II. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Le panier de recettes volatile de l'AFITF fait peser un risque structurel sur le financement des infrastructures de transport
a) Si le plan de relance a permis de tenir les engagements de la LOM, les recettes beaucoup trop incertaines de l'AFITF sont incompatibles avec les caractères certain, éminent et pluriannuel des dépenses de l'agence

Le financement par l'État des infrastructures de transports repose largement sur les crédits de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), dont le budget est alimenté par l'affectation de plusieurs taxes. L'article 2 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) prévoit que les dépenses de l'AFITF exprimées en crédits de paiement et en millions d'euros courants évoluent de la façon suivante entre 2019 et 2023.

Dépenses de l'AFITF prévues à l'article 2 de la LOM exprimées en crédits
de paiement sur la période 2019-2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après l'article 2 de la LOM

En 2018 comme en 2019 , du fait du rendement des recettes provenant des amendes radars, les sommes perçues par l'AFITF avaient été significativement inférieures aux prévisions initiales 6 ( * ) . Pour pallier ce déséquilibre structurel incompatible avec les engagements de dépenses pluriannuels prévus dans la LOM, de nouvelles recettes ont été attribuées à l'AFITF dans le cadre de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, l'une tirée de la baisse du tarif réduit de TICPE dont bénéficie le transport routier de marchandises et l'autre, baptisée « éco contribution » sur le transport aérien , qui était sensée rapporter 230 millions d'euros à l'AFITF dès 2020. Or, et quand bien même la LFI pour 2021 prévoyait encore que l'AFITF perçoive 230 millions d'euros au titre de cette recette, compte-tenu de la crise sans précédent du secteur aérien, les rapporteurs spéciaux observent que l'AFITF n'a toujours pas perçu le moindre euro émanant de cette taxe .

Au-delà de la sensibilité conjoncturelle très prononcée des recettes d'amendes radars et de « l'éco contribution » sur le transport aérien, l'AFITF s'est vue confrontée à une autre difficulté inattendue en 2021. En conflit avec l'État au sujet de l'indexation de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) sur l'inflation, les sociétés concessionnaires d'autoroute (SCA) ont refusé de payer la contribution volontaire exceptionnelle qu'elles versent annuellement à l'AFITF et qui devait rapporter 60 millions d'euros à l'agence en 2021.

Les rapporteurs spéciaux estiment que l'AFITF fait l'objet de dommage collatéral et qu'elle n'a pas à faire les frais de ce contentieux entre l'État et les SCA . Ils considèrent qu'il n'est pas admissible que le financement des infrastructures de transport soit pris en otage de la sorte.

Les recettes de l'AFITF en 2021

(en millions d'euros)

2016

2017

2018

2019

2020

LFI 2021

Exécution 2021

Variation exécution 2021/2020

Variation LFI 2021 / exécution 2021

Taxe d'aménagement du territoire

512

516

472

523

459

567

561

+ 22,2 %

- 1,1 %

Redevance domaniale

331

351

347

357

365

362

336

- 7,9 %

- 7,2 %

Amendes radars

352

409

248

228

167

278

271

+ 62,3 %

- 2,5 %

TICPE

763

1 124

1 028

1 206

1 587

1 285

1 285

- 19,0 %

-

Écocontribution billets d'avion

-

-

-

-

-

230

-

-

- 100 %

Plan de relance autoroutier

100

0

100

60

58

60

-

- 100 %

- 100 %

Produits exceptionnels

-

-

35

89

-

48

-

-

- 100 %

Subvention de l'État

-

-

-

-

250

-

100

-

-

Versements de la mission « Plan de relance » 7 ( * )

-

-

-

-

-

-

599

-

-

Total

2 058

2 400

2 231

2 462

2 886

2 782

3 152

+ 9,2 %

+ 13,3 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les rapports d'activité de l'AFITF

Les rapporteurs spéciaux déplorent que plusieurs des principales recettes de l'AFITF ont un rendement très incertain et volatile, complètement en décalage avec le caractère certain et prévisible des dépenses de l'agence. Cette situation amène l'AFITF à devoir réclamer chaque année des recettes compensatoires dans le cadre du collectif budgétaire de fin de gestion. Ainsi, comme en 2020, via la seconde LFR pour 2021, l'État a d'une part révisé les modalités d'affectation des recettes d'amendes radars afin que l'AFITF puisse percevoir 150 millions d'euros supplémentaires et, d'autre part, versé une dotation budgétaire exceptionnelle de 100 millions d'euros à l'agence 8 ( * ) .

