D. TARIR LE FINANCEMENT DU TERRORISME

La nécessité de créer de nouveaux outils de lutte contre le financement du terrorisme constitue l'une des thématiques mises au coeur des travaux du Conseil européen du 12 février 2015 262 ( * ) . Votre commission d'enquête s'inscrit dans le droit fil de cette préoccupation et juge indispensable de renforcer les outils de régulation et d'action dont dispose notre pays, mais également l'Union européenne puisque la lutte contre ce fléau ne saurait se limiter au seul cadre national.

1. Faire émerger une politique européenne de lutte contre le financement du terrorisme plus performante

L'Union européenne a indéniablement commencé à bâtir une politique de lutte contre le financement du terrorisme . Les États membres se sont ainsi dotés, dès 1991, d'un cadre juridique commun sur la lutte contre le blanchiment avec la directive 91/308. Celle-ci a fait l'objet d'une profonde révision en 2005 263 ( * ) , notamment pour élargir son objet à la lutte contre le financement du terrorisme. Cet instrument juridique fixe différents objectifs aux États membres, parmi lesquels l'instauration d'obligations de vigilance des acteurs du secteur financier à l'égard de la clientèle ou l'obligation de création d'une cellule nationale de renseignement financier, en particulier pour traiter les obligations déclaratives des établissements financiers. Cette directive a fait l'objet de modifications successives en 2007 264 ( * ) , 2008 265 ( * ) et 2009 266 ( * ) . Par ailleurs, ce socle juridique a été complété par un règlement de 2005 relatif au contrôle de l'argent liquide 267 ( * ) , qui fixe à 10 000 euros le seuil à partir duquel une déclaration douanière est obligatoire pour la sortie et l'entrée d'argent liquide sur le territoire de l'Union européenne. Cette obligation n'empêche pas les États membres de prévoir des contrôles similaires pour les mouvements d'argent liquide au sein de l'Union européenne, pour autant qu'ils soient compatibles avec l'article 65 du TFUE 268 ( * ) . Enfin, un règlement sur les virements de fonds 269 ( * ) a été adopté en 2006 afin de faire reposer sur les prestataires de services financiers des obligations de vérification de l'identité du donneur d'ordre d'un virement de fonds à partir d'un certain seuil 270 ( * ) .

Par ailleurs, la Commission européenne a adopté le 5 février 2013 une proposition de directive relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, ainsi qu'une proposition de règlement sur les informations accompagnant les virements de fonds visant à garantir la traçabilité de ces virements, ces deux instruments ayant vocation à remplacer la directive 2005/60 et le règlement n° 1781/2006 afin de répondre, après un processus d'évaluation de ces instruments juridiques et conformément à de nouvelles recommandations du GAFI, à l'évolution de la situation internationale dans le domaine du blanchiment et du financement du terrorisme.

Votre commission d'enquête salue ces efforts et le développement de ces instruments juridiques à l'échelle de l'UE qui sont de nature à créer un socle de règles partagées entre les États. Elle regrette cependant que l'Union européenne, et plus particulièrement la Commission européenne, n'ait pas pris la décision de se doter d'un véritable programme de lutte contre le financement du terrorisme équivalent à celui développé par les États-Unis depuis 2001 .

En effet, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, le département du Trésor des États-Unis a construit un programme spécifique de lutte contre le financement du terrorisme, le TFTP 271 ( * ) , dans le but d'identifier, de suivre la trace et de poursuivre en justice les terroristes et leurs réseaux en s'appuyant sur leurs circuits financiers. La politique menée par le Trésor a très largement pour objet le recueil, à titre préventif et répressif, des données provenant des messages financiers de la société SWIFT. Ces informations sont ensuite partagées avec la communauté du renseignement américaine et les services chargés de réprimer les actes terroristes .

