Énergie : quelle politique française pour la prochaine législature ?

LARCHER (Gérard) ; REVOL (Henri)

RAPPORT D'INFORMATION 79 (2002-2003) - COMMISSION DES AFFAIRES ECONOMIQUES ; GROUPE D'ETUDE DE L'ENERGIE

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Table des matières




N° 79

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 29 novembre 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) et du groupe d'étude de l'Energie (2) sur les Actes du Colloque « Énergie : quelle politique française pour la prochaine législature ? » organisé par le Sénat le 26 juin 2002,

Par MM. Gérard LARCHER et Henri REVOL,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Gérard Larcher, président ; MM. Jean-Paul Emorine, Marcel Deneux, Gérard César, Pierre Hérisson, Jean-Marc Pastor, Mme Odette Terrade, vice-présidents ; MM. Bernard Joly, Jean-Paul Émin, Patrick Lassourd, Bernard Piras, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Philippe Arnaud, Gérard Bailly, Bernard Barraux, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Marcel-Pierre Cleach, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Yves Detraigne, Mme Evelyne Didier, MM. Michel Doublet, Bernard Dussaut, Hilaire Flandre, François Fortassin, Alain Fouché, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM. Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Charles Guené, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kergueris, Gérard Le Cam, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves Mano, Max Marest, Jean Louis Masson, Serge Mathieu, René Monory, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Claude Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, André Trillard, Jean-Pierre Vial.

(2) Le groupe d'étude est composé de : M. Henri Revol, président ; MM. Jacques Valade, Jean Faure, Jean Besson, Jean-François Le Grand, Aymeri de Montesquiou, Ladislas Poniatowski, vice-présidents ; MM. Jacques Bellanger, Gérard César, Pierre Hérisson, Roland du Luart, Mme Odette Terrade, secrétaires : MM. Philippe Nachbar, André Rouvière, François Trucy, Alex Türk, membres du bureau ; MM. Philippe Adnot, Claude Belot, Jean Boyer, Robert Calmejane, Auguste Cazalet, Philippe Darniche, Hubert Durand-Chastel, Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain Gérard, François Gerbaud, Jean-Pierre Godefroy, Adrien Gouteyron, Louis Grillot, Hubert Haenel, Pierre Laffitte, Lucien Lanier, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Paul Loridant, Jean Louis Masson, Joseph Ostermann, Michel Pelchat, Jacques Pelletier, Jean Pépin, Jean-François Picheral, Xavier Pintat, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Charles Revet, Roger Rinchet, Bruno Sido, Jean-Pierre Vial, Xavier de Villepin.


Énergie

La Commission des Affaires économiques du Sénat et le groupe d'étude de l'énergie ont organisé, le 26 juin 2002, un colloque intitulé « Energie : quelle politique pour la prochaine législature ? ».

Ce colloque posait des questions cruciales pour cerner les options ouvertes aux pouvoirs publics et les choix susceptibles d'être faits par EDF et GDF. Comment organiser l'adaptation de nos deux entreprises publiques à cette nouvelle donne ? Quels objectifs et quelles limites à l'ouverture européenne ? Tous sujets qui intéressent aussi bien l'avenir de l'Europe de l'énergie que la place des entreprises françaises et leur politique de développement en son sein.

Le présent rapport d'information présente les actes de ce colloque dont la Commission des Affaires économiques a approuvé la publication au cours de sa réunion du mercredi 27 novembre 2002.

ALLOCUTION D'OUVERTURE -

M. Gérard Larcher, sénateur des Yvelines,
président de la commission des Affaires économiques
et du Plan du Sénat

J'ai le plaisir d'ouvrir ce colloque sur l'énergie, avec à mes côtés le président Jacques Valade -dont l'intérêt pour ce sujet est connu de tous- et le président Jean Besson.

Outre de nombreuses personnalités du monde de l'énergie, nous sommes heureux d'accueillir le président de la Section des activités productives du Conseil économique et social, Didier Simond. La Commission des Affaires économiques et du Plan conduit, en effet, avec le Conseil économique et social un certain nombre de travaux, notamment dans le secteur industriel.

La date de notre manifestation n'a pas été choisie par hasard, faisant suite immédiate aux événements électoraux que nous venons de connaître, pour traiter d'un sujet qui, d'ici au printemps 2003, sera d'actualité.

Quelle doit être la politique énergétique de la France et de l'Union européenne au cours des mois et des années à venir ?

Si nous nous entendons sur les buts poursuivis, restent plusieurs questions sur les moyens à utiliser pour les atteindre. Il me paraît souhaitable de bien identifier les objectifs fixés en négociant puis en transposant des directives de libéralisation, faute de quoi nos concitoyens seraient en droit de se demander à quoi servent des réformes dont les politiques eux-mêmes sembleraient craindre les effets dès lors qu'ils ne les expliqueraient pas. Pour convaincre, il ne suffit pas de vouloir, il faut être pédagogue.

Une politique énergétique viable pour la France et pour l'Europe impose, à mes yeux, trois objectifs fondamentaux :

- assurer aux particuliers et aux entreprises une fourniture énergétique diversifiée et peu sensible aux aléas économiques et stratégiques ;

- maintenir cette fourniture à un coût raisonnable pour toutes les catégories de clients ;

- respecter l'environnement et le protocole de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre.

Cette politique énergétique est indispensable à une croissance économique favorable à l'emploi dans les services et dans l'industrie. Mener une telle politique nécessite une stratégie fondée sur un consensus national. Après la période des réformes énergétiques « en catimini », le temps est venu d'aborder les problèmes sans les éluder. Je souhaite que nos travaux éclairent le plus complètement possible ces problèmes, et qu'ils y apportent des réponses ou définissent des voies de solutions.

Y a-t-il une alternative pour la France et l'Europe entre les deux repoussoirs que constituent le « monopole flasque », dont l'incurie dans sa forme extrême a abouti à Tchernobyl, et la concurrence irrationnelle, voire perverse, qui a suscité la crise californienne ?

Existe-t-il de réelles marges de progression dans la voie de la libéralisation, afin d'accroître par la productivité, la compétitivité de nos économies ? On constate que plusieurs de nos partenaires européens ont bénéficié de l'apparition de mécanismes de marché qui tirent les prix à la baisse, notamment pour les importants clients industriels. Faut-il pour autant en France accélérer la libéralisation sans discernement ? A l'évidence, dans le secteur électrique, notre pays a intérêt à accroître ses échanges avec l'étranger, eu égard à sa productivité forte et à ses capacités de production disponibles. Est-ce à dire que nous devons accepter les diktats de certains de nos partenaires, qui s'emploient de fait à créer des marchés nationaux étanches ? Ainsi, l'exemple de l'Allemagne révèle une forme de schizophrénie qui menace certains membres de l'Union : M. Schröder appelle à l'accélération de la libéralisation, alors que nous savons que le marché intérieur allemand est « cartellisé » et fermé à la concurrence intra-européenne.

Ne convient-il pas de distinguer une libéralisation juridique et virtuelle de la constitution réelle d'un grand marché intérieur de l'énergie, qui suppose l'introduction de mécanismes techniques efficaces ?

N'est-il pas révélateur que notre pays soit celui qui a permis l'accès des tiers au réseau électrique sur la base d'un tarif négocié et donc non discriminatoire ?

N'est-il pas révélateur que notre pays soit l'un des rares qui se soient dotés d'un régulateur puissant, actif, indépendant et respecté ?

Aucun bilan précis n'a encore été établi sur l'avancement de la libéralisation européenne, sujet sur lequel la France n'a nullement à rougir.

Est-il concevable que la libéralisation ait pour effet de favoriser la constitution d'un oligopole de producteurs européens ? Certains Etats peuvent-ils continuer à faire de la libéralisation virtuelle tandis que d'autres, qui procèdent à une libéralisation réelle, devraient se soumettre encore plus aux règles d'ouverture du marché ?

Que serait une libéralisation qui ne servirait qu'à accroître le prix des fournitures faute de capacité de production -- je songe ici à l'inéluctable relance du programme nucléaire --, ou qui aboutirait à diminuer la sûreté des approvisionnements, ou encore qui conduirait à accentuer l'effet de serre en incitant au développement inconsidéré de centrales thermiques ?

De façon plus générale, la question de la répartition des différents types de production en Europe et dans les pays avoisinants est posée.

Peut-on par exemple laisser fonctionner, aux portes de l'Union, des centrales nucléaires que certains ingénieurs appellent des centrales "en tôle" ? Un accident discréditerait toute la production nucléaire et pousserait les prix à la hausse, or nul ne doit oublier que c'est cette production qui limite le contrôle du marché par les producteurs de matière première.

Cependant, la libéralisation est en marche. Nous devons encore réfléchir, mais sans pouvoir reculer. Il convient donc de se préparer à assurer la transition entre les monopoles historiques, qui ont fait leurs preuves, et un modèle nouveau, vraisemblablement incitatif au dynamisme et intégrateur des économies, dans lequel, quoi qu'il en soit, le risque doit demeurer maîtrisable et le service public assuré.

C'est dans ce contexte global que nous devons nous interroger sur le devenir des opérateurs historiques français du marché de l'énergie.

La position de la France me paraît devoir être pragmatique. Les plus ardents défenseurs de la suppression des monopoles historiques se recrutent dans des Etats où prévalent des oligopoles... A force d'avoir été annoncée, différée, puis démentie, la question de l'évolution du statut d'établissement public d'EDF et de GDF a fini par semer l'inquiétude chez leurs salariés, qui n'attendent au contraire que clarté et pédagogie.

Le débat doit être clarifié, un projet d'entreprise mobilisateur doit être défini, accompagné d'un projet social dont ne seront pas être exclus les salariés.

Quels sont, dans cette perspective, les schémas d'évolution envisageables pour les deux opérateurs historiques français ? Ils doivent s'adapter à la nouvelle donne, c'est une question de survie économique dans le monde de demain. Pour la France, il s'agit d'un enjeu essentiel pour la place qu'elle occupera en Europe et dans le monde.

La croissance externe de ces deux entreprises publiques est l'une des conditions de la pérennité des régimes d'emploi qu'elles assurent. Cette croissance doit certes se faire en préservant des règles prudentielles, mais un schéma d'évolution doit être imaginé.

Nous pouvons songer à quatre choix principaux : la voie gémellaire, le mariage arrangé, le ménage à trois et la réconciliation amoureuse...

Convient-il de persister dans la « voie gémellaire » des développements parallèles et indépendants d'EDF et de GDF ? Certains en doutent, estimant que GDF n'aurait pas la taille suffisante, avec ses seules forces, pour conserver son indépendance. La question de l'amont est posée.

Une fusion des deux opérateurs, le « mariage arrangé », est-elle envisageable ? Les défenseurs de cette solution font valoir qu'elle permettrait de constituer un opérateur multi-énergies disposant d'une taille critique incontestable. Mais on peut s'interroger sur l'acceptabilité d'une telle stratégie au regard des règles européennes du droit de la concurrence, et s'interroger sur le prix qu'il y aurait alors à payer.

Le « ménage à trois » est la fusion par métiers, qui séparerait chaque entreprise horizontalement en trois entités chargées respectivement de la production, du transport et de la distribution de l'électricité et du gaz. Mais ce compromis ne risquerait-il pas de retarder au-delà du raisonnable l'adaptation de GDF ?

Un modèle mixte permettrait de transformer, dans des délais raisonnables, GDF en société anonyme publique pour lui permettre de tenter l'aventure de la conquête dans l'indépendance, quitte à rapprocher certaines de ses activités de celles d'EDF dans le cadre d'une forme de « réconciliation amoureuse »...

Je soumets ces différents scénarios à votre appréciation, en espérant qu'ils contribuent à alimenter vos réflexions.

Dans ce cadre général, une donnée essentielle ne doit pas être oubliée : je veux parler des modalités d'association des personnels et des garanties à apporter à leurs statuts et à leurs retraites. Cette question n'est d'ailleurs pas seulement nationale. En ce qui me concerne, il est clair que la manière de procéder doit être établie après concertation et dialogue social, conformément aux orientations tracées par le président de la République. Les modalités de la garantie des retraites devront être déterminées dans le nouveau contexte concurrentiel, ce qui n'est pas simple. Nous évoquons là, pour la seule EDF, un dossier à 40 milliards d'euros !

Là encore le pragmatisme et le dialogue, et non les idéologies ou les corporatismes déplacés, devraient ouvrir la voie au législateur.

Après quelques années d'immobilisme, on peut se donner quelques mois, pour développer le dialogue social et évaluer de manière incontestable la valeur financière d'EDF.

Le Sénat réfléchit de manière approfondie aux inflexions de la politique énergétique de la France. Cette réflexion est par nature indépendante, mais à coordonner avec celle de l'exécutif. Notre assemblée participera, accompagnera, voire anticipera le processus de réforme que nous connaîtrons au cours de la législature qui commence. De toute façon, parce qu'il y aura loi, le Parlement sera au coeur de la décision, donc du débat, des tensions, des consensus recherchés et des choix.

INTRODUCTION DU COLLOQUE -

Intervention de M. Henri Revol,
sénateur de la Côte d'Or, président du groupe d'études
de l'énergie du Sénat

Notre groupe d'études et la Commission des Affaires économiques marquent, par l'organisation de cette journée, l'importance croissante que revêt la politique énergétique pour notre pays, comme nous le montre d'ailleurs quotidiennement l'actualité. Nous avions, en décembre dernier, tracé des pistes de réflexion et d'action. Je souhaite que cette journée permette d'éclairer plus précisément encore les voies de l'avenir afin que nos autorités politiques et nos entreprises se préparent aux prochaines échéances.

Toute décision en matière de politique énergétique doit répondre à trois grands défis :

- la sécurité d'approvisionnement,

- la libéralisation et la construction de l'Europe de l'énergie,

- le défi environnemental.

La Commission d'enquête du Sénat avait déjà insisté en 1998 sur ces enjeux majeurs.

L'impératif de la sécurité d'approvisionnement est une priorité absolue. Si rien n'est entrepris dans les vingt prochaines années, l'Union européenne couvrira alors ses besoins énergétiques avec 70 % de produits importés, contre 50 % aujourd'hui. Nous ne pouvons évidemment pas accepter de dépendre d'une poignée de producteurs étrangers. Pour notre groupe d'Etudes, tout l'éventail des ressources énergétiques doit être ouvert, toutes les sources d'énergie doivent être sollicitées.

Les contraintes liées au problème majeur du réchauffement climatique nous imposent de sortir du triste et passionnel débat qui a agité l'Union européenne autour de l'énergie nucléaire. Après avoir été diabolisée, il semble que celle-ci doive, à l'avenir, prendre une place incontournable. Les récentes décisions de la Finlande ou de la Suède vont en ce sens, tout comme le rapport d'une commission d'enquête du Parlement allemand, qui estime que l'Allemagne pourrait construire entre 50 et 70 centrales de 2010 à 2050. Dans cette perspective, il est souhaitable que parallèlement au lancement du prototype EPR, les recherches sur les déchets soient accélérées dans les conditions prévues par la loi de 1991, ainsi que dans le domaine des énergies renouvelables. Saluons à ce titre la réussite de cette petite « Silicon Valley » grenobloise, qui s'impose désormais comme un pôle européen majeur. Mais ne nous berçons pas d'illusions, les énergies renouvelables resteront marginales dans un avenir visible.

Le troisième enjeu est celui de la libéralisation et de la construction de l'Europe de l'énergie. La Commission européenne souhaite accélérer, à un rythme qui peut paraître un peu excessif, ce processus de libéralisation. Si cette évolution est souhaitable, elle ne doit pas se faire dans n'importe quelles conditions. Il faut savoir doser courage, ambition et prudence. Bruxelles devrait tirer leçon des expériences des pionniers de la libéralisation. Plus qu'au degré théorique d'ouverture des marchés, je souhaite que l'on s'attache davantage à leur ouverture effective, ainsi qu'aux règles et modes de régulation permettant d'assurer la transparence et la concurrence. Or, comme l'a montré un rapport de la Commission européenne, il n'existe pas de corrélation entre le degré théorique d'ouverture des marchés et l'exercice réel de la concurrence, d'où qu'elle provienne. Ainsi la France, pointée du doigt par ses partenaires, enregistre un taux réel d'ouverture de ses marchés loin d'être négligeable, dans des conditions de transparence et de régulation irréprochables.

Nous ne pouvons à cet égard que regretter que le précédent gouvernement n'ait pas procédé à la transposition de la première directive gaz. Nous le payons cher aujourd'hui en termes de crédibilité à Bruxelles, notre pouvoir de négociation s'en trouvant considérablement amoindri.

Cette journée nous permettra de souligner les zones d'ombre des projets de directives électricité et gaz et les interrogations qu'ils suscitent.

La fluidité et la sécurité des approvisionnements énergétiques ainsi que la baisse des prix aux consommateurs en sont les objectifs réels.

Mais quelles sont les garanties pour le long terme ? Comment seront délimités les périmètres respectifs des Etats, des régulateurs et des acteurs du marché ? Comment assurer la construction de nouvelles infrastructures ? Comment définir, garantir et financer les missions de service public ? Enfin, selon quelles modalités conviendra-t-il de faire évoluer les statuts de nos grandes entreprises publiques, afin qu'elles puissent nouer les partenariats industriels indispensables si elles veulent rester « dans la cour des grands » ? La question du financement des retraites des personnels d'EDF et de GDF doit également être posée en termes clairs.

Les interventions et nos échanges sur ces sujets fondamentaux seront, j'en suis sûr, riches et animés. Je forme l'espoir qu'ils soient constructifs et qu'ils éclairent les décisions à venir.

Intervention de M. Didier Simond, président de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie
du Conseil économique et social (CES)

Le temps de l'énergie est celui de la longue durée. L'énergie est « structurante » et les décisions prises engagent pour longtemps une société et son économie.

La liste des travaux du CES sur l'énergie est fort longue. Je rappellerai très rapidement que nous avons traité récemment des deux directives européennes, celle de l'électricité et celle du gaz, et les conclusions de nos réflexions ont obtenu un large consensus.

La vision du CES, en matière de politique énergétique en France, peut se résumer ainsi : toutes les options doivent être suivies, aucune énergie ne doit être négligée au nom d'une quelconque idéologie.

Il m'appartient d'aborder quelques points de caractères généraux.

La consommation mondiale d'énergie, en liaison avec la croissance économique, ne peut que croître, tandis que les ressources vont s'épuisant. Parallèlement, la question de l'environnement impose une maîtrise de cette consommation, ce qui suppose des choix énergétiques et donc de société. Or, pour ne prendre que l'électricité, plus de 2 milliards de nos contemporains vivent sans pouvoir accéder à cet élément de base et beaucoup d'autres n'en bénéficient qu'imparfaitement. Il s'agit là d'un défi lancé à tous : comment faire pour que chacun puisse jouir de ce que nous considérons nous-mêmes comme un élément banal de notre quotidien ? Ce défi devra être relevé, au risque de conflits majeurs, et il renvoie à la préoccupation concernant les ressources mondiales.