Pour rappel, dans leur rapport portant sur le projet de loi de finances pour 2021, les rapporteurs spéciaux avaient souligné à quel point les prévisions de recettes de l'AFITF pour 2021 étaient surestimées et irréalistes . Ils avaient alors proposé un amendement, adopté par le Sénat, visant à relever de 400 millions d'euros le plafond de TICPE affecté à l'AFITF. Ils constatent que leurs craintes de l'époque se sont matérialisées puisque, sans les mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement dans le cadre de la seconde LFR pour 2021, les recettes de l'AFITF auraient été inférieures de plus de 470 millions d'euros aux prévisions initiales.

Les rapporteurs spéciaux notent que malgré la dotation exceptionnelle de 100 millions d'euros et la modification des conditions d'affectation des recettes d'amendes radars, les ressources de l'AFITF constatées en 2021 se sont avérées inférieures de plus de 220 millions d'euros à celles prévues au budget initial de l'agence (3 373 millions d'euros). Ils considèrent que ce déficit de recettes récurrent, dû à l'imprévisibilité du rendement de plusieurs des taxes affectées, nuit gravement au financement des programmes d'investissements pluriannuels dans les infrastructures qui sont pourtant d'un intérêt primordial pour le pays.

Les rapporteurs notent par ailleurs qu'en 2021, les ressources de l'AFITF ont été abondées de 599 millions d'euros de crédits issus de la mission « Plan de relance » provenant, pour 532 millions d'euros, du programme 362 « Écologie » et, pour 67 millions d'euros, du programme 364 « Cohésion ».

b) Bien que portées par le plan de relance les dépenses de l'AFITF ont été nettement inférieures aux prévisions initiales

La consommation d'AE de l'AFITF s'est établie à 4 426 millions d'euros en 2021 , soit une hausse très sensible de 41,4 % par rapport à l'exercice 2020. Cette consommation est également supérieure de 1,7 % au montant prévu dans le budget initial de l'agence (4 353 millions d'euros).

Fin 2021, l'AFITF a engagé 1 783 millions d'euros et dépensé 514 millions d'euros dans le cadre du plan de relance. La répartition de ses crédits par mode est présentée ci-après.

Répartition par mode des AE consommées par l'AFITF dans le cadre du plan de relance

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport d'activité 2021 de l'AFITF

Répartition par mode des CP consommées par l'AFITF dans le cadre du plan de relance

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport d'activité 2021 de l'AFITF

Le total des crédits consommés en 2021 par l'AFITF selon les différents modes de transports est présenté dans le tableau suivant :

Dépenses de l'AFITF par destination en 2021

(en millions d'euros)

Domaine

AE

%

CP

%

Ferroviaire

1 630

36,8 %

1 305

42,8 %

Routes

1 212

27,4 %

990

32,4 %

Fluvial

197

4,5 %

265

8,7 %

Maritime

132

3,0 %

64

2,1 %

Transports en commun et mobilités actives

183

4,1 %

390

12,8 %

Divers et support

172

3,9 %

36

1,2 %

Totaux

4 426

3 051

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport d'activité de l'AFITF

Les engagements relatifs au transport ferroviaire (1 630 millions d'euros) ont été trois fois plus importants en 2021 qu'en 2020. Par rapport à 2019, ces engagements ont progressé de 52,9 %. Après avoir augmenté de 45 % en 2020, les engagements relatifs au transport routier se sont stabilisés (+ 0,3 %) à 1 212 millions d'euros en 2021.

Évolution de la consommation d'AE de l'AFITF en faveur des transports en commun et des mobilités actives (2016-2021)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport d'activité de l'AFITF

Portés par le plan de relance, les engagements relatifs aux transports collectifs en agglomération et aux mobilités actives poursuivent leur forte progression pour s'établir à 1 083 millions d'euros.

