, y compris hexagonales, connaissent, la pratique de l'appel à projets dans le cadre de la conduite de projets peut nuire à l'aboutissement de ceux-ci, en particulier dans les petites communes ne disposant pas de capacités d'ingénierie juridique et financière particulièrement performantes.

Il convient dès lors de développer les démarches dites « d'aller vers », en sollicitant les collectivités de petite taille pour faire émerger d'éventuels projets, identifier les difficultés de mise en oeuvre et apporter un soutien au niveau pertinent. Cette logique d'ingénierie « sur mesure » pourrait ainsi permettre, en adaptant le soutien au plus près des projets, de faciliter le décaissement de crédits de soutien à l'investissement et d'apporter des résultats concrets. Dans cette optique, des contacts plus réguliers entre interlocuteurs de l'État disposant de capacités d'ingénierie, tels que l'AFD, et collectivités territoriales antillaises gagneraient à être entretenus.

Proposition n° 25 : Développer la logique d'ingénierie « sur-mesure » et systématiser le principe du « aller vers » au sein des services et agences de l'État pour accompagner les collectivités antillaises et déployer des mesures de soutien pleinement adaptées aux réalités locales.

En second lieu, afin de rendre plus facilement identifiables les interlocuteurs et simplifier les démarches des collectivités antillaises, la mission propose que soient généralisées, au sein des collectivités antillaises, les plateformes d'appui en ingénierie aux collectivités territoriales, sur le modèle de celles mises en place en Guyane.

La plateforme d'appui aux collectivités territoriales (PACT) en Guyane :
une structuration efficace de l'offre d'ingénierie de l'État

Comme le relèvent Christian Baptiste et Karine Lebon dans leur rapport d'information sur l'évaluation des dispositifs d'ingénierie proposés aux collectivités territoriales ultramarines, « la plateforme d'appui aux collectivités territoriales (PACT) a été créée dans le cadre de la nouvelle organisation des services de l'État [en Guyane] et des préconisations du livre bleu des Outre-Mer en 2018. Composée initialement de trois agents (deux emplois de catégorie A et un emploi de catégorie B), des effectifs supplémentaires (deux emplois de catégorie B) ont été mis en place au niveau des sous-préfectures de Saint-Laurent du Maroni et Saint-Georges de l'Oyapock en 2022 »46(*).

Placée au sein de la direction générale de la coordination et de l'animation territoriale, la PACT est présentée comme une « structure souple, elle consiste en la mise en place d'équipes ad hoc, selon la mission à assurer, mêlant les différents services de l'État et ses opérateurs »47(*). Elle vise ainsi à proposer un accompagnement aux collectivités territoriales à chaque étape de leur projet : de l'appui au lancement de marchés, à l'assistance à maîtrise d'ouvrage, en passant par l'apport d'une expertise en financements48(*).

De telles initiatives, qui facilitent le recours par les collectivités territoriales à l'ingénierie de l'État, doivent être imitées. La mission relève d'ailleurs avec intérêt qu'en Guadeloupe, la création d'une « cellule ingénierie » au sein du secrétariat général aux affaires régionales (SGAR) relève d'une logique similaire.

Naturellement, ces initiatives ne constituent que des palliatifs, dans l'attente, dans les collectivités antillaises comme sur l'ensemble du territoire métropolitain, de guichets uniques véritablement accessibles, centrés autour du préfet de département, que le Sénat appelle régulièrement de ses voeux.

Proposition n° 26 : Généraliser les plateformes d'ingénierie d'appui aux collectivités territoriales, sur le modèle de celle mise en place en Guyane, tout en respectant les spécificités de chaque territoire, en les dotant des moyens humains et financiers correspondants.

Par ailleurs, les rapporteurs ont constaté avec étonnement qu'il n'est pas permis aux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution d'adhérer au Cerema pour bénéficier de son expertise dans la conduite de leurs projets. L'article 159 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS », a ainsi modifié les statuts du Cerema pour en faire un établissement public administratif de l'État dont la gouvernance est partagée entre ce dernier et les collectivités territoriales qu'il assiste, ces dernières pouvant en devenir membres pour bénéficier de ses services.

Néanmoins, ce faisant, le législateur a omis de rendre explicitement applicable ces dispositions aux collectivités territoriales régies par l'article 74 de la Constitution, qui ne peuvent dès lors adhérer au Cerema et bénéficier de ses services. Cet oubli du législateur, qui pénalise sans raison Saint-Martin et Saint-Barthélemy au sein des collectivités antillaises, doit être réparé.

Proposition n° 27 : Permettre aux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution d'adhérer au Cerema et de bénéficier, pour la conduite de leurs projets, de son expertise et accompagnement.

b) Restaurer les capacités financières locales

En dernier lieu, il est urgent de restaurer les capacités financières locales. L'État déploie aujourd'hui un certain nombre de dispositifs d'aides aux collectivités - notamment via les contrats de redressement outre-mer (COROM), les contrats de convergence et de transformation (CCT) et le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) - qui méritent des ajustements pour en développer la portée.

Conscient de la nécessité d'accompagner dans leur redressement les collectivités d'outre-mer en grandes difficultés financières, l'État a mis en oeuvre le dispositif « COROM », institué par la loi de finances initiale pour 2021.

À ce jour, les communes de Pointe-à-Pitre, Sainte-Rose et Basse-Terre sont concernées en Guadeloupe, et celles de Fort-de-France et Saint-Pierre à la Martinique. Selon les informations recueillies au cours du déplacement par la délégation, dix nouvelles communes guadeloupéennes et cinq communes martiniquaises sont candidates à ce mécanisme, preuve de son succès.

Au terme d'un diagnostic partagé sur l'état des dépenses et des recettes sur l'exercice en cours, les COROM, qui s'inscrivent dans une prospective à trois ans, sont conclus entre l'État et les communes concernées, et prévoient :

- un accompagnement pour mener des réformes structurelles, par exemple en matière d'identification des bases et de recouvrement, pour assurer une meilleure maitrise des dépenses de fonctionnement, l'amélioration de la gestion de la chaîne de la dépense ou de la sincérité des comptes ;

- la restauration des marges de manoeuvre en section de fonctionnement, notamment sur la maitrise des frais de personnel ;

- une aide de l'État au processus de redressement, apportée en fonction des efforts de la collectivité. Cette aide prend notamment la forme, inédite, d'une assistance technique via la mise à disposition d'experts en gestion publique locale recrutés par les antennes locales de l'AFD ;

- une perspective pluriannuelle, afin de redresser la situation financière de la collectivité contractante. Dans ce cadre, l'État peut octroyer une subvention budgétaire exceptionnelle, versée chaque année après décision du comité de suivi national, qui peut en suspendre le versement ou mettre fin au contrat si les engagements de la collectivité ne sont pas respectés.

Le recul sur les effets des COROM - qui n'ont été signés pour les plus anciens qu'en juillet 2021 - reste insuffisant pour affirmer que ces outils permettront à eux seuls, en quelques années, de sortir les collectivités concernées des impasses budgétaires ou financières dans lesquelles elles se trouvent, malgré les exemples prometteurs de Basse-Terre ou de Fort-de-France. Pour autant, comme le souligne le récent rapport d'information de Georges Patient et Teva Rohfritsch, ils participent à créer une dynamique de réformes favorable49(*).

Les rapporteurs estiment donc que ce dispositif doit pouvoir bénéficier à un nombre le plus important possible de collectivités, sans pour autant qu'il soit ouvert sans conditions. Ils rejoignent les conclusions de la commission des finances du Sénat tendant à élargir le dispositif COROM et à augmenter les crédits qui y sont alloués afin d'en faire bénéficier un nombre plus important de communes.

Au surplus, par le passé, les difficultés rencontrées par certaines collectivités ou groupements de collectivités pour bénéficier du dispositif, à l'exemple du Syndicat Mixte de Gestion de l'Eau et de l'Assainissement de Guadeloupe (SMGEAG), plaident pour une meilleure adaptation des critères d'éligibilité et l'ajustement des modalités de soutien financier et humain à la diversité des situations.

Enfin, les maires bénéficiaires du COROM rencontrés comme les représentants de l'AFD auditionnés par la délégation ont unanimement salué l'importance des assistants techniques détachés au sein des communes, y compris lors de la préfiguration des contrats, pour permettre au dispositif COROM de se déployer pleinement. Les rapporteurs soulignent donc la nécessité de garantir leur présence dès la préparation du contrat et appellent donc au recrutement, sans délai, des assistants encore manquants comme dans la commune guadeloupéenne de Sainte-Rose.

Proposition n° 28 : Élargir le dispositif COROM, en adaptant les critères d'éligibilité et les modalités de soutien à la diversité des situations observées aux Antilles, augmenter les crédits qui y sont alloués afin d'en faire bénéficier un nombre plus important de communes et garantir la présence d'assistants techniques, y compris lors de la préparation du contrat.

De même, si les contrats de convergence et de transformation (CCT) et le fonds exceptionnel d'investissement sont aussi des mesures d'accompagnement pertinentes pour les collectivités, il est nécessaire pour les premiers de faciliter la consommation des crédits qui seront ouverts pour la période 2024-2027, en assouplissant les possibilités de fongibilité, et, pour le second, d'accroître la lisibilité des crédits disponibles dans chaque territoire, en envisageant une territorialisation plus marquée de ces derniers.

Des contrats de convergence et de transformation ont été signés par l'État avec la Guadeloupe, la Martinique50(*) et Saint-Martin51(*). Censés prendre fin au 31 décembre 2022, ils ont été prorogés en 2023 d'une année, dans l'attente d'une nouvelle contractualisation triennale à compter de 2024.

Ces contrats visent à réduire significativement et durablement les écarts de développement en matière économique, sociale et environnementale. Ils constituent un mode de contractualisation entre l'État et les collectivités destiné à favoriser le développement d'infrastructures et d'équipements de haut niveau, prenant en compte les enjeux de la transition écologique. Ils s'inscrivent désormais dans la « trajectoire 5.0 », qui vise à 0 exclusion, 0 carbone, 0 déchet, 0 polluant agricole et 0 vulnérabilité au changement climatique.

Dans ce cadre, l'État s'est engagé à apporter 208,6 M€ pour la Martinique52(*), 182,4 M€ pour la Guadeloupe et 47,2 M€ pour Saint-Martin.

Compte tenu des difficultés de sous-consommation constatées, les rapporteurs renouvellent la position déjà exprimée par la commission des lois dans le cadre du projet de loi de finances pour 202353(*), pour que les contrats au titre de la période 2024-2027 prennent en compte les observations et pistes d'évolution remontées du terrain, tant par les représentants de l'État sur les territoires que des élus locaux eux-mêmes, notamment le manque de fongibilité des crédits au sein des contrats et la nécessité d'élargir ces contrats à de nouvelles thématiques.

Proposition n° 29 : Veiller à faciliter la consommation des crédits inscrits au titre des contrats de convergence et de transformation (CCT) qui seront conclus pour la période 2024-2027 en assouplissant les possibilités de fongibilité des crédits prévus et en intégrant de nouvelles thématiques notamment l'ingénierie et la gestion de projets.

Troisième axe structurant d'aides à l'équipement des collectivités des Antilles, le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) vise à apporter une aide financière aux personnes publiques qui réalisent outre-mer des investissements portant sur des équipements publics collectifs en complément des opérations arrêtées dans le cadre des contrats de convergence et de transformation. Pour l'ensemble des outre-mer, ce fonds a été doté en loi de finances initiale pour 2023 de 110 M€ en autorisations d'engagement et de 67 millions d'euros en crédits de paiement.

Le FEI est géré par la délégation générale aux outre-mer, et non directement par les préfectures. Il opère des financements par le biais d'appels à projets, ce qui occasionne des difficultés d'accès pour les collectivités dans lesquelles l'ingénierie est la plus déficiente. En 2022, le FEI a permis de financer 9,5 M€ d'investissements en Guadeloupe, 7,1 M€ en Martinique et 1,2 M€ à Saint-Martin.