En l'état actuel de nos connaissances, les réserves pétrolières mondiales couvriraient 40 à 60 ans de consommation - elles sont à 65 % situées dans la péninsule arabique ; les réserves de gaz naturel couvriraient 60 à 100 ans - elles se trouvent majoritairement sur les territoires de l'ex URSS ; les ressources en charbon sont plus équitablement réparties, et pourraient satisfaire plus de deux siècles de consommation. Nous devons méditer sur ces données pour prendre des décisions politiques, d'autant qu'à cela s'ajoutent les inquiétudes concernant les données climatiques dans leurs relations avec la consommation d'énergie.

Rappelons aussi que l'Amérique du Nord absorbe plus du quart de l'énergie consommée dans le monde et l'Europe de l'Ouest environ le cinquième.

Les prévisions laissent présager un accroissement de la demande d'énergie : de 9 gigatonnes en équivalent pétrole en 1990 on passerait à 13, voire 17 gigatonnes dans les 20 ou 30 ans à venir.

Dans ce contexte, l'Union européenne est imparfaitement pourvue de ressources fossiles, même si certains de nos partenaires en disposent de quelques-unes. La dépendance énergétique de l'Union est donc patente, comme cela a été rappelé précédemment.

Signalons que le problème de l'indépendance énergétique est également au coeur des préoccupations notamment de l'Administration américaine.

Nous savons que la politique énergétique de notre pays repose sur la réalisation d'un triptyque :

- sécurité d'approvisionnement par une diversification géographique et technique des sources et des ressources,

- mise en place d'une source nationale de production d'électricité,

- et économie d'énergie.

Il reste beaucoup à faire en ce qui concerne ce dernier point, alors que les deux premières composantes ont connu des réussites indéniables.

D'autres évoqueront le devenir de notre appareil de production. Je souhaiterais, pour ma part, évoquer l'impératif de conduire et de poursuivre pour notre pays les efforts de la recherche dans le domaine de l'énergie.

Seul cet effort est à même de faire reculer les limites des réserves dites conventionnelles. C'est à ce prix que nous pourrons continuer de faire entendre notre voix et contribuer activement au maintien de toutes les options énergétiques, comme celle du charbon, qui représente encore 30 % de l'énergie consommée dans le monde. Certes, l'extraction du charbon est sur le point de s'arrêter complètement dans notre pays, mettant un terme à une longue histoire, néanmoins, cette source a de l'avenir dans d'autres parties du monde.

Notre appareil de recherche doit donc être maintenu performant afin de promouvoir notre technologie dans toutes les composantes de l'énergie, y compris celle-ci ou bien encore les énergies renouvelables.

A ce propos, la biomasse est de loin la plus ancienne ressource énergétique de l'homme, et l'hydroélectricité la plus mature et la plus développée au monde. Peut-on aller encore plus loin ? Certes oui, comme en ce qui concerne les biocarburants.

Reste à s'interroger, en termes économiques, sur la valeur ajoutée des énergies renouvelables dans leur ensemble : il s'agit d'un vaste débat.

Au-delà se pose encore la question des technologies de ruptures (pile à combustible par exemple) et de leur développement.

Il est préoccupant pour nous, Européens et Français, de savoir que, dans le domaine de la recherche, les USA dépensent deux fois plus que l'Union européenne. A ceux qui ont le pouvoir de décider, il convient de porter le message de maintenir et de développer à la fois de grandes entreprises et un outil de recherche performant.

Enfin, n'oublions pas le nucléaire. Le CES insiste sur la pérennité de cette filière qui doit s'analyser selon plusieurs paramètres : sécurité technique, compétitivité économique, acceptabilité sociale. Il conviendra, pendant la prochaine législature, de prendre une décision quant au futur réacteur européen. Je n'en dis pas plus.

Au centre de vos débats doit être placée la nécessité de soutenir les entreprises énergétiques françaises et leurs sous-traitants, pour faire en sorte que leur mutation soit mieux inscrite dans la concurrence internationale à laquelle ils sont confrontés.

L'intérêt de nos entreprises est celui de la France.

PREMIÈRE TABLE RONDE :

MARCHÉ EUROPÉEN DE L'ÉNERGIE :
COMMENT SORTIR DE L'IMPASSE ?

Intervention de M. Dominique Ristori, directeur des Affaires générales de la DG Energie et Transport de la Commission européenne

L'intitulé de cette table ronde comporte le mot "impasse", qui implique que l'on fasse marche arrière. Or, nous préférons aller de l'avant... de manière maîtrisée et lucide, sur la base de priorités bien pesées et pensons que cela est possible.

Tous les éléments qui ont été mis en évidence lors de l'introduction de ce colloque sont effectivement au coeur de nos débats. De larges échanges de vue ont lieu actuellement au sein des Etats membres, et notamment en France : cela caractérise bien les progrès qui ont été accomplis sur le plan de la définition d'une politique européenne qui ne se limite pas aux questions relatives à l'ouverture des marchés, mais qui aborde sans tabou des aspects tels que la diversification des sources d'énergie, le nucléaire, la place et le rôle de la maîtrise de l'énergie ou des sources d'énergies renouvelables, tout ceci par rapport aux contextes européen et mondial.

En ce qui concerne l'ouverture des marchés, le vote du Parlement européen et les conclusions du sommet de Barcelone tracent les contours du cadre dans lequel nous devons opérer. Ce cadre est conforme aux propositions que nous avions nous-mêmes introduites.

Un large accord existe aujourd'hui pour que les marchés électriques et gaziers soient ouverts dès 2004, en termes de choix, à tous les clients industriels et commerciaux. Tous les chefs d'Etat et de Gouvernement ont donné leur appui à ce projet fondamental, dont le calendrier précise que ces éléments devraient être acquis pour la fin 2002.

Un deuxième point touche les aspects qualitatifs les plus importants. C'est le modèle de régulation, sur lequel nous avons beaucoup progressé, notamment avec l'Allemagne. Un régulateur dans chaque Etat membre sera en mesure de statuer sur les points essentiels liés à la fois au contrôle des tarifs et aux conditions d'accès au réseau.

L'accord vaut aussi pour les aspects de séparation juridique et comptable. Conformément à notre proposition nous nous approchons d'une séparation légale. Nous avons, en France, un gestionnaire de réseau de transport qui a acquis au fil du temps son indépendance fonctionnelle et les moyens nécessaires pour le maintien et le développement du réseau.

Nous avons donc tracé les éléments qualitatifs et quantitatifs pour réussir et obtenir une décision sur les points-clés. De plus, soucieux de la sécurité de fonctionnement du marché intérieur de l'énergie, nous y avons ajouté la nécessité d'aboutir en même temps sur les réseaux transeuropéens d'énergie.

On caricaturerait l'approche européenne si on la réduisait à la libéralisation, à la déréglementation et à la dérégulation. Le nouveau cadre concurrentiel appelle au contraire un modèle de régulation moderne qui se traduit par une législation effective de grande qualité qui fixe correctement les règles du jeu en associant tous les partenaires-clés. Cet élément fondamental est en train de bâtir la force du modèle européen. Saluons au passage l'accord passé avec les gestionnaires et régulateurs de réseaux de transport en matière de tarifs transfrontaliers. Cela fait de l'Europe le marché le plus avancé, le plus harmonisé et le plus intégré en ce domaine.

Sur les obligations de service public et sur le service universel, le contrôle de l'Etat et la responsabilité de la puissance publique ne disparaissent pas avec le processus d'ouverture de marché. L'Etat garde une responsabilité éminente en ce qui concerne le contrôle des services essentiels : les conditions dans lesquelles les obligations de service public doivent être assumées, que ce soit au travers d'entreprises publiques ou privées ; les aspects fondamentaux liés à la sécurité de l'approvisionnement ; la protection des consommateurs les plus vulnérables, etc. Sur tous ces points, la responsabilité de la puissance publique reste pleine et entière. Elle prend même un sens plus aigu et particulier, dans la mesure où elle opère dans un cadre qui permet le choix. C'est aussi pourquoi le dialogue social est un moyen de gérer le processus en cours de manière équilibrée, maîtrisée et responsable.

On a également souvent réduit l'objectif européen sur la libéralisation à une question de prix bas. Ce n'est pas exact. Ce qui est important, c'est d'avoir des prix compétitifs. Ceux-ci doivent refléter l'état de l'offre et de la demande. Il est essentiel de garder cela à l'esprit lorsque l'on sait que nous devrons faire face à une demande énergétique qui va rester importante chez nous et croître à nos portes. Nos entreprises devront être en mesure de répondre à ces besoins. C'est un élément qu'il faut intégrer dans leurs stratégies.

Nous serons, bien entendu, attentifs à tout ce qui concerne la sécurité des approvisionnements et la diversification des sources d'énergie, sans oublier notre devoir de maîtrise de l'énergie elle-même. Nous avons, en Europe, des capacités à mieux exploiter. En ce qui concerne les appareils électriques par exemple, nous n'avons pas suffisamment profité des technologies de pointe, qui devraient s'allier aux normes d'économie d'énergie pour permettre de placer sur le marché des produits qui répondent aux besoins.

Tels sont les défis que nous avons devant nous, et que nous souhaitons aborder avec confiance et détermination.

Intervention de M. Christian Stoffaës, président de l'Initiative
pour les services d'utilité publique (ISUPE)

La manière dont vous formulez votre question laisse entendre que nous serions dans une impasse. C'est d'ailleurs une idée assez complaisamment répandue à l'étranger, où EDF est à la fois incomprise, crainte, jalousée pour ses résultats alors qu'elle n'est pas conforme au modèle du « politiquement correct » ; le modèle français d'organisation de l'énergie serait archaïque, la France serait le mauvais élève de l'Europe... Je vais essayer d'apporter un éclairage économique sur cette question. Si l'économie est une science avec ses lois, c'est aussi une science politique, avec ses vérités mais aussi ses options idéologiques.

La question de la concurrence dans les industries à tendance monopolistique - ce que les économistes appellent les monopoles naturels - est une question complexe. La concurrence conduit à la concentration, au profit des entreprises de plus grande taille. La course à la part du marché débouche sur la position dominante qui suscite à son tour la régulation. Il n'y a pas une vérité, mais plusieurs, et l'on remarque d'ailleurs que les vérités d'hier peuvent être les erreurs d'aujourd'hui. Le modèle de l'économie centralisée naguère considéré comme la référence, est aujourd'hui voué aux gémonies. Mais le modèle dérégulé et désintégré, après les crises d'Enron et de la Californie, est aujourd'hui lui-même déjà démodé.

Les situations de ce type, où la vérité scientifique est complexe, laissent le champ libre à la propagande : l'utilisation de l'expression "impasse" est révélatrice de cette attitude. Il faut aussi être conscient que derrière ces prises de position, il y a de puissants intérêts, privés, économiques et financiers, collectifs et sociaux. Et aussi des intérêts idéologiques, puisque l'énergie -l'électricité et le gaz en particulier - est un secteur où toutes les forces politiques et sociales d'un pays se croient autorisées à prendre position. Marcel Boiteux disait à ce propos qu'il faut préférer le gouvernement par les ratios au gouvernement par les ragots.... Dépassant les rumeurs, la science économique peut apporter un éclairage aux options, identifier les vrais enjeux et éclairer les positions.

Les caractéristiques propres au secteur de l'industrie électrique conduisent à rendre le concept de monopole naturel paradoxal. Si ce secteur économique s'est développé dans le cadre de la concurrence vers 1880, il se concentre entre les deux guerres, dans les années 1920. Nationalisées suite à des controverses suscitées par les pouvoirs des trusts capitalistes, ces industries ont été soumises pour l'ensemble de leurs activités à des régimes de service public. Depuis 1980, l'histoire s'est remise en marche dans un contexte nouveau où les monopoles sont devenus sujets à critiques. Une vague de dérégulation qui a pris naissance dans les pays anglo-saxons, est aujourd'hui relayée par les textes communautaires.

Voilà le paradoxe : si l'on développe la concurrence, on aboutit à la concentration, et la concentration aboutit quelquefois à un monopole qui débouche sur des insuffisances de gestion, donc sur la nécessité d'une régulation, puis à un renouveau de la concurrence ; et le cycle recommence. En 1946, il y avait dans l'ensemble du pays un large consensus sur la nationalisation de l'électricité et du gaz. Ce fut un symbole de la reconstruction du pays. Aujourd'hui les choses ont changé, et l'on sent bien que le cycle est en train de se reboucler.

La dérégulation britannique a été une véritable rupture historique qui a plutôt bien réussi. Cet exemple a inspiré les Etats-Unis, l'Europe et incité la Banque mondiale et le FMI qui l'ont l'imposé à toute une série de pays en développement. Vingt ans après, ce modèle, sans être remis en question, montre tout de même ses limites ; en effet, il pose des problèmes illustrés notamment par la rupture d'approvisionnement en Californie voici un an et demi ou par le scandale d'Enron. Le krach de 1929, rappelons-le a été lié à la spéculation dans le secteur électrique. Sans vouloir faire de strict parallèle, il faut remarquer que la crise boursière actuelle a, elle aussi, été déclenchée par la dérégulation de l'énergie qui a fait émerger un certain nombre d'acteurs, tel Enron. La France est devenue, à son corps défendant la bête noire de l'Europe en matière d'énergie : Le modèle français est mis à l'index par l'Europe parce que nous aurions des monopoles subventionnés par l'Etat.

Or, la vérité est que ni EDF ni GDF n'ont reçu, depuis plus d'un quart de siècle, de dotation en capital ni d'aide publique. C'est donc un faux procès. Par ailleurs, il est reproché à la France, que son marché serait fermé ; ce qui, en matière d'industrie de réseau, signifie un marché dont l'accès est prohibé. Or, le facteur commun de la dérégulation et de la concurrence dans ces industries est d'imposer l'accès au réseau au profit des tiers. Nous avons donc une « infrastructure essentielle », le réseau de transport qui est un monopole naturel : pour l'ouvrir à la concurrence on impose le transport pour compte de tiers. C'est bien le cas des autoroutes, du gaz, du transport aérien, du chemin de fer et ... de l'électricité.

Le marché français est bien un marché ouvert où s'applique clairement la directive européenne. Son accès est d'ailleurs bien plus ouvert que dans d'autres pays, parce que nous avons un régulateur national et un gestionnaire du réseau de transport qui reste intégré à EDF, mais qui pratique des tarifs transparents, sous l'égide de la commission de régulation. La nationalisation est elle aussi mise en accusation. Bien qu'il faille reconnaître que l'ouverture à la concurrence, l'expansion et le développement nécessite l'appel aux capitaux privés, il n'en reste pas moins que, pour le moment, les textes communautaires sont neutres par rapport à la propriété du capital. Aujourd'hui, en Europe, le décloisonnement des marchés énergétiques fait que les phénomènes de concentration sont en plein développement. Si la dérégulation et l'ouverture des marchés ont pour conséquence la disparition des situations protégées des entreprises de petites tailles, elles favorisent en revanche la constitution de grands groupes. Actuellement, un oligopole de quelques grands groupes est en train de se composer : alors que de grands pétroliers comme BP, Shell, TotalFinaElf existaient déjà, on assiste maintenant à la concentration du secteur électro-gazier. Finalement, le seul vrai reproche que l'on puisse faire au système français, c'est sa compétitivité. Le choix nucléaire français est un atout considérable en matière de coût de production de l'électricité. Mais dans un marché ouvert et concurrentiel, peut-on nous faire grief d'être compétitif ? Et, comme il faut bien trouver quelque chose on nous fait les faux procès que nous venons de citer. Le modèle français paraît aux yeux de certains archaïque. Il faut reconnaître que le nucléaire, le Parti communiste et le monopole d'Etat ne sont plus très à la mode ces temps-ci. Et, c'est sur cette exception française que repose maintenant l'essentiel du procès qui nous est fait.

La privatisation -l'ouverture du capital- est un débat actuel. Nous avons rappelé à ce sujet que les traités sont neutres. L'examen du passif du bilan d'EDF, montre que la part des capitaux propres est assez faible par rapport aux dettes et autres engagements. On en déduirait presque que la valeur nette d'EDF est très modeste, surtout quand on intègre les engagements hors bilan que constitue le régime spécial des retraites. Mais cette bizarrerie n'est qu'apparente, car ce bilan est en fait chargé de provisions qui correspondent aux engagements d'EDF à l'égard d'intérêts collectifs. Nous trouvons par exemple au bilan 20 milliards d'euros de provisions pour la restitution des concessions de distribution électrique, puisque la loi de 1906 accorde aux municipalités le pouvoir concédant des réseaux de distribution. On peut se poser la question de savoir si cette provision, légale, est justifiée et donc, si la législation est pertinente. Il faut en débattre. Nous trouvons également au bilan 50 milliards d'euros de provision pour risques et charges, en particulier pour couvrir les charges de retraitement des combustibles nucléaires. Il importe de poser ces questions difficiles relatives à l'ouverture du capital. Elles ne peuvent être résolues que par une mise à plat de l'ensemble du régime juridique et légal de l'électricité et du gaz qui s'est sédimenté depuis environ un siècle. Des dizaines de textes se sont accumulés et à l'évidence, le moment est venu d'accomplir un gigantesque toilettage législatif et réglementaire, préalable nécessaire à tout ce que l'on pourra envisager sur le capital.

Une dernière remarque, sur la question sensible de l'antitrust européen. Rappelons que l'antitrust ne réprime pas les positions dominantes et les monopoles, mais les abus que les monopoles peuvent faire grâce à leur position dominante. Dans la législation américaine, l'antitrust joue un rôle majeur, mais les procès durent souvent des décennies. Par exemple, le procès contre le monopole du téléphone, ATT, a duré un siècle.

En Europe la question commence à se poser. La Direction générale de la concurrence qui avait un pouvoir d'appréciation sans limites dans ce domaine, commence maintenant à être contre-arbitrée. En effet, la Cour de Justice vient de considérer que, dans un certain nombre de cas, la Direction générale de la concurrence était allée un peu trop loin dans l'imposition de contraintes antitrust. Le dossier va donc être très ouvert, ce qui va poser la question de la procédure. Le droit européen est d'inspiration libérale, c'est à dire avec une procédure de type accusatoire : nous avons le procureur, qui dirige l'action publique, et le juge. Alors qu'aujourd'hui, la procédure de l'instruction antitrust est de type inquisitoire, où l'administration est souveraine, puisque, à la fois, elle conduit l'action publique et prononce le jugement.

Nous connaissons deux cas d'application : le rapprochement de l'électricité et du gaz, et l'ouverture du transport. L'ouverture du transport est la vraie condition de la concurrence. Il faut distinguer l'ouverture légale et l'ouverture de fait. L'expérience de l'ouverture à la consommation finale, comme dans la téléphonie mobile par exemple, montre qu'elle a peu d'effets. En revanche les effets sont importants sur la fraction du marché professionnel, déjà largement ouverte. La France pourrait pertinemment porter l'attention sur l'ouverture du réseau européen de transport (sujet sur lesquels les Allemands n'aiment pas beaucoup s'exprimer). Notre monopole de ce côté-ci du Rhin ne convient pas aux cartels qui se trouvent au-delà : l'Allemagne est le pays des ententes alors que nous sommes le pays des monopoles publics !

ÉCHANGES AVEC LA SALLE

Philippe BODSON

Quel raisonnement a mené la Commission européenne à accepter le rapprochement entre Eon et Ruhrgas ? Cela concerne tout de même la création d'une entité extrêmement puissante...

Dominique RISTORI

La Commission ne s'est pas prononcée, elle a simplement considéré que cette affaire concernait l'Allemagne, ce qui n'est pas exactement la même chose.

