Énergie : quelle politique française pour la prochaine législature ?
LARCHER (Gérard) ; REVOL (Henri)
RAPPORT D'INFORMATION 79 (2002-2003) - COMMISSION DES AFFAIRES ECONOMIQUES ; GROUPE D'ETUDE DE L'ENERGIE
Rapport au format Acrobat ( 188 Ko )Table des matières
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ALLOCUTION D'OUVERTURE -
M. Gérard Larcher, sénateur des Yvelines,
président de la commission des Affaires économiques
et du Plan du Sénat - INTRODUCTION DU COLLOQUE -
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PREMIÈRE TABLE RONDE :
MARCHÉ EUROPÉEN DE L'ÉNERGIE :
COMMENT SORTIR DE L'IMPASSE ? - ÉCHANGES AVEC LA SALLE
-
DEUXIÈME TABLE RONDE :
OBJECTIFS ET LIMITES DE L'OUVERTURE
DES MARCHÉS DE L'ÉNERGIE -
ÉCHANGES AVEC LA SALLE
-
Intervention de M. Jean Syrota, président
de la Commission de régulation de l'électricité (CRE) -
Intervention de M. André Merlin, directeur
général de Réseau de transport d'électricité
(RTE),
président de l'Association des GRT européens (ETSO) -
Intervention de M. Charles Fiterman, membre de la
section
des activités productives, de la recherche et de la technologie
du Conseil économique et social -
Intervention de M. André Bohl, président de
l'Association nationale de régies de services publics et des organismes
constitués
par les collectivités locales (ANROC) -
Intervention de M. Claude Turmes, député
européen, rapporteur de la commission Industrie, commerce
extérieur, recherche et énergie
du Parlement européen
-
Intervention de M. Jean Syrota, président
- ÉCHANGES AVEC LA SALLE
-
TROISIÈME TABLE RONDE :
QUELLES OPTIONS POUR LA NOUVELLE LÉGISLATURE ?-
Intervention de M. Jacques Valade, sénateur de la
Gironde,
président de la commission des Affaires culturelles du Sénat - Intervention de M. André Sainjon, président de la Société nationale d'électricité thermique (SNET)
-
Intervention de M. Bertrand Barré,
directeur au secrétariat général d'AREVA -
Intervention de M. Philippe Sauquet
directeur Stratégie Gaz-Electricité du groupe TotalFinalElf - Intervention de M. Jean-Pierre Rodier, président de Pechiney
-
Intervention de M. Jean-François
Conil-Lacoste,
directeur général de Powernext - Intervention de M. Philippe Bodson, sénateur membre de la commission des Affaires économiques du Sénat de Belgique
-
Intervention de M. Jean-Marie Chevalier,
directeur du centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières, professeur de sciences économiques à l'université Paris IX
-
Intervention de M. Jacques Valade, sénateur de la
Gironde,
-
QUATRIÈME TABLE RONDE :
QUELS CHOIX POUR ELECTRICITÉ DE FRANCE
ET GAZ DE FRANCE ?- Intervention de M. Philippe Marini, sénateur de l'Oise, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat
-
Intervention de M. Pierre Gadonneix,
président de Gaz de France (GDF) - Intervention de M. Denis Cohen, secrétaire général de la fédération Mines-Energie de la Confédération générale du travail (CGT)
- Intervention de M. Henri Guaino, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris (IEP), ancien commissaire au Plan
-
Intervention de M. Josy Moinet,
président de la Fédération nationale
des collectivités concédantes et régies (FNCCR) -
Intervention de M. François
Roussely,
président d'Electricité de France (EDF) - Intervention de M. Ladislas Poniatowski, sénateur de l'Eure
- CONCLUSION DU COLLOQUE
N° 79
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 29 novembre 2002
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) et du groupe d'étude de l'Energie (2) sur les Actes du Colloque « Énergie : quelle politique française pour la prochaine législature ? » organisé par le Sénat le 26 juin 2002,
Par MM.
Gérard LARCHER et Henri REVOL,
Sénateurs.
(1)
Cette commission est composée de :
M. Gérard Larcher,
président
; MM. Jean-Paul Emorine, Marcel Deneux,
Gérard César, Pierre Hérisson, Jean-Marc Pastor, Mme
Odette Terrade,
vice-présidents
; MM. Bernard Joly, Jean-Paul
Émin, Patrick Lassourd, Bernard Piras,
secrétaires
; MM.
Jean-Paul Alduy, Pierre André, Philippe Arnaud, Gérard Bailly,
Bernard Barraux, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Bécot,
Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean
Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Marcel-Pierre Cleach, Yves
Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche,
Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Yves Detraigne, Mme
Evelyne Didier, MM. Michel Doublet, Bernard Dussaut, Hilaire Flandre,
François Fortassin, Alain Fouché, Christian Gaudin, Mme
Gisèle Gautier, MM. Alain Gérard, François Gerbaud,
Charles Ginésy, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot,
Charles Guené, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kergueris,
Gérard Le Cam, Jean-François Le Grand, André
Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves Mano, Max Marest, Jean Louis Masson, Serge
Mathieu, René Monory, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron,
Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet,
Henri Revol, Roger Rinchet, Claude Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel
Teston, Pierre-Yvon Trémel, André Trillard, Jean-Pierre Vial.
(2) Le groupe d'étude est composé de :
M. Henri
Revol,
président ;
MM. Jacques Valade, Jean Faure, Jean
Besson, Jean-François Le Grand, Aymeri de Montesquiou, Ladislas
Poniatowski,
vice-présidents ;
MM. Jacques Bellanger,
Gérard César, Pierre Hérisson, Roland du Luart,
Mme Odette Terrade,
secrétaires :
MM. Philippe Nachbar,
André Rouvière, François Trucy, Alex Türk,
membres
du bureau ;
MM. Philippe Adnot, Claude Belot, Jean Boyer, Robert
Calmejane, Auguste Cazalet, Philippe Darniche, Hubert Durand-Chastel, Jean-Paul
Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain Gérard,
François Gerbaud, Jean-Pierre Godefroy, Adrien Gouteyron, Louis Grillot,
Hubert Haenel, Pierre Laffitte, Lucien Lanier, Jacques Legendre, Serge
Lepeltier, Paul Loridant, Jean Louis Masson, Joseph Ostermann, Michel Pelchat,
Jacques Pelletier, Jean Pépin, Jean-François Picheral, Xavier
Pintat, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Charles Revet, Roger Rinchet,
Bruno Sido, Jean-Pierre Vial, Xavier de Villepin.
Énergie |
La
Commission des Affaires économiques du Sénat et le groupe
d'étude de l'énergie ont organisé, le 26 juin 2002,
un colloque intitulé «
Energie : quelle politique pour
la prochaine législature ?
».
Ce colloque posait des questions cruciales pour cerner les options ouvertes aux
pouvoirs publics et les choix susceptibles d'être faits par EDF et GDF.
Comment organiser l'adaptation de nos deux entreprises publiques à cette
nouvelle donne ? Quels objectifs et quelles limites à l'ouverture
européenne ? Tous sujets qui intéressent aussi bien l'avenir
de l'Europe de l'énergie que la place des entreprises françaises
et leur politique de développement en son sein.
Le présent rapport d'information présente les actes de ce
colloque dont la Commission des Affaires économiques a approuvé
la publication au cours de sa réunion du mercredi 27 novembre 2002.
ALLOCUTION D'OUVERTURE -
M. Gérard Larcher, sénateur des
Yvelines,
président de la commission des Affaires
économiques
et du Plan du Sénat
J'ai le
plaisir d'ouvrir ce colloque sur l'énergie, avec à mes
côtés le président Jacques Valade -dont
l'intérêt pour ce sujet est connu de tous- et le président
Jean Besson.
Outre de nombreuses personnalités du monde de l'énergie, nous
sommes heureux d'accueillir le président de la Section des
activités productives du Conseil économique et social, Didier
Simond. La Commission des Affaires économiques et du Plan conduit, en
effet, avec le Conseil économique et social un certain nombre de
travaux, notamment dans le secteur industriel.
La date de notre manifestation n'a pas été choisie par hasard,
faisant suite immédiate aux événements électoraux
que nous venons de connaître, pour traiter d'un sujet qui, d'ici au
printemps 2003, sera d'actualité.
Quelle doit être la politique énergétique de la France et
de l'Union européenne au cours des mois et des années à
venir ?
Si nous nous entendons sur les buts poursuivis, restent plusieurs questions sur
les moyens à utiliser pour les atteindre. Il me paraît souhaitable
de bien identifier les objectifs fixés en négociant puis en
transposant des directives de libéralisation, faute de quoi nos
concitoyens seraient en droit de se demander à quoi servent des
réformes dont les politiques eux-mêmes sembleraient craindre les
effets dès lors qu'ils ne les expliqueraient pas. Pour convaincre, il ne
suffit pas de vouloir, il faut être pédagogue.
Une politique énergétique viable pour la France et pour l'Europe
impose, à mes yeux, trois objectifs fondamentaux :
- assurer aux particuliers et aux entreprises une fourniture
énergétique diversifiée et peu sensible aux aléas
économiques et stratégiques ;
- maintenir cette fourniture à un coût raisonnable pour
toutes les catégories de clients ;
- respecter l'environnement et le protocole de Kyoto sur les
émissions de gaz à effet de serre.
Cette politique énergétique est indispensable à une
croissance économique favorable à l'emploi dans les services et
dans l'industrie. Mener une telle politique nécessite une
stratégie fondée sur un consensus national. Après la
période des réformes énergétiques « en
catimini », le temps est venu d'aborder les problèmes sans les
éluder. Je souhaite que nos travaux éclairent le plus
complètement possible ces problèmes, et qu'ils y apportent des
réponses ou définissent des voies de solutions.
Y a-t-il une alternative pour la France et l'Europe entre les deux repoussoirs
que constituent le « monopole flasque », dont l'incurie
dans sa forme extrême a abouti à Tchernobyl, et la concurrence
irrationnelle, voire perverse, qui a suscité la crise californienne ?
Existe-t-il de réelles marges de progression dans la voie de la
libéralisation, afin d'accroître par la productivité, la
compétitivité de nos économies ? On constate que plusieurs
de nos partenaires européens ont bénéficié de
l'apparition de mécanismes de marché qui tirent les prix à
la baisse, notamment pour les importants clients industriels. Faut-il pour
autant en France accélérer la libéralisation sans
discernement ? A l'évidence, dans le secteur électrique, notre
pays a intérêt à accroître ses échanges avec
l'étranger, eu égard à sa productivité forte et
à ses capacités de production disponibles. Est-ce à dire
que nous devons accepter les
diktats
de certains de nos partenaires, qui
s'emploient de fait à créer des marchés nationaux
étanches ? Ainsi, l'exemple de l'Allemagne révèle une
forme de schizophrénie qui menace certains membres de l'Union :
M. Schröder appelle à l'accélération de la
libéralisation, alors que nous savons que le marché
intérieur allemand est « cartellisé » et
fermé à la concurrence intra-européenne.
Ne convient-il pas de distinguer une libéralisation juridique et
virtuelle de la constitution réelle d'un grand marché
intérieur de l'énergie, qui suppose l'introduction de
mécanismes techniques efficaces ?
N'est-il pas révélateur que notre pays soit celui qui a permis
l'accès des tiers au réseau électrique sur la base d'un
tarif négocié et donc non discriminatoire ?
N'est-il pas révélateur que notre pays soit l'un des rares qui se
soient dotés d'un régulateur puissant, actif, indépendant
et respecté ?
Aucun bilan précis n'a encore été établi sur
l'avancement de la libéralisation européenne, sujet sur lequel la
France n'a nullement à rougir.
Est-il concevable que la libéralisation ait pour effet de favoriser la
constitution d'un oligopole de producteurs
européens ? Certains Etats peuvent-ils continuer à
faire de la libéralisation virtuelle tandis que d'autres, qui
procèdent à une libéralisation réelle, devraient se
soumettre encore plus aux règles d'ouverture du marché ?
Que serait une libéralisation qui ne servirait qu'à
accroître le prix des fournitures faute de capacité de production
-- je songe ici à l'inéluctable relance du programme
nucléaire --, ou qui aboutirait à diminuer la sûreté
des approvisionnements, ou encore qui conduirait à accentuer l'effet de
serre en incitant au développement inconsidéré de
centrales thermiques ?
De façon plus générale, la question de la
répartition des différents types de production en Europe et dans
les pays avoisinants est posée.
Peut-on par exemple laisser fonctionner, aux portes de l'Union, des centrales
nucléaires que certains ingénieurs appellent des centrales "en
tôle" ? Un accident discréditerait toute la production
nucléaire et pousserait les prix à la hausse, or nul ne doit
oublier que c'est cette production qui limite le contrôle du
marché par les producteurs de matière première.
Cependant, la libéralisation est en marche. Nous devons encore
réfléchir, mais sans pouvoir reculer. Il convient donc de se
préparer à assurer la transition entre les monopoles historiques,
qui ont fait leurs preuves, et un modèle nouveau, vraisemblablement
incitatif au dynamisme et intégrateur des économies, dans lequel,
quoi qu'il en soit, le risque doit demeurer maîtrisable et le service
public assuré.
C'est dans ce contexte global que nous devons nous interroger sur le devenir
des opérateurs historiques français du marché de
l'énergie.
La position de la France me paraît devoir être pragmatique. Les
plus ardents défenseurs de la suppression des monopoles historiques se
recrutent dans des Etats où prévalent des oligopoles... A force
d'avoir été annoncée, différée, puis
démentie, la question de l'évolution du statut
d'établissement public d'EDF et de GDF a fini par semer
l'inquiétude chez leurs salariés, qui n'attendent au contraire
que clarté et pédagogie.
Le débat doit être clarifié, un projet d'entreprise
mobilisateur doit être défini, accompagné d'un projet
social dont ne seront pas être exclus les salariés.
Quels sont, dans cette perspective, les schémas d'évolution
envisageables pour les deux opérateurs historiques français ? Ils
doivent s'adapter à la nouvelle donne, c'est une question de survie
économique dans le monde de demain. Pour la France, il s'agit d'un enjeu
essentiel pour la place qu'elle occupera en Europe et dans le monde.
La croissance externe de ces deux entreprises publiques est l'une des
conditions de la pérennité des régimes d'emploi qu'elles
assurent. Cette croissance doit certes se faire en préservant des
règles prudentielles, mais un schéma d'évolution doit
être imaginé.
Nous pouvons songer à quatre choix principaux : la voie
gémellaire, le mariage arrangé, le ménage à trois
et la réconciliation amoureuse...
Convient-il de persister dans la « voie gémellaire »
des développements parallèles et indépendants d'EDF et de
GDF ? Certains en doutent, estimant que GDF n'aurait pas la taille suffisante,
avec ses seules forces, pour conserver son indépendance. La question de
l'amont est posée.
Une fusion des deux opérateurs, le « mariage
arrangé », est-elle envisageable ? Les défenseurs de
cette solution font valoir qu'elle permettrait de constituer un
opérateur multi-énergies disposant d'une taille critique
incontestable. Mais on peut s'interroger sur l'acceptabilité d'une telle
stratégie au regard des règles européennes du droit de la
concurrence, et s'interroger sur le prix qu'il y aurait alors à payer.
Le « ménage à trois » est la fusion par
métiers, qui séparerait chaque entreprise horizontalement en
trois entités chargées respectivement de la production, du
transport et de la distribution de l'électricité et du gaz. Mais
ce compromis ne risquerait-il pas de retarder au-delà du raisonnable
l'adaptation de GDF ?
Un modèle mixte permettrait de transformer, dans des délais
raisonnables, GDF en société anonyme publique pour lui permettre
de tenter l'aventure de la conquête dans l'indépendance, quitte
à rapprocher certaines de ses activités de celles d'EDF dans le
cadre d'une forme de « réconciliation amoureuse »...
Je soumets ces différents scénarios à votre
appréciation, en espérant qu'ils contribuent à alimenter
vos réflexions.
Dans ce cadre général, une donnée essentielle ne doit pas
être oubliée : je veux parler des modalités
d'association des personnels et des garanties à apporter à leurs
statuts et à leurs retraites. Cette question n'est d'ailleurs pas
seulement nationale. En ce qui me concerne, il est clair que la manière
de procéder doit être établie après concertation et
dialogue social, conformément aux orientations tracées par le
président de la République. Les modalités de la garantie
des retraites devront être déterminées dans le nouveau
contexte concurrentiel, ce qui n'est pas simple. Nous évoquons
là, pour la seule EDF, un dossier à 40 milliards d'euros !
Là encore le pragmatisme et le dialogue, et non les idéologies ou
les corporatismes déplacés, devraient ouvrir la voie au
législateur.
Après quelques années d'immobilisme, on peut se donner quelques
mois, pour développer le dialogue social et évaluer de
manière incontestable la valeur financière d'EDF.
Le Sénat réfléchit de manière approfondie aux
inflexions de la politique énergétique de la France. Cette
réflexion est par nature indépendante, mais à coordonner
avec celle de l'exécutif. Notre assemblée participera,
accompagnera, voire anticipera le processus de réforme que nous
connaîtrons au cours de la législature qui commence. De toute
façon, parce qu'il y aura loi, le Parlement sera au coeur de la
décision, donc du débat, des tensions, des consensus
recherchés et des choix.
INTRODUCTION DU COLLOQUE -
Intervention de M. Henri Revol,
sénateur de la Côte d'Or,
président du groupe d'études
de l'énergie du
Sénat
Notre
groupe d'études et la Commission des Affaires économiques
marquent, par l'organisation de cette journée, l'importance croissante
que revêt la politique énergétique pour notre pays, comme
nous le montre d'ailleurs quotidiennement l'actualité. Nous avions, en
décembre dernier, tracé des pistes de réflexion et
d'action. Je souhaite que cette journée permette d'éclairer plus
précisément encore les voies de l'avenir afin que nos
autorités politiques et nos entreprises se préparent aux
prochaines échéances.
Toute décision en matière de politique énergétique
doit répondre à trois grands défis :
- la sécurité d'approvisionnement,
- la libéralisation et la construction de l'Europe de
l'énergie,
- le défi environnemental.
La Commission d'enquête du Sénat avait déjà
insisté en 1998 sur ces enjeux majeurs.
L'impératif de la sécurité d'approvisionnement est une
priorité absolue. Si rien n'est entrepris dans les vingt prochaines
années, l'Union européenne couvrira alors ses besoins
énergétiques avec 70 % de produits importés, contre
50 % aujourd'hui. Nous ne pouvons évidemment pas accepter de
dépendre d'une poignée de producteurs étrangers. Pour
notre groupe d'Etudes, tout l'éventail des ressources
énergétiques doit être ouvert, toutes les sources
d'énergie doivent être sollicitées.
Les contraintes liées au problème majeur du réchauffement
climatique nous imposent de sortir du triste et passionnel débat qui a
agité l'Union européenne autour de l'énergie
nucléaire. Après avoir été diabolisée, il
semble que celle-ci doive, à l'avenir, prendre une place incontournable.
Les récentes décisions de la Finlande ou de la Suède vont
en ce sens, tout comme le rapport d'une commission d'enquête du Parlement
allemand, qui estime que l'Allemagne pourrait construire entre 50 et 70
centrales de 2010 à 2050. Dans cette perspective, il est souhaitable que
parallèlement au lancement du prototype EPR, les recherches sur les
déchets soient accélérées dans les conditions
prévues par la loi de 1991, ainsi que dans le domaine des
énergies renouvelables. Saluons à ce titre la réussite de
cette petite « Silicon Valley » grenobloise, qui s'impose
désormais comme un pôle européen majeur. Mais ne nous
berçons pas d'illusions, les énergies renouvelables resteront
marginales dans un avenir visible.
Le troisième enjeu est celui de la libéralisation et de la
construction de l'Europe de l'énergie. La Commission européenne
souhaite accélérer, à un rythme qui peut paraître un
peu excessif, ce processus de libéralisation. Si cette évolution
est souhaitable, elle ne doit pas se faire dans n'importe quelles conditions.
Il faut savoir doser courage, ambition et prudence. Bruxelles devrait tirer
leçon des expériences des pionniers de la libéralisation.
Plus qu'au degré théorique d'ouverture des marchés, je
souhaite que l'on s'attache davantage à leur ouverture effective, ainsi
qu'aux règles et modes de régulation permettant d'assurer la
transparence et la concurrence. Or, comme l'a montré un rapport de la
Commission européenne, il n'existe pas de corrélation entre le
degré théorique d'ouverture des marchés et l'exercice
réel de la concurrence, d'où qu'elle provienne. Ainsi la France,
pointée du doigt par ses partenaires, enregistre un taux réel
d'ouverture de ses marchés loin d'être négligeable, dans
des conditions de transparence et de régulation irréprochables.
