Rapport n° 482 (2021-2022) de M. Michel SAVIN , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 15 février 2022

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N° 482

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 février 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à démocratiser le sport en France ,

Par M. Michel SAVIN,

Sénateur

1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

Première lecture : 3808 , 3980 et T.A. 584

Commission mixte paritaire : 4977

Nouvell e lecture : 4930 , 4994 et T.A. 797

Sénat :

Première lecture : 465 (2020-2021), 319 , 320 et T.A. 75 (2021-2022)

Commission mixte paritaire : 420 et 421 (2021-2022)

Nouvelle lecture : 477 et 483 (2021-2022)

AVANT-PROPOS

Après l'échec de la commission mixte paritaire (CMP) réunie le 31 janvier dernier au Sénat, la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France a été examinée en nouvelle lecture le 9 février par les députés en séance publique. Elle revient au Sénat dans une forme qui n'est ni celle adoptée par les députés en première lecture, ni celle adoptée par le Sénat lors de son premier examen.

Tout au long de l'examen de ce texte, les sénateurs comme les députés et la ministre en charge des sports ont témoigné d'une volonté de trouver un compromis permettant l'adoption d'un texte commun en CMP. Les regrets de ne pas avoir réussi à rapprocher les points de vue des deux assemblées demeurent donc aujourd'hui partagés.

Pour autant, au-delà des différences nombreuses et de quelques désaccords limités qui séparaient les deux assemblées, on ne peut que saluer le fait que les députés ont fait le choix de conserver de nombreux apports du Sénat lors de leur examen du texte en nouvelle lecture .

La proposition de loi telle qu'elle devrait donc être définitivement adoptée par l'Assemblée nationale en dernière lecture rendra compte du travail important qui a été réalisé au Sénat.

I. DE NOMBREUX APPORTS DU SÉNAT PRÉSERVÉS PAR LES DÉPUTÉS EN NOUVELLE LECTURE

Alors que les échecs en CMP ont souvent pour effet de revenir au texte initial adopté par l'Assemblée nationale, on ne peut que se réjouir que les députés aient souhaité conserver de nombreuses dispositions adoptées par le Sénat lors de la première lecture. L'utilité du bicamérisme est ainsi réaffirmée.

Alors que la proposition de loi ne comportait qu'une douzaine d'articles lors de son dépôt, le texte final comprendra une majorité d'articles ayant été insérés ou modifiés au Sénat.

Les apports conservés par les députés sont les suivants :

• l'adoption conforme des dispositions relatives à la désignation d'un référent « activités physiques et sportives » dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (art. 1 er ) ;

• la sécurisation de l'ouverture de l'activité physique adaptée (APA) à de nouveaux publics, dans le cadre du parcours de soins coordonnés (art. 1 er bis ) ;

• la remise au Parlement, avant le 1 er septembre 2022, d'un rapport sur la prise en charge par l'assurance maladie des séances d'APA (art. 1 er ter A) ;

• l'ouverture du renouvellement et de l'adaptation de la prescription d'APA aux masseurs-kinésithérapeutes (art. 1 er ter B) ;

• la reconnaissance des maisons sport-santé dans la loi et la définition d'un socle de missions communes (art. 1 er ter C) ;

• l'adoption conforme des dispositions permettant la prise en compte des enjeux sportifs et culturels par les instances décisionnaires des sociétés (art. 1 er ter E) ;

• l'adoption conforme des dispositions étendant le bénéfice du réexamen par l'autorité académique des candidatures de sportifs présentées dans le cadre de la procédure Parcoursup (art. 1 er quinquies ) ;

• l'élargissement du périmètre des projets sportifs territoriaux (art. 4) ;

• la clarification des règles de délivrance des certificats médicaux pour l'obtention d'une licence sportive et la participation à des compétitions sportives (art. 4 bis B) ;

• l'adoption conforme des dispositions prévoyant que le décret énumérant les disciplines présentant des contraintes particulières doit être pris après avis des fédérations sportives des disciplines considérées (art. 4 bis CA) ;

• l'adoption conforme des dispositions étendant le dispositif de reconnaissance de l'engagement étudiant dans le cadre d'une activité associative ou professionnelle à la pratique du sport de haut niveau (art. 4 bis D) ;

• l'inclusion des actions visant à promouvoir les activités physiques et sportives dans le champ de la déclaration de performance extra-financière des sociétés (art. 4 bis E) ;

• la prise en compte du coût de l'aménagement d'un accès indépendant lors de la rénovation des équipements sportifs d'une école ou d'un établissement scolaire, par rapport au coût total des travaux (art. 2) ;

• la modification des conditions du recensement des équipements sportifs, portant à la fois sur l'extension aux lieux publics permettant la pratique d'une activité physique et sportive, une temporalité quadriennale plutôt qu'annuelle, et la suppression des informations relatives à l'état de ces installations, notion difficile à évaluer (art. 2 bis ) ;

• la prise en compte des plans sportifs régionaux dans l'élaboration des plans sportifs locaux (art. 3) ;

• la pratique quotidienne d'une activité physique au primaire (art. 3 quater A) ;

• l'inscription dans les programmes du primaire de l'aisance aquatique (art 3 quater ) ;

• une adaptation de la scolarité du jeune sportif pour lui permettre de réussir ses études et ses projets sportifs (art. 3 quinquies ) ;

• un alignement du délai d'interdiction d'exercice dans un club ou association sportif pour une personne présentant un risque pour la sécurité ou la santé morale d'un sportif mineur, sur celui applicable pour les accueils collectifs de mineurs (art. 3 septies ) ;

• une meilleure formation des futurs enseignants du primaire (art. 3 octies ) ;

• l'inclusion dans les contrats de ville d'actions stratégiques dans le domaine du sport (art. 4 bis C) ;

• le maintien d'une demande de rapport relatif aux voies d'accès aux parcours sportifs de haut niveau en outre-mer, afin d'éviter le déracinement précoce des jeunes talents (art. 4 bis F) ;

• le maintien avec modifications rédactionnelles d'un article prévoyant les conditions de délivrance et de renouvellement de l'agrément à une fédération (art. 5 bis AAA) ;

• l'obligation pour les fédérations de se prononcer sur le principe et le montant des indemnités allouées au président (art. 5 bis AA) ;

• la suppression conforme d'une disposition obligeant les fédérations à proposer un programme d'accession aux pratiques sportives aux personnes en situation de handicap (art. 5 bis ) ;

• la prise en compte de tous les membres (et pas seulement les associations sportives) pour déterminer le collège des clubs qui devra compter pour au moins la moitié des votes pour désigner le président et les membres de l'organe collégial d'administration (art. 6) ;

