C. L'EXEMPLE ALLEMAND : L'INDICE AGRÉGÉ DU COÛT DE LA NORME POUR LES ENTREPRISES

Pour améliorer le processus législatif, le gouvernement fédéral allemand a demandé à tous les ministères voulant présenter une loi de répondre à dix questions simples, parmi lesquels : « faut-il vraiment faire quelque chose ? », « faut-il faire une loi », « les bénéfices attendus sont-ils à hauteur des coûts engagé ? ». Ces critères sont actuellement au nombre de 37. Toutefois, sans mécanisme pour sanctionner leur non-respect, il a été proposé à partir de 2006 de renforcer le dispositif avec un responsable politique (ministre adjoint auprès de la Chancellerie fédérale) et l'analyse des coûts de mise en conformité, au-delà d'un million d'euros afin que, « sans remplacer la politique par les mathématiques, que la politique soit rendue plus efficace grâce aux mathématiques »205(*).

Cette politique rigoureuse de simplification a porté ses fruits puisque « entre 2006 et 2011, les coûts administratifs pour l'économie ont baissé de plus de 12 milliards d'euros ».

a) Un indice national du « coût de la bureaucratie »

Depuis 2012, la réduction des coûts administratifs des entreprises est représentée de manière transparente et claire dans l'indice des coûts de la bureaucratie (BKI) qui calcule le coût des obligations à la charge des entreprises en Allemagne. Les coûts administratifs des entreprises au 1er janvier 2012 correspondent à la base de départ de l'indice 100. En 2015, le BKI est passé pour la première fois en dessous de sa base de départ de 100 et s'élevait à 99,49 points fin 2018. Cette amélioration s'explique essentiellement par seulement trois projets législatifs.


L'évolution de l'indice des coûts de la bureaucratie en Allemagne 2011-2020

Cet indice, limité aux coûts des formalités que doivent remplir les entreprises, est toutefois pas connu et peu utilisé dans le débat public.

Par ailleurs, trois lois de simplification de la bureaucratie (Bundesgesetzes zum Bürokratieabbau) ont été adoptées depuis 2016 mais le faible impact de la dernière a conduit le gouvernement fédéral à proposer une nouvelle loi qui devrait être adoptée d'ici fin 2023.

LES LOIS SUR L'ALLÈGEMENT DE LA BUREAUCRATIE I, II ET III
DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL206(*)

La première loi sur l'allègement de la bureaucratie de 2016 visait des allègements rapides et notables, surtout pour les PME et les jeunes entreprises à fort potentiel de croissance. Dans ce cadre, un plus grand nombre de petites entreprises qu'auparavant ont été exemptées des obligations de comptabilité et d'enregistrement et les créateurs d'entreprises ont été dispensés pendant les premières années à fournir des données pour les statistiques économiques et environnementales. Par ailleurs, la valeur du seuil applicable aux statistiques des échanges intracommunautaires a été élevée. Un autre ensemble de mesures d'allègement concerne le droit fiscal et le secteur de l'énergie. Le volume des allègements pour l'économie se chiffre à un montant annuel de 704 millions d'euros.

Les mesures de la deuxième loi sur l'allègement de la bureaucratie de 2017 visaient des allègements en particulier pour les petites exploitations comptant deux à trois salariés. Les grands axes furent la poursuite de la réduction de la bureaucratie du droit fiscal et la numérisation de la procédure administrative, la modernisation du code de l'artisanat, la création de « guichets uniques » et de l'administration en ligne, la consultation en ligne des lois et règlements. Elle simplifie par ailleurs le calcul des cotisations de sécurité sociale. L'allègement pour l'économie représente au moins 135 millions d'euros par an.

La troisième loi sur l'allègement de la bureaucratie de 2019 allège la charge des PME à hauteur de plus de 1,1 milliard d'euros par an, avec le relèvement du seuil des impôts sur le chiffre d'affaires pour les petites entreprises de 17 500 à 22 000 euros, du seuil de forfaitisation de l'impôt sur le salaire pour les emplois de courte durée et de la forfaitisation de l'impôt sur le salaire pour les travailleurs contribuables partiellement assujettis. Elle prévoit la numérisation de la déclaration d'incapacité de travail et dans le secteur de l'hôtellerie, la simplification des systèmes de traitement de données à des fins fiscales pour les créations d'entreprise (déclaration trimestrielles et non mensuelles), la création d'alternatives numériques aux formulaires d'enregistrement papier et l'introduction d'un registre de base des entreprises avec un numéro 'identification unique.

b) Une autorité indépendante qui contrôle la qualité des études d'impact

Créé par la loi du 14 août 2006207(*), un Conseil national de contrôle des normes (Nationaler Normenkontrollrat, NKR), constitué de dix membres des milieux économiques, scientifiques et administratifs, a pour mission de conseiller le Gouvernement fédéral dans son objectif de « mieux légiférer ». Dans le cadre, son mandat a été étendu en 2011 au contrôle de la qualité des études d'impact des projets de réglementation et au contrôle des coûts d'information, découlant d'une loi, d'un règlement, de statuts ou de dispositions administratives, et obligeant une entreprise à collecter, mettre à disposition ou transmettre des données et autres informations aux autorités ou à des tiers. Ces coûts sont mesurés avec le modèle des coûts standard (MCS). Sont calculés les coûts unitaires, le temps individuel requis par une obligation résultant de la loi, leur fréquence et le nombre d'entreprises concernées.