Présentation de la société SWIFT

SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) est une société de droit belge, qui traite les flux financiers (ce qui inclut les transactions bancaires internes), environ 20 millions de transactions par jour, de plus de 10 800 établissements financiers et entreprises répartis dans plus de 200 pays. SWIFT met à disposition de ses clients une plateforme, des produits et des services de communication internes leur permettant de se mettre en relation et d'échanger, de manière fiable et sécurisée, des informations financières. Les services proposés par cette société, qui occupe une position quasi-monopolistique sur ce secteur (traitant entre 80 et 90 % des messages financiers dans le monde), permettent à ses clients d'automatiser et de standardiser les transactions financières.

Alors que l'accès aux « données SWIFT » s'était opérée dans un premier temps hors de tout cadre juridique formalisée entre l'Union européenne et les États-Unis 272 ( * ) , la réorganisation du système informatique de SWIFT opérée entre 2007 et 2009 273 ( * ) a obligé les États-Unis à négocier avec l'Union européenne les conditions d'un accès régulé pour des motifs strictement liés à sa politique de prévention et de lutte contre le terrorisme.

Après le rejet d'une première version de l'accord par le Parlement européen le 11 février 2010, en raison de l'insuffisance des garanties apportées en matière de protection des données personnelles, une seconde version de l'accord, plus protectrice en la matière, a été négociée entre les deux parties au cours de l'année 2010. Signé par le Conseil de l'Union le 28 juin 2010 et ratifié par le Parlement le 8 juillet, l'accord 274 ( * ) est entré en vigueur le 1 er août 2010 pour une durée de cinq ans, automatiquement renouvelable pour de nouvelles périodes d'un an sauf opposition de l'une des parties.

Le fonctionnement du transfert des données SWIFT

L'accord organise, dans le respect de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel, le transfert des données de messagerie financière faisant référence à des transferts financiers et les données connexes qui sont stockées par SWIFT sur le territoire de l'Union européenne. En vertu de cet accord (article 4), le Trésor américain adresse à SWIFT une demande ciblée qui identifie les données nécessaires à la poursuite de sa politique en matière de lutte antiterroriste et explique en quoi leur mise à disposition est nécessaire. Une copie de cette demande est adressée à Europol qui a pour mission de veiller, en urgence, si cette dernière respecte les conditions prévues par l'accord. Après validation de la demande par Europol, celle-ci devient juridiquement contraignante et SWIFT a l'obligation de fournir les données, sur le fondement d'un système d'exportation, directement au Trésor américain.

Le Trésor a pour sa part obligation (article 9) de mettre, le plus rapidement possible, à la disposition des services chargés de la prévention et de la répression du terrorisme des États membres, ainsi que d'Europol et d'Eurojust le cas échéant, toute information obtenue dans le cadre du TFTP qui pourrait contribuer à la prévention et à la détection par l'Union européenne du terrorisme ou de son financement ainsi qu'à ses enquêtes ou poursuites en la matière.

Enfin, l'article 10 de l'accord permet aux services antiterroristes des États membres, ainsi qu'à Europol et Eurojust, de demander au Trésor américain d'effectuer une recherche dans les données SWIFT dans le cas où il y aurait lieu de penser qu'une personne ou une entité a un lien avec le terrorisme ou son financement.

L'analyse des éléments d'information sur le TFTP mis à disposition par le Trésor américain et par la Commission européenne, notamment à l'occasion des quatre évaluations de l'accord effectuées conjointement par les deux parties 275 ( * ) , ne laisse planer aucun doute quant à l'utilisation intensive 276 ( * ) et à l'efficacité du TFTP dans le domaine de la lutte antiterroriste et de son financement. Il n'est à cet égard pas douteux que cet outil a été largement mobilisé, avec succès, par les États-Unis dans leur lutte contre les financeurs privés des différentes organisations liées à Al-Qaeda, ce qui a permis d'assécher leurs ressources financières . Le TFTP permet d'obtenir des renseignements essentiels pour prévenir des attentats, enquêter sur les actes terroristes et reconstituer les circuits de financement des réseaux terroristes. Sur une période allant du 1 er octobre 2012 au 28 février 2014, en réponse à un total de 70 requêtes des États membres et d'Europol, le Trésor a fourni, grâce au TFTP, 3 929 pistes d'enquête. Les renseignements fournis spontanément par le Trésor sur le fondement de l'article 9 ont pour leur part atteint le chiffre de 1 492 pistes d'enquête sur la même période.