• l'adoption conforme de dispositions prévoyant un programme de reconversion professionnelle des sportifs de haut niveau (art. 6 bis AA) ;

• l'adoption conforme d'un article prévoyant que les fédérations doivent informer les victimes de violences de l'existence de dispositifs d'accompagnement (art. 6 bis AC) ;

• l'adoption conforme de dispositions relatives aux modalités de représentation des organismes agréés ou affiliés (art. 6 bis A) ;

• l'adoption conforme de dispositions précisant les compétences du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) en matière d'éthique (art. 6 bis ) ;

• l'attribution au comité d'éthique créé par chaque fédération d'un rôle important pour prévenir et traiter les conflits d'intérêts (art. 8) ;

• la création d'un enseignement sur la prévention et la lutte contre les violences sexuelles dans le sport dans le cursus de formation des professions des activités physiques et sportives (art. 8 bis A) ;

• le maintien d'une précision concernant le champ d'application de la licence sportive (art. 8 quater ) ;

• la suppression conforme de dispositions qui créaient des obligations nouvelles pour les fédérations sportives en matière de diffusion de l'éthique et des valeurs du sport (art. 8 bis ) ;

• le maintien de dispositions permettant aux instances olympiques de préserver leurs droits de propriété (art. 9 A) ;

• l'extension de 3 à 5 ans de la durée du premier contrat professionnel dans des conditions précisées par décret (art. 9 bis A) ;

• l'adoption conforme de dispositions permettant d'interdire des jeux en ligne non autorisés (art. 9 ter ) ;

• la suppression conforme du dispositif relatif à la lutte contre le piratage des compétitions sportives déjà adopté dans la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique (art. 10) ;

• la réaffirmation du rôle de la fédération délégataire dans le fonctionnement du sport professionnel avec une présence de la fédération dans l'instance dirigeante de la société commerciale chargée de commercialiser non seulement les droits audiovisuels mais également, suite à un amendement des députés, l'ensemble des droits d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'elle organise à l'exception des paris sportifs (art. 10 bis A) ;

• l'instauration d'une amende forfaitaire en cas d'utilisation d'engins pyrotechniques dans les stades et l'expérimentation d'un usage de ces engins sous le contrôle des organisateurs et des autorités publiques (art. 11 bis A) ;

• l'adoption conforme d'un délai de trois mois au maximum pour signifier une interdiction commerciale de stade (art. 11 bis AB) ;

• l'adoption conforme de l'article 11 bis BA prévoyant un rapport annuel concernant les décisions d'interdiction de stade prises par les services du ministère de l'intérieur ;

• l'adoption conforme de dispositions permettant de lutter contre les violences - notamment sexuelles - dans le e-sport (art. 11 bis BB) ;

• une amélioration des conditions de reconversion professionnelle des arbitres et juges de haut niveau (art. 11 bis B) ;

• l'adoption conforme de l'article 11 bis prévoyant un rapport sur l'impact de la crise sanitaire sur les dépenses de partenariat sportif des entreprises ;

• une obligation de fournir des photos dans les fichiers des interdits de stade (art. 11 quater ).

II. LA SUPPRESSION OU LA MODIFICATION DE DISPOSITIONS AJOUTÉES AU SÉNAT LORS DE LA NOUVELLE LECTURE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Lors de l'examen de la proposition de loi en nouvelle lecture, les députés ont néanmoins rétabli leur texte concernant plusieurs dispositions modifiées au Sénat. Ils ont également supprimé certaines dispositions nouvelles qui avaient été introduites au Sénat.

Le texte adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale prévoit ainsi :

• l'élargissement de la prescription d'activité physique adaptée (APA) aux personnes en perte d'autonomie, auquel le Sénat s'était opposé par crainte qu'une ouverture trop large et trop rapide du dispositif ne le déstabilise (art. 1 er bis ) ;

• le rétablissement des dispositions qui avaient été supprimées par le Sénat pour compléter la rédaction de l'article L. 100-1 du code du sport qui définit les objectifs de la politique du sport (art. 1 er ter ) ;

• le rétablissement de la mention que les sportifs de haut niveau participent au développement de la pratique sportive pour tous (art. 1 er quater ) ;

• la suppression de la disposition, introduite par le Sénat, intégrant les questions liées aux activités physiques et sportives dans le champ de la négociation professionnelle annuelle (art. 1 er ter D) ;

• la suppression de l'ajout de l'Agence nationale du sport (ANS) parmi les acteurs mentionnés à l'article L. 100-2 du code du sport qui contribuent à la promotion et au développement des activités physiques et sportives (art. 1 er quater A) ;

• la suppression de la disposition, introduite par le Sénat, qui élargissait les missions de l'enseignement supérieur public à la promotion et au développement du sport-santé (art. 1 er quinquies A) ;

• la suppression du rappel du caractère obligatoire de l'enseignement physique et sportif et des mesures visant à lutter contre les certificats sportifs de complaisance dans cette discipline (art. 1 er quinquies B) ;

• la suppression de l'obligation du respect des principes de neutralité et de laïcité, par les utilisateurs des équipements sportifs des services de l'État ou de leurs opérateurs - obligation pourtant existante pour la mise à disposition des locaux sportifs scolaires, qui a servi de modèle pour la rédaction de cet article -, ainsi que la volonté de favoriser les parasports dans la mise à disposition de ces locaux (art. 2 quater ) ;

• la suppression de l'obligation, introduite par le Sénat, de la création de douches dans les nouvelles constructions de bureaux et de bâtiments industriels (art. 2 quinquies ) ;

• la suppression de l'éligibilité à la dotation de subvention à l'investissement local des projets de création, de transformation et de rénovation des équipements sportifs (article 3 bis A) ;

• le rétablissement de « l'alliance éducative territoriale », initialement introduite à l'article 3, auquel le Sénat s'était opposé par crainte d'un affaiblissement du sport scolaire (art. 3 bis B) ;

• la suppression de l'appui sur les projets éducatifs territoriaux, proposé par le Sénat, pour l'élaboration d'un parcours sportif de l'enfant (article 3 ter ) ainsi que la possibilité pour les communes et leurs groupements de signer des conventions avec une ou plusieurs associations pour mettre en oeuvre ces projets éducatifs territoriaux (art. 3 quater AA) ;

• la suppression du recensement des établissements scolaires et d'enseignement supérieur proposant des aménagements dans leurs cursus de formation pour les sportifs de haut niveau (art. 3 sexies A) ;