Mais en Allemagne, cette affaire n'est pas encore définitivement conclue. Nous suivons de très près ce dossier qui est encore loin de sa phase finale. Nous sommes notamment attentifs à des points bien identifiés, qui touchent le problème d'abus de position dominante, celui des marchés relevants, gaziers et électriques en l'occurrence, ou la part du chiffre d'affaires sur les marchés national et européen ; c'est sur la base de ces critères bien connus que la Commission pourrait être amenée à intervenir .

Je profite d'avoir la parole pour réagir aux propos de M. Stoffaës. Je ne crois pas que des développements très spécifiques en cours au niveau du Tribunal de première instance ou de la Cour de Justice soient de nature à remettre en cause, en quoi que ce soit, le fondamental de la ligne qui a été celle de la Commission depuis le début, qui concerne la mise en place d'un cadre concurrentiel bien compris en Europe. Cela a d'ailleurs été très bénéfique à l'économie européenne en général, à la compétitivité de laquelle d'ailleurs tous nos débats, dont celui-ci, sont liés.

Christian STOFFAES

Nous sommes face à un théâtre d'arguments. Je propose, en ce qui me concerne, d'élaborer une base d'arguments rationnels et raisonnables susceptibles de nous donner une image positive. L'argument de la procédure accusatoire en matière antitrust fait partie de la conception libérale du droit. A mon sens il devrait être mis en avant. Il pourrait en être de même avec celui de la non-ouverture du réseau de transport allemand. Sortons d'un positionnement défensif. Tant pis si on nous attribue le mauvais rôle, personne n'est sans reproche. Nous savons qu'il n'y a pas de vérité scientifique absolue, seule une bonne argumentation est efficace : fourbissons-la pour en sortir. Il est temps pour la France de la faire valoir.

Philippe BODSON

Je rappelle que, lorsqu'en Belgique il y a eu rapprochement entre le gaz et l'électricité, la Commission n'a pas attendu que l'autorité nationale tranche : elle s'est directement saisie du dossier. Serait-il donc normal que la Commission présente des différences de comportement face à un "grand" pays et face à un "petit" pays... ?

Jean-Sébastien LETOURNEUR , Président de l'UNIDEN

J'adhère aux propos de Monsieur Stoffaës lorsqu'il dit que tout va bien si le transport est bien séparé. Cela fonctionne effectivement très bien pour l'électricité.

Mais pour le gaz, si l'on considère que le transport, ce sont les tuyaux et les pompes, on risque de passer à côté du problème, dans la mesure où l'on oublie le stockage et les terminaux méthanier. Ce point important commande la non-discrimination en matière de gaz. J'aimerais connaître l'avis de Monsieur Ristori sur cette question.

Dominique RISTORI

Je suggérerais tout d'abord à notre collègue belge de demander aux autorités allemandes leur avis sur les relations de l'Allemagne avec la Commission européenne : la réponse risque d'être édifiante.

En ce qui concerne ce problème du gaz, je souscris largement à la position de M. Letourneur. Beaucoup de discussion concernant la première directive ont eu lieu sur cette question du stockage. C'est un des points qui fait et fera l'objet de négociations à l'occasion de la nouvelle directive gaz.

En ce qui concerne le transport de l'énergie, il ne peut pas être laissé aux seules forces du marché. Ce serait mettre en danger le bon fonctionnement du marché intérieur. Mais il ne peut pas non plus être abandonné entre les mains d'une seule entreprise verticale en situation de monopole, sous peine de gêner les nouveaux entrants. Nous nous efforçons de définir des points d'équilibre au travers de l'approche de la séparation juridique que nous avons proposés. De ce point de vue la France n'est pas le modèle négatif en Europe ! Elle l'est par contre quand elle ne transpose pas la directive gaz, se mettant ainsi hors de la loi européenne, ce qui affecte la sécurité juridique tout entière.

Mais lorsque son gestionnaire de transport électrique opère dans les meilleures conditions possibles en l'état actuel du droit, sous le contrôle de son autorité de régulation, nous le saluons, comme nous saluons la pertinence du débat général en France sur la politique énergétique.

Christian STOFFAES

La question posée est : peut-on intégrer des installations de haute technologie pour le stockage, des usines de liquéfaction et des terminaux à l'infrastructure monopolistique qu'est le réseau de gazoducs ? Comme pour la question de l'antitrust, c'est une question de débat et d'argumentaire. Voyons l'exemple d'Enron, transporteur à l'origine de gaz régulé, c'est-à-dire obligé de transporter pour compte de tiers et contraint au principe de spécialité, moyennant un tarif transparent. C'est l'abrogation au milieu des années 1980 du système de régulation qui a permis à Enron de devenir un trader, avec le succès et la chute finale que l'on sait. Le système européen actuel est un système de trading, du fait que les entreprises gazières sont des transporteurs qui ont le monopole d'importation. La question de l'introduction de la notion d'accès transparent aux réseaux de transport, peut alors se poser : c'est-à-dire la transformation des acteurs gaziers en établissements publics ou quasi publics régulés.

Jean-Sébastien LETOURNEUR

Précisons que les tuyaux internationaux ne font pas partie de ce débat. Nous parlons du transport sur un territoire national, par exemple. C'est cela qui doit être séparé et mis à l'abri de tous les intérêts.

Dominique DRON , présidente de la Mission interministérielle de l'effet de serre

Nous parlons de politique énergétique, et surtout beaucoup d'offre énergétique. Une politique énergétique détermine les offres en fonction des quantités de besoins ou de demandes, mais aussi en fonction de la nature et de la substituabilité possible des énergies. On a rappelé la montée de la dépendance énergétique de l'Europe, mais sans mentionner que cette montée était due pour plus de 90 % à la croissance de la consommation des transports, passagers et fret.

M. Ristori a souligné la nécessité pour l'Europe de veiller à sa compétitivité énergétique. Comment l'Union européenne conçoit-elle de répondre à cette nécessité, compte tenu que le temps de turn-over des technologies pauvres en carbone est tel que nous ne résoudrons pas notre problème avec cela ?

Dominique RISTORI

Dans les derniers mois, nous avons progressé plus que quiconque en ce qui concerne la mise en place d'un cadre réglementaire pour la maîtrise de l'énergie et pour les énergies renouvelables.

Nous souhaitons par ailleurs non seulement la diversification des choix énergétiques, mais aussi que soit encouragée l'utilisation des sources d'énergie qui contribuent à la fois à notre moindre dépendance énergétique et à ne pas aggraver notre production de CO².

En ce qui concerne le transport, nous avons proposé une révision drastique de la politique des transports en direction du rail (notamment pour le fret), ce qui devrait permettre de progresser sur une ligne plus compatible avec les accords de Kyoto.

DEUXIÈME TABLE RONDE :

OBJECTIFS ET LIMITES DE L'OUVERTURE
DES MARCHÉS DE L'ÉNERGIE

Intervention de M. Jean Besson, sénateur de la Drôme,
rapporteur pour avis sur le budget de l'Energie du Sénat

Un certain flou existe actuellement en ce qui concerne les objectifs de la politique énergétique européenne. Je suis pour ma part convaincu de la nécessité de diminuer le coût de l'énergie pour accroître la compétitivité de nos entreprises, comme de la nécessité de préserver une tarification qui ne lèse pas les consommateurs domestiques. C'est dans ce cadre général que doit être examinée la structure de la production énergétique de l'Union européenne, et notamment la place qui sera donnée au nucléaire. Il appartient aux décideurs publics de souligner l'importance de la contribution du nucléaire pour respecter nos engagements de Kyoto.

Je voudrais vous faire part des interrogations suscitées dans les collectivités locales -- qui sont propriétaires et, donc, autorités concédantes des réseaux de distribution d'énergie -- concernant la qualité du service délivré au client.

Les financiers vont détenir un pouvoir grandissant dans les entreprises historiques. Ces experts en ratios et graphiques seront-ils sensibles à la nécessité de conserver la qualité du service rendu au consommateur ? C'est l'enjeu de la libéralisation pour les collectivités locales.

Les élus locaux, dont nous sommes les représentants, sont par ailleurs très attachés au maintien d'instruments de péréquation propres à la France, qui ont permis d'assurer l'égalité de nos concitoyens vis-à-vis du service public de l'énergie. Il nous appartient de nous assurer que l'ouverture des marchés européens ne servira pas de prétexte pour affaiblir ces mécanismes de péréquation territoriale.

Intervention de M. Gérard Mestrallet,
président-directeur général de Suez

Suez, à travers Tractebel, est l'un des opérateurs les plus internationaux. L'énergie à l'international représente les deux tiers de notre chiffre d'affaires, et dépasse les 50.000 mégaWatts, dont la moitié en Europe. Nous sommes fort intéressés par les sujets dont nous débattons aujourd'hui, d'autant que Tractebel est présent aussi sur le marché du gaz, depuis 1994, avec Distrigaz.

Nous étions réunis ici même il y a environ un an, selon la même configuration. La crise californienne démarrait et nous étions dans la perspective du Sommet de Barcelone. Beaucoup de choses se sont passées depuis. Aux Etats-Unis par exemple, au-delà de la crise californienne et de l'affaire Enron, la réalité est plus complexe, plus profonde et plus grave. Elle ne résulte pas seulement d'une insuffisance des capacités de production, ni des effets d'une libéralisation plutôt mal conçue. Le modèle de référence était celui du trading pur, dont nous nous sommes délibérément écartés en ce qui nous concerne.

Le Sommet de Barcelone a ensuite précisé le cadre de l'ouverture du secteur à la concurrence. Nous sommes aujourd'hui inévitablement dans la dynamique d'une telle ouverture. Elle est parfois relativement mal vécue ; certains craignent une remise en cause des acquis sociaux, un abandon des missions de service public, une faillite à la californienne de systèmes électriques ou gaziers qui seraient livrés à eux-mêmes.

Je crois que le cadre défini par les directives communautaires écarte ces risques, tout d'abord parce que les objectifs sont assez clairs. L'ouverture de ces marchés constitue une pierre angulaire à la construction du grand marché intérieur, lui-même garant de la prospérité des Etats membres. Un marché ouvert offre, avant tout, la possibilité pour les consommateurs de choisir leurs fournisseurs. Par ailleurs, la méthode choisie me paraît bonne, accompagnée d'un calendrier raisonnablement progressif. Rappelons que l'ouverture de ces marchés européens va se faire de façon beaucoup plus homogène et rapide qu'aux Etats-Unis, où les premiers éléments d'ouverture datent d'une vingtaine d'années, et où la liberté est largement laissée à chaque Etat, alors que l'Europe impose une vitesse minimum à chaque Etat membre.

Il faut bien entendu que les institutions de marché soient bien dessinées, et qu'il y ait un bon " market design ". Cela signifie plusieurs choses.

Il est premièrement indispensable qu'il y ait un régulateur indépendant, une institution efficace pour que le marché s'ouvre et fonctionne. C'est au régulateur qu'il revient de veiller à ce que notamment les obligations de service public indispensables ne soient pas un prétexte pour introduire des distorsions de concurrence. C'est également à lui, avec les gestionnaires de réseaux et les producteurs, qu'il incombe de garantir la sécurité. Je tiens à dire aussi que nous avons en France un système efficace de régulation : je salue l'action de la Commission de régulation de l'électricité. Il en est d'ailleurs de même en Belgique. Nous livrons par exemple en France environ 70 sites industriels importants, ce qui n'est pas le cas en Allemagne, contrairement à ce que l'on pourrait penser compte tenu de la configuration de ces deux marchés. Le marché allemand n'a toujours pas trouvé son régulateur, ce qui donne un marché ouvert en théorie à 100 %, mais fermé en pratique à 100 %.

La régulation doit par ailleurs être soucieuse des réalités économiques et techniques. C'est l'économie qui commande la séparation juridique d'une part des réseaux de transport d'électricité et de gaz, monopoles naturels porteurs de faibles risques, et d'autre part des activités de production et de commercialisation, qui sont, par nature, concurrentielles. Pourquoi est-il difficile d'alimenter les grands consommateurs industriels en Allemagne ? Il existe cinq réseaux de transport, chacun étant la propriété d'un producteur, donc d'un concurrent. On comprend la difficulté de traverser parfois un, deux ou trois réseaux différents... pour livrer un client. Cette séparation est donc une nécessité.

J'ajouterais qu'il ne faut pas qu'une régulation tarifaire trop stricte décourage l'investissement en développement des réseaux et des interconnexions ou bien s'étende à des activités qui ne sont pas de son ressort.

Un troisième axe d'effort concerne les instruments financiers : ils doivent être adaptés aux spécificités du secteur, notamment de l'électricité.

On entend dire, dans l'affaire Enron notamment, que le trading est le fléau absolu. Je pense le contraire. Il faut apporter au secteur de l'électricité une flexibilité en élaborant des instruments adaptés à la gamme des prestations. Il faut des prix à terme qui se forment sur un marché qui puisse avoir une profondeur et une liquidité suffisante pour équilibrer l'offre et la demande. Mais le marché ne doit pas défier les lois de la physique ! L'électricité ne se stocke pas et ne se livre pas par ondes hertziennes ! Faute de véritables parcs de production et de véritables réseaux de transport, les choses finissent par tourner mal : c'est pour cette raison d'ailleurs que nous avions décidé de ne pas suivre le modèle Enron.

ÉCHANGES AVEC LA SALLE

Bernard GERVAIS , chargé de mission à la Mission stratégie et politique de la direction transport - Gaz de France

L'indépendance du régulateur est double : elle s'exerce vis-à-vis de la profession, mais aussi vis-à-vis des autorités de l'Etat. Qu'en est-il selon vous de cette dernière ?

Vous savez que, dans le projet de directive, l'Allemagne a fait passer l'idée qu'il n'y ait pas d'indépendance vis-à-vis de l'Etat.

Gérard MESTRALLET

Je dirai que l'indépendance fonctionne bien. Je suis pour une régulation la plus indépendante possible. Le Bundes-KartelAmt, pour être clair, ne me paraît pas être le régulateur idéal...

Olivier SCHNEID

Puisque vous devez nous quitter, puis-je vous poser une dernière question qui éclairera la table ronde de cet après-midi intitulée : Quels choix pour Electricité de France et Gaz de France ?

Vous avez déjà déclaré que vous n'étiez pas demandeur pour entrer dans le capital au simple titre de partenaire financier, mais que vous étiez aussi demandeur d'alliance industrielle. La configuration politique actuelle et l'approche de l'échéance vous amènent à quelles réactions ?

Gérard MESTRALLET

Ces deux entreprises disent avoir besoin - aux mêmes conditions que les autres - de l'accès au marché des capitaux, et donc de suivre aussi la même discipline de contrainte que les entreprises cotées, comme la nôtre. Cela me paraît une évolution naturelle.

Par principe, effectivement, nous ne sommes pas intéressés à prendre des participations. Nous sommes, en revanche, intéressés par des coopérations industrielles, commerciales, techniques ou technologiques avec ces groupes. Nous sommes par exemple déjà associés avec GDF pour le réseau de froid de la Ville de Paris. S'il faut entrer au capital pour établir d'autres coopérations de ce type, pourquoi pas... mais ce n'est pas notre priorité.

Intervention de M. Jean Syrota, président
de la Commission de régulation de l'électricité (CRE)

Pourquoi développer la concurrence dans le cadre du marché unique ?

On recherche tout d'abord l'efficacité économique, c'est-à-dire une diminution des prix, toutes choses égales par ailleurs, pour les consommateurs, en supprimant les monopoles, excepté les monopoles naturels que sont les réseaux publics de transport et de distribution, qui sont eux-mêmes soumis à régulation et à accès libre et non discriminatoire.

La sécurité d'approvisionnement sera améliorée par le décloisonnement des marchés, ce qui ne signifie pas qu'à lui seul le marché suffit à assurer cette sécurité.

L'ouverture du marché en France est effective, d'autres que moi l'ont déjà constaté. Elle reste compatible avec l'existence d'un service public défini par la loi. Ce service public a un coût, estimé à 0,3 centimes d'euro par kWh pour 2002, du fait de la péréquation tarifaire et les obligations d'achat d'électricité provenant de cogénérations. Dans les années suivantes s'ajouteront des obligations d'achat d'énergies nouvelles, en particulier des éoliennes, ce qui pourrait porter ce coût à 0,6 centime d'euro, soit 20 % du prix de l'électricité pour les plus gros consommateurs. Une telle hausse pourrait plus que compenser la baisse due à la concurrence.

Le but affiché de l'organisation du marché unique est, d'une part, qu'il y ait dans chaque Etat-membre un accès régulé des tiers aux réseaux, d'autre part, un régulateur sectoriel et, enfin, que les gestionnaires de réseaux aient une neutralité garantie. Cela existe pour l'essentiel déjà dans tous les Etats membres, excepté en Allemagne. Notons que, dans les derniers projets de directive, l'obligation d'avoir un régulateur sectoriel n'est pas retenue.

Il s'agit par ailleurs de faire en sorte qu'entre les Etats membres, la circulation de l'électricité se fasse de manière aussi fluide qu'à l'intérieur des marchés nationaux, ce qui est loin d'être le cas. Les surcoûts pour le passage d'un réseau à l'autre peuvent être relativement importants, plus élevés parfois que le prix du transport. Il s'agit là d'obstacles sérieux à la concurrence. Rien n'empêche de supprimer ces quasi péages aux frontières, même en cas de congestion. La congestion rend impossible le passage de la totalité des quantités d'électricité souhaitées, mais à la place des enchères on peut réguler ce passage par un système de prorata : des systèmes existent, suffisamment sophistiqués pour empêcher ou limiter le pouvoir de marché des opérateurs historiques.

Pour progresser, il faut développer les capacités d'interconnexion internationales, ce qui est, bien évidemment, plus facile à dire qu'à mettre en oeuvre, notamment lorsqu'il s'agit de traverser des montagnes ou des bras de mer : ceci écarte à court terme les îles et les péninsules, soit environ une moitié des Etats membres. Sur l'Europe continentale, qui pourrait être un marché unique, les Pays-Bas sont isolés par des prix très élevés d'enchères aux interconnexions à leurs frontières ; l'Allemagne est protégée par son système d'autorégulation ; la Belgique ne semble pas souhaiter aller dans le sens du renforcement des interconnexions avec la France notamment... Donc, on est loin du marché unique de l'électricité. Il manque une volonté politique.

En ce qui concerne l'avenir, nous, les régulateurs, sommes peut-être les moins bien placés pour y réfléchir, puisque nous travaillons dans un cadre fixé par la Commission européenne et par le Parlement. La réflexion que je vous livre est donc plus personnelle qu'institutionnelle.

En France la seule concurrence significative ne peut venir que de l'Europe.

Les consommateurs et les producteurs français ont tout à gagner de l'entrée résolue dans un marché unique européen de l'électricité.

La situation actuelle d'EDF est considérée à l'étranger comme insupportable par les politiques et les électriciens en raison de sa prédominance et de son monopole sur le marché français. Par contre, sur un vrai marché unique européen, EDF n'aurait plus de position dominante, se trouvant à moins de 25 % du marché et conserverait ses capacités à lutter pour gagner dans cette situation de concurrence.

Mon étonnement est donc que l'on n'aille pas plus vite et plus résolument vers cette nouvelle configuration qu'est le marché unique.