Le rapport d'évaluation conjoint du 11 août 2014 277 ( * ) met en avant le fait que de nombreux dossiers concernant des individus, dont certains de nationalité française, impliqués dans les filières syriennes ont été bâtis grâce à des informations obtenues par le TFTP. Pour sa part, le département du Trésor met en avant le fait que le TFTP a, depuis sa création, procuré des indices utilisés pour déjouer de nombreuses attaques terroristes, comme les menaces d'attentats lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012 ou pour enquêter sur des faits de terrorisme, à l'instar de l'attentat de Boston en 2013 278 ( * ) . Cette analyse a été confirmée par M. Adam J. Szubin, sous-secrétaire au Trésor par intérim pour le terrorisme et le renseignement financier, ce dernier indiquant à la délégation de votre commission d'enquête que le TFTP demeurait « plus utile que jamais » et qu'il avait permis de mettre à jour de nombreuses pistes d'enquête après les attentats de Paris de janvier 2015.

Tout en ayant pleinement à l'esprit la qualité de la coopération transatlantique dans le domaine de la lutte antiterroriste, qui se traduit par de nombreux échanges d'informations entre les services de renseignement américains et français, votre commission d'enquête s'interroge, à la lumière de l'expérience américaine, sur les raisons qui ont conduit la Commission européenne à rejeter la création d'un programme similaire en Europe 279 ( * ) qui permettrait aux États membres de disposer d'une autonomie dans ce domaine.

Suite aux révélations liées à « l'affaire Snowden » 280 ( * ) , la Commission européenne avait procédé à une étude en vue de la création d'un système européen de surveillance du financement du terrorisme. Une telle perspective était d'ailleurs explicitement prévue par l'article 11 de l'accord par lequel les États-Unis s'engagent à coopérer et offrir conseils et assistance afin de contribuer à la mise en place effective d'un tel système. Dans son étude, la Commission estime que l'intérêt de créer un système de ce type au sein de l'UE n'est pas clairement démontré et souligne les difficultés techniques et financières d'un tel projet, tenant au stockage des données, à l'accès à ces dernières et à leur protection. Considérant qu'un tel système à l'échelle de l'UE aurait un caractère intrusif sur le plan des données et nécessiterait par conséquent la mise en place de garanties solides en matière de protection des données, elle conclut qu'un tel système serait coûteux et difficile à créer et à entretenir d'un point de vue technique et opérationnel.

Votre commission d'enquête relève la contradiction profonde entre les analyses extrêmement élogieuses de la Commission européenne sur l'utilité du TFTP et son refus de doter l'UE d'un dispositif similaire . Indépendamment des liens de confiance tissés entre les pays européens et les États-Unis, votre commission d'enquête considère que le caractère sensible et régalien du renseignement financier justifie que les États membres, pour l'exercice de leur souveraineté , soient autonomes et ne dépendent pas d'un État tiers pour assurer leur sécurité, ce qui n'interdit pas des coopérations étroites avec des partenaires étrangers. Comme n'a pas manqué de le relever une personne entendue par votre commission d'enquête, il est « ubuesque » que des données générées et stockées dans l'Union européenne soient envoyées aux services américains, charge à eux d'attirer l'attention des services des États membres sur certains dossiers 281 ( * ) .

Par conséquent, dans le droit fil de la déclaration des membres du Conseil européen issue de la réunion du 12 février 2015, votre commission d'enquête se déclare favorable à la création d'un système européen de surveillance du financement du terrorisme fondé sur l'accès régulé aux données SWIFT et invite le Gouvernement français à oeuvrer dans cette direction.