Les rapporteurs estiment qu'une territorialisation plus marquée des crédits du FEI, sans pour autant que celle-ci résulte de l'application d'un prorata strict au regard des populations concernées, permettrait aux acteurs locaux de mieux identifier les sommes susceptibles d'être allouées à chacun des territoires.

Enfin, comme le fait régulièrement valoir le Sénat, l'insuffisante lisibilité et association des élus aux décisions d'attribution des dotations d'investissement nuit à leur allocation efficiente. Ce défaut de visibilité est particulièrement prégnant pour l'année budgétaire 2023 compte tenu de la création du nouveau fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires, dit « fonds vert », dont les crédits seront répartis selon des modalités qui sont longtemps restées indéterminées et qui n'offrent pas les mêmes garanties que les procédures d'attribution prévues pour des dotations d'investissement existantes, qui associent, même imparfaitement, les élus locaux aux décisions d'attribution.

De la même manière, la litanie des réformes de la fiscalité locale n'offre pas aux élus locaux une visibilité suffisante leur permettant de construire une programmation budgétaire pluriannuelle et sincère pour réaliser leurs investissements.

À l'heure où le cadre dans lequel évoluent les finances publiques se caractérise de plus en plus par sa pluriannualité, il n'est toujours pas donné aux collectivités la possibilité de contribuer à ce mouvement en ayant une visibilité sur leurs finances à l'horizon de plusieurs années. En l'occurrence, rares depuis vingt ans ont été les années exemptes de réformes de la fiscalité locale. Cette absence de prévisibilité des financements apparait donc comme un obstacle au lancement de certains investissements dans un contexte où les collectivités ont la lourde responsabilité de prévoir un doublement de leurs investissements pour le climat dans les prochaines années et que ces investissements majeurs ne peuvent s'inscrire que dans une temporalité longue.

C'est pourquoi s'inscrivant dans la lignée des propositions formulées par le groupe de travail du président du Sénat Gérard Larcher relatif à la décentralisation, les rapporteurs préconisent d'améliorer le financement des collectivités antillaises par un renforcement de la lisibilité des crédits disponibles au titre du fonds exceptionnel d'investissement dans chaque territoire et, plus généralement, des dotations de l'État.

Proposition n° 30 : Améliorer le financement des collectivités antillaises par un renforcement de la lisibilité des crédits disponibles au titre du fonds exceptionnel d'investissement dans chaque territoire et, plus généralement, des dotations de l'État.

Enfin, les rapporteurs ont constaté avec satisfaction la pleine réussite de certains partenariats locaux, en particulier celui mené en Guadeloupe entre l'antenne de la DRFIP et les communes guadeloupéennes, destiné à fiabiliser les comptes des collectivités locales. Cette initiative locale a été saluée tant par les comptables publics auditionnés par la mission que les élus locaux rencontrés, tant elle a permis de fiabiliser les comptes des collectivités et par conséquent d'améliorer les délais de paiement des fournisseurs de ces dernières.

Les rapporteurs considèrent que de tels partenariats gagneraient être systématisés, tout en étant adaptés aux enjeux propres à chaque territoire, afin de fiabiliser davantage des comptes publics de collectivités antillaises, premier pas vers un assainissement durable de leur situation comptable et budgétaire.

Proposition n° 31 : Systématiser les partenariats permettant de fiabiliser les comptes des collectivités antillaises.

3. Favoriser l'adaptation aux spécificités de chaque collectivité

Au terme de ses travaux, la mission estime indispensable, comme le réclame l'Appel de Fort-de-France, d'adapter davantage les référentiels nationaux pour mieux épouser les réalités locales.

a) Favoriser le développement de projets locaux

D'une part, le développement des projets locaux doit être facilité. L'État a toute sa place en la matière et doit être conforté dans son rôle de régulateur et d'ensemblier de l'action des collectivités territoriales pour la gestion d'enjeux transversaux ou interterritoriaux, à l'exemple du plan « Sargasses ».

En effet, la police des plages, comme dans l'hexagone est une compétence des communes de Guadeloupe. Or, face aux difficultés rencontrées par l'ensemble des communes dans la gestion des sargasses dont l'échouage pollue les plages et parasite les activités touristiques des communes, le préfet de Guadeloupe, Xavier Lefort, a mis en place des mesures à l'échelle du territoire en accord avec les communes afin d'améliorer la réponse apportée à ce phénomène.

Ainsi, dans le cadre des « plans sargasse I et II », l'État apporte son aide pour coordonner le stockage, développer la surveillance et les dispositifs anti-échouements et accompagner les collectivités dans leur action. À ce titre, selon la préfecture de Guadeloupe, 36 millions d'euros seront consacrés à ces mesures pour la période 2022-2025.

Selon les rapporteurs, ce type d'initiative doit être salué et encouragé tant il témoigne de la nécessité de conforter l'État dans son rôle de régulateur et d'ensemblier de l'action des collectivités territoriales pour la gestion d'enjeux transversaux et interterritoriaux, en parfaite collaboration avec les élus locaux.

Néanmoins, les services préfectoraux ont souligné que seuls 20 % des 5 millions d'euros qui avaient été accordés aux collectivités pour financer leurs actions en la matière. Les rapporteurs insistent donc pour que les collectivités se saisissent effectivement des moyens financiers mis à leur disposition face à l'ampleur des dégâts causés à l'environnement et aux activités touristiques et de loisirs de la Guadeloupe, qu'une action même résolue de l'État ne pourra, sans l'appui et l'action subsidiaire des collectivités locales, endiguer.

Proposition n° 34 : Conforter l'État dans son rôle de régulateur et d'ensemblier de l'action des collectivités territoriales pour la gestion d'enjeux transversaux et interterritoriaux, sur le modèle du Plan Sargasse.

Par ailleurs, les collectivités antillaises ont tout leur rôle à jouer pour faciliter l'émergence de projets locaux, notamment par l'adoption d'une programmation pluriannuelle des projets structurants. Une telle programmation permettrait de donner aux entreprises locales et aux co-financeurs de la prévisibilité sur les appels d'offres et les besoins de chacune d'entre elles, facilitant ainsi la transformation de ces projets en réalités concrètes en s'appuyant sur le tissu économique local et des financements multiples.

Proposition n° 33 : Prévoir l'adoption par les collectivités antillaises d'une programmation pluriannuelle des projets structurants afin de donner aux entreprises locales et aux co-financeurs de la prévisibilité sur les appels d'offre et les besoins des collectivités.

Enfin, le développement de projets locaux peut parfois être obéré par un cadre juridique excessivement rigide. Or, les collectivités territoriales doivent disposer des moyens, y compris juridiques, pour construire et mener à bien leurs projets.

À cet égard, la mission estime que l'avis conforme des CDPENAF ultramarines ne se justifie pas pleinement. Comme l'ont rappelé Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi dans un récent rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer, « l'avis conforme sur les décisions d'urbanisme est très controversé [...]. Pour [...] les maires, l'exigence d'un avis conforme de la CDPENAF est jugée anormale, déresponsabilisante, alors qu'un avis simple suffit dans l'Hexagone. L'avis conforme est perçu comme une mise sous tutelle. N'ouvrant droit à aucun recours, l'avis conforme tendant à figer et à fermer les positions »54(*). Dès lors, cet avis conforme gagnerait à être transformé en un avis simple, comme dans l'hexagone, pour faciliter le développement de projets des maires dans ces territoires.

Proposition n° 32 : Transformer l'avis conforme des CDPENAF ultramarines en un avis simple, alignant ainsi ce régime sur celui de droit commun applicable dans l'Hexagone afin de faciliter le développement des projets des maires dans ces territoires.

b) Apporter une réponse efficace et concrète aux sujets primordiaux pour chaque territoire

D'autre part, chacun de ces quatre territoires doit voir une réponse efficace et concrète apportée par l'État aux défis structurants qui l'affectent par le développement, avec les collectivités antillaises, d'outils opérationnels dotés en moyens humains et financiers adaptés à la résolution des défis structurants sur chaque territoire.

Proposition n° 35 : Développer des outils concrets et opérationnels, dotés en moyens humains et financiers adaptés, avec les collectivités antillaises pour résoudre des défis structurants propres à chaque territoire nécessitant un accompagnement spécifique de l'État.

Les rapporteurs, sans être exhaustifs, souhaitent mettre en lumière quatre enjeux locaux prégnants et nécessitant le développement de tels outils combiné à un accompagnement spécifique de l'État :

- s'agissant de la distribution de l'eau en Guadeloupe, la mission considère que le SMGEAG doit impérativement être doté de moyens humains et financiers pérennes et qu'un suivi qualitatif et quantitatif de ses réalisations doit être conduit.

L'île de la Guadeloupe est le seul département français dans lequel se pratiquent des « tours d'eau », qui aboutissent à l'alimentation en eau de certaines portions du territoire de façon intermittente, en alternant les phases d'approvisionnement et de pénurie dans un objectif de solidarité. Selon la préfecture de Guadeloupe, au quotidien un quart des Guadeloupéens sont confrontés à des tours d'eau ou à des pénuries.

Face à cette situation inacceptable et aux difficultés des acteurs publics locaux à mener un projet d'ampleur, le législateur a créé un établissement public local à caractère industriel et commercial, le syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG)55(*). L'État a signé en mars 2023, avec le syndicat, la région et le département de la Guadeloupe, un contrat d'accompagnement renforcé visant à assurer la mise en oeuvre de l'appui de l'État, avec la dotation exceptionnelle de fonctionnement de 27 millions d'euros en 2023 et la mise à disposition de six assistants techniques pour aider temporairement le SMGEAG dans sa structuration.

Selon l'AFD, qui assure à la fois une activité de prêt au SMGEAG et une assistance technique, la perspective de l'équilibre financier de l'établissement public est estimée à 10 à 15 ans, avec un investissement total nécessaire avoisinant 1 milliard d'euros, à parts égales entre l'eau et l'assainissement. Les rapporteurs soulignent la nécessité que la structure, créée en 2021, devienne rapidement pleinement opérationnelle afin que l'accès à l'eau de l'ensemble des Guadeloupéens soit enfin pleinement garanti.

Ainsi, si de premières mesures législatives et budgétaires ont été déployées, il importe d'en garantir l'action dans la durée et d'y adosser des moyens humains spécialisés et dédiés afin de déployer pleinement les réformes nécessaires pour mettre fin à la situation inacceptable du manque d'eau potable en Guadeloupe ;

- s'agissant du vieillissement de la population en Martinique et en Guadeloupe, les rapporteurs souhaitent que la collectivité territoriale de Martinique, comme les collectivités guadeloupéennes, disposent, comme elles le demandent depuis plusieurs années, des moyens de conduire une politique active d'incitation au retour des jeunes martiniquais partis en formation dans l'hexagone ou à l'étranger. Sur ce point, Serge Letchimy a indiqué à la mission qu'en l'état de la dynamique démographique martiniquaise, cette île serait le département le plus âgé de France en 2040, soulignant ainsi l'urgence de mettre fin à la « fuite des cerveaux » martiniquais et de faciliter leur retour sur leur territoire d'origine ;

- s'agissant du logement à Saint-Barthélemy : la délégation rappelle que la collectivité territoriale doit être confortée dans son rôle de régulateur et disposer d'outils juridiques et financiers pour permettre aux fonctionnaires notamment hospitaliers comme aux saisonniers de résider sur l'île ;

- enfin, concernant la reconstruction consécutive au passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin, il apparaît nécessaire aux rapporteurs que l'effort en la matière soit parachevé et s'accompagne d'une consolidation des dispositifs de prévention et de gestion de crise entre l'État, la collectivité mais également la partie néerlandaise de l'île.

En l'occurrence, doit également être mentionné le dispositif déployé à Saint-Martin à la suite de l'ouragan Irma, exemple pertinent d'une action volontariste et globale de l'État.