Intervention de M. André Merlin, directeur général de Réseau de transport d'électricité (RTE),
président de l'Association des GRT européens (ETSO)

Le rôle premier des gestionnaires de réseaux est de gérer, en toute sécurité les flux d'électricité sur les réseaux de transport, mais nous avons également pour mission d'entretenir et de développer ces infrastructures. Telles sont les principales missions qui nous ont été confiées par la directive européenne.

On peut dans un premier temps s'interroger sur la rapidité de l'ouverture du marché de l'électricité français malgré le relatif retard de la transposition de la directive 96/92 en droit français.

Si nous avons pu bénéficier des expériences de nos collègues gestionnaires de réseau précurseurs, quatre principales raisons, exposées ci-après, nous ont permis d'atteindre plus rapidement le degré d'ouverture requis.

Tout d'abord, la bourse d'électricité en France que nous avons créée dès novembre 2001. En six mois de fonctionnement, les volumes échangés par ce mécanisme ont été multipliés par dix sans problèmes techniques et à des tarifs proposés tout à fait comparables à ceux proposés sur les autres places.

Un autre point, moins connu, a été le développement du marché de gros par des échanges bilatéraux. Les gestionnaires de réseaux ne peuvent pas gérer efficacement l'ensemble des transactions de par leur multiplicité. C'est pourquoi, nous avons mis en place les contrats de "responsables d'équilibre", permettant aux opérateurs de mutualiser les risques tout en simplifiant le suivi des échanges commerciaux. Très vite ceux-ci se sont opérés entre les responsables d'équilibre. Le volume échangé aujourd'hui est d'environ 10 milliards de kWh par mois, soit un quart de l'énergie physique transportée.

Un autre point important est la mise en place de mécanismes non-discriminatoires pour la gestion des capacités d'échange entre le réseau français et les réseaux voisins. La gestion des interconnexions, avec des capacités techniquement réduites, est bien évidemment sensible pour l'ouverture du marché européen. Il fallait donc avancer sur ce point et très vite. Dès le mois d'avril 2001, avec notre homologue britannique, nous avons mis en place un système d'attribution des capacités d'échanges par enchères. Avec l'Italie, nous avons instauré un système d'attribution au prorata, tel que nous l'a décrit précédemment M. Syrota. Nous travaillons actuellement avec la Belgique sur un système d'allocations conjointes de nos capacités. En ce qui concerne la péninsule ibérique, nous attendons une évolution législative espagnole qui permettra de mettre en place un système identique désormais indispensable pour attribuer en toute transparence les capacités encore trop réduites entre nos deux pays.

Enfin, pour témoigner de notre volonté commune d'ouvrir le marché européen: nous avons instauré, depuis le 1er mars 2002, un système de compensation qui supprime les péages de transit sur l'ensemble de l'Europe continentale.

L'ouverture du marché de l'électricité est donc une réalité qui s'affirme davantage chaque jour.

La première directive européenne a constitué une base solide pour la construction d'un marché européen. Par ailleurs, la loi de transposition en France a permis d'aller plus loin dans l'indépendance du gestionnaire de réseaux de transport. S'il n'a pas encore sa propre personnalité juridique, il a cependant suffisamment de droits et de devoirs pour garantir aujourd'hui son indépendance. On pourrait penser dès lors qu'il serait envisageable d'aller plus loin, jusqu'à cette indépendance juridique totale. Mais la directive 96/92CE a laissé le principe de subsidiarité s'appliquer sur ce thème.

Mais désormais, il convient de tirer les leçons de cette première expérience de libéralisation pour la prochaine directive et pour les évolutions institutionnelles futures en France.

Pour développer un véritable marché intégré de l'électricité en Europe, il faut créer toutes les conditions pour assurer la fluidité du marché. Mais, cette ouverture doit s'accompagner de transparence et d'indépendance totale des acteurs. A cette fin, les gestionnaires de réseaux doivent être pleinement indépendants, ainsi que les autorités de régulation nationales afin qu'elles puissent définir des règles ex ante et en contrôler l'application.

Enfin, les tarifs d'accès aux réseaux doivent être transparents, publics, et permettre ainsi un accès des tiers aux réseaux totalement équitables. Il est également nécessaire de développer davantage les interconnexions, en particulier là où l'on connaît les congestions les plus importantes.

Intervention de M. Charles Fiterman, membre de la section
des activités productives, de la recherche et de la technologie
du Conseil économique et social

Deux observations préliminaires. En premier lieu, l'évolution du paysage énergétique en France est souvent présentée comme une obligation découlant de décisions prises à Bruxelles. Mais les orientations européennes sont des tentatives de réponse à des besoins issus des modifications profondes intervenues dans l'offre et la demande au fil des décennies. On peut discuter de certains choix, mais il faut répondre à ces besoins. Au surplus, un niveau européen est, dans un certain nombre de cas, le plus pertinent.

Par ailleurs le débat sur l'ouverture se réduit souvent à opposer les « pour » et les « contre », les libéraux et les étatistes. Le Conseil économique et social n'a souscrit à aucun de ces postulats.

Notre démarche est partie des objectifs à atteindre et des besoins à satisfaire.

Il s'agit de parachever le marché unique, et il est bien entendu impensable que le marché de l'énergie en soit exclu.

La demande croissante doit être satisfaite, en volume et au meilleur coût, en veillant à ce que ne s'instaure pas un paysage à deux vitesses.

La qualité est également un besoin à satisfaire, en fonction de la diversité des demandes.

D'autres objectifs ont déjà été évoqués. La sécurité d'approvisionnement en fait partie. Nous sommes très attentifs à cet aspect, en tenant compte de la dimension de long terme indispensable dans un tel domaine.

Les préoccupations environnementales et la nécessité d'inscrire nos politiques dans le développement durable doivent également être intégrées à nos réflexions.

La sécurité des installations présente des implications de toutes sortes. Ce paramètre est et sera de plus en plus important dans le choix des politiques nationales et des stratégies industrielles.

Enfin, l'objectif de la cohésion sociale est particulièrement important, notamment en ce moment, pour ne pas laisser le champ libre aux démagogies de toutes sortes.

C'est donc en fonction de ces objectifs que le Conseil économique et social approuve le processus d'ouverture engagé à l'échelle européenne, et considère qu'il doit aller à son terme raisonnable. Cette ouverture doit d'ailleurs être considérée comme un fait, elle n'est pas le débat de fond. Dans le même temps, il est parfaitement possible, comme cela a été dit, et c'est en ce sens que le CES s'est prononcé, de maintenir un espace significatif et nécessaire d'intervention publique, voire de maîtrise publique, dans des formes et à des niveaux diversifiés pour répondre aux objectifs d'intérêt général. En France, la propension, lorsque l'on traite de tels problèmes, est de raisonner d'abord en termes de structures plutôt qu'en termes de missions ou de contenus. La démarche du Conseil économique et social est de développer le débat en se mettant tout d'abord d'accord sur les missions pour ensuite définir les meilleures structures. Les évolutions très importantes du paysage énergétique impliquent, une fois que l'accord sur les objectifs est établi, que les structures elles-mêmes évoluent.

La contribution du CES peut aider au débat national nécessaire, à la réalisation des réformes importantes qui sont à l'ordre du jour, et à la création des conditions qui nous permettent d'être plus offensifs sur le terrain européen. Nous avons été trop frileux et attentistes, persuadés qu'en appliquant la stratégie du bastion assiégé nous pourrions tenir et nous en sortir.

Intervention de M. André Bohl, président de l'Association nationale de régies de services publics et des organismes constitués
par les collectivités locales (ANROC)

Après la France et l'Europe « d'en haut », je vais peut-être revenir à la France « d'en bas »...

L'Europe a voulu des règles communes pour les marchés intérieurs de l'électricité et du gaz, des mesures de transposition ont été prises en France et une proposition modifiée va accélérer le processus pour obtenir une ouverture du marché aux non-résidentiels au 1er janvier 2004. Actuellement, l'ouverture du marché concerne 2 000 clients, pour 16 gigawattheures de consommation par site ; en 2004 nous aurons 3 millions de clients. Il faudra gérer ce parc, avec un objectif majeur : la séparation de la production, de la fourniture et éventuellement de la propriété, de la gestion des réseaux de transport et de distribution, cette dernière restant dans le cadre du monopole naturel.

En vertu de la loi fondatrice de 1946, rappelons-le, il existe parallèlement à EDF et GDF des entreprises locales de distribution dont les statuts juridiques sont très divers. Ce sont cependant les collectivités publiques qui restent les autorités organisatrices. On oublie trop souvent que l'Etat est propriétaire du réseau de transport, même s'il en a confié la gestion à EDF. Dans le contexte futur, on peut s'interroger sur la capacité des collectivités locales à être considérées comme légitimes et souhaitables dans ce secteur d'activité, pour permettre aux entreprises locales de distribution, qui constituent une alternative à la concession, de pouvoir continuer à exercer leurs prérogatives au moins à égalité de chances avec les autres opérateurs, ceci à l'échelle européenne.

Le rôle de l'Etat reste important à ce niveau de la subsidiarité. Certains pays ont adapté leur législation, ce qui a pu être facilité par leurs structures fédérales, comme en Belgique.

En ce qui concerne la France, il faut évoquer trois évolutions.

Il faut tout d'abord dépasser la territorialité. Pour accéder au marché, il faut avoir capacité à contracter pour les non-résidentiels, dont les collectivités locales sont d'ailleurs partie intégrante. Il serait paradoxal que ces collectivités puissent contracter pour elles-mêmes, mais pas en tant que distributeur d'énergie.

Il faut ensuite accepter le principe de spécialité. On ne peut pas être présent sur le marché des non-résidentiels sans apporter des services en aval.

Il faut enfin permettre l'évolution de la forme juridique des entreprises locales vers un statut de type société anonyme à 100 % municipale, ce qui est actuellement impossible en France.

Sans ces évolutions, nous pourrions être amenés à regretter la disparition en France de l'exercice du service public par des entreprises ou des services publics locaux. De plus, nous renforcerions les objections que l'Europe pourrait faire à EDF, puisque selon la loi de 1946, la disparition d'une entreprise locale de distribution entraîne automatiquement le transfert de sa concession à EDF.

Une autre interrogation concerne le plan technique, abordé par la deuxième directive. La moyenne tension en France est de 20.000 volts ; à l'étranger, elle est de 110.000 volts. Les opérations de transposition devront être attentives sur ce point, car il concerne directement l'aménagement du territoire.

Sur le plan financier, le problème le plus fondamental est celui du régime des retraites, dont celui des 7.500 salariés des entreprises locales de distribution, qui sont gérés par EDF-GDF-Pensions. Nous avons demandé que cette fraction soit considérée comme coût échoué, mais le 8 juillet 1999, la Commission européenne a réfuté les conséquences tarifaires de la gestion directe par les entreprises des engagements liés au régime spécial de retraite.

Un autre problème concerne la façon dont nous finançons les réseaux. En France, l'urbain est financé de manière entrepreneuriale par EDF ou les entreprises locales ; le rural est financé par le fonds d'amortissement des charges d'électrification, qui fait intervenir une solidarité que personne ne souhaite voir disparaître. Mais si cette pratique perdure, où est la concurrence ?

Autre question, relative aux tarifs d'utilisation dans le cadre du réseau d'acheminement, constitué du transport et de la distribution. On s'oriente apparemment vers un tarif d'acheminement unique. Il faudra donc préciser la séparation entre la part qui va au transport et la part qui va à la distribution.

Par ailleurs, sur le plan comptable, la séparation des activités de production et de distribution se complexifie, puisque l'on doit distinguer résidentiels et non-résidentiels, éligibles et non-éligibles. Ces problèmes ont été évoqués par la directive en fixant un niveau d'intégration dans les entreprises d'un certain nombre de clients. Ce problème sera posé aux autorités. Dans une phase transitoire plus ou moins longue, deux régimes coexisteront : un régime administré pour les résidentiels et un régime ouvert à la concurrence pour la fourniture aux non-résidentiels.

Ces diverses considérations militent pour une évolution des contraintes actuelles liées aux statuts juridiques des entreprises locales en général, permettant à celles du secteur de l'électricité et du gaz d'assurer leur exploitation au mieux des intérêts de leurs collectivités supports, propriétaires des réseaux de distribution, responsables de l'aménagement du territoire, qui ont des devoirs vis-à-vis des usagers consommateurs. Nous devons rechercher une forme de décentralisation qui reste à inventer. Aux parlementaires de mettre en page cette belle histoire...

Intervention de M. Claude Turmes, député européen, rapporteur de la commission Industrie, commerce extérieur, recherche et énergie
du Parlement européen

La France est l'un des seuls pays où se tienne vraiment un débat sur la question de l'énergie. La plupart des politiques européens, mais aussi internationaux semblent penser qu'il n'y a pas de différence entre la libéralisation d'un marché virtuel comme celui de la téléphonie mobile et celle du marché de l'électricité.

La première directive européenne a eu des conséquences positives, mais elle n'a pas su remédier à un certain nombre de problèmes que nous connaissons sur le marché européen :

Il y a très peu de bénéfice pour les petits consommateurs.

Nous avons d'énormes distorsions entre les acteurs économiques et entre les différentes formes de production, notamment en ce qui concerne les coûts externes ( les coûts non payés de pollution de l' environnement ou les risques non assurés).

Certains dirigeants bénéficient de salaires mirobolants -- ce qui explique peut-être pourquoi ils sont pour la libéralisation... -- et face à cela nous avons perdu 300.000 emplois en Europe dans le secteur de l'énergie à la suite de rationalisations.

La deuxième directive devrait favoriser l'émergence d'un véritable marché européen. Il faut pour cela que les flux physiques soient améliorés, mais aussi que les distorsions diverses soient gommées.

En ce qui concerne les clients domestiques, le Parlement européen est majoritairement pour une ouverture très rapide. Pour ma part, je prône un débat dépassionné basé sur des faits.

En Angleterre, après beaucoup d'efforts pour faire profiter les petits clients de l'ouverture, les résultats sont très décevants. La baisse qu'ils ont connue est exclusivement due à la réduction des coûts de distribution et de transport, alors que la part du coût relative à la production a augmenté. J'aimerais que la France lance et mène le débat sur la nécessité d'une ouverture total aux petits clients.

Dans le domaine des clients domestiques, je suis favorable à une compétition de systèmes, entre un système d'ouverture totale pour les petits clients dans certains pays et un système de concession à la française, dans lequel plusieurs communes, par exemple, pourraient se réunir pour procéder à des appels d'offres.

En ce qui concerne les réseaux, nous avons déjà évoqué le cas allemand. Sur le plan diplomatique, les Allemands ont largement battu la France. Ils ont verrouillé leur marché en le laissant ouvert sur le papier, puis en baissant artificiellement le prix de l'électricité et en gonflant les coûts de distribution et de transport. Ceci a été rendu possible par l'absence de régulateur. Le marché parait ouvert sur le papier mais est de facto verrouillé.

J'espère une alliance entre la France et la Grande-Bretagne pour aller vers une régulation plus forte et une vraie séparation entre les intérêts du réseau et ceux de la production. On constate que les pays qui ont intelligemment libéralisé, comme la Norvège, ont en fait renationalisé le réseau.

Les réseaux sont la colonne vertébrale du système, je ne crois pas qu'il faille pousser leur privatisation. Je suis favorable à un RTE national, mais on pourrait éventuellement "régionaliser" la distribution.

Pour le rail, la régionalisation s'est avérée très bénéfique pour le service. De même, dans le cas de l'énergie, on pourrait envisager pour la France qu'il y ait une dizaine de régions couvrant la distribution. Un tel modèle serait également bénéfique pour les salariés et donc plus acceptable pour les syndicats.

Les distorsions de concurrence que j'évoquais précédemment méritent également débat, me semble-t-il.

Une des distorsions les plus substantielles dans le marché européen se fait à partir de l'utilisation des fonds de démantèlement. Alors qu'en principe ces fonds devraient assurer le financement du démantèlement des réacteurs et de la gestion (sur des centaines d'années) des déchets, les opérateurs tels que EDF, E.ON et RWE ont bâti leurs empires avec cette « cagnotte » dont d'autres opérateurs comme ENEL ou Vattenfall ne disposent pas.

Théoriquement, EDF devrait avoir aujourd'hui 60 milliards de francs pour financer le démantèlement et la gestion des déchets du nucléaire. Le problème est double: nous construisons actuellement un marché européen avec des acteurs qui ont des cagnottes et d'autres qui n'en ont pas et, en plus, nous exposons les citoyens au risque de devoir payer si un de ces opérateurs était mis en faillite. Un autre problème majeur concerne les dominations de marchés. Je suis déçu du travail de la Commission européenne sur ce domaine, qui ne semble pas prendre ce sujet au sérieux. Cela a pourtant été l'une des origines de la crise californienne. Nous disposons de critères de mesure, comme les ratios de concentration. En Allemagne, le Bundeskartelamt était très strict sur les fusions. Depuis qu'existe le marché européen, il perd en importance politique. Les Allemands sont dans une logique de politique industrielle qui consiste à construire deux champions européens et voire même mondiaux. D'après mes dernières informations, la fusion Eon-Ruhrgas va se faire, ce qui peut représenter la fin du marché, puisque tous les autres acteurs devront suivre cette dynamique.

Même si l'on considère que la plaque continentale est le marché de référence, dans lequel on doit considérer les flux physiques réels, le phénomène de concentration a déjà atteint un niveau trop élevé.

ÉCHANGES AVEC LA SALLE

Olivier SCHNEID

Monsieur Turmes, vous nous disiez que si la fusion Eon-Ruhrgas se faisait, ce serait la fin du marché. Que dire de la fusion EDF-GDF ?

Claude TURMES

Le débat doit être lancé. A Barcelone, les chefs d'Etats ont discuté pendant des heures sur la question de l'ouverture totale du marché. Mais cela n'est pas important pour le fonctionnement du marché en ce moment. Les questions importantes sont les distorsions de concurrence, les fonds de démantèlement, l'accès aux réseaux et les régulations. Si nous ne nous occupons pas de cela, il n'y aura pas de marché concurrentiel ! Chaque grand opérateur construira son petit royaume.

Christian MARMAIN , Président directeur général de SCH Consultants

De la part d'un député Vert, je m'attendais à entendre des attaques contre la politique européenne de l'énergie, et à recevoir des propositions...

J'aimerais connaître votre position sur le nucléaire, à la suite des décisions qui ont été prises en Finlande, et les propositions des Verts pour faire évoluer la politique énergétique.

Claude TURMES

Dernièrement, lors d'une table ronde, l'économiste Philippe Herzog a dit que j'étais un Vert... intelligent ! La question du nucléaire ne peut pas être résolue au niveau européen. Si la France veut s'engager dans le nucléaire, qu'elle le fasse, mais il ne faut pas de distorsions sur le marché. Monsieur Lamy lui-même dit clairement que le nucléaire est une question relevant de la subsidiarité, une question nationale. La Commission européenne abuse de la discussion à propos du Livre Vert sur la sécurité d'approvisionnement pour relancer le nucléaire. Je préfèrerais qu'elle agisse sur notre dépendance par rapport au pétrole, liée au transport, ce qui est un vrai problème.