La consommation des CP en 2021 s'est élevée à 3 051 millions d'euros , soit un niveau supérieur aux engagements fixés dans la LOM (2 687 millions d'euros). Les rapporteurs spéciaux constatent néanmoins que ce n'est qu'à la faveur des crédits complémentaires apportés par le plan de relance que la trajectoire d'investissements de la LOM a pu être respectée . Ils déplorent par ailleurs que, compte tenu du déficit de recettes, et après pas moins de huit budgets rectificatifs , ce qui illustre à tel point l'agence manque de visibilité budgétaire, l'AFITF a dû revoir sensiblement à la baisse ses dépenses d'investissements au cours de l'année 2021. En effet, les CP réellement consommés sont inférieurs de près de 340 millions d'euros aux dépenses prévues dans le budget initial (3 387 millions d'euros).

Les rapporteurs spéciaux rappellent qu' en 2020 comme en 2019, l'AFITF n'avait pas pu tenir les engagements de la trajectoire d'investissements prévue dans la LOM .

Les crédits de paiements consommés par l'AFITF
de 2014 à 2021 (en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport d'activité de l'AFITF

Les dépenses en faveur du mode ferroviaire ont poursuivi leur progression en s'établissant à 1 305 millions d'euros, en hausse de 2,4 % par rapport à 2020.

Évolution de la consommation des CP relatifs au transport ferroviaire
entre 2018 et 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport d'activité de l'AFITF

Après avoir augmenté de 14 % en 2020, les dépenses destinées aux infrastructures routières ont diminué de 8,3 % en 2021 pour ne s'établir qu'à 990 millions d'euros, soit un niveau nettement inférieur (de 12,9 %) aux montants prévus dans le budget initial (1 136 millions d'euros). Quant à eux, les CP consommés en faveur des transports en commun et des mobilités actives ont nettement accentué leur tendance à la progression (+ 41,3 %) pour s'établir à 390 millions d'euros.

Répartition des CP consommés par l'AFITF par destination en 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport d'activité de l'AFITF

Après s'être rétractés de 5,7 % en 2020, les restes à payer de l'AFITF se sont accrus de plus de 11 % en 2021 pour atteindre 13,9 milliards d'euros.

2. La régénération des infrastructures ferroviaires est menacée

Dans leur rapport de mars 2022 précité, les rapporteurs spéciaux ont souligné leurs vives préoccupations face à un modèle de financement des infrastructures ferroviaires dans l'impasse quand bien même le réseau français affiche toujours un niveau de dégradation inquiétant . Ils ont notamment dénoncé les graves insuffisances des engagements de l'État pris dans le cadre du nouveau contrat de performance de SNCF Réseau signé en catimini au début du mois d'avril 2022. Aussi, les rapporteurs spéciaux appellent-ils, dans ce même rapport, à une réforme ambitieuse du modèle de financement du réseau ferroviaire français.

Ils notent l'insuffisance manifeste des moyens consacrés à la régénération du réseau qu'il serait nécessaire de compléter, a minima, de 1 milliard d'euros par an pendant dix ans pour les porter à 3,8 milliards d'euros annuels. Dans le même temps, il convient de programmer et de financer les indispensables programmes de modernisation du réseau 9 ( * ) pour lesquels la France a déjà accumulé un retard confondant et dont le coût global pourrait avoisiner les 35 milliards d'euros.

En contrepartie, afin d'améliorer la performance des infrastructures ferroviaires, les rapporteurs spéciaux insistent pour que SNCF Réseau mette enfin en oeuvre de véritables gains de productivité .

En 2021, les concours versés à SNCF Réseau par le programme 203 ont progressé de 28,4 % en AE et de 32,6 % en CP par rapport à 2020. Cette augmentation a pour origine principale le premier versement à SNCF Réseau, à hauteur de 1 645 millions d'euros, des 4 050 millions d'euros prévus dans le cadre du plan de relance ferroviaire. Dans une moindre mesure, cette augmentation s'explique par la hausse du budget relatif aux contrats de plan État-région (CPER), pour 107,5 millions d'euros, ainsi que par la prise en charge par l'État d'une partie des péages dus par les entreprises de fret ferroviaire (à hauteur de 65 millions d'euros).