Irma, un ouragan particulièrement violent

Le 30 août 2017, au large du Cap Vert, se formait la tempête tropicale baptisée Irma, qui s'intensifiait dès le 31 août pour devenir un ouragan de catégorie 2 puis 3 sur l'échelle de Saffir-Simpson. Avec des rafales de vent supérieures à 300 km/h entraînant de fortes submersions sur les côtes, l'ouragan Irma s'est abattu dans la nuit du 5 au 6 septembre 2017 sur les Antilles françaises et a dévasté les Îles dites du Nord : Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Après la gestion de l'urgence, s'est engagée une phase de retour à la « vie normale » pour les 50 000 résidents, avec trois impératifs : rétablir les réseaux, organiser l'accès aux soins et rouvrir les établissements scolaires. Pour cette phase, afin de coordonner l'action des ministères, une délégation interministérielle spéciale pour la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin a été créée le 14 septembre 2017.

Malgré le caractère violent et exceptionnel de cet ouragan, son impact sur les équipements et matériels a été contrasté. L'analyse réalisée par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise pour le compte du ministère des outre-mer faisait état en juillet 2018 d'une forte disparité entre les deux îles. Avec près de 56 % de ses infrastructures modérément à sévèrement endommagées, voire détruites, Saint-Martin présentait un taux de dommages trois fois plus important que Saint-Barthélemy, où seulement 18 % des infrastructures ont été endommagées. Autre fait notable, à Saint-Martin, près de 70 % des dommages concernaient des bâtiments qui avaient été construits en zone à risque.

Source : rapport de la CRTC Antilles-Guyane, 2022

Si, pendant plusieurs dizaines d'années simple circonscription administrative de la Guadeloupe, Saint-Martin a été sous-administrée localement, bénéficiant de services détachés peu étoffés de la Guadeloupe et d'un simple sous-préfet, son érection en collectivité d'outre-mer en 2007 a peu changé les choses pendant plusieurs années.

La tempête Irma, qui a ravagé l'île le 6 septembre 2017, a modifié le regard de l'État, qui a consenti un plan massif d'aide à la collectivité. Dans son rapport rendu en novembre 2017, le délégué interministériel à la reconstruction, Philippe Gustin, proposait ainsi :

- le « renforcement du rôle de représentant de l'État en charge des intérêts nationaux et garant de l'État de droit avec, en priorité, une amélioration du service en charge du contrôle de légalité et une plus grande présence sur le territoire des services de l'État actuellement basé en Guadeloupe » ;

- « la reconstruction rapide d'une cité administrative et le renforcement des personnels » ;

- « la désignation à Saint-Martin de chefs de projet pour des services ou parties de services de l'État et des collectivités, dans un domaine déterminé et pour une durée limitée, par accord entre le représentant de l'État et le président du conseil territorial de Saint-Martin ou, à défaut, mise en place de conventions d'assistance à maîtrise d'ouvrage entre l'État et la collectivité ».

Les membres de la délégation de la commission ont pu constater que ces engagements ont été tenus. Ils ont rencontré des personnels de l'État aux moyens renforcés, très motivés par la tâche de reconstruction et de reconstitution du potentiel du territoire.

Une aide en ingénierie est assurée notamment via l'AFD, par le recrutement de cinq assistants techniques. Tandis que des personnels plus nombreux des directions régionales de l'État implantées en Guadeloupe permettent de prendre en charge de nombreuses missions.

La création d'une cité administrative et judiciaire, dont la livraison est prévue pour la fin de l'année 2024, témoigne de ce « réinvestissement » des administrations étatiques à Saint-Martin. Elle permettra d'accueillir en un lieu unique et fonctionnel l'ensemble des services de l'État (préfecture, rectorat, DEAL, ARS, Police aux frontières, direction de la mer, DIRECCTE, douane...) et l'ensemble des services de la justice (tribunal de proximité, service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) et unité éducative de milieu ouvert (UEMO)) du territoire.

Toutefois, ces réussites doivent être consolidées afin d'achever la reconstruction de l'île - plus de la moitié du parc de bâtiments et d'équipements a été reconstruit - et impérativement s'accompagner d'une consolidation des dispositifs de prévention et de gestion de crise entre l'État, la collectivité mais également la partie néerlandaise de l'île, qui faisait défaut lors de la survenue de l'ouragan Irma.

Comme l'a souligné l'Agence française de développement (AFD), pour Saint-Martin, « face à la gestion d'une crise de cette ampleur, les institutions locales ont eu de très grandes difficultés à réagir efficacement. De fait, Irma a mis en lumière et exacerbé des faiblesses structurelles, tant sur le plan financier qu'organisationnel, déjà identifiées par la collectivité territoriale elle-même, ainsi que par les services de l'État et l'AFD ». Cette fragilité peut expliquer que, plus de trois ans après l'ouragan, la reconstruction de Saint-Martin ne soit qu'engagée alors qu'elle est quasiment achevée à Saint-Barthélemy.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 12 JUILLET 2023

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous abordons à présent le rapport de la mission d'information que nous avons créée sur la situation institutionnelle, la justice et la sécurité dans les quatre collectivités françaises des Antilles. Je rappelle que cette mission a été constituée en octobre 2022 et qu'en avaient été désignés rapporteurs Philippe Bonnecarrère, Cécile Cukierman, Marie-Pierre de La Gontrie, Henri Leroy, et moi-même. Nous nous sommes rendus sur place du 10 au 18 avril dernier.

Notre travail s'inscrit dans la suite de nos travaux relatifs aux territoires ultramarins. En effet, après la Guyane en 2019, Mayotte en 2021 et la Nouvelle-Calédonie en 2022, nous avons choisi de nous intéresser aux quatre collectivités françaises des Antilles : la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Le Gouvernement a reculé à plusieurs reprises la réunion du comité interministériel des outre-mer (Ciom) qu'il a pourtant lui-même convoqué. Le Ciom devait en effet se réunir début juin, puis début juillet, et a finalement été reporté sine die. C'est un sujet d'interrogation pour nous. Notre commission poursuit néanmoins ses travaux. Après avoir porté un regard attentif sur la situation des territoires ultramarins, nous continuons d'être force de proposition.

Au-delà de leur diversité, une unité forte demeure entre ces quatre territoires, situés à près de 7 000 kilomètres de l'Hexagone. Tous quatre ont été forgés par une identité caribéenne revendiquée, et une histoire dont ils gardent chacun les stigmates. En outre, ces territoires ont tous besoin d'une action forte de l'État, qui doit non seulement assurer efficacement ses missions régaliennes, mais aussi accompagner les collectivités dans leur développement, en veillant à laisser toute sa place à l'expression de leur identité.

Au terme de notre déplacement et des échanges nombreux menés sur place - nous avons pu être accompagnés à certains moments par nos collègues sénateurs, notamment Dominique Théophile -, nous sommes convaincus que la République doit toute son attention à chacun de ces territoires, en tenant pleinement compte de leur environnement caribéen. Dans ce contexte, la question institutionnelle est majeure, mais elle ne doit pas occulter la nécessité de renforcer, par d'autres actions, l'efficacité de l'action publique locale au bénéfice des citoyens.

Nous vous soumettons donc 35 recommandations qui visent à apporter des réponses aux situations que nous avons pu rencontrer sur place.

Nous avons été frappés tout d'abord par la relation très ambivalente de ces territoires avec l'État et, plus généralement, avec l'Hexagone. Il y a incontestablement une méfiance à l'égard de l'État, en particulier chez nos concitoyens de Guadeloupe et de Martinique.

Les collectivités restent fortement marquées par le traitement qui a été infligé à leurs populations dans le cadre de la traite négrière et de l'esclavage. L'histoire est là, il ne faut pas la nier, et elle est toujours présente. Cette part de l'histoire altère encore aujourd'hui les relations d'une partie de la population et d'une partie de la classe politique avec l'État et ses représentants.

L'État est ainsi parfois présenté comme une puissance arrêtant unilatéralement et autoritairement des décisions, sans prendre suffisamment en considération les besoins exprimés par les institutions locales et leurs représentants, ainsi que les populations elles-mêmes.

À cela s'ajoute un sujet important : le nombre des fonctionnaires venus de l'Hexagone, sans attache familiale particulière avec les territoires concernés, pour exercer des fonctions dans l'administration de l'État, souvent à des postes d'encadrement, conjugué à la difficulté pour les forces vives ultramarines, une fois devenues fonctionnaires, de revenir sur leur territoire d'origine. Cette situation est dénoncée par certains habitants comme la poursuite d'une administration sinon coloniale, du moins extérieure et, de ce fait, déconnectée de la société locale.

Ce sentiment prégnant de défiance est aggravé par le scandale du chlordécone, substance dont les effets toxiques sont connus depuis 1975, mais dont l'utilisation en Martinique et Guadeloupe n'a été interdite qu'en 1993. Ce décalage est perçu par de nombreux acteurs locaux comme une faute majeure de l'État, et la marque d'une déconsidération de ces territoires et de leur population.

Ce terreau n'est sans doute pas étranger aux tensions majeures survenues dans le cadre de la lutte contre la covid-19, qui a parfois été vécue comme une nouvelle illustration des décisions unilatérales de santé publique prises par l'État.

Cette méfiance généralisée d'une partie de la population - je parle bien d'une partie de la population - face à l'action de l'État a pour effet de renforcer le discours autonomiste, voire indépendantiste dans une partie de la classe politique ou syndicale.

Pourtant, le manque d'État est souvent déploré au quotidien. La faiblesse, avérée ou non, de l'État déconcentré est présentée par certains acteurs politiques ou syndicaux comme une nouvelle preuve d'un traitement dégradé, sinon d'un rabaissement, des collectivités françaises des Caraïbes par rapport à l'Hexagone. La demande d'une présence plus importante de l'État est donc aussi perçue comme l'accomplissement d'un devoir moral de ce dernier, et comme la juste réparation de ce qu'il s'est passé sur ces territoires.

Lors des échanges que nous avons eus sur place, nous avons pu constater combien la défiance affichée s'accompagnait, sans que cela soit jugé contradictoire, d'un désir de voir l'État plus présent au quotidien. Ce sentiment se manifeste particulièrement dans la demande, relayée par l'ensemble des acteurs, politiques, économiques, sociaux ou culturels, d'une meilleure sécurité au quotidien et d'un traitement judiciaire plus rapide et efficace. L'idée est que la promesse républicaine se matérialise en actes concrets, y compris à des milliers de kilomètres de l'Hexagone.

Dans ce contexte, l'État est également regardé comme le garant d'un certain nombre de droits sociaux, venant compenser les situations de précarité des sociétés antillaises engendrées par des handicaps structurels liés à leur insularité et leur faible superficie, et par un phénomène de vie chère qui se présente dans des proportions inconnues des autres territoires de la République.

Il revient donc à l'État de trouver les voies et moyens, adaptés à chaque territoire antillais, pour concilier l'efficacité dans la réalisation de ses missions régaliennes et l'accompagnement effectif de collectivités particulièrement avancées dans l'autonomie.

Toutefois, quelles que soient leur méfiance à l'égard de l'État et l'éventuelle insuffisante action de ce dernier, les quatre territoires souhaitent résolument inscrire leur avenir dans la République. Ce dernier point nous est apparu très clairement lors de nos travaux.

C'est d'ailleurs le sens de l'appel de Fort-de-France signé en mai 2022 par les présidents de sept collectivités ultramarines, dont celles de Guadeloupe, de Martinique et de Saint-Martin. Cet appel, loin d'être un refus d'appartenance à la République, traduit au contraire la volonté de conserver l'ancrage des collectivités signataires dans la République française, dans une relation renouvelée qui tienne davantage compte de la nécessité d'adapter leur modèle à leurs spécificités et leur identité propre.

S'y exprime en particulier le besoin de reconnaissance d'une situation géographique et historique singulière. Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique, évoquait ainsi un « double positionnement » : « Français dans la République, et Européens », dans une « proximité humaine et géographique avec la Caraïbe, la maison commune ».

Enfin, l'action de l'État aux Antilles s'inscrit dans un contexte éloigné de l'Hexagone et particulièrement spécifique : la Caraïbe. Ces quatre îles françaises sont, je le crois, une véritable chance pour la France tant par leur richesse intrinsèque que par leur positionnement géographique qui en fait autant de portes d'entrée de la France dans l'arc caribéen. Or cette réalité semble aujourd'hui ignorée ou à tout le moins peu mise en valeur : la spécificité caribéenne de ces territoires demeure un angle mort des politiques conduites par l'État dans ces territoires. Cela ne date pas d'aujourd'hui.

