Rapport d'information n° 777 (2021-2022) de MM. Jean-Pierre GRAND et André VALLINI , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 13 juillet 2022
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INTRODUCTION
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I. UNE RÉFORME MAL PERÇUE PAR DES
PERSONNELS DÉJÀ ÉPROUVÉS
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1. Un encadrement du Quai d'Orsay et des fonctions
diplomatiques qui ne sont plus réservés aux diplomates de
métier
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2. Une réforme menée par ordonnance
non ratifiée et à laquelle le Sénat s'est
opposé
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3. La refonte permanente du Quai d'Orsay : une
capacité d'adaptation à l'épreuve des réformes
successives
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4. Un ministère des affaires
étrangères sur le fil après des efforts continus
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1. Un encadrement du Quai d'Orsay et des fonctions
diplomatiques qui ne sont plus réservés aux diplomates de
métier
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II. QUI MALGRÉ DE RARES PROGRÈS,
NUIRA AU RAYONNEMENT DIPLOMATIQUE FRANÇAIS
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1. Les aménagements obtenus par le
MEAE
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2. La concurrence interministérielle
réduira la possibilité de construire et mener la carrière
diplomatique projetée
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3. Des répercussions regrettables de cette
réforme sur l'appareil diplomatique français ?
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4. Suspension et aménagement de la
réforme pour garantir l'avenir de l'appareil diplomatique et le
rayonnement de la France
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1. Les aménagements obtenus par le
MEAE
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I. UNE RÉFORME MAL PERÇUE PAR DES
PERSONNELS DÉJÀ ÉPROUVÉS
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LES CONSTATS
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LES PROPOSITIONS
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
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ANNEXE -
DÉCRET NO 2022-561 DU 16 AVRIL 2022
N° 777
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juillet 2022
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur l' avenir du corps diplomatique ,
Par MM. Jean-Pierre GRAND et André VALLINI,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Abdallah Hassani, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .
INTRODUCTION
L'annonce de la suppression de l'ENA a soulevé bien des débats et le remplacement des grands corps de l'État par un corps unique d'administrateurs de l'État a donné lieu à l'expression de bien des inquiétudes. Les diplomates ont, un temps, crû être épargnés par la réforme, avant que le Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, alors en poste, n'en vienne finalement à rechercher, non plus l'exemption inatteignable, mais l'articulation de la réforme de la haute fonction publique souhaitée par le Président de la République avec les nécessités du métier diplomatique « fondé sur des compétences rares, construites dans la durée » 1 ( * ) .
Le décret précisant les modalités d'application de la réforme aux corps diplomatiques paru le 16 avril, a suscité des tribunes inquiètes des personnels regroupés en collectifs, des prises de positions politiques au coeur de la campagne électorale présidentielle, et la première grève des personnels du Quai d'Orsay depuis deux décennies, massivement suivie, le 2 juin dernier.
Dans ce contexte, vos rapporteurs se sont fixé une feuille de route exigeante : analyser objectivement la réforme appliquée aux métiers diplomatiques et évaluer son impact sur les personnels et sur le rayonnement de la France.
Ils recommandent la suspension de la réforme et jugent nécessaire, à l'issue de leurs investigations, de présenter des recommandations susceptibles de préserver l'efficacité de l'outil diplomatique français au début d'un XXIème siècle caractérisé par la reprise de la guerre en Europe, l'expression agressive des États-puissance sur tous les théâtres géopolitiques, par la remise en cause de l'ordre international, de l'architecture de sécurité et du multilatéralisme hérités de la seconde guerre mondiale et plus généralement par la multiplication des crises dans les champs politique, sanitaire, écologique et économique.
I. UNE RÉFORME MAL PERÇUE PAR DES PERSONNELS DÉJÀ ÉPROUVÉS
1. Un encadrement du Quai d'Orsay et des fonctions diplomatiques qui ne sont plus réservés aux diplomates de métier
La réforme modifie profondément les conditions d'accès à la haute fonction publique. Elle généralise la fonctionnalisation des postes d'encadrement supérieur de l'État et la généralisation des statuts d'emplois, qui pourront désormais déroger à certaines dispositions du statut général de la fonction publique. La plupart des corps de la catégorie A+, quel que soit leur ministère de rattachement (intérieur, santé, MEAE, etc.), ont été fusionnés au sein d'un seul corps interministériel : celui des administrateurs de l'État. C'est-à-dire que tous les fonctionnaires qui appartiennent désormais à ce nouveau corps unique ont vocation à servir au sein d'une succession de ministères, selon un parcours plus fluide qu'auparavant, que chaque agent devra construire en se portant candidat aux offres de postes à pourvoir quand il le souhaitera. Ceci signifie que les corps de la Haute fonction publique n'ont plus ni exclusivité ni priorité pour accéder aux postes d'encadrement supérieur de l'État.
Outre les postes d'ambassadeurs, les postes de directeurs, chefs de service, sous-directeurs et consuls généraux ne sont plus l'apanage des personnels du Quai d'Orsay !
Dans le domaine diplomatique, l'article 13 de la constitution 2 ( * ) confie un pouvoir discrétionnaire 3 ( * ) de nomination des ambassadeurs au Président de la République. La réforme de l'encadrement de la Haute fonction publique n'y revient pas. En revanche, elle étend de fait la non-exclusivité pour les personnels au Quai d'Orsay à tous les postes de niveau A+. Ainsi, l'exception de non-exclusivité, qui valait pour les ambassadeurs, devient la règle. Tous les postes de niveau ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères entrent dans le champ de la réforme et ont désormais vocation à être pourvus par des administrateurs de l'État. Ceci signifie que peuvent être nommés, depuis l'entrée en vigueur de la réforme, le 1 er janvier 2022 :
- aux postes d'ambassadeurs, directeurs, chefs de service, sous-directeurs et consuls généraux,
- des administrateurs d'État issus 1/du nouvel Institut national du service public, l'INSP, qui remplace l'ENA, 2/de l'un des 17 corps mis en extinction par le décret du 1 er décembre 2021 4 ( * ) : soit outre les corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires, les corps des sous-préfets, des préfets, de l'inspection générale des finances, de l'inspection générale de l'administration au ministère de l'intérieur, de l'inspection générale de l'agriculture, de l'inspection générale des affaires culturelles, des inspecteurs généraux et inspecteurs de l'administration du développement durable, du contrôle général économique et financier, des administrateurs des finances publiques, des administrateurs du Conseil économique, social et environnemental, de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, ainsi que 3/les 2 600 administrateurs civils et les 76 conseillers économiques qui ont été versés au corps des administrateurs d'État sans droit d'option.
2. Une réforme menée par ordonnance non ratifiée et à laquelle le Sénat s'est opposé
Cette réforme essentielle pour la diplomatie de la France a été décidée sans que le Parlement n'ait été invité à se prononcer.
Lors de la convention managériale de l'État du 8 avril 2021 5 ( * ) , le Président de la République a posé les fondements de la réforme de l'encadrement supérieur de l'État et d'une haute fonction publique qu'il souhaite plus ouverte, plus forte et plus attractive. L'encadré suivant présente les trois axes principaux de cette réforme et leurs déclinaisons concrètes : la création du corps interministériel des administrateurs de l'État et la mise en extinction des deux corps d'encadrement supérieur du Quai d'Orsay, celui des conseillers des affaires étrangères et celui des ministres plénipotentiaires , ainsi que la mise en place de l'Institut national du service public et de la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (DIESE).
Les trois objectifs de la réforme de
l'encadrement supérieur de l'État :
pour une haute
fonction publique plus ouverte, mieux formée et mieux
gérée
1. L'ouverture de la haute fonction publique et la diversification des profils de recrutement sont le premier objectif affiché. Le dispositif « Talents du service public » vise ainsi à permettre à chaque jeune d'avoir toutes ses chances d'intégrer la fonction publique en luttant contre « l'autocensure face au concours de la fonction publique » et en diversifiant la haute fonction publique au sein de laquelle la diversité sociale s'est réduite depuis 15 ans. Ont ainsi été créées 93 classes préparatoires, dites « Prépas Talents du service public », présentes sur tout le territoire et accueillant 2 000 étudiants boursiers à la rentrée 2022 (1 700 en 2021). Une nouvelle voie d'accès à six concours de la fonction publique (INSP, administrateur territorial, directeur d'hôpital, directeur des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, commissaire de police, directeur des services pénitentiaires) est ouverte à titre expérimental de 2021 à 2024. Cette nouvelle voie d'accès est destinée aux élèves des Prépas Talents et des classes préparatoires intégrées des trois années précédentes et leur offre entre 10 et 15 % des places offertes aux six concours externes précités.
2. Le deuxième objectif était la réforme de la formation , avec le remplacement de l'ENA par l'INSP qui a vocation (a/) à assurer la formation initiale des futurs hauts fonctionnaires qui rejoindront essentiellement le corps des administrateurs de l'État, (b/) à assurer la conception et la mise en oeuvre d'un tronc commun à 14 écoles d'encadrement supérieur des trois versants de la fonction publique, (c/) enfin à coordonner et assurer le suivi des programmes de formation continue pour l'ensemble des cadres supérieurs de l'État et développer un programme de formation aux fonctions de direction en s'appuyant sur des liens renforcés avec la recherche et le monde académique.
3. Enfin, le troisième objectif est la réforme du déroulement des carrières des cadres supérieurs et se traduit par la création du corps interministériel des administrateurs de l'État à compter du 1 er janvier 2022. En découle la mise en extinction de 14 corps existants, dont les deux corps d'encadrement supérieur diplomatique du Quai d'Orsay (conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires). La refonte des parcours de carrière des cadres supérieurs se traduit également dans l'ambition d'une gestion des ressources humaines, plus stratégique et davantage individualisée, animée par la DIESE, créée le 1 er janvier 2022. Elle doit d'offrir, en lien avec l'ensemble des ministères, de meilleures conditions d'accompagnement des cadres supérieurs dans une logique d'évaluation et de mobilité.
Cette réforme de la haute fonction publique a été menée par ordonnance , comme l'autorisait la loi de transformation de la fonction publique. Le projet de loi de ratification a été déposé à l'Assemblée nationale dans le délai imparti, mais n'a pas été inscrit à l'ordre du jour .
Le Sénat a choisi, pour pouvoir débattre de cette réforme majeure, de déposer une proposition de loi proposant la ratification de l'ordonnance du 2 juin 2021. Le 30 septembre 2021, il l'a rejetée exprimant ainsi ses profondes réserves à l'égard de la réforme de la haute fonction publique telle que menée par le gouvernement. Cette procédure est détaillée dans l'encadré suivant.
Une réforme menée par ordonnance dont la ratification a été rejetée par le Sénat
L'article 59 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a autorisé le Gouvernement à intervenir dans le domaine de la loi pour, tout « en garantissant le principe d'égal accès aux emplois publics, fondé notamment sur les capacités et le mérite, et dans le respect des spécificités des fonctions juridictionnelles, réformer les modalités de recrutement des corps et cadres d'emplois de catégorie A afin de diversifier leurs profils, harmoniser leur formation initiale, créer un tronc commun d'enseignements et développer leur formation continue afin d'accroître leur culture commune de l'action publique, aménager leur parcours de carrière en adaptant les modes de sélection et en favorisant les mobilités au sein de la fonction publique et vers le secteur privé ». Sur ce fondement, a été adoptée l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État.
Conformément à l'article 38 de la Constitution qui impose, à peine de caducité d'une ordonnance, le dépôt d'un projet de loi de ratification dans le délai qui doit être fixé par la loi d'habilitation, en l'occurrence 3 mois à compter de la publication de l'ordonnance, un projet de loi de ratification a été déposé à l'Assemblée nationale dans le délai imparti. Il n'a pas été inscrit à l'ordre du jour.
Prenant acte de cette situation, le Sénat a déposé le 2 août 2021 une proposition de loi (PPL) n° 807 (2020-2021) de MM. Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Guillaume Gontard, Jean-Pierre Sueur et François-Noël Buffet tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État. Le 30 septembre 2021, le Sénat a rejeté cette PPL proposant la ratification de l'ordonnance du 2 juin 2021, exprimant ainsi une réelle inquiétude, transcendant les clivages politiques du Sénat, à l'égard de la réforme de la haute fonction publique menée par le gouvernement.
Le gouvernement n'a pas inscrit, à ce jour, le projet de loi de ratification à l'ordre du jour de la session extraordinaire. Hors session extraordinaire, l'Assemblée nationale pourrait déposer une PPL ratifiant et/ou modifiant l'ordonnance du 2 juin 2021, toutefois, il semble difficile de réunir une majorité pour adopter ce texte.