Ainsi, les crédits de l'action 41 « Ferroviaire » et de l'action 51 « Sécurité ferroviaire » ont été consommés à hauteur de 4 659 millions d'euros pour les AE et 4 643 millions d'euros pour les CP. La consommation de CP relative aux redevances d'accès au réseau versées par l'État au titre de la circulation des trains express régionaux (TER), des trains d'équilibre du territoire (TET) ainsi que de la compensation Fret s'est établie à 2 373 millions d'euros, en baisse de 2,6 % par rapport à 2020. Ces montants représentent 31 % de l'ensemble des crédits du programme 203 et 41 % des crédits d'intervention portés par ce même programme.

Comme en 2020, la compensation fret a été majorée de 65 millions d'euros afin que l'État puisse prendre à sa charge une partie des redevances dues par les opérateurs à SNCF Réseau. En annonçant le 13 septembre 2021 sa stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, le Gouvernement s'est engagé à prolonger les nouvelles aides à l'exploitation destinées aux opérateurs de fret ferroviaire, au moins jusqu'en 2024 . Le total des aides nouvelles atteint 170 millions d'euros . Il inclut notamment une aide à l'exploitation des services de wagons isolés ainsi qu'un renforcement de l'aide au transport combiné, dite « aide à la pince ». Ces dernières sont retracées au sein de l'action 45 « Transports combinés » du programme 203 et constituent la principale explication de la hausse de ses crédits en 2021.

Les rapporteurs spéciaux considèrent que la prorogation de ces aides à l'exploitation était absolument indispensable à la relance du secteur . Ils notent qu'elle s'est révélée d'autant plus cruciale en raison de la flambée actuelle des prix de l'énergie et autres matières premières. Néanmoins, ils soulignent que la relance du fret ferroviaire et l'atteinte de l'objectif de doublement de la part modale, désormais inscrit dans la loi, ne pourront faire l'impasse sur des investissements ambitieux de plus de 10 milliards d'euros d'ici 2030 . À ce titre, ils ne peuvent que vivement regretter que, parmi ses nombreuses insuffisances, le nouveau « contrat de contre-performance » de SNCF Réseau soit si peu tourné vers le fret .

Compte-tenu des effets de la crise sur sa situation financière, la SNCF n'a pas été en mesure de verser , comme le prévoit la réglementation depuis 2014, une part de ses bénéfices récurrents 10 ( * ) au fonds de concours dédié à financer la régénération des infrastructures ferroviaire réalisée par SNCF Réseau. Pour mémoire, en 2020, ce fonds de concours avait été abondé à hauteur de 762 millions d'euros prélevés sur les résultats du groupe.

Le premier versement (1 645 millions d'euros) au gestionnaire d'infrastructure des 4 050 millions d'euros dégagés dans le cadre du plan de relance ferroviaire ainsi que 20 millions d'euros prélevés sur les produits de cession du groupe SNCF sont venus abonder de façon exceptionnelle le fonds de concours dédié à participer au financement de la régénération du réseau. Ce versement a vocation à compenser à SNCF Réseau la baisse de ses ressources provoquée par la crise sanitaire.

Comme ils ont pu l'exposer dans leur rapport de mars 2022 précité, pour les rapporteurs spéciaux, la ressource constituée d'une partie des bénéfices récurrents de la SNCF, très sensible à la conjoncture, constitue une fragilité évidente pour le financement de l'indispensable programme de régénération du réseau. Outre le fait que ce mécanisme induise des relations financières malvenues entre l'opérateur de transport historique et le gestionnaire d'infrastructure , il n'apparaît plus raisonnable aux rapporteurs spéciaux de rendre les investissements dans les infrastructures ferroviaires totalement dépendants des fluctuations de la rentabilité économique de l'activité TGV.