C'est pourquoi nous pensons que, si elle est importante, la question institutionnelle ne doit pas éluder les principaux axes d'amélioration concrets pour ces territoires qui vont vous être présentés, à savoir, la sécurité, la justice, l'insertion dans l'environnement régional et l'efficacité des politiques publiques locales.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. - La demande d'une présence plus importante de l'État est d'autant plus grande dans ces territoires que les institutions publiques locales rencontrent des difficultés qu'elles ne peuvent surmonter sans son aide.

La première difficulté que nous avons constatée résulte de la situation financière très dégradée de la plupart des communes, abstraction faite de Saint-Barthélemy. Ainsi, en Guadeloupe, 29 des 32 communes et deux des six intercommunalités du département sont en état d'alerte financière. De plus, bien que les collectivités reçoivent des aides importantes de l'État comme de l'Union européenne, celles-ci se heurtent à un phénomène de sous-consommation majeur qui obère leur capacité d'action.

En outre, pour faire face à ces difficultés, les collectivités connaissent une pénurie de personnels qualifiés. Cette pénurie provient en premier lieu de la structure de l'emploi public dans les collectivités, composé dans de fortes proportions d'emplois de catégorie C. Dans certaines communes, le recrutement a fait office d'amortisseur social lors de la crise de la canne à sucre, ce qui explique en grande partie la physionomie actuelle de l'emploi public local.

En outre, les collectivités sont confrontées à des difficultés de recrutement des personnels d'expertise ou d'encadrement, notamment sur des thématiques telles que la passation des marchés publics ou les fonctions budgétaires et comptables. Le bassin d'emploi des collectivités s'avère en effet souvent trop étroit pour recruter des personnels présentant un profil pertinent. De ce point de vue, l'offre de formation locale paraît insuffisante et, en tout état de cause, globalement inadaptée aux besoins.

Dans un contexte marqué par un phénomène structurel de départs de la jeunesse antillaise pour l'Hexagone, voire en Amérique du nord, il en découle une revendication, plusieurs fois formulée au cours des entretiens, pour que l'État local puisse être davantage administré par des agents originaires des territoires ultramarins et que des dispositifs facilitant le retour des agents partis exercer leurs fonctions dans l'Hexagone ou dans d'autres collectivités ultramarines soient mis en place de manière effective.

Face à cette situation, nous formulons deux recommandations opérationnelles : développer l'offre du service militaire adapté au profit des jeunes Saint-Martinois dans la perspective de la reconstruction de l'île après l'ouragan Irma, et développer une offre locale de formation aux métiers du secteur public, par exemple par la création d'un institut régional d'administration (IRA) pour les Antilles-Guyane.

Au vu de ces difficultés qui obèrent la capacité d'agir des collectivités antillaises, l'État a déployé des dispositifs spécifiques d'accompagnement, qui peuvent encore être améliorés.

En plus d'une aide financière, l'Agence française de développement (AFD) apporte aux collectivités un soutien en ingénierie locale très pertinent. Sur ce point, nous recommandons, au-delà de la réalisation de projets ponctuels, d'utiliser l'assistance technique assurée par l'État pour former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire au plein exercice de leurs missions.

Une autre mesure d'accompagnement serait possible. Le dispositif des contrats d'accompagnement des communes d'outre-mer en difficulté financière (COROM) concerne à ce jour les communes de Pointe-à-Pitre, Sainte-Rose et Basse-Terre en Guadeloupe, et celles de Fort-de-France et Saint-Pierre à la Martinique. Ce dispositif contribue sans conteste à créer une dynamique de réformes favorable. Nous proposons donc de l'élargir et d'augmenter les crédits qui y sont alloués afin d'en faire bénéficier un nombre plus important de communes.

Les contrats de convergence et de transformation (CCT) et le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) sont aussi des mesures d'accompagnement pertinentes pour les collectivités. Compte tenu des difficultés de sous-consommation constatées, il faut veiller à faciliter la consommation des contrats de convergence et de transformation qui seront conclus pour la période 2024-2027, en assouplissant les possibilités de fongibilité des crédits prévus. Concernant le fonds exceptionnel d'investissement, il est souhaitable d'accroître la lisibilité des crédits disponibles dans chaque territoire, en envisageant une territorialisation plus marquée de ces derniers.

Enfin, l'État a mis en place des dispositifs de cofinancement et d'aide à des projets locaux spécifiques. C'est le cas pour la lutte contre les échouages de sargasses. Là encore, il faut que les collectivités se saisissent effectivement des moyens financiers mis à leur disposition face à l'ampleur des dégâts que cette situation entraîne sur l'environnement et les activités touristiques et de loisirs de la Guadeloupe.

La distribution de l'eau en Guadeloupe fournit un autre exemple de l'action de l'État pour accompagner les collectivités dans la gestion de leurs compétences. Au quotidien, un quart des Guadeloupéens sont confrontés à des tours d'eau ou à des pénuries. Face à cette situation inacceptable et aux difficultés des acteurs locaux à mener un projet d'ampleur, le législateur a créé un établissement public local. Un contrat d'accompagnement renforcé a été signé visant à assurer la mise en oeuvre de l'appui de l'État, moyennant une dotation exceptionnelle de fonctionnement de 27 millions d'euros en 2023 et la mise à disposition de six assistants techniques pour aider temporairement le syndicat dans sa structuration.

Il faut désormais que cette structure, créée en 2021, devienne rapidement pleinement opérationnelle afin que l'accès à l'eau de l'ensemble des Guadeloupéens soit enfin garanti.

Doit également être mentionné le dispositif déployé à Saint-Martin à la suite de l'ouragan Irma, exemple pertinent d'une action volontariste et globale de l'État au chevet des habitants et de la collectivité.

Cependant, comme le réclame l'appel de Fort-de-France, il faut davantage adapter les référentiels nationaux pour mieux épouser les réalités locales. Plus qu'ailleurs, il faut faire vivre, dans ces territoires, la politique de différenciation. De fait, lors du déplacement, nous avons pu mesurer certaines situations ubuesques qui résultent d'un défaut d'adaptation ainsi que la légitimité des demandes des élus.

À Saint-Barthélemy et Saint-Martin, par exemple, notre attention a été attirée sur les critères nationaux retenus pour la potabilité de l'eau qui, appliqués dans ces collectivités qui ne bénéficient d'aucune ressource en eau autre que la désalinisation, constituent une difficulté majeure.

À Saint-Martin, a également été souligné par les élus de la collectivité territoriale le manque d'adaptation aux caractéristiques du territoire du plan de prévention des risques naturels (PPRN).

De manière générale, comme dans le reste des outre-mer, on constate une insuffisante prise en considération des circonstances locales dans le cadre des normes en matière de construction, comme en matière d'habitat. Nous appelons donc l'État à poursuivre ses efforts pour adopter une démarche systématique d'adaptation des normes et référentiels, en matière technique notamment, afin de prendre pleinement en considération les circonstances locales.

M. Henri Leroy, rapporteur. - Comme vous l'avez dit, monsieur le président, nous nous sommes spécialement attachés à faire un point de situation en matière de sécurité et de justice.

Notre constat général est que, plus que dans d'autres collectivités, la présence de l'État déconcentré dans les départements et collectivités de la Caraïbe se caractérise par la faiblesse de ses moyens. Je veux toutefois signaler que nous avons rencontré des forces de sécurité intérieure et des agents des douanes particulièrement mobilisés. Or ceux-ci font face à une situation sécuritaire dégradée.

La situation insulaire des collectivités rend leur territoire particulièrement poreux aux influences extérieures. Par exemple, en Guadeloupe, des débarquements quotidiens, de jour comme de nuit, se font en provenance de La Dominique, pour apporter des armes, de la drogue ou de l'argent. À Saint-Martin, le principe de libre passage de la frontière terrestre avec la partie néerlandaise favorise les trafics, notamment du fait d'une certaine impunité laissée aux trafiquants.

Si elle est très préservée, Saint-Barthélemy n'est pas pour autant à l'abri de telles influences extérieures, d'autant que les conditions du contrôle aux frontières paraissent défaillantes. Lors de notre déplacement, a notamment été évoquée l'impossibilité technique des forces de gendarmerie nationale, chargées à Saint-Barthélemy des missions de police aux frontières, d'accéder au fichier des titres électroniques sécurisés (TES) lors de leurs contrôles. Nous appelons donc à une évolution rapide pour que cesse ce dysfonctionnement.

Le trafic de stupéfiants constitue un autre élément majeur. Ces îles se situent en effet dans une zone particulièrement concernée par le trafic de drogue international, en provenance d'Amérique du Sud. La partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin, via notamment l'aéroport de Juliana, a été plusieurs fois présentée au cours des auditions comme le « hub logistique » de la cocaïne dans la région. La drogue est donc très présente dans les territoires, transitant par avion, par bateau ou par voie postale.

Le trafic de stupéfiants est le fait d'organisations criminelles internationales, mais aussi issues de l'Hexagone, qui trouvent dans la population des soutiens logistiques. De l'aveu des forces de sécurité intérieure, l'importance des gains engendrés par ce trafic donne une capacité de corruption de plus en plus importante, et permet un recrutement de soutiens sur place.

À l'exception notable de Saint-Barthélemy, les territoires des Antilles sont touchés par une violence de plus en plus grande au quotidien, présente dans l'ensemble de la zone Caraïbe. Celle-ci s'explique par une circulation d'armes particulièrement importante : tout le monde est armé aux Antilles. En Guadeloupe, le taux de criminalité de sang varie, selon les années, de 4,5 %o à 8 %o, contre 1 %o dans l'Hexagone. On y assiste à une professionnalisation des gangs, présents notamment dans les parties les plus urbanisées - Pointe-à-Pitre, Les Abymes -, qui prospèrent sur des jeunes en déshérence. Cette professionnalisation paraît directement liée au trafic de stupéfiants. La délinquance violente semble être majoritairement le fait d'auteurs provenant de La Dominique, la République dominicaine ainsi qu'Haïti.

Pourtant, l'accroissement des violences au quotidien ne semble pas faire l'objet d'une réelle prise en considération politique à l'échelon local. Les exactions commises en novembre et décembre 2021 semblent ainsi avoir été peu condamnées lors des prises de parole politiques locales. La situation paraît néanmoins préoccupante, même si, selon les représentants de l'autorité judiciaire rencontrés lors du déplacement, cette violence est essentiellement le fait d'une minorité agissante, visible et médiatisée.

En Martinique, en 2022, 28 homicides ont été perpétrés, dont 18 en zone gendarmerie, soit une augmentation de plus de 125 % par rapport à 2021. La délinquance générale progresse significativement avec une augmentation considérable des atteintes aux biens et à l'intégrité physique, les vols violents à main armée croissant de 45,95 %. Les violences intrafamiliales sont également en augmentation de 8,35 % en zone gendarmerie, et de 7,52 % en zone police.

À Saint-Martin, les représentants des forces de sécurité intérieure que nous avons rencontrés ont fait état de violences avec armes supérieures à quatre fois la moyenne nationale et de vols à main armée représentant plus de dix-huit fois la moyenne nationale. Les refus d'obtempérer sont quotidiens.

Or, face à cette situation, les services de sécurité intérieure sont à la peine.

Des escadrons de gendarmerie mobile doivent en permanence être stationnés dans ces territoires, et renouvelés tous les trois mois - deux en Guadeloupe « continentale » et une dans les îles du Nord ; deux en Martinique compte tenu de la situation sécuritaire - et font en réalité plus de la sécurité publique que du maintien de l'ordre.

Les effectifs de police municipale, peu développés et disposant de peu de moyens, ne sont pas suffisamment à même d'épauler les forces de sécurité de l'État dans leurs missions quotidiennes de sécurité publique. Des actions en vue de développer leur complémentarité avec les forces de sécurité étatique sont toutefois engagées. Le contrat territorial de sécurité, en cours d'élaboration en Martinique, peut notamment être évoqué.

