III. LA NÉCESSITÉ DE MIEUX ORIENTER L'AIDE JURIDIQUE
Le franc succès remporté par la loi du
10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle montre qu'elle
répond à un vrai besoin. Concernant l'aide juridictionnelle, les
demandes d'admissions se sont élevées à 729.791 en 1996 et
665.719 d'entre elles ont reçu une réponse favorable. Les
difficultés économiques des familles concernées par l'aide
juridictionnelle constituent une réalité puisque plus de la
moitié des demandeurs sont des chômeurs ou des inactifs. Les
demandeurs de l'aide juridictionnelle sont en majorité des femmes
(59 % en 1995 et 71 % lorsqu'il s'agit d'une demande de divorce).
Pourtant, et sans remettre en cause l'aide juridique dans son principe,
l'augmentation des crédits mis à sa disposition est
inquiétante, dans la mesure où elle absorbe une part croissante
de la hausse générale des crédits du budget de la justice.
Les tableaux ci-après permettent de comparer l'évolution du
budget de la justice et celle de l'aide juridique. A l'exception des
années 1994 et 1995, les crédits mis à la disposition de
l'aide juridique ont crû beaucoup plus rapidement que ceux du budget de
la justice. Ainsi, en 1996, les premiers ont augmenté de 18,6 %
contre 4,1 % pour les deuxièmes. De même, en 1997, les
hausses ont atteint respectivement 11,9 % et 6,1 %.
En outre, votre rapporteur regrette la lenteur de la mise en
place du deuxième volet de la loi du 10 juillet 1991, qui a vocation
à intervenir en amont du procès afin de faciliter l'accès
des citoyens à la connaissance de leurs droits et de leurs obligations.
Ainsi, depuis l'entrée en vigueur de la loi, seuls vingt conseils
départementaux de l'aide juridique ont fait l'objet d'un
arrêté d'approbation publié au Journal Officiel de la
République. Alors que depuis 1993, les dotations du chapitre 46-12 (aide
juridique), sont supérieures à un milliard de francs, le montant
cumulé des subventions versées par le ministère de la
justice aux conseils départementaux de l'aide juridique au titre des
exercices 1993 à 1996 s'élève à peine à
5 millions de francs.
Par ailleurs, si les conseils départementaux de l'aide juridique ont
permis de mettre en place des dispositifs de consultations juridiques gratuites
ou aidées, ils n'ont pas inclus dans leurs programmes d'activité
l'assistance au cours de procédures non juridictionnelles. Or, seul le
développement massif d'alternatives au recours contentieux permettra de
désengorger les tribunaux et d'apporter aux justiciables des solutions
acceptables dans des délais raisonnables.
C'est pourquoi votre rapporteur plaide pour une augmentation substantielle,
à l'intérieur de l'aide juridique, des crédits à la
disposition de l'aide à l'accès au droit
.
Parallèlement, il souhaite une adaptation du droit aux évolutions
de la société : la multiplication du nombre de familles
recomposées appelle sans doute une modification de la procédure
de divorce par consentement mutuel et de la prestation compensatoire. A cet
égard, il convient de ne pas oublier que les admissions à l'aide
juridictionnelle pour les contentieux civils, et principalement familiaux,
constituent les trois cinquièmes des admissions totales à l'aide
juridictionnelle.
En réalité, le débat sur les modalités de l'aide
juridique pose implicitement la question de la gratuité de la justice.
Votre rapporteur a conscience qu'il s'agit d'un sujet sensible et que toute
réflexion sur ce thème entraîne le risque, pour son auteur,
d'être accusé de vouloir instaurer une justice à deux
vitesses.
Pourtant, le statu quo actuel n'est pas tenable.
D'une part, le principe de la gratuité de la justice est d'ores et
déjà un leurre. Certes, les magistrats et les greffiers sont
payés par l'Etat, mais le justiciable doit assumer les honoraires de son
avocat. Or, les plafonds de l'aide juridictionnelle (4.480 francs pour
l'aide totale et 7.273 francs pour l'aide partielle en 1997) excluent de
son bénéfice une grande partie de la population sans qu'elle
puisse pour autant faire face à ces frais.
D'autre part, que penser d'une justice qui est peut-être gratuite, mais
également dans l'incapacité d'apporter au justiciable une
décision dans des délais raisonnables? La justice n'est pas un
bien de consommation courante et, fort heureusement, les individus n'y ont
recours qu'un nombre très limité de fois dans leur vie. En
revanche, lorsqu'ils y font appel, ils attendent d'elle une réponse
rapide à la question de droit posée. La priorité est donc
moins donnée à la gratuité de la justice qu'à sa
rapidité et à son efficacité.
En outre, il n'est pas question de contester la gratuité de la
justice dans sa globalité.
Ainsi, ce principe conserve toute sa
légitimité en matière pénale et pour les affaires
matrimoniales. En revanche, il pourrait être modulé pour les
affaires qui ne mettent en jeu que des intérêts patrimoniaux afin
de favoriser les procédures de médiation et de transaction. Une
telle réforme permettrait de désengorger les tribunaux et de
responsabiliser certains justiciables qui ne s'estiment satisfaits que si leur
affaire a été tranchée par un juge, alors même qu'il
existe des alternatives au recours contentieux.
Or, une telle dérive est inquiétante car elle engendre des frais
de justice importants.
A cet égard, votre rapporteur
s'inquiète de la tendance, chez les parties, à porter les litiges
devant la juridiction pénale lorsque la nature des faits le permet afin
de ne pas avoir à supporter les frais qui resteraient à leur
frais à l'issue du procès.