Le fonctionnement de ce programme européen pourrait très largement s'inspirer du TFTP en donnant aux CRF des États membres la possibilité d'adresser des demandes à la société SWIFT dans le cadre des enquêtes qu'elles mènent sur la prévention du terrorisme ou la recherche d'auteurs d'actes terroristes qui deviendraient exécutoires après accord d'Europol.

Proposition n° 43 : Créer un programme européen de surveillance du financement du terrorisme fondé sur un accès régulé aux données SWIFT.

Votre commission d'enquête relève par ailleurs que le Conseil de l'Union européenne a adopté, en 2010, une décision 282 ( * ) relative aux modalités de coopération entre les cellules de renseignement financier (CRF) des États membres afin d'améliorer la qualité et la fluidité du partage d'informations sur les dossiers d'intérêt commun. À cet effet, un réseau informatique d'échange entre les CRF des États membres, dénommé FIU.NET, a été instauré par la Commission européenne en 2000 afin d'appuyer les efforts déployés par les membres de l'UE dans le domaine de la lutte contre le blanchiment et le terrorisme. Regroupant à l'origine les cellules de sept États, dont la France, ce réseau relie désormais les CRF de tous les États membres. Outre qu'il favorise les échanges cryptés et sécurisés entre CRF, ce réseau permet de procéder rapidement à un croisement de données contenues dans deux ou plusieurs bases afin de déterminer si un individu est connu dans d'autres pays. Cet instrument est, de l'avis de ses utilisateurs, très utile mais son effectivité dépend très largement des méthodes et pratiques employées par les différentes CRF de l'UE, dont il apparaît qu'elles sont encore très divergentes. Sur ce sujet, d'après les informations transmises par le Ministère de la justice, il apparaît que la coopération entre autorités douanières et financières européennes est largement perfectible, notamment avec l'Allemagne, pays dans lequel la CRF coopère difficilement avec TRACFIN, sans mandat d'un juge.

Votre commission d'enquête considère en conséquence souhaitable d'oeuvrer en faveur d'une plus grande harmonisation des statuts, en s'inspirant de l'exemple français, et des pratiques des CRF au niveau européen.

Proposition n° 44 : Uniformiser les statuts et les prérogatives des cellules de renseignement financier (CRF) européennes en s'inspirant de l'exemple français et permettre le partage d'informations entre ces dernières.

2. Accroître les moyens d'action de TRACFIN

Outre les problématiques liées à l'accès aux données SWIFT et au partage de renseignements entre CRF, votre commission d'enquête relève que l'expérience américaine fait ressortir le caractère stratégique du renseignement financier au sein de ses politiques de lutte antiterroriste . La structuration du sous-secrétariat du département du Trésor chargé du terrorisme et du renseignement financier, qui concentre toutes les aspects de cette politique (recueil, y compris de manière clandestine, de renseignements, analyse du renseignement, définition des normes, exécution des sanctions, etc.) et dispose par conséquent des moyens de définir une stratégie et de la mettre en oeuvre, s'avère particulièrement efficace et donne de véritables résultats. Cette dimension du renseignement irrigue l'ensemble des programmes et actions mis en oeuvre par les principales agences de la communauté du renseignement américaine, le département du Trésor ayant pour mission de partager les informations provenant des investigations menées par le TFTP. Votre commission d'enquête considère qu'il est essentiel de créer, en France et au sein de l'Union européenne, une véritable culture du renseignement financier irrigant les politiques de contre-terrorisme . TRACFIN devrait, pour ce qui concerne notre pays, en être la cheville ouvrière 283 ( * ) .

D'une part, comme l'a indiqué le Ministère de la justice à votre commission d'enquête, il apparaît nécessaire de mieux faire fonctionner l'échange d'informations entre les services de renseignements et TRACFIN, le réflexe de l'enquête financière étant loin d'être systématique dans les services de renseignement. De ce point de vue, une communication plus systématique à TRACFIN des cibles suivis par les services spécialisés, conformément à l'article L. 561-27 du code monétaire et financier, permettrait à la cellule de mettre en place une surveillance et d'exploiter les renseignements dans le cadre d'une enquête financière.