Concernant les énergies renouvelables, les Français n'ont pas seulement perdu contre le Danemark au Championnat du monde du football, ils ont aussi perdu la bataille du positionnement sur le marché mondial des énergies renouvelables, face à un "nain industriel" comme le Danemark ! Les Allemands ont compris : ils seront numéro 1 mondial sur ce marché cinq fois plus important que le marché du nucléaire.

Dominique RISTORI

Il suffirait, je crois, d'interroger les responsables actuels du gouvernement danois pour modérer l'enthousiasme relatif à leur expérience sur les énergies renouvelables.

Claude TURMES

Le secteur éolien au Danemark est tout de même aujourd'hui le troisième employeur du pays...

Dominique RISTORI

En ce qui concerne le nucléaire, nous disons qu'il faut un débat sans tabou ni préjugés qui analyse les avantages et les inconvénients. Le nucléaire n'émet aucun gaz à effet de serre, ce qui constitue un atout irremplaçable par rapport aux objectifs de Kyoto. C'est par ailleurs un élément essentiel pour la réduction de notre dépendance énergétique. Un dernier point concernant les fonds de démantèlement, qui ont été évoqués. Nous sommes attachés à tous les éléments qui renforcent la sûreté, notamment pour le traitement des déchets. Il est vrai qu'il faut être attentif à ce que les provisions en la matière soient disponibles quand il le faut, et qu'il n'y ait pas d'utilisation déraisonnable de ces fonds. Une réflexion est lancée en ce sens ; il y aura très probablement une initiative de la Commission à ce sujet, à la suite du débat qui a eu lieu au Parlement européen.

Olivier SCHNEID

Que diriez-vous, Monsieur Ristori, de ce risque de dérive du marché unifié vers la constitution d'oligopoles, avec les deux gros éléments que sont EDF et Eon ?

Dominique RISTORI

Soyons lucides et réalistes sur ces questions de concentration. On nous reproche souvent au niveau européen de ne pas appuyer la mise en place de structures industrielles puissantes qui soient le socle de notre puissance industrielle. Par ailleurs, certains avancent que nous devrions être plus sévères encore vis-à-vis de la constitution de grands groupes. La vérité se situe, à mon avis, à un point d'équilibre. Il faut prendre en compte deux notions fondamentales : celle d'un marché relevant pour le secteur spécifique dont nous parlons et celle d'éventuels abus de position dominante.

Alain DARNEY , groupe SNPE

Mon intervention s'adresse à Monsieur Syrota, à propos de la mise en oeuvre du Fonds du service public de la production d'électricité (FSPPE) en 2002. Vous nous parliez de 3 euros par mégawattheure et un certain nombre de questions se posent : quels sont les liens, par exemple, avec les tarifs de transport, qui intégraient des charges couvertes par le FSPPE ? Les 3 euros sont calculés, je crois, sur la base de 425 terrawattheures  : cela couvre donc les consommations des particuliers et des éligibles, de même que les importations. Comment est donc envisagée la mise en oeuvre, quel contrôle la CRE va-t-elle mener sur ces points ?

Jean SYROTA

Je tiens d'abord à préciser que le chiffre calculé sur le montant du FSPPE pour l'année 2001 est provisoire, il sera révisé après vérification des surcoûts constatés. Etant donné la façon dont la loi a été faite, nous risquons effectivement de rencontrer des difficultés pour vérifier que chacun contribue comme il le doit. Les producteurs doivent payer, mais aussi les importateurs, ce qui complique les choses, puisqu'il est nécessaire de vérifier s'ils importent et combien ils importent ; or, il est parfois difficile de savoir d'où vient l'électricité. Il m'arrive d'espérer qu'une nouvelle loi vienne remplacer les modes de perception actuellement prévus par des modalités plus simples qui consisteraient à prendre comme assiette l'électricité qui transite sur les réseaux.

Paul-Henri REBUT , conseiller auprès du Haut commissaire au CEA

Nous avons parlé du développement des énergies dans les décennies qui viennent, mais peut-être faudrait-il voir au-delà : quels développements pourraient intervenir à la fin de ce siècle ? Quelques éléments de recherche sont déjà visibles : le contrôle du CO², la combustion de l'uranium 238, la séparation des actinides des produits de fission, le vecteur hydrogène pour les transports, etc.

Mais comment la recherche pourra-t-elle exister s'il n'y a plus d'opérateurs principaux ?

Claude TURMES

Pour ce débat sur l'avenir énergétique, je vous lance un chiffre : il y aura, en 2020, 300 millions de nouveaux réfrigérateurs. Il est plus important aujourd'hui de renforcer les normes internationales de consommation minimum de ces appareils que d'engager des débats stériles sur le nucléaire ou les énergies renouvelables. La Commission européenne doit aller au-delà des paroles et établir de vraies directives en ce sens dans ce domaine.

TROISIÈME TABLE RONDE :

QUELLES OPTIONS POUR LA NOUVELLE LÉGISLATURE ?

Intervention de M. Jacques Valade, sénateur de la Gironde,
président de la commission des Affaires culturelles du Sénat

L'énergie est un enjeu majeur dans le monde d'aujourd'hui, le fondement, pour un Etat comme la France, de son indépendance nationale, sans se soustraire au contexte général européen et international.

L'énergie n'est pas un bien comme les autres, dont les échanges pourraient se faire à l'abri du regard des pouvoirs publics. Les choix énergétiques relèvent de la responsabilité de l'Etat. En ce sens, la volonté des politiques a toujours été de préserver l'indépendance nationale et de soutenir le développement économique. Ne disposant pas de ressources énergétiques autochtones, la France a été amenée à développer un programme nucléaire ambitieux, à promouvoir les économies d'énergie et les énergies renouvelables, tout en diversifiant les approvisionnements extérieurs.

Mais nous venons de vivre cinq années d'incertitudes et d'incohérence, pendant lesquelles les fondements mêmes de la politique énergétique ont été ébranlés en raison d'un certain nombre de concessions faites par le gouvernement à sa majorité plurielle.

Concession aux Verts, tout d'abord, qui a entraîné la fermeture et le démantèlement de Superphénix, un gâchis que l'on ne peut que déplorer, sur le plan financier comme sur le plan technique. Cette action ne visait qu'à satisfaire une promesse électorale et a entraîné la dispersion de chercheurs et d'ingénieurs dont le savoir-faire est mondialement connu.

Par ailleurs, le gouvernement précédent, toujours sous la même contrainte, a repoussé la décision concernant la construction du réacteur du futur, l'EPR, compromettant ainsi le renouvellement à terme de notre parc nucléaire. Il est indispensable de reprendre ce dossier afin d'être prêt au renouvellement de notre parc.

Une concession a été ensuite faite au Parti communiste, qui s'est traduite par le retard dans la transposition des directives européennes, mettant ainsi la France au ban de la Communauté européenne. Nombre de pays européens, en toute mauvaise foi, ont critiqué le protectionnisme français, puis contesté et freiné le développement international d'EDF et de GDF au nom de l'absence de réciprocité. Les réactions en Espagne et en Italie face à l'acquisition d'actifs par EDF ont bien montré l'ambiguïté de la situation actuelle, sans parler de l'indispensable évolution du statut juridique de ces entreprises afin de favoriser l'ouverture du capital, ouverture à la réalisation de projets industriels communs avec nos partenaires étrangers.

Aujourd'hui, cette parenthèse liée à la vie politique semble heureusement refermée. Les fondements de notre politique énergétique doivent maintenant être confirmés.

Quelles sont les grandes lignes de cette politique ?

Notre pays doit tout d'abord conduire une politique de l'énergie soucieuse de l'environnement, cohérente avec le concept de développement durable. La ratification du protocole de Kyoto est en ce sens une étape décisive, l'Europe devant servir d'exemple aux pays émergents. La France est un exemple en Europe : nous avons en 10 années réduit de 10 % nos émissions de gaz à effet de serre. Nous devons maintenant aller plus loin, notamment dans le secteur de l'habitat et des transports, où des réponses décentralisées devront être privilégiées. Pour l'industrie, en concertation avec les industriels, nous devons mettre en place un marché d'échange des permis d'émission. Parallèlement, la recherche dans le domaine de la meilleure utilisation des ressources fossiles doit être accentuée. La contribution des terres agricoles et des forêts à la réduction du carbone atmosphérique doit être précisée et intensifiée.

En second lieu, la politique énergétique doit se préoccuper de garantir la sécurité de l'approvisionnement. Pour cela une réflexion lucide et pragmatique est nécessaire.

Enfin, la politique énergétique doit assurer la compétitivité de nos choix dans un contexte d'ouverture croissante des marchés de l'énergie, intégrant le principe fondamental du choix énergétique dans une diversification maîtrisée.

Rappelons aussi nos obligations. Nous devons assurer le service public, développer la compétitivité de nos entreprises, permettre à tous, usagers et entreprises, de choisir leurs fournisseurs, renforcer la position de nos producteurs en France, en Europe et dans le monde, assumer la dimension humaine et la mutation des personnels.

Pour assurer ces obligations impérieuses, il me paraît nécessaire, tout d'abord, de conforter l'industrie nucléaire, qui garantit notre indépendance énergétique. Nos compétences dans ce domaine doivent être maintenues afin de répondre à la demande nationale, européenne et internationale. Les querelles idéologiques sur la sortie ou non du nucléaire sont dépassées. Il faut dépassionner le débat en informant nos concitoyens sur cette question. Conformément à ses engagements de campagne, le Président de la République s'est dit soucieux de transparence en ce domaine et souhaite que le nucléaire civil soit mieux encadré, ceci hors de tout activisme politicien.

La question des déchets ne peut bien évidemment pas être occultée. Elle est le « maillon faible » de l'énergie nucléaire. Il faut donc sans plus tarder mener les recherches prévues par la loi Bataille de 1991. Un certain nombre de résultats scientifiques et techniques sont déjà disponibles. Il faut sans plus attendre organiser un grand débat public à partir d'exposés scientifiques incontestables. Le retraitement préalable des combustibles usés est indispensable. J'insiste à nouveau sur la nécessité d'accentuer la recherche sur les nouveaux réacteurs, l'objectif étant d'intégrer la destruction des déchets dans cette nouvelle génération.

Il nous faut poursuivre aussi la diversification de notre équilibre énergétique, le mix énergétique étant la seule solution pour les pays dépourvus de ressources autochtones. Les recherches doivent là aussi être accentuées. Il est évident que nous aurons recours aux énergies renouvelables : il faut aller dans cette direction, mais il faut aussi raison garder. Le coût du kilowatt éolien est de dix-neuf centimes d'euro au Danemark, contre trois centimes pour le coût du kilowatt nucléaire...

Les efforts d'économies d'énergie, enfin, doivent être sans cesse poursuivis.

Concernant l'ouverture du marché européen, après le sommet de Barcelone il faut que nous recherchions une voie moyenne entre la totale dérégulation et le statu quo désormais impossible. Il en va de la survie de nos industries.

Après une période d'attentisme qui nous a fait perdre un temps précieux, nous devons reprendre, à l'occasion de cette nouvelle législature, ce dossier du renouveau d'une politique énergétique cohérente qui a porté ses fruits depuis trente ans. Nous devons aboutir à l'élaboration et au vote d'une grande loi-cadre de programmation énergétique pour la décennie future.

Intervention de M. André Sainjon, président de la Société nationale d'électricité thermique (SNET)

La question de la vision et des attentes pour les cinq années à venir est parfaitement pertinente. Pour un industriel, cinq ans est un laps de temps qui permet de mesurer avec objectivité le succès ou l'impasse, de sanctionner une vision. Une entreprise comme la nôtre, encore publique mais appelée à devenir privée, s'inscrit forcément aussi dans le temps politique. Cette législature sera donc aussi importante que la précédente pour la SNET. La vision qui éclairera le gouvernement et les deux assemblées aura un impact certain sur notre évolution.

Ces cinq années seront également décisives pour la construction de l'Europe, comme cela a déjà été souligné. Le sommet de Barcelone, sous tous ces aspects, nous a montré que nous étions confrontés à une demande de plus et d'une meilleure Europe, à une prise de conscience de la nécessité d'harmoniser nos politiques, mais aussi à une défiance vis-à-vis de la mondialisation, souvent assimilée à une remise en cause destructrice des services publics. La voie de la réussite est donc délicate et étroite.

Nous aurons donc collectivement à forger une politique de l'énergie à la fois lucide, empirique et inventive.

En France, la SNET est pionnière dans le processus de libéralisation concrétisé par la loi de février 2000. Elle avait été créée à l'origine pour rassembler les activités électriques de la maison Charbonnages de France. Elle s'est trouvée très vite concurrente de l'opérateur historique EDF. La SNET a engagé l'ouverture de son capital avec qui plus est un acteur européen sans liens culturels avec ce que nous connaissions ; car Endesa s'est surtout développé à l'international en Amérique latine. Par ailleurs, la SNET s'est trouvée confrontée au scepticisme, voire à l'incompréhension de ses personnels. Telle était notre situation il y a deux ans, situation passionnante parce que nous n'avions pas, en tant que pionniers, le droit d'échouer. Réussir, c'était faire avancer la société française dans la voie de la modernisation. Sans que nous soyons aujourd'hui un modèle, nous ne sommes en tout cas pas un contre-modèle, ce qui est déjà beaucoup dans le contexte actuel....

Nous sommes maintenant un concurrent sérieux de l'opérateur historique, et le seul « petit » à jouer dans "la cour des grands" dans certains pays comme la Pologne.

Mais je ne voudrais pas ici donner dans l'autosatisfaction. Il s'agit de faire profiter les observateurs, les politiques et les opérateurs d'une expérience à travers quelques leçons.

Un dialogue social multiple et permanent est une condition sine qua non du succès. De l'ouvrier au cadre supérieur, il est indispensable d'expliquer sans cesse la nécessité d'évoluer. Ouvrir le capital sans ouvrir les yeux du personnel, c'est aller droit à l'échec. Inversement, il faut écouter les personnels, qui apportent fréquemment des solutions pratiques pour faire avancer tout le monde dans la bonne direction. Qui que nous soyons, il nous faut sans cesse vérifier par le dialogue la perception des acteurs de la modernisation.

La concurrence est comprise dès lors que l'on se donne un contenu et des objectifs. La compétition est un stimulant qui crée une dynamique plus forte, à condition que chacun comprenne qu'il sert l'intérêt général. Dans une entreprise d'électricité, le service reste le coeur du processus.

Naturellement, toute entreprise doit gagner de l'argent. La SNET cherche donc à faire de l'électricité au coût le moins élevé possible et recherche des combustibles moins chers. C'est ainsi que nous nous sommes lancés dans la recherche de ce que peuvent nous apporter les farines animales. Ceci illustre la nécessité de l'équilibre entre notre propre intérêt et l'intérêt général : un équilibre dynamique.

La SNET, avec Endesa, doit jouer un rôle de plus en plus important en Europe. L'harmonisation de la politique énergétique est donc pour nous une nécessité. Face à la question de l'énergie, l'Europe doit être ambitieuse. Elle doit avoir du souffle et parler un langage audible pour forger un modèle spécifique, dynamique et résolument engagé dans le siècle nouveau, mais qui garde vivace la mémoire de ce qui fait le meilleur de ses nations et de ses peuples. Le risque existe d'une déstabilisation du monde électrique européen. Nous sommes face à une insuffisance actuelle ou future des réseaux de transport, car la libéralisation signifie une augmentation des échanges. Il est donc de la responsabilité des Etats d'améliorer leurs outils de production et de distribution. Avoir une ambition européenne, c'est aussi avoir le souci aigu et permanent du service public. En ce sens, il me paraît souhaitable de pousser les discussions concernant la recherche pour l'Europe énergétique du XXI ème siècle.

Intervention de M. Bertrand Barré,
directeur au secrétariat général d'AREVA

Nous sommes à un bon moment pour parler du nucléaire, étant donné la conjoncture internationale.

L'Asie continue de construire. En Russie, les choses repartent discrètement, les Russes sont aujourd'hui les premiers exportateurs de réacteurs dans le monde. Aux Etats-Unis, un retournement est en marche depuis quelques années. Nombreux y sont ceux qui cherchent à obtenir, par exemple, des autorisations de prolongement de durée de vie des centrales à 60 ans. Ceci est favorisé par un regroupement de l'industrie, puisque à l'heure actuelle au moins trois électriciens ont créé des parcs constitués d'une quinzaine de réacteurs. Ce changement d'ambiance a facilité à l'administration Bush le lancement d'une « politique énergétique », terme qui avait disparu du vocabulaire américain, politique énergétique dans laquelle le maintien du nucléaire est en bonne place.

En Europe, le débat s'est rouvert grâce à la prise de conscience par la Commission de la question de la dépendance énergétique et à la volonté de respecter les accords de Kyoto. Cependant, tout le monde ne suit pas le mouvement vers le nucléaire : la Belgique notamment a décidé de sortir du nucléaire, mais ceci par une loi qui pourrait être annulée par simple décret... Sur le plan du droit, cela doit être une première ! En Allemagne, une loi prévoit la sortie du nucléaire, mais les choses ne se font pas très rapidement dans les faits : on peut donc encore espérer. La Suède ne prévoit plus de date de sortie et la Finlande a voté la commande d'un cinquième réacteur. Le contexte pousse donc à se demander ce qui va se passer en France.

Quelle est donc la « shopping list » d'Areva ? Nous voudrions « libérer » le décret qui a été pris en otage par les Verts durant la législature précédente. Il s'agit de pouvoir gérer les deux entités qui constituent La Hague comme une seule, de manière à pouvoir jouer sur les ateliers parallèles afin d'optimiser l'exploitation.

Nous voulons, d'autre part, obtenir l'autorisation de faire fonctionner à sa pleine capacité technique l'usine qui fabrique le combustible Mox, qui recycle le plutonium de première génération.

Il est temps, dans les deux cas, de sortir de ces situations ridicules.

Un autre centre d'intérêt est bien entendu l'EPR. Ce qui a fait le succès principal du programme actuel d'EDF est sa politique de paliers. On a commandé et fait construire des séries significatives de réacteurs identiques. Aux environs de 2015 se posera le problème du renouvellement de ce parc. Le succès précédent incitera à lancer aussi une politique de paliers. Il est donc prudent de pouvoir bénéficier d'un retour d'expérience sur une tête de série, qu'il faut donc lancer en avance de phase, et cette décision est à prendre maintenant.

Ce réacteur EPR présente un vrai progrès par rapport aux modèles existants. Les risques d'endommagement du coeur sont sensiblement plus faibles. De plus, dès la conception, la possibilité, même réduite, de fusion complète du coeur a été prise en compte, et il est donc conçu de manière à ce que même en ce cas, il n'y ait pas de relâchement massif de radioactivité.

Cette décision à prendre est également importante pour notre crédibilité à l'exportation. Cette crédibilité est basée sur la réussite du programme domestique. Nous avons ainsi en perspective la Chine, la Finlande, et demain le Brésil...

Par ailleurs, le maintien de l'emploi dans les forces d'ingénierie et de fabrication des composants lourds est important pour les exportations, le soutien du parc actuel, mais aussi pour la pérennité du savoir-faire, indispensable à la préparation des générations futures de réacteurs nucléaires.