Compte tenu du niveau de violence constaté, une coopération de l'ensemble des acteurs de la sécurité paraît essentielle. Aussi recommandons-nous le renforcement des contrats de sécurité, pour coordonner les actions de lutte contre la délinquance.

Enfin, les équipements actuels des forces paraissent clairement inadaptés aux enjeux. J'en veux pour preuve l'antenne de l'Office antistupéfiants (Ofast) de Fort-de-France dont le commandant nous signalait ne pas disposer de radars pour contrôler les navires entrants et sortants du port, ou encore manquer de moyens pour assurer une réelle surveillance périmétrique de l'île.

Lors du déplacement à Saint-Martin, au coeur de la route des stupéfiants vers l'Europe, la seule vedette de la douane était immobilisée pour panne depuis plusieurs semaines, et la perspective d'une réparation estimée à plusieurs mois - ce tandis que la brigade nautique de la gendarmerie nationale comporte un seul bateau, embarquant quatre personnels, pour sécuriser les deux îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

En moyens héliportés, la gendarmerie nationale ne dispose en Guadeloupe que d'un engin pour faire des rotations entre les îles, immobilisé au moins 20 % du temps, et qui, au surplus, ne peut voler de nuit.

L'indigence de ces moyens obère toute capacité de réaction efficace des forces de sécurité intérieure face aux mouvements criminels entre les îles. Nous appelons donc à une mobilisation forte pour que la douane et la gendarmerie nationale soient dotées de moyens d'intervention à la hauteur des enjeux.

Si l'on ne s'active pas, la route de la drogue ne sera plus l'Amérique du Sud, pour l'Europe, mais les Caraïbes.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - La situation de la justice reste difficile, même si elle est en amélioration. Les juridictions devraient bénéficier, dans des proportions pour l'instant peu précises - bien que l'arrivée de quatre magistrats et de quatre juristes assistants à Pointe-à-Pitre ait été annoncée pour septembre prochain par le garde des sceaux - des recrutements rendus possibles par le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, en cours de navette.

L'importance des faits de violence en Guadeloupe induit une forte activité pénale des juridictions. Ainsi, au regard des 34 homicides et des 132 tentatives d'homicides commis en 2022, la cour criminelle départementale et la cour d'assises de Basse-Terre siègent de façon permanente, notamment en raison du fort taux d'élucidation qui est constaté sur ce territoire. On relève également une part importante de violences avec armes, mais aussi deux fois plus de violences intrafamiliales qu'en métropole.

Le bâtonnier de la Guadeloupe a fait état de difficultés liées à la double insularité de ce territoire - soit le fait d'être une île rattachée à une île.

Compte tenu du montant de l'aide juridictionnelle, les avocats rétribués à ce titre ne sont pas en mesure de se déplacer à Saint-Martin, ni même dans les commissariats des Saintes ou de Marie-Galante en cas de garde à vue. Nous recommandons par conséquent de moduler le montant de la rétribution des avocats au titre de l'aide juridictionnelle pour prendre en considération la double insularité de la Guadeloupe.

Au regard de cette même problématique géographique, la question de la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin doit être posée. Près de 40 % du contentieux du tribunal judiciaire de Basse-Terre proviennent de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Or le coût des liaisons aériennes pour acheminer les membres du tribunal à Marigot ainsi que les temps et effectifs consacrés aux escortes grèvent fortement l'organisation de la juridiction. Une disposition a cependant été introduite dans le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, permettant le recours à la visioconférence sur certains points pour limiter le coût et la durée des déplacements.

Nous invitons néanmoins le ministère de la justice à conduire une réflexion sur la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice dans cette collectivité.

Notre attention a été attirée sur la vétusté des locaux abritant la cour d'appel et le tribunal judiciaire de Basse-Terre, qui sont en effet inadaptés à une justice moderne. Nous insistons donc pour que les projets d'extension et de réhabilitation programmés soient menés à leur terme rapidement, tant pour assurer un accueil adapté des justiciables que pour offrir un cadre de travail décent aux personnels, magistrats comme fonctionnaires.

Si, en Guadeloupe, la juridiction administrative bénéficie de locaux neufs et, de ce fait, fonctionnels, l'attention de la délégation a été attirée sur les difficultés de recrutement pour pourvoir les postes au tribunal administratif de Basse-Terre.

Il est fait état d'une croissance, dans les dernières années, de 10 % par an des référés libertés en matière de contentieux des étrangers, qui constituent près du tiers de l'activité du tribunal, du fait de l'immigration essentiellement haïtienne. Le président du tribunal s'est à cet égard interrogé sur la pertinence des dispositions spécifiques à la Guadeloupe qui prévoient que le recours contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) n'est pas suspensif d'exécution, rendant ainsi nécessaire l'introduction d'une demande tendant à obtenir le sursis à l'exécution de la mesure d'OQTF.

La situation pénitentiaire dans les territoires des Antilles se caractérise depuis longtemps par une sur-occupation chronique des établissements et, jusqu'à récemment, par des structures de détention indignes.

Nous nous sommes notamment rendus au centre pénitentiaire de Baie-Mahault qui connaissait alors un taux d'occupation de 140 % - 684 détenus, pour une capacité théorique de 491 places -, doublé d'un taux de 229 % pour le quartier maison d'arrêt.

Le bâtonnier de la Guadeloupe a, de son côté, fait valoir l'indigence des services pénitentiaires d'insertion et de probation dans ce territoire, qui privait les détenus en fin de peine d'accompagnement, mais aussi de l'ensemble des alternatives à l'emprisonnement faute de moyens ou de services. Le directeur du centre pénitentiaire de Ducos, en Martinique, a fait état du même constat : faute d'une desserte par les transports en commun du centre pénitentiaire, les détenus ne peuvent bénéficier d'aménagements de peine pour leur permettre de reprendre un emploi ou de s'inscrire à une formation qui ne serait pas dispensée au sein de la prison.

Lors de son audition, le bâtonnier de Fort-de-France a estimé que l'une des raisons de cette surpopulation carcérale provenait d'une tendance des magistrats en Martinique à prononcer des peines aggravées par rapport à l'Hexagone, alors même que cette île ne comporte ni centre de semi-liberté, ni centre éducatif fermé, ni mesures d'accompagnement à la sortie de prison.

Face à la surpopulation chronique et à la vétusté du parc pénitentiaire, le ministère de la justice a engagé depuis plusieurs années des moyens importants pour une remise à niveau des établissements présents en Martinique et Guadeloupe.

En Martinique, l'établissement de Ducos a récemment fait l'objet d'une double extension. En outre, la construction d'une structure d'accompagnement vers la sortie (SAS) de 120 places - dont 30 places de semi-liberté - est lancée.

La Guadeloupe devrait connaître deux réalisations majeures dans les prochaines années. Tout d'abord, la démolition de la très vétuste maison d'arrêt de Basse-Terre et sa reconstruction sur le même site devraient intervenir, selon la direction de l'administration pénitentiaire, à l'horizon 2025. Ensuite, le centre pénitentiaire de Baie-Mahault devrait faire l'objet d'une extension majeure, via la création de 300 nouvelles places ainsi que la reconstruction du quartier disciplinaire et du quartier d'isolement. Le garde des sceaux a posé la première pierre de cette extension le 17 mai dernier, sa livraison étant annoncée en 2026.

La collectivité de Saint-Martin réclame la présence sur l'île d'une prison compte tenu du nombre de Saint-Martinois écroués à Baie-Mahault, qui ne peuvent recevoir la visite de leur famille en raison des frais de déplacement vers la Guadeloupe.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - J'en viens à l'insertion des collectivités françaises des Caraïbes dans leur environnement régional. Conformément à l'ambivalence mise en exergue par le président Buffet au début de ses propos, ces territoires se sentent mal aimés ou insuffisamment aimés par l'Hexagone, alors que celui-cia le sentiment de faire d'importants efforts en leur direction. Il s'agit d'un véritable paradoxe, personne ne s'émouvant par ailleurs de voir les îles anciennement sous souveraineté néerlandaise ou britannique faire l'objet du plus profond désintérêt de la part de leurs anciennes nations de rattachement. En outre, nos collègues des collectivités locales de la Caraïbe reconnaissent que le niveau moyen de revenus en Guadeloupe et en Martinique est très supérieur au niveau de vie constaté dans les autres territoires de cette zone.

Nous avons le sentiment que les quatre territoires n'entretiennent pas de synergies réelles entre eux, alors qu'ils pourraient sans doute davantage s'appuyer les uns sur les autres pour leur propre rayonnement local ni avec leurs voisins caribéens. Si la notion d'appartenance à une sorte de nation caribéenne est très présente dans les discours, la relation avec ces derniers paraît en réalité limitée, alors qu'il s'agit de leurs partenaires naturels.

Il s'ensuit le besoin de penser les collectivités des Antilles comme des collectivités de pleine appartenance à la République, comme toute collectivité de l'Hexagone, mais également comme des entités ayant des spécificités géographiques fortes ainsi que des liens historiques, culturels, économiques et sociaux avec les autres îles caribéennes et au-delà. De ce point de vue, les élus locaux appellent à décentrer la vision de l'État vers la Caraïbe, ce qui est indispensable.

Il nous paraît dès lors essentiel de dépasser la relation autocentrée et exclusive entre la collectivité et l'Hexagone, tant celle-ci gagnerait à être enrichie par une coopération avec les îles avoisinantes.

C'est pourquoi nous préconisons en particulier de faciliter l'usage par les collectivités antillaises des facultés de négociation d'accords internationaux avec des pays tiers ou des organisations régionales et de leur permettre, sur le modèle polynésien ou calédonien, de disposer de représentants au sein de ces organisations régionales.

De la même manière, dans le cas de Saint-Martin, sa spécificité d'île binationale nous semble justifier la conclusion d'accords locaux de gestion de certains équipements utiles à tous les Saint-Martinois par les deux parties de l'île, comme les installations aéroportuaires ou la gestion de l'eau potable. Il importe donc de faciliter ces accords, tant par une implication volontariste de l'État que par la reconnaissance juridique de ces possibilités.

En outre, convaincus que ces collectivités sont une chance pour le rayonnement de la France dans la région et qu'une coopération fructueuse, y compris sur les matières régaliennes, présenterait d'indéniables intérêts réciproques, nous estimons indispensable de renforcer l'insertion de ces collectivités et la présence française dans la Caraïbe.

Lors de nos rencontres avec les préfets de Martinique et de Guadeloupe, nous avons été surpris de noter qu'ils étaient les seuls préfets en poste outre-mer à ne pas bénéficier des services d'un conseiller diplomatique. Nous préconisons donc d'en affecter un auprès de chacun d'eux afin de développer l'intégration régionale et d'avoir un acteur « ensemblier » des actions de coopération au sein de l'arc caribéen.

Par ailleurs, les forces de sécurité intérieure comme les acteurs judiciaires de Guadeloupe ou de Martinique nous ont indiqué avoir engagé des coopérations bilatérales, en particulier avec Sainte-Lucie et la Dominique. Il nous semble primordial et urgent de renforcer ces coopérations par deux moyens : d'une part, en systématisant l'échange d'informations et la formation du personnel des forces de sécurité intérieure avec Sainte-Lucie, la Dominique, Antigua ou encore la partie hollandaise de Saint-Martin ; d'autre part, en améliorant la coordination judiciaire, notamment par la nomination de magistrats de liaisons et le développement d'accords judiciaires bilatéraux pour lutter plus efficacement contre les trafics internationaux d'armes et de drogue. Cette demande peut vous surprendre, mais la pression est considérable en matière de trafic de stupéfiants, notamment sur le haut du spectre. Ce dernier commence en Colombie et passe par le Venezuela. Si l'on veut travailler sur ces sujets, on est obligé de constater que la Caraïbe est un prolongement de l'Amérique latine et particulièrement de la zone colombienne.

Nous n'avions pas mesuré combien la Colombie réorientait ses exportations, puisque les drogues de synthèse sont désormais très présentes aux États-Unis et que le marché de la cocaïne se recentre, en conséquence, sur l'Europe. Or, pour ce faire, il est naturel de passer par la zone caribéenne. C'est pourquoi nous suggérons une coordination judiciaire plus large. Nous saluons sur ce point les premières annonces en ce sens du garde des Sceaux, qui semble avoir acté la création d'un poste de magistrat de liaison à Sainte-Lucie pour 2024.