Nous ne pouvons à cet égard que regretter que le
précédent gouvernement n'ait pas procédé à
la transposition de la première directive gaz. Nous le payons cher
aujourd'hui en termes de crédibilité à Bruxelles, notre
pouvoir de négociation s'en trouvant considérablement amoindri.
Cette journée nous permettra de souligner les zones d'ombre des projets
de directives électricité et gaz et les interrogations qu'ils
suscitent.
La fluidité et la sécurité des approvisionnements
énergétiques ainsi que la baisse des prix aux consommateurs en
sont les objectifs réels.
Mais quelles sont les garanties pour le long terme ? Comment seront
délimités les périmètres respectifs des Etats, des
régulateurs et des acteurs du marché ? Comment assurer la
construction de nouvelles infrastructures ? Comment définir, garantir et
financer les missions de service public ? Enfin, selon quelles modalités
conviendra-t-il de faire évoluer les statuts de nos grandes entreprises
publiques, afin qu'elles puissent nouer les partenariats industriels
indispensables si elles veulent rester « dans la cour des
grands » ? La question du financement des retraites des
personnels d'EDF et de GDF doit également être posée en
termes clairs.
Les interventions et nos échanges sur ces sujets fondamentaux seront,
j'en suis sûr, riches et animés. Je forme l'espoir qu'ils soient
constructifs et qu'ils éclairent les décisions à venir.
Intervention de M. Didier Simond, président de la section des
activités productives, de la recherche et de la technologie
du
Conseil économique et social
(CES)
Le temps
de l'énergie est celui de la longue durée. L'énergie est
« structurante » et les décisions prises engagent
pour longtemps une société et son économie.
La liste des travaux du CES sur l'énergie est fort longue. Je
rappellerai très rapidement que nous avons traité
récemment des deux directives européennes, celle de
l'électricité et celle du gaz, et les conclusions de nos
réflexions ont obtenu un large consensus.
La vision du CES, en matière de politique énergétique en
France, peut se résumer ainsi : toutes les options doivent
être suivies, aucune énergie ne doit être
négligée au nom d'une quelconque idéologie.
Il m'appartient d'aborder quelques points de caractères
généraux.
La consommation mondiale d'énergie, en liaison avec la croissance
économique, ne peut que croître, tandis que les ressources vont
s'épuisant. Parallèlement, la question de l'environnement impose
une maîtrise de cette consommation, ce qui suppose des choix
énergétiques et donc de société. Or, pour ne
prendre que l'électricité, plus de 2 milliards de nos
contemporains vivent sans pouvoir accéder à cet
élément de base et beaucoup d'autres n'en
bénéficient qu'imparfaitement. Il s'agit là d'un
défi lancé à tous : comment faire pour que chacun puisse
jouir de ce que nous considérons nous-mêmes comme un
élément banal de notre quotidien ? Ce défi devra
être relevé, au risque de conflits majeurs, et il renvoie à
la préoccupation concernant les ressources mondiales.
En l'état actuel de nos connaissances, les réserves
pétrolières mondiales couvriraient 40 à 60 ans de
consommation - elles sont à 65 % situées dans la
péninsule arabique ; les réserves de gaz naturel
couvriraient 60 à 100 ans - elles se trouvent majoritairement sur les
territoires de l'ex URSS ; les ressources en charbon sont plus
équitablement réparties, et pourraient satisfaire plus de deux
siècles de consommation. Nous devons méditer sur ces
données pour prendre des décisions politiques, d'autant
qu'à cela s'ajoutent les inquiétudes concernant les
données climatiques dans leurs relations avec la consommation
d'énergie.
Rappelons aussi que l'Amérique du Nord absorbe plus du quart de
l'énergie consommée dans le monde et l'Europe de l'Ouest environ
le cinquième.
Les prévisions laissent présager un accroissement de la demande
d'énergie : de 9 gigatonnes en équivalent pétrole en
1990 on passerait à 13, voire 17 gigatonnes dans les 20 ou 30 ans
à venir.
Dans ce contexte, l'Union européenne est imparfaitement pourvue de
ressources fossiles, même si certains de nos partenaires en disposent de
quelques-unes. La dépendance énergétique de l'Union est
donc patente, comme cela a été rappelé
précédemment.
Signalons que le problème de l'indépendance
énergétique est également au coeur des
préoccupations notamment de l'Administration américaine.
Nous savons que la politique énergétique de notre pays repose sur
la réalisation d'un triptyque :
- sécurité d'approvisionnement par une diversification
géographique et technique des sources et des ressources,
- mise en place d'une source nationale de production
d'électricité,
- et économie d'énergie.
Il reste beaucoup à faire en ce qui concerne ce dernier point, alors que
les deux premières composantes ont connu des réussites
indéniables.
D'autres évoqueront le devenir de notre appareil de production. Je
souhaiterais, pour ma part, évoquer l'impératif de conduire et de
poursuivre pour notre pays les efforts de la recherche dans le domaine de
l'énergie.
Seul cet effort est à même de faire reculer les limites des
réserves dites conventionnelles. C'est à ce prix que nous
pourrons continuer de faire entendre notre voix et contribuer activement au
maintien de toutes les options énergétiques, comme celle du
charbon, qui représente encore 30 % de l'énergie
consommée dans le monde. Certes, l'extraction du charbon est sur le
point de s'arrêter complètement dans notre pays, mettant un terme
à une longue histoire, néanmoins, cette source a de l'avenir dans
d'autres parties du monde.
Notre appareil de recherche doit donc être maintenu performant afin de
promouvoir notre technologie dans toutes les composantes de l'énergie, y
compris celle-ci ou bien encore les énergies renouvelables.
A ce propos, la biomasse est de loin la plus ancienne ressource
énergétique de l'homme, et l'hydroélectricité la
plus mature et la plus développée au monde. Peut-on aller encore
plus loin ? Certes oui, comme en ce qui concerne les biocarburants.
Reste à s'interroger, en termes économiques, sur la valeur
ajoutée des énergies renouvelables dans leur ensemble : il
s'agit d'un vaste débat.
Au-delà se pose encore la question des technologies de ruptures (pile
à combustible par exemple) et de leur développement.
Il est préoccupant pour nous, Européens et Français, de
savoir que, dans le domaine de la recherche, les USA dépensent deux fois
plus que l'Union européenne. A ceux qui ont le pouvoir de
décider, il convient de porter le message de maintenir et de
développer à la fois de grandes entreprises et un outil de
recherche performant.
Enfin, n'oublions pas le nucléaire. Le CES insiste sur la
pérennité de cette filière qui doit s'analyser selon
plusieurs paramètres : sécurité technique,
compétitivité économique, acceptabilité sociale. Il
conviendra, pendant la prochaine législature, de prendre une
décision quant au futur réacteur européen. Je n'en dis pas
plus.
Au centre de vos débats doit être placée la
nécessité de soutenir les entreprises énergétiques
françaises et leurs sous-traitants, pour faire en sorte que leur
mutation soit mieux inscrite dans la concurrence internationale à
laquelle ils sont confrontés.
L'intérêt de nos entreprises est celui de la France.
PREMIÈRE TABLE RONDE :
MARCHÉ EUROPÉEN DE
L'ÉNERGIE :
COMMENT SORTIR DE L'IMPASSE ?
Intervention de M. Dominique Ristori, directeur des Affaires générales de la DG Energie et Transport de la Commission européenne
L'intitulé de cette table ronde comporte le mot
"impasse",
qui implique que l'on fasse marche arrière. Or, nous
préférons aller de l'avant... de manière
maîtrisée et lucide, sur la base de priorités bien
pesées et pensons que cela est possible.
Tous les éléments qui ont été mis en
évidence lors de l'introduction de ce colloque sont effectivement au
coeur de nos débats. De larges échanges de vue ont lieu
actuellement au sein des Etats membres, et notamment en France : cela
caractérise bien les progrès qui ont été accomplis
sur le plan de la définition d'une politique européenne qui ne se
limite pas aux questions relatives à l'ouverture des marchés,
mais qui aborde sans tabou des aspects tels que la diversification des sources
d'énergie, le nucléaire, la place et le rôle de la
maîtrise de l'énergie ou des sources d'énergies
renouvelables, tout ceci par rapport aux contextes européen et mondial.
En ce qui concerne l'ouverture des marchés, le vote du Parlement
européen et les conclusions du sommet de Barcelone tracent les contours
du cadre dans lequel nous devons opérer. Ce cadre est conforme aux
propositions que nous avions nous-mêmes introduites.
Un large accord existe aujourd'hui pour que les marchés
électriques et gaziers soient ouverts dès 2004, en termes de
choix, à tous les clients industriels et commerciaux. Tous les chefs
d'Etat et de Gouvernement ont donné leur appui à ce projet
fondamental, dont le calendrier précise que ces éléments
devraient être acquis pour la fin 2002.
Un deuxième point touche les aspects qualitatifs les plus importants.
C'est le modèle de régulation, sur lequel nous avons beaucoup
progressé, notamment avec l'Allemagne. Un régulateur dans chaque
Etat membre sera en mesure de statuer sur les points essentiels liés
à la fois au contrôle des tarifs et aux conditions d'accès
au réseau.
L'accord vaut aussi pour les aspects de séparation juridique et
comptable. Conformément à notre proposition nous nous approchons
d'une séparation légale. Nous avons, en France, un gestionnaire
de réseau de transport qui a acquis au fil du temps son
indépendance fonctionnelle et les moyens nécessaires pour le
maintien et le développement du réseau.
Nous avons donc tracé les éléments qualitatifs et
quantitatifs pour réussir et obtenir une décision sur les
points-clés. De plus, soucieux de la sécurité de
fonctionnement du marché intérieur de l'énergie, nous y
avons ajouté la nécessité d'aboutir en même temps
sur les réseaux transeuropéens d'énergie.
On caricaturerait l'approche européenne si on la réduisait
à la libéralisation, à la déréglementation
et à la dérégulation. Le nouveau cadre concurrentiel
appelle au contraire un modèle de régulation moderne qui se
traduit par une législation effective de grande qualité qui fixe
correctement les règles du jeu en associant tous les
partenaires-clés. Cet élément fondamental est en train de
bâtir la force du modèle européen. Saluons au passage
l'accord passé avec les gestionnaires et régulateurs de
réseaux de transport en matière de tarifs transfrontaliers. Cela
fait de l'Europe le marché le plus avancé, le plus
harmonisé et le plus intégré en ce domaine.
Sur les obligations de service public et sur le service universel, le
contrôle de l'Etat et la responsabilité de la puissance publique
ne disparaissent pas avec le processus d'ouverture de marché. L'Etat
garde une responsabilité éminente en ce qui concerne le
contrôle des services essentiels : les conditions dans lesquelles les
obligations de service public doivent être assumées, que ce soit
au travers d'entreprises publiques ou privées ; les aspects fondamentaux
liés à la sécurité de l'approvisionnement ; la
protection des consommateurs les plus vulnérables, etc. Sur tous ces
points, la responsabilité de la puissance publique reste pleine et
entière. Elle prend même un sens plus aigu et particulier, dans la
mesure où elle opère dans un cadre qui permet le choix. C'est
aussi pourquoi le dialogue social est un moyen de gérer le processus en
cours de manière équilibrée, maîtrisée et
responsable.
On a également souvent réduit l'objectif européen sur la
libéralisation à une question de prix bas. Ce n'est pas exact. Ce
qui est important, c'est d'avoir des prix compétitifs. Ceux-ci doivent
refléter l'état de l'offre et de la demande. Il est essentiel de
garder cela à l'esprit lorsque l'on sait que nous devrons faire face
à une demande énergétique qui va rester importante chez
nous et croître à nos portes. Nos entreprises devront être
en mesure de répondre à ces besoins. C'est un
élément qu'il faut intégrer dans leurs stratégies.
Nous serons, bien entendu, attentifs à tout ce qui concerne la
sécurité des approvisionnements et la diversification des sources
d'énergie, sans oublier notre devoir de maîtrise de
l'énergie elle-même. Nous avons, en Europe, des capacités
à mieux exploiter. En ce qui concerne les appareils électriques
par exemple, nous n'avons pas suffisamment profité des technologies de
pointe, qui devraient s'allier aux normes d'économie d'énergie
pour permettre de placer sur le marché des produits qui répondent
aux besoins.
Tels sont les défis que nous avons devant nous, et que nous souhaitons
aborder avec confiance et détermination.
Intervention de M. Christian Stoffaës, président de
l'Initiative
pour les services d'utilité publique
(ISUPE)
La
manière dont vous formulez votre question laisse entendre que nous
serions dans une impasse. C'est d'ailleurs une idée assez complaisamment
répandue à l'étranger, où EDF est à la fois
incomprise, crainte, jalousée pour ses résultats alors qu'elle
n'est pas conforme au modèle du « politiquement
correct » ; le modèle français d'organisation de
l'énergie serait archaïque, la France serait le mauvais
élève de l'Europe... Je vais essayer d'apporter un
éclairage économique sur cette question. Si l'économie est
une science avec ses lois, c'est aussi une science politique, avec ses
vérités mais aussi ses options idéologiques.
La question de la concurrence dans les industries à tendance
monopolistique - ce que les économistes appellent les monopoles naturels
- est une question complexe. La concurrence conduit à la concentration,
au profit des entreprises de plus grande taille. La course à la part du
marché débouche sur la position dominante qui suscite à
son tour la régulation. Il n'y a pas une vérité, mais
plusieurs, et l'on remarque d'ailleurs que les vérités d'hier
peuvent être les erreurs d'aujourd'hui. Le modèle de
l'économie centralisée naguère considéré
comme la référence, est aujourd'hui voué aux
gémonies. Mais le modèle dérégulé et
désintégré, après les crises d'Enron et de la
Californie, est aujourd'hui lui-même déjà
démodé.
Les situations de ce type, où la vérité scientifique est
complexe, laissent le champ libre à la propagande : l'utilisation de
l'expression "impasse" est révélatrice de cette attitude. Il faut
aussi être conscient que derrière ces prises de position, il y a
de puissants intérêts, privés, économiques et
financiers, collectifs et sociaux. Et aussi des intérêts
idéologiques, puisque l'énergie -l'électricité et
le gaz en particulier - est un secteur où toutes les forces politiques
et sociales d'un pays se croient autorisées à prendre position.
Marcel Boiteux disait à ce propos qu'il faut préférer le
gouvernement par les ratios au gouvernement par les ragots.... Dépassant
les rumeurs, la science économique peut apporter un éclairage aux
options, identifier les vrais enjeux et éclairer les positions.
Les caractéristiques propres au secteur de l'industrie électrique
conduisent à rendre le concept de monopole naturel paradoxal. Si ce
secteur économique s'est développé dans le cadre de la
concurrence vers 1880, il se concentre entre les deux guerres, dans les
années 1920. Nationalisées suite à des controverses
suscitées par les pouvoirs des trusts capitalistes, ces industries ont
été soumises pour l'ensemble de leurs activités à
des régimes de service public. Depuis 1980, l'histoire s'est remise en
marche dans un contexte nouveau où les monopoles sont devenus sujets
à critiques. Une vague de dérégulation qui a pris
naissance dans les pays anglo-saxons, est aujourd'hui relayée par les
textes communautaires.
Voilà le paradoxe : si l'on développe la concurrence, on aboutit
à la concentration, et la concentration aboutit quelquefois à un
monopole qui débouche sur des insuffisances de gestion, donc sur la
nécessité d'une régulation, puis à un renouveau de
la concurrence ; et le cycle recommence. En 1946, il y avait dans l'ensemble du
pays un large consensus sur la nationalisation de l'électricité
et du gaz. Ce fut un symbole de la reconstruction du pays. Aujourd'hui les
choses ont changé, et l'on sent bien que le cycle est en train de se
reboucler.
La dérégulation britannique a été une
véritable rupture historique qui a plutôt bien réussi. Cet
exemple a inspiré les Etats-Unis, l'Europe et incité la Banque
mondiale et le FMI qui l'ont l'imposé à toute une série de
pays en développement. Vingt ans après, ce modèle, sans
être remis en question, montre tout de même ses limites ; en effet,
il pose des problèmes illustrés notamment par la rupture
d'approvisionnement en Californie voici un an et demi ou par le scandale
d'Enron. Le krach de 1929, rappelons-le a été lié à
la spéculation dans le secteur électrique. Sans vouloir faire de
strict parallèle, il faut remarquer que la crise boursière
actuelle a, elle aussi, été déclenchée par la
dérégulation de l'énergie qui a fait émerger un
certain nombre d'acteurs, tel Enron. La France est devenue, à son corps
défendant la bête noire de l'Europe en matière
d'énergie : Le modèle français est mis à l'index
par l'Europe parce que nous aurions des monopoles subventionnés par
l'Etat.
Or, la vérité est que ni EDF ni GDF n'ont reçu, depuis
plus d'un quart de siècle, de dotation en capital ni d'aide publique.
C'est donc un faux procès. Par ailleurs, il est reproché à
la France, que son marché serait fermé ; ce qui, en
matière d'industrie de réseau, signifie un marché dont
l'accès est prohibé. Or, le facteur commun de la
dérégulation et de la concurrence dans ces industries est
d'imposer l'accès au réseau au profit des tiers. Nous avons donc
une « infrastructure essentielle », le réseau de
transport qui est un monopole naturel : pour l'ouvrir à la concurrence
on impose le transport pour compte de tiers. C'est bien le cas des autoroutes,
du gaz, du transport aérien, du chemin de fer et ... de
l'électricité.
Le marché français est bien un marché ouvert où
s'applique clairement la directive européenne. Son accès est
d'ailleurs bien plus ouvert que dans d'autres pays, parce que nous avons un
régulateur national et un gestionnaire du réseau de transport qui
reste intégré à EDF, mais qui pratique des tarifs
transparents, sous l'égide de la commission de régulation. La
nationalisation est elle aussi mise en accusation. Bien qu'il faille
reconnaître que l'ouverture à la concurrence, l'expansion et le
développement nécessite l'appel aux capitaux privés, il
n'en reste pas moins que, pour le moment, les textes communautaires sont
neutres par rapport à la propriété du capital.
Aujourd'hui, en Europe, le décloisonnement des marchés
énergétiques fait que les phénomènes de
concentration sont en plein développement. Si la
dérégulation et l'ouverture des marchés ont pour
conséquence la disparition des situations protégées des
entreprises de petites tailles, elles favorisent en revanche la constitution de
grands groupes. Actuellement, un oligopole de quelques grands groupes est en
train de se composer : alors que de grands pétroliers comme BP, Shell,
TotalFinaElf existaient déjà, on assiste maintenant à la
concentration du secteur électro-gazier. Finalement, le seul vrai
reproche que l'on puisse faire au système français, c'est sa
compétitivité. Le choix nucléaire français est un
atout considérable en matière de coût de production de
l'électricité. Mais dans un marché ouvert et
concurrentiel, peut-on nous faire grief d'être compétitif ? Et,
comme il faut bien trouver quelque chose on nous fait les faux procès
que nous venons de citer. Le modèle français paraît aux
yeux de certains archaïque. Il faut reconnaître que le
nucléaire, le Parti communiste et le monopole d'Etat ne sont plus
très à la mode ces temps-ci. Et, c'est sur cette exception
française que repose maintenant l'essentiel du procès qui nous
est fait.
La privatisation -l'ouverture du capital- est un débat actuel. Nous
avons rappelé à ce sujet que les traités sont neutres.
L'examen du passif du bilan d'EDF, montre que la part des capitaux propres est
assez faible par rapport aux dettes et autres engagements. On en
déduirait presque que la valeur nette d'EDF est très modeste,
surtout quand on intègre les engagements hors bilan que constitue le
régime spécial des retraites. Mais cette bizarrerie n'est
qu'apparente, car ce bilan est en fait chargé de provisions qui
correspondent aux engagements d'EDF à l'égard
d'intérêts collectifs. Nous trouvons par exemple au bilan 20
milliards d'euros de provisions pour la restitution des concessions de
distribution électrique, puisque la loi de 1906 accorde aux
municipalités le pouvoir concédant des réseaux de
distribution. On peut se poser la question de savoir si cette provision,
légale, est justifiée et donc, si la législation est
pertinente. Il faut en débattre. Nous trouvons également au bilan
50 milliards d'euros de provision pour risques et charges, en particulier pour
couvrir les charges de retraitement des combustibles nucléaires. Il
importe de poser ces questions difficiles relatives à l'ouverture du
capital. Elles ne peuvent être résolues que par une mise à
plat de l'ensemble du régime juridique et légal de
l'électricité et du gaz qui s'est sédimenté depuis
environ un siècle. Des dizaines de textes se sont accumulés et
à l'évidence, le moment est venu d'accomplir un gigantesque
toilettage législatif et réglementaire, préalable
nécessaire à tout ce que l'on pourra envisager sur le capital.