Reste un point important : le rendez-vous de 2006 pour choisir la manière dont les déchets ultimes seront stockés, échéance fixée par la loi de 1991. Il a été dit que la recherche et le développement n'était pas allée aussi vite que nécessaire. C'est sans doute vrai, mais beaucoup de résultats ont tout de même été obtenus en France et ailleurs (les chercheurs communiquent entre eux) et le contexte international a progressé : un premier site de stockage définitif est déjà en fonctionnement aux Etats-Unis. Avec les divers progrès attestés, nous avons aussi acquis la certitude qu'il faudra un stockage géologique.

2006 verra s'ouvrir un vaste débat, qui devra déboucher sur une décision. La recherche doit continuer, mais ne doit pas devenir un alibi pour se passer de décisions.

Les trois objectifs fondamentaux que le Sénateur Larcher nous délivrait précédemment se traduisent notamment pour moi par le fait qu'il faut garder toute sa place au nucléaire. Pour la législature à venir, cela se décline en trois points : débloquer les décrets-otages, lancer un EPR et conclure la loi de 1991.

Intervention de M. Philippe Sauquet
directeur Stratégie Gaz-Electricité du groupe TotalFinalElf

Nous avons choisi de parler plus particulièrement du gaz, sujet d'actualité du fait de la directive européenne en cours de discussion. Nous avons par ailleurs la conviction que le gaz, énergie propre, économe et relativement abondante, est en matière de politique énergétique une chance pour la France et l'Europe, soucieuses de leur approvisionnement et de promouvoir leur développement tout en respectant l'environnement.

Mais la France et l'Europe doivent savoir saisir cette chance en relevant certains défis qui, s'ils n'étaient résolus par les pouvoirs publics, s'opposeraient au développement du gaz comme source importante d'énergie. Parmi ces défis, deux nous paraissent essentiels : la nécessité d'une organisation du marché plus ouverte et flexible, d'une part, et le besoin du maintien de la sécurité d'approvisionnement du marché européen, d'autre part.

Historiquement, le marché du gaz européen s'est développé sur la base d'une structure traditionnelle, avec quelques fournisseurs nationaux en nombre limité et, côté achat, quelques monopoles régionaux ou nationaux. Cette structure a prouvé son efficacité, mais s'est révélée très rigide et très peu tournée vers les besoins de flexibilité manifestés par les clients : peu de flexibilité sur les prix, sur les quantités ou encore sur la durée des contrats. Dans le monde ouvert, concurrentiel et évolutif d'aujourd'hui, la plupart des consommateurs ne peuvent faire le choix du gaz qu'à la condition d'avoir le choix de leur fournisseur, pour permettre la mise en concurrence, aiguillon de la flexibilité nécessaire pour être en accord avec leurs besoins.

L'Europe s'est résolument engagée sur cette voie prometteuse de l'ouverture des marchés gaziers à la concurrence, mais beaucoup reste à faire pour transformer les intentions en réalité.

Il est évident, par ailleurs, que cette ouverture ne doit pas se faire au détriment de la sécurité d'approvisionnement. Aujourd'hui, l'Europe importe 50 % de ses ressources gazières, soit 250 milliards de m 3 . A l'horizon 2015, ces importations vont devoir plus que doubler, notamment pour compenser la décroissance de ressources locales. Nous devrons donc recourir à des sources situées de plus en plus loin. Ces distances vont nécessiter des investissements lourds pour développer de nouveaux champs gaziers dans des environnements naturels et géopolitiques difficiles et risqués, et pour créer ou renforcer la logistique de transport de ces ressources sur les marchés européens. Ces investissements ne seront réalisés qu'à la condition que l'on offre aux investisseurs un minimum de visibilité sur leur rentabilité future, donc à la condition que les Etats et les régulateurs européens créent un climat favorable à ces investissements. Au moment où les régulateurs sont en passe de définir les conditions de rémunération de leurs transporteurs, les pouvoirs publics ont un rôle crucial à jouer en ce domaine.

Le groupe TotalFinaElf est aujourd'hui le numéro 4 mondial du gaz et l'un des deux leaders mondiaux du gaz naturel liquéfié. Nos ressources gazières sont réparties sur l'ensemble des continents. Hormis notre position de producteur, en Europe, nous avons également une forte position en aval sur le marché, notamment en France, avec un réseau d'environ 11.100 kilomètres. Nous sommes surtout un des leaders dans le domaine du trading et du marketing de gaz et d'électricité. Nous sommes donc totalement engagés dans le développement du gaz en Europe, dans un contexte de marché ouvert, en mettant au service de ce développement notre solidité financière, nos capacités managériales et techniques nécessaires pour investir en amont et dans les infrastructures, notre expertise et notre culture de l'efficacité.

Nous pensons donc que les pouvoirs publics français doivent adopter une politique active, tournée vers l'Europe et favorable à l'ouverture de tous les marchés européens sans exception, tout en sachant préserver les intérêts essentiels des consommateurs.

Notre groupe est bien entendu disponible pour contribuer à la réflexion des pouvoirs publics.

Intervention de M. Jean-Pierre Rodier, président de Pechiney

En tant que premier consommateur français d'électricité, je dirais que l'on peut observer cette question de l'évolution du marché comme un verre à moitié plein... ou à moitié vide !

Les prix à long terme de l'électricité, en France mais aussi en Europe, ont permis à une certaine époque glorieuse d'y construire une forte industrie de l'aluminium. Ces prix ne permettent plus aujourd'hui de construire une seule usine nouvelle et, tels qu'ils évoluent, ils permettent difficilement d'augmenter la capacité de production des usines existantes.

Je m'attarderai sur cinq sujets de réflexion qui me paraissent importants et sur lesquels on peut éventuellement agir :

- l'évolution du marché européen ;

- la formation des prix en Europe ;

- la sécurité d'approvisionnement ;

- environnement et énergie ;

- le rôle de l'Etat actionnaire des grandes entreprises de l'énergie.

En ce qui concerne le marché européen, il y a maintenant théoriquement un début de concurrence à l'intérieur de chaque pays, mais le marché européen de l'électricité n'existe pas. Les prix sont différents d'un pays à l'autre, les coûts d'accès aux réseaux également, tout comme les modes de régulation. L'accès aux interconnexions via des enchères mal conduites est symptomatique de cet état de fait. Que les pouvoirs publics résolvent cela est une priorité pour l'existence d'un marché européen.

Aujourd'hui, la situation n'est pas satisfaisante sur le plan de la formation des prix et des bourses de marchés. Les prix proposés sont très volatils et soumis aux aléas météorologiques. Cela est compréhensible sur un marché d'ajustement, mais il est anormal que celui-ci serve de guide au marché à moyen et long terme.

Les marchés souffrent aussi d'un manque de transparence statistique nécessaires à la sincérité de la formation des prix. Il me paraît important d'avoir une certaine régulation et un certain encadrement des systèmes de marchés pour mettre un maximum d'informations à disposition des intervenants. Ceci écarterait l'essentiel des risques de manipulation des marchés et permettrait une rationalisation des prix à moyen terme.

La sécurité de l'approvisionnement est un sujet majeur pour tous les consommateurs, industriels ou non. Dans le cas de l'électricité cette sécurité passe par une surcapacité disponible permettant de faire face aux aléas. Il n'est pas certain que les systèmes de marchés et les décisions d'investisseurs financiers conduisent naturellement au niveau de surcapacité nécessaire. Ces investissements en Europe sont rarement rentables pour un investisseur normal. Les pouvoirs publics doivent donc continuer à observer de près la programmation des grands investissements en électricité.

Le lien entre énergie et environnement est un sujet bien connu. Nous souhaitons sans ambiguïté que le protocole de Kyoto soit appliqué, et espérons persuader nos collègues américains de faire de même. En France, Pechiney a réduit de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre en dix ans tout en augmentant sa production de 30 %. Nous allons poursuivre nos efforts dans les années à venir et nous nous sommes engagés à réduire nos émissions au niveau mondial de 15 % entre 1990 et 2012, tout en augmentant notre production. Pour y parvenir, il est essentiel que des mécanismes de marchés sur les permis soient mis en place pour permettre une optimisation à la marge de nos décisions industrielles. Il est également nécessaire qu'aucune taxe ne vienne perturber nos engagements.

Tenant compte de la donnée environnementale, le consommateur que je suis est favorable au nucléaire. Par ailleurs, si l'on veut que l'électricité reste compétitive et favoriser l'emploi, il ne faut pas mettre à la charge du service public, et in fine des consommateurs que nous sommes, des dépenses excessives : ce qui a été fait sur les éoliennes, par exemple, est hallucinant !

L'Etat doit pleinement jouer son rôle d'actionnaire vis-à-vis des entreprises qui sont aujourd'hui dans le secteur public, même si elles le seront un jour un peu moins... Il faut encourager le développement international des grands groupes énergétiques historiques, la croissance faisant partie du dynamisme d'une entreprise et de la motivation de ceux qui y travaillent. L'Etat doit cependant veiller à ce que les décisions prises en ce sens soient basées sur de bons critères économiques.

Intervention de M. Jean-François Conil-Lacoste,
directeur général de Powernext

En tant qu'homme de marché je vais essayer de donner un peu d'espoir à M. Rodier.

La bourse d'électricité française, Powernext, n'a que sept mois. Je rappelle qu'il s'agit d'un projet privé conçu par des acteurs européens majeurs du monde de l'énergie et de la finance, qui a été porté sur les fonds baptismaux avec le soutien des pouvoirs publics par la Commission de Régulation de l'Electricité et, ce que l'on sait moins, le Comité des Etablissements de Crédit et des Entreprises d'Investissement. Powernext a démarré son activité de marché organisé le 26 novembre 2001, moins de deux ans après la loi de transposition.

Powernext est un marché électronique qui centralise 7 jours sur 7 la libre confrontation de l'offre et de la demande de mégawattheures, établissant pour chacune des 24 heures du lendemain un prix d'équilibre par le biais d'un fixing qui a lieu à 11 heures. Ces mégawattheures sont garantis livrables sur l'ensemble du réseau français de haute et très haute tension, par le biais d'un accord structurant avec l'un de ses actionnaires fondateurs, RTE.

Le marché a une mission fondamentale : révéler un prix, produire en toute transparence un prix connu de tous au même instant, qui serve de référence fiable et incontestable, une sorte de guide permanent pour l'ensemble des acteurs et notamment pour les clients éligibles, désormais libres de choisir leurs fournisseurs et désireux de gérer au plus serré leur facture énergétique.

Environ un million de mégawattheures auront été traités à la fin juin par une trentaine de membres, soit une croissance mensuelle des volumes supérieure à 70 %.

Le challenge est de valoriser les atouts exceptionnels du marché français, fournir un outil de gestion du risque utile et efficace aux opérateurs européens et ainsi contribuer à la construction du grand marché intérieur de l'énergie. Aux côtés d'Euronext, actionnaire à hauteur de 34 %, se sont regroupés au sein d'une holding dénommée HGRT (17 %), les gestionnaires des réseaux français, belge et hollandais, RTE, Elia et Tennet. Les électriciens Endesa et Atel ont rejoint EDF et Electrabel, actionnaires fondateurs avec TotalFinaElf, Société Générale et BNP Paribas, achevant de donner à Powernext une dimension plus européenne qu'hexagonale.

L'ouverture d'un marché ne se mesure pas uniquement à la part de marché de son ou de ses champions nationaux. Il faut que les règles du jeu concurrentiel soient claires et respectées, que des capacités de production réelles ou virtuelles soient réparties entre des fournisseurs en nombre suffisant, fussent-ils étrangers, pour que s'épanouisse une véritable pluralité de l'offre.

L'accès au marché est un critère tout aussi important que celui de la concentration. A cet égard, la France fait figure d'exemple : plus de soixante opérateurs, la plupart étrangers, ont signé des contrats de responsables d'équilibre avec RTE. L'existence d'un régulateur, la CRE, constitue un autre atout majeur, notamment pour assurer la transparence des informations, l'équité d'accès et éviter l'abus de position dominante.

Cette infrastructure est de nature à valoriser le double atout naturel du marché français : son positionnement géographique au carrefour de nombreuses routes électriques et la taille de son marché intérieur, le second en Europe. Encore faut-il que les capacités aux interconnexions soient suffisantes et suffisamment bien gérées pour permettre une véritable fluidité des échanges, notamment à l'exportation. Il y a là un vaste chantier qui requiert une coopération toujours plus étroite entre les gestionnaires de réseau, les bourses et les régulateurs.

Par ailleurs, abaisser le seuil d'éligibilité au niveau immédiatement supérieur à celui des ménages résidentiels sera certainement de nature à susciter des vocations de fournisseurs et à augmenter la motivation des acteurs existants. Une activité de négoce sur le marché français pourra ainsi se développer plus fortement, ce qui donnera un élan au marché de gros, qui ne représente aujourd'hui que 0,3 % de la consommation de notre pays, contre 200 % en Allemagne et 800 % en Scandinavie.

Le prix qui sortira de l'équilibrage quotidien de l'offre et de la demande sur Powernext pourra alors définitivement servir de référence en toute transparence. Négociés exclusivement sur le marché organisé, les produits « spot » et à terme bénéficieront d'un mécanisme financier de contrepartie centrale éliminant le risque de crédit et d'une concentration maximale de la liquidité.

La première fonction économique de la Bourse se situe dans la qualité du prix ainsi défini qui représente la clé de voûte du dispositif de libéralisation du marché de l'énergie. Néanmoins, il est plus que souhaitable que la nouvelle législature complète avec des dispositions claires la loi d'application du 10 février 2000, afin de proposer sans ambiguïté à l'ensemble des acteurs, français ou étrangers, producteurs, fournisseurs ou clients éligibles, un accès au marché équitable, c'est-à-dire avec la pleine faculté d'acheter et de vendre, en cohérence avec l'avis rendu par la CRE en septembre 2001. C'est aussi l'occasion de donner au marché français les moyens de se développer harmonieusement et sans handicap par rapport à ses voisins, sur la base de fondamentaux librement exprimés.

Une fois ces conditions réunies ou en voie de l'être, le potentiel de croissance pourra alors s'exprimer.

Si les périmètres de consolidation réalistes sont limités -il est probable que le marché physique intérieur s'apparentera longtemps à un patchwork plutôt qu'à une mosaïque !- en revanche, il est vraisemblable qu'émergeront un ou deux grands marchés financiers de l'énergie développés à partir d'une zone de prix suffisamment large, tel le hub allemand ou le hub français. Ce n'est pas un hasard si Euronext et Deutsche Börse sont impliquées toutes deux dans des entreprises de marché électrique. L'objectif à terme est bien de bâtir un marché financier liquide proposant sur une même plate-forme une gamme de produits dérivés de l'énergie : électricité, gaz, permis d'émission... Cette bourse globale de l'énergie, multi-produits et multi-pays constituera un outil économique, performant et sécurisé, indispensable pour mener une politique de gestion dynamique des risques énergétiques.

A l'heure où l'intégration des instruments dérivés sur matières premières dans la liste des instruments financiers couverts par la DSI se précise, la place des marchés organisés dans le monde de l'énergie, aux côtés de réseaux de transports régulés et indépendants, et leur contribution à un développement raisonné et contrôlé du négoce paraissent plus que jamais légitimes.

Intervention de M. Philippe Bodson, sénateur membre de la commission des Affaires économiques du Sénat de Belgique

Ma présence ici est due à mes fonctions actuelles mais aussi à l'expertise que j'ai pu construire par le passé, notamment à la présidence de Tractebel.

Il est intéressant de constater qu'en ce qui concerne notre sujet, la préoccupation politique semble commune à l'ensemble de nos gouvernements. En Belgique, ce sujet est schématisé par les « 3 E » : l'Energie, l'Environnement et l'Economie.

En ce qui concerne l'énergie, et la question de l'indépendance qui est sous-entendue, il faut favoriser la diversité des énergies primaires, ce qui passe par le non-abandon du nucléaire, par des efforts importants de réduction de consommation et par le développement du renouvelable, sans rêver bien sûr !

La question de l'écologie et du climat nous ramène également à la réduction de la consommation, au développement des énergies renouvelables et à la relance du nucléaire.

L'économie est également indissociable de la réduction de consommation, mais aussi des conditions de concurrence qui doivent être créées et de la notion fondamentale de service public.

Il faut donc réduire la consommation, concentrer la pollution, n'abandonner aucune source primaire, renforcer le renouvelable et ouvrir le marché.

Sur le plan politique, nos populations ont le sentiment que l'ensemble de ces thèmes n'a jamais été abordé de manière globale par nos gouvernements. La Commission européenne nous parle récemment, dans son Livre Vert, de la sécurité d'approvisionnement. Nos ministres des Finances n'arrivent pas à se mettre d'accord sur le signal fiscal qu'il faudrait envoyer aux divers consommateurs pour limiter la consommation ; d'autres encore se préoccupent d'efficacité énergétique... Ces actions sont parcellaires, et la cacophonie de l'après Kyoto sur le plan mondial n'arrange rien à l'affaire !

Or tout cela est partie intégrante d'une politique globale, mais au niveau du grand public, il n'existe aucune vision d'ensemble de ce que nous cherchons à faire. C'est pourtant cela qui est important.

J'aborderai un thème qui n'a pas été beaucoup présent dans nos échanges jusqu'à présent : la fiscalité.

Lorsque j'étais étudiant, on m'apprenait que la croissance d'un PNB était en corrélation directe avec la consommation énergétique. La crise pétrolière est ensuite intervenue, et l'on a constaté que cette corrélation n'existait plus. II faut donc maintenant un signal fiscal fort pour réduire la consommation énergétique de façon suffisante. Posons donc la question des prix au niveau des ménages. L'industrie a fait de gros efforts dans le sens de la réduction de la consommation, et donc de la pollution. Mais ce n'est pas le cas au niveau des ménages. Ne devrait-on donc pas envisager une taxation des énergies ? La question mérite d'être posée dans le cadre d'un aussi large débat que celui-ci.

Un autre thème me tient à coeur : l'environnement. En Belgique, il n'est pas politiquement correct d'associer les questions d'émission de CO², de climat et de Kyoto pour en faire un argument pour le nucléaire. Mais il est choquant d'entendre dire à la population que les modifications climatiques que nous connaissons ne résultent pas de ces modifications de notre environnement gazeux.

A court terme, l'abandon du nucléaire serait irresponsable. Il y a par ailleurs supercherie vis-à-vis des pays en voie de développement. Ils représentent 80 % de la consommation mondiale, mais par personne nous consommons six fois plus d'énergie qu'eux ! Et nous avons l'effronterie de nous présenter dans de grandes assemblées internationales pour leur dire que nous allons les aider, sachant qu'augmenter leur consommation énergétique ne fait qu'aggraver le problème climatique !

Il y a, concernant les grandes villes d'Asie par exemple, largement assez d'arguments pour justifier l'utilisation du nucléaire...

J'insisterai enfin sur l'absolue nécessité de l'indépendance de la régulation. Cela est une des conditions nécessaires à l'ouverture des marchés, mais ce n'est pas une condition suffisante. Il faudrait en plus rendre possible ce que j'appelle « l'application asymétrique de la loi ». En effet, l'application exactement identique de la loi aux nouveaux entrants et aux opérateurs historiques rend la pénétration du nouvel entrant quasiment impossible.

Intervention de M. Jean-Marie Chevalier,
directeur du centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières, professeur de sciences économiques à l'université Paris IX

Nous vivons un moment historique : c'est la première fois qu'une législature française va mettre en place une politique de l'énergie dans un cadre qui est à la fois contraint par Bruxelles et largement ouvert sur l'imagination, l'innovation, et nos propres spécificités.