3. La refonte permanente du Quai d'Orsay : une capacité d'adaptation à l'épreuve des réformes successives
L'un des objectifs de la réforme de l'encadrement de l'État est de permettre sa meilleure adaptation aux enjeux du XXIème siècle . Or, la capacité du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et de ses personnels à s'adapter n'est plus à prouver. Dans la période récente, le ministère a su diversifier ses missions et ses savoir-faire :
- en 1998, il a absorbé le ministère de la coopération ,
- en 2012, la diplomatie économique 6 ( * ) est rattachée, de haute lutte avec le ministère de l'économie, au ministère des affaires étrangères. La montée en puissance a été rapide. Une direction dédiée au dialogue avec les entreprises a été créée dès 2013 au sein du ministère des affaires étrangères et du développement international. La Direction générale de la mondialisation (DGM) est devenue depuis la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats 7 ( * ) . Son périmètre a évolué pour faire d'elle la direction des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme. La DGM a su recruter hors MEAE les expertises spécifiques nécessaires (dans les domaines de la santé, de l'analyse économique, des forêts, de la propriété intellectuelle, etc.) pour les allier avec les métiers diplomatiques et mener à bien ses missions. Dès 2016, on estimait que les ambassadeurs consacraient 40 % de leur temps à la gestion des enjeux économiques,
- en 2015, une réforme générale du réseau diplomatique visait à adapter les moyens drastiquement réduits du Quai d'Orsay à la géographie des intérêts français. Il a été décidé de différencier les missions des différentes ambassades afin de préserver l'universalité du réseau en gestion contrainte. Ceci s'est traduit par la transformation de 25 ambassades en postes de présence diplomatique (PPD) 8 ( * ) et l'obligation de trouver de nouvelles solutions pour effectuer en effectifs extrêmement réduits les missions assignées.
Un autre objectif de la réforme visait l'amélioration de la formation initiale et permanente des hauts fonctionnaires . Là encore, le ministère des affaires étrangères s'est doté dès 2010, de l'Institut diplomatique et consulaire (IDC) pour répondre au besoin de formation initiale au sein du Quai, au besoin de formation des diplomates confirmés, accédant aux emplois d'encadrement supérieur et/ou partant en poste à l'étranger et à la nécessité de former les contractuels recrutés par le ministère. Il propose plusieurs cycles de formation à ces fins, présentés dans l'encadré suivant.
Les 4 cycles de formations délivrés par l'IDC
1. Le cycle de formation initiale
Cette formation a été mise en place dès 2010. Les principaux objectifs qui lui sont assignés sont la sensibilisation des nouveaux agents à la culture professionnelle du ministère, la cohésion de groupe et l'esprit de promotion ainsi que l'acquisition des premiers savoir-faire professionnels. La plupart des agents concernés sont issus de concours à fort contenu académique. C'est pourquoi, la session de formation initiale est essentiellement axée sur la pratique, les compétences et le brassage des expériences. Elle appelle une pédagogie participative et s'appuie largement sur une formation par les pairs . Au terme de leur parcours initial, les auditeurs doivent avoir acquis des repères solides sur leur environnement administratif, ainsi que sur les métiers et les valeurs du ministère (travail en équipe, bonnes pratiques, déontologie notamment).
La formation linguistique fait pleinement partie de cette formation avec un accent mis sur le perfectionnement en anglais. Ceci ne se fait pas aux dépens du plurilinguisme puisque la formation linguistique des nouveaux agents dépasse largement le strict cadre de la session de l'IDC. Les nouveaux agents s'engagent en effet, pour la durée de leur première affectation en administration centrale, à suivre des cours dans une ou deux langues correspondant aux besoins et intérêts du ministère.
Le cursus est obligatoire La participation des agents aux différents ateliers pratiques et travaux de groupe est évaluée et prise en compte, notamment dans le cadre de leur titularisation.
2. La formation continue : le cycle à mi-carrière
Le premier cycle de formation à mi-carrière a été lancé dès 2011. Ce cycle s'adresse à des agents ayant en moyenne 15 ans d'ancienneté et accédant pour la première fois, à la faveur d'un retour en administration centrale, à des fonctions de directeur adjoint, de sous-directeur ou de chef de mission. Cette formation permet de constituer un vivier d'agents exerçant des fonctions d'encadrement supérieur au sein du MEAE .
L'objectif prioritaire est de renforcer les compétences managériales et les capacités de leadership des diplomates tout en approfondissant leurs connaissances sur des enjeux prioritaires de l'action internationale de la France (diplomatie économique, diplomatie d'influence, sécurité et défense, questions européennes, changement climatique notamment).
3. La préparation au départ en poste de l'encadrement supérieur
Ces formations s'adressent aux membres de l'encadrement supérieur du ministère qui, pour la première fois, sont appelés à occuper des fonctions de chef de poste, de numéro 2 d'ambassade ou encore d'officier de sécurité.
Elles mettent l'accent sur les compétences en matière de communication, de leadership et de management, de sécurité diplomatique et de gestion de crise avec des ateliers de mise en pratique. Ces formations comportent une forte dimension de retours d'expérience et des interventions de cadrage des principaux responsables du ministère . Un point sur les principaux thèmes d'actualité de l'action extérieure de la France est également au programme.
4. La préparation aux nouvelles fonctions d'encadrement et à l'intégration au ministère
L'IDC organise également des formations au management pour les nouveaux chefs de bureau/pôle/secteur ainsi que des stages d'intégration pour les nouveaux agents contractuels de catégorie A.
Source : Site du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères
https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/les-metiers-de-la-diplomatie/depuis-la-france-des-fonctions-fondamentales-pour-la-diplomatie/la-formation-des-diplomates-et-des-agents-du-meae/article/l-institut-diplomatique-et-consulaire
La réforme de la haute fonction publique est également présentée comme devant faciliter la diversification des profils recrutés. Le MEAE s'est emparé de cette priorité. La première édition de l'Académie diplomatique s'est tenue du 30 août au 3 septembre 2021, à la Courneuve, sur le site des Archives diplomatiques. Elle a rassemblé des jeunes lycéens et étudiants de tous horizons. Après une semaine de découverte et de formation aux missions et aux métiers de la diplomatie française, les 150 lycéens et étudiants sélectionnés (sur 700 candidats) ont obtenu un certificat « Talents de la diplomatie » et ont découvert comment rejoindre le Quai d'Orsay auquel leur parcours ne les prédisposait pas. Les lauréats étaient pour les 2/3 d'entre eux 9 ( * ) des femmes, pour 79 % d'entre eux des boursiers. Un tiers d'entre eux étaient élèves de lycées ou universités de province, un tiers parisiens, et un tiers issus des départements d'Ile-de-France, autres que Paris (15% des participants venant du département de la Seine Saint-Denis).
Enfin, la réforme de la haute fonction publique promeut une approche plus interministérielle pour une meilleure efficacité de la haute fonction publique . Là encore, le Quai d'Orsay a récemment mis en oeuvre une refonte interministérielle de grande envergure, avec une grande économie de moyens . Appliqué à partir de 2018, le programme de transformation Action publique 2022 (AP2022) se voulait être une réflexion stratégique sur l'organisation et les missions de l'État à l'étranger. Son application au MEAE visait à donner à l'ambassadeur les moyens de gérer son ambassade et à le placer au coeur de l'organisation interministérielle de l'État dans sa projection internationale avec un objectif concomitant de diminution de 10 % de la masse salariale des personnels à l'étranger . L'encadré suivant détaille le programme AP2022.
AP2022 : principes et déclinaison fonctionnelle
Le Premier Ministre avait alors précisé les difficultés concrètes rencontrées par les ambassadeurs à au moins deux niveaux :
- l'impossibilité de pouvoir proposer la composition des équipes et les modalités de leurs actions communes aboutissant à l'hypertrophie des fonctions dites support qui représentaient 30 % des ETPT à l'étranger,
- l'incapacité d'avoir une vision claire de la présence des effectifs à l'étranger, de leur métier et de leurs objectifs. Le réseau « CORINTE », censé répondre à cette nécessité, ne s'étant jamais réuni au niveau politique, n'était pas pleinement opérationnel.
La réforme devait s'organiser en trois étapes :
- le PLF 2019 était la première étape. Elle prévoyait le regroupement des crédits de façon à assurer aux ambassadeurs la capacité de piloter les fonctions support de l'ensemble des réseaux de l'État à l'étranger,
- la seconde étape relative à ce pilotage des réseaux de l'État à l'étranger chargeait le MEAE chaque année au début du printemps de proposer une évolution des réseaux de l'État à l'étranger par métiers et par géographie, sur la base des analyses transmises par les ambassadeurs. Après consultation des ministères concernés, un schéma d'emploi global, décliné par pays et par fonction devait être arrêté (après arbitrage de Matignon),
- la troisième étape était présentée comme la conséquence logique de cette réforme et portait sur les économies attendues, soit 10 % de la masse salariale d'ici 2022 correspondant à environ 110 millions d'euros. La proportion des fonctions support à l'étranger devaient rapidement baisser en deçà de 25 % des ETPT au lieu de 30 % aujourd'hui. Il était envisagé de remplacer des fonctionnaires expatriés par des agents de droit local, par exemple dans les services culturels et économiques, en particulier en Europe.
L'application de la réforme au ministère des affaires étrangères devait se dérouler sur 4 ans, de 2019 à 2022. Le PLF 2019 prévoyait la mutualisation des fonctions supports - chauffeurs, secrétaires, interprètes, agents d'entretien - regroupées sous un même chapeau. Ainsi unifiée sous l'autorité de l'ambassadeur, la gestion devait être simplifiée et le coût de leur fonctionnement rationnalisé. Conséquence de ce transfert des fonctions support au ministère des Affaires étrangères, 387 ETP ont été versés au Quai d'Orsay, soit 11 millions d'euros de dépenses de personnel ainsi que 15 millions d'euros de frais de fonctionnement et 215 biens immobiliers . Le PLF 2019 prévoyait également une économie de masse salariale de 13 millions d'euros et 130 ETP pour le MEAE . La baisse de masse salariale variait selon les postes. Ainsi, les postes de présence diplomatique, avec un effectif de trois à cinq personnes - dont l'ambassadeur - ne contribuaient pas à l'effort. Ceux dans un pays en crise ou de sortie de crise, ou dont la fragilité institutionnelle justifiait de maintenir intacte l'empreinte française étaient les moins impactés, en théorie à 7 %. Les postes de nos principaux partenaires stratégiques, situés dans des pays à intérêt diplomatique fort dans leur environnement régional, étaient également taxés à 7 %. Enfin, les grands postes auprès de nos partenaires multilatéraux, les États du P5, les postes européens ou certains grands postes de pays émergents étaient mis fortement à contribution, avec une réduction des effectifs de 13 %. Les autres postes étaient taxés à 10 %.
L'année 2019 a donc été la première année d'exécution de la modernisation du réseau des ministères à l'étranger et de la mise en oeuvre des efforts de productivité, de mutualisation et de rationalisation. Elle s'est caractérisée par un certain flou, voire un tâtonnement : la diminution de masse salariale qui devait atteindre 13 % du total a vu ses contours plusieurs fois redéfinis. Il a été décidé de prendre en compte dans le périmètre de la réforme les diminutions de masse salariale déjà réalisées depuis juillet 2018. Puis l'objectif de contraction de la masse salariale pour le MEAE a été ramené à 5,9 %. Finalement cette réforme s'est traduite, sur la mission « Action extérieure de l'État », en 2018 par 80 suppressions de postes, 160 en 2019 et 80 prévus en 2020 et en 2021 . L'effort devait porter pour ces deux dernières années sur la chancellerie politique pour préserver les services de soutien (avec 38 suppressions de postes en chancellerie prévus en 2020 au titre de cette réforme, alors que 15 ETP étaient versés par les autres ministères pour parfaire la mutualisation des services de soutien). La CAED avait appelé à la prudence sur la mise en oeuvre de cette réforme, alertant sur ses conséquences potentiellement néfastes , plaidant pour son ajustement poste par poste, pour la prise en compte des recommandations des ambassadeurs plutôt que pour l'application de formules arithmétiques à un appareil diplomatique déjà éprouvé 10 ( * ) . L'apparition de la pandémie mondiale de Covid 19 a conduit à la suspension puis à l'abandon d'AP2022.
Si la pandémie mondiale de Covid 19 a induit la suspension puis l'abandon du programme AP2022, il apparaît que l'effort qui devait être réalisé pesait essentiellement sur le Quai d'Orsay qui devait supprimer 416 des 492 ETP prévus, soit 84,55 % des réductions de postes.
Après les deux premières années d'exécution de la réforme (avant son arrêt), le Quai d'Orsay avait supporté la suppression de 250 des 268 ETP concernés, soit 93 % de l'effort consenti , comme le montre le tableau ci-après présentant le calendrier envisagé des suppressions d'ETP au titre d'AP2022.