• la suppression de la sensibilisation des chefs d'établissement accueillant régulièrement des sportifs de haut niveau, et de leurs enseignants, sur les spécificités de cette pratique sportive et des conséquences qui en découlent sur la scolarité (art. 3 sexies ) ;

• la suppression des dispositions introduites par le Sénat visant à simplifier l'organisation de compétitions de e-sport en France, au regard de la situation sanitaire (art. 3 octies A) ;

• la suppression de la disposition permettant de clarifier le régime de la responsabilité des gardiens des espaces naturels dans lesquels s'exerce un sport de nature (art. 4 bis A) ;

• la suppression de la création d'une commission thématique dédiée au sport dans chaque conférence territoriale de l'action publique (art. 4 bis DA) ;

• le rétablissement de la parité au sein du bureau du CNOSF (art. 5 bis A) ;

• la suppression de la disposition faisant référence à la reconversion professionnelle des sportifs de haut niveau (art. 6 bis AB) ;

• la suppression de la création d'une charte nationale du bénévolat sportif voulue par le Sénat afin de promouvoir et d'accompagner l'engagement bénévole (art. 6 ter ) ;

• le rétablissement de la possibilité pour les comités sportifs et les ligues d'organiser et de participer à des manifestations sportives internationales a` caractère régional (art. 8 ter ) ;

• l'élargissement des catégories d'associations pouvant se déclarer partie civile lors de violences perpétrées dans le sport (art. 8 bis B) ;

• la suppression de l'encadrement des données personnelles détenues par les fédérations (art. 8 quater A) ;

• la suppression d'un rapport concernant l'accompagnement à la reconversion des sportifs de haut niveau (art. 8 quater B) ;

• la suppression d'un article relatif à l'exploitation commerciale des supports photographiques ou audiovisuels (art. 8 quinquies ) ;

• la suppression du renforcement des dispositions relatives à la diffusion en clair des événements sportifs d'importance majeure (art. 10 bis AA) ;

• la suppression de l'élargissement des conditions de diffusion d'extraits de compétitions sportives à titre gratuit (art. 10 bis AB) ;

• la suppression d'un rapport dressant le bilan de l'évolution des diffusions de manifestations sportives (art.10 bis AC) ;

• la suppression de dispositions relatives à l'exploitation commerciale de l'image d'un sportif ou d'un entraineur (art. 11 bis AA) ;

• la suppression d'une disposition relative aux interdictions commerciales de stade (art. 11 bis AB) ;

• la suppression d'une disposition prévoyant une obligation de moyens pour les organisateurs concernant la sécurité des manifestations sportives du fait du comportement des supporters (art. 11 bis AC) ;

• la suppression d'un article permettant l'utilisation de scanners à l'entrée des stades (art. 11 ter ).

III. DES DÉSACCORDS PERSISTANTS FONT OBSTACLE À LA POURSUITE DE L'EXAMEN DU TEXTE AU SÉNAT

Si le texte adopté par les députés porte, à maints égards, la marque du Sénat, les désaccords qui subsistent à l'issue de la CMP rendent tout accord en nouvelle lecture hors de portée .

A. UN DÉSACCORD FONDAMENTAL SUR L'APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ DANS LE SPORT

1. Un article adopté au Sénat pour interdire le port des signes religieux ostensibles dans le sport

Alors que les cas d'atteintes au principe de laïcité se sont multipliés ces derniers mois, le débat au Sénat en première lecture a été l'occasion pour les sénateurs d'adopter un article 1 er quinquies C prévoyant d'interdire le port de signes religieux ostensibles pour la participation aux événements sportifs et aux compétitions sportives organisés par les fédérations sportives et les associations affiliées.

Cette initiative a suscité une opposition du Gouvernement au motif que la rédaction de l'amendement aurait pour effet de fragiliser la tenue en France de compétitions internationales comme les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Les échanges menés avec les députés ont également mis en évidence leurs craintes qu'une interdiction générale puisse empêcher l'organisation d'événements sportifs à dimension essentiellement sociale.

Afin de répondre à ces deux objections, le rapporteur a transmis aux députés, dans le cadre de la préparation de la CMP, une nouvelle rédaction de cet amendement sur la laïcité dans le sport (voir encadré ci-après) qui répondait aux difficultés soulevées par le Gouvernement et les députés.

2. La vaine recherche d'un compromis inspiré de la loi de 2004 pour préserver un accord en CMP

La rédaction de compromis préparée par le rapporteur visait à définir précisément les conditions de la mise en oeuvre du principe de laïcité dans les compétitions sportives officielles organisées en France.

Elle prévoyait l'interdiction du port de signes ou tenues par les licenciés sportifs lors des seules compétitions sportives officielles organisées par les fédérations délégataires . Cette interdiction ne concernerait pas les sportifs membres de fédérations sportives étrangères afin de ne pas interférer avec les règles édictées par le CIO ou les fédérations internationales. Elle ne concernait pas, non plus, les événements sportifs de nature « sociale » organisés en dehors de toute compétition officielle .

De manière similaire aux dispositions prévues par l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation qui concernent le port de signes religieux ostensibles à l'école, le second alinéa de la rédaction proposée prévoyait que le comité d'éthique créé par chaque fédération délégataire serait chargé de faire appliquer cette interdiction en favorisant le dialogue et, en cas d'échec, en saisissant les organes disciplinaires compétents.

La nouvelle rédaction de l'article 1 er quinquies C proposée par le rapporteur

Après l'article L. 131-22 du code du sport, il est inséré un article L. 131-23 ainsi rédigé :

« Art. L. 131-23 : Le port de signes ou tenues par lesquels les personnes détentrices d'une licence mentionnée à l'article L. 131-6 manifestent ostensiblement une appartenance religieuse lors des compétitions sportives mentionnées à l'article L. 131-15 est interdit.

Le comité d'éthique prévu à l'article L. 131-15-1 est chargé de veiller à l'application du précédent alinéa et habilité, à l'issue d'un dialogue avec les intéressés, à saisir les organes disciplinaires compétents. »

La rédaction proposée par la commission de la culture du Sénat lors de la préparation de la CMP était donc équilibrée et prudente . Elle répondait aux objections soulevées par le Gouvernement et les députés de la majorité en ne visant que les compétitions officielles et en instituant une démarche de dialogue directement inspirée de la loi de 2004 sur l'application du principe de laïcité à l'école .

Malgré cette nouvelle rédaction, il est apparu clairement au cours des échanges menés avec le Gouvernement et les députés de la Majorité que ces derniers n'étaient pas opposés au port du voile islamique par les sportives, y compris dans le cadre de compétitions officielles .