L'histoire économique récente est marquée par des mouvements de balancier entre l'Etat et les marchés. L'expression « politique énergétique européenne » eût été indécente il y a seulement trois ou quatre ans. C'est aujourd'hui un thème récurrent dont nous sentons la nécessité.

Le problème pour nous et pour l'Europe est de trouver l'équilibre entre les mécanismes de marchés et les modalités d'intervention des puissances publiques - Commission européenne, Etats, autorités de régulation et collectivités locales. De plus, nos concitoyens doivent avoir leur mot à dire sur la façon dont leur environnement quotidien doit être conçu.

Je résumerai en quatre points les options énergétiques stratégiques fondamentales :

- efficacité énergétique ;

- libéralisation contrôlée ;

- diversification ;

- Information.

Le contexte énergétique général est fondé sur la ratification du protocole de Kyoto, la sécurité des approvisionnements et de la compétitivité de nos économies. L'une des solutions pour résoudre cette délicate équation est l'efficacité énergétique et la politique de la demande de façon à satisfaire nos besoins en consommant moins d'énergie. Il faut renforcer la réflexion européenne sur ce point, en combinant tous les éléments et instruments dont nous disposons : les normes, les prix, les taxes, les subventions et les nouveaux mécanismes de marchés (permis). Dans un cadre européen, il faut repenser les flux financiers qui sont derrière les flux énergétiques physiques.

Le RTE et la CRE sont aujourd'hui considérés par nos partenaires comme des organismes efficaces. Notons que nous savons maintenant en France ce que le service public nous coûte. Cette clarification est importante dans la définition d'une politique de l'énergie.

M. Conil-Lacoste nous a présenté une vision optimiste du développement du marché de l'électricité. En pratique nous sommes au coeur d'un laboratoire d'expérimentation extrêmement compliqué. Cela implique vigilance, surveillance et intelligence.

Nous pouvons notamment souligner deux problèmes : Est-ce que les marchés électriques donnent les bons signaux pour que les investissements nécessaires se fassent ? Les opportunités de manipulation des prix par les opérateurs sont de plus en plus préoccupantes, ce qui touche au pouvoir de marché. Les distorsions sont liées aux structures des marchés, mais aussi aux comportements des opérateurs, comme l'a montré le cas Enron.

En ce qui concerne la diversification, nous devons nous ouvrir à toutes les options énergétiques. J'abonde en ce sens, parce que nous sommes dans un monde d'incertitudes géopolitiques, technologiques, d'incertitudes sur les ressources, sur les effets du changement climatique et, aussi sur les chiffres qui devraient nous aider à décrypter la situation.

Donc : diversification, oui, mais sous contraintes financières, ce dont nous n'avons pas suffisamment parlé aujourd'hui.

Pour le nucléaire, j'apporterai quelques précisions qui me semblent, justement, relever de la contrainte financière. Il faut tout d'abord distinguer entre l'ancien nucléaire, qu'il faut conserver et dont il faut augmenter la durée de vie, et la construction des nouvelles centrales, qui pose un problème de financement. L'exemple finlandais est intéressant en ce sens. Un groupe privé de papetiers envisage de construire une centrale nucléaire. Ils ont obtenu l'accord du gouvernement et du Parlement et lancent l'appel d'offres. Nous allons voir comment se fera la négociation, avec le problème-clé du financement, et la façon dont les risques sont répartis entre les différents partenaires.

Enfin, un gigantesque effort de formation, d'information et de dialogue doit être fait sur l'énergie, les externalités et coûts sociaux qui lui sont associés, l'environnement et le changement climatique. Les médias réduisent souvent à l'anecdotique des problèmes très importants. Les messages scientifiques forts doivent passer au niveau des consommateurs et citoyens que nous sommes. Nous sommes dans une économie mondialisée, pleine de dangers. Il faut penser à notre dépendance énergétique, mais aussi rappeler que derrière celle-ci existent des interdépendances économiques et financières. Ces interdépendances sont des vecteurs de co-développement.

QUATRIÈME TABLE RONDE :

QUELS CHOIX POUR ELECTRICITÉ DE FRANCE
ET GAZ DE FRANCE ?

Intervention de M. Philippe Marini, sénateur de l'Oise, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat

J'aborderai la question soulevée par l'intitulé de cette table ronde en partant de la notion d'urgence.

Je crois que ni EDF, ni GDF, ni la France n'ont le temps de se complaire en débats dilatoires sur ce sujet. La transformation des règles européennes dans les domaines de l'électricité et du gaz nous impose d'être mobiles et flexibles dans nos réflexions, de trouver et d'arbitrer dans des délais très brefs les voies les plus propices pour le pays et les entreprises concernées. Nous allons devoir très bientôt travailler à la transposition de la directive gaz, or l'on sait que le Conseil européen a décidé de permettre le libre choix du fournisseur d'électricité ou de gaz pour tous les consommateurs autres que les ménages à partir de 2004, autant dire demain.

Cette urgence s'adresse d'abord à l'Etat, l'Etat-stratège et l'Etat-actionnaire, dont les responsabilités sont à mettre en valeur. Pour la stratégie, la situation actuelle impose qu'en termes de politique énergétique du pays des orientations soient prises ou validées dans la clarté. L'exemple courageux de la Finlande, l'un des pays légitimement les plus attachés aux notions de développement durable et de respect de l'environnement, peut nous éclairer. Les orientations prises pour EDF et GDF doivent être issues de la réalité économique, donc des marchés. Les marchés du gaz et de l'électricité sont différents, et même si l'histoire a rapproché ces deux entreprises, elles doivent être examinées séparément. EDF est un champion national qui a acquis des dimensions mondiales. GDF est une belle entreprise moyenne. Ceci est uniquement comparatif et ne doit choquer personne !

Cependant, bien entendu, plusieurs conditions de mutation sont communes à EDF et à GDF. La première de ces conditions est de faire la lumière sur les comptes, les engagements, les bilans et hors-bilans. Il faut se mettre en position de diffuser une information financière selon les normes internationales, ce qui permettrait le moment venu de se placer sur le marché à égalité avec les autres entreprises comparables. En ce sens devra être cernée la question des retraites, conformément à la réalité économique et à la règle du jeu que l'Etat pourra faire valoir.

Les autres conditions sont pour une large part de la responsabilité de l'Etat. La définition du périmètre, tout d'abord, c'est-à-dire la séparation entre EDF et GDF. Cette question suppose que l'Etat-actionnaire fasse son métier d'actionnaire, c'est-à-dire qu'il définisse les meilleurs gages d'avenir des deux entreprises. On ne peut, par ailleurs, imaginer l'ouverture d'un capital quelconque sans une stratégie clairement actée par l'actionnaire, en l'occurrence l'Etat. L'avenir d'EDF dépend de la vision que l'Etat a de sa politique énergétique, celle-ci devant être conjointe à la stratégie propre de l'entreprise. Ceci conditionne tout le reste. En ce qui concerne GDF, l'Etat peut légitimement se poser la question de savoir si la stratégie de l'entreprise doit tendre vers une intégration, tant en amont qu'en aval. Ces questions détermineront les partenariats du futur.

Pour ce qui est des statuts juridiques de ces entreprises, personne ne peut plus envisager le statu quo. La nécessité de l'ouverture du capital est une évidence, mais là encore plusieurs conditions doivent être satisfaites.

L'ouverture doit répondre à une logique industrielle. Elle ne doit que conforter la position européenne de ces entreprises dont l'ambiguïté des statuts actuels ne peut durer : la réciprocité des partenariats ne pourra exister que grâce à cette évolution. Les meilleures formules doivent être trouvées dans l'intérêt patrimonial de l'Etat et dans l'intérêt industriel des entreprises : c'est cet équilibre qui sera le plus difficile à établir.

Intervention de M. Pierre Gadonneix,
président de Gaz de France (GDF)

Je voudrais présenter le projet industriel de Gaz de France aujourd'hui, dans le contexte d'évolutions que nous avons largement décrit depuis le début de nos échanges.

Gaz de France connaît une réussite attestée, notamment sur le plan de son développement et de sa rentabilité économique. Cette situation vient de sa position antérieure de monopole d'importation, qui permettait de contracter à long terme avec nos fournisseurs et ainsi d'assurer la sécurité d'approvisionnement.

Depuis maintenant six ans, le contexte change : il n'y a plus de monopole, ni en matière d'importation ni en matière de fourniture. Gaz de France a strictement appliqué la directive européenne en ouvrant ses réseaux à des concurrents dans des conditions transparentes, nos clients peuvent en attester. Ceci fait que nous sommes aujourd'hui l'un des marchés les plus ouverts d'Europe, alors que légalement, et c'est un paradoxe, les textes français n'ont pas encore transposé la directive européenne. Cette situation est d'ailleurs préjudiciable à l'entreprise, puisque certains pays invoquent le principe de réciprocité pour nous empêcher de livrer du gaz à l'extérieur de la France.

Le marché étant ouvert, nous nous attendions à trois types de concurrents : des entreprises étrangères de même nature que Gaz de France, des opérateurs multiservices ou des traders, des producteurs qui auraient décidé de s'intégrer vers l'aval. Nos prévisions se sont révélées exactes. Il nous a ainsi fallu créer une filiale de trading qui nous permette d'avoir accès au marché de court terme. Si nos collègues européens n'ont pas d'avantages compétitifs, les producteurs sont des concurrents dangereux et agressifs, à l'exception de nos grands fournisseurs traditionnels, russes par exemple, qui ne se sont pas mis dans la situation de nous concurrencer. Mais il y a d'autres producteurs. Notre stratégie est donc d'anticiper à chaque étape les évolutions du marché.

Notre stratégie est fondée sur trois atouts essentiels qui seront pérennes dans les années qui viennent.

Le premier atout est que le marché du gaz est durablement porteur. Le gaz naturel va connaître durant plusieurs décennies un taux de développement plus fort que la consommation moyenne d'énergie.

Par ailleurs, Gaz de France est dans une situation favorable dans la mesure où nous avons un marché important : 10 millions de clients en France, 2 millions à l'étranger.

Nous avons enfin un troisième atout : une situation financière assainie qui nous permet d'investir massivement, même au-delà du cash-flow.

Sur cette base, notre stratégie se déploie sur deux termes : la croissance, étant donné la situation précédemment décrite, et l'intégration négoce-transport-distribution.

Pour conforter nos positions dans un monde ouvert à la concurrence, nous pensons de plus qu'il faut soutenir ces trois métiers traditionnels, le négoce, le transport et la distribution, par deux autres métiers.

La production, tout d'abord, de manière à avoir un portefeuille d'accès au gaz qui permette de répondre aux clients de façon compétitive. Les contrats à long terme avec des producteurs resteront l'essentiel de ce portefeuille ; une partie sera gagée par l'accès au marché à court terme, via notre société de trading ; enfin, nous aurons accès à une ressource à prix fixe, c'est-à-dire que nous serons nous-mêmes producteurs, même si cela se fait sans que nous soyons opérateur à proprement parler. Par ailleurs, nous nous engageons de plus en plus sur les services, à travers notre filiale Cofatec.

Cette stratégie est aujourd'hui bien engagée, et nous allons d'ailleurs vraisemblablement émettre des obligations avant la fin de l'année pour financer cette croissance. Le sommet de Barcelone ayant acté que d'ici deux ans le marché serait ouvert à 60 %, nous nous appliquons donc à mettre en oeuvre les adaptations nécessaires le plus rapidement possible.

M. Olivier Schneid

Vous évoquiez la belle santé financière de Gaz de France. Certains se demandent alors quelle est l'utilité d'ouvrir le capital...

M. Pierre Gadonneix

La réponse appartient à l'actionnaire, donc au Gouvernement et au Parlement. Si cette éventualité était retenue, je ferai valoir que cela constitue une opportunité de poursuivre ou d'accélérer son rythme de développement. Nos objectifs doivent aussi prendre en compte le fait que nous ne pouvons pas tout faire tout seuls et tout de suite. Les moyens complémentaires et les partenaires peuvent donc être bienvenus.

Intervention de M. Denis Cohen, secrétaire général de la fédération Mines-Energie de la Confédération générale du travail (CGT)

Je ciblerai bien entendu mon propos sur les attentes sociales, dont la non-satisfaction a conduit à ce que de nombreux commentateurs ont appelé un "séisme politique". Ces attentes sociales demeurent.

En ce qui concerne donc les questions de dérégulation, au retard pris quant aux réponses à y apporter s'ajoutent des problèmes nouveaux liés aux dysfonctionnements dont les exemples sont nombreux, depuis la crise californienne jusqu'à l'Espagne, en passant par la faillite d'Enron, présenté il y a encore peu comme le modèle de la nouvelle économie.

Nous avions proposé à Barcelone de tirer le bilan de la dérégulation avant toute décision. Le choix effectué a été de l'amplifier avec l'ouverture du marché aux professionnels, choix ajoutant encore de nouveaux problèmes. Le seul sujet de satisfaction de ce Sommet réside dans la proposition de la France d'élaborer une directive-cadre.

Les regards se tournent aujourd'hui vers l'organisation française. Si nous ne proposons pas un retour en arrière, apporter des réponses pour une nouvelle organisation énergétique nécessite créativité, dialogue, réflexion et consensus.

La politique de privatisation relève du dogme si l'on occulte ses objectifs et les partenariats potentiels. Or, le processus de privatisation ne répond pas aux questions de financements et d'alliances, d'autant que les choix industriels à effectuer sont complexes et que le débat sur la politique énergétique n'a pas été mené. Au dogme, préférons le pragmatisme, qui permet le développement des entreprises et de l'emploi, tout en améliorant le service public pour tous les usagers.

Améliorer le service public, c'est aussi renforcer la maîtrise publique. Une réflexion doit être engagée sur la place des usagers, de leurs élus et de leurs associations, la maille de leur intervention au niveau régional, départemental et national.

L'avenir du service public est une question citoyenne.

La séparation de la production, du transport, de la distribution et de la commercialisation a démontré les risques pour des industries qui doivent programmer leurs investissements à très long terme, mais l'ouverture à la concurrence ne nécessite en rien cette désintégration forcée.

Convenons qu'en matière sociale, nous sommes bien dans notre rôle exclusif de représentants de personnels. De ce point de vue, la privatisation du gaz aurait des conséquences sur l'ensemble des salariés des industries électriques et gazières (IEG) actifs et inactifs.

Là encore, le législateur a voulu, lors de la loi de transposition de février 2000, que les dispositions statutaires soient maintenues quelle que soit l'évolution de la branche. La situation de l'une des entreprises ne peut donc être examinée qu'en concomitance avec celle de l'autre. Si la désintégration peut s'avérer dangereuse pour EDF, elle serait funeste pour GDF.

La directive gaz, bien qu'adoptée par le Conseil Energie il y a deux ans, n'est pas encore transposée au droit français. Outre que cette situation prive les usagers de possibilités d'amélioration du service public, elle met Gaz de France en grande difficulté et la France en situation de non-conformité à l'égard du Traité de l'Union.

Gaz de France est aujourd'hui une entité industrielle, constituée de quatre ensembles :

En amont, le monopole d'importation, qui doit être abrogé.

Le réseau du transport GDF disposant d'un monopole national sur le réseau de Gazoduc, à l'exception de la région Sud-Ouest.

Les installations de liquéfaction et de stockage qui peuvent être soit considérées comme intégrées au transport, soit autonomes du réseau.

La distribution, conjointe avec EDF.

La directive conduit à la fragilisation de trois de ces entités sur quatre, mais il est possible de consolider l'existence autonome de Gaz de France comme gazier en coopération avec EDF. Cette solution aurait le mérite de créer un grand groupe électro-gazier français de taille européenne, à l'image de ce qui s'est réalisé en Allemagne avec la fusion Ruhrgas et Eon.

EDF et GDF sont des entreprises indispensables à une République démocratique moderne, pour que l'Europe assure la sécurité de ses approvisionnements et le respect des engagements de Kyoto.

Si le statu quo n'est pas possible, refonder une organisation énergétique stable et sur un consensus social fort nécessite à l'évidence concertation et large débat.

Intervention de M. Henri Guaino, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris (IEP), ancien commissaire au Plan

Nous ne débattons pas aujourd'hui de notre sujet comme nous l'aurions fait il y a seulement deux ou trois ans. L'affaire Enron ne pose pas seulement la question de la déontologie comptable ou de la transparence, mais aussi celle de la viabilité d'un modèle économique dont l'échec est patent.

S'agissant de l'avenir d'EDF et de GDF, nous sommes confrontés à trois problèmes essentiels, l'un de politique énergétique, l'autre de stratégie et le troisième de service public.

Commençons par la politique énergétique. Aujourd'hui, le marché unique n'existe pas en Europe dans le domaine de l'énergie. Pour le construire, la première chose à faire est de travailler sur les interconnexions. Cette priorité concerne plus les gestionnaires de réseaux que les entreprises de production et de distribution de l'énergie.

Nous devons par ailleurs nous demander quels seront les leviers à notre disposition pour la mise en oeuvre de la politique énergétique et l'accomplissement des missions de service public. Non sans nous poser une autre question : assistons-nous à la véritable mise en oeuvre d'un marché unique parfaitement concurrentiel, ou à la création, dans chaque pays ou sur chaque "plaque" électrique ou gazière, d'oligopoles permettant de structurer la concurrence ? La carte des mouvements de ces dernières années nous montre que nous nous dirigeons plutôt vers la deuxième solution à partir de noyaux durs d'organisation autour desquels s'organise le marché.

En tout état de cause, les choix managériaux et stratégiques de nos grandes entreprises énergétiques seront décisifs.

Devons-nous choisir un modèle d'entreprise intégrée ou un modèle désintégré ? Dans quelle mesure faut-il diluer l'organisation dans le marché ? Le calcul économique est simple : si l'on pense que les métiers valent plus cher lorsqu'ils sont séparés, alors il faut choisir la désintégration et transformer nos entreprises en holdings. Mais je ne suis pas convaincu que l'on créera ainsi beaucoup de valeur... On risque plutôt d'en détruire. Et si l'on choisit la désintégration, comment fera-t-on appliquer les règles de service public ? Où seront les leviers de la politique énergétique ? A-t-on bien mesuré ce que sera l'impérialisme du trading dans un monde d'entreprises désintégrées ? Cette régulation par le trading sera-t-elle compatible avec les objectifs collectifs que nous nous fixons dans le domaine particulier de l'énergie ?

Il est vrai que le modèle intégré est battu en brèche par les directives européennes qui nous conduisent à une séparation de plus en plus grande des réseaux de transport et peut-être demain de distribution. Il est clair que cette séparation conduit à une mutation en profondeur d'EDF et de GDF dont il faut bien tenir compte quand on envisage l'avenir de ces deux entreprises.