Suppressions nettes d'ETP par ministère et par année |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
Total général |
Europe et Affaires étrangères |
-90 |
-160 |
-81 |
-85 |
0 |
-416 |
Affaires sociales |
-1 |
-2 |
0 |
-3 |
||
Agriculture |
-1 |
-1 |
-1 |
0 |
-3 |
|
Armées |
-1 |
0 |
-3 |
-13 |
0 |
-17 |
DGDDI |
-1 |
-4 |
-2 |
-2 |
-9 |
|
DGFIP |
-1 |
-1 |
-2 |
|||
DG Trésor |
-5 |
-1 |
-7 |
-6 |
-1 |
-20 |
INTERIEUR |
-1 |
-4 |
-2 |
-4 |
-6 |
-17 |
MAS |
-1 |
0 |
-1 |
|||
MTES/DGAC |
-1 |
-1 |
0 |
-2 |
-4 |
|
Total général |
-99 |
-169 |
-102 |
-113 |
-9 |
-492 |
4. Un ministère des affaires étrangères sur le fil après des efforts continus
Moins 50 % des effectifs en 30 ans, une réduction 4 fois plus importante que les effectifs de la fonction publique d'État ces 15 dernières années : une pression continue sur le Quai
Le bilan des précédentes réformes menées par le MEAE est le suivant : le lissage des « Grands formats » a permis la suppression de 350 postes, les PPD 50 postes, AP2022 250 postes. Ces chiffres déjà importants ne sont que les aspérités identifiables d'un mouvement de fond d'attrition des moyens humains du ministère, disproportionné par rapport aux efforts pesant sur l'ensemble de la fonction publique.
Ainsi, entre 2006 et 2019, en 15 ans, alors que les effectifs de la fonction publique étaient réduits de 3,84 %, ceux du Quai d'Orsay ont diminué de 15,43 %, soit 4 fois plus . La part des effectifs du ministère de l'Europe et des affaires étrangères dans la fonction publique est ainsi passée de 0,66 % à 0,58 %. On estime que les effectifs du ministère ont baissé de 30 % en dix ans et de 50 % en trente ans.
Un ministère déjà caractérisé par une forte ouverture : 19 % des ambassadeurs et 41 % des chefs de service du MEAE ne sont pas des diplomates
Le Quai d'Orsay est l'une des administrations les plus ouvertes et diversifiées (52% des agents sont contractuels, 20% de l'encadrement n'est pas issu du corps diplomatique). Il accueille de fortes proportions de personnels extérieurs au ministère, faisaient valoir 150 jeunes diplomates dans une tribune publiée par Le Monde en novembre 11 ( * ) .
En 2019, 16 % des agents d'encadrement supérieur du ministère étaient d'ores et déjà en mobilité extérieure, le graphique suivant présentant leurs organismes d'accueil.
La même année, 19 % des emplois d'ambassadeurs étaient occupés par des personnels en détachement ou intégrés au MEAE, et 41 % des emplois de chefs de service .
En 2019, les agents du MEAE, titulaires et ayant signés un CDI, ne représentaient que 48 % des agents de catégorie A .
La rémunération des agents du Quai est moins favorable que celle de l'ensemble de la fonction publique et s'érode
S'agissant de la rémunération, contrairement à des idées reçues largement ancrées, et fondées sur une perception fausse de l'indemnité de résidence à l'étranger, la rémunération des agents du Quai est moins favorable que celle de l'ensemble de la fonction publique et elle s'érode.
La masse salariale ne représente que 0,86 % des dépenses de personnel de l'État en 2021. Entre 2010 et 2021, les dépenses de personnel ont progressé de 16 % pour les personnels de l'État, contre moins de 12 % pour ceux du MEAE . Enfin, l'écart entre la rémunération médiane au MEAE et la rémunération médiane du ministère le plus favorisé est de 19 % pour les chefs de service , 15 % pour les 5 directeurs adjoints et 24 % pour les 59 sous-directeurs . Pour les experts de haut niveau la différence est de 33 % en défaveur du MEAE.
II. QUI MALGRÉ DE RARES PROGRÈS, NUIRA AU RAYONNEMENT DIPLOMATIQUE FRANÇAIS
Les auditions menées dans le cadre de la préparation de ce rapport, les échanges avec de nombreux hauts responsables politiques et la table ronde organisée en amont de la grève du 2 juin dernier, qui a rassemblé les responsables de toutes les organisations syndicales et associations professionnelles du MEAE, ont permis de constater que seules les administrations en charge de la conduite de la réforme lui étaient favorables et ce malgré des aménagements de la réforme pour le MEAE.
1. Les aménagements obtenus par le MEAE
Une réelle incompréhension et une ferme opposition à la réforme se sont exprimées. L'incompréhension tient notamment aux efforts régulièrement produits par le ministère pour se réformer de façon constante et profonde.
Preuve en est, une mission de réflexion et de proposition sur l'organisation des carrières diplomatiques avait été confiée à M. Jérôme Bonnafont . Insistant sur la spécificité du métier de diplomate, elle a abouti au premier semestre 2021 , avant que ne soit prise l'ordonnance portant réforme de l'encadrement de la fonction publique. Nombreux sont ceux qui ont alors pensé fondée l'exclusion des diplomates du champ de la réforme. Il n'en a finalement rien été. Le travail de qualité de la mission Bonnafont, mené en profondeur, a pu, dès lors, paraître caduc aux personnels.
Le Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, alors en poste, Jean-Yves Le Drian, confronté à la décision d'inclure son ministère dans la réforme globale de l'encadrement de l'État, a oeuvré à la prise en compte des conclusions de la mission Bonnafont et de la spécificité des métiers diplomatiques, avec quelques succès .
Par un courrier de novembre 2021, le ministre affirmait ainsi « avoir obtenu gain de cause sur trois sujets essentiels qui conditionnent le maintien d'un outil diplomatique performant, professionnel et attractif :
- le concours d'Orient (...) restera une voie d'accès directe et spécifique au Quai d'Orsay . (...)
- la revalorisation des parcours et des carrières des agents qui ont rejoint le ministères comme secrétaires des affaires étrangères (...) [ Ils pourront ] bénéficier de modalités de passage dans le corps des administrateurs de l'État qui seront en réalité plus favorables à celles existant aujourd'hui pour passer dans le corps des affaires étrangères. (...)
- [ et ] celles et ceux qui sont aujourd'hui en poste au Quai d'Orsay en tant que conseillers des affaires étrangères ou ministres plénipotentiaires et qui feront le choix de ne pas opter pour le reversement dans le corps des administrateurs d'État, non seulement ne [ seront ] pas pénalisés, mais [ pourront ] aussi poursuivre leur carrière au ministère dans des conditions satisfaisantes et au moins comparables à celles qui prévalent aujourd'hui . »
Le Ministre soulignait également « avoir obtenu :
- la levée des restrictions des conditions d'accès des conseillères et des conseillers des affaires étrangères à un poste d'ambassadrice ou d'ambassadeur ,
- la révision à la hausse de la cartographie des emplois fonctionnels du ministère pour mieux tenir compte de la réalité des responsabilités exercées par l'encadrement supérieur ,
- et le maintien de l'autonomie de l'inspection générale des affaires étrangères qui conserve son identité et n'est pas soumise de ce fait au statut d'emploi des services de l'inspection générale ».
Enfin, la rémunération indemnitaire du MEAE a été alignée , au 1 er janvier 2022, sur la fourchette haute des pratiques antérieures des ministères. Ceci cumulé avec une grille indiciaire rehaussée, qui doit être adoptée cet été, doit rendre les métiers diplomatiques plus attractifs.
Cela suffit-il à rendre la réforme acceptable et efficace ? La gestion moderne et entrepreneuriale de l'État que doit permettre la réforme ne parvient pas à convaincre, comme le montre les nombreuses réactions dans la presse 12 ( * ) . Mais quel PDG nommerait son directeur des affaires financières (DAF) au marketing ? Sa directrice de la logistique à la communication ? Son ambassadeur directeur d'administration pénitentiaire ? Son consul général inspecteur des impôts ? Son directeur de maison de santé ambassadeur d'un pays riche en matières premières stratégiques ?
Les aménagements techniques de la réforme ne paraissent pas à la hauteur des prouesses réalisées par la diplomatie française qui pour citer ses derniers actes d'excellence :
- s'est adaptée à la pandémie mondiale en temps réel, ramenant 370 000 compatriotes bloqués à l'étranger, alors que les liaisons internationales étaient interrompues, a garanti la vaccination des personnels à l'étranger et les équivalences vaccinales des ressortissants français afin qu'ils ne soient pas bloqués aux frontières,
- a organisé la périlleuse évacuation de 2 805 personnes d'Afghanistan en août 2021, et le soutien aux filles et femmes afghanes et aux ONG défendant les droits de l'homme et les libertés en Afghanistan après la prise de pouvoir des talibans,
- a négocié les positions de consensus pendant la PFUE sur les sanctions à la Russie en réponse à son invasion de l'Ukraine, l'achat groupé d'énergie, et négocie en même temps la stratégie indopacifique de l'Union européenne ou encore les conditions d'une réintégration des États-Unis à l'accord sur le nucléaire iranien de 2015 et le retour de l'Iran au respect intégral de ses engagements tels que prévus par le JCPOA,
- fait face au quotidien au x défis d'un monde de plus en plus instable et caractérisé par des crises protéiformes . Ces dernières années, les diplomates français ont fait face au déclenchement d'une guerre de la Russie contre l'Ukraine, à un coup d'État et une répression sanglante des forces civiles (en Birmanie notamment), aux menaces de mort et à la possibilité d'être déclaré persona non grata tout en continuant à défendre les intérêts français (au Pakistan notamment), aux risques d'attentat sur toutes les emprises françaises, à la fin du « contrat du siècle », à la proclamation du pacte AUKUS et à ses répercussions sur les relations entre la France, les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni, etc.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat tient en très haute estime et considération les agents du Quai d'Orsay, tous grades, titres et formes de contrat de travail confondus. Ils oeuvrent ainsi à la protection de nos concitoyens et de nos intérêts partout dans le monde , en n'épargnant ni leur peine, ni leur temps, dans une abnégation et un investissement qui forcent l'admiration .
2. La concurrence interministérielle réduira la possibilité de construire et mener la carrière diplomatique projetée
Le décret du 16 avril 2022 13 ( * ) (voir annexe) ne paraît pas à la hauteur des légitimes attentes des personnels diplomatiques qui ont choisi de consacrer leur vie à la France, aux termes d'une vocation voire d'un sacerdoce qui s'exerce dans ces conditions extrêmement difficiles.
Sans perspectives de carrière pour nos diplomates, notre appareil diplomatique a-t-il encore un avenir ?
L'inclusion dans la grande fusion interministérielle des corps de l'État, malgré les aménagements obtenus, reste indubitablement une mauvaise nouvelle pour les agents, qui voient leurs parcours dorénavant obstrués au sein du ministère. C'est également une mauvaise idée pour l'avenir de notre appareil diplomatique et sa capacité à assurer le rayonnement de notre pays.
Les parcours des agents, nomades perpétuels , spécificité du MEAE, sont compromis . La CAED a entendu Jean-Yves Le Drian affirmer, en audition, le 16 février 2022 : « J'ai obtenu la garantie que les agents qui ont fait le choix de la diplomatie, quel que soit leur statut ou leur concours, auront la possibilité d'accomplir toute une carrière au Quai d'Orsay ». Cette décision ne paraît pas avoir trouvé toute sa traduction, notamment pour les SAE. Surtout, l'existence même d'un corps des administrateurs de l'État pose de réelles questions.
Contrairement à ce qui prévaut ailleurs, les fonctionnaires qui servent au ministère des affaires étrangères sont pour la plupart de véritables nomades, de leur entrée au ministère jusqu'à leur retraite. S'ils peuvent rester aussi longtemps qu'ils le souhaitent en poste en administration centrale, au bout de trois ou quatre ans, les agents ont la possibilité de se porter candidat pour partir à l'étranger, dans une ambassade. Le fonctionnaire s'expatrie alors, avec sa famille, y sert trois ou quatre ans, enchaine éventuellement avec une deuxième ambassade, pour la même durée. En général, un retour de trois ou quatre ans en France précède si l'agent le souhaite un nouveau départ à l'étranger. Chaque année, dans chaque ambassade et dans chaque service d'administration centrale, environ le tiers des effectifs se renouvelle ainsi.
Le corps est le cadre de ce nomadisme . Jusqu'à présent, ce qui permettait cette rotation de chaque agent d'un poste à l'autre, c'était son appartenance à un corps . L'agent pouvait se porter candidat à tous les postes que son corps a vocation à occuper, dans tous les pays. Une fois ses voeux formulés, il appartenait à la DRH de trouver chaque année un point de chute pour chaque agent et un agent pour chaque poste laissé vacant par les partants.