Proposition n° 45 : Développer une culture du renseignement financier au sein de la communauté française du renseignement et systématiser le transfert à TRACFIN des cibles suivies par les services opérationnels de renseignement, conformément à l'article L. 561-27 du code monétaire et financier.

D'autre part, il semble indispensable de renforcer, dans des proportions sensibles, les capacités d'analyse de cette entité qui a vu son activité doubler entre 2008 et 2013 et croître de 40 % depuis 2013. De ce point de vue, votre commission d'enquête juge insuffisant le nombre d'agents affectés à la cellule de lutte contre le financement du terrorisme alors même que le nombre d'enquête sur ce sujet a très fortement augmenté, et considère que les annonces faites par le Gouvernement le 21 janvier en la matière sont loin d'être suffisantes 284 ( * ) . Or, à nombre de personnel quasiment inchangé, TRACFIN ne saurait affecter des fonctionnaires supplémentaires à la réalisation de cet objectif qu'au détriment des autres priorités qui lui sont assignées (lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale).

Proposition n° 46 : Doubler les effectifs de TRACFIN affectés à la lutte contre le financement du terrorisme.

D'une manière plus générale, votre commission d'enquête considère que l'exemple américain et les résultats qu'il a permis d'atteindre dans le domaine du financement du terrorisme rendent opportune la conduite d'une réflexion sur la réorganisation des structures administrative françaises en charge de cette lutte. Une telle évolution pourrait avoir comme objectif de regrouper les structures oeuvrant dans ce domaine sous une autorité unique, à l'instar du sous-secrétariat du département du Trésor chargé du terrorisme et du renseignement financier, ce qui présenterait l'avantage de permettre un pilotage stratégique de cette fonction et de mener une politique, actuellement quasi-inexistante, plus volontariste de sanctions et de gel des avoirs liés au terrorisme.

Proposition n° 47 : Instaurer une unité de direction pour les structures administratives chargées du renseignement financier (TRACFIN) et de la mise en oeuvre des sanctions (services compétents de la direction du Trésor).

Enfin, votre commission considère qu'il est indispensable de donner à TRACFIN, pour la bonne conduite de ses investigations financières, la faculté de demander, hors de toute réquisition judiciaire, la transmission d'informations financières aux opérateurs de voyage ou de séjour ainsi qu'aux entreprises du secteur des transports, comme les compagnies aériennes, ferroviaires ou maritimes.

Proposition n° 48 : Donner à TRACFIN un pouvoir de réquisition d'informations auprès des opérateurs de voyage ou de séjour ainsi que des entreprises du secteur des transports.

3. Mieux réglementer les instruments de paiement et l'utilisation de l'argent liquide

Votre rapporteur souhaite tout d'abord saluer les annonces faites par le ministre des finances et des comptes publics le 18 mars 2015 visant à limiter les transactions en espèces et à accroître les contrôles afin de mieux lutter contre le financement du terrorisme 285 ( * ) .

Au-delà de ces mesures, votre rapporteur souhaite rappeler qu'en France, en application du règlement 1889/2005 relatif au contrôle de l'argent liquide, les sommes, titres ou valeurs d'un montant égal ou supérieur à 10 000 euros, ou son équivalent en devises, transportés par une personne physique, doivent être, en cas de franchissement des frontières de l'Union européenne, déclarés à l'administration des douanes. La France a par ailleurs, comme certains de ses partenaires européens, instauré la même obligation, s'appliquant à partir du même montant, pour les personnes physiques transférant des sommes, titres et valeurs vers un État membre de l'UE ou en provenance d'un État membre de l'UE 286 ( * ) . L'article 465 du code des douanes réprime les cas de non-déclaration ou de fausse déclaration par une amende égale au quart de la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction et la confiscation de la totalité des fonds par les douanes.