Il nous semble également pertinent d'appeler le Gouvernement à consolider les relations diplomatiques déjà existantes avec les pays voisins, singulièrement Haïti, pour garantir l'effectivité des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre des ressortissants des îles avoisinantes. Je ne vous apprends rien en vous rappelant que les mesures d'éloignement sont tributaires de la délivrance de laissez-passer consulaires, même s'il semble que, dans cette zone, la pratique soit plus aisée que dans d'autres territoires.

Ces relations sont d'autant plus indispensables compte tenu de la véritable bombe à retardement que risque de constituer Haïti, en raison de l'état de décrépitude politique et institutionnelle de ce pays et du fait qu'il soit très peuplé par comparaison avec les autres îles de la Caraïbe. Si des problèmes plus graves devaient survenir à Haïti, ce seraient des problèmes caribéens, qui toucheraient par conséquent aussi les collectivités françaises de la Caraïbe.

Au-delà des strictes questions régaliennes, nous avons pu constater à quel point la France s'était, pendant de trop nombreuses années, tenue éloignée des organisations de coopération régionales, qu'elles soient économiques ou culturelles. Il est indispensable de renforcer notre présence en leur sein et d'y associer pleinement les collectivités antillaises volontaires. Sur ce point, la demande de la collectivité territoriale de Martinique d'être associée à la CARICOM mérite d'être entendue et accompagnée par l'État.

Enfin, le renforcement de la coopération régionale ne saurait se faire sans les collectivités territoriales qui ont toutes formulé des demandes en ce sens.

S'il est vrai que des potentialités existent, elles devraient être complétées afin de permettre aux collectivités de développer des actions concrètes. Nous avons entendu beaucoup de discours généraux, et peu de projets concrets sur des enjeux susceptibles d'être partagés par l'ensemble des collectivités de l'arc caribéen. Les collectivités antillaises françaises ne peuvent notamment demander à l'État seul de régler la question des sargasses. Il appartient à l'État d'encourager et d'accompagner le développement de ces coopérations, prioritairement par le déploiement d'outils bilatéraux ou multilatéraux diversifiés et adaptés à chaque projet.

Je me permets enfin d'émettre une observation personnelle. Si nous comprenons que l'État ait été réticent à permettre aux collectivités territoriales de la zone caribéenne d'avoir une coopération qui leur soit propre avec les autres îles du secteur, je crois que les avantages l'emportent, en l'occurrence, sur les inconvénients. C'est une manière de les responsabiliser, et de leur permettre de mesurer les handicaps frappants d'autres îles de la Caraïbe - tout cela étant plutôt de nature à renforcer, et non affaiblir, l'influence française.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Les 35 recommandations que nous formulons s'organisent autour de trois principes : l'ancrage des territoires français de la Caraïbe dans la République, l'insuffisante prise en compte du contexte local caribéen et la nécessité d'assurer en priorité l'efficience de l'action publique locale.

Mme Muriel Jourda. - Indépendamment du contexte historique et géographique dans lequel elles s'inscrivent, les plaintes des collectivités locales relatives à l'excès ou au défaut d'intervention de l'État sur certains points varient-elles beaucoup par rapport à celles qu'on entend dans l'Hexagone ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Si elles ne sont pas différentes dans leur expression, elles sont intéressantes par la réalité qu'elles recouvrent. Nous avons tous constaté que les moyens financiers, venus des collectivités elles-mêmes ou, le plus souvent, de l'État et de l'Union Européenne, ne manquent pas. La question qui se pose est celle de l'efficacité de l'usage de cet argent public.

Mme Muriel Jourda. - Cette question se pose dans toute la France !

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Certes, mais dans le cas particulier des Antilles françaises, les moyens ne manquent pas, contrairement à ce qui se produit ailleurs. En revanche, on relève des manques en matière d'ingénierie sur les projets. L'État accompagne d'ailleurs ces territoires pour y remédier. Le système COROM est à cet égard très utile. À titre d'exemple, certains projets appuyés sur des cofinancements européens n'ont pu être menés à bien ou à terme faute de disposer de l'ingénierie nécessaire, ce qui est regrettable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - Dans le cadre de la reconstruction à l'issue du passage de l'ouragan Irma, les collectivités elles-mêmes ont salué l'efficacité de l'intervention de l'État.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Les actions menées à Saint-Martin dans ce contexte sont remarquables.

M. Mathieu Darnaud. - Nous devons nous interroger régulièrement sur le rôle de l'État face aux volontés réaffirmées de différenciation et de gain d'agilité exprimées par ces territoires.

À la suite du passage de l'ouragan Irma, la délégation sénatoriale aux outre-mer avait souligné dans un rapport la difficulté dans laquelle s'étaient trouvés les maires pour coordonner les moyens nécessaires à la reconstruction et trouver l'ingénierie requise, via notamment la mobilisation des fonds existants. Cette situation appelle une réelle réactivité et une véritable agilité de la part de l'État. Malheureusement, aujourd'hui encore, nous peinons à répondre entièrement à cette exigence.

Par ailleurs, se pose la question de savoir ce que nous pourrions faire sur le plan institutionnel pour les territoires français de la Caraïbe, au-delà de l'éventuelle fusion des articles 73 et 74 de la Constitution. Michel Magras préconisait notamment de doter certains pays d'outre-mer de statuts différenciés au regard de leurs spécificités territoriales.

Il s'agit d'une question essentielle. Or nous avons trop souvent tendance à mélanger ce débat institutionnel avec certaines problématiques précises comme le logement, la sécurité ou la justice. Cette question devra néanmoins être soulevée, car il y a là un vrai besoin d'agilité. On assiste en effet à une forme de centralisme qui contrevient à la solidarité caribéenne. Ainsi, après le passage de l'ouragan Irma, la Martinique n'a pas pu venir en aide à la Dominique.

J'en viens enfin à la notion de coopération décentralisée, qui nous renvoie aux travaux que nous avions menés lors de l'examen de la loi dite « Letchimy ». Si nos territoires ultramarins ne sont pas des États, ils ont besoin de s'inscrire dans les réflexions qui sont conduites à l'échelle du bassin caribéen, notamment dans le cadre de l'Association des États de la Caraïbe (AEC). Il faudra peut-être aller plus loin en ce sens, à l'image des démarches engagées en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Toutefois, cela ne répondra pas entièrement au besoin d'agilité et de réactivité susmentionné. Il faudra y travailler.

Mme Dominique Vérien. - La situation des territoires français de la Caraïbe a un impact sur l'Hexagone, notamment pour ce qui concerne le trafic de drogue. La Guyane et la Caraïbe sont en effet le point d'entrée vers l'Europe pour le trafic venu d'Amérique du Sud. En Guyane, il y a des armes dans chaque foyer, et les Brésiliens sont plus nombreux que les Français dans les prisons. Par ailleurs, le traitement des femmes y est pour le moins particulier. Le procureur a ainsi arrêté, à Saint-Laurent-du-Maroni, une tombola dans laquelle des femmes étaient à gagner. Cet état d'esprit pourrait, si l'on n'y prend garde, se diffuser aux alentours.

Les violences intrafamiliales sont en outre plus importantes dans les outre-mer, particulièrement dans les Caraïbes, que dans l'Hexagone. Un rapport d'une association féministe souligne à ce titre que l'insularité est un facteur aggravant, car elle complique la libération de la parole. Comme tout le monde se connaît sur une île, toute plaignante s'expose en effet à des problèmes.

Enfin, un rapport d'information de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et de la délégation sénatoriale aux outre-mer, relatif à la parentalité dans les outre-mer, adopté hier, indique que la Martinique compte 59 % de familles monoparentales et 54 % de naissances non reconnues par le père, et la Guadeloupe 52 % de familles monoparentales et 63 % de naissances non reconnues par le père. La question de la parentalité est effectivement à prendre en compte.

Je rejoins donc votre conclusion : une différenciation est souhaitable. La puissance régalienne de l'État doit s'exercer dans ces territoires en tenant compte de leurs réalités propres.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous avons été frappés par le sous-équipement des forces de sécurité, notamment par la très grande faiblesse du contrôle nautique, d'autant plus marquante compte tenu de l'importance des trafics d'armes et de drogue dans la zone. Des actions devront être prises, en urgence, pour y remédier et éviter une dégradation brutale de la situation.

Je vous propose d'intituler ainsi ce rapport « Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, quatre territoires de la République dans la Caraïbe ».

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

PROGRAMME DU DÉPLACEMENT AUX ANTILLES

MARDI 11 AVRIL 2023

Martinique

Entretien avec M. Lucien Saliber, président de l'Assemblée de Martinique et Mme Josette Manin, conseillère de l'Assemblée de Martinique

Table-ronde « Finances locales » avec MM. Rodolph Sauvonnet, DRFIP, Mme Betty Murte-Cythere, directrice du pôle gestion publique de la DRFIP et Patrick Plantard, président de section des CRTC des Antilles-Guyane CRC

Rencontre avec le directeur général de l'Association des maires de Guadeloupe, M. Jacky Sinosa, directeur de l'association

Déjeuner avec M. Didier Laguerre, maire de Fort-de-France

Table-ronde avec les chefs de juridiction et visite du tribunal judiciaire de Fort-de-France

Mme Karine Gonnet, présidente du tribunal judiciaire

Mme Clarisse Taron, procureure de la République

Mme Christine Lai, procureure générale par intérim

Mme Hélène Rouland-Boyer, présidente du tribunal administratif

Visite du centre pénitentiaire de Ducos en présence de :

M. Joseph Coly, directeur

Mme Sarah Sbaï, adjointe au directeur

Mme Emmanuelle Demay, directrice des services pénitentiaires

M. Jean-Marc Théophile, chef de détention du centre pénitentiaire

Entretien et cocktail dînatoire avec le préfet de Martinique, M. Jean-Christophe Bouvier, en présence de :

M. Georges Salaun, directeur de cabinet

Mme Laurence Gola de Monchy, secrétaire générale

M. le lieutenant-colonel Stéphane Nisslé

M. François Lalanne, préfet en charge de l'élaboration du contrat territorial de sécurité

MERCREDI 12 AVRIL 2023

Table-ronde avec les responsables de la sécurité publique

- M. Pierre-Marc Fergelot, directeur territorial de la police nationale

- M. Thomas Deprecq, commandant en second du groupement de gendarmerie, directeur départemental de la police aux frontières

Table-ronde avec les responsables des douanes

- M. Hugues-Lionel Galy, directeur interrégional des douanes des Antilles et de la Guyane

- M. Jean-Charles Metivier, directeur adjoint des gardes côtes de la Martinique

Table-ronde avec les socioprofessionnels sous la présidence de

- M. Philippe Jock, chambre de commerce et d'industrie de Martinique (CCIM)

- M. José Maurice, chambre d'agriculture

- M. Henri Salomon, chambre des métiers

Entretien avec M. Serge Letchimy, président du Conseil exécutif de Martinique et M. Jordan Eustache, directeur de cabinet

Visite de l'Office Anti-stupéfiant de Fort Saint-Louis (OFAST)

Saint-Barthélemy

JEUDI 13 AVRIL 2023

Déjeuner avec les acteurs socio-économiques locaux en présence de Mme Micheline Jacques, sénateur de Saint-Barthélemy

- M. Xavier Lédée, président de la collectivité de Saint-Barthélemy

- Mme Aliénor Barbé-Guillaume, déléguée du préfet à Saint-Barthélemy

- M. Thierry Gréaux, directeur de la chambre économique multi-professionnelle

- M. Olivier Leroy, président de l'association des hôtels et des villas

- M. Nicolas Gicquel, président de l'association des restaurateurs

- M. Ernest Brin, directeur du port

- M. Jordan Laplace, président du comité des pêches et de l'aquaculture

Rencontre avec M. Xavier Lédée, président de la collectivité et les vice-présidents :

- Mme Marie-Hélène Bernier, première vice-présidente

- Mme Bettina Cointre, deuxième vice-présidente

- Mme Marie-Angèle Aubin, troisième vice-présidente

- M. Maxime Desouches, quatrième vice-président

Rencontre avec les services de gendarmerie en présence du Capitaine Fabien Bassier, commandant de la brigade de gendarmerie nationale

Rencontre avec le Lieutenant hors-classe Christophe Laurens, responsable du service territorial d'incendie et de secours (STIS) 977 de Saint-Barthélemy

VENDREDI 14 AVRIL 2023

Rencontre avec les services de la préfecture et les unités territoriales en présence de MM. Julien Marie, directeur des services du cabinet et Fabien Sésé, secrétaire général

Réunion de sécurité (gendarmerie, police aux frontières, renseignement territorial, OFAST, douanes)

Réunion de sécurité civile (SIDPC, SDIS de Saint-Martin, Collectivité de Saint-Martin)

Déjeuner de travail en présence de M. Julien Marie, directeur des services du cabinet, M. Fabien Sésé, secrétaire général, Mme Mariette Dino, responsable du pôle administratif du Service de l'Éducation nationale des îles du Nord, M. Paul Guibert, directeur territorial de l'ARS et M. Bernard Locufier, responsable du centre des finances publiques de Saint-Martin

Entretien avec M. Louis Mussington, président de la collectivité et les vice-présidents :

- M. Alain Richardson, premier vice-président

- Mme Bernadette Davis, deuxième vice-présidente

- Mme Dominique Democrite Louisy, troisième vice-présidente

- M. Michel Petit, quatrième vice-président

Visites de terrain :

- Quartier d'Orléans ;

- Site d'Oyster Pond ;

- Grand-Case.