Une dernière remarque, sur la question sensible de l'antitrust
européen. Rappelons que l'antitrust ne réprime pas les positions
dominantes et les monopoles, mais les abus que les monopoles peuvent faire
grâce à leur position dominante. Dans la législation
américaine, l'antitrust joue un rôle majeur, mais les
procès durent souvent des décennies. Par exemple, le
procès contre le monopole du téléphone, ATT, a duré
un siècle.
En Europe la question commence à se poser. La Direction
générale de la concurrence qui avait un pouvoir
d'appréciation sans limites dans ce domaine, commence maintenant
à être contre-arbitrée. En effet, la Cour de Justice vient
de considérer que, dans un certain nombre de cas, la Direction
générale de la concurrence était allée un peu trop
loin dans l'imposition de contraintes antitrust. Le dossier va donc être
très ouvert, ce qui va poser la question de la procédure. Le
droit européen est d'inspiration libérale, c'est à dire
avec une procédure de type accusatoire : nous avons le procureur, qui
dirige l'action publique, et le juge. Alors qu'aujourd'hui, la procédure
de l'instruction antitrust est de type inquisitoire, où l'administration
est souveraine, puisque, à la fois, elle conduit l'action publique et
prononce le jugement.
Nous connaissons deux cas d'application : le rapprochement de
l'électricité et du gaz, et l'ouverture du transport. L'ouverture
du transport est la vraie condition de la concurrence. Il faut distinguer
l'ouverture légale et l'ouverture de fait. L'expérience de
l'ouverture à la consommation finale, comme dans la
téléphonie mobile par exemple, montre qu'elle a peu d'effets. En
revanche les effets sont importants sur la fraction du marché
professionnel, déjà largement ouverte. La France pourrait
pertinemment porter l'attention sur l'ouverture du réseau
européen de transport (sujet sur lesquels les Allemands n'aiment pas
beaucoup s'exprimer). Notre monopole de ce côté-ci du Rhin ne
convient pas aux cartels qui se trouvent au-delà : l'Allemagne est le
pays des ententes alors que nous sommes le pays des monopoles publics !
ÉCHANGES AVEC LA SALLE
Philippe BODSON
Quel raisonnement a mené la Commission européenne à
accepter le rapprochement entre Eon et Ruhrgas ? Cela concerne tout de
même la création d'une entité extrêmement puissante...
Dominique RISTORI
La Commission ne s'est pas prononcée, elle a simplement
considéré que cette affaire concernait l'Allemagne, ce qui n'est
pas exactement la même chose.
Mais en Allemagne, cette affaire n'est pas encore définitivement
conclue. Nous suivons de très près ce dossier qui est encore loin
de sa phase finale. Nous sommes notamment attentifs à des points bien
identifiés, qui touchent le problème d'abus de position
dominante, celui des marchés relevants, gaziers et électriques en
l'occurrence, ou la part du chiffre d'affaires sur les marchés national
et européen ; c'est sur la base de ces critères bien connus
que la Commission pourrait être amenée à intervenir .
Je profite d'avoir la parole pour réagir aux propos de M. Stoffaës.
Je ne crois pas que des développements très spécifiques en
cours au niveau du Tribunal de première instance ou de la Cour de
Justice soient de nature à remettre en cause, en quoi que ce soit, le
fondamental de la ligne qui a été celle de la Commission depuis
le début, qui concerne la mise en place d'un cadre concurrentiel bien
compris en Europe. Cela a d'ailleurs été très
bénéfique à l'économie européenne en
général, à la compétitivité de laquelle
d'ailleurs tous nos débats, dont celui-ci, sont liés.
Christian STOFFAES
Nous sommes face à un théâtre d'arguments. Je propose, en
ce qui me concerne, d'élaborer une base d'arguments rationnels et
raisonnables susceptibles de nous donner une image positive. L'argument de la
procédure accusatoire en matière antitrust fait partie de la
conception libérale du droit. A mon sens il devrait être mis en
avant. Il pourrait en être de même avec celui de la non-ouverture
du réseau de transport allemand. Sortons d'un positionnement
défensif. Tant pis si on nous attribue le mauvais rôle, personne
n'est sans reproche. Nous savons qu'il n'y a pas de vérité
scientifique absolue, seule une bonne argumentation est efficace :
fourbissons-la pour en sortir. Il est temps pour la France de la faire valoir.
Philippe BODSON
Je rappelle que, lorsqu'en Belgique il y a eu rapprochement entre le gaz et
l'électricité, la Commission n'a pas attendu que
l'autorité nationale tranche : elle s'est directement saisie du dossier.
Serait-il donc normal que la Commission présente des différences
de comportement face à un "grand" pays et face à un "petit"
pays... ?
Jean-Sébastien LETOURNEUR
, Président de l'UNIDEN
J'adhère aux propos de Monsieur Stoffaës lorsqu'il dit que tout va
bien si le transport est bien séparé. Cela fonctionne
effectivement très bien pour l'électricité.
Mais pour le gaz, si l'on considère que le transport, ce sont les tuyaux
et les pompes, on risque de passer à côté du
problème, dans la mesure où l'on oublie le stockage et les
terminaux méthanier. Ce point important commande la non-discrimination
en matière de gaz. J'aimerais connaître l'avis de Monsieur Ristori
sur cette question.
Dominique RISTORI
Je suggérerais tout d'abord à notre collègue belge de
demander aux autorités allemandes leur avis sur les relations de
l'Allemagne avec la Commission européenne : la réponse risque
d'être édifiante.
En ce qui concerne ce problème du gaz, je souscris largement à la
position de M. Letourneur. Beaucoup de discussion concernant la première
directive ont eu lieu sur cette question du stockage. C'est un des points qui
fait et fera l'objet de négociations à l'occasion de la nouvelle
directive gaz.
En ce qui concerne le transport de l'énergie, il ne peut pas être
laissé aux seules forces du marché. Ce serait mettre en danger le
bon fonctionnement du marché intérieur. Mais il ne peut pas non
plus être abandonné entre les mains d'une seule entreprise
verticale en situation de monopole, sous peine de gêner les nouveaux
entrants. Nous nous efforçons de définir des points
d'équilibre au travers de l'approche de la séparation juridique
que nous avons proposés. De ce point de vue la France n'est pas le
modèle négatif en Europe ! Elle l'est par contre quand elle ne
transpose pas la directive gaz, se mettant ainsi hors de la loi
européenne, ce qui affecte la sécurité juridique tout
entière.
Mais lorsque son gestionnaire de transport électrique opère dans
les meilleures conditions possibles en l'état actuel du droit, sous le
contrôle de son autorité de régulation, nous le saluons,
comme nous saluons la pertinence du débat général en
France sur la politique énergétique.
Christian STOFFAES
La question posée est : peut-on intégrer des installations de
haute technologie pour le stockage, des usines de liquéfaction et des
terminaux à l'infrastructure monopolistique qu'est le réseau de
gazoducs ? Comme pour la question de l'antitrust, c'est une question de
débat et d'argumentaire. Voyons l'exemple d'Enron, transporteur à
l'origine de gaz régulé, c'est-à-dire obligé de
transporter pour compte de tiers et contraint au principe de
spécialité, moyennant un tarif transparent. C'est l'abrogation au
milieu des années 1980 du système de régulation qui a
permis à Enron de devenir un trader, avec le succès et la chute
finale que l'on sait. Le système européen actuel est un
système de trading, du fait que les entreprises gazières sont des
transporteurs qui ont le monopole d'importation. La question de l'introduction
de la notion d'accès transparent aux réseaux de transport, peut
alors se poser : c'est-à-dire la transformation des acteurs gaziers en
établissements publics ou quasi publics régulés.
Jean-Sébastien LETOURNEUR
Précisons que les tuyaux internationaux ne font pas partie de ce
débat. Nous parlons du transport sur un territoire national, par
exemple. C'est cela qui doit être séparé et mis à
l'abri de tous les intérêts.
Dominique DRON
, présidente de la Mission
interministérielle de l'effet de serre
Nous parlons de politique énergétique, et surtout beaucoup
d'offre énergétique. Une politique énergétique
détermine les offres en fonction des quantités de besoins ou de
demandes, mais aussi en fonction de la nature et de la substituabilité
possible des énergies. On a rappelé la montée de la
dépendance énergétique de l'Europe, mais sans mentionner
que cette montée était due pour plus de 90 % à la
croissance de la consommation des transports, passagers et fret.
M. Ristori a souligné la nécessité pour l'Europe de
veiller à sa compétitivité énergétique.
Comment l'Union européenne conçoit-elle de répondre
à cette nécessité, compte tenu que le temps de turn-over
des technologies pauvres en carbone est tel que nous ne résoudrons pas
notre problème avec cela ?
Dominique RISTORI
Dans les derniers mois, nous avons progressé plus que quiconque en ce
qui concerne la mise en place d'un cadre réglementaire pour la
maîtrise de l'énergie et pour les énergies renouvelables.
Nous souhaitons par ailleurs non seulement la diversification des choix
énergétiques, mais aussi que soit encouragée l'utilisation
des sources d'énergie qui contribuent à la fois à notre
moindre dépendance énergétique et à ne pas aggraver
notre production de CO².
En ce qui concerne le transport, nous avons proposé une révision
drastique de la politique des transports en direction du rail (notamment pour
le fret), ce qui devrait permettre de progresser sur une ligne plus compatible
avec les accords de Kyoto.
DEUXIÈME TABLE RONDE :
OBJECTIFS ET LIMITES DE
L'OUVERTURE
DES MARCHÉS DE L'ÉNERGIE
Intervention de M. Jean Besson, sénateur de la
Drôme,
rapporteur pour avis sur le budget de l'Energie du
Sénat
Un
certain flou existe actuellement en ce qui concerne les objectifs de la
politique énergétique européenne. Je suis pour ma part
convaincu de la nécessité de diminuer le coût de
l'énergie pour accroître la compétitivité de nos
entreprises, comme de la nécessité de préserver une
tarification qui ne lèse pas les consommateurs domestiques. C'est dans
ce cadre général que doit être examinée la structure
de la production énergétique de l'Union européenne, et
notamment la place qui sera donnée au nucléaire. Il appartient
aux décideurs publics de souligner l'importance de la contribution du
nucléaire pour respecter nos engagements de Kyoto.
Je voudrais vous faire part des interrogations suscitées dans les
collectivités locales -- qui sont propriétaires et, donc,
autorités concédantes des réseaux de distribution
d'énergie -- concernant la qualité du service
délivré au client.
Les financiers vont détenir un pouvoir grandissant dans les entreprises
historiques. Ces experts en ratios et graphiques seront-ils sensibles à
la nécessité de conserver la qualité du service rendu au
consommateur ? C'est l'enjeu de la libéralisation pour les
collectivités locales.
Les élus locaux, dont nous sommes les représentants, sont par
ailleurs très attachés au maintien d'instruments de
péréquation propres à la France, qui ont permis d'assurer
l'égalité de nos concitoyens vis-à-vis du service public
de l'énergie. Il nous appartient de nous assurer que l'ouverture des
marchés européens ne servira pas de prétexte pour
affaiblir ces mécanismes de péréquation territoriale.
Intervention de M. Gérard Mestrallet,
président-directeur
général de Suez
Suez,
à travers Tractebel, est l'un des opérateurs les plus
internationaux. L'énergie à l'international représente les
deux tiers de notre chiffre d'affaires, et dépasse les 50.000
mégaWatts, dont la moitié en Europe. Nous sommes fort
intéressés par les sujets dont nous débattons aujourd'hui,
d'autant que Tractebel est présent aussi sur le marché du gaz,
depuis 1994, avec Distrigaz.
Nous étions réunis ici même il y a environ un an, selon la
même configuration. La crise californienne démarrait et nous
étions dans la perspective du Sommet de Barcelone. Beaucoup de choses se
sont passées depuis. Aux Etats-Unis par exemple, au-delà de la
crise californienne et de l'affaire Enron, la réalité est plus
complexe, plus profonde et plus grave. Elle ne résulte pas seulement
d'une insuffisance des capacités de production, ni des effets d'une
libéralisation plutôt mal conçue. Le modèle de
référence était celui du trading pur, dont nous nous
sommes délibérément écartés en ce qui nous
concerne.
Le Sommet de Barcelone a ensuite précisé le cadre de l'ouverture
du secteur à la concurrence. Nous sommes aujourd'hui
inévitablement dans la dynamique d'une telle ouverture. Elle est parfois
relativement mal vécue ; certains craignent une remise en cause des
acquis sociaux, un abandon des missions de service public, une faillite
à la californienne de systèmes électriques ou gaziers qui
seraient livrés à eux-mêmes.
Je crois que le cadre défini par les directives communautaires
écarte ces risques, tout d'abord parce que les objectifs sont assez
clairs. L'ouverture de ces marchés constitue une pierre angulaire
à la construction du grand marché intérieur,
lui-même garant de la prospérité des Etats membres. Un
marché ouvert offre, avant tout, la possibilité pour les
consommateurs de choisir leurs fournisseurs. Par ailleurs, la méthode
choisie me paraît bonne, accompagnée d'un calendrier
raisonnablement progressif. Rappelons que l'ouverture de ces marchés
européens va se faire de façon beaucoup plus homogène et
rapide qu'aux Etats-Unis, où les premiers éléments
d'ouverture datent d'une vingtaine d'années, et où la
liberté est largement laissée à chaque Etat, alors que
l'Europe impose une vitesse minimum à chaque Etat membre.
Il faut bien entendu que les institutions de marché soient bien
dessinées, et qu'il y ait un bon "
market design
". Cela signifie
plusieurs choses.
Il est premièrement indispensable qu'il y ait un régulateur
indépendant, une institution efficace pour que le marché s'ouvre
et fonctionne. C'est au régulateur qu'il revient de veiller à ce
que notamment les obligations de service public indispensables ne soient pas un
prétexte pour introduire des distorsions de concurrence. C'est
également à lui, avec les gestionnaires de réseaux et les
producteurs, qu'il incombe de garantir la sécurité. Je tiens
à dire aussi que nous avons en France un système efficace de
régulation : je salue l'action de la Commission de régulation de
l'électricité. Il en est d'ailleurs de même en Belgique.
Nous livrons par exemple en France environ 70 sites industriels importants, ce
qui n'est pas le cas en Allemagne, contrairement à ce que l'on pourrait
penser compte tenu de la configuration de ces deux marchés. Le
marché allemand n'a toujours pas trouvé son régulateur, ce
qui donne un marché ouvert en théorie à 100 %, mais
fermé en pratique à 100 %.
La régulation doit par ailleurs être soucieuse des
réalités économiques et techniques. C'est
l'économie qui commande la séparation juridique d'une part des
réseaux de transport d'électricité et de gaz, monopoles
naturels porteurs de faibles risques, et d'autre part des activités de
production et de commercialisation, qui sont, par nature, concurrentielles.
Pourquoi est-il difficile d'alimenter les grands consommateurs industriels en
Allemagne ? Il existe cinq réseaux de transport, chacun étant la
propriété d'un producteur, donc d'un concurrent. On comprend la
difficulté de traverser parfois un, deux ou trois réseaux
différents... pour livrer un client. Cette séparation est donc
une nécessité.
J'ajouterais qu'il ne faut pas qu'une régulation tarifaire trop stricte
décourage l'investissement en développement des réseaux et
des interconnexions ou bien s'étende à des activités qui
ne sont pas de son ressort.
Un troisième axe d'effort concerne les instruments financiers : ils
doivent être adaptés aux spécificités du secteur,
notamment de l'électricité.
On entend dire, dans l'affaire Enron notamment, que le trading est le
fléau absolu. Je pense le contraire. Il faut apporter au secteur de
l'électricité une flexibilité en élaborant des
instruments adaptés à la gamme des prestations. Il faut des prix
à terme qui se forment sur un marché qui puisse avoir une
profondeur et une liquidité suffisante pour équilibrer l'offre et
la demande. Mais le marché ne doit pas défier les lois de la
physique ! L'électricité ne se stocke pas et ne se livre pas par
ondes hertziennes ! Faute de véritables parcs de production et de
véritables réseaux de transport, les choses finissent par tourner
mal : c'est pour cette raison d'ailleurs que nous avions décidé
de ne pas suivre le modèle Enron.
ÉCHANGES AVEC LA SALLE
Bernard GERVAIS
, chargé de mission
à
la Mission stratégie et politique de la direction transport - Gaz de
France
L'indépendance du régulateur est double : elle s'exerce
vis-à-vis de la profession, mais aussi vis-à-vis des
autorités de l'Etat. Qu'en est-il selon vous de cette
dernière ?
Vous savez que, dans le projet de directive, l'Allemagne a fait passer
l'idée qu'il n'y ait pas d'indépendance vis-à-vis de
l'Etat.
Gérard MESTRALLET
Je dirai que l'indépendance fonctionne bien. Je suis pour une
régulation la plus indépendante possible. Le Bundes-KartelAmt,
pour être clair, ne me paraît pas être le régulateur
idéal...
Olivier SCHNEID
Puisque
vous devez nous quitter, puis-je vous poser une dernière question qui
éclairera la table ronde de cet après-midi intitulée :
Quels choix pour Electricité de France et Gaz de France ?
Vous avez déjà déclaré que vous n'étiez pas
demandeur pour entrer dans le capital au simple titre de partenaire financier,
mais que vous étiez aussi demandeur d'alliance industrielle. La
configuration politique actuelle et l'approche de l'échéance vous
amènent à quelles réactions ?
Gérard MESTRALLET
Ces deux entreprises disent avoir besoin - aux mêmes conditions que les
autres - de l'accès au marché des capitaux, et donc de suivre
aussi la même discipline de contrainte que les entreprises cotées,
comme la nôtre. Cela me paraît une évolution naturelle.
Par principe, effectivement, nous ne sommes pas intéressés
à prendre des participations. Nous sommes, en revanche,
intéressés par des coopérations industrielles,
commerciales, techniques ou technologiques avec ces groupes. Nous sommes par
exemple déjà associés avec GDF pour le réseau de
froid de la Ville de Paris. S'il faut entrer au capital pour établir
d'autres coopérations de ce type, pourquoi pas... mais ce n'est pas
notre priorité.
Intervention de M. Jean Syrota, président
de la Commission de
régulation de l'électricité
(CRE)
Pourquoi
développer la concurrence dans le cadre du marché unique ?
On recherche tout d'abord l'efficacité économique,
c'est-à-dire une diminution des prix, toutes choses égales par
ailleurs, pour les consommateurs, en supprimant les monopoles, excepté
les monopoles naturels que sont les réseaux publics de transport et de
distribution, qui sont eux-mêmes soumis à régulation et
à accès libre et non discriminatoire.
La sécurité d'approvisionnement sera améliorée par
le décloisonnement des marchés, ce qui ne signifie pas
qu'à lui seul le marché suffit à assurer cette
sécurité.
L'ouverture du marché en France est effective, d'autres que moi l'ont
déjà constaté. Elle reste compatible avec l'existence d'un
service public défini par la loi. Ce service public a un coût,
estimé à 0,3 centimes d'euro par kWh pour 2002, du fait de la
péréquation tarifaire et les obligations d'achat
d'électricité provenant de cogénérations. Dans les
années suivantes s'ajouteront des obligations d'achat d'énergies
nouvelles, en particulier des éoliennes, ce qui pourrait porter ce
coût à 0,6 centime d'euro, soit 20 % du prix de
l'électricité pour les plus gros consommateurs. Une telle hausse
pourrait plus que compenser la baisse due à la concurrence.
Le but affiché de l'organisation du marché unique est, d'une
part, qu'il y ait dans chaque Etat-membre un accès régulé
des tiers aux réseaux, d'autre part, un régulateur sectoriel et,
enfin, que les gestionnaires de réseaux aient une neutralité
garantie. Cela existe pour l'essentiel déjà dans tous les
Etats membres, excepté en Allemagne. Notons que, dans les derniers
projets de directive, l'obligation d'avoir un régulateur sectoriel n'est
pas retenue.