La fusion interministérielle des corps va totalement bouleverser ce système de rotation . Les agents de l'ensemble des ministères pourront se porter candidats sur l'ensemble des postes d'encadrement supérieur dans le réseau diplomatique et consulaire. Cela veut dire que là où il pouvait y avoir 10 à 15 candidats du MEAE pour un poste jusqu'à présent, il pourra désormais y en avoir 80 en provenance de tous les ministères . Certains diplomates ont ainsi le sentiment que l'institution a rompu le contrat qu'ils avaient conclu ensemble lors de leur réussite au concours d'entrée.
Pour chaque agent, l'enjeu est de taille. Les rémunérations et l'intérêt professionnel des postes à l'étranger sont significativement plus élevées qu'en administration centrale et, globalement, l'attractivité du MEAE est très forte par rapport aux autres ministères. Les agents du Quai ressentent cette concurrence accrue comme illégitime pour les quatre raisons suivantes :
-il est très difficile d'entrer dans un corps du MEAE , toutes catégories confondues, sans doute plus que dans bien des ministères. En témoignent le niveau de sélectivité sans comparaison des concours et le très faible nombre de postes ouverts chaque année,
- à catégorie similaire, les responsabilités qui sont confiées aux diplomates sont particulièrement lourdes . Selon les informations recueillies, les mobilités des personnels du MEAE dans d'autres ministères sont souvent l'occasion d'exercer des responsabilités qui leur paraissent subalternes par rapport à celles qu'ils ont connues en ambassade, où la gestion de crise fait partie du quotidien des agents,
- alors que les personnels du MEAE acceptent des postes dans des pays difficiles ou en guerre , en espérant ensuite alterner avec des affectations dans des pays moins austères, la concurrence interministérielle privera certainement nombre d'entre eux de cette possibilité au profit d'administrateurs de l'État qui n'auront pas fait le même investissement, voire le même sacrifice, et ne se seront pas aguerris au contact de situations difficiles, voire extrêmes,
- Enfin, contrairement aux agents des autres ministères, ceux du MEAE acquièrent au fur et à mesure de leurs affectations à l'étranger, une expérience de l'expatriation , de la vie et du travail en ambassade qui leur permet d'être plus rapidement opérationnels à l'étranger que ceux qui ont toujours vécu en France.
Perdant des chances d'être affectés dans le réseau diplomatique en raison de la concurrence interministérielle, les personnels du MEAE devront, souvent à regret, postuler en dehors du Quai . Si certains trouveront là une respiration dans une carrière exigeante, nombreux sont ceux qui craignent de devoir accepter des postes dans des ministères beaucoup moins demandés , sur des fonctions et dans des départements en France où ils ne se seraient jamais projetés à l'époque de leur vie pendant laquelle ils ont consenti les sacrifices leur permettant d'entrer au prestigieux ministère des affaires étrangères pour y accomplir leur vocation. La pyramide des âges du MEAE montre que 39 % des agents de catégorie A ont moins de 45 ans, les femmes quant à elles représentent 69 % des ministres plénipotentiaires de moins de 55 ans. La crainte pour ces catégories en particulier de ne pouvoir accomplir leur projet professionnel, qui est souvent assimilé à un parcours de vie, est réelle.
Si tous ces personnels devaient se détourner de leur projet, que deviendrait notre appareil diplomatique ? Peut-on vraiment penser que tous les administrateurs de l'État sont interchangeables ?
3. Des répercussions regrettables de cette réforme sur l'appareil diplomatique français ?
L'appareil diplomatique et consulaire français garantit aujourd'hui, à la France de tenir un rang conforme à son siège au Conseil de sécurité des Nations Unies . La qualité de la diplomatie française, son professionnalisme reconnu dans toutes les enceintes internationales, par nos alliés, comme par nos compétiteurs ou rivaux systémiques, depuis des décennies, hisse la France au niveau des plus puissants acteurs internationaux, des plus grandes puissances, bien au-dessus de ce que devrait permettre le poids économique et militaire de notre pays . La qualité et l'investissement personnels et professionnels des agents de toutes les catégories est ce qui permet d'atteindre cette performance.
D'une diplomatie professionnelle au service de l'État à une diplomatie au service des carrières de certains administrateurs de l'État
La fusion interministérielle des corps induira le passage d'une diplomatie professionnelle, reposant sur un petit nombre d'agents nomades faisant l'essentiel de leur carrière au sein du MEAE, à une diplomatie au service de la gestion interministérielle des carrières de certains administrateurs de l'État. Elle s'accommodera d'un grand nombre d'agents de tous horizons ministériels qui effectueront une courte mobilité, valorisante dans la construction de leur parcours professionnel, dans une ambassade ou un consulat général, avant de regagner une vie plus stable quelque part en France.
Pour l'appareil diplomatique, il en résultera une perte sèche, à plusieurs égards :
- le très haut niveau de compétences professionnelles des diplomates français ne sera plus 14 ( * ) . Sélectionnés actuellement sur le critère, linguistique, notamment, les diplomates français ont des compétences généralement au-dessus de la moyenne dans ce domaine, mais aussi en droit international et en histoire des relations internationales. Le passage successif par des services en administration centrale et par les ambassades leur permet actuellement de se forger une culture et un ensemble de compétences qui les rendent de plus en plus performants à mesure qu'ils accumulent de l'expérience , par sédimentation et transmission de la mémoire de l'institution. Ils se familiarisent avec les codes et les règles de la diplomatie internationale et de ses enceintes de négociation. Peu à peu, ils apprennent ce qu'aucune école n'enseigne comme la signification et l'utilité des fonctions de représentation (ces soirées éreintantes, après la journée de travail, pendant lesquelles se nouent les relations indispensables à l'exercice du métier). Ils apprennent à adopter une posture particulière, celle de l'étranger , et un savoir-être qui les rendent plus audibles et convaincants dans leurs démarches auprès des autorités ou de l'opinion des pays dans lesquels ils résident. Ils se constituent un réseau personnel de collègues au sein du ministère et parmi les collègues étrangers qu'ils recroisent de loin en loin. Ils connaissent de mieux en mieux le fonctionnement d'un ministère complexe et résolvent de plus en plus facilement des problèmes qui se posent dans des termes proches dans toutes les ambassades. En comparaison, le fonctionnaire de passage ponctuellement dans le réseau diplomatique sera un éternel débutant . Pour résumer, contrairement aux autres fonctionnaires, un diplomate n'administre que peu et ne régule pas. Il n'écrit pas de décret ni d'arrêté, il ne crée pas de règle. Il gère l'urgence et la crise. Il négocie avec des pays étrangers et protège nos ressortissants. Enfin il représente et incarne la France à l'étranger.
- les personnels du MEAE internalisent en entrant au ministère, et même, souvent en amont, l'ensemble des contraintes , notamment personnelles et familiales, associées à l'expatriation : séparation avec la famille et particulièrement les parents âgés (la pandémie de covid 19 avec des diplomates n'ayant pu rentrer en France pendant de très longs mois, parfois plus d'une année, a conduit dans ce domaine à des extrêmes particulièrement difficiles à gérer et vivre) et les amis restés en France, mal du pays, fatigue linguistique, renonciation le plus souvent à l'emploi du conjoint, arrachement tous les quatre ans des enfants à leur environnement amical et scolaire, report des soins de santé aux vacances d'été en France, exposition à des conditions dangereuses pour la santé (les taux de pollution dans certains pays ont pu entraîner des incapacités temporaires ou permanentes), etc. Les agents qui auront à connaître une seule expatriation, comme étape d'un parcours, par ailleurs construit en France seront forcément moins aguerris face à cette réalité . Il en résultera un risque d'échec plus élevé qu'actuellement, avec la difficulté pour la DRH du MEAE, si elle garde bien la main sur ces sujets, d'identifier dans l'urgence des relèves pour les agents qui décrocheront (arrêt-maladie, démission, burn-out) voire de gérer les risques d'une gestion maltraitante des personnels par un chef en difficulté.
- la transformation du corps diplomatique va enfin se traduire par une perte de prestige dans la façon dont les interlocuteurs étrangers considèrent la France en particulier alors que la Chine 15 ( * ) , l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Turquie et les États-Unis renforcent leurs réseaux diplomatiques. Il est d'ailleurs notable qu'aucun pays allié ni aucun de nos compétiteurs systémiques ne s'est engagé sur la voie de la suppression de sa diplomatie professionnelle dans cette période de remise en cause du multilatéralisme, de réaffirmation des politiques de puissance des États, et de retour des affrontements allant de la contestation de notions juridiques à la guerre sur notre continent.
4. Suspension et aménagement de la réforme pour garantir l'avenir de l'appareil diplomatique et le rayonnement de la France
Aux termes de leurs auditions, vos rapporteurs constatent une ferme unanimité d'inquiétudes sur les effets de la réforme.
Elle fut longtemps annoncée : dès 2017, l'actuel Président de la République plaidait, pendant sa première campagne électorale, pour la mise en place d'un « spoil system » sur le modèle américain 16 ( * ) . Lors de la 27 ème conférence des ambassadeurs en août 2019, il dénonçait « l'État profond » en sommant les diplomates de prendre acte de son tournant russe 17 ( * ) . Savoir si la mise en concurrence interministérielle des fonctionnaires de haut niveau au sein du seul corps des administrateurs de l'État est une idée puisée dans les travaux de la commission Attali, une concession faire aux gilets jaunes ou la mise en pratique de théories sociologiques importe finalement moins que d'en réduire les effets néfastes sur l'attractivité d'une carrière exigeante et indispensable au rayonnement de la France .
Suspendre la réforme et ouvrir des discussions avec les commissions compétentes du Parlement
La suspension de la réforme est nécessaire , le temps que les États généraux ou assises de la diplomatie, envisagés suite à la grève du 2 juin dernier, se tiennent et permettent l'écoute des personnels du Quai . De même, il est indispensable d'ouvrir un dialogue approfondi avec les commissions compétentes du Parlement , afin qu'un débat constructif puisse se tenir sur ces questions.
À défaut, cette réforme doit être aménagée pour ne pas avoir d'effets délétères sur l'appareil diplomatique français, son excellence, sa réputation et son efficacité.
Vos rapporteurs ont ainsi identifié trois points sur lesquels la réforme de l'encadrement supérieur de l'État doit être adaptée :
- pour ne pas décourager les diplomates de métier de poursuivre leur investissement au service de la France ,
- pour accueillir les administrateurs de l'État au Quai dans des conditions leur permettant de prendre part efficacement à l'action diplomatique de la France,
- et enfin pour préserver le niveau d'influence de la France sur la scène internationale grâce à son appareil diplomatique.
Garantir la carrière des Secrétaires des affaires étrangères au Quai est une impérieuse nécessité
Les secrétaires des affaires étrangères (SAE) sont des personnels essentiels du Quai d'Orsay. Ils entrent au MEAE par le concours dédié et y font une carrière remarquable. Nombre d'entre eux, d'un niveau excellent, passaient avec succès le concours de conseillers des affaires étrangères, rejoignaient ensuite le corps des cadres A+, concerné par la réforme de l'encadrement supérieur, et poursuivaient leurs carrières au MEAE .
Il est indispensable que cette possibilité continue de leur être offerte pour leur garantir un parcours professionnel cohérent avec leur vocation et leurs souhaits, mais aussi pour que le MEAE ne perde pas à l'avenir les meilleurs et plus motivés de ses SAE.
Il convient donc de s'assurer que la fusion interministérielle des cadres A+ ne soit pas le prémisse d'une fusion interministérielle des cadres A. La théorie de l'interchangeabilité des fonctionnaires s'accommode sans doute d'un SAE gérant un lycée, travaillant dans une mairie ou dirigeant une médiathèque, mais, sauf si cette mobilité est son souhait, on peut convenir qu'un personnel qui n'a pas passé le concours d'un des instituts régionaux d'administration mais le concours des SAE risque de ne pas se retrouver dans de telles perspectives de carrière. De la même façon, s'il passe le concours d'encadrement supérieur , ce n'est sans doute pas pour quitter le Quai , mais au contraire pour y exercer des responsabilités accrues .
Pour 2023 et 2024 des quotas révisés à la hausse doivent permettre l'accession d'une quarantaine de SAE au corps d'encadrement supérieur, et en 2025, 12 postes devraient être ouverts 18 ( * ) . Un troisième grade sera créé dans le corps des SAE 19 ( * ) pour offrir des perspectives à ceux des secrétaires qui ne deviendraient pas administrateurs de l'État 20 ( * ) .