3. Le refus du Gouvernement d'étendre la loi de 2004 au sport fragilise son application à l'école

Le refus du Gouvernement et de sa Majorité à l'Assemblée nationale d'adopter une mesure visant à interdire le port de signes religieux ostensibles lors des compétitions sportives constitue une véritable source d'inquiétude .

Compte tenu de la multiplication des incidents liés au non respect de la laïcité dans le sport, il est en effet devenu urgent de se demander si le sport n'est pas devenu le moyen pour les Islamistes de s'immiscer dans le fonctionnement de l'école publique pour y imposer des règles contraires aux valeurs républicaines .

Il existe, en effet, une relation très étroite entre le sport et l'école. Or comment serait-il possible d'appliquer des règles différentes pour des compétitions sportives organisées dans un cadre scolaire, sur des terrains municipaux et donc en dehors de l'école et des compétitions organisées par des clubs sur les mêmes terrains ou dans les mêmes gymnases ?

Le refus du Gouvernement et de sa Majorité de défendre la laïcité dans le sport ouvre en réalité une brèche qui pourrait remettre en cause la loi de 2004 sur l'interdiction des signes religieux à l'école .

Dans ces conditions, il n'était pas possible pour le Sénat de renoncer à inscrire dans ce texte une disposition visant à défendre l'application du principe de laïcité dans le sport et l'accord en CMP devenait hors de portée tout comme l'élaboration d'un texte commun en nouvelle lecture.

B. UNE PARITÉ INTÉGRALE DANS LES INSTANCES NATIONALES FÉDÉRALES IMPOSSIBLE À METTRE EN oeUVRE D'ICI 2024

Si le désaccord sur l'application du principe de laïcité dans le sport a constitué la principale pierre d'achoppement, il n'en reste pas moins que plusieurs différences d'approche subsistent dans le reste du texte notamment sur l'application du principe de parité.

1. Un objectif partagé de mise en oeuvre de la parité intégrale

L'article 5 tel qu'il avait été adopté avec des modifications par le Sénat en première lecture prévoyait l'application dès 2024 de la parité intégrale dans les instances dirigeantes nationales des fédérations sportives dès lors que la proportion de licenciés de chaque sexe était supérieure à 15 %.

L'engagement du Sénat en faveur du principe de parité ne fait donc aucun doute contrairement à certaines déclarations de la ministre en charge des sports et des rapporteurs de l'Assemblée nationale.

La différence entre les deux assemblées portait donc non pas sur le principe de l'application de la parité intégrale mais sur la nécessité de tenir compte de la situation particulière des fédérations sportives qui connaissent les déséquilibres les plus importants . Selon le rapport 1 ( * ) de première lecture de l'Assemblée nationale, sur les 112 fédérations sportives, 16 présentaient par exemple en 2018 une composition de leur comité directeur non conforme à la réglementation en vigueur.

2. Un désaccord sur les délais de mise en oeuvre compte tenu de la diversité des situations des fédérations sportives

Les modifications adoptées à l'article 5 par le Sénat en première lecture prévoyaient pour les fédérations connaissant les déséquilibres les plus importants de pouvoir bénéficier jusqu'en 2028 d'une dérogation les autorisant à appliquer un seuil minimum de 40 % des sièges pour chaque sexe dans les instances dirigeantes nationales.

Le rétablissement par les députés de l'application de la parité intégrale dès 2024 pose donc la question de la crédibilité de ce choix. Comment peut-on penser, en effet, que les fédérations sportives qui n'arrivent pas aujourd'hui à appliquer la réglementation en vigueur pourraient appliquer des règles plus exigeantes dans moins de deux ans ?

Adopter une loi qui ne pourra pas être appliquée s'apparente en réalité à une démarche de communication. On ne peut à cet égard que regretter que cette proposition de loi relative au sport privilégie trop souvent des mesures d'affichage par rapport à une prise en compte du réel et de la complexité des situations.

C. UNE LIMITATION DU NOMBRE DES MANDATS DES PRÉSIDENTS DE FÉDÉRATION CONTRAIRE AVEC L'AUTONOMIE DU MOUVEMENT SPORTIF

Le choix de limiter dans la loi le nombre des mandats des présidents de fédérations sportives constitue également un sujet de débat entre les deux assemblées.

1. Une limitation autoritaire du nombre des mandats peu en phase avec l'évolution des pratiques

Le monde du sport évolue et il est rare aujourd'hui que les présidents multiplient les mandats. L'article 7 qui prévoit de limiter à trois le nombre des mandats a été élaboré en 2020 sur la base de constats plus anciens, avant le grand renouvellement du printemps 2021 qui a vu un profond renouvellement et rajeunissement des dirigeants sportifs.

La majorité de l'Assemblée nationale aurait pu acter que cette disposition n'était plus nécessaire mais elle a préféré envoyer un signal autoritaire qui fait l'impasse sur deux principes cardinaux : l'autonomie du mouvement sportif et la liberté associative . Le rapporteur regrette le mauvais signal qui a ainsi été envoyé au monde sportif concernant le refus de respecter son autonomie d'organisation.

2. Un ajustement adopté en séance publique à l'Assemblée nationale

Lors du débat en séance publique de nouvelle lecture, les députés ont adopté un amendement qui permet à titre dérogatoire à un président de fédération sportive qui exercerait son troisième mandat à la date de publication de la loi de se présenter à un quatrième mandat qu'il pourrait exercer pendant la période courant jusqu'au 31 décembre 2028.

Cet ajustement inséré in extremis dans le texte illustre la difficulté d'interférer avec les processus d'élection en vigueur dans les fédérations sans remettre profondément en cause leur organisation. Il ne répond cependant pas à la question de la perte d'influence des dirigeants français dans les instances internationales, à plus long terme, lorsque l'interdiction de faire plus de trois mandats sera entrée en vigueur.

3. Une nécessité de respecter l'autonomie du mouvement sportif rappelée de manière constante par le Sénat

Le respect de l'autonomie du mouvement sportif constitue un principe essentiel pour le Sénat. L'importance de ce principe a été réaffirmée par le rapport 2 ( * ) de septembre 2020 de la mission sénatoriale consacrée à l'organisation et au fonctionnement des fédérations sportives que présidait Jean-Jacques Lozach.

La mission sénatoriale avait ainsi estimé qu'il n'était pas souhaitable de légiférer sur ce sujet et qu'il convenait que le mouvement sportif prenne lui-même l'initiative de modifier ses dispositions statutaires pour limiter le nombre des mandats des présidents de fédérations sportives.