Dîner en présence de M. Frantz Gumbs, député de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.

Guadeloupe

SAMEDI 15 AVRIL 2023

Visite du commissariat de Pointe-à-Pitre en présence de M. Dominique Theophile, sénateur de Guadeloupe et M. Jean-Pierre Frederic, directeur territorial adjoint de la police nationale de Guadeloupe

Visite du centre de rétention administrative (CRA), en présence de M. Dominique Theophile, sénateur et de Mme Thérèse Charpentier, cheffe du CRA

Visite du centre pénitentiaire de Baie-Mahault, en présence de Dominique Theophile, sénateur et M. Joël Delancelle, directeur du centre pénitentiaire

Diner avec MM. Patrick Vial-Collet, président de la Chambre de commerces et d'industrie des îles de Guadeloupe et Bruno Blandin, président du l'UDE-MEDEF de Guadeloupe

LUNDI 17 AVRIL 2023

Sous-préfecture

Entretien sur le thème de l'immigration en présence de M. Bruno André, sous-préfet de Pointe-à-Pitre et M. Emmanuel Sadoux, secrétaire général de la sous-préfecture

Préfecture de Guadeloupe Basse-Terre

Déjeuner avec M. Xavier Lefort, préfet de la Guadeloupe

Entretien avec M. Jean-Yves Le Gall, directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, M. Alban Vilemin, directeur adjoint et MM. Thierry Clichet et David Girardot et administrateurs des finances

Table-ronde avec les chefs de juridiction et visite du tribunal judiciaire de Basse-Terre

- Mme Françoise Gaudin, présidente du tribunal judiciaire de Basse-Terre

- Mme Hélène Judes, présidente du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre

- M. Xavier Sicot, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Basse-Terre

- M. Patrick Desjardins, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre

- M. Serge Gouès, président du tribunal administratif de la Guadeloupe

Dîner avec M. Jocelyn Sapotille, président de l'Association des maires de Guadeloupe et Mme Jessica Compper, directrice de l'association

MARDI 18 AVRIL 2023

Table-ronde avec les responsables de la sécurité publique (police, gendarmerie, douanes), en présence de Dominique Theophile, sénateur

- M. le général Vincent Lamballe, commandant de la gendarmerie de la Guadeloupe

- M. le commissaire divisionnaire Laurent Chavanne, directeur territorial de la police nationale

- M. Yves le Dantec, chef du pôle d'orientation des contrôles, direction des Douanes

Entretien avec Guy Losbar, président du Conseil départemental de Guadeloupe, et des représentants du Conseil départemental, en présence de Dominique Theophile, sénateur, :

- Mme Tania Galvani, présidente de la commission des affaires juridiques communautaires et extérieures

- M. Ferdy Louisy, vice-président de la commission

- Mme Sabrina Roger, secrétaire-rapporteur de la commission

- M. Jean-Luc Perian, membre de la commission

Déjeuner avec MM. Victorin Lurel et Dominique Theophile et Mme Victoire Jasmin, sénateurs et sénatrice de Guadeloupe

Visite du RSMA de Guadeloupe en présence de M. le colonel Laurent Nobel, commandant du RSMA de Guadeloupe

Entretien avec M. Frédéric Guillaume, directeur de l'agence Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin de l'AFD, et de M. Benjamin Ribas, directeur adjoint

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

M. Vincent Berton, préfet délégué de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin

M. Roland Dubertrand, ministre plénipotentiaire, ambassadeur chargé de la coopération régionale dans la zone Atlantique

M. Justin Pamphile, président de l'association des maires de Martinique

Conseil national des barreaux (CNB)

Mme Bénédicte Mast, présidente de la commission « accès au droit » du Conseil national des barreaux

Mme Émilie Guillet, chargée d'affaires publiques

Conférence des bâtonniers

M. Patrick Lingibé, vice-président de la Conférence des bâtonniers, président de la délégation outre-mer

Bâtonniers

M. Georges-Emmanuel Germany, bâtonnier de la Martinique

M. Josselin Troupé, bâtonnier de la Guadeloupe

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI


de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

DES TERRITOIRES ANCRÉS DANS LA RÉPUBLIQUE QUI LEUR DOIT TOUTE SON ATTENTION

Adapter les normes aux circonstances locales

2

Réunir, de toute urgence, le Comité Interministériel des Outre-mer (CIOM)
pour examiner les propositions d'ajustements statutaires présentées par les collectivités antillaises et s'assurer de la nécessité d'une évolution législative pour y procéder.

Gouvernement, collectivités ultramarines

Dernier trimestre 2023

Réunion interministérielle

3

Adopter une démarche systématique de la part de l'État pour adapter les normes et référentiels, y compris existantes (en matière technique notamment), afin de prendre pleinement en considération les circonstances locales.

Gouvernement, DGOM

Immédiat

Loi, Règlement, Instructions ministérielles

Se donner les moyens de mieux garantir la sécurité

4

Renforcer urgemment les moyens nautiques et héliportés des forces de sécurité intérieure pour lutter efficacement contre la criminalité inter-îles, en particulier au sein de l'antenne de l'OFAST de Fort-de-France.

Gouvernement,
DGPN, DGGN, Douanes, OFAST

Deuxième semestre 2023

Projet de loi de finances pour 2024

Mesure administrative

5

Renforcer la coopération avec les îles avoisinantes en matière de sécurité et de renseignement, en systématisant les coopérations bilatérales visant à l'échange d'informations et à la formation de personnels des forces de sécurité intérieure comme avec Sainte-Lucie ou la partie hollandaise de Saint-Martin.

Ministère de l'intérieur, ministère de l'Europe et des affaires étrangères, DGGN, DGPN, OFAST

Deuxième semestre 2023

Coopération diplomatique

Mesure de gestion administrative

7

Développer les contrats locaux en matière de sécurité afin de mieux coordonner les actions des différents acteurs de la lutte contre la délinquance.

Gouvernement, Préfets, Collectivités territoriales

2023-2024

Conventions

8

Donner aux personnels de la gendarmerie nationale, chargés du contrôle aux frontières à Saint-Barthélemy, accès dans les meilleurs délais au fichier des titres électroniques sécurisés.

Ministère de l'intérieur, DGGN, DGPN

Immédiat

Mesure de gestion administrative

Adapter les moyens de la justice

11

Améliorer la coopération en matière judiciaire, par la nomination de magistrats de liaison, notamment à Sainte-Lucie, et le développement d'accords judiciaires bilatéraux pour lutter plus efficacement contre les trafics internationaux d'armes et de drogue.

Gouvernement, DSJ

2023-2024

Instructions ministérielles, Mesure de gestion administrative

12

Moduler le montant de la rétribution des avocats au titre de l'aide juridictionnelle pour prendre en considération la double insularité de la Guadeloupe.

Gouvernement

Premier semestre 2024

Loi, Règlement

L'INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DU CONTEXTE CARIBÉEN

Renforcer l'insertion des collectivités antillaises et la présence française dans l'environnement régional

13

Renforcer la présence de la France au sein des organisations de coopération régionales économiques comme culturelles, en associant les collectivités antillaises volontaires et en les accompagnant dans leur démarche d'association, en particulier la CARICOM.

Gouvernement, Ministère de l'Europe et des affaires étrangères,
Collectivités territoriales

2023-2024

Coopération diplomatique

15

Affecter auprès de chaque préfet un conseiller diplomatique, chargé de l'intégration régionale dans le territoire et ensemblier des actions de coopération au sein de l'environnement caribéen.

Gouvernement, DMATES

2023-2024

Mesure de gestion administrative

Dépasser la relation auto-centrée et exclusive collectivité-hexagone

17

Prendre pleinement en compte la spécificité de la présence hollandaise à Saint-Martin en facilitant le déploiement d'accords locaux de gestion de certains équipements entre les deux parties de l'île, à l'initiative de la collectivité et avec l'accompagnement de l'État (aéroports, ports, routes, production et distribution d'eau).

Gouvernement, Préfet, Collectivité territoriale

2023-2024

Loi, Règlement

18

Permettre, sur le modèle de la Polynésie française ou de la Nouvelle-Calédonie, aux collectivités antillaises volontaires de disposer de représentants au sein des organisations régionales de coopération

Gouvernement, Collectivité territoriale

2023-2024

Loi, Règlement

ASSURER, EN PRIORITÉ, L'EFFICIENCE DE L'ACTION PUBLIQUE LOCALE

Développer les compétences au service de l'action locale

20

Développer une offre locale de formation aux métiers du secteur public, par exemple par la création d'un Institut régional d'administration pour les Antilles-Guyane.

Gouvernement

2023-2024

Règlement, Mesure administrative

22

Utiliser l'assistance technique assurée par l'État, y compris par Expertise France, pour former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire au plein exercice de leurs missions.

Gouvernement, Expertise France, DGOM

Deuxième semestre 2023

Loi, Règlement

Mesure de gestion administrative

24

Développer l'offre du service militaire adapté au profit des jeunes Saint-Martinois dans la perspective de la reconstruction de l'île après l'ouragan Irma.

Gouvernement, DGOM

2024

Projet de loi de finances pour 2024

Mesure de gestion administrative

Faciliter le recours à l'ingénierie de l'État

26

Généraliser les plateformes d'ingénierie d'appui aux collectivités territoriales, sur le modèle de celle mise en place en Guyane, tout en respectant les spécificités de chaque territoire, en les dotant des moyens humains et financiers correspondants.

Gouvernement, Préfets, Agences d'ingénierie de l'Etat

2024-2025

Loi, Règlement, Mesure de gestion administrative

27

Permettre aux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution d'adhérer au Cerema et de bénéficier, pour la conduite de leurs projets, de son expertise et accompagnement.

Gouvernement, DGCL, Cerema

2023-2024

Loi

Restaurer les capacités financières locales

28

Élargir le dispositif COROM, en adaptant les critères d'éligibilité et les modalités de soutien à la diversité des situations observées aux Antilles, augmenter les crédits qui y sont alloués afin d'en faire bénéficier un nombre plus important de communes et garantir la présence d'assistants techniques, y compris lors de la préparation du contrat.

Gouvernement, DGOM

2024 - 2025

Projet de loi de finances pour 2024

Mesures de gestion administrative

29

Veiller à faciliter la consommation des crédits inscrits au titre des contrats de convergence et de transformation (CCT) qui seront conclus pour la période 2024-2027 en assouplissant les possibilités de fongibilité des crédits prévus et en intégrant de nouvelles thématiques notamment l'ingénierie et la gestion de projets.

