C. L'ACCOMPAGNEMENT DE L'ENFANT PROTÉGÉ : DES AMBITIONS LENTES À SE CONCRÉTISER
1. Le projet pour l'enfant rarement mis en oeuvre
Issu de la loi de 2007, le projet pour l'enfant n'est toujours pas mis en oeuvre pour tous les enfants ; en 2019, seuls 27 départements sur 83 interrogés par le ministère de la santé mettaient systématiquement en oeuvre un projet pour l'enfant. Certains départements ne prévoient un PPE que pour une infime partie des mineurs qui leurs sont confiés. Auditionné par le rapporteur, Gautier Arnaud-Melchiorre, chargé par le secrétaire d'État Adrien Taquet d'une mission sur la protection de l'enfance à travers la parole recueillie des enfants, précise ainsi de manière explicite : « Je n'ai jamais entendu un seul enfant me parler du projet pour l'enfant. » Même lorsqu'il est mis en place, le projet reste trop souvent un document administratif formel et peu utile pour les enfants.
Le projet pour l'enfant est devenu emblématique des défaillances d'application de la loi en protection de l'enfance.
2. Le parrainage et le mentorat : une ambition démesurée ?
L'article 9 de la loi de 2022 prévoit, à l'initiative du Gouvernement, qu'un parrain et un mentor doivent systématiquement être proposés aux mineurs pris en charge par l'ASE soit 377 000 enfants... Le Sénat a soutenu la très bonne intention de cette disposition mais le rapporteur avait partagé quelques doutes sur la capacité de réunir autant de parrains et de mentors. De fait, cette disposition à caractère théoriquement systématique est aujourd'hui très loin d'être appliquée. Le décret prévoyant les conditions de contrôle des personnes volontaires, ainsi que les modalités d'habilitation des associations de parrainage, n'est pas encore publié.
D. L'ACCOMPAGNEMENT DE LA SORTIE DE L'ASE : LES EFFORTS DE CHAQUE ACTEUR SONT EN DEÇÀ DES ESPÉRANCES DU LÉGISLATEUR
1. Les entretiens d'accès à l'autonomie, encore trop peu fréquents
Afin de préparer l'accès à l'autonomie des jeunes confiés à l'ASE, la loi du 14 mars 2016 a prévu un entretien obligatoire organisé par le président du conseil départemental un an avant la majorité de l'intéressé. L'ASE doit associer les autres organismes et institutions qui peuvent concourir à apporter une réponse aux besoins du jeune « en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources ».
Pour ce faire, la loi prévoit que le président du conseil départemental, conjointement avec le préfet et le président du conseil régional, conclut un protocole afin « de préparer et de mieux accompagner l'accès à l'autonomie des jeunes pris en charge ou sortant des dispositifs de l'aide sociale à l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse ».
Selon une enquête réalisée pour le compte de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), en 2019, un tiers des départements n'auraient pas encore mis en place ces entretiens. Parmi ceux qui ont pris des dispositions, seuls 35 % parviennent à organiser un entretien pour plus de trois quarts des enfants confiés. De même, en 2019, seuls 11 % des départements répondant à l'enquête avaient effectivement contractualisé avec leurs partenaires pour l'organisation de l'accès à l'autonomie des jeunes (voir graphique ci-avant).
2. La prise en charge des jeunes majeurs : la loi de 2022 améliore, à la marge, la situation des jeunes
Dans le régime antérieur à 2022, la prise en charge des jeunes quittant l'ASE en difficulté d'insertion sociale était à la discrétion des départements, lesquels suivaient des pratiques très disparates. L'étude commandée par la DGCS révélait qu'en 2018 le taux de prise en charge en accueil provisoire jeune majeur (APJM) des enfants confiés à l'ASE avant 18 ans et devenus majeurs atteignait 36 %. Toutefois, cette proportion moyenne dissimulait des situations très diverses selon les départements (voir le graphique infra) avec une étendue de 73 points entre le département le plus vertueux et celui accordant le moins de contrats jeune majeur.
Répartition des départements* selon la proportion de prise en charge en APJM des jeunes majeurs de moins de 21 ans en 2018
Source : Asdo études, pour la DGCS, mai 2020
* Réponses de 92 départements.
La loi de 2022 a renforcé la prise en charge des jeunes majeurs sortant de l'ASE à deux titres :
- les départements doivent désormais proposer une solution aux jeunes sortant de l'ASE jusqu'à leurs 21 ans lorsqu'ils ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants. À l'initiative du Sénat, les jeunes bénéficient également d'un droit au retour lorsque les jeunes ont choisi de quitter l'ASE mais souhaitent à nouveau être accompagnés avant leurs 21 ans ;
- le contrat engagement jeune, financé par l'État et servi par les missions locales, est systématiquement proposé aux jeunes majeurs de moins de 21 ans sortant de l'ASE sans ressources ni soutien familial suffisants ou sortant d'un placement auprès de la PJJ et ne faisant plus l'objet d'un suivi éducatif après leur majorité. Ce contrat engagement jeune n'est toutefois proposé qu'aux jeunes ayant besoin d'un accompagnement et remplissant les conditions d'accès à ce dispositif.
Les avancées sur le terrain sont globalement décevantes en raison d'une hétérogénéité territoriale qui n'a pas été réduite par la loi de 2022. Le rapporteur ne peut que rappeler les départements à leurs obligations légales.
D'autre part, les moyens engagés par l'État quant à l'accompagnement des jeunes majeurs ne sont pas à la hauteur des enjeux : le contrat engagement jeune est insuffisant pour apporter une solution à tous les anciens mineurs protégés en difficulté. Il conviendrait à l'État de garantir une ressource pécuniaire financée par l'État, comme une mission récente du conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et du conseil d'orientation des politiques de jeunesse (COJ) a pu le recommander.