EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 6 mars 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure, sur le projet de loi (n° 285, 2023-2024) portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé.

M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport et du texte de la commission sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé. Ce texte sera examiné en séance le jeudi 14 mars.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Le texte que nous examinons ce matin est particulier, sur la forme comme sur le fond, et assez original.

Ce projet de loi est économe sur sa forme : un article unique, se bornant à la ratification d'une ordonnance, celle du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé.

Le premier objet de ce texte était de rattraper un retard accumulé dans la transposition des lois de bioéthique en matière de recherche. Cette ordonnance a ainsi rendu applicables dans les trois collectivités françaises du Pacifique les récentes dispositions du code de la santé publique se rapportant aux recherches impliquant la personne humaine (RIPH), qui précisent les conditions dans lesquelles ces recherches peuvent être menées et garantissent la sécurité et la bonne information du participant. Certaines de ces dispositions étaient parfois gelées dans des rédactions non modifiées depuis plus de dix ans. Cette ordonnance met également à jour dans ce champ de nombreuses références, en conséquence des récentes adaptations du droit français aux règlements européens.

Cette même ordonnance étend et adapte au territoire des îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française les dispositions relatives à l'allongement des délais de recours à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et à la suppression du délai minimum de réflexion.

Des extensions et adaptations particulières ont en outre été réalisées pour certains territoires seulement : les dispositions de la loi Rist 1, relatives à l'extension des compétences des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles, pour Wallis-et-Futuna ; les dispositions de la loi santé de 2016, relatives à la protection par le secret de la prescription de la contraception aux mineures, pour la Polynésie française.

Rappelons le cadre juridique de cette ordonnance. Aux termes de l'article 74-1 de la Constitution, le Gouvernement peut, dans les collectivités régies par l'article 74 - Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna -, ou encore en Nouvelle-Calédonie, étendre, avec les adaptations nécessaires, les dispositions législatives en vigueur dans l'Hexagone. Cette extension du droit commun est réalisée par ordonnance et ne peut intervenir que dans les seules matières qui demeurent de la compétence de l'État. Les assemblées des collectivités sont consultées sur le projet d'ordonnance.

Que le Gouvernement demande expressément au Parlement de ratifier une ordonnance peut surprendre - Pascale Gruny a démontré le faible taux de ratification sur le précédent triennat. L'explication est en réalité simple : en vertu de l'article 74-1 de la Constitution, le Gouvernement dispose d'une habilitation permanente à prendre des ordonnances d'extension et d'adaptation du droit dans les collectivités du Pacifique, en contrepartie de quoi celles-ci doivent nécessairement être ratifiées par le Parlement. Faute de ratification expresse dans un délai de dix-huit mois, l'ordonnance deviendrait caduque de plein droit.

Si la ratification demandée apparaît comme un exercice particulièrement encadré, voire contraint, cela n'enlève nullement à ce texte sa portée politique et - surtout - juridique.

L'examen au fond de ce texte appelle plusieurs questions auxquelles j'ai tenté, au cours de mes travaux préparatoires et auditions, d'apporter des réponses.

La première a été celle du partage des compétences. Le Gouvernement ne peut étendre et adapter des dispositions que dans le seul champ des compétences de l'État. Or, sur ce point, l'intitulé de l'ordonnance du 19 avril 2023 est trompeur : si les dispositions étendues dans les territoires du Pacifique figurent au sein du code de la santé publique, elles font en réalité intervenir des compétences qui ne relèvent principalement pas de la santé.

Surtout, si l'État conserve la compétence de la santé dans les îles Wallis et Futuna, cette compétence relève du pays en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

Aussi l'examen des dispositions fait-il apparaître que les dispositions de bioéthique en matière de recherche impliquant la personne humaine (RIPH) ressortent de la compétence recherche, assumée par l'État, et que les dispositions relatives au délai de recours à l'IVG ressortent du champ de compétence de l'État, car celles-ci relèvent de la garantie des libertés publiques.

Je constate qu'aucun empiétement de l'État sur une compétence dévolue n'a été relevé par les territoires.

La deuxième question posée est celle de la pertinence des dispositions au regard des réalités locales. Les auditions ont été particulièrement instructives, alors que ni l'ordonnance ni son projet de loi de ratification ne font l'objet d'une étude d'impact du Gouvernement.

Je regrette par ailleurs que seul l'avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie ait été reçu par le Gouvernement dans le délai imparti pour la présente ordonnance. L'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna a adopté un avis non reçu par le Gouvernement et le projet d'avis préparé n'a pas été soumis à l'assemblée de Polynésie française dans le délai. Les collectivités ont insisté sur la contrainte du délai de saisine, souvent incompatible avec une analyse fine des dispositions nombreuses et techniquement complexes.

En Polynésie française, l'actualisation du droit en matière de RIPH était une demande forte du pays. L'ordonnance vient parachever un travail initié en 2019. Il semble que les extensions soient satisfaisantes, sous réserve cependant de certaines demandes de modification qui, je l'espère, seront expertisées par le Gouvernement d'ici à la séance publique.