Aussi, tant pour clarifier les rapports entre l'opérateur de transport historique et le gestionnaire d'infrastructure que pour sécuriser le financement de la régénération du réseau, les rapporteurs spéciaux considèrent-ils qu'il est devenu nécessaire de remettre en cause l'objectif devenu irréaliste d'un autofinancement du secteur ferroviaire . Cette remise cause devra être mise en oeuvre à l'occasion d'une remise à plat en profondeur du modèle de financement du réseau ferroviaire national.

3. Les contributions à l'exploitation des trains d'équilibre du territoire (TET) ont été intégrées au programme 203 en 2021

Depuis 2011, l'État est l'autorité organisatrice des lignes de trains d'équilibre du territoire (TET) 11 ( * ) . À ce titre, il détermine le plan de transport des services dits « intercités ». En contrepartie, il verse chaque année à SNCF Voyageurs des compensations pour financer une partie du déficit d'exploitation de ces lignes ainsi que le programme pluriannuel de maintenance et de régénération de leur matériel roulant. Suite à la réforme des TET engagée en 2015, des lignes d'intérêt local ont été transférées à six régions 12 ( * ) . En contrepartie, et selon des modalités propres à chacune d'elles, l'État s'est engagé à renouveler une partie du matériel roulant et à prendre à sa charge une portion de leur déficit d'exploitation.

Les obligations respectives de l'opérateur ferroviaire et de l'État sont formalisées dans des conventions d'exploitation. La convention 2016-2020, avait été prolongée d'un an par avenant. La nouvelle convention pour la période 2022-2026 a été signée 17 mars 2022 pour un montant global de 1,73 milliard d'euros. Les rapporteurs spéciaux regrettent que cette nouvelle convention, qui a pourtant été finalisée avec beaucoup de retard, ne prévoie aucun financement pour les lignes de trains de nuit dont la réouverture prochaine a été annoncée par le Gouvernement. Comme ils l'ont souligné dans leur rapport de mars 2022, ils estiment que, s'agissant des TET, il est « urgent que l'État passe des paroles aux actes ».

Jusqu'en 2020, les compensations versées par l'État à SNCF Voyageurs, mais également celles qui sont prévues pour les régions qui se sont vues transférer des lignes, étaient portées par le compte d'affectation spéciale (CAS) « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs » . Ce dernier ayant été supprimé par la loi de finances initiale pour 2021 , les crédits qu'il portait sont désormais inscrits à la sous-action 44-06 « Financement du déficit d'exploitation des trains d'équilibre du territoire » de l'action 44 « Transports collectifs » du programme 203.

Les dépenses exécutées en 2021 sur la sous-action 44-06 se sont élevées à 311 millions d'euros en AE et 290 millions d'euros en CP , correspondant à des hausses de 7,1 % et de 4,8 % comparativement aux dépenses constatées en 2020 sur le défunt CAS. Les engagements conventionnels pris par l'État vis-à-vis des régions qui ont pris en gestion des lignes se sont élevés à 72 millions d'euros , en baisse de 6,4 % sur un an.

L'offre ainsi que la fréquentation des lignes de TET ont été affectées par la crise sanitaire. En vertu des dispositions de la convention, SNCF Voyageurs avait demandé à l'État, en fin d'année 2020, une compensation de 48 millions d'euros. Un compromis a abouti à une prise en charge de l'État à hauteur de 55 % du déficit lié à la crise sanitaire au titre de l'année 2020, soit 26 millions d'euros .

Après la publication en décembre 2020, en application d'une disposition de la LOM, d'un rapport de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) sur le développement de nouvelles lignes de TET de jour comme de nuit, les rapporteurs spéciaux considèrent qu' il est temps que l'État clarifie sa stratégie sur la question. Ils constatent notamment que les crédits aujourd'hui dégagés pour le développement des services de trains de nuit annoncé par le Gouvernement ne sont manifestement pas à la hauteur des enjeux.