Dans son rapport d'évaluation concernant l'application du règlement 1889/2005 287 ( * ) , la Commission européenne estime globalement satisfaisante la mise en oeuvre des contrôles des mouvements d'argent liquide opérés par les États membres. Elle note que les États ont organisé leurs autorités compétentes pour faire respecter les obligations déclaratives, que ces déclarations sont traitées, que des contrôles sont effectués sur les passagers, leurs bagages et leurs moyens de transport et que des sanctions ont bien été introduites dans les législations nationales. Les statistiques recueillies par les États membres entre le 15 juin 2007 et le 30 juin 2009 font apparaître plus de 178 000 déclarations d'argent liquide représentant près de 80 milliards d'euros, la France totalisant 13 % de ces déclarations. La Commission européenne considère qu'il n'y a pas lieu de modifier de manière approfondie le règlement mais considère que plusieurs améliorations pourraient y être apportées, parmi lesquelles l'introduction d'un formulaire de déclaration commun à tous les États membres et l'introduction d'une obligation pesant sur les États de réaliser des actions de sensibilisation des voyageurs à l'existence de cette obligation.

Au cours des auditions, plusieurs personnes ont jugé souhaitable de ramener à 3 000 euros le seuil à partir duquel l'obligation déclarative devrait s'appliquer, au regard notamment des petites sommes utilisées pour le financement du djihad. Votre commission d'enquête n'a cependant pas souhaité reprendre à son compte cette proposition qui s'avèrerait source de formalités administratives supplémentaires. En revanche, elle juge utile la création d'un formulaire de déclaration unique au niveau européen, ainsi que le propose la Commission européenne, et l'uniformisation des contrôles qui pourrait se matérialiser par l'obligation pour les voyageurs de remplir systématiquement un formulaire, comme c'est le cas par exemple pour l'entrée sur le territoire américain. Une telle politique supposerait une mobilisation accrue des douaniers pour effectuer de tels contrôles.

Proposition n° 49 : Créer un formulaire de déclaration des espèces commun à tous les pays de l'Union européenne.

Proposition n° 50 : Uniformiser les modalités des contrôles des espèces en rendant obligatoire la remise d'un formulaire aux autorités douanières.

Votre commission d'enquête souhaite également faire part de sa préoccupation concernant les nouveaux instruments de paiement . Ainsi, la carte prépayée rechargeable 288 ( * ) peut constituer un vecteur très opérationnel de financement du terrorisme. Les Français impliqués dans les filières djihadistes peuvent acquérir de tels moyens de paiement, notamment chez les buralistes qui n'effectuent pas les contrôles d'identité avec la même rigueur que les établissements bancaires. En outre, les informations sur les transactions financières liées à ces cartes n'étant pas centralisées, il est beaucoup plus difficile de retracer les opérations financières effectuées au moyen de ces dernières. Enfin, ces instruments peuvent être utilisés dans des pays étrangers et leur transport présente des garanties de discrétion, contrairement à l'argent liquide.

Votre commission d'enquête préconise par conséquent de renforcer les obligations d'identité liées à la souscription et à l'achat de ces cartes, conformément aux mesures proposées par le gouvernement en la matière, et au-delà de ces annonces, de diminuer significativement le montant des sommes pouvant y être stocké 289 ( * ) .

Votre commission d'enquête rappelle qu'une telle proposition, pour être pleinement efficace, nécessite la modification des règles juridiques européennes applicables en ce domaine. À cet égard, la quatrième directive anti-blanchiment abaissera les seuils de prise d'identité lors de l'acquisition de cartes pré-payées, les autorités françaises ayant récemment annoncé leur volonté d'appliquer très rapidement ces nouveaux seuils pour limiter l'utilisation anonyme de ces cartes, ce dont votre rapporteur se félicite.

Proposition n° 51 : Renforcer les obligations de justification d'identité pour l'acquisition de cartes bancaires pré-payées et réduire significativement le plafond des sommes (500 euros) pouvant y être stockées.

Enfin, au cours de ses auditions, votre commission a vu son attention attirée sur les risques de financement d'activités terroristes liées à l'activité du financement participatif (« crowdfunding »).