En Nouvelle-Calédonie également, les dispositions relatives à la recherche étaient attendues. Dans les deux cas, il s'agit de rendre possible l'intégration de patients de ces territoires à des recherches cliniques, alors que certaines pathologies se présentent parfois de manière différente ou selon des profils de populations distincts de l'Hexagone.

Pour Wallis-et-Futuna, l'extension de ces mêmes dispositions a été faite à la demande de l'agence de santé pour, en théorie, permettre l'intégration de patients, sans que la réalité de l'offre de soins permette aujourd'hui de l'envisager.

L'allongement du délai de recours à l'IVG n'a fait l'objet de demandes d'extension dans aucun des trois territoires. Surtout, je constate que l'ensemble des représentants des collectivités ont fait état lors des auditions d'une sensibilité particulière sur ce sujet, dans des territoires où la société est plus religieuse que dans l'Hexagone.

Si l'allongement du délai pourrait, a priori, paraître parfois pertinent au regard des difficultés d'accès aux soins et de l'éloignement de certaines îles, la sensibilité éthique du sujet a été fortement rappelée.

Surtout, je veux souligner l'adaptation très inaboutie du droit. En effet, le Gouvernement s'est borné à étendre les dispositions de la loi du 2 mars 2022 sans anticiper sa mise en oeuvre réelle par les territoires. Ainsi, il a étendu le principe de l'allongement du droit de recours sans se soucier de savoir si les professionnels de santé seraient formés en conséquence, s'ils seraient disponibles et si l'accès à ces actes parfois nouveaux serait effectivement permis. Cela a pourtant des implications concrètes, alors que l'organisation des soins et les compétences des professionnels de santé, par exemple, relèvent du pays en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, de même que la prise en charge par l'assurance maladie.

Or, il ressort des auditions que la Nouvelle-Calédonie n'a pas encore adopté, un an après l'ordonnance l'ensemble des textes déclinant ce principe, quand le ministre de la santé polynésien se montrait plus que réservé sur la mise en oeuvre de cette mesure et pointait l'absence de formation des sages-femmes à l'acte chirurgical dans ce territoire. Du reste, au cours des auditions, il nous a été impossible de savoir si, depuis l'an dernier, des avortements avaient effectivement été sollicités et pratiqués dans le délai compris entre douze et quatorze semaines. En d'autres termes, le Gouvernement s'est donné bonne conscience, sans se préoccuper de l'accessibilité du droit.

La dernière question est celle de notre rôle. La réponse est délicate. Dans le cadre d'un tel projet de loi, de quelle marge de manoeuvre disposons-nous réellement ? La ratification nous ramène malheureusement à un choix tout à fait binaire : adopter ou rejeter l'ordonnance d'un bloc.

Je n'étais pas sénatrice lors de l'examen de la dernière loi bioéthique, ni lors de celui de la loi de la loi de 2022 sur l'avortement, et encore moins lors de l'examen de la loi de santé de 2016.

Je constate que les dispositions relatives aux recherches sur la personne humaine ont parfois été adoptées dans les mêmes termes par le Sénat et l'Assemblée nationale ou ne relèvent pas a priori de désaccords majeurs qui avaient pu persister au cours de la navette.

Ce n'est pas la même chose pour l'extension de la loi du 2 mars 2022 relative à l'avortement. En 2021 et 2022, le Sénat avait, par trois fois, rejeté la proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement, finalement définitivement adoptée par l'Assemblée nationale. Son article 1er allongeait le délai de recours à l'IVG de douze à quatorze semaines, tandis que son article 1er ter prévoyait la suppression du délai de réflexion dans le cas d'un entretien psychosocial préalable. La majorité sénatoriale avait défendu une position claire, sanctionnée systématiquement par l'adoption très large de motions opposant la question préalable rappelant que, selon les données de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), en 2017, seulement 5 % des IVG ont été réalisées dans les deux dernières semaines du délai légal, alors de douze semaines. Les motions rappelaient qu'il s'agit d'un acte considéré par les professionnels de santé eux-mêmes comme d'autant moins anodin qu'il est pratiqué tardivement au cours de la grossesse. Ces arguments conservent leur pleine pertinence ; j'y adhère, à titre personnel.

Alors que l'extension réalisée par le Gouvernement ne s'appuie sur aucune évaluation d'un besoin identifié, pas plus que sur une anticipation ni de la capacité, ni de la volonté des collectivités de la mettre en oeuvre, il me semble qu'elle n'est pas opportune. Pour autant, au-delà de ma position personnelle, en tant que rapporteure, je dois vous proposer une position permettant à la commission d'élaborer son texte. Nous devons être conscients que l'approbation de ce texte conduit non pas à faire évoluer le droit, mais à préserver le droit existant.