Il s'agit par ailleurs de faire en sorte qu'entre les Etats membres, la
circulation de l'électricité se fasse de manière aussi
fluide qu'à l'intérieur des marchés nationaux, ce qui est
loin d'être le cas. Les surcoûts pour le passage d'un réseau
à l'autre peuvent être relativement importants, plus
élevés parfois que le prix du transport. Il s'agit là
d'obstacles sérieux à la concurrence. Rien n'empêche de
supprimer ces quasi péages aux frontières, même en cas de
congestion. La congestion rend impossible le passage de la totalité des
quantités d'électricité souhaitées, mais à
la place des enchères on peut réguler ce passage par un
système de prorata : des systèmes existent, suffisamment
sophistiqués pour empêcher ou limiter le pouvoir de marché
des opérateurs historiques.
Pour progresser, il faut développer les capacités
d'interconnexion internationales, ce qui est, bien évidemment, plus
facile à dire qu'à mettre en oeuvre, notamment lorsqu'il s'agit
de traverser des montagnes ou des bras de mer : ceci écarte à
court terme les îles et les péninsules, soit environ une
moitié des Etats membres. Sur l'Europe continentale, qui pourrait
être un marché unique, les Pays-Bas sont isolés par des
prix très élevés d'enchères aux interconnexions
à leurs frontières ; l'Allemagne est protégée par
son système d'autorégulation ; la Belgique ne semble pas
souhaiter aller dans le sens du renforcement des interconnexions avec la France
notamment... Donc, on est loin du marché unique de
l'électricité. Il manque une volonté politique.
En ce qui concerne l'avenir, nous, les régulateurs, sommes
peut-être les moins bien placés pour y réfléchir,
puisque nous travaillons dans un cadre fixé par la Commission
européenne et par le Parlement. La réflexion que je vous livre
est donc plus personnelle qu'institutionnelle.
En France la seule concurrence significative ne peut venir que de l'Europe.
Les consommateurs et les producteurs français ont tout à gagner
de l'entrée résolue dans un marché unique européen
de l'électricité.
La situation actuelle d'EDF est considérée à
l'étranger comme insupportable par les politiques et les
électriciens en raison de sa prédominance et de son monopole sur
le marché français. Par contre, sur un vrai marché unique
européen, EDF n'aurait plus de position dominante, se trouvant à
moins de 25 % du marché et conserverait ses capacités
à lutter pour gagner dans cette situation de concurrence.
Mon étonnement est donc que l'on n'aille pas plus vite et plus
résolument vers cette nouvelle configuration qu'est le marché
unique.
Intervention de M. André Merlin, directeur général de
Réseau de transport d'électricité
(RTE),
président de l'Association des GRT européens
(ETSO)
Le
rôle premier des gestionnaires de réseaux est de gérer, en
toute sécurité les flux d'électricité sur les
réseaux de transport, mais nous avons également pour mission
d'entretenir et de développer ces infrastructures. Telles sont les
principales missions qui nous ont été confiées par la
directive européenne.
On peut dans un premier temps s'interroger sur la rapidité de
l'ouverture du marché de l'électricité français
malgré le relatif retard de la transposition de la directive 96/92 en
droit français.
Si nous avons pu bénéficier des expériences de nos
collègues gestionnaires de réseau précurseurs, quatre
principales raisons, exposées ci-après, nous ont permis
d'atteindre plus rapidement le degré d'ouverture requis.
Tout d'abord, la bourse d'électricité en France que nous avons
créée dès novembre 2001. En six mois de fonctionnement,
les volumes échangés par ce mécanisme ont
été multipliés par dix sans problèmes techniques et
à des tarifs proposés tout à fait comparables à
ceux proposés sur les autres places.
Un autre point, moins connu, a été le développement du
marché de gros par des échanges bilatéraux. Les
gestionnaires de réseaux ne peuvent pas gérer efficacement
l'ensemble des transactions de par leur multiplicité. C'est pourquoi,
nous avons mis en place les contrats de "responsables d'équilibre",
permettant aux opérateurs de mutualiser les risques tout en simplifiant
le suivi des échanges commerciaux. Très vite ceux-ci se sont
opérés entre les responsables d'équilibre. Le volume
échangé aujourd'hui est d'environ 10 milliards de kWh par
mois, soit un quart de l'énergie physique transportée.
Un autre point important est la mise en place de mécanismes
non-discriminatoires pour la gestion des capacités d'échange
entre le réseau français et les réseaux voisins. La
gestion des interconnexions, avec des capacités techniquement
réduites, est bien évidemment sensible pour l'ouverture du
marché européen. Il fallait donc avancer sur ce point et
très vite. Dès le mois d'avril 2001, avec notre homologue
britannique, nous avons mis en place un système d'attribution des
capacités d'échanges par enchères. Avec l'Italie, nous
avons instauré un système d'attribution au prorata, tel que nous
l'a décrit précédemment M. Syrota. Nous travaillons
actuellement avec la Belgique sur un système d'allocations conjointes de
nos capacités. En ce qui concerne la péninsule ibérique,
nous attendons une évolution législative espagnole qui permettra
de mettre en place un système identique désormais indispensable
pour attribuer en toute transparence les capacités encore trop
réduites entre nos deux pays.
Enfin, pour témoigner de notre volonté commune d'ouvrir le
marché européen: nous avons instauré, depuis le 1er mars
2002, un système de compensation qui supprime les péages de
transit sur l'ensemble de l'Europe continentale.
L'ouverture du marché de l'électricité est donc une
réalité qui s'affirme davantage chaque jour.
La première directive européenne a constitué une base
solide pour la construction d'un marché européen. Par ailleurs,
la loi de transposition en France a permis d'aller plus loin dans
l'indépendance du gestionnaire de réseaux de transport. S'il n'a
pas encore sa propre personnalité juridique, il a cependant suffisamment
de droits et de devoirs pour garantir aujourd'hui son indépendance. On
pourrait penser dès lors qu'il serait envisageable d'aller plus loin,
jusqu'à cette indépendance juridique totale. Mais la directive
96/92CE a laissé le principe de subsidiarité s'appliquer sur ce
thème.
Mais désormais, il convient de tirer les leçons de cette
première expérience de libéralisation pour la prochaine
directive et pour les évolutions institutionnelles futures en France.
Pour développer un véritable marché intégré
de l'électricité en Europe, il faut créer toutes les
conditions pour assurer la fluidité du marché. Mais, cette
ouverture doit s'accompagner de transparence et d'indépendance totale
des acteurs. A cette fin, les gestionnaires de réseaux doivent
être pleinement indépendants, ainsi que les autorités de
régulation nationales afin qu'elles puissent définir des
règles ex ante et en contrôler l'application.
Enfin, les tarifs d'accès aux réseaux doivent être
transparents, publics, et permettre ainsi un accès des tiers aux
réseaux totalement équitables. Il est également
nécessaire de développer davantage les interconnexions, en
particulier là où l'on connaît les congestions les plus
importantes.
Intervention de M. Charles Fiterman, membre de la section
des
activités productives, de la recherche et de la technologie
du
Conseil économique et
social
Deux
observations préliminaires. En premier lieu, l'évolution du
paysage énergétique en France est souvent présentée
comme une obligation découlant de décisions prises à
Bruxelles. Mais les orientations européennes sont des tentatives de
réponse à des besoins issus des modifications profondes
intervenues dans l'offre et la demande au fil des décennies. On peut
discuter de certains choix, mais il faut répondre à ces besoins.
Au surplus, un niveau européen est, dans un certain nombre de cas, le
plus pertinent.
Par ailleurs le débat sur l'ouverture se réduit souvent à
opposer les « pour » et les « contre »,
les libéraux et les étatistes. Le Conseil économique et
social n'a souscrit à aucun de ces postulats.
Notre démarche est partie des objectifs à atteindre et des
besoins à satisfaire.
Il s'agit de parachever le marché unique, et il est bien entendu
impensable que le marché de l'énergie en soit exclu.
La demande croissante doit être satisfaite, en volume et au meilleur
coût, en veillant à ce que ne s'instaure pas un paysage à
deux vitesses.
La qualité est également un besoin à satisfaire, en
fonction de la diversité des demandes.
D'autres objectifs ont déjà été
évoqués. La sécurité d'approvisionnement en fait
partie. Nous sommes très attentifs à cet aspect, en tenant compte
de la dimension de long terme indispensable dans un tel domaine.
Les préoccupations environnementales et la nécessité
d'inscrire nos politiques dans le développement durable doivent
également être intégrées à nos
réflexions.
La sécurité des installations présente des implications de
toutes sortes. Ce paramètre est et sera de plus en plus important dans
le choix des politiques nationales et des stratégies industrielles.
Enfin, l'objectif de la cohésion sociale est particulièrement
important, notamment en ce moment, pour ne pas laisser le champ libre aux
démagogies de toutes sortes.
C'est donc en fonction de ces objectifs que le Conseil économique et
social approuve le processus d'ouverture engagé à
l'échelle européenne, et considère qu'il doit aller
à son terme raisonnable. Cette ouverture doit d'ailleurs être
considérée comme un fait, elle n'est pas le débat de fond.
Dans le même temps, il est parfaitement possible, comme cela a
été dit, et c'est en ce sens que le CES s'est prononcé, de
maintenir un espace significatif et nécessaire d'intervention publique,
voire de maîtrise publique, dans des formes et à des niveaux
diversifiés pour répondre aux objectifs d'intérêt
général. En France, la propension, lorsque l'on traite de tels
problèmes, est de raisonner d'abord en termes de structures plutôt
qu'en termes de missions ou de contenus. La démarche du Conseil
économique et social est de développer le débat en se
mettant tout d'abord d'accord sur les missions pour ensuite définir les
meilleures structures. Les évolutions très importantes du paysage
énergétique impliquent, une fois que l'accord sur les objectifs
est établi, que les structures elles-mêmes évoluent.
La contribution du CES peut aider au débat national nécessaire,
à la réalisation des réformes importantes qui sont
à l'ordre du jour, et à la création des conditions qui
nous permettent d'être plus offensifs sur le terrain européen.
Nous avons été trop frileux et attentistes, persuadés
qu'en appliquant la stratégie du bastion assiégé nous
pourrions tenir et nous en sortir.
Intervention de M. André Bohl, président de l'Association
nationale de régies de services publics et des organismes
constitués
par les collectivités locales
(ANROC)
Après la France et l'Europe « d'en
haut », je vais peut-être revenir à la France
« d'en bas »...
L'Europe a voulu des règles communes pour les marchés
intérieurs de l'électricité et du gaz, des mesures de
transposition ont été prises en France et une proposition
modifiée va accélérer le processus pour obtenir une
ouverture du marché aux non-résidentiels au 1er janvier 2004.
Actuellement, l'ouverture du marché concerne 2 000 clients, pour 16
gigawattheures de consommation par site ; en 2004 nous aurons 3 millions de
clients. Il faudra gérer ce parc, avec un objectif majeur : la
séparation de la production, de la fourniture et éventuellement
de la propriété, de la gestion des réseaux de transport et
de distribution, cette dernière restant dans le cadre du monopole
naturel.
En vertu de la loi fondatrice de 1946, rappelons-le, il existe
parallèlement à EDF et GDF des entreprises locales de
distribution dont les statuts juridiques sont très divers. Ce sont
cependant les collectivités publiques qui restent les autorités
organisatrices. On oublie trop souvent que l'Etat est propriétaire du
réseau de transport, même s'il en a confié la gestion
à EDF. Dans le contexte futur, on peut s'interroger sur la
capacité des collectivités locales à être
considérées comme légitimes et souhaitables dans ce
secteur d'activité, pour permettre aux entreprises locales de
distribution, qui constituent une alternative à la concession, de
pouvoir continuer à exercer leurs prérogatives au moins à
égalité de chances avec les autres opérateurs, ceci
à l'échelle européenne.
Le rôle de l'Etat reste important à ce niveau de la
subsidiarité. Certains pays ont adapté leur législation,
ce qui a pu être facilité par leurs structures
fédérales, comme en Belgique.
En ce qui concerne la France, il faut évoquer trois évolutions.
Il faut tout d'abord dépasser la territorialité. Pour
accéder au marché, il faut avoir capacité à
contracter pour les non-résidentiels, dont les collectivités
locales sont d'ailleurs partie intégrante. Il serait paradoxal que ces
collectivités puissent contracter pour elles-mêmes, mais pas en
tant que distributeur d'énergie.
Il faut ensuite accepter le principe de spécialité. On ne peut
pas être présent sur le marché des non-résidentiels
sans apporter des services en aval.
Il faut enfin permettre l'évolution de la forme juridique des
entreprises locales vers un statut de type société anonyme
à 100 % municipale, ce qui est actuellement impossible en France.
Sans ces évolutions, nous pourrions être amenés à
regretter la disparition en France de l'exercice du service public par des
entreprises ou des services publics locaux. De plus, nous renforcerions les
objections que l'Europe pourrait faire à EDF, puisque selon la loi de
1946, la disparition d'une entreprise locale de distribution entraîne
automatiquement le transfert de sa concession à EDF.
Une autre interrogation concerne le plan technique, abordé par la
deuxième directive. La moyenne tension en France est de 20.000
volts ; à l'étranger, elle est de 110.000 volts. Les
opérations de transposition devront être attentives sur ce point,
car il concerne directement l'aménagement du territoire.
Sur le plan financier, le problème le plus fondamental est celui du
régime des retraites, dont celui des 7.500 salariés des
entreprises locales de distribution, qui sont gérés par
EDF-GDF-Pensions. Nous avons demandé que cette fraction soit
considérée comme coût échoué, mais le 8
juillet 1999, la Commission européenne a réfuté les
conséquences tarifaires de la gestion directe par les entreprises des
engagements liés au régime spécial de retraite.
Un autre problème concerne la façon dont nous finançons
les réseaux. En France, l'urbain est financé de manière
entrepreneuriale par EDF ou les entreprises locales ; le rural est
financé par le fonds d'amortissement des charges
d'électrification, qui fait intervenir une solidarité que
personne ne souhaite voir disparaître. Mais si cette pratique perdure,
où est la concurrence ?
Autre question, relative aux tarifs d'utilisation dans le cadre du
réseau d'acheminement, constitué du transport et de la
distribution. On s'oriente apparemment vers un tarif d'acheminement unique. Il
faudra donc préciser la séparation entre la part qui va au
transport et la part qui va à la distribution.
Par ailleurs, sur le plan comptable, la séparation des activités
de production et de distribution se complexifie, puisque l'on doit distinguer
résidentiels et non-résidentiels, éligibles et
non-éligibles. Ces problèmes ont été
évoqués par la directive en fixant un niveau d'intégration
dans les entreprises d'un certain nombre de clients. Ce problème sera
posé aux autorités. Dans une phase transitoire plus ou moins
longue, deux régimes coexisteront : un régime administré
pour les résidentiels et un régime ouvert à la concurrence
pour la fourniture aux non-résidentiels.
Ces diverses considérations militent pour une évolution des
contraintes actuelles liées aux statuts juridiques des entreprises
locales en général, permettant à celles du secteur de
l'électricité et du gaz d'assurer leur exploitation au mieux des
intérêts de leurs collectivités supports,
propriétaires des réseaux de distribution, responsables de
l'aménagement du territoire, qui ont des devoirs vis-à-vis des
usagers consommateurs. Nous devons rechercher une forme de
décentralisation qui reste à inventer. Aux parlementaires de
mettre en page cette belle histoire...
Intervention de M. Claude Turmes, député européen,
rapporteur de la commission Industrie, commerce extérieur, recherche et
énergie
du Parlement
européen
La
France est l'un des seuls pays où se tienne vraiment un débat sur
la question de l'énergie. La plupart des politiques européens,
mais aussi internationaux semblent penser qu'il n'y a pas de différence
entre la libéralisation d'un marché virtuel comme celui de la
téléphonie mobile et celle du marché de
l'électricité.
La première directive européenne a eu des conséquences
positives, mais elle n'a pas su remédier à un certain nombre de
problèmes que nous connaissons sur le marché
européen :
Il y a très peu de bénéfice pour les petits consommateurs.
Nous avons d'énormes distorsions entre les acteurs économiques et
entre les différentes formes de production, notamment en ce qui concerne
les coûts externes ( les coûts non payés de pollution de l'
environnement ou les risques non assurés).
Certains dirigeants bénéficient de salaires mirobolants -- ce qui
explique peut-être pourquoi ils sont pour la libéralisation... --
et face à cela nous avons perdu 300.000 emplois en Europe dans le
secteur de l'énergie à la suite de rationalisations.
La deuxième directive devrait favoriser l'émergence d'un
véritable marché européen. Il faut pour cela que les flux
physiques soient améliorés, mais aussi que les distorsions
diverses soient gommées.
En ce qui concerne les clients domestiques, le Parlement européen est
majoritairement pour une ouverture très rapide. Pour ma part, je
prône un débat dépassionné basé sur des faits.
En Angleterre, après beaucoup d'efforts pour faire profiter les petits
clients de l'ouverture, les résultats sont très décevants.
La baisse qu'ils ont connue est exclusivement due à la réduction
des coûts de distribution et de transport, alors que la part du
coût relative à la production a augmenté. J'aimerais que la
France lance et mène le débat sur la nécessité
d'une ouverture total aux petits clients.
Dans le domaine des clients domestiques, je suis favorable à une
compétition de systèmes, entre un système d'ouverture
totale pour les petits clients dans certains pays et un système de
concession à la française, dans lequel plusieurs communes, par
exemple, pourraient se réunir pour procéder à des appels
d'offres.
En ce qui concerne les réseaux, nous avons déjà
évoqué le cas allemand. Sur le plan diplomatique, les Allemands
ont largement battu la France. Ils ont verrouillé leur marché en
le laissant ouvert sur le papier, puis en baissant artificiellement le prix de
l'électricité et en gonflant les coûts de distribution et
de transport. Ceci a été rendu possible par l'absence de
régulateur. Le marché parait ouvert sur le papier mais est de
facto verrouillé.
J'espère une alliance entre la France et la Grande-Bretagne pour aller
vers une régulation plus forte et une vraie séparation entre les
intérêts du réseau et ceux de la production. On constate
que les pays qui ont intelligemment libéralisé, comme la
Norvège, ont en fait renationalisé le réseau.
Les réseaux sont la colonne vertébrale du système, je ne
crois pas qu'il faille pousser leur privatisation. Je suis favorable à
un RTE national, mais on pourrait éventuellement "régionaliser"
la distribution.
Pour le rail, la régionalisation s'est avérée très
bénéfique pour le service. De même, dans le cas de
l'énergie, on pourrait envisager pour la France qu'il y ait une dizaine
de régions couvrant la distribution. Un tel modèle serait
également bénéfique pour les salariés et donc plus
acceptable pour les syndicats.
Les distorsions de concurrence que j'évoquais précédemment
méritent également débat, me semble-t-il.
Une des distorsions les plus substantielles dans le marché
européen se fait à partir de l'utilisation des fonds de
démantèlement. Alors qu'en principe ces fonds devraient assurer
le financement du démantèlement des réacteurs et de la
gestion (sur des centaines d'années) des déchets, les
opérateurs tels que EDF, E.ON et RWE ont bâti leurs empires avec
cette « cagnotte » dont d'autres opérateurs comme
ENEL ou Vattenfall ne disposent pas.
Théoriquement, EDF devrait avoir aujourd'hui 60 milliards de francs pour
financer le démantèlement et la gestion des déchets du
nucléaire. Le problème est double: nous construisons actuellement
un marché européen avec des acteurs qui ont des cagnottes et
d'autres qui n'en ont pas et, en plus, nous exposons les citoyens au risque de
devoir payer si un de ces opérateurs était mis en faillite. Un
autre problème majeur concerne les dominations de marchés. Je
suis déçu du travail de la Commission européenne sur ce
domaine, qui ne semble pas prendre ce sujet au sérieux. Cela a pourtant
été l'une des origines de la crise californienne. Nous disposons
de critères de mesure, comme les ratios de concentration. En Allemagne,
le Bundeskartelamt était très strict sur les fusions. Depuis
qu'existe le marché européen, il perd en importance politique.
Les Allemands sont dans une logique de politique industrielle qui consiste
à construire deux champions européens et voire même
mondiaux. D'après mes dernières informations, la fusion
Eon-Ruhrgas va se faire, ce qui peut représenter la fin du
marché, puisque tous les autres acteurs devront suivre cette dynamique.
Même si l'on considère que la plaque continentale est le
marché de référence, dans lequel on doit considérer
les flux physiques réels, le phénomène de concentration a
déjà atteint un niveau trop élevé.