D. UN DIFFÉREND PERSISTANT SUR LA NOTION D' « IDENTITÉ DE GENRE »

Un dernier désaccord significatif concerne le rétablissement de références à l'interdiction des discriminations fondées sur l'identité de genre (art. 1 er ter et 8 ter A).

Il convient de rappeler les interrogations que suscite cette notion, en particulier dans le sport, où son application suscite un débat sur l'équité des compétitions sportives notamment féminines.

*

* *

Compte tenu de ces désaccords persistants d'une part, et des apports du Sénat qui ont été conservés par les députés d'autre part, il n'apparaît pas utile de rétablir en nouvelle lecture l'ensemble des dispositions adoptées par le Sénat en première lecture. Nous sommes en réalité arrivés au terme de ce que nous pouvions attendre de la navette sur ce texte. C'est la raison pour laquelle le rapporteur propose à la commission d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi .

*

* *

Au cours de sa réunion du 15 février 2022, la commission a décidé de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à démocratiser le sport en France.

En conséquence, elle n'a pas adopté de texte.

Dès lors, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 15 FÉVRIER 2022

___________

M. Laurent Lafon , président . - Nous examinons ce matin, en nouvelle lecture, la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France.

À la suite de l'échec de la commission mixte paritaire (CMP), qui s'est tenue le 31 janvier dernier, il nous appartient d'entendre le nouveau rapport établi par notre collègue Michel Savin et de procéder à l'élaboration d'un nouveau texte de commission ou à l'adoption d'une motion de procédure. Je cède sans plus tarder la parole à notre rapporteur, pour nous présenter l'option qu'il nous propose de défendre sur ce texte.

M. Michel Savin , rapporteur . - Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons ce matin en nouvelle lecture la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France.

Nous ne pouvons que regretter de n'avoir pas pu trouver de compromis avec les députés, car nous avions, je crois, une volonté commune d'aboutir. Les échecs en CMP ne sont pas toujours l'occasion de valoriser le travail du bicamérisme. Nous ne sommes heureusement pas dans ce cas, puisque, au-delà des différences, nombreuses, et des désaccords, en nombre limité, qui nous séparaient, les députés ont fait le choix de conserver de nombreux apports du Sénat lors de leur examen du texte en nouvelle lecture, le 9 février dernier.

Parmi les apports du Sénat les plus significatifs, une vingtaine au moins a été conservée. On peut citer en particulier :

- la sécurisation de l'ouverture de l'activité physique adaptée (APA) à de nouveaux publics, dans le cadre du parcours de soins coordonné (article 1 er bis ) ;

- l'ouverture du renouvellement et de l'adaptation de la prescription d'APA aux masseurs-kinésithérapeutes (article 1 er ter B) ;

- la reconnaissance des maisons sport-santé dans la loi et la définition d'un socle de missions communes (article 1 er ter C) ;

- la clarification des règles de délivrance des certificats médicaux pour l'obtention d'une licence sportive et la participation à des compétitions sportives (article 4 bis B) ;

- la prise en compte du coût de l'aménagement d'un accès indépendant, lors de la rénovation des équipements sportifs d'une école ou d'un établissement scolaire, par rapport au coût total des travaux (article 2) ;

- la pratique quotidienne d'une activité physique au primaire (article 3 quater A) ;

- l'inscription dans les programmes du primaire de l'aisance aquatique (article 3 quater ) ;

- l'inclusion dans les contrats de ville d'actions stratégiques dans le domaine du sport (article 4 bis C) ;

- l'obligation pour les fédérations de se prononcer sur le principe et le montant des indemnités allouées au président (article 5 bis AA) ;

- la prise en compte de tous les membres, et pas seulement des associations sportives, pour déterminer le collège des clubs qui devra compter pour au moins la moitié des votes en vue de désigner le président et les membres de l'organe collégial d'administration (article 6) ;

- l'attribution au comité d'éthique créé par chaque fédération d'un rôle important pour prévenir et traiter les conflits d'intérêts (article 8) ;

- la réaffirmation du rôle de la fédération délégataire dans le fonctionnement du sport professionnel, avec une présence de la fédération dans l'instance dirigeante de la société commerciale chargée de commercialiser les droits audiovisuels (article 10 bis A) ;

- l'intégration des photos dans les fichiers des interdits de stade pour effectuer un contrôle plus efficace ;

- l'instauration d'une amende forfaitaire en cas d'utilisation d'engins pyrotechniques dans les stades et l'expérimentation d'un usage de ces engins sous le contrôle des organisateurs et des autorités publiques (article 11 bis A).

On le voit, le texte adopté par les députés porte la marque du Sénat et l'on peut légitimement regretter que l'accord n'ait pas été possible.

Ce regret est toutefois à nuancer au regard de la réintroduction ou de la suppression de certaines dispositions par les députés, qui illustrent de réelles différences d'approche. C'est par exemple le cas du rétablissement de plusieurs références à l'interdiction des discriminations fondées sur l'identité de genre. Je ne peux que rappeler les interrogations que suscite cette notion, qui crée un débat sur l'équité des compétitions sportives, notamment féminines.

Par ailleurs, nous avons un désaccord total en ce qui concerne la neutralité dans le sport et le respect du principe de laïcité. Il est apparu clairement, au cours de nos échanges, que la ministre chargée de sports et les députés de La République en Marche n'étaient pas opposés au port de tenues religieuses par les sportives, y compris dans le cadre de compétitions officielles.

Je rappelle que le président de la commission et moi-même avons essayé de trouver un compromis en ne visant que les compétitions officielles et en instituant une démarche de dialogue directement inspirée de la loi de 2004 sur l'école. Nous avons reçu un refus très clair, fondé sur les mêmes arguments que ceux qui étaient utilisés par les opposants à cette loi : refus d'exclure, refus de stigmatiser une religion, déni de la réalité concernant les stratégies d'entrisme des mouvements islamistes, minimisation des incidents, etc. Nous prenons acte que le Gouvernement et l'Assemblée nationale refusent que la loi française prévoie de façon explicite que le port de signes ou de tenues par lesquels les personnes manifestent ostensiblement une appartenance religieuse lors des compétitions sportives organisées par les fédérations sportives est interdit.

L'approche communautariste du sport qui caractérise le Gouvernement n'est pas la nôtre. Elle constitue, par ailleurs, une véritable source d'inquiétude. Le refus de la majorité gouvernementale de défendre la laïcité dans le sport ouvre, en réalité, une brèche, qui pourrait remettre en cause la loi de 2004 sur l'interdiction des signes religieux à l'école.

Cette question de la laïcité a occupé beaucoup de place dans nos débats, mais ce n'est pas la seule source de divergence avec les députés.