Son champ de compétence s'étend aux lois et décrets fédéraux mais également aux mesures préparatoires et d'exécution du droit de l'Union européenne en droit allemand. Il exclut donc les normes des Länder affectant les entreprises. Trois Länder se sont dotés d'un organisme comparable (Bayern, Sachsen, Thüringen) et le Baden-Württemberg dispose d'une task-force dédiée à la simplification au niveau du gouvernement régional.

Le Conseil vérifie, avant leur présentation au Bundestag (i) l'objectif et de la nécessité de la réglementation, qui doivent être compréhensibles, (ii) la prise en considération d'autres solutions possibles, (iii) la date d'entrée en vigueur, la limitation dans le temps et l'évaluation, (iv) les explications sur la simplification juridique et administrative, (v) les éventuelles raisons d'une surtransposition (« dispositions supplémentaires prévues en plus de leur prescription ») d'une directive ou d'autres actes juridiques de l'Union européenne. Son avis consultatif est public et transmis au Bundestag avec les réponses du gouvernement fédéral sur les observations qu'il a émises.

Le NKR peut être saisi par une commission parlementaire, un groupe parlementaire ou des députés et peut être consulté par les commissions permanentes du Bundestag ou du Bundesrat.

Il publie un rapport annuel qui doit répondre à la question suivante : « dans quelle mesure les objectifs du gouvernement fédéral en matière de réduction de la bureaucratie et d'amélioration de la réglementation ont été atteints ?». De son côté, le gouvernement fédéral présente chaque année au Bundestag un rapport sur (i) l'état d'avancement de la réduction de la bureaucratie dans le cadre des objectifs existants, (ii) l'estimation de l'impact des charges sur les entreprises, (iii) l'évolution des charges administratives dans les différents ministères et (iv) les résultats et l'évolution dans le domaine de l'amélioration de la réglementation.

Afin de remplir sa mission, le NKR, qui dispose de 23 agents, peut utiliser la base de données que le gouvernement fédéral a créée pour les données recueillies lors de l'évaluation des coûts bureaucratiques, procéder à ses propres auditions, commander des expertises, et solliciter l'aide des autorités fédérales.

Depuis 2014, l'Office fédéral de la statistique (DESTATIS) apporte son concours au NKR avec l'analyse de l'expérience usager fondée sur 10 situations du quotidien des entreprises à travers 1 865 entretiens dans 1 572 entreprises choisies de manière représentative. Il chiffre, à la demande des administrations centrales, les coûts de mise en conformité, pour les usagers, dont les entreprises, des projets de lois.

Un « guide pour le test PME » du gouvernement fédéral sert à standardiser et à systématiser le test PME, obligatoire depuis le 1er janvier 2016, afin de contrôler à un stade précoce d'éventuelles alternatives de réglementation dans le processus législatif et de décrire les impacts financiers d'un projet législatif sur les PME afin « d'éviter là où cela est possible des charges bureaucratiques pour les PME » selon le ministère allemand de l'Economie208(*).

Les rapporteurs ont eu un entretien avec Mme Sabine Kuhlmann, vice-présidente du NKR, le mardi 12 juin 2023. Elle a insisté sur le périmètre de son action, limitée au chiffrage de « l'obligation d'informer l'administration », qui représente une partie des « coûts de conformité ». Ce chiffrage exclut les investissements que les entreprises doivent consacrer pour respecter les normes. Par ailleurs, le NKR ne travaille pas sur les normes des Länder, les directives européennes ou sur le stock. Elle juge « difficile de mesurer l'impact du NKR, tant les entreprises ont le sentiment que la bureaucratie ne diminue pas » même avec la dématérialisation des procédures, qui concerne davantage les relations entre citoyens et administrations que celles entre entreprises et administrations. On constate même depuis 2011 une augmentation de la charge de la bureaucratie.


* 205 Stephan Naundorff : « La simplification en République fédérale d'Allemagne », RFAP n°157, 2016.

* 206 Source : ministère fédéral de l'Économie et de la protection du climat

https://www.bmwk.de/Redaktion/FR/Dossier/suppression-de-la-bureaucratie.html

* 207 https://www.gesetze-im-internet.de/nkrg/

* 208 https://www.bmwk.de/Redaktion/FR/Dossier/suppression-de-la-bureaucratie.html

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