ÉCHANGES AVEC LA SALLE
Olivier SCHNEID
Monsieur Turmes, vous nous disiez que si la fusion Eon-Ruhrgas se faisait, ce
serait la fin du marché. Que dire de la fusion EDF-GDF ?
Claude TURMES
Le débat doit être lancé. A Barcelone, les chefs d'Etats
ont discuté pendant des heures sur la question de l'ouverture totale du
marché. Mais cela n'est pas important pour le fonctionnement du
marché en ce moment. Les questions importantes sont les distorsions de
concurrence, les fonds de démantèlement, l'accès aux
réseaux et les régulations. Si nous ne nous occupons pas de cela,
il n'y aura pas de marché concurrentiel ! Chaque grand opérateur
construira son petit royaume.
Christian MARMAIN
, Président directeur
général de SCH Consultants
De la part d'un député Vert, je m'attendais à entendre des
attaques contre la politique européenne de l'énergie, et à
recevoir des propositions...
J'aimerais connaître votre position sur le nucléaire, à la
suite des décisions qui ont été prises en Finlande, et les
propositions des Verts pour faire évoluer la politique
énergétique.
Claude TURMES
Dernièrement, lors d'une table ronde, l'économiste Philippe
Herzog a dit que j'étais un Vert... intelligent ! La question du
nucléaire ne peut pas être résolue au niveau
européen. Si la France veut s'engager dans le nucléaire, qu'elle
le fasse, mais il ne faut pas de distorsions sur le marché. Monsieur
Lamy lui-même dit clairement que le nucléaire est une question
relevant de la subsidiarité, une question nationale. La Commission
européenne abuse de la discussion à propos du Livre Vert sur la
sécurité d'approvisionnement pour relancer le nucléaire.
Je préfèrerais qu'elle agisse sur notre dépendance par
rapport au pétrole, liée au transport, ce qui est un vrai
problème.
Concernant les énergies renouvelables, les Français n'ont pas
seulement perdu contre le Danemark au Championnat du monde du football, ils ont
aussi perdu la bataille du positionnement sur le marché mondial des
énergies renouvelables, face à un "nain industriel" comme le
Danemark ! Les Allemands ont compris : ils seront numéro 1 mondial
sur ce marché cinq fois plus important que le marché du
nucléaire.
Dominique RISTORI
Il suffirait, je crois, d'interroger les responsables actuels du gouvernement
danois pour modérer l'enthousiasme relatif à leur
expérience sur les énergies renouvelables.
Claude TURMES
Le secteur éolien au Danemark est tout de même aujourd'hui le
troisième employeur du pays...
Dominique RISTORI
En ce qui concerne le nucléaire, nous disons qu'il faut un débat
sans tabou ni préjugés qui analyse les avantages et les
inconvénients. Le nucléaire n'émet aucun gaz à
effet de serre, ce qui constitue un atout irremplaçable par rapport aux
objectifs de Kyoto. C'est par ailleurs un élément essentiel pour
la réduction de notre dépendance énergétique. Un
dernier point concernant les fonds de démantèlement, qui ont
été évoqués. Nous sommes attachés à
tous les éléments qui renforcent la sûreté,
notamment pour le traitement des déchets. Il est vrai qu'il faut
être attentif à ce que les provisions en la matière soient
disponibles quand il le faut, et qu'il n'y ait pas d'utilisation
déraisonnable de ces fonds. Une réflexion est lancée en ce
sens ; il y aura très probablement une initiative de la Commission
à ce sujet, à la suite du débat qui a eu lieu au Parlement
européen.
Olivier SCHNEID
Que diriez-vous, Monsieur Ristori, de ce risque de dérive du
marché unifié vers la constitution d'oligopoles, avec les deux
gros éléments que sont EDF et Eon ?
Dominique RISTORI
Soyons lucides et réalistes sur ces questions de concentration. On nous
reproche souvent au niveau européen de ne pas appuyer la mise en place
de structures industrielles puissantes qui soient le socle de notre puissance
industrielle. Par ailleurs, certains avancent que nous devrions être plus
sévères encore vis-à-vis de la constitution de grands
groupes. La vérité se situe, à mon avis, à un point
d'équilibre. Il faut prendre en compte deux notions fondamentales :
celle d'un marché relevant pour le secteur spécifique dont nous
parlons et celle d'éventuels abus de position dominante.
Alain DARNEY
, groupe SNPE
Mon intervention s'adresse à Monsieur Syrota, à propos de la mise
en oeuvre du Fonds du service public de la production
d'électricité (FSPPE) en 2002. Vous nous parliez de 3 euros
par mégawattheure et un certain nombre de questions se posent : quels
sont les liens, par exemple, avec les tarifs de transport, qui
intégraient des charges couvertes par le FSPPE ? Les 3 euros sont
calculés, je crois, sur la base de 425 terrawattheures : cela
couvre donc les consommations des particuliers et des éligibles, de
même que les importations. Comment est donc envisagée la mise en
oeuvre, quel contrôle la CRE va-t-elle mener sur ces points ?
Jean SYROTA
Je tiens d'abord à préciser que le chiffre calculé sur le
montant du FSPPE pour l'année 2001 est provisoire, il sera
révisé après vérification des surcoûts
constatés. Etant donné la façon dont la loi a
été faite, nous risquons effectivement de rencontrer des
difficultés pour vérifier que chacun contribue comme il le doit.
Les producteurs doivent payer, mais aussi les importateurs, ce qui complique
les choses, puisqu'il est nécessaire de vérifier s'ils importent
et combien ils importent ; or, il est parfois difficile de savoir
d'où vient l'électricité. Il m'arrive d'espérer
qu'une nouvelle loi vienne remplacer les modes de perception actuellement
prévus par des modalités plus simples qui consisteraient à
prendre comme assiette l'électricité qui transite sur les
réseaux.
Paul-Henri REBUT
, conseiller auprès du Haut commissaire
au CEA
Nous avons parlé du développement des énergies dans les
décennies qui viennent, mais peut-être faudrait-il voir
au-delà : quels développements pourraient intervenir à la
fin de ce siècle ? Quelques éléments de recherche sont
déjà visibles : le contrôle du CO², la combustion de
l'uranium 238, la séparation des actinides des produits de fission, le
vecteur hydrogène pour les transports, etc.
Mais comment la recherche pourra-t-elle exister s'il n'y a plus
d'opérateurs principaux ?
Claude TURMES
Pour ce débat sur l'avenir énergétique, je vous lance un
chiffre : il y aura, en 2020, 300 millions de nouveaux
réfrigérateurs. Il est plus important aujourd'hui de renforcer
les normes internationales de consommation minimum de ces appareils que
d'engager des débats stériles sur le nucléaire ou les
énergies renouvelables. La Commission européenne doit aller
au-delà des paroles et établir de vraies directives en ce sens
dans ce domaine.
TROISIÈME TABLE RONDE :
QUELLES OPTIONS POUR LA NOUVELLE
LÉGISLATURE ?
Intervention de M. Jacques Valade, sénateur de la
Gironde,
président de la commission des Affaires culturelles du
Sénat
L'énergie est un enjeu majeur dans le monde
d'aujourd'hui, le
fondement, pour un Etat comme la France, de son indépendance nationale,
sans se soustraire au contexte général européen et
international.
L'énergie n'est pas un bien comme les autres, dont les échanges
pourraient se faire à l'abri du regard des pouvoirs publics. Les choix
énergétiques relèvent de la responsabilité de
l'Etat. En ce sens, la volonté des politiques a toujours
été de préserver l'indépendance nationale et de
soutenir le développement économique. Ne disposant pas de
ressources énergétiques autochtones, la France a
été amenée à développer un programme
nucléaire ambitieux, à promouvoir les économies
d'énergie et les énergies renouvelables, tout en diversifiant les
approvisionnements extérieurs.
Mais nous venons de vivre cinq années d'incertitudes et
d'incohérence, pendant lesquelles les fondements mêmes de la
politique énergétique ont été
ébranlés en raison d'un certain nombre de concessions faites par
le gouvernement à sa majorité plurielle.
Concession aux Verts, tout d'abord, qui a entraîné la fermeture et
le démantèlement de Superphénix, un gâchis que l'on
ne peut que déplorer, sur le plan financier comme sur le plan technique.
Cette action ne visait qu'à satisfaire une promesse électorale et
a entraîné la dispersion de chercheurs et d'ingénieurs dont
le savoir-faire est mondialement connu.
Par ailleurs, le gouvernement précédent, toujours sous la
même contrainte, a repoussé la décision concernant la
construction du réacteur du futur, l'EPR, compromettant ainsi le
renouvellement à terme de notre parc nucléaire. Il est
indispensable de reprendre ce dossier afin d'être prêt au
renouvellement de notre parc.
Une concession a été ensuite faite au Parti communiste, qui s'est
traduite par le retard dans la transposition des directives européennes,
mettant ainsi la France au ban de la Communauté européenne.
Nombre de pays européens, en toute mauvaise foi, ont critiqué le
protectionnisme français, puis contesté et freiné le
développement international d'EDF et de GDF au nom de l'absence de
réciprocité. Les réactions en Espagne et en Italie face
à l'acquisition d'actifs par EDF ont bien montré
l'ambiguïté de la situation actuelle, sans parler de
l'indispensable évolution du statut juridique de ces entreprises afin de
favoriser l'ouverture du capital, ouverture à la réalisation de
projets industriels communs avec nos partenaires étrangers.
Aujourd'hui, cette parenthèse liée à la vie politique
semble heureusement refermée. Les fondements de notre politique
énergétique doivent maintenant être confirmés.
Quelles sont les grandes lignes de cette politique ?
Notre pays doit tout d'abord conduire une politique de l'énergie
soucieuse de l'environnement, cohérente avec le concept de
développement durable. La ratification du protocole de Kyoto est en ce
sens une étape décisive, l'Europe devant servir d'exemple aux
pays émergents. La France est un exemple en Europe : nous avons en 10
années réduit de 10 % nos émissions de gaz à effet
de serre. Nous devons maintenant aller plus loin, notamment dans le secteur de
l'habitat et des transports, où des réponses
décentralisées devront être privilégiées.
Pour l'industrie, en concertation avec les industriels, nous devons mettre en
place un marché d'échange des permis d'émission.
Parallèlement, la recherche dans le domaine de la meilleure utilisation
des ressources fossiles doit être accentuée. La contribution des
terres agricoles et des forêts à la réduction du carbone
atmosphérique doit être précisée et
intensifiée.
En second lieu, la politique énergétique doit se
préoccuper de garantir la sécurité de l'approvisionnement.
Pour cela une réflexion lucide et pragmatique est nécessaire.
Enfin, la politique énergétique doit assurer la
compétitivité de nos choix dans un contexte d'ouverture
croissante des marchés de l'énergie, intégrant le principe
fondamental du choix énergétique dans une diversification
maîtrisée.
Rappelons aussi nos obligations. Nous devons assurer le service public,
développer la compétitivité de nos entreprises, permettre
à tous, usagers et entreprises, de choisir leurs fournisseurs, renforcer
la position de nos producteurs en France, en Europe et dans le monde, assumer
la dimension humaine et la mutation des personnels.
Pour assurer ces obligations impérieuses, il me paraît
nécessaire, tout d'abord, de conforter l'industrie nucléaire, qui
garantit notre indépendance énergétique. Nos
compétences dans ce domaine doivent être maintenues afin de
répondre à la demande nationale, européenne et
internationale. Les querelles idéologiques sur la sortie ou non du
nucléaire sont dépassées. Il faut dépassionner le
débat en informant nos concitoyens sur cette question.
Conformément à ses engagements de campagne, le Président
de la République s'est dit soucieux de transparence en ce domaine et
souhaite que le nucléaire civil soit mieux encadré, ceci hors de
tout activisme politicien.
La question des déchets ne peut bien évidemment pas être
occultée. Elle est le « maillon faible » de
l'énergie nucléaire. Il faut donc sans plus tarder mener les
recherches prévues par la loi Bataille de 1991. Un certain nombre de
résultats scientifiques et techniques sont déjà
disponibles. Il faut sans plus attendre organiser un grand débat public
à partir d'exposés scientifiques incontestables. Le retraitement
préalable des combustibles usés est indispensable. J'insiste
à nouveau sur la nécessité d'accentuer la recherche sur
les nouveaux réacteurs, l'objectif étant d'intégrer la
destruction des déchets dans cette nouvelle génération.
Il nous faut poursuivre aussi la diversification de notre équilibre
énergétique, le mix énergétique étant la
seule solution pour les pays dépourvus de ressources autochtones. Les
recherches doivent là aussi être accentuées. Il est
évident que nous aurons recours aux énergies renouvelables :
il faut aller dans cette direction, mais il faut aussi raison garder. Le
coût du kilowatt éolien est de dix-neuf centimes d'euro au
Danemark, contre trois centimes pour le coût du kilowatt
nucléaire...
Les efforts d'économies d'énergie, enfin, doivent être sans
cesse poursuivis.
Concernant l'ouverture du marché européen, après le sommet
de Barcelone il faut que nous recherchions une voie moyenne entre la totale
dérégulation et le statu quo désormais impossible. Il en
va de la survie de nos industries.
Après une période d'attentisme qui nous a fait perdre un temps
précieux, nous devons reprendre, à l'occasion de cette nouvelle
législature, ce dossier du renouveau d'une politique
énergétique cohérente qui a porté ses fruits depuis
trente ans. Nous devons aboutir à l'élaboration et au vote d'une
grande loi-cadre de programmation énergétique pour la
décennie future.
Intervention de M. André Sainjon, président de la Société nationale d'électricité thermique (SNET)
La
question de la vision et des attentes pour les cinq années à
venir est parfaitement pertinente. Pour un industriel, cinq ans est un laps de
temps qui permet de mesurer avec objectivité le succès ou
l'impasse, de sanctionner une vision. Une entreprise comme la nôtre,
encore publique mais appelée à devenir privée, s'inscrit
forcément aussi dans le temps politique. Cette législature sera
donc aussi importante que la précédente pour la SNET. La vision
qui éclairera le gouvernement et les deux assemblées aura un
impact certain sur notre évolution.
Ces cinq années seront également décisives pour la
construction de l'Europe, comme cela a déjà été
souligné. Le sommet de Barcelone, sous tous ces aspects, nous a
montré que nous étions confrontés à une demande de
plus et d'une meilleure Europe, à une prise de conscience de la
nécessité d'harmoniser nos politiques, mais aussi à une
défiance vis-à-vis de la mondialisation, souvent assimilée
à une remise en cause destructrice des services publics. La voie de la
réussite est donc délicate et étroite.
Nous aurons donc collectivement à forger une politique de
l'énergie à la fois lucide, empirique et inventive.
En France, la SNET est pionnière dans le processus de
libéralisation concrétisé par la loi de février
2000. Elle avait été créée à l'origine pour
rassembler les activités électriques de la maison Charbonnages de
France. Elle s'est trouvée très vite concurrente de
l'opérateur historique EDF. La SNET a engagé l'ouverture de son
capital avec qui plus est un acteur européen sans liens culturels avec
ce que nous connaissions ; car Endesa s'est surtout
développé à l'international en Amérique latine. Par
ailleurs, la SNET s'est trouvée confrontée au scepticisme, voire
à l'incompréhension de ses personnels. Telle était notre
situation il y a deux ans, situation passionnante parce que nous n'avions pas,
en tant que pionniers, le droit d'échouer. Réussir,
c'était faire avancer la société française dans la
voie de la modernisation. Sans que nous soyons aujourd'hui un modèle,
nous ne sommes en tout cas pas un contre-modèle, ce qui est
déjà beaucoup dans le contexte actuel....
Nous sommes maintenant un concurrent sérieux de l'opérateur
historique, et le seul « petit » à jouer dans "la
cour des grands" dans certains pays comme la Pologne.
Mais je ne voudrais pas ici donner dans l'autosatisfaction. Il s'agit de faire
profiter les observateurs, les politiques et les opérateurs d'une
expérience à travers quelques leçons.
Un dialogue social multiple et permanent est une condition sine qua non du
succès. De l'ouvrier au cadre supérieur, il est indispensable
d'expliquer sans cesse la nécessité d'évoluer. Ouvrir le
capital sans ouvrir les yeux du personnel, c'est aller droit à
l'échec. Inversement, il faut écouter les personnels, qui
apportent fréquemment des solutions pratiques pour faire avancer tout le
monde dans la bonne direction. Qui que nous soyons, il nous faut sans cesse
vérifier par le dialogue la perception des acteurs de la modernisation.
La concurrence est comprise dès lors que l'on se donne un contenu et des
objectifs. La compétition est un stimulant qui crée une dynamique
plus forte, à condition que chacun comprenne qu'il sert
l'intérêt général. Dans une entreprise
d'électricité, le service reste le coeur du processus.
Naturellement, toute entreprise doit gagner de l'argent. La SNET cherche donc
à faire de l'électricité au coût le moins
élevé possible et recherche des combustibles moins chers. C'est
ainsi que nous nous sommes lancés dans la recherche de ce que peuvent
nous apporter les farines animales. Ceci illustre la nécessité de
l'équilibre entre notre propre intérêt et
l'intérêt général : un équilibre
dynamique.
La SNET, avec Endesa, doit jouer un rôle de plus en plus important en
Europe. L'harmonisation de la politique énergétique est donc pour
nous une nécessité. Face à la question de
l'énergie, l'Europe doit être ambitieuse. Elle doit avoir du
souffle et parler un langage audible pour forger un modèle
spécifique, dynamique et résolument engagé dans le
siècle nouveau, mais qui garde vivace la mémoire de ce qui fait
le meilleur de ses nations et de ses peuples. Le risque existe d'une
déstabilisation du monde électrique européen. Nous sommes
face à une insuffisance actuelle ou future des réseaux de
transport, car la libéralisation signifie une augmentation des
échanges. Il est donc de la responsabilité des Etats
d'améliorer leurs outils de production et de distribution. Avoir une
ambition européenne, c'est aussi avoir le souci aigu et permanent du
service public. En ce sens, il me paraît souhaitable de pousser les
discussions concernant la recherche pour l'Europe énergétique du
XXI
ème
siècle.
Intervention de M. Bertrand Barré,
directeur au secrétariat
général d'AREVA
Nous
sommes à un bon moment pour parler du nucléaire, étant
donné la conjoncture internationale.
L'Asie continue de construire. En Russie, les choses repartent
discrètement, les Russes sont aujourd'hui les premiers exportateurs de
réacteurs dans le monde. Aux Etats-Unis, un retournement est en marche
depuis quelques années. Nombreux y sont ceux qui cherchent à
obtenir, par exemple, des autorisations de prolongement de durée de vie
des centrales à 60 ans. Ceci est favorisé par un
regroupement de l'industrie, puisque à l'heure actuelle au moins trois
électriciens ont créé des parcs constitués d'une
quinzaine de réacteurs. Ce changement d'ambiance a facilité
à l'administration Bush le lancement d'une « politique
énergétique », terme qui avait disparu du vocabulaire
américain, politique énergétique dans laquelle le maintien
du nucléaire est en bonne place.
En Europe, le débat s'est rouvert grâce à la prise de
conscience par la Commission de la question de la dépendance
énergétique et à la volonté de respecter les
accords de Kyoto. Cependant, tout le monde ne suit pas le mouvement vers le
nucléaire : la Belgique notamment a décidé de sortir du
nucléaire, mais ceci par une loi qui pourrait être annulée
par simple décret... Sur le plan du droit, cela doit être une
première ! En Allemagne, une loi prévoit la sortie du
nucléaire, mais les choses ne se font pas très rapidement dans
les faits : on peut donc encore espérer. La Suède ne
prévoit plus de date de sortie et la Finlande a voté la commande
d'un cinquième réacteur. Le contexte pousse donc à se
demander ce qui va se passer en France.
Quelle est donc la « shopping list » d'Areva ? Nous
voudrions « libérer » le décret qui a
été pris en otage par les Verts durant la législature
précédente. Il s'agit de pouvoir gérer les deux
entités qui constituent La Hague comme une seule, de manière
à pouvoir jouer sur les ateliers parallèles afin d'optimiser
l'exploitation.
Nous voulons, d'autre part, obtenir l'autorisation de faire fonctionner
à sa pleine capacité technique l'usine qui fabrique le
combustible Mox, qui recycle le plutonium de première
génération.
Il est temps, dans les deux cas, de sortir de ces situations ridicules.
Un autre centre d'intérêt est bien entendu l'EPR. Ce qui a fait le
succès principal du programme actuel d'EDF est sa politique de paliers.
