B. LES RÉCENTES ANNONCES DU MINISTRE DÉLÉGUÉ CHARGÉ DES COMPTES PUBLICS VONT DANS LE BON SENS, MAIS IL FAUDRA ÊTRE ATTENTIF À LEUR MISE EN oeUVRE

1. Des annonces récentes qui vont dans le bon sens

Le 30 mai 2023, le ministre délégué chargé des comptes publics a annoncé un plan de lutte contre la fraude sociale.

Ce plan, qui fixe des objectifs quantitatifs en matière de redressement, semble convenablement ciblé :

- dans le cas des cotisations, l'objectif est fixé à 5 Md€ sur le quinquennat, soit un doublement des résultats entre 2022 et 2027 (1,5 Md€ en 2027, contre 0,8 Md€ en 2022), notamment par un doublement du nombre d'actions de contrôles conduites auprès des entreprises d'ici 2027 et des modifications législatives pour lutter contre les sociétés dites « éphémères » et réformer la collecte des cotisations sociales des micro-entrepreneurs affiliés à des plateformes internet de mise en relation ;

- dans le cas de l'assurance maladie, un objectif de 500 M€ de préjudice financier détecté et évité est fixé pour 2024, soit un doublement par rapport à la moyenne du précédent quinquennat, notamment par un renforcement des contrôles ciblés sur les professionnels de santé présentant des niveaux de prescription hors norme, et d'ici 2025, la possibilité pour chaque Français de recevoir sur son smartphone via l'application Ameli, par un SMS ou un e-mail, une notification des frais de santé facturés en son nom ;

- dans le cas des allocations sociales, l'objectif est fixé à 3 Md€ de préjudice détecté et évité par les Caf et les caisses de retraite sur le quinquennat, notamment par l'utilisation croissante des données du dispositif de ressources mensuelles (DRM) pour le calcul des droits aux prestations sociales130(*), la lutte contre la fraude à la résidence et la vérification d'ici la fin du quinquennat de l'ensemble des dossiers de retraités de plus de 85 ans résidant dans un pays étranger sans échange d'état-civil avec la France.

Le Gouvernement a indiqué son intention de mettre en place une mission de préfiguration pour examiner la fusion entre la carte nationale d'identité et la carte Vitale, afin de renforcer la sécurisation du numéro de sécurité sociale et éviter les fraudes liées aux cartes Vitale. Toutefois, un rapport de l'Igas et de l'IGF d'avril 2023, rendu public, indique que le directeur général de la Cnam a fait part de ses « très fortes réserves » à ce sujet131(*). Il ne faudrait pas qu'une trop grande focalisation sur ce sujet médiatique amène à se détourner des principaux enjeux de lutte contre la fraude.

Les caisses de sécurité sociale pourront accéder aux données de voyage du fichier Passenger Name Record (PNR) pour contrôler la condition de résidence en France et aux données du Fichier des comptes bancaires (Ficoba) pour vérifier automatiquement l'identité bancaire des allocataires de prestations.

Pour atteindre ces objectifs, les effectifs des caisses de sécurité sociale dédiés à la lutte contre la fraude seraient renforcés de 1 000 ETP (+ 20 %) recrutés d'ici 2027, et un plan de modernisation des systèmes d'information des caisses de sécurité sociale serait mis en oeuvre, avec des investissements de 1 Md€ sur le quinquennat, afin notamment de permettre aux Caf de recouvrer jusqu'à cinq années de versements indus en cas de fraude (contre deux actuellement)132(*).

Un Conseil de l'évaluation des fraudes fiscales et sociales, présidé par le ministre des Comptes publics, et comprenant notamment des parlementaires, doit être prochainement mis en place.

Diverses dispositions sont explicitement annoncées pour le PLFSS 2024 : réforme de la collecte des cotisations sociales des micro-entrepreneurs affiliés à une plateforme internet ; obligation pour les professionnels de santé de rembourser, en cas de fraude, les cotisations sociales prises en charge pour leur compte par l'assurance maladie, comme les employeurs remboursent les exonérations sociales dont ils ont bénéficié en cas de travail illégal ; harmonisation à neuf mois par an de condition de résidence en France pour bénéficier des prestations familiales, des aides au logement et des minima sociaux.

Il convient de noter que plusieurs des mesures annoncées par le Gouvernement ont d'ores et déjà été votées. C'est le cas, notamment, de l'entrée en vigueur dès le 1er juillet 2023 de l'obligation de verser sur un compte domicilié en France ou dans la zone Sepa les prestations sociales soumises à condition de résidence en France, prévue en LFSS 2023 sur proposition de la sénatrice Nathalie Goulet, et de l'allongement de six à neuf mois par année civile de la durée de résidence en France à laquelle est conditionnée l'ouverture des droits à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), inscrit à l'initiative du président Bruno Retailleau en LFRSS 2023 et qui sera applicable à compter du 1er septembre 2023.

