CHAPITRE II
L'ENLISEMENT DE LA JUSTICE
I. UNE DURÉE MOYENNE DE RÈGLEMENT DES AFFAIRES CIVILES INTOLÉRABLE POUR LE JUSTICIABLE
A. LA POURSUIT DE LA TENDANCE À LA HAUSSE DU NOMBRE D'AFFAIRES EN 1996
Sauf pour les tribunaux d'instance et, dans une moindre mesure, les cours d'appel, toutes les autres juridictions ont enregistré une hausse du nombre d'affaires dont elles ont été saisies.
1. la Cour de cassation
La Cour de cassation a été saisie de 20.275
affaires nouvelles contre 19.969 en 1995, soit une augmentation
modérée de 1,5 %. En dix ans, le nombre d'affaires nouvelles
a augmenté de 23,4 %.
Malgré la diminution du nombre d'affaires terminées (20.420
contre 21.499 en 1995), la Cour de cassation parvient à poursuivre la
légère diminution du stock d'affaires entamée en 1995.
2. Les cours d'appel
Les cours d'appel ont enregistré 219.335 affaires
nouvelles, soit une très légère baisse de 0.3 % par
rapport à 1995.
En dix ans, le nombre d'affaires nouvelles a
toutefois augmenté de 49,5 %.
Le nombre d'affaires terminées a continué de croître mais
à un rythme inférieur à celui des trois années
précédentes (+ 2,6 % en 1996 contre + 6,1 %
en 1995, + 4,3 % en 1994 et + 5 % en 1993) et ne permet pas
d'empêcher une nouvelle augmentation du stock d'affaires en cours
(5306.978 contre 291.640 en 1995).
3. Les tribunaux de grande instance
Les tribunaux de grande instance ont été saisis
de 673.664 affaires nouvelles, soit 2 % de plus qu'en 1995.
En dix
ans, le nombre d'affaires nouvelles a augmenté de 57,6 %, avec une
accélération depuis 1993
. En effet, la réforme
relative au juge des affaires familiales a transféré un nombre
important de contentieux du tribunal d'instance vers le tribunal de grande
instance. En outre, la création du juge de l'exécution a
provoqué de nouveaux contentieux de l'exécution.
Le nombre d'affaires terminées a continué de croître
(+ 1,5 %) mais à un rythme inférieur à celui de
1995 (+ 5,7 %) ou de 1994 (+ 14,6). Sans le renforcement des
effectifs, aucun gain de productivité supplémentaire n'est
à envisager.
En outre, le stock d'affaires en cours progresse de 3,2 % et
s'élève à 577.099, atteignant ainsi son niveau le plus
haut depuis 10 ans.
4. Les tribunaux d'instance
Le nombre d'affaires enregistrées par les tribunaux
d'instance a diminué de 1,6 % par rapport à 1995 pour
s'élever à 478.500.
Toutefois, le nombre d'affaires terminées a chuté
parallèlement de 7,8 %. En conséquence, le nombre d'affaires
en cours a augmenté de 5 % et s'élève à
320.047.
5. Les conseils de prud'hommes
Alors que le nombre d'affaires nouvelles enregistrées
était en diminution depuis trois années consécutives, ce
dernier a augmenté de 6,4 % en 1995 pour atteindre 167.592.
Par ailleurs, le nombre d'affaires terminées a de nouveau diminué
(- 4,3 % en 1996 après -1 % en 1995), le nombre
d'affaires en cours augmentant en conséquence de 6 % pour
s'élève à 143.001.
6. Les tribunaux de commerce
Les statistiques fournies par la Chancellerie sur les activités des tribunaux de commerce sont beaucoup moins précises. Ainsi, votre rapporteur n'a pu se procurer que des informations sur le nombre des affaires terminées. Ce dernier est en diminution de 6,7 % par rapport à 1995 et s'établit à 263.282. Votre rapporteur regrette la caractère partiel de ces renseignements qui limite la mission d'information du Parlement et veillera à ce que l'administration fournisse à l'avenir des indications plus précises.
B. DES DÉLAIS EXCESSIFS POUR LE RÈGLEMENT DES AFFAIRES CIVILES
Pour les cours d'appel, la durée des affaires
terminées augmente de près d'un mois en 1996 et s'établit
à 15,6 mois.
Ce chiffre représente une
dégradation par rapport aux années 1991 à 1994 (moins de
14 mois) et s'éloigne de l'objectif fixé par le programme
pluriannuel pour la Justice (12 mois).
Il faut remonter à 1989
pour retrouver un délai aussi élevé de règlement
des affaires.
Pour les tribunaux de grande instance, la durée moyenne de traitement
des affaires s'établit à 8,8 mois
, pratiquement au
même niveau qu'en 1994 et 1995 (8,9 mois). Elle reste assez
éloignée de l'objectif de 6 mois fixé par le
programme pluriannuel pour la Justice.
Pour les tribunaux d'instance, la durée moyenne de traitement des
affaires s'établit à 5 mois
, soit une augmentation de
près d'un mois depuis 10 ans. L'objectif de trois mois fixé
par le programme pluriannuel pour la Justice est donc loin d'être atteint.
En revanche, pour les tribunaux de commerce, la durée de traitement des
affaires est stable depuis 1994 (5,9 mois environ) et les redressements et
les liquidations judiciaires sont même réglés un peu plus
vite en 1996.
De même, en ce qui concerne les affaires traitées par les
tribunaux des prud'hommes, la durée moyenne s'est plutôt
améliorée puisqu'elle est passée de 10,1 mois en
1995 à 9,4 mois en 1996.
Or, ces délais peuvent s'apparenter à de véritables
dénis de justice
, surtout pour les procédures qui, par leur
nature, requièrent un traitement rapide (appels en matière de
référé, affaires familiales, appels des décisions
du juge de l'exécution, affaires prud'homales, affaires de presse..).
Votre rapporteur tient à rappeler que la France a été
condamnée plusieurs fois par la Cour européenne des droits de
l'homme de Strasbourg (arrêt Woutam Moudefo c. France du 11 octobre 1988,
arrêt H. c. France du 24 octobre 1989) parce que les délais
observés dans les procédures se révélaient
suffisamment importants pour qu'il faille considérer comme excessive
leur durée totale. En conséquence, la Cour a jugé que ce
dépassement du délai raisonnable constituait une violation de
l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme.
De même, dans un jugement rendu le 5 novembre 1997, le tribunal de
grande instance de Paris a estimé que la responsabilité de l'Etat
était engagée lorsqu'un justiciable, faisant appel devant la cour
d'appel d'Aix, reçoit un avis précisant que la procédure
engagée devant cette dernière ne pourra être
examinée qu'à l'issue d'un délai de quarante mois.
En outre, ces délais moyens cachent de fortes disparités selon
les juridictions, en fonction de leur encombrement. Ainsi, en matière de
divorce, le délai de traitement des demandes en divorce pour faute est
de 12 à 14 mois au tribunal de grande instance de Nanterre, de
18 mois à ceux de Versailles et de Pontoise et de 24 mois
à celui de Chartres.