On a commandé et fait construire des séries significatives de
réacteurs identiques. Aux environs de 2015 se posera le problème
du renouvellement de ce parc. Le succès précédent incitera
à lancer aussi une politique de paliers. Il est donc prudent de pouvoir
bénéficier d'un retour d'expérience sur une tête de
série, qu'il faut donc lancer en avance de phase, et cette
décision est à prendre maintenant.
Ce réacteur EPR présente un vrai progrès par rapport aux
modèles existants. Les risques d'endommagement du coeur sont
sensiblement plus faibles. De plus, dès la conception, la
possibilité, même réduite, de fusion complète du
coeur a été prise en compte, et il est donc conçu de
manière à ce que même en ce cas, il n'y ait pas de
relâchement massif de radioactivité.
Cette décision à prendre est également importante pour
notre crédibilité à l'exportation. Cette
crédibilité est basée sur la réussite du programme
domestique. Nous avons ainsi en perspective la Chine, la Finlande, et demain le
Brésil...
Par ailleurs, le maintien de l'emploi dans les forces d'ingénierie et de
fabrication des composants lourds est important pour les exportations, le
soutien du parc actuel, mais aussi pour la pérennité du
savoir-faire, indispensable à la préparation des
générations futures de réacteurs nucléaires.
Reste un point important : le rendez-vous de 2006 pour choisir la
manière dont les déchets ultimes seront stockés,
échéance fixée par la loi de 1991. Il a été
dit que la recherche et le développement n'était pas allée
aussi vite que nécessaire. C'est sans doute vrai, mais beaucoup de
résultats ont tout de même été obtenus en France et
ailleurs (les chercheurs communiquent entre eux) et le contexte international a
progressé : un premier site de stockage définitif est
déjà en fonctionnement aux Etats-Unis. Avec les divers
progrès attestés, nous avons aussi acquis la certitude qu'il
faudra un stockage géologique.
2006 verra s'ouvrir un vaste débat, qui devra déboucher sur une
décision. La recherche doit continuer, mais ne doit pas devenir un alibi
pour se passer de décisions.
Les trois objectifs fondamentaux que le Sénateur Larcher nous
délivrait précédemment se traduisent notamment pour moi
par le fait qu'il faut garder toute sa place au nucléaire. Pour la
législature à venir, cela se décline en trois
points : débloquer les décrets-otages, lancer un EPR et
conclure la loi de 1991.
Intervention de M. Philippe Sauquet
directeur Stratégie
Gaz-Electricité du groupe
TotalFinalElf
Nous
avons choisi de parler plus particulièrement du gaz, sujet
d'actualité du fait de la directive européenne en cours de
discussion. Nous avons par ailleurs la conviction que le gaz, énergie
propre, économe et relativement abondante, est en matière de
politique énergétique une chance pour la France et l'Europe,
soucieuses de leur approvisionnement et de promouvoir leur développement
tout en respectant l'environnement.
Mais la France et l'Europe doivent savoir saisir cette chance en relevant
certains défis qui, s'ils n'étaient résolus par les
pouvoirs publics, s'opposeraient au développement du gaz comme source
importante d'énergie. Parmi ces défis, deux nous paraissent
essentiels : la nécessité d'une organisation du marché
plus ouverte et flexible, d'une part, et le besoin du maintien de la
sécurité d'approvisionnement du marché européen,
d'autre part.
Historiquement, le marché du gaz européen s'est
développé sur la base d'une structure traditionnelle, avec
quelques fournisseurs nationaux en nombre limité et, côté
achat, quelques monopoles régionaux ou nationaux. Cette structure a
prouvé son efficacité, mais s'est révélée
très rigide et très peu tournée vers les besoins de
flexibilité manifestés par les clients : peu de
flexibilité sur les prix, sur les quantités ou encore sur la
durée des contrats. Dans le monde ouvert, concurrentiel et
évolutif d'aujourd'hui, la plupart des consommateurs ne peuvent faire le
choix du gaz qu'à la condition d'avoir le choix de leur fournisseur,
pour permettre la mise en concurrence, aiguillon de la flexibilité
nécessaire pour être en accord avec leurs besoins.
L'Europe s'est résolument engagée sur cette voie prometteuse de
l'ouverture des marchés gaziers à la concurrence, mais beaucoup
reste à faire pour transformer les intentions en réalité.
Il est évident, par ailleurs, que cette ouverture ne doit pas se faire
au détriment de la sécurité d'approvisionnement.
Aujourd'hui, l'Europe importe 50 % de ses ressources gazières, soit
250 milliards de m
3
. A l'horizon 2015, ces importations vont
devoir plus que doubler, notamment pour compenser la décroissance de
ressources locales. Nous devrons donc recourir à des sources
situées de plus en plus loin. Ces distances vont nécessiter des
investissements lourds pour développer de nouveaux champs gaziers dans
des environnements naturels et géopolitiques difficiles et
risqués, et pour créer ou renforcer la logistique de transport de
ces ressources sur les marchés européens. Ces investissements ne
seront réalisés qu'à la condition que l'on offre aux
investisseurs un minimum de visibilité sur leur rentabilité
future, donc à la condition que les Etats et les régulateurs
européens créent un climat favorable à ces
investissements. Au moment où les régulateurs sont en passe de
définir les conditions de rémunération de leurs
transporteurs, les pouvoirs publics ont un rôle crucial à jouer en
ce domaine.
Le groupe TotalFinaElf est aujourd'hui le numéro 4 mondial du gaz et
l'un des deux leaders mondiaux du gaz naturel liquéfié. Nos
ressources gazières sont réparties sur l'ensemble des continents.
Hormis notre position de producteur, en Europe, nous avons également une
forte position en aval sur le marché, notamment en France, avec un
réseau d'environ 11.100 kilomètres. Nous sommes surtout un
des leaders dans le domaine du trading et du marketing de gaz et
d'électricité. Nous sommes donc totalement engagés dans le
développement du gaz en Europe, dans un contexte de marché
ouvert, en mettant au service de ce développement notre solidité
financière, nos capacités managériales et techniques
nécessaires pour investir en amont et dans les infrastructures, notre
expertise et notre culture de l'efficacité.
Nous pensons donc que les pouvoirs publics français doivent adopter une
politique active, tournée vers l'Europe et favorable à
l'ouverture de tous les marchés européens sans exception, tout en
sachant préserver les intérêts essentiels des consommateurs.
Notre groupe est bien entendu disponible pour contribuer à la
réflexion des pouvoirs publics.
Intervention de M. Jean-Pierre Rodier, président de Pechiney
En tant
que premier consommateur français d'électricité, je dirais
que l'on peut observer cette question de l'évolution du marché
comme un verre à moitié plein... ou à moitié vide !
Les prix à long terme de l'électricité, en France mais
aussi en Europe, ont permis à une certaine époque glorieuse d'y
construire une forte industrie de l'aluminium. Ces prix ne permettent plus
aujourd'hui de construire une seule usine nouvelle et, tels qu'ils
évoluent, ils permettent difficilement d'augmenter la capacité de
production des usines existantes.
Je m'attarderai sur cinq sujets de réflexion qui me paraissent
importants et sur lesquels on peut éventuellement agir :
- l'évolution du marché européen ;
- la formation des prix en Europe ;
- la sécurité d'approvisionnement ;
- environnement et énergie ;
- le rôle de l'Etat actionnaire des grandes entreprises de
l'énergie.
En ce qui concerne le marché européen, il y a maintenant
théoriquement un début de concurrence à l'intérieur
de chaque pays, mais le marché européen de
l'électricité n'existe pas. Les prix sont différents d'un
pays à l'autre, les coûts d'accès aux réseaux
également, tout comme les modes de régulation. L'accès aux
interconnexions via des enchères mal conduites est symptomatique de cet
état de fait. Que les pouvoirs publics résolvent cela est une
priorité pour l'existence d'un marché européen.
Aujourd'hui, la situation n'est pas satisfaisante sur le plan de la formation
des prix et des bourses de marchés. Les prix proposés sont
très volatils et soumis aux aléas météorologiques.
Cela est compréhensible sur un marché d'ajustement, mais il est
anormal que celui-ci serve de guide au marché à moyen et long
terme.
Les marchés souffrent aussi d'un manque de transparence statistique
nécessaires à la sincérité de la formation des
prix. Il me paraît important d'avoir une certaine régulation et un
certain encadrement des systèmes de marchés pour mettre un
maximum d'informations à disposition des intervenants. Ceci
écarterait l'essentiel des risques de manipulation des marchés et
permettrait une rationalisation des prix à moyen terme.
La sécurité de l'approvisionnement est un sujet majeur pour tous
les consommateurs, industriels ou non. Dans le cas de
l'électricité cette sécurité passe par une
surcapacité disponible permettant de faire face aux aléas. Il
n'est pas certain que les systèmes de marchés et les
décisions d'investisseurs financiers conduisent naturellement au niveau
de surcapacité nécessaire. Ces investissements en Europe sont
rarement rentables pour un investisseur normal. Les pouvoirs publics doivent
donc continuer à observer de près la programmation des grands
investissements en électricité.
Le lien entre énergie et environnement est un sujet bien connu. Nous
souhaitons sans ambiguïté que le protocole de Kyoto soit
appliqué, et espérons persuader nos collègues
américains de faire de même. En France, Pechiney a réduit
de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre en dix ans
tout en augmentant sa production de 30 %. Nous allons poursuivre nos
efforts dans les années à venir et nous nous sommes
engagés à réduire nos émissions au niveau mondial
de 15 % entre 1990 et 2012, tout en augmentant notre production. Pour y
parvenir, il est essentiel que des mécanismes de marchés sur les
permis soient mis en place pour permettre une optimisation à la marge de
nos décisions industrielles. Il est également nécessaire
qu'aucune taxe ne vienne perturber nos engagements.
Tenant compte de la donnée environnementale, le consommateur que je suis
est favorable au nucléaire. Par ailleurs, si l'on veut que
l'électricité reste compétitive et favoriser l'emploi, il
ne faut pas mettre à la charge du service public, et in fine des
consommateurs que nous sommes, des dépenses excessives : ce qui a
été fait sur les éoliennes, par exemple, est hallucinant !
L'Etat doit pleinement jouer son rôle d'actionnaire vis-à-vis des
entreprises qui sont aujourd'hui dans le secteur public, même si elles le
seront un jour un peu moins... Il faut encourager le développement
international des grands groupes énergétiques historiques, la
croissance faisant partie du dynamisme d'une entreprise et de la motivation de
ceux qui y travaillent. L'Etat doit cependant veiller à ce que les
décisions prises en ce sens soient basées sur de bons
critères économiques.
Intervention de M. Jean-François Conil-Lacoste,
directeur
général de Powernext
En tant
qu'homme de marché je vais essayer de donner un peu d'espoir à M.
Rodier.
La bourse d'électricité française, Powernext, n'a que sept
mois. Je rappelle qu'il s'agit d'un projet privé conçu par des
acteurs européens majeurs du monde de l'énergie et de la finance,
qui a été porté sur les fonds baptismaux avec le soutien
des pouvoirs publics par la Commission de Régulation de
l'Electricité et, ce que l'on sait moins, le Comité des
Etablissements de Crédit et des Entreprises d'Investissement. Powernext
a démarré son activité de marché organisé le
26 novembre 2001, moins de deux ans après la loi de transposition.
Powernext est un marché électronique qui centralise 7 jours sur 7
la libre confrontation de l'offre et de la demande de mégawattheures,
établissant pour chacune des 24 heures du lendemain un prix
d'équilibre par le biais d'un fixing qui a lieu à 11 heures.
Ces mégawattheures sont garantis livrables sur l'ensemble du
réseau français de haute et très haute tension, par le
biais d'un accord structurant avec l'un de ses actionnaires fondateurs, RTE.
Le marché a une mission fondamentale : révéler un
prix, produire en toute transparence un prix connu de tous au même
instant, qui serve de référence fiable et incontestable, une
sorte de guide permanent pour l'ensemble des acteurs et notamment pour les
clients éligibles, désormais libres de choisir leurs fournisseurs
et désireux de gérer au plus serré leur facture
énergétique.
Environ un million de mégawattheures auront été
traités à la fin juin par une trentaine de membres, soit une
croissance mensuelle des volumes supérieure à 70 %.
Le challenge est de valoriser les atouts exceptionnels du marché
français, fournir un outil de gestion du risque utile et efficace aux
opérateurs européens et ainsi contribuer à la construction
du grand marché intérieur de l'énergie. Aux
côtés d'Euronext, actionnaire à hauteur de 34 %, se
sont regroupés au sein d'une holding dénommée HGRT
(17 %), les gestionnaires des réseaux français, belge et
hollandais, RTE, Elia et Tennet. Les électriciens Endesa et Atel ont
rejoint EDF et Electrabel, actionnaires fondateurs avec TotalFinaElf,
Société Générale et BNP Paribas, achevant de donner
à Powernext une dimension plus européenne qu'hexagonale.
L'ouverture d'un marché ne se mesure pas uniquement à la part de
marché de son ou de ses champions nationaux. Il faut que les
règles du jeu concurrentiel soient claires et respectées, que des
capacités de production réelles ou virtuelles soient
réparties entre des fournisseurs en nombre suffisant, fussent-ils
étrangers, pour que s'épanouisse une véritable
pluralité de l'offre.
L'accès au marché est un critère tout aussi important que
celui de la concentration. A cet égard, la France fait figure d'exemple
: plus de soixante opérateurs, la plupart étrangers, ont
signé des contrats de responsables d'équilibre avec RTE.
L'existence d'un régulateur, la CRE, constitue un autre atout majeur,
notamment pour assurer la transparence des informations, l'équité
d'accès et éviter l'abus de position dominante.
Cette infrastructure est de nature à valoriser le double atout naturel
du marché français : son positionnement géographique au
carrefour de nombreuses routes électriques et la taille de son
marché intérieur, le second en Europe. Encore faut-il que les
capacités aux interconnexions soient suffisantes et suffisamment bien
gérées pour permettre une véritable fluidité des
échanges, notamment à l'exportation. Il y a là un vaste
chantier qui requiert une coopération toujours plus étroite entre
les gestionnaires de réseau, les bourses et les régulateurs.
Par ailleurs, abaisser le seuil d'éligibilité au niveau
immédiatement supérieur à celui des ménages
résidentiels sera certainement de nature à susciter des vocations
de fournisseurs et à augmenter la motivation des acteurs existants. Une
activité de négoce sur le marché français pourra
ainsi se développer plus fortement, ce qui donnera un élan au
marché de gros, qui ne représente aujourd'hui que 0,3 % de
la consommation de notre pays, contre 200 % en Allemagne et 800 % en
Scandinavie.
Le prix qui sortira de l'équilibrage quotidien de l'offre et de la
demande sur Powernext pourra alors définitivement servir de
référence en toute transparence. Négociés
exclusivement sur le marché organisé, les produits
« spot » et à terme bénéficieront d'un
mécanisme financier de contrepartie centrale éliminant le risque
de crédit et d'une concentration maximale de la liquidité.
La première fonction économique de la Bourse se situe dans la
qualité du prix ainsi défini qui représente la clé
de voûte du dispositif de libéralisation du marché de
l'énergie. Néanmoins, il est plus que souhaitable que la nouvelle
législature complète avec des dispositions claires la loi
d'application du 10 février 2000, afin de proposer sans
ambiguïté à l'ensemble des acteurs, français ou
étrangers, producteurs, fournisseurs ou clients éligibles, un
accès au marché équitable, c'est-à-dire avec la
pleine faculté d'acheter et de vendre, en cohérence avec l'avis
rendu par la CRE en septembre 2001. C'est aussi l'occasion de donner au
marché français les moyens de se développer
harmonieusement et sans handicap par rapport à ses voisins, sur la base
de fondamentaux librement exprimés.
Une fois ces conditions réunies ou en voie de l'être, le potentiel
de croissance pourra alors s'exprimer.
Si les périmètres de consolidation réalistes sont
limités -il est probable que le marché physique intérieur
s'apparentera longtemps à un patchwork plutôt qu'à une
mosaïque !- en revanche, il est vraisemblable qu'émergeront un
ou deux grands marchés financiers de l'énergie
développés à partir d'une zone de prix suffisamment large,
tel le hub allemand ou le hub français. Ce n'est pas un hasard si
Euronext et Deutsche Börse sont impliquées toutes deux dans des
entreprises de marché électrique. L'objectif à terme est
bien de bâtir un marché financier liquide proposant sur une
même plate-forme une gamme de produits dérivés de
l'énergie : électricité, gaz, permis
d'émission... Cette bourse globale de l'énergie, multi-produits
et multi-pays constituera un outil économique, performant et
sécurisé, indispensable pour mener une politique de gestion
dynamique des risques énergétiques.
A l'heure où l'intégration des instruments dérivés
sur matières premières dans la liste des instruments financiers
couverts par la DSI se précise, la place des marchés
organisés dans le monde de l'énergie, aux côtés de
réseaux de transports régulés et indépendants, et
leur contribution à un développement raisonné et
contrôlé du négoce paraissent plus que jamais
légitimes.
Intervention de M. Philippe Bodson, sénateur membre de la commission des Affaires économiques du Sénat de Belgique
Ma
présence ici est due à mes fonctions actuelles mais aussi
à l'expertise que j'ai pu construire par le passé, notamment
à la présidence de Tractebel.
Il est intéressant de constater qu'en ce qui concerne notre sujet, la
préoccupation politique semble commune à l'ensemble de nos
gouvernements. En Belgique, ce sujet est schématisé par les
« 3 E » : l'Energie, l'Environnement et
l'Economie.
En ce qui concerne l'énergie, et la question de l'indépendance
qui est sous-entendue, il faut favoriser la diversité des
énergies primaires, ce qui passe par le non-abandon du nucléaire,
par des efforts importants de réduction de consommation et par le
développement du renouvelable, sans rêver bien sûr !
La question de l'écologie et du climat nous ramène
également à la réduction de la consommation, au
développement des énergies renouvelables et à la relance
du nucléaire.
L'économie est également indissociable de la réduction de
consommation, mais aussi des conditions de concurrence qui doivent être
créées et de la notion fondamentale de service public.
Il faut donc réduire la consommation, concentrer la pollution,
n'abandonner aucune source primaire, renforcer le renouvelable et ouvrir le
marché.
Sur le plan politique, nos populations ont le sentiment que l'ensemble de ces
thèmes n'a jamais été abordé de manière
globale par nos gouvernements. La Commission européenne nous parle
récemment, dans son Livre Vert, de la sécurité
d'approvisionnement. Nos ministres des Finances n'arrivent pas à se
mettre d'accord sur le signal fiscal qu'il faudrait envoyer aux divers
consommateurs pour limiter la consommation ; d'autres encore se
préoccupent d'efficacité énergétique... Ces actions
sont parcellaires, et la cacophonie de l'après Kyoto sur le plan mondial
n'arrange rien à l'affaire !
Or tout cela est partie intégrante d'une politique globale, mais au
niveau du grand public, il n'existe aucune vision d'ensemble de ce que nous
cherchons à faire. C'est pourtant cela qui est important.
J'aborderai un thème qui n'a pas été beaucoup
présent dans nos échanges jusqu'à présent : la
fiscalité.
Lorsque j'étais étudiant, on m'apprenait que la croissance d'un
PNB était en corrélation directe avec la consommation
énergétique. La crise pétrolière est ensuite
intervenue, et l'on a constaté que cette corrélation n'existait
plus. II faut donc maintenant un signal fiscal fort pour réduire la
consommation énergétique de façon suffisante. Posons donc
la question des prix au niveau des ménages. L'industrie a fait de gros
efforts dans le sens de la réduction de la consommation, et donc de la
pollution. Mais ce n'est pas le cas au niveau des ménages. Ne devrait-on
donc pas envisager une taxation des énergies ? La question mérite
d'être posée dans le cadre d'un aussi large débat que
celui-ci.
Un autre thème me tient à coeur : l'environnement. En Belgique,
il n'est pas politiquement correct d'associer les questions d'émission
de CO², de climat et de Kyoto pour en faire un argument pour le
nucléaire. Mais il est choquant d'entendre dire à la population
que les modifications climatiques que nous connaissons ne résultent pas
de ces modifications de notre environnement gazeux.
A court terme, l'abandon du nucléaire serait irresponsable. Il y a par
ailleurs supercherie vis-à-vis des pays en voie de développement.
Ils représentent 80 % de la consommation mondiale, mais par
personne nous consommons six fois plus d'énergie qu'eux ! Et nous avons
l'effronterie de nous présenter dans de grandes assemblées
internationales pour leur dire que nous allons les aider, sachant qu'augmenter
leur consommation énergétique ne fait qu'aggraver le
problème climatique !