Les SAE accédant au rang d'encadrement supérieur de l'État doivent pouvoir choisir de sanctuariser leur appartenance au MEAE. Pour cela il faut considérer, et c'est la première recommandation de vos rapporteurs, que les SAE sont, pour la gestion de leurs carrières de cadre supérieur, assimilables aux personnels recrutés par la voie d'Orient, qui sont eux assurés de pouvoir faire leur carrière au sein du MEAE , sous réserve d'une mobilité de quelques années au sein des autres ministères.
Dans le cas contraire, le MEAE perdrait les compétences si précieuses des SAE les plus brillants qui seraient automatiquement versés dans le corps des administrateurs de l'État, et sortiraient ainsi du MEAE.
Profiter de la réforme pour consolider l'excellence des ambassadeurs nommés
Quatre recommandations visent à renforcer la qualité des chefs de missions diplomatiques qui seront nommés à l'issue de l'entrée en vigueur de la réforme de l'encadrement supérieur du MEAE.
Le décret du 16 avril 2022 modifie les conditions d'accès aux emplois de chefs de mission diplomatique, en fixant une durée maximale d'exercice continu de neuf ans dans ces fonctions. Il prévoit l'avis préalable d'une commission d'aptitude avant de prononcer une primo-nomination .
L'article 23 du décret, présenté dans l'encadré suivant, prévoit la composition de la commission d'aptitude, en visant l'égalité entre les personnels issus du MEAE et les personnalités extérieures.
Composition de la commission d'aptitude se prononçant en cas de primo-nomination d'un chef de mission diplomatique
L'article 23 du décret du 16 avril 2022, insère un nouvel article 62-1 au décret n° 69-222 du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires, ainsi rédigé :
« Art. 62-1.-I.- Une commission d'aptitude est instituée pour formuler un avis sur l'aptitude professionnelle des personnes candidates à une première nomination en qualité de chef de mission diplomatique.
Cette commission apprécie les candidatures éligibles et détermine les candidats à auditionner au regard du principe d'égal accès aux emplois publics.
La commission transmet au ministre des affaires étrangères la liste des candidats qu'elle estime, après audition, aptes à l'exercice des fonctions.
II.- La commission d'aptitude comprend :
1° Le directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères ou son représentant [1 er /6 MEAE] ;
2° Le délégué interministériel à l'encadrement supérieur de l'État ou son représentant ;
3° Le chef du service de l'inspection générale des affaires étrangères ou son représentant [2 e /6 MEAE] ;
4° Une personne exerçant ou ayant exercé depuis moins de trois ans les fonctions de chef de mission diplomatique [3 e /6 MEAE] ;
5° Deux personnes ne relevant pas du ministère des affaires étrangères choisies en raison de leurs compétences en matière de ressources humaines sur une liste établie par le ministre chargé de la fonction publique.
Sa composition est déterminée conformément aux dispositions de l'article L. 325-17 du code général de la fonction publique.
Hormis le directeur général de l'administration et de la modernisation, le chef du service de l'inspection générale des affaires étrangères et le délégué interministériel à l'encadrement supérieur de l'État, qui siègent ès qualités, les membres titulaires de la commission ainsi que leurs suppléants sont nommés pour deux ans, non renouvelables, par arrêté du ministre des affaires étrangères. Ils perdent cette qualité en même temps que les fonctions qui les ont fait désigner. Dans ces circonstances, le remplaçant est désigné pour la durée du mandat restant à courir.
La présidence de la commission est assurée par le directeur général de l'administration et de la modernisation ou, à défaut, par un autre membre désigné par arrêté du ministre des affaires étrangères. »
Il est nécessaire de tenir compte des effets qu'aura la réforme de l'encadrement supérieur sur l'équilibre de la composition de la commission d'aptitude. Le succès de la réforme entraînera probablement, à plus ou moins courte échéance, la nomination de personnels non-diplomatiques aux postes de directeur général de l'administration et de la modernisation du MEAE et de chef du service de l'inspection générale des affaires étrangères , auquel cas ne resterait plus au sein de la commission chargée de juger de l'aptitude des candidats qu'une seule personne exerçant ou ayant exercé depuis au moins de trois ans les fonctions de chef de mission diplomatique . Comment la commission pourrait-elle alors fonder son avis sur la compétence du primo-arrivant ?
Vos rapporteurs recommandent de modifier le décret pour prévoir une clause permettant d'augmenter le nombre de personnes siégeant à cette commission d'aptitude et s'assurer que la moitié au moins des personnes la composant soit issu des rangs du MEAE, ou ait exercé les fonctions de chef de mission diplomatique pendant au moins 5 ans . De même, si le directeur général de l'administration et de la modernisation n'est pas issu du MEAE ou n'a pas exercé les fonctions de chef de mission diplomatique pendant au moins 5 ans, il sera souhaitable qu'un autre président, remplissant ces conditions, soit nommé à la tête de la commission d'aptitude.
La deuxième recommandation de vos rapporteurs va dans le sens d'un renforcement de l'expérience des chefs de mission diplomatique . Il s'agit de prévoir 21 ( * ) que ne peuvent devenir chef de mission diplomatique que des personnes ayant exercé pendant au moins trois ans des fonctions de n°2 de mission diplomatique . Une exception pour 20 % des postes d'ambassadeurs pourrait être prévue.
Vos rapporteurs recommandent également d'exclure, dans les 25 PPD, la nomination de chef de mission diplomatique n'ayant exercé pas pendant au moins cinq ans des fonctions de n°2 de mission diplomatique . Si une exception devait être envisagée, il faudrait qu'elle s'accompagne impérativement de la nomination complémentaire d'un cadre A issu du corps diplomatique.
Enfin, vos rapporteurs recommandent d'étendre le dispositif de consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes, prévu par l'article 13 de la constitution, aux nominations des grands ambassadeurs. Ainsi, avant l'exercice du pouvoir de nomination du Président de la République pour les grands ambassadeurs du G20 ou du G7, d'une part, et des grandes organisations internationales, d'autre part, et peut-être pour les seules primo-nominations, les commissions compétentes seraient appelées à émettre un avis public, qui ne lierait le Président de la République que dans les conditions prévues par l'article 13, précisées dans l'encadré ci-dessous.
La CAED se prononce, au titre de cette procédure, sur la nomination du directeur de l'AFD. Elle regrette de ne pas être également consultée sur la nomination de nos grands ambassadeurs en Europe, à Pékin, Washington ou au Conseil de Sécurité des Nations-Unies par exemple.
Consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes avant l'exercice du pouvoir de nomination du Président de la République
Extrait de l'article 13 de la Constitution du 4 octobre 1958 :
« Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés. »
Veiller à ne pas priver l'appareil diplomatique des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires
Dans le cadre du débat budgétaire de l'automne 2021, la CAED avait pris position pour que les conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires ne soient pas versés automatiquement dans le corps des administrateurs de l'État mais disposent d'un droit d'option. Elle recommandait que ce droit d'option soit réel , c'est-à-dire que le corps unifié d'accueil, mis en extinction, permette la poursuite d'une carrière à la hauteur des compétences des personnels et des besoins du MEAE.
Vos rapporteurs formulent trois recommandations en ce sens. Il conviendra ainsi :
- d'examiner, chaque année , dans le cadre du débat budgétaire au sein de la CAED, la carrière des personnels versés dans le corps unifié des conseillers des affaires étrangères et des ministres mis en extinction afin de s'assurer que le choix de ce corps en extinction ne se traduit pas par des carrières en berne,
- de prévoir des quotas réservés aux personnels ayant opté pour le corps mis en extinction pour les postes d'encadrement du MEAE. Ces quotas se réduiront au fur et à mesure de l'extinction du corps unifié des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires. Les personnels ayant opté pour le corps en extinction doivent ainsi se voir réserver les trois quart des postes d'encadrement à pourvoir la première année de mise en extinction du corps . Le quota des postes réservés sera ensuite ajusté en fonction des départs du corps (retraite, démission, etc.).
- d'étendre , enfin, sur trois ans la durée du droit d'option . S'il devait apparaître que le choix de rejoindre le corps en extinction n'est pas aussi favorable aux personnels qui l'auraient exercé, ou si le corps unifié des administrateurs d'État s'avérait particulièrement attractif après quelques brèves années d'expérimentation, il semble judicieux de permettre aux personnels concernés de pouvoir sortir ou entrer du corps unifié des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires mis en extinction pendant au moins trois ans .
De nombreux aspects de la réforme d'encadrement dépendront de sa mise en application, et notamment du rôle qu'aura et jouera la DRH du MEAE. Les personnels peuvent avoir besoin de temps pour apprécier pleinement les contours de la réforme. Le rallongement du délai d'option vise à leur donner le temps d'évaluer l'intérêt des deux options qui s'offrent à eux. De même, l'engagement pris par la nouvelle ministre, Catherine Colonna, suite à la grève du 2 juin 2022, d'ouvrir une large réflexion sur les métiers de la diplomatie, dans le cadre d'assises de la diplomatie, ou autre format de concertation, plaide pour le rallongement du délai d'option.
Protéger la particularité du métier de diplomate : les diplomates monuments vivants en danger de disparition ?
Vos rapporteurs soulignent enfin que le métier de diplomate, qui répond à une vocation, s'apprend de postes en postes, de rang hiérarchique en rang hiérarchique occupé, de crises en crises, de négociations internationales en négociations internationales, par sédimentation des expériences .
Être chef de mission diplomatique s'apprend et se transmet . Personne ne peut ni ne doit sous-estimer l'importance de la mémoire du Quai et de ses personnels dans la gestion des nouvelles crises qui secouent sans cesse ce début de siècle. Les diplomates sont comparables à des médecins au chevet de chaque crise, on n'imagine pas qu'un médecin ne soit pas formé, avant de commencer, mais aussi au cours et tout au long de l'exercice de sa pratique.
Cette réforme ne doit pas avoir d'effets irréversibles sur la qualité de notre outil diplomatique . Les 8 recommandations formulées visent à définir les conditions d'existence d'un corps diplomatique ouvert et professionnel, compétent, efficace et attractif .
Ceci permettra que les personnels du MEAE continuent de rayonner , notamment au niveau européen , au sein de la diplomatie européenne qu'ils contribuent, par leur professionnalisme et leur expérience, à nourrir.
Pour que la diplomatie européenne soit efficace, elle devra s'appuyer sur des corps diplomatiques nationaux professionnels et efficaces. Réduire l'excellence et l'expérience professionnelle des diplomates français, alors que cette diplomatie européenne s'affirme, dans la crise ukrainienne comme dans la définition d'une boussole stratégique et d'une stratégie indopacifique européenne, c'est prendre le risque de marginaliser les positions françaises en son sein. Il ne saurait en être question !
Les métiers diplomatiques n'appartiennent pas au passé mais bien à l'avenir . Et s'ils sont parfois vus comme des monuments en péril, accusés de conservatisme, ils sont en réalité l'expression du dynamisme des équipes France qui portent la voie de notre pays partout où nos concitoyens et nos intérêts le dictent. La réforme de l'encadrement supérieur de l'État ne doit pas affaiblir cet outil d'excellence que de nombreux pays, alliés, partenaires, compétiteurs ou rivaux, nous envient.
LES CONSTATS
- L'application de la réforme de l'encadrement supérieur de l'État au ministère des affaires étrangères fait l'unanimité contre elle.
- Elle obère les perspectives de carrière des personnels du MEAE qui le rejoignent par vocation.
- Elle fragilise l'appareil diplomatique français, et affaiblira le rayonnement de la France qui tient son rang de puissance du Conseil de sécurité des Nations unies de l'excellence de ses personnels diplomatiques plus que de ses performances économiques ou militaires.
- Le Quai a fait de l'ouverture, de la réforme et de la gestion de l'attrition des moyens une seconde nature, ce qui rend particulièrement incompréhensible cette nouvelle réforme.
- Suspendre l'application de la réforme de l'encadrement au Quai est donc nécessaire, pour prendre le temps d'ouvrir un dialogue approfondi avec les personnels du MEAE et les commissions compétentes du Parlement. La réforme ne pourra être appliquée sans nuire à l'appareil diplomatique français qu'à la condition de mettre en oeuvre les 8 recommandations suivantes.
LES PROPOSITIONS
- Garantir la sanctuarisation de l'appartenance des SAE accédant au rang d'encadrement supérieur de l'État au Quai d'Orsay.
- S'assurer que la commission d'aptitude en cas de primo-nomination d'un chef de mission diplomatique soit toujours composée pour moitié des personnels issus des rangs du MEAE, ou ayant exercé les fonctions de chef de mission diplomatique pendant au moins 5 ans.
- Poser comme condition pour devenir chef de mission diplomatique d'avoir exercé pendant au moins trois ans des fonctions de n°2 de mission diplomatique. Une exception pour 20 % des postes d'ambassadeurs pourrait être prévue.