Gouvernement, DGOM

2024 - 2025

Projet de loi de finances pour 2024

Faciliter le développement de projets locaux

32

Transformer l'avis conforme des CDPENAF ultramarines en un avis simple, alignant ainsi ce régime sur celui de droit commun applicable dans l'Hexagone afin de faciliter le développement des projets des maires dans ces territoires.

Gouvernement, DGCL, DGOM

2023-2024

Loi

Apporter une réponse efficace et concrète aux sujets primordiaux pour chaque territoire

35

Développer des outils concrets et opérationnels, dotés en moyens humains et financiers adaptés, avec les collectivités antillaises pour résoudre des défis structurants propres à chaque territoire nécessitant un accompagnement spécifique de l'État

35.1

Doter le SMGEAG des moyens humains et financiers pérennes, nécessaires à l'accomplissement de ses missions et opérer un suivi qualitatif et quantitatif de ses réalisations.

Gouvernement, DGOM

2023 - 2024

Projet de loi de finances pour 2024,
Mesure de gestion administrative

35.2

Permettre à la collectivité de Martinique et aux collectivités guadeloupéennes de conduire une politique active d'incitation au retour des jeunes martiniquais partis en formation dans l'hexagone ou à l'étranger.

Gouvernement, DGOM

2023 - 2024

Loi, Règlement

35.3

Conforter la collectivité de Saint-Barthélemy dans son rôle de régulateur s'agissant du logement.

Gouvernement, DGOM

2023 - 2024

Loi, Règlement

35.4

Parachever l'effort de reconstruction entrepris après le passage de l'ouragan Irma et consolider les dispositifs de prévention et de gestion de crise entre l'État et la collectivité mais également avec la partie hollandaise de l'île.

Gouvernement, DGOM

2023 - 2024

Instructions ministérielles

LE CONTRÔLE EN CLAIR

POUR CONSULTER LA PAGE DE LA MISSION D'INFORMATION

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-des-lois/mission-dinformation-sur-la-situation-institutionnelle-la-justice-et-la-securite-en-martinique-en-guadeloupe-a-saint-barthelemy-et-a-saint-martin.html


* 1 L'exemple de la collectivité territoriale de Martinique est à cet égard particulièrement frappant : disposant de la clause de compétence générale, elle a également « compétence pour promouvoir la coopération régionale, le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la Martinique et l'aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des communes », y compris par des actions complémentaires de celles des autres collectivités publiques (article L. 7251-1 du code général des collectivités territoriales).

* 2 Qui concerne à ce jour les communes de Pointe-à-Pitre, Sainte-Rose et Basse-Terre en Guadeloupe, et celles de Fort-de-France et Saint-Pierre à la Martinique.

* 3 En 2019, la commission des lois a étudié la situation de la Guyane ; en 2021, celle de Mayotte ; en 2022, celle de la Nouvelle-Calédonie.

* 4 Rapport n° 360 (2022-2023) de Catherine Procaccia sur l'impact de l'utilisation de la chlordécone dans des Antilles françaises, février 2023, p. 58. Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r22-360/r22-3601.pdf

* 5 Ainsi, en novembre 2021, en Guadeloupe, le taux de couverture vaccinale des personnes de plus de 18 ans était de 46,43 %, alors qu'il était de 91 % en France métropolitaine.

* 6 Voir, par ex., les résolutions du 10ème congrès de l'UGTG des 27, 28 février, 1er et 2 mars 2002 ; et plus récemment, celles du 16ème congrès des 10, 11 et 12 juin 2021.

* 7 IEDOM Guadeloupe, synthèse annuelle 2022, avril 2023.

* 8 IEDOM Martinique, synthèse annuelle 2022, avril 2023.

* 9 Voir, notamment, le rapport d'information n° 601 (2016-2017) « Le BTP outre-mer au pied du mur normatif : Faire d'un obstacle un atout », de Éric Doligé, Karine Claireaux et Vivette Lopez, fait au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, déposé le 29 juin 2017.

* 10 Rapport d'information n° 361 (2022-2023), de Stéphane Artano et Micheline Jacques, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, déposé le 16 février 2023, « l'évolution institutionnelle des outre-mer », p. 15, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r22-361/r22-361_mono.html#toc29.

* 11 Serge Letchimy, président de la Collectivité territoriale de Martinique ; Ary Chalus, président de la Région Guadeloupe ; Guy Losbar, président du Département de Guadeloupe ; Gabriel Serville, président de la Collectivité territoriale de Guyane ; Louis Mussington, président de la collectivité de Saint-Martin ; Huguette Bello, présidente de la Région Réunion ; Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte.

* 12 Cette consultation avait été précédée, le 10 janvier 2010, d'une consultation sur la création d'une collectivité unique soumise à l'article 74 de la Constitution, rejetée à 79,31 % des voix.

* 13 Qui devait initialement se réunir début mai 2023, avant d'être repoussé à plusieurs reprises. Le CIOM s'est finalement réuni le 18 juillet, sans aborder les questions relatives à l'évolution institutionnelle ou statutaire des collectivités ultramarines.

* 14 Voir infra, partie III.

* 15 Rapport d'information n° 361 (2022-2023) sur l'évolution institutionnelle des outre-mer, de Stéphane Artano et Micheline Jacques au nom de la délégation aux outre-mer, déposé le 16 février 2023, disponible à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-361-notice.html.

* 16 Voir les Quinze propositions pour rendre aux élus locaux leur « pouvoir d'agir » du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, disponibles à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/fileadmin/A_la_une/Rapport_GT_Decentralisation1113.pdf.

* 17 Ibidem, p. 17.

* 18 Selon les destinations, il s'agit de voiliers, de go-fast ou de navires de marchandises (via des containers).

* 19 Après un effort à saluer de « déstockage » des procédures en 2020, qui avaient alors atteint le chiffre de 20 000.

* 20 Rapport d'information n° 387 (2022-2023), La police judiciaire dans la police nationale : se donner le temps de la réussite, de Nadine Bellurot et Jérôme Durain , fait au nom de la commission des lois, déposé le 1er mars 2023 p. 38. Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r22-387/r22-3871.pdf

* 21 Selon les informations communiquées aux rapporteurs, les navires naviguent vers des points de transbordement en pleine mer, au large des côtes sud-américaines, où la cocaïne est chargée sur le voilier, qui repartent directement pour effectuer une traversée transatlantique à destination de l'Europe.

* 22 Situations documentées dans le ressort d'autres juridictions à travers la France.

* 23 30 % de l'activité du tribunal administratif étant relatifs aux contentieux sociaux et 20 % de l'activité concernant les litiges de fonction publique.

* 24 Article L. 651-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers. Des dispositions similaires s'appliquent en Guyane, à Mayotte, à Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

* 25 Contre 98 % de taux d'occupation pour le centre de détention.

* 26 Rapport d'information n° 519 (2008-2009), tome I, déposé le 7 juillet 2009, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l'avenir, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r08-519-1/r08-519-1103.html#toc986.

* 27 Sources : Banque Mondiale 2021 pour le PIB/hab et PNUD 2021 pour l'IDH.

* 28 Sources : INSEE/IEDOM 2022 : Données 2021 pour Guadeloupe, Martinique, et Guyane. Données 2014 pour Saint-Martin.

* 29 Articles L. 3441-2 à L. 3441-7 et L. 4433-4-1 à L. 4433-4-8.

* 30 Articles L. 7253-3, L. 7253-4 et L. 7253-5 du code général des collectivités territoriales.

* 31 Décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000.

* 32 Appel de Fort-de-France, lundi 16 mai 2021. Il est consultable à l'adresse suivante : https://ppm-martinique.org/wp-content/uploads/2023/06/2022-Appel-de-Fort-de-France.pdf.

* 33 Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, et Silveria E. Jacobs, Première ministre du gouvernement autonome de Sint Maarten, ont signé, le 26 mai 2023, un accord entre la France et les Pays-Bas portant délimitation de leur frontière commune à SaintMartin.

* 34 Rapport d'information n° 519 (2008-2009), tome I, déposé le 7 juillet 2009, Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l'avenir, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r08-519-1/r08-519-1103.html#toc986.

* 35 Rapport d'information n° 546 (2021-2022), de Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, déposé le 24 février 2022, « les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale », p. 34, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r21-546/r21-5463.html#toc252.

* 36 Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

* 37 Pour plus de précisions, voire les articles 27 à 30 de la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

* 38 L'exemple de la collectivité territoriale de Martinique est à cet égard particulièrement frappant : disposant de la clause de compétence générale, elle a également « compétence pour promouvoir la coopération régionale, le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la Martinique et l'aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des communes », y compris par des actions complémentaires de celles des autres collectivités publiques (article L. 7251-1 du code général des collectivités territoriales).

* 39 Avis n° 121 (2022-2023), tome III, « mission Outre-mer », sur le projet de loi de finances pour 2023, déposé le 17 novembre 2022. Ainsi, au 31 décembre 2021, la part consommée du montant des crédits contractualisés au titre des contrats de convergence et de transformation 2019-2022 dans la cadre du programme 123 de la mission « outre-mer » atteignait, en crédits de paiement, seulement 1,86 M€ (sur 26 M€) pour la Guadeloupe, 3,03 M€ (sur 23,23 M€) pour la Martinique et 2,62 M€ (sur 39 M€) pour Saint-Martin.

* 40 Avis budgétaire n° 121 (2022-2023), de Thani Mohamed Soilihi, fait au nom de la commission des lois et déposé le 17 novembre 2022, p. 6-7. Il est consultable dans son intégralité à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/a22-121-3/a22-121-34.html.

* 41 Ibidem.

* 42 Rapport n° 404 (2022-2023) de Valérie Boyer, fait au nom de la commission des lois, déposé le 8 mars 2023, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l22-404/l22-404_mono.html.

* 43 Ce taux est de 40 % grâce à la combinaison des articles 10 du décret n°53-1266 du 22 décembre 1953 et de l'article 1er du décret n° 57-87 du 28 janvier 1957.

* 44 À Saint-Barthélemy, le coût du logement et l'absence d'offre réelle de logement social constituent également, selon les acteurs socio-économiques rencontrés lors du déplacement, un obstacle majeur au recrutement de personnels salariés.

* 45 Rapport d'information n° 1323 (XVIème lég.) de Christian Baptiste et Karine Le Bon, rapporteurs spéciaux de la commission des finances de l'Assemblée nationale, sur l'évaluation des dispositifs d'ingénierie proposés aux collectivités territoriales ultramarines, déposé le 5 juin 2023, p. 43, consultable à l'adresse suivante :  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1323_rapport-information#_Toc256000039.

* 46 Rapport d'information n° 1323 (XVIème législature) de Christian Baptiste et Karine Lebon, fait au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale, consultable à l'adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/opendata/RINFANR5L16B1323.html.

* 47 Voir la présentation faite de ce service par la préfecture de Guyane : https://www.guyane.gouv.fr/Services-de-l-Etat/Prefecture-et-Sous-prefecture/DGCAT-Direction-generale-de-la-coordination-et-de-l-animation-territoriale.

* 48 Comme le relève un document de présentation de la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane antérieur au 1er janvier 2020, consultable à l'adresse suivante : https://www.guyane.gouv.fr/content/download/17398/121822/file/Pr%C3%A9sentation%20OSE.pdf.

* 49 Rapport d'information n° 756 (2022-2023), au nom de la commission des finances, déposé le 21 juin 2023. Disponible à l'adresse suivante :  https://www.senat.fr/rap/r22-756/r22-756_mono.html#toc223

* 50 Le 8 juillet 2019.

* 51 Le 22 juin 2020.

* 52 182,4 M€ au titre de la période 2019-2022 et 26,2 M€ au titre de 2023.

* 53 Avis n° 121 (2022-2023), tome III, « mission Outre-mer », de Thani Mohamed Soilihi.

* 54  Foncier agricole outre-mer : une reconquête nécessaire pour la souveraineté alimentaire, rapport d'information n° 799 (2022-2023) fait par Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer déposé 28 juin 2023.

* 55 Loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe.

Les thèmes associés à ce dossier