Il y a, concernant les grandes villes d'Asie par exemple, largement assez
d'arguments pour justifier l'utilisation du nucléaire...
J'insisterai enfin sur l'absolue nécessité de
l'indépendance de la régulation. Cela est une des conditions
nécessaires à l'ouverture des marchés, mais ce n'est pas
une condition suffisante. Il faudrait en plus rendre possible ce que j'appelle
« l'application asymétrique de la loi ». En effet,
l'application exactement identique de la loi aux nouveaux entrants et aux
opérateurs historiques rend la pénétration du nouvel
entrant quasiment impossible.
Intervention de M. Jean-Marie Chevalier,
directeur du centre de
géopolitique de l'énergie et des matières
premières, professeur de sciences économiques à
l'université Paris IX
Nous
vivons un moment historique : c'est la première fois qu'une
législature française va mettre en place une politique de
l'énergie dans un cadre qui est à la fois contraint par Bruxelles
et largement ouvert sur l'imagination, l'innovation, et nos propres
spécificités.
L'histoire économique récente est marquée par des
mouvements de balancier entre l'Etat et les marchés. L'expression
« politique énergétique européenne »
eût été indécente il y a seulement trois ou quatre
ans. C'est aujourd'hui un thème récurrent dont nous sentons la
nécessité.
Le problème pour nous et pour l'Europe est de trouver l'équilibre
entre les mécanismes de marchés et les modalités
d'intervention des puissances publiques - Commission européenne, Etats,
autorités de régulation et collectivités locales. De plus,
nos concitoyens doivent avoir leur mot à dire sur la façon dont
leur environnement quotidien doit être conçu.
Je résumerai en quatre points les options énergétiques
stratégiques fondamentales :
- efficacité énergétique ;
- libéralisation contrôlée ;
- diversification ;
- Information.
Le contexte énergétique général est fondé
sur la ratification du protocole de Kyoto, la sécurité des
approvisionnements et de la compétitivité de nos
économies. L'une des solutions pour résoudre cette
délicate équation est l'efficacité
énergétique et la politique de la demande de façon
à satisfaire nos besoins en consommant moins d'énergie. Il faut
renforcer la réflexion européenne sur ce point, en combinant tous
les éléments et instruments dont nous disposons : les normes, les
prix, les taxes, les subventions et les nouveaux mécanismes de
marchés (permis). Dans un cadre européen, il faut repenser les
flux financiers qui sont derrière les flux énergétiques
physiques.
Le RTE et la CRE sont aujourd'hui considérés par nos partenaires
comme des organismes efficaces. Notons que nous savons maintenant en France ce
que le service public nous coûte. Cette clarification est importante dans
la définition d'une politique de l'énergie.
M. Conil-Lacoste nous a présenté une vision optimiste du
développement du marché de l'électricité. En
pratique nous sommes au coeur d'un laboratoire d'expérimentation
extrêmement compliqué. Cela implique vigilance, surveillance et
intelligence.
Nous pouvons notamment souligner deux problèmes : Est-ce que les
marchés électriques donnent les bons signaux pour que les
investissements nécessaires se fassent ? Les opportunités de
manipulation des prix par les opérateurs sont de plus en plus
préoccupantes, ce qui touche au pouvoir de marché. Les
distorsions sont liées aux structures des marchés, mais aussi aux
comportements des opérateurs, comme l'a montré le cas Enron.
En ce qui concerne la diversification, nous devons nous ouvrir à toutes
les options énergétiques. J'abonde en ce sens, parce que nous
sommes dans un monde d'incertitudes géopolitiques, technologiques,
d'incertitudes sur les ressources, sur les effets du changement climatique et,
aussi sur les chiffres qui devraient nous aider à décrypter la
situation.
Donc : diversification, oui, mais sous contraintes financières, ce dont
nous n'avons pas suffisamment parlé aujourd'hui.
Pour le nucléaire, j'apporterai quelques précisions qui me
semblent, justement, relever de la contrainte financière. Il faut tout
d'abord distinguer entre l'ancien nucléaire, qu'il faut conserver et
dont il faut augmenter la durée de vie, et la construction des
nouvelles centrales, qui pose un problème de financement. L'exemple
finlandais est intéressant en ce sens. Un groupe privé de
papetiers envisage de construire une centrale nucléaire. Ils ont obtenu
l'accord du gouvernement et du Parlement et lancent l'appel d'offres. Nous
allons voir comment se fera la négociation, avec le
problème-clé du financement, et la façon dont les risques
sont répartis entre les différents partenaires.
Enfin, un gigantesque effort de formation, d'information et de dialogue doit
être fait sur l'énergie, les externalités et coûts
sociaux qui lui sont associés, l'environnement et le changement
climatique. Les médias réduisent souvent à l'anecdotique
des problèmes très importants. Les messages scientifiques forts
doivent passer au niveau des consommateurs et citoyens que nous sommes. Nous
sommes dans une économie mondialisée, pleine de dangers. Il faut
penser à notre dépendance énergétique, mais aussi
rappeler que derrière celle-ci existent des interdépendances
économiques et financières. Ces interdépendances sont des
vecteurs de co-développement.
QUATRIÈME TABLE RONDE :
QUELS CHOIX POUR ELECTRICITÉ
DE FRANCE
ET GAZ DE FRANCE ?
Intervention de M. Philippe Marini, sénateur de l'Oise, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat
J'aborderai la question soulevée par l'intitulé
de
cette table ronde en partant de la notion d'urgence.
Je crois que ni EDF, ni GDF, ni la France n'ont le temps de se complaire en
débats dilatoires sur ce sujet. La transformation des règles
européennes dans les domaines de l'électricité et du gaz
nous impose d'être mobiles et flexibles dans nos réflexions, de
trouver et d'arbitrer dans des délais très brefs les voies les
plus propices pour le pays et les entreprises concernées. Nous allons
devoir très bientôt travailler à la transposition de la
directive gaz, or l'on sait que le Conseil européen a
décidé de permettre le libre choix du fournisseur
d'électricité ou de gaz pour tous les consommateurs autres que
les ménages à partir de 2004, autant dire demain.
Cette urgence s'adresse d'abord à l'Etat, l'Etat-stratège et
l'Etat-actionnaire, dont les responsabilités sont à mettre en
valeur. Pour la stratégie, la situation actuelle impose qu'en termes de
politique énergétique du pays des orientations soient prises ou
validées dans la clarté. L'exemple courageux de la Finlande, l'un
des pays légitimement les plus attachés aux notions de
développement durable et de respect de l'environnement, peut nous
éclairer. Les orientations prises pour EDF et GDF doivent être
issues de la réalité économique, donc des marchés.
Les marchés du gaz et de l'électricité sont
différents, et même si l'histoire a rapproché ces deux
entreprises, elles doivent être examinées
séparément. EDF est un champion national qui a acquis des
dimensions mondiales. GDF est une belle entreprise moyenne. Ceci est uniquement
comparatif et ne doit choquer personne !
Cependant, bien entendu, plusieurs conditions de mutation sont communes
à EDF et à GDF. La première de ces conditions est de faire
la lumière sur les comptes, les engagements, les bilans et hors-bilans.
Il faut se mettre en position de diffuser une information financière
selon les normes internationales, ce qui permettrait le moment venu de se
placer sur le marché à égalité avec les autres
entreprises comparables. En ce sens devra être cernée la question
des retraites, conformément à la réalité
économique et à la règle du jeu que l'Etat pourra faire
valoir.
Les autres conditions sont pour une large part de la responsabilité de
l'Etat. La définition du périmètre, tout d'abord,
c'est-à-dire la séparation entre EDF et GDF. Cette question
suppose que l'Etat-actionnaire fasse son métier d'actionnaire,
c'est-à-dire qu'il définisse les meilleurs gages d'avenir des
deux entreprises. On ne peut, par ailleurs, imaginer l'ouverture d'un capital
quelconque sans une stratégie clairement actée par l'actionnaire,
en l'occurrence l'Etat. L'avenir d'EDF dépend de la vision que l'Etat a
de sa politique énergétique, celle-ci devant être conjointe
à la stratégie propre de l'entreprise. Ceci conditionne tout le
reste. En ce qui concerne GDF, l'Etat peut légitimement se poser la
question de savoir si la stratégie de l'entreprise doit tendre vers une
intégration, tant en amont qu'en aval. Ces questions
détermineront les partenariats du futur.
Pour ce qui est des statuts juridiques de ces entreprises, personne ne peut
plus envisager le statu quo. La nécessité de l'ouverture du
capital est une évidence, mais là encore plusieurs conditions
doivent être satisfaites.
L'ouverture doit répondre à une logique industrielle. Elle ne
doit que conforter la position européenne de ces entreprises dont
l'ambiguïté des statuts actuels ne peut durer : la
réciprocité des partenariats ne pourra exister que grâce
à cette évolution. Les meilleures formules doivent être
trouvées dans l'intérêt patrimonial de l'Etat et dans
l'intérêt industriel des entreprises : c'est cet équilibre
qui sera le plus difficile à établir.
Intervention de M. Pierre Gadonneix,
président de Gaz de France
(GDF)
Je
voudrais présenter le projet industriel de Gaz de France aujourd'hui,
dans le contexte d'évolutions que nous avons largement décrit
depuis le début de nos échanges.
Gaz de France connaît une réussite attestée, notamment sur
le plan de son développement et de sa rentabilité
économique. Cette situation vient de sa position antérieure de
monopole d'importation, qui permettait de contracter à long terme avec
nos fournisseurs et ainsi d'assurer la sécurité
d'approvisionnement.
Depuis maintenant six ans, le contexte change : il n'y a plus de monopole, ni
en matière d'importation ni en matière de fourniture. Gaz de
France a strictement appliqué la directive européenne en ouvrant
ses réseaux à des concurrents dans des conditions transparentes,
nos clients peuvent en attester. Ceci fait que nous sommes aujourd'hui l'un des
marchés les plus ouverts d'Europe, alors que légalement, et c'est
un paradoxe, les textes français n'ont pas encore transposé la
directive européenne. Cette situation est d'ailleurs
préjudiciable à l'entreprise, puisque certains pays invoquent le
principe de réciprocité pour nous empêcher de livrer du gaz
à l'extérieur de la France.
Le marché étant ouvert, nous nous attendions à trois types
de concurrents : des entreprises étrangères de même
nature que Gaz de France, des opérateurs multiservices ou des traders,
des producteurs qui auraient décidé de s'intégrer vers
l'aval. Nos prévisions se sont révélées exactes. Il
nous a ainsi fallu créer une filiale de trading qui nous permette
d'avoir accès au marché de court terme. Si nos collègues
européens n'ont pas d'avantages compétitifs, les producteurs sont
des concurrents dangereux et agressifs, à l'exception de nos grands
fournisseurs traditionnels, russes par exemple, qui ne se sont pas mis dans la
situation de nous concurrencer. Mais il y a d'autres producteurs. Notre
stratégie est donc d'anticiper à chaque étape les
évolutions du marché.
Notre stratégie est fondée sur trois atouts essentiels qui seront
pérennes dans les années qui viennent.
Le premier atout est que le marché du gaz est durablement porteur. Le
gaz naturel va connaître durant plusieurs décennies un taux de
développement plus fort que la consommation moyenne d'énergie.
Par ailleurs, Gaz de France est dans une situation favorable dans la mesure
où nous avons un marché important : 10 millions de clients
en France, 2 millions à l'étranger.
Nous avons enfin un troisième atout : une situation financière
assainie qui nous permet d'investir massivement, même au-delà du
cash-flow.
Sur cette base, notre stratégie se déploie sur deux termes : la
croissance, étant donné la situation précédemment
décrite, et l'intégration négoce-transport-distribution.
Pour conforter nos positions dans un monde ouvert à la concurrence, nous
pensons de plus qu'il faut soutenir ces trois métiers traditionnels, le
négoce, le transport et la distribution, par deux autres métiers.
La production, tout d'abord, de manière à avoir un portefeuille
d'accès au gaz qui permette de répondre aux clients de
façon compétitive. Les contrats à long terme avec des
producteurs resteront l'essentiel de ce portefeuille ; une partie sera
gagée par l'accès au marché à court terme, via
notre société de trading ; enfin, nous aurons accès
à une ressource à prix fixe, c'est-à-dire que nous serons
nous-mêmes producteurs, même si cela se fait sans que nous soyons
opérateur à proprement parler. Par ailleurs, nous nous engageons
de plus en plus sur les services, à travers notre filiale Cofatec.
Cette stratégie est aujourd'hui bien engagée, et nous allons
d'ailleurs vraisemblablement émettre des obligations avant la fin de
l'année pour financer cette croissance. Le sommet de Barcelone ayant
acté que d'ici deux ans le marché serait ouvert à
60 %, nous nous appliquons donc à mettre en oeuvre les adaptations
nécessaires le plus rapidement possible.
M. Olivier Schneid
Vous évoquiez la belle santé financière de Gaz de France.
Certains se demandent alors quelle est l'utilité d'ouvrir le
capital...
M. Pierre Gadonneix
La réponse appartient à l'actionnaire, donc au Gouvernement et au
Parlement. Si cette éventualité était retenue, je ferai
valoir que cela constitue une opportunité de poursuivre ou
d'accélérer son rythme de développement. Nos objectifs
doivent aussi prendre en compte le fait que nous ne pouvons pas tout faire tout
seuls et tout de suite. Les moyens complémentaires et les partenaires
peuvent donc être bienvenus.
Intervention de M. Denis Cohen, secrétaire général de la fédération Mines-Energie de la Confédération générale du travail (CGT)
Je
ciblerai bien entendu mon propos sur les attentes sociales, dont la
non-satisfaction a conduit à ce que de nombreux commentateurs ont
appelé un "séisme politique". Ces attentes sociales demeurent.
En ce qui concerne donc les questions de dérégulation, au retard
pris quant aux réponses à y apporter s'ajoutent des
problèmes nouveaux liés aux dysfonctionnements dont les exemples
sont nombreux, depuis la crise californienne jusqu'à l'Espagne, en
passant par la faillite d'Enron, présenté il y a encore peu comme
le modèle de la nouvelle économie.
Nous avions proposé à Barcelone de tirer le bilan de la
dérégulation avant toute décision. Le choix
effectué a été de l'amplifier avec l'ouverture du
marché aux professionnels, choix ajoutant encore de nouveaux
problèmes. Le seul sujet de satisfaction de ce Sommet réside dans
la proposition de la France d'élaborer une directive-cadre.
Les regards se tournent aujourd'hui vers l'organisation française. Si
nous ne proposons pas un retour en arrière, apporter des réponses
pour une nouvelle organisation énergétique nécessite
créativité, dialogue, réflexion et consensus.
La politique de privatisation relève du dogme si l'on occulte ses
objectifs et les partenariats potentiels. Or, le processus de privatisation ne
répond pas aux questions de financements et d'alliances, d'autant que
les choix industriels à effectuer sont complexes et que le débat
sur la politique énergétique n'a pas été
mené. Au dogme, préférons le pragmatisme, qui permet le
développement des entreprises et de l'emploi, tout en améliorant
le service public pour tous les usagers.
Améliorer le service public, c'est aussi renforcer la maîtrise
publique. Une réflexion doit être engagée sur la place des
usagers, de leurs élus et de leurs associations, la maille de leur
intervention au niveau régional, départemental et national.
L'avenir du service public est une question citoyenne.
La séparation de la production, du transport, de la distribution et de
la commercialisation a démontré les risques pour des industries
qui doivent programmer leurs investissements à très long terme,
mais l'ouverture à la concurrence ne nécessite en rien cette
désintégration forcée.
Convenons qu'en matière sociale, nous sommes bien dans notre rôle
exclusif de représentants de personnels. De ce point de vue, la
privatisation du gaz aurait des conséquences sur l'ensemble des
salariés des industries électriques et gazières (IEG)
actifs et inactifs.
Là encore, le législateur a voulu, lors de la loi de
transposition de février 2000, que les dispositions statutaires soient
maintenues quelle que soit l'évolution de la branche. La situation de
l'une des entreprises ne peut donc être examinée qu'en
concomitance avec celle de l'autre. Si la désintégration peut
s'avérer dangereuse pour EDF, elle serait funeste pour GDF.
La directive gaz, bien qu'adoptée par le Conseil Energie il y a deux
ans, n'est pas encore transposée au droit français. Outre que
cette situation prive les usagers de possibilités d'amélioration
du service public, elle met Gaz de France en grande difficulté et la
France en situation de non-conformité à l'égard du
Traité de l'Union.
Gaz de France est aujourd'hui une entité industrielle, constituée
de quatre ensembles :
En amont, le monopole d'importation, qui doit être abrogé.
Le réseau du transport GDF disposant d'un monopole national sur le
réseau de Gazoduc, à l'exception de la région Sud-Ouest.
Les installations de liquéfaction et de stockage qui peuvent être
soit considérées comme intégrées au transport, soit
autonomes du réseau.
La distribution, conjointe avec EDF.
La directive conduit à la fragilisation de trois de ces entités
sur quatre, mais il est possible de consolider l'existence autonome de Gaz de
France comme gazier en coopération avec EDF. Cette solution aurait le
mérite de créer un grand groupe électro-gazier
français de taille européenne, à l'image de ce qui s'est
réalisé en Allemagne avec la fusion Ruhrgas et Eon.
EDF et GDF sont des entreprises indispensables à une République
démocratique moderne, pour que l'Europe assure la sécurité
de ses approvisionnements et le respect des engagements de Kyoto.
Si le statu quo n'est pas possible, refonder une organisation
énergétique stable et sur un consensus social fort
nécessite à l'évidence concertation et large débat.
Intervention de M. Henri Guaino, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris (IEP), ancien commissaire au Plan
Nous ne
débattons pas aujourd'hui de notre sujet comme nous l'aurions fait il y
a seulement deux ou trois ans. L'affaire Enron ne pose pas seulement la
question de la déontologie comptable ou de la transparence, mais aussi
celle de la viabilité d'un modèle économique dont
l'échec est patent.
S'agissant de l'avenir d'EDF et de GDF, nous sommes confrontés à
trois problèmes essentiels, l'un de politique énergétique,
l'autre de stratégie et le troisième de service public.
Commençons par la politique énergétique. Aujourd'hui, le
marché unique n'existe pas en Europe dans le domaine de
l'énergie. Pour le construire, la première chose à faire
est de travailler sur les interconnexions. Cette priorité concerne plus
les gestionnaires de réseaux que les entreprises de production et de
distribution de l'énergie.
Nous devons par ailleurs nous demander quels seront les leviers à notre
disposition pour la mise en oeuvre de la politique énergétique et
l'accomplissement des missions de service public. Non sans nous poser une autre
question : assistons-nous à la véritable mise en oeuvre d'un
marché unique parfaitement concurrentiel, ou à la
création, dans chaque pays ou sur chaque "plaque" électrique ou
gazière, d'oligopoles permettant de structurer la concurrence ? La carte
des mouvements de ces dernières années nous montre que nous nous
dirigeons plutôt vers la deuxième solution à partir de
noyaux durs d'organisation autour desquels s'organise le marché.
En tout état de cause, les choix managériaux et
stratégiques de nos grandes entreprises énergétiques
seront décisifs.
Devons-nous choisir un modèle d'entreprise intégrée ou un
modèle désintégré ? Dans quelle mesure faut-il
diluer l'organisation dans le marché ? Le calcul économique est
simple : si l'on pense que les métiers valent plus cher lorsqu'ils sont
séparés, alors il faut choisir la désintégration et
transformer nos entreprises en holdings. Mais je ne suis pas convaincu que l'on
créera ainsi beaucoup de valeur... On risque plutôt d'en
détruire. Et si l'on choisit la désintégration, comment
fera-t-on appliquer les règles de service public ? Où seront les
leviers de la politique énergétique ? A-t-on bien mesuré
ce que sera l'impérialisme du trading dans un monde d'entreprises
désintégrées ? Cette régulation par le trading
sera-t-elle compatible avec les objectifs collectifs que nous nous fixons dans
le domaine particulier de l'énergie ?
Il est vrai que le modèle intégré est battu en
brèche par les directives européennes qui nous conduisent
à une séparation de plus en plus grande des réseaux de
transport et peut-être demain de distribution. Il est clair que cette
séparation conduit à une mutation en profondeur d'EDF et de GDF
dont il faut bien tenir compte quand on envisage l'avenir de ces deux
entreprises.