- Exclure la nomination de chef de mission diplomatique n'ayant pas exercé pendant au moins cinq ans des fonctions de n°2 de mission diplomatique dans les 25 postes de présence diplomatique.
- Étendre le dispositif de consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes, prévu par l'article 13 de la constitution, aux nominations des grands ambassadeurs (G20 et organisations internationales).
- Suivre, chaque année, la carrière des personnels versés dans le corps unifié des conseillers des affaires étrangères et des ministres mis en extinction.
- Réserver les trois quarts des postes d'encadrement à pourvoir la première année de mise en extinction du corps aux personnels ayant rejoint le corps mis en extinction.
- Étendre sur trois ans la durée du droit d'option.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 13 juillet 2022, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de MM. Jean-Pierre Grand et André Vallini.
M. Christian Cambon, président . - Nous allons tout d'abord procéder à l'examen du rapport sur la réforme du corps diplomatique - un sujet éminemment important.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur . - Les diplomates ont cru un temps être épargnés par la réforme de l'encadrement supérieur de l'État. Il n'en a rien été, et vous connaissez l'émoi général dont nous avons tous reçu écho lors de nos rencontres avec eux. Le décret précisant les modalités d'application de la réforme aux corps diplomatiques, paru le 16 avril dernier, a suscité des tribunes inquiètes des personnels regroupés en collectifs, des prises de positions politiques au coeur de la campagne électorale présidentielle et la première grève des personnels du Quai d'Orsay depuis plusieurs décennies, massivement suivie, le 2 juin dernier.
Dans ce contexte, nous avons voulu analyser objectivement la réforme appliquée aux métiers diplomatiques, évaluer son impact sur les personnels et sur le rayonnement de la France. Sans surprise, nous avons constaté que cette réforme fait l'unanimité contre elle, et ce ne sont pas les anciens hauts responsables politiques entendus qui nous démentiront.
La réforme prévoit la fusion des corps de la catégorie A+, indépendamment de leur ministère de rattachement, au sein d'un seul corps interministériel : celui des administrateurs de l'État. Tous les fonctionnaires appartenant à ce nouveau corps unique auront donc vocation à servir au sein d'une succession de ministères, selon un parcours plus fluide qu'auparavant, que chaque agent devra construire en se portant candidat aux offres de postes à pourvoir, quand il le souhaitera. Outre les postes d'ambassadeurs, les postes de directeurs, chefs de service, sous-directeurs et consuls généraux ne sont plus l'apanage des personnels du Quai d'Orsay ! Tous les postes de niveau ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères, c'est-à-dire les postes d'ambassadeurs, directeurs, chefs de service, sous-directeurs et consuls généraux, entrent dans le champ de la réforme, et ont désormais vocation à être pourvus par des administrateurs de l'État.
Cette réforme essentielle pour la diplomatie de la France a été décidée sans que le Parlement n'ait été invité à se prononcer. Elle a été menée par ordonnance du 2 juin 2021. Le projet de loi de ratification a bien été déposé à l'Assemblée nationale dans le délai imparti, mais n'a pas été inscrit à l'ordre du jour. Le 30 septembre 2021, le Sénat a exprimé ses profondes réserves à l'égard de la réforme de la haute fonction publique telle que menée par le Gouvernement, en rejetant une proposition de loi visant la ratification de l'ordonnance.
Le choix du Gouvernement de ne pas affronter le débat sur ce sujet ne rend la réforme ni plus compréhensible ni plus acceptable pour les personnels du Quai d'Orsay, qui ont démontré une capacité d'adaptation à l'épreuve des réformes successives : l'absorption de la coopération en 1998, de la diplomatie économique en 2012, mais aussi la création de 25 postes de présence diplomatique (PPD) à partir de 2015.
Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) s'est emparé des enjeux portés par la réforme : diversification des profils de recrutement avec ses académies de la diplomatie ; coopération interministérielle à partir de 2018, avec le programme de transformation Action publique 2022 (AP2022) qui réorganisait les personnels et les missions de l'État à l'étranger ; réduction des effectifs, avec une diminution de 50 % des effectifs en 30 ans et une réduction quatre fois plus importante que les effectifs de la fonction publique d'État au cours des quinze dernières années ; décloisonnement puisque le Quai d'Orsay est l'une des administrations les plus ouvertes et diversifiées, avec 52 % d'agents contractuels et 20 % de l'encadrement non issu du corps diplomatique.
Enfin, la rémunération des agents du Quai d'Orsay est moins favorable que celle de l'ensemble de la fonction publique et s'érode. Entre 2010 et 2021, les dépenses de personnel ont progressé de 16 % pour les personnels de l'État, contre moins de 12 % pour ceux du ministère. Enfin, l'écart entre la rémunération médiane au sein du ministère et celle du ministère le plus favorisé est de 19 % pour les chefs de service et 33 % pour les experts de haut niveau.
M. André Vallini, rapporteur . - Nous avons effectivement constaté que seules les administrations en charge de la conduite de la réforme lui étaient favorables, et ce malgré les aménagements obtenus par le MEAE.
Une partie de l'incompréhension, rappelons-le, tient à la quasi-concomitance de la réforme avec la mission de réflexion et de proposition sur l'organisation des carrières diplomatiques de Jérôme Bonnafont. Insistant sur la spécificité du métier de diplomate, celle-ci a abouti au premier semestre 2021, ce qui a renforcé l'impression des personnels qu'une voie tangente à la réforme générale était possible.
Cet espoir déçu, le précédent ministre, M. Le Drian, a néanmoins obtenu des aménagements notables à la réforme. Le concours d'Orient restera une voie d'accès directe et spécifique au Quai d'Orsay, ce dont nous nous sommes assurés dans le cadre de nos auditions. La revalorisation des parcours des secrétaires des affaires étrangères (SAE) est engagée. Un droit d'option pour les conseillers des affaires étrangères et les ministres plénipotentiaires est affirmé. Il leur permet de ne pas être versés dans le corps des administrateurs d'État. Des restrictions d'accès des conseillers des affaires étrangères à un poste d'ambassadeur ont également été levées. Enfin, la rémunération indemnitaire du MEAE a été alignée, au 1 er janvier 2022, sur la fourchette haute des pratiques antérieures des ministères.
Dans ces conditions, pourquoi de tels mécontentements et pourquoi la grève ? Force est de constater que cette gestion moderne et entrepreneuriale de l'État ne parvient pas à convaincre. Mais est-ce si étonnant ? Quel PDG nommerait son directeur des affaires financières au marketing, sa directrice de la logistique à la communication ? Qui peut envisager de faire d'un ambassadeur un directeur d'administration pénitentiaire, d'un consul général un inspecteur des impôts ; d'un directeur de maison de santé un ambassadeur dans un pays riche en matières premières stratégiques ?
Les aménagements de la réforme ne sont pas à la hauteur des attentes de la diplomatie française. Celle-ci s'est adaptée à la pandémie mondiale en temps réel, ramenant 370 000 compatriotes bloqués à l'étranger. Le Quai d'Orsay a organisé la périlleuse évacuation de 2 805 personnes d'Afghanistan en août 2021. Il négocie, en pleine présidence française de l'Union européenne, la stratégie indopacifique de l'Union européenne et oeuvre en même temps au rétablissement du joint comprehensive plan of action (JCPOA). Il fait face au quotidien aux défis et aux dangers d'un monde de plus en plus instable et caractérisé par des crises protéiformes : guerre en Ukraine, coup d'État en Birmanie, menaces de mort au Pakistan, etc.
Jean-Pierre Grand et moi-même - au nom de nous tous et toutes, je pense - voulons réaffirmer ce matin notre haute estime envers tous les personnels du ministère.
Face à ces vocations se déployant dans des conditions extrêmement difficiles, l'inclusion des personnels diplomatiques dans la grande fusion interministérielle des corps de l'État est une très mauvaise nouvelle. Se formant de poste en poste au prix de sacrifices personnels importants, les agents du corps diplomatique voient leur système de rotation entre les postes en France et à l'étranger perturbé par la concurrence des candidatures de tous les administrateurs d'État. Là où il pouvait y avoir 10 à 15 candidats du MEAE pour un poste jusqu'à présent, il pourra désormais y en avoir 80 en provenance de tous les ministères. Certains diplomates ont ainsi le sentiment que l'institution a rompu le contrat qu'ils avaient conclu ensemble lors de leur réussite au concours d'entrée.
Les agents du Quai d'Orsay ressentent cette concurrence accrue comme illégitime pour les trois raisons suivantes : il est très difficile d'entrer dans un corps du MEAE, toutes catégories confondues ; à catégorie similaire, les responsabilités qui sont confiées aux diplomates sont particulièrement lourdes ; alors que les personnels du MEAE acceptent des postes dans des pays difficiles ou en guerre, espérant ensuite alterner avec des affectations dans des pays moins austères, la concurrence interministérielle les privera de cette possibilité, au profit d'administrateurs de l'État non aguerris à l'expatriation.
Sommes-nous certains, dans ces conditions, de pouvoir compter sur des personnels du même excellent niveau pour embrasser des carrières rendues incertaines par cette concurrence interministérielle ? Sans diplomates professionnels, quel est l'avenir de l'appareil diplomatique français ?
Le risque est avéré de passer d'une diplomatie professionnelle à une diplomatie au service de la carrière de certains administrateurs de l'État.
La qualité professionnelle et l'investissement personnel des agents de toutes les catégories garantissent la performance de l'appareil diplomatique. Sans ces personnels, avec des administrateurs de l'État de passage dans les métiers diplomatiques, c'en sera fini !
Sélectionnés actuellement sur des critères exigeants, les diplomates français ont des compétences solides en droit international et en histoire des relations internationales. La sédimentation des expériences leur permet de se forger une culture et un ensemble de compétences qui les rendent performants. Pour résumer, contrairement aux autres fonctionnaires, un diplomate administre peu et ne régule pas : il n'écrit pas de décret, ni d'arrêté, ni de règle. Il gère l'urgence, la crise, négocie avec des pays étrangers. Enfin, il représente et incarne la France à l'étranger.
Avec une seule expatriation, dans un parcours construit en France, le risque de connaître un échec élevé est avéré, avec la difficulté pour la direction des ressources humaines du MEAE, si elle garde bien la main sur ces sujets, d'identifier dans l'urgence des relèves pour les agents qui décrocheront.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur . - Nous vous proposons, puisque le Parlement n'a pas le pouvoir de modifier le décret du 16 avril 2022, de l'aménager.
Il nous faut garantir la carrière des secrétaires des affaires étrangères. Ils entrent au MEAE par le concours dédié et y font une carrière remarquable. Nombre d'entre eux, d'un niveau excellent, passaient avec succès le concours de conseillers des affaires étrangères, rejoignaient ensuite le corps des cadres A+, concerné par la réforme de l'encadrement supérieur, et poursuivaient leur carrière au MEAE. Il est indispensable que cette possibilité continue de leur être offerte pour leur garantir un parcours professionnel cohérent avec leur vocation et leurs souhaits, mais aussi pour que le MEAE ne perde pas à l'avenir les meilleurs et plus motivés de ses agents.
Notre première recommandation prévoit que les SAE accédant au rang d'encadrement supérieur de l'État puissent sanctuariser leur appartenance au MEAE, en étant assimilés, pour la gestion de leur carrière de cadre supérieur, aux personnels recrutés par la voie d'Orient qui sont assurés de pouvoir faire carrière au sein du MEAE, sous réserve d'une mobilité de quelques années au sein des autres ministères.
La deuxième recommandation concerne la modification de la commission d'aptitude chargée de se prononcer en cas de primo-nomination d'un chef de mission diplomatique pour s'assurer que la moitié au moins des personnes la composant est issue des rangs du MEAE, ou a exercé les fonctions de chef de mission diplomatique pendant au moins cinq ans.
La troisième recommandation vise le renforcement de l'expérience des chefs de mission diplomatique. Ne devraient être nommées que des personnes ayant exercé pendant au moins trois ans des fonctions de numéro deux de mission diplomatique. Une exception pour 20 % des postes d'ambassadeurs pourrait être prévue.
La quatrième recommandation est d'exclure dans les 25 PPD la nomination de chef de mission diplomatique n'ayant pas exercé, pendant au moins cinq ans, des fonctions de numéro deux de mission diplomatique.
Enfin, sur l'initiative de notre président de commission, notre cinquième recommandation est d'étendre le dispositif prévu par l'article 13 de la constitution prévoyant la consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes avant l'exercice du pouvoir de nomination du Président de la République pour les grands ambassadeurs en Europe, à Pékin, Washington ou au Conseil de sécurité des Nations unies, par exemple. Notre commission se prononce, au titre de cette procédure, sur la nomination du directeur de l'Agence française de développement ; elle serait légitime à le faire aussi pour les grands ambassadeurs.