Présentation du financement participatif (« crowdfunding »)

D'après les informations fournies par l'Agence pour la création d'entreprises (APCE), le « crowdfunding », appelé également financement participatif, est une technique de financement de projets de création d'entreprise utilisant Internet comme canal de mise en relation entre les porteurs de projet et les personnes souhaitant investir dans ces projets. Pratique ancienne, elle fait actuellement l'objet d'un large engouement en raison de sa simplicité de fonctionnement et des difficultés que rencontrent certains créateurs à trouver des financements. Des plateformes d'échanges dédiées au « crowdfunding » sur Internet permettent ainsi de rassembler les épargnants qui souhaitent investir dans de petits projets et les porteurs de ces projets à la recherche de financements et ne souhaitant pas faire appel au crédit bancaire.

Selon certaines déclarations recueillies par votre rapporteur, cette technique de financement pourrait, dans les années à venir, favoriser des dérives et constituer un canal de financement pour des activités illicites parmi lesquelles le terrorisme, du fait d'un manque de régulation des opérateurs. Votre commission d'enquête juge en conséquence souhaitable de revoir la réglementation récente en la matière 290 ( * ) afin de déterminer les conditions dans lesquelles une plus grande surveillance du financement participatif pourrait être opérée pour écarter tout risque de financement du terrorisme par ce biais.

Proposition n° 52 : Revoir le cadre juridique de la pratique du financement participatif ( crowdfunding ) et accroître la surveillance de ses opérateurs.

Votre commission d'enquête a également souhaité exprimer ces préoccupations quant à la traçabilité des achats de titres de transports internationaux, en particulier les transports aériens. La mise en oeuvre d'une telle orientation supposerait l'interdiction de règlement en espèces pour l'achat de tels titres de transport, option qui n'a pas été retenue par votre commission d'enquête. En revanche, votre commission d'enquête souhaite qu'en cas de règlement en espèces des titres de transports internationaux, le vendeur s'assure, par tous moyens, de l'identité du payeur et du voyageur. À cet effet, une concertation devra être engagée avec le Syndicat national des agences de voyage (SNAV).

Proposition n° 53 : En cas de règlement en espèces des titres de transports internationaux, imposer au vendeur de s'assurer, par tous moyens, de l'identité du payeur et du voyageur. À cet effet, engager une concertation avec le syndicat national des agences de voyage.

4. Favoriser la bonne application des obligations de vigilance par certains opérateurs financiers

Votre commission d'enquête se félicite de l'instauration par la loi du 26 juillet 2013 du dispositif de « communications systématiques d'information » (COSI) permettant notamment un meilleur suivi des prestations de transfert de liquidités. Il apparaît cependant souhaitable d'instaurer une régulation plus importante de ces opérateurs, en particulier des nouveaux acteurs de ce secteur 291 ( * ) , qui devraient prendre systématiquement les identités de leurs clients de manière plus rigoureuse et au premier euro et temporiser les transferts en cas de doute, ainsi que cela a été souligné lors des auditions de votre commission d'enquête. Par ailleurs une meilleure régulation s'impose vis à vis des opérateurs de prestations de services de paiement, exerçant à partir de sièges situés dans d'autres pays de l'Union européenne, soit directement (notamment par Internet) en libre prestation de services, soit par l'intermédiaire d'agents situés sur le territoire français mais insuffisamment contrôlés.

Proposition n° 54 : Renforcer la régulation des opérateurs de « cash-transfert ».


* 262 Dont la déclaration finale invite les États membres à mettre en oeuvre rapidement les règles renforcées visant à prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et toutes les autorités compétentes à renforcer leur action visant à suivre les flux financiers et à geler de manière effective les avoirs utilisés pour financer le terrorisme.

* 263 Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

* 264 Directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur.

* 265 Directive 2008/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008 modifiant la directive 2005/60/CE, en ce qui concerne les compétences d'exécution conférées à la Commission.

* 266 Directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l'accès à l'activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements.