4. Des investissements dans l'entretien du réseau routier à conforter pour préserver un patrimoine en péril

Répondant à l'enjeu de son vieillissement préoccupant, l'État a accru, depuis 2015, ses efforts financiers en faveur du réseau routier non concédé. Ainsi, entre 2018 et 2022, le Gouvernement s'est-il engagé à lui consacrer 700 millions d'euros supplémentaires. Dans le cadre de la LOM, un engagement de lui consacrer 31 % de moyens supplémentaires sur la décennie 2018-2027 avait aussi été pris. En hausse entre 2018 et 2020, la consommation d'AE consacrées au domaine routier s'est rétractée de 4 % en 2021 pour s'établir à 1 662 millions d'euros. L'exécution des CP ayant été nettement affectée par la crise en 2020 , un effet rattrapage très net est observé en 2021 à travers une progression de 17 %, à 1 663 millions d'euros .

Évolution de la consommation des AE et CP consacrés à la route
(action 01 et 02 du programme 203) entre 2018 et 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Les rapporteurs spéciaux notent que 916 millions d'euros d'AE et 872 millions d'euros de CP ont été consacrés à l'entretien du réseau routier non concédé 13 ( * ) , soit un niveau supérieur aux 850 millions d'euros prévus par la programmation annexée à la LOM . Cette situation s'explique par les crédits déployés par l'AFITF dans le cadre du plan de relance . Cet effort est rendu indispensable par le besoin impérieux de préserver l'intégrité de notre patrimoine routier national. Les rapporteurs soulignent que ces efforts doivent être maintenus et même amplifiés , notamment à compter de l'année 2023, à partir de laquelle, toujours en vertu de la programmation annexée à la LOM, les investissements doivent dépasser les 930 millions d'euros par an.

5. Du fait de reports de travaux, les dépenses de la Société du Grand Paris (SGP) ont stagné en 2021 tandis que le coût total du projet a encore été revu à la hausse

Après une augmentation conséquente de 19 % en 2020, les dépenses de la Société du Grand Paris (SGP) se sont stabilisées (+ 0,4 %) en 2021 pour s'établir à 3 563 millions d'euros. Le budget initial prévoyait pourtant 4 562 millions d'euros de dépenses. Cette importante sous-consommation (21 %) a principalement pour origine des reports de travaux .

Évolution de la consommation des CP de la SGP entre 2014 et 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Les recettes affectées de la SGP se sont quant-à-elles accrues de 2,4 % en 2021 pour atteindre 764 millions d'euros . Après avoir contracté plus de 11 milliards d'euros d'emprunts en 2020, la SGP a eu de nouveau recours à plus de 8 milliards d'euros d'emprunts nouveaux en 2021 portant son encours de dette à 25,2 milliards d'euros en fin d'année.

Du fait de la forte sous-consommation des crédits, essentiellement liée à des reports de travaux, les dépenses d'investissement de la SGP ont stagné en 2021 à un niveau de 2 613 millions d'euros alors qu'elles auraient dû atteindre 3 390 millions d'euros d'après les prévisions du budget initial.

La progression des investissements de la SGP s'est interrompue en 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les dépenses de personnel de la SGP sont passées de 29 millions d'euros en 2018 à 94 millions d'euros en 2021 , une hausse qui reflète la nécessaire augmentation des effectifs de l'établissement, le nombre d'ETP ayant à nouveau progressé de 168 en un an.

Évolution des effectifs de la SGP entre 2018 et 2021

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les rapporteurs spéciaux ont pris acte que, le 7 octobre 2021, le conseil d'administration de la SGP a annoncé une nouvelle réévaluation à la hausse du coût total du projet du Grand Paris Express. Celui-ci est désormais évalué à 36,1 milliards d'euros , soit 500 millions d'euros de plus que la dernière estimation. Les rapporteurs spéciaux rappellent qu'en 2017, après la publication du rapport du groupe de travail de la commission des finances du Sénat « Grand Paris Express : des coûts à maîtriser, un financement à consolider » 14 ( * ) , l'estimation du coût total du projet avait déjà été majorée de plus de 10 milliards d'euros. Si les rapporteurs spéciaux veulent croire que la dérive des coûts appartient dorénavant au passé, l'historique du projet les incite à la prudence .

6. Le plan de relance stimule fortement les investissements de Voies navigables de France (VNF) dans la régénération et la modernisation du réseau fluvial

La subvention pour charges de service public effectivement versée à Voies navigables de France (VNF), a baissé de 2,4 millions d'euros en 2021 pour s'établir à 244 millions d'euros.