Que reste-t-il de GDF après la perte du monopole d'importation et du
réseau de transport ? Comment intégrer la production, le
négoce et la commercialisation de l'électricité une fois
qu'EDF est totalement séparée du RTE ? Mais la question la plus
cruciale est celle des rapports entre EDF et GDF. Elle doit absolument
être posée avant l'ouverture du capital et la
libéralisation complète des marchés. L'enjeu n'est pas
mince si l'on veut bien admettre que GDF aura bien du mal à vivre seule
une fois privée de son réseau de transport et qu'EDF ne peut
absolument pas envisager son avenir sans le gaz. Alors que tous les
électriciens cherchent à fusionner avec des gaziers, nous nous
apprêtons à séparer et à mettre en concurrence deux
entreprises étroitement liées depuis un demi-siècle sans
avoir sérieusement étudié le problème. Est-ce bien
raisonnable ? Bruxelles, qui n'a jamais été saisie de ce dossier,
sera-t-elle une fois de plus l'alibi commode de tous nos renoncements ?
Va-t-on continuer de miser sur la croissance externe à tout va pour
assurer l'avenir de notre pôle énergétique au lieu de miser
sur la construction d'une base industrielle solide permettant d'asseoir une
stratégie efficace de croissance interne ? Le secteur de
l'énergie sera-t-il le seul à ne pas tirer les leçons des
déboires occasionnés par l'idée fausse qu'on ne peut
élargir ses parts de marché qu'à coup d'acquisitions
coûteuses ? Allons-nous continuer de croire que l'ouverture du capital et
la libéralisation nous dispensent d'un véritable projet
industriel ?
Intervention de M. Josy Moinet,
président de la
Fédération nationale
des collectivités
concédantes et régies
(FNCCR)
M.
Chevalier a mis l'accent sur la nécessité de faire participer les
collectivités locales, et au-delà les citoyens, à la
gestion et au fonctionnement du service public de l'électricité.
La FNCCR partage pleinement ce point de vue. Les communes et leurs groupements,
singulièrement les syndicats départementaux
d'électricité, ont une vocation traditionnelle à assurer
cette participation citoyenne comme le confirme la loi de modernisation et de
développement du service public de l'électricité du 10
février 2000. Dans un contexte institutionnel et économique
marqué par la libéralisation du système électrique
européen, il est permis de s'interroger sur les conditions dans
lesquelles une seule et même entreprise -EDF- va pouvoir concilier les
exigences liées à son immersion dans un marché
concurrentiel et l'exercice des missions de service public que la loi lui
confie.
Deux exigences retiennent particulièrement l'attention des
collectivités locales, la protection de l'environnement et la
cohésion territoriale et sociale. Les contraintes liées à
l'environnement ont un coût dont la prise en compte par le marché
n'est ni spontanée ni systématique. Et cependant l'enfouissement
des réseaux électriques répond aux légitimes
attentes de nos concitoyens tant du point de vue esthétique que du point
de vue de la sécurité. Il importe à cet égard de
tirer les enseignements de la tempête de décembre 1999 qui a
révélé la fragilité des réseaux
aériens. La cohésion territoriale et sociale -
caractérisée par un égal accès de l'ensemble des
usagers sur le territoire national à une énergie
électrique de qualité homogène est une obligation
impérative pour un service public assurant la fourniture et la
distribution de ce bien de première nécessité qu'est
aujourd'hui l'énergie électrique. Ces missions ont un coût
dont il appartient aux collectivités locales, en leur qualité
d'autorités organisatrices du service public de
l'électricité, de veiller à ce qu'il ne soit pas
supporté par les seuls consommateurs domestiques et que la
libéralisation du système électrique ne profite pas qu'aux
gros consommateurs.
Ainsi, attentives à ce que le bon accomplissement des missions de
service public ne compromette pas le fonctionnement transparent du
marché, les collectivités locales, en qualité
d'autorités organisatrices du service public de
l'électricité, doivent conforter leur organisation à la
taille départementale pour exercer leur pouvoir de contrôle sur le
cadre du régime concessionnaire actuellement en vigueur ou dans un cadre
juridique différent si le législateur en décidait ainsi.
Le maintien d'un pouvoir de contrôle des collectivités locales sur
le fonctionnement d'un système électrique ouvert à la
concurrence est la meilleure garantie de pérennisation d'un service
public de qualité.
A l'aube du XXI
ème
siècle, l'implication des
citoyens-consommateurs, par le truchement de leurs élus locaux, dans le
fonctionnement du système électrique peut être un exemple
concret et emblématique d'une volonté de faire vivre au quotidien
une authentique démocratie de proximité.
Intervention de M. François Roussely,
président
d'Electricité de France
(EDF)
Les
sujets dont nous parlons ont deux dimensions, l'une locale et l'autre mondiale.
Ce sont également des sujets de politique industrielle et de politique
sociale.
Notre situation de départ présente deux originalités.
La première est que nous avons connu un modèle de monopole
vertueux. N'ayons pas le capitalisme public honteux : nos services publics de
l'électricité et du gaz ont donné à nos concitoyens
de bons résultats. Nos entreprises ont été profitables,
elles offrent une qualité de service reconnue à des prix
satisfaisants, les résultats des enquêtes de satisfaction le
prouvent. Les pays anglo-saxons ou les autres pays européens font
pourtant des services publics l'illustration de ce qui ne fonctionne pas, qui
est poussiéreux, coûteux et inefficace...
La deuxième originalité, notamment en ce qui concerne
l'électricité, est que le mouvement d'internationalisation
d'Electricité de France a commencé bien avant le mouvement de
libéralisation. La loi de 1946, confirmée en ce sens par la loi
de 2000, affirme le principe de spécialité : Electricité
de France doit produire, transporter et distribuer de
l'électricité en France. Ainsi, si hors de France nous pouvons
avoir toutes les activités que nous souhaitons, nous ne pouvons pas
faire autre chose sur le territoire national que d'assumer cette
spécialité. Nos concurrents se sont développés sur
leur plan national en se diversifiant sur de très nombreuses autres
activités, mais très peu à l'international, ce qu'a fait
très tôt Electricité de France. Aujourd'hui, à
côté des 31 millions de clients en France, nous en comptons
20 millions à l'étranger.
Pourquoi alors changer un modèle qui marche aussi bien ?
Ce n'est pas Electricité de France qui a changé, c'est le monde
qui a changé autour ! Les industriels sont aujourd'hui au minimum
européens, la nature de leur demande a changé. Nous devons
d'autant plus tenir compte du nouvel univers dans lequel nous allons devoir
évoluer que cette situation est vécue comme asymétrique
par nos concurrents. Elle peut paraître injuste, certains estiment que
nous profitons d'un marché protégé pour être
agressifs vers l'extérieur. Quoi qu'il en soit, cette perception bien
réelle d'une asymétrie nous amène à changer dans la
dualité qui a été imposée à Barcelone. Ce
sommet a reconnu la justesse des thèses françaises, puisqu'il a
confirmé l'ouverture des marchés, en allant au-delà du
service public vers le service d'intérêt général. A
côté de l'ouverture des marchés, il faut préciser la
définition du service, ce qui est simple en France puisque nous y sommes
accoutumés depuis la définition du Conseil d'Etat au
XIX
ème
siècle ! Avec le même luxe d'attention,
nous devons donc aujourd'hui et pour demain tenir compte de la qualité
du service, de la solidarité, de l'aménagement du territoire,
d'un certain nombre de valeurs auxquelles l'Europe est attachée.
Quels choix faut-il faire pour Electricité de France? Ce sont des choix
de marchés qui doivent être fidèles à nos valeurs.
Les choix de marchés sont simples. Il s'agit d'être et de demeurer
une entreprise intégrée. Nous devons être présents
sur chacun des métiers et dans leurs connexions.
Etre présents sur la production, avec un « mix
énergétique » bien sûr, dont le socle doit
être le nucléaire. Rappelons qu'entre le nucléaire et
l'hydraulique, nous produisons 95 % de notre électricité
sans émettre un seul centimètre cube de gaz carbonique... De
plus, la compétitivité du kilowattheure n'est pas pour les
comptes d'Electricité de France, mais pour les entreprises et chacun de
nos clients qui achètent cette énergie.
Etre présents sur tous les métiers concerne aussi la recherche et
développement. La menace de la segmentation ne peut qu'appauvrir ce
secteur, dont le financement ne peut relever que de grandes entreprises et de
programmes communautaires.
Par ailleurs, précisons, pour aller dans le sens de ce que disait
M. Moinet, que nous ne sommes pas les télécommunications !
Nous ne sommes pas liés uniquement à des clients, nous le sommes
aussi à des territoires. Notre force est de desservir avec la même
qualité de service et au même prix un seul abonné
isolé au bout d'un chemin et celui qui est au pied d'un barrage !
Nous avons ainsi fait le choix de l'Europe, parce que c'est le territoire sur
lequel sont nos clients. Rappelons à ce sujet que le marché est
ouvert, chaque client éligible en France aujourd'hui pourrait se
procurer de l'électricité hors Electricité de France
uniquement par importation, mais aussi auprès des producteurs qui
achètent les 6.000 mégawatts que nous vendons au coût
marginal de production, c'est-à-dire aux meilleures conditions de prix.
N'est-ce pas cela, un marché ouvert ?
Nous avons donc fait de l'Europe notre coeur de marché, mais nous avons
encore à progresser. Il est facile de parler de "l'Europe de
l'énergie", mais il y a encore autant de marchés de
l'énergie que de pays.
Nous devons construire un groupe industriel, pas seulement une
fédération d'entreprises à l'échelle
européenne. J'ajoute que nous avons à adjoindre à la
fourniture d'électricité la convergence avec le gaz, notamment
parce que nos clients ont alternativement besoin de gaz et
d'électricité.
Si nous avions dû procéder à la fusion avec Gaz de France,
il fallait le faire avant les directives. Aujourd'hui, les contreparties que
demanderaient les autorités nationales ou européennes de
concurrence représenteraient un coût insupportable
économiquement et politiquement. Nous n'avons pas de religion sur ce
point, quoi qu'il en soit, nous souhaitons pérenniser la
coopération avec Gaz de France sur l'ensemble des métiers
possibles, au regard des directives et des règles de concurrence.
Nos choix doivent aussi être fidèles à nos valeurs.
L'histoire de nos deux entreprises montre qu'ont toujours été
menés en parallèle un projet social et un projet industriel, tout
simplement parce que l'électricité ne se stockant pas, un grand
degré de confiance est nécessaire. Cela nécessite une
alchimie que l'on appelle "service public" ou "développement
durable"..., pourvu que cela soit compréhensible et traduisible partout.
Ce qui importe est le fond.
Ce fond est la concomitance de trois préoccupations :
L'efficacité économique, dans la transparence ;
La protection de l'environnement, qui donne lieu à un mouvement profond
dans notre entreprise ;
La dimension sociale, vis-à-vis des démunis par exemple, mais
aussi vis-à-vis de nos personnels ou des 2 milliards d'individus qui
n'ont pas accès à l'électricité dans le monde. Il
s'agit là de responsabilité, de générosité
et de solidarité collectives.
Je crois que personne ne conteste le fait qu'il faut évoluer vers une
entreprise d'un nouveau type qui, à côté des actionnaires,
des clients et des personnels tiendra compte des générations
présentes et à venir. Cette entreprise n'existe encore nulle
part, et nous avons à la créer ensemble.
Notre responsabilité d'entreprise est de rendre possible les
évolutions en nous appuyant sur le capital humain que constituent nos
clients et nos personnels. Mais nous ne sommes plus les seuls
dépositaires de l'intérêt général, il y a
aussi une responsabilité de la Nation, notamment dans un marché
ouvert. Nous nous inscrivons dans une politique énergétique qui
ne peut résulter que d'une décision gouvernementale. Rien ne peut
se décider sans un débat démocratique.
Intervention de M. Ladislas Poniatowski, sénateur de l'Eure
La
question de la transposition de la directive « gaz »
m'offre l'occasion de m'interroger sur le « mal
français » qui veut qu'à force de vouloir trop bien
faire, on ne produise rien, le « mieux » étant
l'ennemi du « bien ».
La directive de 1998 relative à l'ouverture à la concurrence du
marché gazier aurait dû être transposée en droit
français avant le mois d'août 2000. Un projet de loi a bien
été déposé par M. Pierret devant
l'Assemblée nationale en mai 2000, mais il n'a pas été
inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Je suis donc, depuis deux ans,
le rapporteur pressenti d'un projet de loi
« virtuel » !
Certes, les occasions n'ont pas manqué, au cours desquelles le
« gaz » a fait parler de lui, notamment dans les rangs de
l'ancienne majorité. Force est de constater que si certains hommes
politiques aiment à laisser leurs noms à une loi, les
« pères » de la loi de transposition étaient
peu soucieux d'assumer leurs responsabilité. Heureusement, le
Sénat veillait sur cet enfant ...
En ma qualité de rapporteur, j'ai mis à profit ces deux
années pour poursuivre ma réflexion. Lors de l'examen de chacun
des budgets depuis 2000, je me suis fait l'interprète des
difficultés rencontrées par l'opérateur gazier historique.
Depuis le début de l'année, le président Gérard
Larcher et moi même avons procédé à diverses
auditions sur le secteur gazier...C'est à l'aune de ces travaux
préparatoires que je vous propose de nous interroger sur les
perspectives ouvertes en matière de libéralisation du
marché gazier.
Comme vous le savez, le retard pris par la France a, d'ores et
déjà, porté préjudice à GDF dont le
développement des activités en Espagne a été
contrarié. Les Espagnols lui ont opposé la « clause de
réciprocité » prévue par la directive. Ils ont
estimé que le marché français n'étant juridiquement
pas libéralisé, tandis que le leur l'est à 100 %,
l'opérateur historique français ne pouvait accroître ses
activités au-delà des Pyrénées. J'objecterai
à cette attitude que d'autres pays, tels l'Allemagne qui
représente le triple du marché français, ont
procédé à une libéralisation plus
« juridique » qu' « effective ». Il
n'en reste pas moins que Gaz de France est limité dans ses exportations
et dans sa stratégie de développement hors de nos
frontières. Un point fait donc consensus : la transposition est
désormais incontournable.
Dès lors qu'une transposition de la directive gazière revêt
le caractère d'une urgente nécessité. Reste à
savoir selon quelle procédure elle peut s'opérer. C'est ce que je
vous propose d'examiner, à présent.
L'éventualité d'une transposition par ordonnance pourrait
être envisagée dans certains cercles. Une telle procédure,
peu respectueuse des droits du Parlement, aurait l'avantage de la
rapidité. Reste à savoir si l'ordonnance de nature à faire
passer la « pilule » gazière devrait être
courte ou longue ? A l'évidence, entre une ordonnance courte,
centrée sur l'essentiel et une ordonnance qui se fonderait sur le projet
de loi « Pierret », la première serait cependant
préférable à la seconde. Faute de cela on s'en remettrait,
sur une question hautement politique, à l'appréciation des
services du ministère de l'industrie.
La transposition de la directive gazière par le biais d'un projet de loi
pourrait, quant à elle, revêtir trois modalités :
- une ordonnance dont le contenu serait voisin de celui de la
directive ;
- un projet de loi procédant à une transposition de la
directive de 1998 ;
- un projet de loi procédant, par anticipation, à une
transposition de la directive actuellement négociée à
Bruxelles, laquelle devrait voir le jour au printemps 2003. Voilà qui
serait ambitieux, mais cela est-il réellement envisageable ?
Il serait, à mon sens, souhaitable que le Parlement examine un texte
court, à l'automne 2002, afin de permettre son entrée en vigueur
effective d'ici à la fin de l'année. Le temps nous est
compté car, comme vous le savez, la négociation a
évolué à l'échelon européen.
Le processus d'élaboration de la nouvelle directive s'est poursuivi,
à Bruxelles, depuis 2001. La situation est particulièrement
préoccupante : Nul ne sait ce que sera la conséquence de
l'adoption de ce texte qui aura pour effet d'accélérer, pour la
porter à son terme, la libéralisation du marché
énergétique européen.
C'est pourquoi il m'apparaît non seulement souhaitable, mais aussi
impératif, d'insister sur la nécessité, pour le
Gouvernement français, de prendre la mesure des implications
économiques et sociales de ce texte. Nous devons poursuivre les
négociations en conservant à l'esprit le fait que bon nombre de
nos partenaires ont procédé à une libéralisation
apparente sans mettre en place de régulateur puissant ni faciliter
l'accès des tiers au réseau, alors même que la France a
suivi une démarche strictement inverse et qui porte ses fruits. Or le
temps presse et joue contre nous : La négociation de la directive
pourrait se conclure cet automne.
Pour pouvoir négocier à Bruxelles, nous devons être
exemplaires : c'est pourquoi il nous faut procéder à une
transposition rapide. Pour que cette modification soit, comprise par nos
concitoyens, comme le souhaitait le président Gérard Larcher dans
son allocution de ce matin, elle doit être entourée d'un
véritable « pédagogie ». C'est pourquoi je
revendique pour le Sénat, qui a travaillé sur ce texte, alors que
nos collègues députés ont connu les bouleversements que
l'on sait, la possibilité d'être saisi, en premier lieu, du projet
de loi portant transposition de la directive gazière que, vous l'aurez
compris, j'appelle de mes voeux.
CONCLUSION DU COLLOQUE
Intervention de M. Gérard Larcher, sénateur des
Yvelines,
président de la commission des Affaires économiques
et du Plan du Sénat
Je me félicite du débat très vivant qui s'est
déroulé tout au long de cette journée. Le Sénat
doit être un lieu où la parole s'exprime en toute liberté.
Je note au passage que l'on a assisté à quelques rapprochements
... inattendus ! J'en veux pour preuve certaines convergences entre
MM. Mestrallet et Fiterman sur les questions de flexibilité et de
sécurité des approvisionnements ; ou entre MM. Turmes et
Syrota sur le besoin d'accroître les flux physiques d'énergie.
A l'évidence, des verrous doivent sauter. Il s'agit de verrous
techniques tels que l'insuffisance des interconnexions électriques dont
a parlée M. Merlin, afin de développer le marché, comme
l'a demandé M. Rodier. Il en va de même de verrous politiques
comme l'attitude des autorités allemandes de la concurrence
vis-à-vis de certaines fusions intra-allemandes ou de ceux qui
empêchent de tirer de nouvelles lignes électriques entre la France
et la Belgique.
Tout n'est pas noir, tout au contraire, dans la démonopolisation du
marché énergétique français. J'ai noté avec
intérêt les termes élogieux que M. Ristori a eus pour
l'action du RTE en la personne de son président, M. Merlin.
Cependant, des progrès restent à accomplir pour fluidifier le
marché et permettre l'apparition d'une bourse de
l'électricité active, ainsi que l'a souligné M.
Conil-Lacoste.
Reste la question du devenir de Gaz de France et d'Electricité de
France. Je suis convaincu qu'il convient de l'aborder sans aucune
idéologie, avec pragmatisme et dans le cadre d'une véritable
pédagogie tant avec les personnels qu'avec les usagers qui sont aussi
les utilisateurs des services dispensés par EDF et par GDF. Sur ce
sujet, une page s'ouvre pour les opérateurs historiques français.
Depuis le sommet de Stockholm de 1999, le processus de libéralisation du
marché européen de l'énergie s'est
accéléré. La Commission européenne a défini
un cadre, des outils et un calendrier qui fixent désormais à 2005
l'échéance de l'ouverture totale à la concurrence,
après une première étape constituée par la
libéralisation du marché des professionnels.
Le colloque organisé le 26 juin 2002 au Sénat a posé les
questions cruciales pour cerner les options ouvertes aux pouvoirs publics et
les choix susceptibles d'être faits par EDF et GDF : Comment
organiser l'adaptation de nos deux entreprises publiques à cette
nouvelle donne ? Quels objectifs et quelles limites à l'ouverture
européenne ? Tous sujets qui intéressent aussi bien l'avenir
de l'Europe de l'énergie que la place des entreprises françaises
et leur politique de développement en son sein.
Beaucoup de décideurs publics et privés, français et
européens concernés par ce vaste débat, indissociable de
celui relatif à la place des services public dans notre pays, ont
participé à ce colloque organisé par la commission des
Affaires économiques et le groupe d'études de l'Energie du
Sénat. Leurs analyses, leurs réflexions et leurs propositions
portent autant sur la compétitivité de l'économie
nationale que sur la vie quotidienne des Français.
Les interventions de ces décideurs sont transcrites dans le
présent rapport. Leur lecture permet à tout un chacun de se
forger une opinion sur ce dossier complexe mais crucial.