L'ordonnance a modifié le droit à sa publication, le 19 avril 2023. La question est uniquement d'assurer à ces modifications une pérennité législative. Rejeter ce projet de loi de ratification consisterait à revenir au droit antérieur. Opposée à l'allongement du délai de recours à l'IVG à quatorze semaines, il me faut admettre que ce délai est devenu le droit, y compris depuis 2023, dans ces trois collectivités.

À défaut d'une validation politique, je vous propose une validation juridique. Prenons acte, malgré mes réserves, de l'évolution du droit.

La Nouvelle-Calédonie a formulé des regrets concernant les modalités retenues pour étendre et adapter le droit outre-mer, au moyen des compteurs Lifou - des tableaux listant les articles applicables et leur version pour chacun des territoires - et de renvois jugés parfois trop fragiles à des dispositions nationales ou au droit applicable. Il y va de la sécurité juridique et de la lisibilité du droit.

Si la compétence de la santé relève du pays en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, les indicateurs de santé publique et les pathologies particulières méritent notre intérêt. Surtout, la situation préoccupante de Wallis-et-Futuna, où l'État est compétent, m'a interpellée. Les territoires d'outre-mer sont confrontés à des enjeux très concrets d'accès aux soins, alors que la multi-insularité est un sujet de complexité majeur et que nos compatriotes du Pacifique ont parfois des difficultés insoupçonnées lors de déplacements dans l'Hexagone.

Enfin, en tant que rapporteure, il me revient de vous proposer un périmètre en vue de l'examen de la recevabilité des amendements au regard de l'article 45 de la Constitution.

Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut des dispositions relatives à l'extension et à l'adaptation aux collectivités du Pacifique des dispositions du code de la santé publique relatives aux recherches impliquant la personne humaine ; à l'allongement des délais de recours à l'IVG et à la suppression du délai minimum de réflexion ; à la compétence des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles ; à la protection par le secret de la prescription de la contraception aux personnes mineures.

En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs, dans ces mêmes champs, au droit commun applicable sur l'ensemble du territoire national.

Il en est ainsi décidé.

M. Jean-Luc Fichet. - Madame la rapporteure, c'est un travail difficile que vous effectuez-là sur un sujet complexe et très important. Cette ordonnance modifie le code de la santé publique afin d'étendre l'application des règlements européens portant sur les essais cliniques de médicaments et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro. L'ordonnance rend ensuite applicable à Wallis-et-Futuna les évolutions législatives récentes relatives aux droits des personnes malades, à la santé sexuelle, à l'IVG et à différents produits pharmaceutiques, telles que l'allongement du délai de recours à l'IVG de douze à quatorze semaines ou l'autorisation pour les sages-femmes de pratiquer des IVG par voie instrumentale dans les établissements de santé. Je me réjouis particulièrement de la transcription de ces dispositions au surlendemain de la modification de la Constitution.

Madame la rapporteure, disposez-vous d'informations sur l'accès effectif à l'IVG à Wallis-et-Futuna ? L'ordonnance étend également à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna des dispositions favorisant l'accès précoce et compassionnel des patients en impasse thérapeutique à certains traitements non autorisés. Disposez-vous de données sur la qualité de la prise en charge des patients en affections de longue durée (ALD) dans ces territoires ?

Autre disposition positive, l'application à la Polynésie française de la possibilité offerte à un grand nombre de professionnels de santé de déroger à l'obligation de recueillir le consentement de l'autorité parentale pour des actions de prévention, de dépistage ou de traitement nécessaires pour protéger la santé sexuelle et reproductive de mineurs.

Madame la rapporteure, disposez-vous de données sur le planning familial de Polynésie française ?

Le groupe SER votera le projet de loi, qui contient des adaptations positives, par-delà notre inquiétude plus générale sur le système de santé outre-mer et dans tout le territoire français.

M. Philippe Mouiller, président. - Les réponses à toutes ces questions demanderaient une demi-journée !

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Nous avons longuement entendu les représentants de Wallis-et-Futuna. Ils nous ont fait savoir que la situation du système de santé y était particulièrement préoccupante.

Sur la santé sexuelle à Wallis-et-Futuna, comme sur le planning familial de Polynésie, nous n'avons pas eu d'informations précises. À Wallis-et-Futuna, les patientes en demande d'IVG doivent souvent être transférées à l'hôpital de Wallis, seul établissement pouvant assurer des interventions chirurgicales. La prévalence de la religion dans ce territoire rend le recours à l'IVG assez minimal.

En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, l'assurance maladie relève du pays. Nous n'avons pas eu de données sur les modalités de prise en charge, notamment concernant les ALD.

Ces sujets méritent que l'on puisse nous y intéresser tant concernant l'état de santé des populations que de l'organisation de l'offre de soins, que celle-ci relève de l'État ou, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, du pays.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Philippe Mouiller, président. - Aucun amendement n'étant à examiner, je mets l'article unique aux voix, en vous rappelant que le vote sur cet article vaut vote sur l'ensemble du projet de loi.

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

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