Parmi les autres points en discussion, je citerai également l'application de la parité intégrale dans les instances dirigeantes nationales des fédérations sportives dès 2024. Aujourd'hui, plusieurs fédérations sportives ne sont pas en mesure d'appliquer les règles en vigueur en matière de parité. Pourra-t-il en être autrement dans moins de deux ans, si des règles plus exigeantes sont votées ? Adopter une loi qui ne pourra pas être appliquée revient à l'affaiblir et à la transformer en instrument de communication. Néanmoins, dans un souci de conciliation avec les députés, lors de la CMP, nous avons acté la mise en oeuvre de la parité intégrale dans les instances dirigeantes des fédérations, en prenant en compte l'engagement du mouvement sportif d'accompagner et de former les dirigeants pour aller vers cette parité.

Concernant la durée des mandats, je prends acte de l'évolution de la position de l'Assemblée nationale, qui a adopté une disposition dérogatoire, permettant aux présidents de fédération exerçant leur troisième mandat de candidater à un quatrième mandat, mais je regrette la disposition qui limite le nombre de mandats des présidents des instances régionales des fédérations sportives.

Les députés ont préféré envoyer un signal autoritaire, lequel risque de poser de gros problèmes à de nombreux comités régionaux, compte tenu des difficultés en matière de recrutement et de renouvellement des dirigeants. À nos yeux, le mouvement sportif devrait être libre de choisir son organisation, et une telle interdiction porte atteinte à la liberté associative.

Je rappelle que la mission sénatoriale de 2020 sur les fédérations sportives, présidée par Jean-Jacques Lozach, avait estimé, à l'unanimité, qu'il n'était pas souhaitable de légiférer sur ce point et qu'il fallait que le mouvement sportif prenne lui-même l'initiative de dispositions statutaires.

Compte tenu de ces désaccords persistants, d'une part, et des apports du Sénat qui ont été conservés par les députés, d'autre part, il n'apparaît pas utile de rétablir, en nouvelle lecture, les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture. Nous sommes arrivés au terme de ce que nous pouvions attendre de la navette sur ce texte. C'est la raison pour laquelle je vous propose d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi.

M. Jean-Raymond Hugonet . - Je remercie le rapporteur pour la précision de son travail, sa patience et sa ténacité.

Le sport doit être détaché de toute considération religieuse, de tout prosélytisme, de tout ce qui peut diviser et différencier les joueuses et les joueurs les uns des autres. La religion n'a rien à faire sur un terrain de sport.

L'amendement de notre collègue Stéphane Piednoir s'appuyait sur la règle 50 de la Charte olympique, qui prévoit la neutralité politique, religieuse, raciale et syndicale dans le sport. On ne peut pas transiger avec la laïcité, surtout en France. Notre pays ne devrait pas, sur ce plan, être moins-disant que le mouvement olympique.

Il est également urgent de sécuriser pleinement les acteurs du mouvement sportif, qui nous le demandent. Les élus locaux sont souvent désemparés face aux dérives et ne disposent pas de règles juridiques claires et opérantes. Le législateur doit prendre ses responsabilités. C'est ce que Stéphane Piednoir nous incitait à faire. Or, pour des raisons dogmatiques et politiques absolument inacceptables, nos collègues députés ont refusé de franchir ce pas.

Je note un grand écart entre le discours des Mureaux, dans lequel, en octobre 2020, Emmanuel Macron dénonçait la radicalisation et semblait vouloir s'attaquer au séparatisme islamiste, et les actes. La République en Marche s'appuie sur le contrat d'engagement républicain pour se défendre de tout laxisme, mais nous savons bien qu'il ne s'agit que d'un crocodile empaillé. La ministre Roxana Maracineanu nous indique que le Gouvernement agit, mais, là encore, ce discours se traduit peu en actes. Je répète que les fédérations et les clubs sont dans une insécurité juridique et ne peuvent pas agir.

À l'Assemblée nationale, nous avons vu les députés tiraillés sur cette question. Ce matin encore, l'écrivaine Zineb El Rhazoui, qui soutient le président Macron, a déclaré que ne pas regarder les choses en face était une erreur - elle parle en connaissance de cause.

On ne peut donc que déplorer que l'amendement de notre collègue Stéphane Piednoir n'ait pu être inscrit dans cette proposition de loi, dont je répète qu'il s'agit un peu d'une voiture-balai : derrière les grandes formules, comme « la démocratisation du sport », c'est un éléphant qui accouche d'une souris.

M. Claude Kern . - Je tiens à féliciter notre rapporteur pour son excellent travail. S'il a essayé de défendre nos positions en CMP, j'en suis sorti amer, car le jeu collectif qui aurait permis de donner au sport un nouveau souffle a manqué. Alors que nous avons apporté un certain nombre d'améliorations à ce texte, qui était plutôt modeste, plus d'une trentaine de mesures n'ont même pas eu la chance d'être discutées lors de la CMP. À quelques mois des jeux Olympiques et Paralympiques, nous notons que le sport reste malheureusement le parent pauvre des politiques publiques.

Face à la fin de non-recevoir que nous opposent l'Assemblée nationale et le Gouvernement, notre groupe votera la question préalable proposée par le rapporteur.

M. Jean-Jacques Lozach . - La situation n'est pas banale. Nous sommes partis d'un texte visant à démocratiser le sport, à l'objectif consensuel - lever le maximum d'obstacles pour développer le nombre de pratiquants -, pour arriver à une polémique partisane sur un sujet très précis : le port de signes religieux lors des événements sportifs et des compétitions.

D'ailleurs, on voit bien, dans l'exposé des motifs de la question préalable, que toutes les autres dimensions du sport passent à la trappe. Où est le sport éducatif, inclusif, solidaire, générateur d'émotions, créateur d'emplois ? On réduit le sport à son éventuelle instrumentalisation à des fins communautaristes. Il me semble que le sport, c'est beaucoup d'autres choses.

L'objet de la proposition de loi n'était pas de refaire le débat que nous avons eu sur ce qui allait devenir la loi confortant le respect des principes de la République, loi qui a été promulguée, qui est en cours d'application et pour laquelle il sera procédé à une évaluation le moment venu.

Bien sûr, nous regrettons que l'Assemblée nationale et le Gouvernement aient repris les choses en main à la suite de la CMP, ce qui brouille complètement l'apport du Sénat. Si un certain nombre de nos amendements ont été conservés, des passages ont été complètement réécrits, conformément à l'état d'esprit qui a prévalu lors de la CMP.