2. Un plan qui reste à mettre en oeuvre

Les années récentes montrent de nombreux exemples de mesures de lutte contre la fraude annoncées, et même votées, et non suivies d'effet. Dans le chapitre du Ralfss 2023 consacré à la lutte contre la fraude aux prestations, la Cour des comptes souligne la nécessité d'appliquer certaines dispositions existantes :

- la plupart des prescriptions d'un médecin en ville, en établissement médico-social ou en établissement de santé, et exécutées par des professionnels de santé en ville, doivent être effectuées par la voie dématérialisée au plus tard fin 2024, en application d'une ordonnance du 18 novembre 2020. Les textes fixant le champ exact et le calendrier d'entrée en vigueur de cette obligation n'ont pas été pris ;

- actuellement les séjours en établissement de santé ne sont pas directement facturés à l'assurance maladie : des arrêtés des agences régionales de santé notifient à l'assurance maladie les sommes à payer. Pour permettre le contrôle automatisé de ces facturations par l'assurance maladie, il est prévu de mettre en place un dispositif dit de « facturation individuelle et directe des séjours » (Fides). Toutefois ce dispositif, qui devait entrer en vigueur en 2006, n'a cessé d'être reporté, la dernière fois à 2027 par la LFSS 2022, et le décret d'application devant permettre la phase pilote n'a pas été pris ;

- la disposition de la LFSS 2021 accordant aux caisses d'assurance maladie la possibilité de déroger au délai de droit commun pour le règlement des factures en tiers payant afin de pouvoir effectuer des contrôles dans le cas de professionnels ayant été sanctionnés ou condamnés pour fraude133(*) n'a toujours pas de décret d'application ;

- dans le cas de la disposition de la LFSS 2021 prévoyant que, pour les retraités dans des pays étrangers, la preuve de l'existence puisse être apportée par l'usage de données biométriques, le décret d'application est toujours en cours d'élaboration. La LFRSS 2023 a fixé au 1er septembre 2023 la délai limite accordé au Gouvernement pour sa publication.

Par ailleurs, comme le souligne la Cour des comptes dans le Ralfss 2023, il est essentiel d'accroître le nombre de contrôles, en particulier dans le cas du RSA : « les contrôles sur place, les plus approfondis, n'ont couvert en 2022 que 3 % des 3,1 millions de foyers bénéficiaires du RSA, prestation la plus fraudée. En accroître le nombre est indispensable afin de réduire l'étendue des fraudes au RSA, qui affectent un euro sur dix et un allocataire sur sept selon l'estimation de la Cnaf », ce qui impliquera d'accroître les moyens humains.

Le plan annoncé par le Gouvernement comprend des objectifs d'augmentation du nombre de contrôles et de renforcement des moyens humains. Toutefois en ce domaine le volontarisme ne suffit pas, et la commission suivra de près la mise en oeuvre de ces mesures.

Les sénateurs René-Paul Savary et Raymonde Poncet Monge travaillent, dans le cadre de la Mecss de la commission des affaires sociales du Sénat, sur les conditions dans lesquelles doit être mis en oeuvre le projet de « solidarité à la source », qui doit permettre, par le pré-remplissage des déclarations de ressources utilisées pour le calcul des droits au RSA et à la prime d'activité, de diminuer le nombre d'erreurs déclaratives et de cas de fraude. L'examen de leur rapport est prévu en juillet 2023.


* 130 Alimenté par les flux de données issus de la déclaration sociale nominative (DSN) pour les revenus d'activité salariaux et la DSN « Prélèvement à la source - Revenus autres » (PASRAU) pour les revenus de remplacement. Le DRM doit permettre aux Caf de pré-remplir, à compter de 2025, les déclarations de ressources souscrites en vue de l'examen ou du réexamen du droit au RSA et à la prime d'activité.

* 131 « Le directeur général de la Cnam a toutefois fait part de ses « très fortes réserves », concernant ce projet. Plusieurs motifs sont soulevés, notamment le fait que ce scénario ne répondrait à aucun besoin ou enjeu, en termes de lutte contre la fraude ou en termes de simplification administrative, qu'il pourrait fragiliser le déploiement dans un futur proche de l'ApCV, qu'il ne permettrait pas de couvrir à lui seul l'ensemble de la population assurée et qu'il présenterait plusieurs risques techniques et d'image. »

* 132 La Cour des comptes indique qu'« en l'absence d'adaptation de leur système d'information, les Caf constatent et mettent en recouvrement les indus frauduleux uniquement sur deux années, comme s'il s'agissait d'indus non frauduleux (ou plus rarement sur trois années, à l'aide d'un outil bureautique) » (Ralfss 2023, p. 246).

* 133 Par la suite, la LFSS 2023 a restreint l'application de cette mesure aux préjudices les plus graves (dont le montant dépasse huit plafonds mensuels de la sécurité sociale, soit 29 328 € en 2023).

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