M. André Vallini, rapporteur . - Enfin, notre dernier train de trois recommandations porte sur le droit d'option. Nous souhaitons que l'appareil diplomatique ne soit pas privé des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires ayant choisi le corps unifié mis en extinction. Il conviendra pour cela, et c'est notre sixième recommandation, d'examiner chaque année, dans le cadre du débat budgétaire, la carrière de ces personnels versés dans le corps unifié mis en extinction.
Notre septième recommandation est de faire en sorte que ce corps ne soit pas considéré comme un « mouroir », et qu'il bénéficie de quotas pour les postes d'encadrement du MEAE, se réduisant au fur et à mesure de son extinction.
Notre huitième et dernière recommandation est d'étendre sur trois ans la durée du droit d'option pour laisser aux personnels concernés le temps d'apprécier les modalités de mise en oeuvre de la réforme et les effets des assises de la diplomatie - ou leur équivalent - que la nouvelle ministre, Catherine Colonna, a prévu d'organiser à la suite de la grève du 2 juin 2022.
Cette réforme ne doit pas avoir d'effets irréversibles sur la qualité de notre outil diplomatique. En attendant une nouvelle réforme qui viendrait l'annuler, les recommandations formulées visent à définir les conditions d'existence d'un corps diplomatique ouvert et professionnel, compétent, efficace, il l'est déjà, et attractif.
Les personnels du MEAE doivent pouvoir continuer de rayonner, notamment au niveau européen, au sein de la diplomatie européenne qu'ils contribuent, par leur professionnalisme et leur expérience, à nourrir. Pour que la diplomatie européenne soit efficiente, elle devra s'appuyer sur des corps diplomatiques nationaux professionnels et efficaces. Réduire l'excellence et l'expérience professionnelle des diplomates français, alors que cette diplomatie européenne s'affirme dans la crise ukrainienne comme dans la définition d'une boussole stratégique et d'une stratégie indopacifique européenne, c'est prendre le risque de marginaliser les positions françaises en son sein.
Nous voulons répondre ici à la petite musique entendue chez certains de nos interlocuteurs, à savoir que l'avenir serait la diplomatie européenne... C'est un leurre : tant que l'Europe n'a pas de compétence diplomatique, la diplomatie européenne est faite par les diplomaties nationales, et la diplomatie française est la meilleure de toutes !
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur . - Le métier de diplomate est une vocation. Il s'apprend de postes en postes, de rang hiérarchique en rang hiérarchique occupé, de crise en crise, de négociations internationales en négociations internationales, par sédimentation des expériences.
Être chef de mission diplomatique s'apprend et se transmet. Personne ne peut sous-estimer l'importance de la mémoire du Quai d'Orsay et de ses personnels dans la gestion des nouvelles crises qui secouent sans cesse le monde en ce début de siècle. Nous le disons avec force, dans ce contexte mouvant, aucun ambassadeur n'est à l'abri d'une crise soudaine, qu'il devra gérer seul, parfois à des milliers de kilomètres de la France. Il nous faut des personnes solides et expérimentées !
M. Christian Cambon, président . - Cette affaire est selon moi d'une extrême gravité. J'observe d'ailleurs que Mme Amélie de Montchalin, qui a porté cette réforme, n'a pas été réélue. Il se dit qu'elle serait peut-être la première bénéficiaire, puisque des bruits insistants courent sur sa nomination comme ambassadeur dans un très grand pays européen, alors qu'elle n'a jamais servi en poste diplomatique...
Je me suis pour ma part joint à la manifestation des diplomates devant le Quai d'Orsay et j'estime que notre commission, qui apparaît dans le monde diplomatique comme le principal défenseur du corps, doit très fortement marquer sa position.
Les rapporteurs ont réalisé un excellent travail ; ils ont reçu les plus hautes personnalités, et les avis sont unanimes contre cette réforme.
Nous avons tous pu mesurer le niveau de compétences de nos diplomates. Ces postes ne peuvent pas être attribués à n'importe qui, ils exigent énormément de connaissances. Il s'agit d'un métier très spécifique, dans lequel on ne s'engage pas le nez au vent.
M. Le Drian lui-même était hostile à cette réforme faussement moderne : s'il y avait une diplomatie européenne efficace, on le saurait depuis longtemps.
J'invite nos collègues de la majorité présidentielle à peser de tout leur poids pour revenir sur cette réforme, reposant sur une perception complètement fausse du métier de diplomate.
Au début de la crise du covid, 370 000 Français ont été rapatriés : c'est l'un des nombreux tours de force de notre corps diplomatique. L'ambassadeur de France au Pérou a même réussi, pour la première fois dans l'histoire de ce pays, à faire atterrir un avion civil sur une base militaire.
De plus, l'exécutif doit pouvoir s'appuyer sur le vaste travail d'analyse mené dans l'ombre par nos diplomates. À cet égard, la négation des compétences spécifiques du corps diplomatique est proprement calamiteuse. Elle aura des conséquences sur les carrières, en désespérant les uns et en donnant de fausses espérances à d'autres. Ce métier est d'une richesse et d'une complexité telles qu'il exige des compétences particulières. Ainsi, dans toutes les résolutions de l'Organisation des Nations unies (ONU), l'on retrouve la patte française : nos diplomates doivent peser chaque mot, dans plusieurs langues, et défendre leurs différents dossiers nonobstant les baisses de moyens.
Si cette réforme aboutit, notre diplomatie se trouvera déclassée, et notre pays avec elle. Loin de fermer des ambassades, l'Allemagne en crée de nouvelles et renforce ses équipes. De même, la Turquie, la Chine et la Grande-Bretagne réinvestissent fortement dans leur diplomatie, et pour cause, nous avons plus que jamais besoin des diplomates, notamment en Afrique. Or les entretiens que j'ai menés m'ont permis de constater une profonde démobilisation dans leurs rangs.
Nous ne pouvons pas nous associer à cette réforme. Il faut le dire, non avec violence, mais avec clarté, d'autant que notre commission semble la seule à pouvoir s'exprimer ainsi.
Peut-être le Président de la République va-t-il se lancer à la recherche d'un compromis. Dans cette perspective, je propose qu'un certain nombre de nominations soient soumises à l'avis consultatif des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est une disposition inspirée des États-Unis : l'ambassadeur des États-Unis en France reçoit systématiquement l'aval du Congrès. Seraient concernés les ambassadeurs des pays du G20 - à tout le moins ceux des pays du G7 - et ceux des organisations internationales, où les nominations de complaisance sont les plus fréquentes, tous gouvernements confondus. Les commissions parlementaires devraient a minima auditionner les candidats aux postes d'ambassadeur qui ne sont pas issus de la carrière.
J'y insiste, à l'instar des rapporteurs, je n'ai pas vu l'ombre du début du quart d'une raison permettant de justifier une telle réforme. Vous le savez, le poids du Sénat s'est considérablement accru depuis les dernières élections législatives. Les équilibres politiques sont même appelés à s'inverser en commission mixte paritaire (CMP). Le rôle du Parlement sera, lorsque c'est nécessaire, de manifester son désaccord pour que les réformes soient revues.
M. Joël Guerriau . - Peut-on nous rappeler combien de membres compte le corps diplomatique et quel est le temps de formation nécessaire pour y entrer ? Si les évolutions envisagées entrent en vigueur, comment pourra-t-on garantir la bonne formation des nouveaux entrants ? Enfin, dispose-t-on de travaux de benchmarking sur ce sujet, en particulier à l'échelle européenne ?
Mme Michelle Gréaume . - Cette réforme menace toute l'architecture de la diplomatie française et, avec elle, l'image de la France dans le monde. Elle nous expose au risque de nominations de complaisance et de recours aux cabinets privés. Certes, on peut réfléchir à une évolution du corps diplomatique, de ses missions, de ses moyens et des formations dispensées. Mais, en parallèle - les syndicats l'ont souligné -, il faut à tout prix préserver les assises de notre diplomatie.
M. Christian Cambon, président . - Au sein de la fonction publique d'État, le corps diplomatique est, de longue date, l'un des plus ouverts qui soient. En 1981, Bernard Vernier-Palliez est ainsi devenu ambassadeur de France aux États-Unis après avoir été président-directeur général de Renault, fonctions dans lesquelles il avait développé un sens aigu des relations internationales. Aujourd'hui, au sein de la diplomatie française, 20 % de l'encadrement est choisi hors du corps diplomatique. J'ajoute que ce dernier a particulièrement souffert : il a perdu quatre fois plus de postes que les autres corps au cours des dix dernières années.
M. François Patriat . - Je ne doute pas de l'excellence de notre diplomatie ; mais, à trop encenser, on oublie parfois de se poser les vraies questions. Lorsque, en 1982, François Mitterrand a nommé Gilles Martinet ambassadeur de France en Italie, le monde politique a crié au scandale au motif que l'intéressé n'était pas issu du corps diplomatique. Or il s'est révélé d'une compétence exceptionnelle. Il ne s'agissait en aucun cas d'un copinage.
Il est parfois nécessaire de dépasser les corporatismes et les logiques endogames. Le monde de la diplomatie doit évoluer. Il faut fluidifier les relations entre les différents corps, car les compétences économiques, géostratégiques et environnementales, ô combien nécessaires aujourd'hui, ne sont pas forcément celles que l'on enseigne à l'école de la diplomatie.
Il ne me semble pas judicieux de soumettre les nominations évoquées à l'avis des commissions parlementaires.
Enfin, je ne crois absolument pas que cette réforme ait coûté sa réélection à Mme de Montchalin, dont personne ne peut contester la compétence. En témoignent notamment les baromètres de l'action publique, consultables aujourd'hui auprès de chaque préfecture.
Gardons-nous de caricaturer cette réforme, animée d'un esprit d'ouverture. De même, on ne saurait affirmer sans excès que tous nos diplomates en poste sont excellents.
Soit nous nous abstiendrons, soit nous voterons contre l'adoption de ce rapport.
M. Christian Cambon, président . - Le dispositif actuel permet tout à fait de nommer des Gilles Martinet. Cette réforme déstabilise tout un corps sans aucun motif valable.
M. Pierre Laurent . - M. le président Cambon insiste avec raison sur l'importance de ce dossier et sur la gravité de la situation.
Tout d'abord, nous nous trouvons une fois de plus face à un problème de méthode. Alors qu'elle suscite un rejet massif, cette réforme a été adoptée par voie d'ordonnance. Dès lors, la première question est la suivante : quand le Parlement sera-t-il appelé à débattre du projet de loi de ratification, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale sans être inscrit à l'ordre du jour ? Le Sénat ne cesse de dénoncer la multiplication des ordonnances et la longueur excessive des procédures de ratification. L'enjeu est d'autant plus grand que, désormais, le débat parlementaire est susceptible de peser fortement sur l'avenir d'une telle réforme. Nos collègues députés et nous-mêmes devons rester mobiliser.
Ensuite, j'observe qu'au titre de la transformation de la fonction publique, Mme de Montchalin avait pour mission de détruire tous les grands corps. Nous assistons à une véritable mise en pièces de la haute fonction publique nationale. Désormais, elle devrait être à la discrétion du pouvoir présidentiel, alors que les ambassadeurs ne sauraient être de simples exécutants : leur professionnalisme, leur culture et leurs compétences propres ont vocation à façonner la décision politique. J'ajoute que leur respect de la représentation parlementaire, dans sa diversité, est absolument exemplaire. Nous avons tous l'occasion de le constater lors de nos déplacements.
Arrêtons ce dénigrement. Le constat global, c'est l'excellence de notre diplomatie et, plus largement, de notre haute fonction publique. Notre devoir est d'empêcher ce qui ressemble à s'y méprendre à un coup de force.
M. Christian Cambon, président . - Je rappelle à notre collègue François Patriat que la nomination du directeur général de l'Agence française de développement (AFD) est soumise à l'avis consultatif des deux commissions parlementaires. L'exécutif pourrait tout à fait s'appuyer sur l'avis éclairé des assemblées pour d'autres postes. Il ne s'agit bien sûr pas de contester des nominations qui vont de soi.
M. Gilbert Roger . - Qu'il s'agisse de la diplomatie ou du corps préfectoral, on constate clairement la volonté de déstabiliser notre haute fonction publique. Certaines nominations de personnes sans expérience dans leur domaine peuvent se révéler tout à fait folkloriques...
Parallèlement, en vertu des règles en vigueur, le Président de la République peut bel et bien nommer à la tête d'ambassades des personnes étrangères au corps diplomatique. Rappelons cette réalité, puis engageons les discussions avec le Gouvernement : nous disposerons, j'en suis sûr, de marges de manoeuvre.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur . - Dès lors que la réforme n'est pas acceptée, le bon sens serait que celui qui l'a imaginée la modifie au point de la dénaturer. On peut demander qu'il la retire, mais je n'y crois pas.