En 2021, les recettes totales de VNF ont augmenté de 19,1 % pour s'établir à 700 millions d'euros. Cette hausse s'explique par l'augmentation des recettes fléchées issues des crédits du plan de relance et des ressources de financements complémentaires émanant de l'Union européenne 15 ( * ) et des collectivités locales .

Sensibles à la conjoncture, les ressources propres de VNF se sont partiellement redressées en 2021 (+ 9,4 %) pour atteindre 59,5 millions d'euros . Elles restent néanmoins inférieures de 8,9 % à leur niveau de 2019 . À 10,1 millions d'euros, les péages progressent de 26 % en un an tout en restant nettement inférieurs à leur niveau de 2019 (14,8 millions d'euros). Les redevances domaniales se sont quant à elles rétablies en franchissant la barre des 35 millions d'euros.

À 126,2 millions d'euros, le rendement de la redevance hydraulique est identique à son niveau de 2020 et conforme aux prévisions du budget initial.

Après avoir fortement augmenté en 2020, la subvention versée à VNF par l'AFITF pour régénérer et moderniser le réseau fluvial s'est stabilisée à 114 millions d'euros , soit un montant légèrement supérieur au niveau prévu par la LOM et confirmé dans le contrat de performance signé au mois d'avril 2021.

L'exercice 2021 a été marqué par les concours apportés à VNF dans le cadre du plan de relance afin d'accélérer les investissements dans les infrastructures fluviales. Également versés par l'AFITF, ces concours se sont élevés à 80 millions d'euros en 2021 sur un total de 175 millions d'euros de crédits qui doivent être consommés d'ici 2023.

Les rapporteurs spéciaux ont déjà eu l'occasion de se féliciter de ces nouveaux financements nécessaires . Ils sont satisfaits que ces financements trouvent à se concrétiser et suivront attentivement l'affectation du reste de l'enveloppe. Ils analyseront aussi les résultats de ces investissements en termes de régénération et de modernisation d'un réseau fluvial dont l'état de dégradation suscite toujours leurs inquiétudes.

Trajectoire des dépenses d'investissements de VNF
entre 2017 et 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Après une augmentation significative de 28 % en 2020, le montant des investissements a ainsi atteint un niveau inédit de 258,5 millions d'euros en 2021 , soit une nouvelle hausse de 16 % en un an.

Les rapporteurs spéciaux se félicitent de la hausse des dépenses d'investissement depuis 2017. Ils notent que, depuis 2020, leur niveau annuel a dépassé le seuil de 190 millions d'euros fixé par la LOM. Cet effort sans précédent de régénération et de modernisation du réseau fluvial doit nécessairement être poursuivi sur la durée compte-tenu de l'état de dégradation avancé de ce patrimoine national.


* 6 De 205 millions d'euros en 2018 et de 209 millions d'euros en 2019.

* 7 Programmes 362 et 364.

* 8 Inscrite à l'action 53 « dotation exceptionnelle à l'AFITF » du programme 203.

* 9 La commande centralisée du réseau (CCR) et le système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS).

* 10 À hauteur de 60 % depuis la réforme de 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire.

* 11 Les « intercités ».

* 12 Normandie, Centre-Val de Loire, Nouvelle Aquitaine, Hauts-de-France, Grand-Est et Occitanie.

* 13 Action 04 « Routes - Entretien ».

* 14 Rapport d'information de MM. Arnaud BAZIN, Vincent CAPO-CANELLAS, Emmanuel CAPUS, Philippe DALLIER, Vincent DELAHAYE, Philippe DOMINATI, Vincent ÉBLÉ, Rémi FÉRAUD, Roger KAROUTCHI, Mme Christine LAVARDE, MM. Sébastien MEURANT, Jean-Claude REQUIER, Pascal SAVOLDELLI et Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, fait au nom de la commission des finances n° 44 (2020-2021) - 14 octobre 2020.

* 15 Dont 29,6 millions d'euros de crédits européens dans le cadre du projet Seine-Escaut.

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