Nous pensons que l'article sur l'interdiction des signes religieux n'a rien à faire dans cette proposition de loi. D'ailleurs, nous avons toutes et tous été destinataires des propositions du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), qui représente le mouvement sportif, et, à aucun moment, celui-ci ne nous a alertés sur le sujet - ce qui, du reste, ne signifie pas qu'il n'y a pas ici ou là des dérives séparatistes ou communautaristes. Je conviens qu'elles existent, mais nous disposons aujourd'hui d'un arsenal juridique pour y faire face.

M. Jean-Raymond Hugonet . - Non ! Nous n'avons rien du tout !

M. Jean-Jacques Lozach . - Je pense, par exemple, à la loi d'août 2021 ou tout simplement au contenu de la délégation de l'État au mouvement sportif.

Nous ne voterons bien évidemment pas cette question préalable.

Mme Céline Brulin . - Merci à notre rapporteur pour son travail continu et apprécié sur les questions sportives.

Je regrette moi aussi que nous en arrivions là, compte tenu du consensus initial sur le fait que ce texte manquait cruellement d'ambition en matière sportive, loin de la grande loi sur le sport qui nous avait été annoncée, et alors que nous avons, ensemble, mené quelques batailles, comme sur les conseillers techniques sportifs (CTS) ou sur l'existence même d'un ministère des sports, qui n'a plus de ministère que le nom, et défendu un certain nombre d'avancées. Les questions relatives à la laïcité que nous soulevons là sont des questions de fond, qui ne peuvent, à notre sens, être traitées à la faveur d'amendements destinés à nourrir la polémique - la proximité des élections n'y est sans doute pas pour rien.

Je pense, par exemple, à la situation des femmes afghanes, premières victimes du régime que chacun connaît.

M. Claude Kern . - Ce n'est pas le sujet !

Mme Céline Brulin . - Bien sûr que si ! S'il était voté, l'amendement leur interdirait concrètement de participer à des compétitions sportives. En tout cas, c'est le signe que l'on enverrait.

Vous connaissez notre position sur les questions de laïcité. Or, en l'occurrence, il s'agit véritablement d'une polémique absolument inutile, qui ne va rien régler.

De même, je reconnais qu'aller vers la parité dans les instances sportives pose de réelles difficultés, mais je rappelle qu'il en a été ainsi dans tous les domaines institutionnels.

Que chacun exprime ses convictions à la faveur de cette proposition de loi me paraît tout à fait légitime. En revanche, nous ne pouvons pas nous retrouver dans un texte qui soit prétexte à polémique, quand le sport mérite un travail consensuel.

Mme Laure Darcos . - Je serai bien évidemment solidaire de mon groupe et du choix de l'interdiction du voile, mais, pour la raison que vient d'évoquer Céline Brulin, je reste tiraillée.

La délégation aux droits des femmes a organisé des réunions sur la situation des femmes afghanes. Nous sommes nombreux à soutenir une pétition pour la participation d'une équipe féminine afghane aux jeux Olympiques de 2024. On ne pourra demander à ces femmes de retirer leur foulard ! Le texte que nous allons voter contreviendrait à leur liberté. Il est des symboles importants.

M. Olivier Paccaud . - Nous faisons loi française, non la loi afghane !

M. Michel Savin , rapporteur . - Lors de la CMP, en accord avec le président, nous avons, dans un souci de conciliation, proposé un amendement tendant à réduire fortement le périmètre du dispositif voté par le Sénat : il s'agissait de limiter l'interdiction aux seules compétitions organisées par les fédérations françaises sur le territoire français. Les compétitions internationales n'étaient pas concernées, chaque pays étant libre de s'organiser comme il le souhaite. Je veux lever tout malentendu, et dire aux membres du Gouvernement ou de la majorité En Marche qui affirment le contraire qu'il est faux que nous remettions en cause les JO.

Monsieur Lozach, cet amendement oeuvrerait à développer la pratique sportive, car nous ne voulons pas qu'une partie des femmes de notre pays ne puissent accéder à des compétitions parce qu'elles auraient l'obligation de porter des tenues religieuses. Ce n'est pas notre conception de la laïcité. Notre volonté est bien de démocratiser le sport, que celui-ci puisse conserver sa neutralité et sa laïcité, que chacun, quelles que soient sa religion, son origine, sa sensibilité politique, puisse participer aux activités physiques et aux compétitions sportives. Si nous ne faisons rien se créeront des clubs communautaires excluant une partie des femmes.

La loi doit être claire et répondre aux préoccupations des fédérations. Si les fédérations ne mettent pas officiellement ce point à l'ordre du jour de leurs débats, c'est parce que ces sujets sont très compliqués.

Aujourd'hui, une fédération française est attaquée devant le Conseil d'État par le collectif des Hijabeuses pour avoir refusé le port de signes religieux lors de compétitions. D'autres fédérations connaissent des problèmes importants. Renvoyer aux fédérations la responsabilité de gérer de tels problèmes, comme essaie de le faire le Gouvernement, n'est pas très courageux. C'est à nous, législateurs, de définir dans la loi ce qui est possible et ce qui est interdit.

Cela dit, je veux rappeler, monsieur le président, que le travail du Sénat n'a pas été vain. Je veux évoquer quelques grandes mesures que nous avons votées et qui vont peser.

Premièrement, nous avons reconnu dans la loi les maisons sport-santé, ce qui permet d'assurer leur pérennité et leur financement.

Deuxièmement, nous avons voté le principe d'une activité physique quotidienne en primaire, dans l'esprit de l'expérimentation lancée par le Gouvernement dans certaines écoles. Cela a été conservé par l'Assemblée nationale.

Troisièmement, nous avons inscrit, dans les programmes du primaire, l'aisance aquatique. C'est un sujet important, pour des raisons de sécurité. Trop d'enfants de moins de six ans se noient encore chaque année, malgré les grands discours sur le « savoir nager ».

Quatrièmement, enfin, sur un sujet qui faisait aussi beaucoup débat, le Sénat a réaffirmé la présence de la fédération française dans le fonctionnement et les instances dirigeantes de la société commerciale. Au départ, la fédération en était totalement absente. Afin d'apaiser nos craintes, nous avons, avec le président, organisé plusieurs réunions aussi bien avec la fédération qu'avec la ligue. Outre la présence de la fédération, nous sommes parvenus à inscrire dans la loi le principe d'un retour financier en direction du monde amateur.

Autre point important : ce texte ne comportait aucune disposition sur la sécurité. Des amendements ont été déposés, notamment par Claude Kern, sur le problème des fichiers. L'intégration des photos dans les fichiers des interdits de stade permettra de pallier le fait qu'il n'y a aujourd'hui aucune mesure de contrôle. L'usage d'engins pyrotechniques dans les stades posait également de vrais problèmes de sécurité.