M. Christian Cambon, président . - Rappelons qu'elle a été imposée sans concertation avec le Parlement.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur . - Un ancien ministre des affaires étrangères disait lui-même qu'il faudrait abroger ce décret. Nous sommes pragmatiques, nous ne voulons pas attaquer l'exécutif de front, nous voulons que cela avance, nous allons devoir avancer avec diplomatie ! Nos positions apparaissent clairement dans le rapport.
M. Christian Cambon, président . - Peut-être devrions-nous demander que cette réforme soit revisitée en liaison avec les commissions des affaires étrangères du Parlement. Il serait utile que le Gouvernement entende notre appel.
M. Jean-Marc Todeschini . - Notre président est lui-même passionné par le sujet, au point qu'il faudrait lui retirer les piles ! Nous n'avons pas attendu ce rapport, nous avons fait une tribune. Cette réforme est avant tout idéologique, elle est issue directement du Président de la République. Il a nommé Amélie de Montchalin pour la mener à bien ; celle-ci est sans doute brillante, mais elle l'a été pour affaiblir le service public. En outre, le corps diplomatique n'est pas très visible pour nos compatriotes, c'est évident.
Le Président de la République a déjà fait une tentative de nommer des proches, il a été mis en échec par des votes au Quai d'Orsay. Il est pourtant possible aujourd'hui de nommer des diplomates non issus du corps, deux recteurs sont d'ailleurs ambassadeurs, en Autriche et en Hongrie. Mais aujourd'hui, nous assistons à la mise en oeuvre d'une idéologie systématique de destruction des corps de hauts fonctionnaires, comme s'ils étaient interchangeables, ce qui n'est pas le cas. Il s'agit de nommer n'importe qui.
Certes, des ambassadeurs ne sont sans doute pas à leur place, mais c'est aussi le cas de sénateurs, voire de présidents de commission !
En tout état de cause, nous avons affaire à un idéologue, et la lutte va être compliquée. En effet, il faut exiger que ce sujet vienne devant le Parlement.
Messieurs les rapporteurs, avez-vous rencontré la nouvelle ministre ?
M. André Vallini, rapporteur . - Non, nous le lui avons demandé, elle n'a pas répondu. Beaucoup de diplomates de haut niveau sont très opposés à la réforme, c'est le cas de M. Christian Masset, l'ancien secrétaire général du ministère des affaires étrangères, un des plus grands diplomates actuels. Il peut le dire parce qu'il est en fin de carrière.
M. Jean-Marc Todeschini . - Je forme le voeu que le Sénat - et pas seulement les groupes LR du Sénat et de l'Assemblée nationale, qui seront dominants dans les commissions mixtes paritaires - puisse débattre avec les ministres concernés, dans le cadre d'un véritable débat politique au moment où ces derniers viendront pour la première fois devant notre assemblée.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur . - Le Gouvernement a fait une ouverture large vers le Sénat. Ce décret pourrait faire l'objet d'un débat franc devant cette commission, cela pourrait faire avancer les choses. Ce serait dans la continuité de la déclaration du Premier ministre devant le Sénat.
M. Christian Cambon, président . - Je vous demande d'observer un embargo sur la teneur de ce rapport jusqu'à la conférence de presse prévue le 19 juillet.
M. Pierre Laurent . - Nous devons demander une remise à plat, puisqu'on ne peut pas parler d'abrogation, à l'occasion du dépôt de la loi de ratification. Nous ne pouvons pas nous placer tout de suite dans la phase d'après.
M. Christian Cambon, président . - Donnons mandat à nos rapporteurs pour choisir la meilleure formule en première recommandation.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Mardi 17 mai 2022
- Mme Emilie PIETTE , Déléguée interministérielle à l'encadrement supérieur de l'Etat.
- Mme Hélène DUCHÊNE, directrice générale de l'administration et de la modernisation, Mme Caroline FERRAI , secrétaire générale adjointe, Mme Agnès ROMATET-ESPAGNE , directrice des ressources humaines, M. Alexandre MOROIS , sous-directeur de la politique des ressources humaines, et Mme Virginie BIOTEAU , chargée de mission.
Mercredi 18 mai 2022
- Mme Nathalie COLIN , directrice générale de l'administration et de la fonction publique et M. Florian BLAZY , Directeur, adjoint à la directrice générale.
Mardi 31 mai 2022
Table ronde organisations syndicales :
- USASCC : M. Didier MARI , président
- Syndicat APMae : Mme Fabienne SOMMACAL , Administratrice déléguée aux affaires générales et M. Phi-Ho NGUYEN , Administrateur délégué aux affaires juridiques et contentieux
- ASAM-UNSA-MEAE : M. Franck VERMEULEN , Secrétaire général
- ASAO : Mmes Laurence AUER Secrétaire générale et Dana PURCARESCU , secrétaire générale adjointe
- CGT/MAE : M. Alain MAESTRONI , Secrétaire général.
- CFDT : M. Fabrice DESPLECHIN , représentant
- Solidaires affaires étrangères : Mmes Florence TREILHAUD et Annick BOUJOT, secrétaires générales
- FSU MAE : MM. Fouad BOUOUDEN , Secrétaire général et Yannick RIO, permanent syndical
- CFTC : MM. Antoine STARCKY , diplomate en poste en ambassade, animateur du groupe de travail sur les réformes et élu au conseil de la CFTC Affaires étrangères et Benjamin WEISZ , expert du groupe de travail réformes CFTC Affaires étrangères
- ADIENA : M. Francis ETIENNE , premier vice-président, chargé des relations extérieures
Vendredi 24 juin 2022
- Mme Maryvonne Le BRIGNONEN , directeur de l'INSP
Les rapporteurs ont consulté et entendu plusieurs hauts responsables politiques dans le cadre de la préparation de leur rapport.
ANNEXE -
DÉCRET NO
2022-561 DU 16 AVRIL 2022
Le décret est accessible dans la version pdf.
* 1 Voir la question d'actualité n° 2216G posée le 5 janvier 2022 par Catherine Dumas sur la réforme des corps diplomatiques et la Réponse de Jean-Yves Le Drian, Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, publiée dans le JO Sénat du 06/01/2022.
* 2 « Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres. Il nomme aux emplois civils et militaires de l'État. Les (...) ambassadeurs et envoyés extraordinaires (...) sont nommés en Conseil des ministres. (...) ».
* 3 Le Président de la République est libre de nommer la personne de son choix dès lors qu'elle n'est pas membre d'un des corps du MEAE. Il en va ainsi des fonctionnaires et des non-fonctionnaires. En revanche, des contraintes statutaires étaient imposées pour les membres des corps diplomatiques (être ministre plénipotentiaire ou avoir atteint un certain grade du corps des conseillers des affaires étrangères). Il était ainsi impossible de nommer un secrétaire des affaires étrangères, même expérimenté, dans les fonctions d'ambassadeur.
* 4 Décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l'État.
* 5 Qui réunissait en téléconférence le Premier ministre en poste, Jean Castex, la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques en poste, Amélie de Montchalin, et les principaux cadres dirigeants de l'État.
* 6 La diplomatie économique consiste à mettre le réseau diplomatique au service de deux objectifs : favoriser le développement des entreprises françaises à l'international et promouvoir l'attractivité du territoire national pour les investisseurs et pour les touristes étrangers.
* 7 Cette direction a 3 missions principales : la diplomatie économique, relevant du ministère de l'Europe et des affaires étrangères depuis 2012, le développement et les biens publics mondiaux et la diplomatie d'influence. Elle anime le réseau de coopération et d'action culturelle de la France à l'étranger, valorise l'expertise française et assure la tutelle ainsi que le pilotage stratégique des opérateurs de l'action extérieure de la France pour le compte du ministère. Sur ce point, la tâche qui lui incombe face à l'Agence française de développement (AFD) devrait être facilitée par la mise en oeuvre de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, comme le recommande la CAED. Enfin, elle soutient l'action extérieure des collectivités territoriales et assure la concertation avec les organisations non gouvernementales engagées à l'international.
* 8 Ces PPD ont été déployés, selon les modalités prévues par la circulaire ministérielle en date du 17 juillet 2015, en deux vagues : la première a concerné les postes suivants : Brunei, Cap-Vert, Érythrée, Guinée-Bissau, Honduras, Jamaïque, Kirghizstan, Libéria, Népal, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Tadjikistan, Trinité et Tobago, Zambie, la seconde : Botswana, Fidji, Moldavie, Monténégro, Namibie, Nicaragua, Paraguay, Salvador, Seychelles, Soudan du sud, Suriname, Turkménistan.
* 9 Soit 2/3 d'étudiants et 1/3 de lycéens, et notamment 7 lycéens de l'étranger (réseau de l'AEFE).
* 10 Voir l'avis n° 149 (2018-2019) du 22 novembre 2018, Tome I - par MM. Ladislas Poniatowski et Bernard Cazeau sur la mission « Action extérieure de l'État », programme « Action de la France en Europe et dans le monde » (Projet de loi de finances pour 2019), et l'avis n° 142 (2019-2020) du 21 novembre 2019, Tome I - par MM. Ladislas Poniatowski et Bernard Cazeau sur la mission « Action extérieure de l'État », programme « Action de la France en Europe et dans le monde » (Projet de loi de finances pour 2020).
* 11 « Que sera une diplomatie sans diplomates, dans un monde de plus en plus imprévisible et complexe ? », Tribune de Suzanne Borel, signature collective de plus de 150 jeunes diplomates. publiée sur le site du Monde à l'adresse suivante :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/08/que-sera-une-diplomatie-sans-diplomates-dans-un-monde-de-plus-en-plus-imprevisible-et-complexe_6101365_3232.html
* 12 « Qui voudrait d'un consul ou d'un ambassadeur étiqueté politiquement ? », Tribune du Groupe Théophile Delcassé, signature collective regroupant une cinquantaine de diplomates et de fonctionnaires du ministère des affaires étrangères de divers niveaux, publiée, le 24 mai 2021, sur le site du Monde à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/24/qui-voudrait-d-un-consul-ou-d-un-ambassadeur-etiquete-politiquement_6081292_3232.html
* 13 Décret n° 2022-561 du 16 avril 2022 portant application au ministère de l'Europe et des affaires étrangères de la réforme de la haute fonction publique et modifiant le décret n° 69-222 du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires
* 14 « Pour avoir une idée des qualités par lesquelles se reconnaît un ministre plénipotentiaire de haut vol, il suffit de jeter un oeil au portrait qu'en dresse La Bruyère dans ses Caractères. En substance, c'est une sorte de miracle de profondeur et de paraître, de clarté et d'énigme, de lignes faussement droites et de détours impassibles. Il montre juste ce qu'il faut et cache ses cartes maîtresses. C'est une expérience longue à acquérir, un savoir qui s'apprend moins qu'il ne s'élabore. C'est plus qu'une fonction, c'est une vocation. » Extrait de la tribune de Jean-Michel Delacomptée: «La diplomatie, un art qui ne s'improvise pas», publiée le 23 mai 2022, sur le site du Figaro, à l'adresse suivante : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/jean-michel-delacomptee-la-diplomatie-un-art-qui-ne-s-improvise-pas-20220523.
* 15 Depuis 2017, la Chine est passée devant la France au classement des États du monde par indice de diplomatie, disposant dès lors de plus d'ambassades et consulats que notre pays.
* 16 En mai 2021, Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publique, a annoncé que le chef de l'État avait changé en quatre ans 87 % de ses directeurs d'administration . Elle réfutait cependant l'idée de « spoil system », déliant ces nominations de l'orientation politique des fonctionnaires.
* 17 Voir l'article « L'« État profond », ou le fantasme d'une administration parallèle » de Marc Semo, publié sur le site du Monde, le 11 septembre 2019, à l'adresse suivante https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/11/l-etat-profond-ou-le-fantasme-d-une-administration-parallele_5508858_3232.html#:~:text=L%E2%80%99%C2%AB%20Etat%20profond%20%C2%BB%2C%20ou%20le%20fantasme%20d%E2%80%99une,utilis%C3%A9%20par%20les%20milieux%20complotistes.%20Histoire%20d%E2%80%99une%20notion.
* 18 Habituellement le nombre de postes ouverts chaque année est inférieur à 10.
* 19 Et dans celui des attachés de système d'information et de communication.
* 20 L'examen du principalat sera simplifié et aligné sur celui organisé par les autres ministères, afin de fluidifier la carrière des secrétaires.
* 21 Ce type de disposition existe par exemple pour les préfets. L'article 4 du décret n° 2022-491 du 6 avril 2022 relatif aux emplois de préfet et de sous-préfet, prévoit de fait que les deux tiers des personnes nommées préfet justifient d'au moins trois années en qualité de sous-préfet.