Que reste-t-il de GDF après la perte du monopole d'importation et du réseau de transport ? Comment intégrer la production, le négoce et la commercialisation de l'électricité une fois qu'EDF est totalement séparée du RTE ? Mais la question la plus cruciale est celle des rapports entre EDF et GDF. Elle doit absolument être posée avant l'ouverture du capital et la libéralisation complète des marchés. L'enjeu n'est pas mince si l'on veut bien admettre que GDF aura bien du mal à vivre seule une fois privée de son réseau de transport et qu'EDF ne peut absolument pas envisager son avenir sans le gaz. Alors que tous les électriciens cherchent à fusionner avec des gaziers, nous nous apprêtons à séparer et à mettre en concurrence deux entreprises étroitement liées depuis un demi-siècle sans avoir sérieusement étudié le problème. Est-ce bien raisonnable ? Bruxelles, qui n'a jamais été saisie de ce dossier, sera-t-elle une fois de plus l'alibi commode de tous nos renoncements ? Va-t-on continuer de miser sur la croissance externe à tout va pour assurer l'avenir de notre pôle énergétique au lieu de miser sur la construction d'une base industrielle solide permettant d'asseoir une stratégie efficace de croissance interne ? Le secteur de l'énergie sera-t-il le seul à ne pas tirer les leçons des déboires occasionnés par l'idée fausse qu'on ne peut élargir ses parts de marché qu'à coup d'acquisitions coûteuses ? Allons-nous continuer de croire que l'ouverture du capital et la libéralisation nous dispensent d'un véritable projet industriel ?

Intervention de M. Josy Moinet,
président de la Fédération nationale
des collectivités concédantes et régies (FNCCR)

M. Chevalier a mis l'accent sur la nécessité de faire participer les collectivités locales, et au-delà les citoyens, à la gestion et au fonctionnement du service public de l'électricité. La FNCCR partage pleinement ce point de vue. Les communes et leurs groupements, singulièrement les syndicats départementaux d'électricité, ont une vocation traditionnelle à assurer cette participation citoyenne comme le confirme la loi de modernisation et de développement du service public de l'électricité du 10 février 2000. Dans un contexte institutionnel et économique marqué par la libéralisation du système électrique européen, il est permis de s'interroger sur les conditions dans lesquelles une seule et même entreprise -EDF- va pouvoir concilier les exigences liées à son immersion dans un marché concurrentiel et l'exercice des missions de service public que la loi lui confie.

Deux exigences retiennent particulièrement l'attention des collectivités locales, la protection de l'environnement et la cohésion territoriale et sociale. Les contraintes liées à l'environnement ont un coût dont la prise en compte par le marché n'est ni spontanée ni systématique. Et cependant l'enfouissement des réseaux électriques répond aux légitimes attentes de nos concitoyens tant du point de vue esthétique que du point de vue de la sécurité. Il importe à cet égard de tirer les enseignements de la tempête de décembre 1999 qui a révélé la fragilité des réseaux aériens. La cohésion territoriale et sociale - caractérisée par un égal accès de l'ensemble des usagers sur le territoire national à une énergie électrique de qualité homogène est une obligation impérative pour un service public assurant la fourniture et la distribution de ce bien de première nécessité qu'est aujourd'hui l'énergie électrique. Ces missions ont un coût dont il appartient aux collectivités locales, en leur qualité d'autorités organisatrices du service public de l'électricité, de veiller à ce qu'il ne soit pas supporté par les seuls consommateurs domestiques et que la libéralisation du système électrique ne profite pas qu'aux gros consommateurs.

Ainsi, attentives à ce que le bon accomplissement des missions de service public ne compromette pas le fonctionnement transparent du marché, les collectivités locales, en qualité d'autorités organisatrices du service public de l'électricité, doivent conforter leur organisation à la taille départementale pour exercer leur pouvoir de contrôle sur le cadre du régime concessionnaire actuellement en vigueur ou dans un cadre juridique différent si le législateur en décidait ainsi. Le maintien d'un pouvoir de contrôle des collectivités locales sur le fonctionnement d'un système électrique ouvert à la concurrence est la meilleure garantie de pérennisation d'un service public de qualité.

A l'aube du XXI ème siècle, l'implication des citoyens-consommateurs, par le truchement de leurs élus locaux, dans le fonctionnement du système électrique peut être un exemple concret et emblématique d'une volonté de faire vivre au quotidien une authentique démocratie de proximité.

Intervention de M. François Roussely,
président d'Electricité de France (EDF)

Les sujets dont nous parlons ont deux dimensions, l'une locale et l'autre mondiale. Ce sont également des sujets de politique industrielle et de politique sociale.

Notre situation de départ présente deux originalités.

La première est que nous avons connu un modèle de monopole vertueux. N'ayons pas le capitalisme public honteux : nos services publics de l'électricité et du gaz ont donné à nos concitoyens de bons résultats. Nos entreprises ont été profitables, elles offrent une qualité de service reconnue à des prix satisfaisants, les résultats des enquêtes de satisfaction le prouvent. Les pays anglo-saxons ou les autres pays européens font pourtant des services publics l'illustration de ce qui ne fonctionne pas, qui est poussiéreux, coûteux et inefficace...

La deuxième originalité, notamment en ce qui concerne l'électricité, est que le mouvement d'internationalisation d'Electricité de France a commencé bien avant le mouvement de libéralisation. La loi de 1946, confirmée en ce sens par la loi de 2000, affirme le principe de spécialité : Electricité de France doit produire, transporter et distribuer de l'électricité en France. Ainsi, si hors de France nous pouvons avoir toutes les activités que nous souhaitons, nous ne pouvons pas faire autre chose sur le territoire national que d'assumer cette spécialité. Nos concurrents se sont développés sur leur plan national en se diversifiant sur de très nombreuses autres activités, mais très peu à l'international, ce qu'a fait très tôt Electricité de France. Aujourd'hui, à côté des 31 millions de clients en France, nous en comptons 20 millions à l'étranger.

Pourquoi alors changer un modèle qui marche aussi bien ?

Ce n'est pas Electricité de France qui a changé, c'est le monde qui a changé autour ! Les industriels sont aujourd'hui au minimum européens, la nature de leur demande a changé. Nous devons d'autant plus tenir compte du nouvel univers dans lequel nous allons devoir évoluer que cette situation est vécue comme asymétrique par nos concurrents. Elle peut paraître injuste, certains estiment que nous profitons d'un marché protégé pour être agressifs vers l'extérieur. Quoi qu'il en soit, cette perception bien réelle d'une asymétrie nous amène à changer dans la dualité qui a été imposée à Barcelone. Ce sommet a reconnu la justesse des thèses françaises, puisqu'il a confirmé l'ouverture des marchés, en allant au-delà du service public vers le service d'intérêt général. A côté de l'ouverture des marchés, il faut préciser la définition du service, ce qui est simple en France puisque nous y sommes accoutumés depuis la définition du Conseil d'Etat au XIX ème siècle ! Avec le même luxe d'attention, nous devons donc aujourd'hui et pour demain tenir compte de la qualité du service, de la solidarité, de l'aménagement du territoire, d'un certain nombre de valeurs auxquelles l'Europe est attachée.

Quels choix faut-il faire pour Electricité de France? Ce sont des choix de marchés qui doivent être fidèles à nos valeurs.

Les choix de marchés sont simples. Il s'agit d'être et de demeurer une entreprise intégrée. Nous devons être présents sur chacun des métiers et dans leurs connexions.

Etre présents sur la production, avec un « mix énergétique » bien sûr, dont le socle doit être le nucléaire. Rappelons qu'entre le nucléaire et l'hydraulique, nous produisons 95 % de notre électricité sans émettre un seul centimètre cube de gaz carbonique... De plus, la compétitivité du kilowattheure n'est pas pour les comptes d'Electricité de France, mais pour les entreprises et chacun de nos clients qui achètent cette énergie.

Etre présents sur tous les métiers concerne aussi la recherche et développement. La menace de la segmentation ne peut qu'appauvrir ce secteur, dont le financement ne peut relever que de grandes entreprises et de programmes communautaires.

Par ailleurs, précisons, pour aller dans le sens de ce que disait M. Moinet, que nous ne sommes pas les télécommunications ! Nous ne sommes pas liés uniquement à des clients, nous le sommes aussi à des territoires. Notre force est de desservir avec la même qualité de service et au même prix un seul abonné isolé au bout d'un chemin et celui qui est au pied d'un barrage !

Nous avons ainsi fait le choix de l'Europe, parce que c'est le territoire sur lequel sont nos clients. Rappelons à ce sujet que le marché est ouvert, chaque client éligible en France aujourd'hui pourrait se procurer de l'électricité hors Electricité de France uniquement par importation, mais aussi auprès des producteurs qui achètent les 6.000 mégawatts que nous vendons au coût marginal de production, c'est-à-dire aux meilleures conditions de prix. N'est-ce pas cela, un marché ouvert ?

Nous avons donc fait de l'Europe notre coeur de marché, mais nous avons encore à progresser. Il est facile de parler de "l'Europe de l'énergie", mais il y a encore autant de marchés de l'énergie que de pays.

Nous devons construire un groupe industriel, pas seulement une fédération d'entreprises à l'échelle européenne. J'ajoute que nous avons à adjoindre à la fourniture d'électricité la convergence avec le gaz, notamment parce que nos clients ont alternativement besoin de gaz et d'électricité.

Si nous avions dû procéder à la fusion avec Gaz de France, il fallait le faire avant les directives. Aujourd'hui, les contreparties que demanderaient les autorités nationales ou européennes de concurrence représenteraient un coût insupportable économiquement et politiquement. Nous n'avons pas de religion sur ce point, quoi qu'il en soit, nous souhaitons pérenniser la coopération avec Gaz de France sur l'ensemble des métiers possibles, au regard des directives et des règles de concurrence.

Nos choix doivent aussi être fidèles à nos valeurs.

L'histoire de nos deux entreprises montre qu'ont toujours été menés en parallèle un projet social et un projet industriel, tout simplement parce que l'électricité ne se stockant pas, un grand degré de confiance est nécessaire. Cela nécessite une alchimie que l'on appelle "service public" ou "développement durable"..., pourvu que cela soit compréhensible et traduisible partout. Ce qui importe est le fond.

Ce fond est la concomitance de trois préoccupations :

L'efficacité économique, dans la transparence ;

La protection de l'environnement, qui donne lieu à un mouvement profond dans notre entreprise ;

La dimension sociale, vis-à-vis des démunis par exemple, mais aussi vis-à-vis de nos personnels ou des 2 milliards d'individus qui n'ont pas accès à l'électricité dans le monde. Il s'agit là de responsabilité, de générosité et de solidarité collectives.

Je crois que personne ne conteste le fait qu'il faut évoluer vers une entreprise d'un nouveau type qui, à côté des actionnaires, des clients et des personnels tiendra compte des générations présentes et à venir. Cette entreprise n'existe encore nulle part, et nous avons à la créer ensemble.

Notre responsabilité d'entreprise est de rendre possible les évolutions en nous appuyant sur le capital humain que constituent nos clients et nos personnels. Mais nous ne sommes plus les seuls dépositaires de l'intérêt général, il y a aussi une responsabilité de la Nation, notamment dans un marché ouvert. Nous nous inscrivons dans une politique énergétique qui ne peut résulter que d'une décision gouvernementale. Rien ne peut se décider sans un débat démocratique.

Intervention de M. Ladislas Poniatowski, sénateur de l'Eure

La question de la transposition de la directive « gaz » m'offre l'occasion de m'interroger sur le « mal français » qui veut qu'à force de vouloir trop bien faire, on ne produise rien, le « mieux » étant l'ennemi du « bien ».

La directive de 1998 relative à l'ouverture à la concurrence du marché gazier aurait dû être transposée en droit français avant le mois d'août 2000. Un projet de loi a bien été déposé par M.  Pierret devant l'Assemblée nationale en mai 2000, mais il n'a pas été inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Je suis donc, depuis deux ans, le rapporteur pressenti d'un projet de loi « virtuel » !

Certes, les occasions n'ont pas manqué, au cours desquelles le « gaz » a fait parler de lui, notamment dans les rangs de l'ancienne majorité. Force est de constater que si certains hommes politiques aiment à laisser leurs noms à une loi, les « pères » de la loi de transposition étaient peu soucieux d'assumer leurs responsabilité. Heureusement, le Sénat veillait sur cet enfant ...

En ma qualité de rapporteur, j'ai mis à profit ces deux années pour poursuivre ma réflexion. Lors de l'examen de chacun des budgets depuis 2000, je me suis fait l'interprète des difficultés rencontrées par l'opérateur gazier historique. Depuis le début de l'année, le président Gérard Larcher et moi même avons procédé à diverses auditions sur le secteur gazier...C'est à l'aune de ces travaux préparatoires que je vous propose de nous interroger sur les perspectives ouvertes en matière de libéralisation du marché gazier.

Comme vous le savez, le retard pris par la France a, d'ores et déjà, porté préjudice à GDF dont le développement des activités en Espagne a été contrarié. Les Espagnols lui ont opposé la « clause de réciprocité » prévue par la directive. Ils ont estimé que le marché français n'étant juridiquement pas libéralisé, tandis que le leur l'est à 100 %, l'opérateur historique français ne pouvait accroître ses activités au-delà des Pyrénées. J'objecterai à cette attitude que d'autres pays, tels l'Allemagne qui représente le triple du marché français, ont procédé à une libéralisation plus « juridique » qu' « effective ». Il n'en reste pas moins que Gaz de France est limité dans ses exportations et dans sa stratégie de développement hors de nos frontières. Un point fait donc consensus : la transposition est désormais incontournable.

Dès lors qu'une transposition de la directive gazière revêt le caractère d'une urgente nécessité. Reste à savoir selon quelle procédure elle peut s'opérer. C'est ce que je vous propose d'examiner, à présent.

L'éventualité d'une transposition par ordonnance pourrait être envisagée dans certains cercles. Une telle procédure, peu respectueuse des droits du Parlement, aurait l'avantage de la rapidité. Reste à savoir si l'ordonnance de nature à faire passer la « pilule » gazière devrait être courte ou longue ? A l'évidence, entre une ordonnance courte, centrée sur l'essentiel et une ordonnance qui se fonderait sur le projet de loi « Pierret », la première serait cependant préférable à la seconde. Faute de cela on s'en remettrait, sur une question hautement politique, à l'appréciation des services du ministère de l'industrie.

La transposition de la directive gazière par le biais d'un projet de loi pourrait, quant à elle, revêtir trois modalités :

- une ordonnance dont le contenu serait voisin de celui de la directive ;

- un projet de loi procédant à une transposition de la directive de 1998 ;

- un projet de loi procédant, par anticipation, à une transposition de la directive actuellement négociée à Bruxelles, laquelle devrait voir le jour au printemps 2003. Voilà qui serait ambitieux, mais cela est-il réellement envisageable ?

Il serait, à mon sens, souhaitable que le Parlement examine un texte court, à l'automne 2002, afin de permettre son entrée en vigueur effective d'ici à la fin de l'année. Le temps nous est compté car, comme vous le savez, la négociation a évolué à l'échelon européen.

Le processus d'élaboration de la nouvelle directive s'est poursuivi, à Bruxelles, depuis 2001. La situation est particulièrement préoccupante : Nul ne sait ce que sera la conséquence de l'adoption de ce texte qui aura pour effet d'accélérer, pour la porter à son terme, la libéralisation du marché énergétique européen.

C'est pourquoi il m'apparaît non seulement souhaitable, mais aussi impératif, d'insister sur la nécessité, pour le Gouvernement français, de prendre la mesure des implications économiques et sociales de ce texte. Nous devons poursuivre les négociations en conservant à l'esprit le fait que bon nombre de nos partenaires ont procédé à une libéralisation apparente sans mettre en place de régulateur puissant ni faciliter l'accès des tiers au réseau, alors même que la France a suivi une démarche strictement inverse et qui porte ses fruits. Or le temps presse et joue contre nous : La négociation de la directive pourrait se conclure cet automne.

Pour pouvoir négocier à Bruxelles, nous devons être exemplaires : c'est pourquoi il nous faut procéder à une transposition rapide. Pour que cette modification soit, comprise par nos concitoyens, comme le souhaitait le président Gérard Larcher dans son allocution de ce matin, elle doit être entourée d'un véritable « pédagogie ». C'est pourquoi je revendique pour le Sénat, qui a travaillé sur ce texte, alors que nos collègues députés ont connu les bouleversements que l'on sait, la possibilité d'être saisi, en premier lieu, du projet de loi portant transposition de la directive gazière que, vous l'aurez compris, j'appelle de mes voeux.

CONCLUSION DU COLLOQUE

Intervention de M. Gérard Larcher, sénateur des Yvelines,
président de la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat



Je me félicite du débat très vivant qui s'est déroulé tout au long de cette journée. Le Sénat doit être un lieu où la parole s'exprime en toute liberté. Je note au passage que l'on a assisté à quelques rapprochements ... inattendus ! J'en veux pour preuve certaines convergences entre MM. Mestrallet et Fiterman sur les questions de flexibilité et de sécurité des approvisionnements ; ou entre MM. Turmes et Syrota sur le besoin d'accroître les flux physiques d'énergie.

A l'évidence, des verrous doivent sauter. Il s'agit de verrous techniques tels que l'insuffisance des interconnexions électriques dont a parlée M. Merlin, afin de développer le marché, comme l'a demandé M. Rodier. Il en va de même de verrous politiques comme l'attitude des autorités allemandes de la concurrence vis-à-vis de certaines fusions intra-allemandes ou de ceux qui empêchent de tirer de nouvelles lignes électriques entre la France et la Belgique.

Tout n'est pas noir, tout au contraire, dans la démonopolisation du marché énergétique français. J'ai noté avec intérêt les termes élogieux que M. Ristori a eus pour l'action du RTE en la personne de son président, M. Merlin. Cependant, des progrès restent à accomplir pour fluidifier le marché et permettre l'apparition d'une bourse de l'électricité active, ainsi que l'a souligné M. Conil-Lacoste.

Reste la question du devenir de Gaz de France et d'Electricité de France. Je suis convaincu qu'il convient de l'aborder sans aucune idéologie, avec pragmatisme et dans le cadre d'une véritable pédagogie tant avec les personnels qu'avec les usagers qui sont aussi les utilisateurs des services dispensés par EDF et par GDF. Sur ce sujet, une page s'ouvre pour les opérateurs historiques français.

Depuis le sommet de Stockholm de 1999, le processus de libéralisation du marché européen de l'énergie s'est accéléré. La Commission européenne a défini un cadre, des outils et un calendrier qui fixent désormais à 2005 l'échéance de l'ouverture totale à la concurrence, après une première étape constituée par la libéralisation du marché des professionnels.

Le colloque organisé le 26 juin 2002 au Sénat a posé les questions cruciales pour cerner les options ouvertes aux pouvoirs publics et les choix susceptibles d'être faits par EDF et GDF : Comment organiser l'adaptation de nos deux entreprises publiques à cette nouvelle donne ? Quels objectifs et quelles limites à l'ouverture européenne ? Tous sujets qui intéressent aussi bien l'avenir de l'Europe de l'énergie que la place des entreprises françaises et leur politique de développement en son sein.

Beaucoup de décideurs publics et privés, français et européens concernés par ce vaste débat, indissociable de celui relatif à la place des services public dans notre pays, ont participé à ce colloque organisé par la commission des Affaires économiques et le groupe d'études de l'Energie du Sénat. Leurs analyses, leurs réflexions et leurs propositions portent autant sur la compétitivité de l'économie nationale que sur la vie quotidienne des Français.

Les interventions de ces décideurs sont transcrites dans le présent rapport. Leur lecture permet à tout un chacun de se forger une opinion sur ce dossier complexe mais crucial.



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