Toutes ces avancées importantes ont été portées par le Sénat. Notre travail n'aura donc pas été vain. Bien sûr, nous aurions espéré pouvoir avoir une discussion saine avec les députés sur d'autres sujets qui nous tenaient à coeur, mais la question des signes et vêtements religieux était une ligne rouge que nous ne pouvions franchir. On voit bien que le texte voté voilà quelques mois sur les principes de la République ne va pas au bout des choses. Lorsque l'Assemblée nationale n'a pas suivi notre amendement, les Hijabeuses ont déclaré qu'elles avaient gagné contre le Sénat... On ne peut que déplorer l'image que ces groupes communautaires renvoient.

Ce n'est probablement qu'une question de temps : le sujet reviendra sur la table, car ce phénomène prend de plus en plus d'ampleur. Quoi qu'il en soit, nous souhaitions, dès à présent, envoyer un signe fort en direction du monde sportif.

M. Jacques-Bernard Magner . -J'ai bien compris que la question préalable portait essentiellement sur la dimension vestimentaire des sportifs.

Une fois de plus, le voile s'invite dans le débat. Une fois de plus, la majorité sénatoriale hystérise cette question.

Chers collègues, depuis que quelqu'un issu de vos rangs a, en 1989, sorti l'affaire du foulard au collège, le débat sur le voile occulte la plupart des autres débats. On le sort en cas de besoin, pour bloquer la discussion ou ne pas aller au fond des choses... J'ai pu le constater, depuis que je suis sénateur - sur les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), sur l'université et, maintenant, sur le sport. C'est de la folie que de travailler ainsi.

Je suis très déçu que le travail qui a été mené dans cette commission se conclue par une question préalable sur un sujet qui n'a rien à voir avec le fond du débat. Ce texte parle du sport, non du voile ! Chers collègues, ne pensez-vous pas que ce débat soit de nature à susciter de la frustration ? Le sujet du voile devrait être tranché ailleurs.

M. Michel Savin , rapporteur . - Certes, mais où ?

M. Pierre Ouzoulias . - Les fédérations sportives en France sont-elles encore chargées d'une mission de service public déléguée par l'État ? Cette question est au coeur du débat. Le Gouvernement n'y a malheureusement pas répondu, et son texte montre le contraire.

Si l'on considère que les fédérations sont chargées d'une mission de service public, alors toutes les obligations du service public s'imposent à elles. Le Conseil d'État a ainsi, tranché, dans sa décision du 22 novembre 2021, que la neutralité s'imposait à toutes les fédérations. Il n'est pas besoin d'y revenir.

Si les fédérations sont chargées d'une mission de service public, elles doivent aussi être l'instrument de l'émancipation des femmes. Cela passe par la parité. Je ne comprends pas comment vous pouvez à la fois considérer que l'on ne peut pas imposer la parité aux fédérations parce qu'elles sont autonomes, et leur imposer la neutralité religieuse parce qu'elles ne le seraient plus. Il faut une cohérence absolue.

Vous connaissez ma position sur le voile : je considère qu'il s'agit d'un outil vestimentaire de domination masculine - cela est vrai pour les trois religions d'Abraham.

En revanche, je ne vous suis pas du tout sur l'olympisme. De facto , la règle 50 de la Charte olympique, qui oblige à une neutralité religieuse, n'est plus appliquée en France. Je trouve que c'est un recul tout à fait insupportable de l'olympisme français et de son caractère universel, que nous aurions dû réaffirmer.

Plus avant, je m'interroge sur l'opportunité d'organiser la Coupe du monde dans des pays où l'on sait très bien que ni les droits de l'homme ni les droits de la femme ne sont respectés, comme au Qatar. J'appelle vraiment, sur ce sujet, à une plus grande cohérence.

M. Michel Savin , rapporteur . - En séance, notre position sur la parité était différente de celle des députés, tout simplement parce que nous avons tenu compte de la situation des fédérations. Certaines fédérations ne sont d'ores et déjà pas en capacité de respecter la règle qui prévaut en matière de parité aujourd'hui, à savoir 40 % minimum d'hommes et de femmes au niveau des instances dirigeantes.

Mais, malgré toutes nos interrogations, malgré toutes nos inquiétudes, j'ai proposé, lors de la CMP, dans un souci de consensus, d'accepter la parité pour les fédérations dès 2024, le comité olympique s'étant engagé à les accompagner dans le recrutement et la formation des dirigeants et à y consacrer les moyens nécessaires. Cela montre que nous sommes capables d'évoluer, mais je doute fort que les fédérations puissent tenir cet objectif dans deux ans.

Le seul point de divergence qui demeure aujourd'hui avec les députés porte sur le nombre de mandats. Le texte initial prévoyait trois mandats au maximum. Nous avions, sur ma proposition, supprimé cet article, pour laisser aux fédérations la liberté de gérer la durée des mandats comme elles le souhaitent. En nouvelle lecture, les députés ont évolué, permettant au président en place de briguer un quatrième mandat. Ce compromis nous convient bien.

En revanche, je reste réservé sur la proposition des députés relative aux instances régionales. Les fédérations nous disent qu'elles ont aujourd'hui beaucoup de difficultés à recruter des dirigeants, notamment en raison de la crise. Il est compliqué d'interdire à des personnes disponibles et qui ont envie de s'investir d'exercer un mandat supplémentaire quand on ne trouve pas d'autres candidats. Sur ce point, nous avons suivi le rapport de Jean-Jacques Lozach, qui avait conclu qu'il fallait laisser les fédérations gérer cette question. Si certains comités régionaux pourront s'accommoder de la règle des trois mandats, d'autres sont gérés par moins de dix personnes.

Le fonctionnement que les députés veulent imposer autoritairement n'est pas en phase avec les réalités, mais nos collègues n'ont pas voulu bouger sur ce point.

Examen d'une motion et des amendements

M. Michel Savin , rapporteur . - Compte tenu des points de divergence existant encore aujourd'hui entre le Sénat et l'Assemblée nationale, je vous propose de ne pas poursuivre l'examen de cette proposition de loi et de voter la motion COM-3 .

La motion COM-3 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi.

L'ensemble des amendements deviennent sans objet.

M. Laurent Lafon , président . - La commission soumettra demain au Sénat la motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi. En conséquence, celle-ci n'est pas adoptée, et les amendements déposés par nos collègues écologistes deviennent sans objet.

La discussion portera en séance sur le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-465.html


* 1 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b3980_rapport-fond

* 2 http://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-698-notice.html

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