* 267 Règlement n° 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relatif aux contrôles de l'argent liquide entrant ou sortant de la Communauté. Ce texte est applicable depuis le 15 juin 2007.

* 268 Cet article autorise les États membres à prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou à prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique, pour autant que ces mesures et procédures ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux.

* 269 Règlement n° 1781/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 novembre 2006 relatif aux informations concernant le donneur d'ordre accompagnant les virements de fonds.

* 270 Mettant en oeuvre la recommandation spéciale n° VII du GAFI sur le financement du terrorisme.

* 271 Terrorist Finance Tracking Program. Voir l'annexe du présent rapport qui reprend la présentation de ce programme faite par le département du Trésor, page 427 .

* 272 Le département du Trésor envoyait directement des réquisitions auprès de SWIFT qui y répondait en procédant au transfert des données demandées. La révélation de de cette pratique, dans des articles de presse évoquant à cet égard une «  affaire d'espionnage » et la réaction consécutive des autorités de l'Union européenne et des autorités belges, ont conduit l'UE à réclamer la construction d'un cadre juridique applicable à ces transferts.

* 273 Opération à l'issue de laquelle SWIFT dispose désormais de trois serveurs (un aux Pays-Bas stockant les données intra-européennes, un aux États-Unis et un serveur de sauvegarde en Suisse). Il appartient aux États de décider s'ils souhaitent que les données de leurs opérateurs soient stockées sur le serveur domicilié en Europe ou aux États-Unis.

* 274 Accord entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique sur le traitement et le transfert de données de messagerie financière de l'Union européenne aux États-Unis aux fins du programme de surveillance du financement du terrorisme.

* 275 16 mars 2011, 14 décembre 2012, 27 novembre 2013 et 11 août 2014. La prochaine évaluation aura lieu au second semestre 2015.

* 276 En moyenne, 1 343 messages financiers ont été analysés chaque mois par le Trésor américain entre le 1 er octobre 2012 et le 28 février 2014.

* 277 COM(2014) 513 final.

* 278 Site Internet du département du Trésor : TFTP, Questions and Answers.

* 279 Communication fron the Commission to the European Parliament and Council - A European terrorist finance tracking system (EU TFTS) - 27 novembre 2013.

* 280 Parmi ces révélations, figurait le fait que les services de renseignement américains auraient continué à accéder au système SWIFT hors du cadre fixé par l'accord du 1 er août 2010. Après investigations, le Gouvernement américain ayant donné l'assurance d'avoir respecté l'accord, la Commission a considéré qu'il n'y avait pas matière à le suspendre, comme le réclamait le Parlement européen, ou à le dénoncer.

* 281 Cette appréciation trouvant également à s'appliquer pour les données API/PNR.

* 282 Décision du Conseil du 17 octobre 2010 relative aux modalités de coopération entre les cellules de renseignement financier des États membres en ce qui concerne l'échange d'informations.

* 283 Sur ce sujet, votre rapporteur souhaite également renvoyer aux propositions formulées dans le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l'évasion des capitaux, présidée par M. François Pillet et dont le rapporteur était M. Éric Bocquet (rapport n° 87 - 17 octobre 2013).

* 284 Création de 10 emplois pour la cellule TRACFIN.

* 285 Pour le détail des mesures annoncées par le ministre : http://www.economie.gouv.fr/files/luttecontrefinancementterrorisme_tableau_synthetiqdef.pdf

* 286 Article L. 152-1 du code monétaire et financier.

* 287 Rapport COM(2010) 429 final du 12 août 2010.

* 288 Sur lesquelles peuvent être chargées, selon les établissements qui les proposent, des sommes pouvant aller jusqu'à 25 000 euros.

* 289 La somme de 500 euros constituant, aux yeux de votre commission d'enquête, une référence suffisante pour permettre à ces instruments de paiement de répondre à leur objectif.

* 290 Ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif.

* 291 La libéralisation de cette activité autorisant désormais des opérateurs domiciliés dans un pays membre de l'UE à proposer des prestations en France par Internet.

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